C. TRACFIN : UNE CELLULE DE RENSEIGNEMENT FINANCIER AU CARREFOUR DES VOLETS PRÉVENTIF ET RÉPRESSIF DU DISPOSITIF DE LUTTE CONTRE LE BLANCHIMENT

La lutte contre le blanchiment correspond à un continuum d'obligations dont l'aboutissement sont les déclarations de soupçons à Tracfin. Situé entre le volet préventif et répressif, ce service de renseignement joue en effet un rôle central au sein du dispositif LCB-FT.

1. Tracfin dispose de caractéristiques hybrides, à la frontière entre les volets préventif et répressif du dispositif de lutte contre le blanchiment

Tracfin est le service de renseignement financier français, placé sous l'autorité des ministères en charge de l'Économie, des Finances et des Comptes publics. En tant que service d'investigation et d'analyse financière, Tracfin dispose de capteurs financiers lui permettant aujourd'hui de contribuer à trois missions :

la lutte contre la criminalité économique et financière, et notamment la lutte contre le blanchiment ;

la lutte contre la fraude aux finances publiques ;

la défense et la promotion des intérêts fondamentaux de la Nation, notamment en matière de lutte contre le financement du terrorisme et les ingérences criminelles.

Tracfin est à la fois la cellule de renseignement financier (CRF) française depuis 1990 et, depuis 2008, l'un des six services189(*) de renseignement dit du « premier cercle », qui s'inscrivent au sein de la communauté nationale du renseignement.

L'action de Tracfin se situe ainsi au carrefour entre le volet préventif et le volet répressif du dispositif LCB-FT. Il s'agit d'un CRF aux compétences hybrides.

Les différents modèles de CRF

Au niveau international, il existe trois modèles différents de CRF.

1. Les CRF de type judiciaire : la CRF est établie au sein des services de justice, de sorte que les pouvoirs judiciaires peuvent être plus directement exercés (saisie de fonds, interrogatoire ou détention de personnes) (exemple du Luxembourg).

2. Les CRF de type policier : la CRF est établie comme un organisme de nature policière, chargé d'appliquer la loi, disposant des compétences d'investigation et d'intelligence appropriées (exemple de l'Irlande).

3. Les CRF de type administratif : la CRF est établie au sein d'une administration ou d'un organisme en dehors de la sphère des autorités répressives ou judiciaires, par exemple au sein d'une banque centrale ou du ministère des Finances. Elle constitue une interface entre le secteur déclaratif et le secteur répressif (exemple de l'Italie et de l'Australie).

Si Tracfin est catégorisé comme une CRF administrative au sens du GAFI, il convient de noter que ce service exerce également des missions relevant davantage du volet répressif que la seule enquête administrative.

Source : L'activité de Tracfin, Bilan 2023

Doté de 230 agents, ce service a vu ses effectifs augmenter de 30 % en 5 ans, traduisant une mobilisation croissante à mesure de l'intensification du risque LCB-FT. En effet, entre 2020 et 2024, le nombre de déclarations de soupçons reçues par Tracfin est passé de 111 000 à 215 410, soit une augmentation de près de 94 %.

L'activité d'investigation de Tracfin est alimentée par les remontées d'informations dont ce service bénéficie de la part des acteurs de la sociétés civile assujettis et administrations publiques en charge de leurs supervisions. Une fois les informations recueillies, Tracfin les analyse, les enrichit et exploite tout renseignement propre à établir l'origine ou la destination délictueuse ou criminelle d'une opération financière. Pour cela, le service dispose de plusieurs prérogatives :

les appels à vigilance qui sont adressées aux professions déclarantes. Tracfin a par exemple récemment eu recours à cet outil pour alerter certains professionnels sur des exemples de faux documents (papiers d'identité, factures, etc.) utilisés pour les démarches administratives de sociétés lessiveuses, afin de mieux les détecter, et de les neutraliser aussitôt en les signalant de Tracfin via la déclaration de soupçon.

les droits de communication ;

la consultation de diverses bases de données ;

la mobilisation de diverses techniques de renseignement ;

l'échange d'informations avec les CRF étrangères (voir infra) ;

- ou encore les droits d'opposition, qui leur permet de reporter la réalisation d'une opération financière portée à sa connaissance par un assujetti jusqu'à deux jours ouvrables. Ce dernier outil est notamment utilisé comme un moyen de lutte contre les sociétés éphémères ou « lessiveuses ». Le recours à ce droit d'opposition s'est intensifié ces dernières années et a permis au service, entre 2023 et 2024 d'entraver le fonctionnement des comptes bancaires de plus de 400 sociétés éphémères et de les signaler à la justice dans un délai court afin de permettre la saisie pénale de leurs avoirs.

