II. UN ARSENAL RÉPRESSIF AMBITIEUX MAIS DONT LA MISE EN oeUVRE EST PERFECTIBLE

La commission d'enquête considère nécessaire d'assumer une nouvelle doctrine stratégique en matière de répression du haut du spectre en s'attaquant aux ressources financières pour frapper la criminalité organisée.

Le but doit être d'ajouter une nouvelle dimension financière à l'approche globale de la lutte contre la criminalité organisée, en s'attaquant directement aux réseaux de blanchiment. L'arsenal législatif le permet, mais les équipes sont trop cloisonnées, spécialisées, alors qu'elles traitent un même ennemi. Le risque est celui, bien connu dans l'art militaire, d'une dispersion au lieu d'une concentration des forces. Pour le surmonter, il faut que l'information circule mieux, verticalement pour permettre une vue globale des phénomènes de criminalité organisée, mais aussi horizontalement depuis le plus fin des maillages territoriaux. Il faut aussi développer une culture commune, un réflexe des investigations financières et patrimoniales, y compris au niveau international.

A. LE CLOISONNEMENT DES SERVICES ENTRAVE LA POTENTIALITÉ DES TEXTES RÉPRESSIFS

1. L'arsenal législatif que le monde nous envie...

Les techniques de blanchiment, ont pour but de faire disparaître les traces du produit de l'infraction ou de perdre les enquêteurs dans un chemin trop long à explorer, une sorte de labyrinthe truffé d'impasses et de longs détours. Dans les deux cas, la preuve est alors quasiment impossible à apporter devant un tribunal de l'origine illégale des fonds, de telle sorte que les biens d'une personne condamnée pour trafic ne pourront pas être confisqués sur ce fondement.

Afin de répondre à ce problème, le législateur a incriminé le fait même de blanchir le produit d'un trafic de stupéfiants, puis de tout crime ou délit puni de plus de cinq ans d'emprisonnement190(*). Mais, pour constituer cette infraction, les magistrats et enquêteurs doivent établir que l'opération de placement, de dissimulation ou de conversion porte sur l'argent généré par le trafic. Concrètement, les enquêtes doivent démontrer que l'argent qui entre dans le labyrinthe provient d'un trafic, ou de toute infraction dite « sous-jacente », ce qui nécessite de monter des surveillances du point de deal où l'argent est généré, de prouver qu'il s'agit bien d'un trafic (ce qui constitue une enquête en soi), et le suivre jusqu'à la remise de cet argent dans le circuit de blanchiment. Ainsi, deux infractions distinctes seront caractérisées : les trafiquants seront condamnés pour trafic et leur biens confisqués, et les blanchisseurs pour blanchiment191(*).

L'un des éléments constitutifs de l'infraction de blanchiment est ce lien entre l'infraction « sous-jacente » et le mécanisme de dissimulation. C'est pourquoi classiquement, les services d'enquête et les magistrats déjà saisis d`une infraction sous-jacente, sont également chargés des enquêtes dirigées contre le blanchiment qui en résulte : l'office central chargé de la lutte contre tel trafic, de stupéfiants, d'êtres humains, de contrefaçons ou de déchets, sera également chargé de caractériser le blanchiment des sommes générées afin de saisir puis confisquer les biens acquis grâce à elles192(*). Du fait de ce lien, les services se spécialisent également en lutte contre le blanchiment : l'office chargé de la lutte contre les stupéfiants mènera des enquêtes pour blanchiment de trafic de stupéfiants, et l'office central de la douane mènera des enquêtes pour blanchiment d'infractions au code des douanes.

Mais le chemin des enquêteurs est semé d'embuches. Ainsi, lorsqu'un enquêteur s'attache à remonter l'origine des fonds qui ont permis l'achat de tel bien immobilier luxueux, il suffit que l'argent provienne d'un pays non coopératif, c'est-à-dire qui ne répond pas aux questions des magistrats français, pour que l'enquête achoppe, qu'on ne puisse pas remonter à l'infraction qui a généré l'argent. Les autorités françaises, dans les cas de refus de coopération, sont dépourvues de moyens de contraindre les intermédiaires à révéler les circuits financiers frauduleux.

Autrement dit, les services d'enquête se trouvent dans l'impossibilité d'établir le lien entre les fonds qui sont sortis du circuit de blanchiment au bénéfice du trafiquant et un crime et un délit et l'infraction sous-jacente, alors qu'il s'agit là d'un des éléments constitutifs du délit de blanchiment. Les biens du trafiquant ne peuvent être saisis et la personne ayant construit le labyrinthe ne peut pas être condamnée pour ce seul fait.

Face à cette preuve en pratique quasi impossible à obtenir puisqu'elle dépasse les moyens juridiques de l'État, le législateur a créé en 2013 une présomption simple de blanchiment193(*), qui consiste d'une part à délier la caractérisation du délit de blanchiment de la preuve de toute infraction sous-jacente, et d'autre part, face à un mécanisme qui ne présente aucune raison économique a priori légitime, à mettre la personne concernée dans l'obligation de s'expliquer sur son objet.

Ainsi, aux termes de l'article 324-1-1 du code de procédure pénale, « les biens ou les revenus sont présumés être le produit direct ou indirect d'un crime ou d'un délit dès lors que les conditions matérielles, juridiques ou financières de l'opération de placement, de dissimulation ou de conversion ne peuvent avoir d'autre justification que de dissimuler l'origine ou le bénéficiaire effectif de ces biens ou revenus ».

