VI. LE FABRIQUÉ EN FRANCE : CINQ AXES D'ACTIONS POUR VALORISER UN ATOUT

A. MIEUX IDENTIFIER LE FABRIQUÉ EN FRANCE

Il s'agit en premier lieu de mieux définir le fabriqué en France tant la zone grise est importante et permet toutes les allégations connexes qui déroutent le consommateur, le font douter et le détourne d'un marquage de l'origine non fiable. Une approche économique plus robuste est nécessaire, en retenant le critère de la majorité de la valeur ajoutée créée sur le territoire national et non plus la dernière transformation substantielle en application des règles de l'origine non préférentielle du code des douanes de l'Union.

On pourrait, à cet égard, s'inspirer de l'approche de l'INSEE, précisée dans l'encadré ci-après.

Pour un vendeur, étiqueter son produit fabriqué en France est soumis à une réglementation précise. Un produit prend l'origine du pays où il a subi sa dernière transformation substantielle. Ces transformations peuvent se traduire par un changement de position tarifaire douanière du produit (au sein de la nomenclature douanière internationale) ou par un critère de pourcentage de valeur ajoutée attribuée à cette dernière transformation (45 % pour la Commission européenne).

Pour s'affranchir de cet effet de seuil à 45 % et avoir une mesure continue, et non binaire, du fabriqué en France, l'approche statistique évalue le contenu en valeur ajoutée (CVA) intérieure pour chaque produit consommé. Si une chemise est produite en France et composée à 44 % de valeur ajoutée française, elle n'est pas considérée comme fabriqué en France du point de vue juridique, donc 0 % fabriqué en France. Du point de vue statistique, 44 % de la chemise sont considérés fabriqués en France.

L'indicateur fabriqué en France, peut être calculé à partir du tableau des entrées-sorties national, mais cela ne permet pas de tenir compte du fait qu'une partie des importations peut aussi avoir un contenu d'origine française (par exemple, une voiture importée qui contient un volant construit en France sera considérée comme entièrement importée). L'utilisation des tableaux internationaux des entrées-sorties permet de quantifier cet indicateur de manière complète.

Le fabriqué en France est défini comme la part de la valeur ajoutée française incorporée à la demande intérieure finale rapportée à la demande intérieure finale.

Formellement, le made in du pays j s'écrit :

Made inj = ?k CVA(j,k),j / DF j.

La matrice CVA correspond au contenu en valeur ajoutée de la demande intérieure finale : elle mesure l'origine géographique des produits utilisés pour satisfaire la demande finale dans un pays donné.

CVA = diag(VA) × diag(P-1) × L × DF

L'indicateur de liens « amont » mesure l'intensité de la dépendance directe et indirecte d'une branche à ses intrants en amont.

BL j,l = ?k Lj,k),(j,l)

BL j,l mesure la hausse de la production (intérieure et/ou étrangère) consécutive à une augmentation d'un euro de demande finale adressée à la production de produit l du pays j. L'indicateur BL mesure donc l'intensité des liens amont direct et indirect entre la hausse de la demande finale en un produit donné, et la production supplémentaire que cela engendre nationalement et à l'étranger afin de servir cette demande supplémentaire.

Source : « Produire en France plutôt qu'à l'étranger, quelles conséquences ? », Alexandre Bourgeois (Insee), Jérémi Montornes (Banque de France), INSEE Analyses n° 89, 30 octobre 2023.

Il s'agit en second lieu d'imposer le marquage de l'origine de fabrication des produits importés dans l'Union européenne (comme nos principaux partenaires commerciaux le font, ce qui mettra les États membres de l'Union européenne sur un pied d'égalité). Comme l'a souligné le rapport Jégo, ce principe est conforme aux règles de l'accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (GATT) que l'Union européenne n'applique pas, et qui pose le principe de marquage des biens importés : « chaque fois que cela sera possible du point de vue administratif, les parties contractantes devront permettre l'apposition, au moment de l'importation, des marques d'origine ». Il est paradoxal de constater que, sur ce point, les États-Unis respectent scrupuleusement les règles de l'OMC contrairement à l'Union européenne ! Cette évolution répond aux attentes des consommateurs européens, de plus en plus sensibles aux impératifs de transparence des méthodes de production des biens de consommation.