Les données que les agents de Tracfin récoltent grâce à l'utilisation de ces différentes prérogatives sont cruciales puisqu'elles permettent ensuite à ce service de transmettre à l'autorité judiciaire et à d'autres entités impliquées dans la lutte contre la criminalité financière des informations qui permettront d'activer l'arsenal répressif du dispositif LCB-FT. En fonction de la finalité poursuivie, Tracfin transmet ensuite le résultat de ses investigations, soit à l'autorité judiciaire, soit aux administrations partenaires, soit à ses homologues étrangers. En 2023, Tracfin a transmis 387 informations à l'autorité judiciaire en matière de blanchiment de capitaux d'origine criminelle, contre 251 en 2022.

Cartographie des interlocuteurs auxquels Tracfin est susceptible
de signaler des opérations de blanchiment de fonds d'origine criminelle

Source : L'activité de Tracfin, Bilan 2023

2. Le dispositif de détection des mouvements financiers frauduleux par Tracfin repose sur une démarche partenariale avec les professionnels assujettis

Tracfin est notamment chargée de collecter et d'analyser les renseignements qui lui sont communiqués par les professions assujetties aux obligations en matière LCB-FT. Ses agents reçoivent et exploitent les déclarations de soupçons émises par ces professions assujetties ainsi que les communications systématiques qui concernent chaque versement d'espèce ou de monnaie électronique qui dépasse un seuil de montant par opération ou de montant mensuel cumulé. Comme le soulignait la journaliste Anne Michel lors de son audition devant la commission d'enquête, « tout le travail d'enquête de Tracfin se fonde sur les déclarations de soupçons que lui remettent les professionnels assujettis, l'agence ne disposant ni de pouvoir d'enquête propre ni de pouvoir de coercition ». Sans cette remontée d'informations absolument cruciale, Tracfin n'aurait en effet pas la capacité de capter seul un tel volume de données. Ce service n'est en revanche pas habilité à recevoir et traiter les informations transmises par des particuliers.

Lors de l'audition par la commission d'enquête de la ministre des comptes publics Amélie de Montchalin, le directeur adjoint de Tracfin, Alban Genais, a qualifié ce mécanisme de coopération avec les professions assujetties comme un véritable « partenariat public-privé ». Tracfin mène d'ailleurs régulièrement des actions de sensibilisation auprès des professionnels assujettis, dans le cadre du COLB notamment, qui se traduisent notamment par l'élaboration de lignes directrices pour leur permettre une meilleure appropriation de leurs obligations.

3. Des mécanismes de coopération avec d'autres autorités nationales et internationales qui sont essentiels à l'activité de Tracfin

L'activité de Tracfin en matière de LCB-FT repose également sur une logique partenariale avec une multitudes de partenaires publics, par l'intermédiaire de dispositif d'échanges d'informations bilatéraux, mais aussi, par sa participation à des instances supranationales.

Tout d'abord, Tracfin peut également être destinataire des informations de soupçons transmises par les administrations, services de renseignement, autorités judiciaires, collectivités territoriales, établissements publics, autorités de contrôle et ordres professionnels et instances représentatives au titre des articles L. 561-27 et L. 561-28 du code monétaire.

Par ailleurs, Tracfin siège dans plusieurs organes de coordination interministérielle visant à lutter contre la criminalité financière, et plus particulièrement, du COLB. Ce service a également signé des conventions avec d'autres services de renseignement du premier cercle sur des thématiques diverses, et notamment, avec la police nationale de manière renforcer l'information sur le trafic de migrants, ou encore avec les services de renseignement pénitentiaires, ou encore, avec la direction nationale du renseignement douanier (DNRED). Tracfin s'appuie sur son expertise découlant de sa compréhension des flux financiers afin de compléter les analyses dans l'ensemble des compétences, des sujets et des priorités de sécurité nationale traités par les services de renseignement.

Tracfin a également vocation à participer à des mécanismes de coopération supranationaux, en participant notamment aux réunions du Groupe d'action financière (GAFI), en représentant la France au sein de la futur Autorité européenne de lutte contre le blanchiment de capitaux (ALBC ou Anti money laundering authority - AMLA. Par ailleurs, dans le cadre de son audition devant la commission d'enquête, le directeur de Tracfin Antoine Magnant a également insisté sur l'importance de l'approfondissement la coopération bilatérale de Tracfin avec ses homologues internationaux, au regard de l'internationalisation des schémas frauduleux.


* 189 Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI), direction générale de la sécurité extérieure (DGSE), direction nationale du renseignement douanier (DNRED), direction du renseignement militaire (DRM) et direction du renseignement et de la sécurité de la Défense (DRSD).

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