Cette présomption se révèle particulièrement utile lorsque les enquêteurs rencontrent des mécanismes qu'une personne agissant « normalement » ne monterait pas. Par exemple, lorsque le contrôle d'un véhicule révèle que des centaines de milliers d'euros sont dissimulés dans des caches aménagées (conditions matérielles), ou que des fonds sont disséminés sur une multitude de comptes puis virés à de multiples reprises (conditions financières), ou bien envoyés à destination de pays non coopératifs (conditions juridiques). Dans ces types de cas, la personne en cause devra expliquer les raisons qui l'ont conduit à adopter ce comportement, raisons qui peuvent être légitimes (par exemple afin de préserver le secret des affaires, ou pour un réfugié d'échapper à une répression politique portant sur son patrimoine) auquel cas l'enquête est classée sans suite, ou refuser de s'expliquer et dans ces conditions l'infraction de blanchiment est caractérisée, ce qui permet la saisie et la confiscation de ce qui est considéré comme le produit d'une infraction sous-jacente. Le lien est alors juridiquement établi alors qu'il n'est pas matériellement démontré.

Autrement dit, d'une part, le simple fait qu'une personne ait fait transiter des fonds par un labyrinthe ayant pour effet (et non nécessairement pour objet) de piéger ou de retarder les enquêteurs suffit à présumer que ces fonds proviennent d'un crime ou d'un délit ; d'autre part, si la personne concernée ne s'explique pas, le droit brise les murs du labyrinthe monté par les trafiquants et les blanchisseurs autour des enquêteurs : l'infraction de blanchiment est caractérisée.

Toute la question est de déterminer à partir de quel moment un mécanisme de dissimulation permet de déclencher les conditions d'application de cette présomption à l'encontre des personnes qui y participent, présomption qui a pour effet de renverser la charge de la preuve en matière pénale. Il appartient à la jurisprudence de le définir au cas par cas. Après plusieurs années de frilosité des magistrats, le mécanisme, qui a été vu comme une révolution de notre droit pénal, est aujourd'hui de plus en plus utilisé mais ses potentialités ne sont pas encore atteintes, ainsi que l'ont souligné les magistrats mais aussi le ministre de l'intérieur lors de leurs auditions.

Source : JUNALCO

Le même mécanisme a été étendu aux enquêtes menées par les officiers de douane judiciaire par la création d'une présomption de blanchiment douanier à l'article L. 415-1 du code des douanes194(*). Cette évolution, qui coupe le lien avec le délit douanier, fait que les agents de cette administration peuvent enquêter sur les réseaux de blanchiment dans les mêmes conditions que les agents du ministère de l'intérieur. Vu le recours quasi systématique au transfert ou compensations internationales, l'apport des douaniers est bienvenu.

Il convient de préciser que contrairement à une idée reçue, les mécanismes d'inversion de la charge de la preuve ne sont pas inédits dans notre droit pénal. Ils sont mêmes communs lorsqu'il s'agit de lutter contre les organisations criminelles à but lucratif ou de frapper le réel bénéficiaire d'une activité criminelle dont l'organisation ne peut pas être caractérisée par les autorités.

Ainsi dès 1946 et l'adoption de loi n° 46-685 du 13 avril 1946 dite « Marthe Richard » tendant à la fermeture des maisons de tolérance et au renforcement de la lutte contre le proxénétisme, est considérée comme proxénète la personne qui, vivant sciemment avec une personne se livrant habituellement à la prostitution, ne peut justifier de ressources suffisantes pour lui permettre de subvenir seul à sa propre existence195(*). Un dispositif comparable a été d'abord appliqué en matière de trafic de stupéfiants196(*) ainsi qu'aux parents d'un mineur délinquant197(*). Il a été étendu en 2006 à toute personne étant en relations habituelles avec une ou plusieurs personnes auteurs d'un crime ou d'un délit lucratif puni de plus de cinq ans d'emprisonnement.

Par ailleurs du point de vue des peines prononcées à l'encontre des personnes condamnées pour un crime ou un délit puni d'au moins cinq ans d'emprisonnement et leur ayant procuré un profit direct ou indirect, le sixième alinéa de l'article 131-21 du code pénal autorise la confiscation des biens lui appartenant au condamné dont il n'a pu justifier l'origine. La loi visant à sortir la France du piège du narcotrafic va plus loin en fixant le principe de la confiscation obligatoire pour les personnes entrant dans le champ de l'article 321-6 du code pénal.

Ces mécanismes remplissent les plus hauts standards internationaux en termes de lutte contre le blanchiment, ainsi que l'a relevé le GAFI lors de son évaluation de 2022, à telle enseigne que les magistrats français se heurtent parfois aux réticences de leur homologues étrangers à répondre à leur demande d'entraide, considérant que les textes d'incrimination français sont trop sévères198(*). Il convient toutefois de les assumer clairement.

