C. RENFORCER LES CONTRÔLES SUR LE « FABRIQUÉ EN FRANCE »

La priorité doit se porter sur la lutte contre le « le flux ininterrompu de contrefaçons proposées sur les réseaux sociaux et les places de marché », relevé par les représentants des marques44(*). Cette action défensive est indispensable à la protection du fabriqué en France.

La France semble particulièrement exposée. Si les saisies ont augmenté de 31 % en Europe, concernant 86 millions d'articles en 2021, elles ont quadruplé en France entre 2020 et 2024, avec 22 millions d'articles contrefaits saisis l'an dernier. Les contrefaçons chinoises représentent 85 % des saisies mondiales en ligne et 51 % des saisies de ventes mondiales hors ligne.

Les contrôles de la DGCCRF semblent aller au plus simple : vers les entreprises françaises, et pour des infractions mineures. En revanche, elles sont particulièrement lentes ou peu efficaces à l'égard du commerce en ligne. La plateforme américaine Wish (déréférencée fin 2021 par les principaux moteurs de recherche, à la demande de la DGCCRF car ses jouets et produits électriques étaient non conformes à 95 %) a retrouvé sa place sur la Toile tricolore en mars 2023. La contrefaçon a réapparu aussitôt.

Les enquêtes sur Temu et Shein sont enlisées depuis trois ans car à chaque remarque, les plateformes corrigent leur offre ce qui étend la période du contradictoire. La lutte contre le « francolavage » se heurte à un obstacle procédural insurmontable. Alors qu'une seule procédure pourrait être engagée contre le contenu d'un seul containeur, chaque colis doit faire l'objet d'une procédure judiciaire distincte, ce qui paralyse toute répression efficace.

Il faut donc réorienter les contrôles de la DGCCRF et des Douanes vers le commerce en ligne extra-communautaire, en priorisant le contrôle de la sécurité des consommateurs et en autorisant des listes noires d'importateurs qui fraudent massivement soit en termes de contrefaçon soit en termes de « francolavage », et faire de la lutte contre la contrefaçon une priorité de l'Office européen de lutte anti-fraude afin d'approfondir la coopération douanière européenne.

La coopération avec les places de marché pour favoriser la protection du « fabriqué en France » sera nécessaire pour déréférencer les entreprises qui fraudent sur l'origine des produits, notamment à l'occasion du « Black Friday ».

Il faut également massifier la répression de la contrefaçon et :

· Adapter les contrôles à l'industrialisation de la fraude en matière de commerce en ligne et à l'individualisation des rapports commerciaux par la livraison de milliards de colis avec une utilisation de l'IA ;

· Rendre possible le blocage des sites connexes (ou sites miroirs, qui tentent de contourner une décision judiciaire via un nouveau site).

Cette possibilité existe depuis la loi du 25 octobre 2021 relative à la régulation et à la protection de l'accès aux oeuvres culturelles à l'ère numérique, en matière de streaming et de piratage audiovisuel. Elle permet la suspension groupée de noms de domaine et de dispenser le plaignant de démontrer le lien de connexité entre différents sites dont il demande le blocage lorsqu'ils reprennent le contenu de sites visés par une décision de justice, sans qu'il soit besoin de solliciter de nouveau la justice. Il est proposé de s'inspirer de cette loi, qui a renforcé la protection du droit d'auteur en matière de piratage audiovisuel, et de transposer ses principes à la protection de la propriété industrielle, donc du « fabriqué en France ».

· Réformer les procédures de contrôle des douanes en étendant ses compétences en matière de police judiciaire, afin de lutter plus efficacement contre la fraude,

Cette réforme pourrait s'inspirer de la compétence horizontale de la « Garde des finances » italienne, corps militaire comprenant 68 000 agents disposent de vastes prérogatives judiciaires d'enquête en matière de police économique générale.

· Assimiler systémiquement la contrefaçon à une non-conformité du produit, dans le cadre de l'application des règlements DSA et DMA,

· Créer une amende délictuelle forfaitaire en cas de fraude sur une allégation de produit fabriqué en France pour le vendeur comme pour l'acheteur (sur le modèle de l'infraction créée en 2019 pour l'achat de cigarettes vendues à la sauvette),

· Augmenter les moyens matériels et humains de la DGCCRF et des Douanes.

Le contrat d'objectifs et de moyens de la direction générale des douanes et des droits indirects (DGDDI) pour la période 2022-2025 comprend ainsi des mesures liées à la maîtrise de la frontière numérique (axe n° 2). Tenir cette frontière, « c'est faire en sorte que les produits achetés en ligne et acheminés depuis l'étranger [...] n'échappent pas à l'impôt et au respect des normes [...]. C'est aussi empêcher que ces colis servent à introduire des marchandises illicites comme les stupéfiants ou les contrefaçons ».

Ses moyens juridiques ont été renforcés par la loi n° 2023-610 du 18 juillet 2023 visant à donner aux services des douanes les moyens de faire face aux nouvelles menaces. Les saisies pour contrefaçon ont doublé depuis cette loi récente.

Ses moyens financiers ont également été accrus, essentiellement afin de renforcer la lutte contre le trafic de stupéfiants45(*).

Les moyens humains de la douane ont diminué d'un quart depuis les années 1990, de 22 000 au début des années 1980 à moins de 17 000 en 2023, alors que ses missions se sont intensifiées et diversifiées.

· Faire de la contrefaçon une priorité de l'Office européen de lutte anti-fraude, rendre compétent le Parquet européen46(*), renforcer la coopération douanière notamment avec la Belgique et les Pays-Bas

L'article 325 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE) constitue la base légale de la lutte contre la fraude de l'Union européenne, en précisant qu'elle relève de la responsabilité conjointe des États membres et de l'Union européenne. Les États membres doivent ainsi prendre « les mêmes mesures pour combattre la fraude portant atteinte aux intérêts financiers de l'Union que celles qu'ils prennent pour combattre la fraude portant atteinte à leurs propres intérêts financiers ».

L'Office européen de lutte antifraude (OLAF) a été créé en 1999 sur décision de la Commission. Sa mission est de détecter les cas de fraude relatifs à toutes les dépenses du budget de l'Union européenne, et certains domaines de recettes de l'Union européenne, principalement le recouvrement des droits de douane. Cette décision fait référence, de manière assez générale, aux « enquêtes administratives internes destinées à lutter contre la fraude, contre la corruption et contre toute autre activité illégale portant atteinte aux intérêts financiers des Communautés ».

Il conviendrait donc de faire de la lutte contre la contrefaçon une priorité de la politique européenne de lutte contre la fraude afin de mobiliser la direction générale « Fiscalité et Union douanière » (DG TAXUD), placée sous la responsabilité du commissaire européen au commerce et à la sécurité économique, Maro efèoviè et du Comité du Code des douanes.


* 44 Selon le rapport de l'Assemblée nationale n° 1846 du 9 novembre 2023 d'évaluation de la lutte contre la contrefaçon.

* 45 Voir le rapport d'information n° 45 du 12 octobre 2022 de la commission des finances sur l'organisation et les moyens de la Douane face au trafic de stupéfiants.

* 46 Il a actuellement le pouvoir d'enquêter et d'engager des poursuites au sujet d'infractions portant atteinte aux intérêts financiers de l'Union européenne. Il peut mener des enquêtes transfrontières sur des fraudes concernant des fonds européens d'un montant supérieur à 10 000 euros ou sur des cas de fraude transfrontière à la TVA entraînant un préjudice supérieur à 10 millions d'euros.

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