En revanche, il est proposé de maintenir le marquage de l'origine de production des produits fabriqués et commercialisés dans l'Union européenne facultatif, contrairement au rapport Jégo qui préconise de le rendre obligatoire. Une telle évolution doit émaner d'une demande des entreprises, ce qui n'est pas le cas. Elles redoutent en effet, à juste titre, des coûts bureaucratiques supplémentaires, surtout pour les PME, le marquage des produits étant à leur charge. Ce marquage n'est pas nécessaire pour tous les produits ; pour certains, le fabriqué en France n'apporte pas de valeur ajoutée ; pour d'autres, elles peuvent déjà effectuer une démarche de regroupement des entreprises concernées afin de faire reconnaître la qualité, la réputation ou une autre caractéristique essentiellement attribuable à une origine géographique.

Le règlement (UE) 2023-2411, qui entrera en vigueur le 1er décembre 2025, a étendu la protection des indications géographiques aux produits artisanaux et industriels35(*). Il pourrait « dynamiser » les dispositions de la loi relative à la consommation n° 2014-344 du 17 mars 2014 qui a élargi les indications géographiques aux produits manufacturés et ressources naturelles mais qui n'ont été appliquées que pour 23 produits.

Cette démarche, ascendante et volontaire, est à privilégier, puisque chaque nouvelle indication géographique doit être portée par un collectif d'entreprises appelés Organismes de Défense et de Gestion (ODG).

Enfin, un marquage obligatoire nécessite de réunir une majorité au Conseil européen afin de modifier les règles du jeu de l'Union européenne, qui est aujourd'hui hors de portée.

En revanche, lorsque le passeport numérique des produits sera pleinement opérationnel, et après une étude d'impact approfondie, cette option pourrait être ultérieurement étudiée.

Le Digital Passeport Product ou passeport numérique des produits est prévu par le règlement (UE) 2024/1781 sur l'éco-conception de produits commercialisés sur le marché intérieur, dont l'entrée en vigueur est prévue de façon progressive à compter de 2027. Accessible de façon électronique via un QR code36(*), du NFC37(*), ou du RFID38(*), il accompagnera le produit au cours de son existence et apportant aux consommateurs des informations sur sa conception et ses performances. La liste exacte des informations à fournir, qui sera déterminée par la Commission européenne, agissant par délégation du Parlement et du Conseil, pourrait techniquement contenir l'origine du produit si la décision politique était prise en ce sens. Comme l'a constaté en effet le rapport Jégo du 28 mai 2025 : « étant donné que chaque produit dispose d'une origine, il serait techniquement possible d'imposer un marquage systématique des produits commercialisés au sein de l'Union européenne ».

Il s'agit en quatrième lieu de réserver aux produits réalisés à plus de 50 % en France l'exclusivité de l'apposition du drapeau français, et considérer que le fait d'apposer ou de faire apparaître un drapeau français sur un produit vendu en France qui n'est pas fabriqué sur le territoire national est interdit et constitue une pratique trompeuse.

Il s'agit en cinquième lieu de mettre fin à la tour de Babel des labels en regroupant progressivement les labels et certifications publics et privés sous un label unique « fabriqué en France », une fois le marquage d'origine nationale autorisé, et de favoriser la création d'une plateforme en ligne unique exclusivement réservée aux produits « fabriqués en France ».

Pour consolider l'offre de produits français, il faut une politique de réindustrialisation et de relocalisation, en confiant aux comités stratégiques de filières le ciblage des produits à relocaliser39(*), en priorisant sur les produits identifiés comme en situation de vulnérabilité d'approvisionnement, avec la création de zones franches ayant une fiscalité allégée.


* 35 Trois conditions cumulatives sont nécessaires pour obtenir cette protection : (i) le produit doit être originaire d'un lieu déterminé ; (ii) la qualité du produit, sa réputation ou une autre propriété est attribuée à son origine géographique ; (iii) une étape de production au minimum est réalisée dans l'aire géographique délimitée. Les produits artisanaux protégeables doivent notamment nécessiter une contribution manuelle directe. Plus de 800 produits européens seraient potentiellement protégés.

* 36 Type de code-barres à deux dimensions, constitué de modules-carrés noirs disposés dans un carré à fond blanc, qui définissent l'information que contient le code.

* 37 Technologie de communication sans fil de courte portée permettant à deux appareils équipés de cette fonctionnalité d'échanger des données en les approchant à quelques centimètres l'un de l'autre.

* 38 Utilisation d'ondes électromagnétiques pour lire l'identité d'un marqueur, ainsi que toute autre information pouvant y être stockée.

* 39 Par exemple à partir des 9 304 produits identifiés par le Haut-Commissariat au Plan et des 644 produits identifiés par le Conseil d'analyse économique, voir le rapport : « Reconquête de l'appareil productif : la bataille du commerce extérieur », de décembre 2021.

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