En miroir de la présomption introduite à l'article 324-1 du code pénal, dont il faut comprendre la révolution qu'elle opère en libérant l'infraction de blanchiment de l'infraction sous-jacente, les structures judiciaires et d'enquête n'ont que peu évolué, ne voyant pour la plupart le blanchiment que comme un accessoire d'une autre infraction. Pourtant, potentiellement, un magistrat et le service d'enquête saisi peuvent dorénavant, et certains le font, se concentrer uniquement sur l'infraction de blanchiment, puisqu'il n'est plus nécessaire de démontrer l'infraction sous-jacente. D'ailleurs, le simple fait de le commettre en bande organisée suffit à porter les peines encourues à 10 ans d'emprisonnement et les peines peuvent encore être renforcées suivant les circonstances199(*).

L'incrimination du blanchiment d'une part, et la procédure pénale d'autre part, sont suffisamment dissuasifs pour attaquer les réseaux de blanchiment eux-mêmes, ce qui permettrait de s'en prendre à la fonction support de tous les réseaux de trafics. Se pose donc la question d'une montée en gamme des stratégies et de structures d'enquêtes visant le blanchiment en lui-même, détaché de toute infraction sous-jacente pour mieux frapper ces dernières.

Les magistrats spécialisés déplorent que les circuits financiers, le blanchiment de manière générale, ne soit traité que comme une infraction accessoire ou secondaire et n'entre pas toujours dans la stratégie initiale des enquêteurs. Ceci s'expliquerait par le fait qu'il n'y aurait pas assez d'enquêteurs financiers qui participeraient à la définition de la stratégie d'enquête lorsqu'elle débute. Certes, Tracfin et les dénonciations sur le fondement de l'article 40 du code de procédure pénale par diverses administrations alimentent les magistrats en renseignement, mais le travail d'initiative policière et douanière devrait être renforcé en matière économique et financière.

D'ailleurs, l'expérience, tant des services d'enquête que des juridictions spécialisées, montrent que les condamnations pour blanchiment dans les enquêtes uniquement consacrées à cette infraction sont plus sévères que lorsque l'enquête comporte également la répression du trafic source du profit.

La pleine mobilisation de ces outils nécessite avant tout une formation accentuée des magistrats en la matière, notamment des juridictions de jugement.

Texte

Peine d'emprisonnement

Peine d'amende

Confiscation

Articles 324-1 Code pénal et suivants (général)

5 ans

(10 ans si aggravé, notamment en bande organisée)

375 000 €

ou la moitié du montant blanchi

Confiscation de l'objet et du produit ayant servi à commettre l'infraction, des biens et avoirs qui sont le produit direct ou indirect de l'infraction

Article 222-38 Code pénal (stupéfiants)

10 ans

(plus en fonction de l'infraction sous-jacente)

750 000 €
ou la moitié du montant blanchi 

Article 415 Code des douanes

10 ans

1 à 5 fois le montant blanchi

(10 fois si B.O.)

2. ... mis en oeuvre par des forces encore trop cloisonnées

La répression du blanchiment ne nécessite plus de caractériser une infraction sous-jacente, y compris en matière douanière, et cela justifie des enquêtes autonomes sur cette infraction. Par ailleurs, on l'a vu dans la première partie, les moyens du blanchiment sont multiples : il fait appel à des collecteurs, des passages de frontières, des montages comptables, financiers, ou juridiques complexes, des fraudes aux importations, des rachats de commerces etc. Cela signifie que ce phénomène échappe en partie au champ de compétence de chacune des administrations chargées de sa répression, à savoir la police, la gendarmerie, le douanes, le fisc, chapeautées par la justice qui dirige les enquêtes. De plus, au sein même de l'intérieur et de la justice, le partage entre l'économique et le financier d'une part, et les autres pans de la criminalité organisée d'autre part est dépassé puisque l'économique et financier est mis au service des trafics. Enfin le phénomène déterritorialisé appelle un pilotage nécessairement national des services répressifs.

Autrement dit, la structuration de nos outils en silos doit être interrogée. Le futur PNACO et le nouvel EMCO ne sont pas la réponse à tout. Ils ne pourront effectivement fonctionner sans une révolution culturelle.

a) La pluralité des services judiciaires s'articule bien mais son défi réside dans la bonne diffusion de l'information relative à la criminalité financière.

Pour rappel, six niveaux judiciaires sont susceptibles d'intervenir en matière de blanchiment :

- les tribunaux judiciaires non spécialisés de droit commun dont certains, en fonction de leur taille, disposent de sections dédiées à la délinquance économique et financière ;

- les pôles économiques et financiers, qui ne sont plus qu'au nombre de deux aujourd'hui, à Bastia et à Nanterre ;

- les huit juridictions interrégionales spécialisées (JIRS) qui sont compétentes également en matière économique et financière, chargé de la lutte contre la délinquance d'une grande complexité. Ces juridictions comportent des parquetiers, des juges d'instruction ainsi que des chambres de jugements spécialisées ;

- la juridiction nationale chargée de la lutte contre la criminalité organisée de très grande complexité (JUNALCO) qui à l'instar des JIRS voient leurs affaires instruites et jugées par des magistrats également spécialisés ;

- le parquet national financier (PNF) chargé d'infractions spécialement énumérées à l'article 705 du code de procédure pénale (probité, fiscalité, atteintes au marché financier et infractions concurrentielles) ;

- le parquet européen compétent dans la poursuite contre les atteintes aux finances publiques européennes.

Les cinq premiers niveaux ont le plus souvent des compétences concurrentes qui nécessitent une bonne circulation d'informations et une bonne coordination, pour que chaque affaire soit traitée à l'échelon le plus approprié.

Sur la base des éléments et des informations qu'elle recueille, la direction des affaires criminelles et des grâces du ministère de la justice (DACG) adresse aux magistrats du parquet des circulaires générales de politique pénale, thématiques ou territoriales qui encadrent leur action, afin d'harmoniser le traitement des infractions, d'apporter des outils techniques et juridiques ainsi que de diffuser ces bonnes pratiques à l'ensemble des juridictions.

Plusieurs circulaires ont été diffusées afin de coordonner l'action des différents parquets : par exemple celle du 31 janvier 2014, relative au procureur de la République financier, qui prévoit l'articulation des compétences entre les différentes juridictions spécialisées en matière économique et financière, ou à la circulaire du 17 décembre 2019 qui a accompagné la création de la JUNALCO, circulaire qui constitue l'un des piliers de l'articulation des juridictions de droit commun. Un certain nombre de circulaires thématiques ou territoriales ont également été diffusées, qui rappellent et déclinent ces principes d'articulation. La récente circulaire du 5 mars 2025 vient renforcer quant à elle la coordination judiciaire en matière de lutte contre la criminalité organisée dans son ensemble, intégrant l'aspect de la délinquance économique et financière.

Certains mécanismes de coordination sont par ailleurs prévus dans le code de procédure pénale (ex : l'article 705-4 CPP qui prévoit que le procureur général près la cour d'appel de Paris anime et coordonne, en concertation avec les autres procureurs généraux, la conduite de la politique d'action publique pour l'application de l'article 705 CPP relatif aux crimes économiques et financiers les plus complexes).

Globalement, les magistrats auditionnés ont indiqué que les mécanismes de coordination de ces différents niveaux fonctionnaient bien et qu'il n'y avait pas de réels conflits de compétence lorsqu'ils entraient en concurrence. Le futur PNACO devrait donc s'insérer dans un ensemble déjà bien rodé, certainement en remplacement de la JUNALCO.

L'un des facteurs de réussite du PNACO sera pour lui de pouvoir s'appuyer sur une connaissance fine du terrain, ce qui implique une remontée d'informations bien calibrée avec deux écueils qu'il faudra éviter : l'aveuglement d'une juridiction trop éloignée ou à l'inverse le risque d'embolisation d'une structure sous un flot indiscriminé d'informations.

À l'heure actuelle, les juridictions de droit commun, celles du premier niveau, doivent informer les JIRS de toute affaire significative pour permettre à ces dernières d'avoir un diaporama de la délinquance au niveau régional et d'envisager, le cas échéant, une saisine en fonction des critères et des doctrines d'emploi qui auront été préalablement fixés. Une redescente de l'information est également indispensable pour le traitement local de la délinquance par les juridictions de droit commun.

Il convient à cet effet de renforcer les JIRS dans leur capacité à produire de manière autonome leur propre analyse criminelle dans cette direction verticale ascendante, mais aussi de façon horizontale au sein du réseau JIRS ainsi que dans la dimension verticale descendante à destination des parquets de droit commun ou des administration partenaires. [À cet égard l'élargissement aux JIRS, de la faculté aujourd'hui uniquement ouverte au parquet de Paris de communiquer aux services de renseignement les données d'enquête nécessaires à l'exercice des missions de ces services au titre de la prévention de la criminalité et de la délinquance organisées doit être envisagée200(*)].

Recommandation de la commission d'enquête : créer auprès de chaque JIRS une cellule d'assistants spécialisés, d'enquêteurs ou de douaniers spécialisée en criminalité financière. ?

Le PNF a indiqué qu'une extension de ses compétences en matière de blanchiment d'une certaine complexité quelle que soit l'infraction source201(*) permettrait de s'appuyer sur ses expertises acquises dans son domaine de spécialité.

Il est vrai que les experts ont indiqué que les réseaux criminels ont recours à tout un panel d'infractions, dans le cadre de leur logistique criminelle ou dans celui de leur diversification d'activité, dont certaines relèvent du domaine partagé ou exclusif du PNF : ainsi en est-il des procédés de corruption ou de délits d'initiés. De même, les connexions qui existent entre criminalité en col blanc et criminalité organisée remettent en question la distinction structurelle entre le PNACO d'une part et le PNF d'autre part. Il faudra certainement imaginer des mécanismes de coordination particulièrement intégrés (co-saisine systématique PNACO-PNF). Quoi qu'il en soit, à l'inverse des juridictions de droit commun, le PNF en est rendu à devoir caractériser l'infraction sous-jacente, ce qui dans les faits l'empêche souvent de pouvoir mobiliser l'infraction de blanchiment contre les réseaux spécialisés dans cette infraction, ce qui le contraint de classer l'affaire, ou de se dessaisir au profit d'autres parquets.

Recommandation de la commission d'enquête : étendre le champ de compétence du PNF à l'ensemble de la criminalité financière ou lui permettre du moins de mobiliser la présomption de blanchiment ?

b) Les services d'enquête sont également très nombreux, et répartis entre deux ministères, ce qui pose le défi de la circulation de l'information et la concurrence de compétences.

La présentation des services impliqués dans la lutte contre le blanchiment passe par une revue des offices centraux et des services territoriaux du ministère de l'intérieur (police nationale, préfecture de police, gendarmerie nationale) et du ministère des finances (direction générale des douanes et des droits indirects (DGDDI), et de la direction générale des finances publiques (DGFip)).

Concernant la police, le niveau central comporte des offices dédiés à la plupart des infractions lucratives : l'Office antistupéfiants (OFAST), l'Office central pour la répression de la traite des êtres humains (OCRTEH), l'Office de lutte contre le trafic illicite de migrants (OLTIM), et enfin l'Office anti-cybercriminalité (OFAC). Chacun peut traiter le volet blanchiment ou avoirs criminels des affaires, particulièrement l'OFAST qui dispose d'un groupe dédié, mais pour l'essentiel, ces aspects sont traités par les services spécialisés co-saisis lorsque la complexité l'impose.

Concernant les infractions financières, la sous-direction de la lutte contre la criminalité financière (SDLCF) de la direction nationale de la police judiciaire (DNPJ) est en première ligne.

En son sein, l'Office central pour la répression de la grande délinquance financière (OCRGDF) est constitué de 63 fonctionnaires, spécialisés dans la lutte contre le blanchiment, les fraudes, les escroqueries complexes ou de grande ampleur.

L'Office central de lutte contre la corruption et les infractions financières et fiscales (OCLCIFF), armé de 76 enquêteurs spécialisés qui luttent contre la corruption nationale et internationale, les atteintes à la probité, les infractions au droit des affaires, la fraude fiscale complexe et le blanchiment de ces infractions.

Une section de la preuve numérique, constituée d'officiers de police judiciaire dotés d'une expertise forensique en investigations financières et chargée de la recherche et de l'analyse des preuves numériques pour les deux offices.

Elle comprend également la plateforme d'identification des avoirs criminels (PIAC), qui centralise le suivi des avoirs criminels saisis par la police et la gendarmerie nationale sur le territoire national.

Le service d'information de renseignement et d'analyse stratégique de la criminalité organisée en charge du renseignement financier (Sirasco financier), point de contact des services de renseignement et des partenaires financiers, est également rattaché à la SDLCF. Ce service est dédié aux recoupements opérationnels ainsi qu'à la caractérisation de phénomènes criminels émergents à partir des enquêtes réalisées.

Enfin, la SDLCF assure la coordination nationale des groupes interministériels de recherche (GIR), qui eux échappent à la compétence seule de la DNPJ.

Les GIR

Structure interministérielle de lutte contre la délinquance financière sous toute ses formes, les GIR comptent, au 1er février 2025, 436 personnels, provenant à 51 % de la police nationale, à 30 % de la gendarmerie nationale, à 17 % du ministère de l'économie et des finances et à 2 % d'autres administrations, telles que l'Urssaf, la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), ou la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM). Cette diversité de personnels met à disposition plusieurs armes : code pénal, mais aussi à celui des douanes, des impôts, du travail et de la concurrence. Les GIR élaborent leur stratégie opérationnelle en s'appuyant ses les différentes cultures et les différents pouvoirs de leurs agents, afin de lutter de manière administrative ou judiciaire contre leurs cibles.

Leur action est dirigée contre les réseaux d'économie souterraine, les affaires de fraudes sociales, ou de fraudes aux aides Covid, le travail illégal, le travail clandestin, la dissimulation de fonds, le blanchiment d'argent, la fraude fiscale, l'évasion fiscale. De nombreux exemples ont été donnés à la commission d'enquête, de l'apport des GIR dans le démantèlement de réseaux de délinquance et de saisies patrimoniales.

La SDLCF abrite également une brigade nationale d'enquêtes économiques (BNEE), composée d'agents de la direction générale des finances publiques (DGFiP), et dont les 24 antennes sont implantées dans les services centraux et territoriaux de la DNPJ et de la direction de la police judiciaire de la préfecture de police de Paris. Cette brigade participe aux enquêtes des services de police judiciaire sur l'ensemble du territoire national et favorise la sanction financière des faits criminels dans le cadre des procédures pénales ou fiscales.

Enfin, deux officiers de liaison de la sous-direction sont en poste auprès de Tracfin.

Au plan territorial, le service interdépartemental de police judiciaire (SIPJ) s'appuie sur deux divisions opérationnelles, la division de la criminalité organisée et spécialisée (DCOS), dédiée au traitement des réseaux criminels d'envergure supradépartementale et des affaires criminelles complexes, et la division de la criminalité territoriale (DCT), dédiée au traitement des affaires sensibles, graves ou complexes dépassant les compétences de la circonscription de police nationale.

Enfin, chaque département dispose d'un groupe d'identification des avoirs criminels ou d'un référent. L'action de tous ces services est pilotée par la SDLCF, qui organise un bureau de liaison mensuel.

Au total, la PJ traite d'après le DGPN 85 % des affaires relevant de la criminalité organisée et les services de la SDLCF contribuent à hauteur de 40 % les chiffres de saisie de la police nationale dans son ensemble.

Concernant la gendarmerie nationale, son directeur général (DGGN) a rappelé qu'elle s'organise suivant un principe de subsidiarité : si la brigade territoriale (au nombre de 3 000) est dépassée, il est fait appel à la brigade de recherches d'arrondissement (367), puis aux sections de recherches au niveau régional (44)202(*), et enfin au niveau national.

Ce niveau national regroupe actuellement plusieurs offices centraux en lien avec la criminalité organisée : l'office central de lutte contre le travail illégal (OCLTI), l'office central de lutte contre la délinquance itinérante (OCLDI), l'office central de lutte contre les atteintes à l'environnement et à la santé publique (OCLAESP).

Le niveau national sera grandement modifié par la création d'une unité nationale de police judiciaire (UNPJ), qui comptera plus de 1 000 enquêteurs et sera composée de trois grands pôles. Le premier consacré au rapprochement des renseignements administratifs et judiciaires, le deuxième dédié aux enquêtes, notamment capable de renforcer les groupes d'enquête des unités territoriales, et le troisième dédié à l'appui spécialisé (notamment cyber).

Au sein de la préfecture de police de Paris, compétente sur la région parisienne, les unités de lutte contre la criminalité financière sont regroupées par la sous-direction cyber et financière, qui comprend la brigade de recherches et d'investigations financières (Brif), qui compte notamment 6 agents de la DGFip.

Au sein du ministère des finances, les douanes sont au premier chef concernées par la lutte contre le blanchiment, dont les formes internationales sont récurrentes. Ainsi sont-ils compétents par exemples pour la répression des mécanismes de blanchiment via des importations, exportations, compensation, transport de fonds. De plus, les douanes ont vu leurs compétences étendues au-delà de leurs compétences historiques, par exemple en matière de protection des intérêts financiers de l'UE, même lorsque celles-ci ne sont pas de nature douanière, ou bien dans le transport de fonds au sein même du territoire national203(*).

La direction générale s'appuie notamment sur la direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières (DNRED), service de renseignement à compétence nationale qui met en oeuvre la politique du renseignement, des contrôles et de la lutte contre la grande fraude douanière. Ce service est par exemple chargé de la mission de collecte du renseignement fiscal sur la fraude fiscale.

En 2024, 2709 faits de manquement à l'obligation déclarative et de blanchiment ont été constatés par les services douaniers français (2393 en 2023). 469 constatations relatives au blanchiment douanier, pour un montant total de 19,8 millions d'euros, ont été relevées en 2024(204 constatations en 2023 pour un montant total de 12,3 millions d'euros).

L'office national anti-fraude (ONAF), placé sous la double tutelle des douanes et de la DGFip, constitue l'arme judiciaire de ces directions générales.

Composé de douaniers et d'agents de l'administration fiscale, sa compétence est large mais limitée à des infractions spécifiquement énumérées : infractions douanières, escroqueries à la TVA, vols de biens culturels, fraudes aux accises ou aux intérêts de l'Union européenne204(*), blanchiment205(*). Il compte 345 agents, dont 260 officiers de douane judiciaire (ODJ), et devrait intégrer 67 nouveaux officiers fiscaux judiciaires (OFJ) actuellement en formation. Une unité fiscale et une unité douanière - la plus importante, avec 80 enquêteurs - sont implantées à Paris. Les 8 autres unités sont réparties sur l'ensemble du territoire, principalement composées d'ODJ, sauf à Marseille où un groupe mixte d'OFJ et d'ODJ sera constitué du fait de l'importance des affaires fiscales dans cette zone.

L'ONAF ne bénéficie pas du pouvoir d'initiative : il doit être saisi par les magistrats, principalement le PNF (qui à lui seul concentre 85 % des missions des OFJ), le Parquet européen, les JIRS et la JUNALCO206(*). Il intervient sur toutes formes de blanchiment des fraudes aux finances publiques et douanières, ce qui en fait un acteur incontournable de la lutte contre le blanchiment. Sa position concurrente avec les offices centraux de la PJ pose toutefois la question de la déperdition des forces. Néanmoins, son action a permis la saisie de 597 millions d'euros d'avoirs criminels en 2024.

Avoirs criminels saisis ou identifiés par l'ONAF en millions d'euros

Année

Montant (en millions d'euros)

2021

125,1

2022

175,5

2023

159

2024

597

Recommandation de la commission d'enquête : Organiser la formation commune gendarmerie, douanes, police, fisc sur l'open source, le cyber, les cryptoactifs.

Recommandation de la commission d'enquête : accorder un pouvoir d'initiative à l'ONAF.

c) Des structures de coordination inachevées

Chacun s'accorde à souligner la qualité des services d'enquête spécialisés en matière financière. Toutefois, la multiplication des acteurs pose la question du risque de déperdition de l'information.

Afin de répondre notamment à ce défi, une Task force narco-blanchiment (TF-NB) pilotée par la DNPJ a été formée à l'automne 2024.

Elle consiste en une réunion mensuelle de toutes les structures centrales de la DNPJ susceptibles de disposer d'information ayant trait au blanchiment. Les informations sont partagées sur une boite mail commune. Surtout, à ceci s'ajoute un format TF-NB élargi qui associe les partenaires (PP, TRACFIN, GN, ONAF, DNRED...). Son rythme sera semestriel, la première réunion s'est tenue courant février 2025.

La création d'un état-major de lutte contre la criminalité organisée (EMCO), installé par le président de la République en mai 2025, visera à centraliser et coordonner, au service du futur PNACO, l'action des principaux services de renseignement et d'enquête pour lutter plus efficacement contre les réseaux criminels, notamment dans les domaines du narcotrafic, du blanchiment, des règlements de comptes et des trafics internationaux.

Les mécanismes de coordination existent, mais il convient d'interroger la pertinence de la multiplication des acteurs lorsqu'ils visent au même but. Les états-majors divers, conventions interservices ou d'équipes mixtes d'enquête207(*) n'apparaissent pas suffisants pour assurer l'efficacité opérationnelle. De même les instances de coordination nationale telles que la MICAF ou le COLB sont intéressant au niveau tactique, mais non pas opérationnel.

Plusieurs services concourent à la lutte contre le blanchiment, sans qu'on comprenne l'intérêt réel de cette multiplicité, notamment au niveau central, qui s'explique pour des raisons historiques.

De plus, dans la mesure où la plupart des techniques de blanchiment du haut du spectre utilisent des mouvements de fonds internationaux, l'intégration du travail policier et douanier apparait comme essentiel. Il en est de même des agents de la DGFip lorsque des mécanismes financiers entre en jeux. La coordination n'est qu'un pis-aller : elle produit nécessairement une dispersion des forces et une déperdition d'informations qui conduiront à des fautes stratégiques face à des réseaux qui restent, eux, très concentrés et structurés208(*).

Des exemples d'intégration existent, souvent poussés par l'international.

Ainsi la PIAC est le chef de file du dispositif de recherche d'avoirs criminels au sein du ministère de l'intérieur, pour le compte de la police ou de la gendarmerie nationales. Elle est également point de contact unique pour l'ensemble des services, police, gendarmerie, douanes, magistrats, en cas de demande de recherches de biens à l'étranger.

d) Une structure cloisonnée et dépassée

L'économique et le financier constituent historiquement un pan à part de la structuration des services judiciaires et d'enquêtes : les escroqueries, les fraudes, le travail dissimulé, les abus de bien sociaux sont traités à part. Les enquêteurs dédiés sont habitués à des enquêtes sur pièces visant des cols blancs plutôt qu'à des surveillances de points de deal. La logique doit être différente pour lutter contre les montages financiers complexes mis au service d'une criminalité organisée qui monte en gamme et a recours à des méthodes basiques de blanchiment telles que l'hawala.

Le succès de la lutte contre le blanchiment qui finance les organisations criminelles passe par un partage d'informations efficace, la remontée de renseignements au bon niveau et l'interministérialité du travail d'enquête. Il nécessite également de pouvoir prendre en compte des organisations criminelles organisées sur l'ensemble du territoire national voire international209(*).

Au plan national, deux entités traitent du blanchiment spécifiquement des produits de la criminalité organisée : l'OCRGDF de la police nationale d'une part, l'ONAF des douanes d'autre part. Mais à leur manière via les recouvrements qu'elles prononcent, les URSSAF et la DGFip contribuent à reprendre le produit des trafics aux organisations criminelles210(*).

Dans la mesure où le blanchiment ne conduit pas en général à un dépôt de plainte (de ce point de vue au moins on peut concéder qu'il s'agit d'un crime sans victime), le succès de la lutte contre ce phénomène repose d'abord sur la capacité des services d'enquête à obtenir des renseignements susceptibles de justifier l'ouverture d'une enquête pénale211(*), notamment une enquête dite « préliminaire », dont l'objet est justement de rassembler des éléments afin de caractériser une infraction qui à ce stade n'est que suggérée.

Les types d'informations susceptibles d'intéresser ces services sont innombrables. Travail dissimulé, sociétés éphémères, commerces inactifs étrangement bénéficiaires, faux documents, corruption, fraudes sociales, aides publiques détournées, tous ces phénomènes connus des territoires sont nécessairement le signe d'un blanchiment plus ou moins élaboré, d'une surface plus ou moins importante. Les services ont donné des exemples particulièrement frappants d'enquêtes portant sur plusieurs dizaines de millions d'euros qui sont parties des données d'un simple contrôle d'un lieu d'activité réalisé sur réquisition du procureur212(*).

De plus l'usage des fichiers étanches propres à chaque administration empêche des recoupements efficaces, autrement dit un partage horizontal de l'information, crucial pour lutter efficacement contre la criminalité organisée.

De l'aveu des magistrats, le Système Informatisé de Recoupement, d'Orientation et de Coordination des procédures de Criminalité Organisée (SIROCCO), pensé dans ce but, ne fonctionne pas. Les services enquêteurs ont quant à eux insisté sur le nombre élevé de fichiers qu'il fallait interroger, ainsi que les informations qui ne peuvent être consultées que par les administrations partenaires. Ainsi que l'a souligné le commandant de l'unité nationale cyber de la gendarmerie nationale, sans permettre un accès direct et complet des enquêteurs et des magistrats à l'ensemble des fichiers gérés par les forces de sécurité, un système de « hit/no hit » centralisé, à l'image des services espagnols, permettrait au moins de savoir si tel ou tel fichier, dont la consultation devra ensuite être spécifiquement autorisée ou arbitrée, contient des données intéressantes pour les enquêtes en cours. Son alimentation automatique devrait regrouper les enquêtes menées par les officiers de police judiciaire ainsi que les magistrats eux-mêmes. L'usage pourrait être développé au-delà des seules forces de sécurité, par exemple lorsque les services d'enquête cherchent l'adresse de leur cible : les fichiers des URSSAF, ou de la CAF se révèlent souvent plus à jour que les autres. Un simple hit permettrait à l'enquêteur de demander l'information qu'il sait présente dans le fichier concerné. Comme l'ont indiqué les journalistes et les enquêteurs entendus, l'impression donnée est celle d'une lutte artisanale face un phénomène industriel. Les chefs d'investigation cyber ont même indiqué à la commission d'enquête que certains recoupements opérationnels entre services français étaient réalisés par Europol ! Le respect du principe de subsidiarité voudrait qu'au moins nos services français puissent dialoguer sur leurs affaires sans nécessité l'intermédiation, par ailleurs très riche comme on le verra, de cette agence européenne de coopération policière. Le réflexe de l'argument des contraintes liées à la CNIL doit être sérieusement questionné, puisque certains pays européens soumis aux mêmes exigences en termes de protection des données personnelles l'ont fait.

Les mêmes erreurs sont reproduites dans de nouveaux domaines : ainsi en est-il du recours à différents acteurs de l'analyse de la blockchain. Des marchés publics dispersés sont autant de chances en moins de permettre l'interopérabilité entre les bases. À cet égard le rapporteur et la commission souhaitent que les acteurs de ce secteur soient mieux expertisés, notamment pour ce qui concerne leurs actionnaires. Ce sujet est un sujet aussi un sujet de souveraineté.

C'est une myriade d'acteurs publics et privés qui sont concernés, qu'il s'agit de coordonner afin que la bonne information soit traitée au bon niveau vie une remontée d'informations bien calibrée avec deux risques pour le PNACO : l'aveuglement d'un service trop éloigné ou à l'inverse le risque d'embolisation d'une structure sous un flot indiscriminé d'informations.

La place du « renseignement criminel », capacité offerte aux services d'enquête de recourir au cadre administratif pour mettre en place certaines techniques de surveillance en amont des procédures judiciaires, bien connue en matière de lutte anti-terroriste, doit être renforcée en matière de lutte contre la criminalité organisée. Cela passe par exemple par l'activation plus rapide des techniques de renseignement utilisées en phase de criblage, en amont de l'enquête judiciaire par les services de lutte contre la criminalité organisée. En effet, les services d'enquête ont souligné le décalage entre les délais d'activation des techniques de renseignement et les habitudes des criminels, qui par exemple peuvent changer de téléphone chaque semaine. Certains comportements des cibles pourraient laisser présumer une appartenance à un réseau criminel permettant de raccourcir les délais habituels de mise en place de ces techniques.

Recommandation de la commission d'enquête : permettre l'interopérabilité des bases de données entre les différents acteurs de la lutte contre la criminalité organisée :

- réaliser un état précis des bases de données utiles à la lutte contre la criminalité organisée gérées par les différentes administrations impliquées ;

- créer un PNR des vols privés ;

- évaluer les possibilités d'accès automatisé au profit des autres administration et notamment des OPJ au regard des principes de protection de la donnée (hit/no hit, accès direct...) ;

- en l'état actuel de choix non coordonnés entre les différents logiciels utilisés par les enquêteurs des différents ministères au détriment de la cohérence opérationnelle, unifier au niveau interministériel les appels d'offres relatifs aux logiciels d'enquête.

Recommandation de la commission d'enquête : permettre l'activation plus rapide de techniques de renseignement au profit des services judiciaires lorsque le comportement de la cible fait présumer son appartenance à un réseau criminel.

e) Diffuser la culture de la lutte contre le blanchiment : les CODAF et leurs dérivés

Office centraux dédiés à la lutte contre les trafics, offices purement financiers qui luttent également contre les organisations criminelles, office douanier traitant du blanchiment, brigades économiques et financières de la préfecture de police ou des services territoriaux de police judiciaire (de la police ou de la gendarmerie nationales), douanes, services cyber, direction générale des finances publiques, inspection du travail, URSSAF, services de renseignement policiers ou économiques, tous ces services peuvent détecter des signes d'un réseau de blanchiment. L'enjeu est donc de diffuser une certaine culture au sein des agents les moins en prise avec le phénomène et qui pourtant peuvent détenir d'importantes informations. D'ailleurs, la commission d'enquête salue l'inclusion dans la lutte contre la délinquance financière dans la stratégie nationale du renseignement.

Cela passe d'abord par un renforcement du rôle des Comité Opérationnel Départemental Anti-Fraude (CODAF), réunions opérationnelles trimestrielles réunissant, sous la coprésidence du préfet de département et du procureur de la République, les services de l'État (police, gendarmerie, administrations préfectorale, fiscale, douanière, du travail, etc.) ainsi que les organismes locaux de protection sociale (France Travail, URSSAF, CAF, CPAM, MSA, etc.).

Le but est de partager des vues sur un phénomène de fraude propre au territoire, mais aussi de déclencher des contrôles et mettre en oeuvre toute la panoplie de sanctions possibles de premier niveau, administratives ou judiciaires, à l'encontre des établissements problématiques.

Cela est d'autant plus crucial que de plus en plus d'administrations peuvent désigner des officiers de police judiciaire spécialisées, dotés de pouvoirs d'enquête judiciaires, qui peuvent être menées en autonomie ou en co-saisine avec des officiers de police judiciaire généralistes. Il s'agit par exemple, aux agents de contrôle compétents en matière de travail illégal, aux inspecteurs de l'environnement affectés à l'Office français de la biodiversité (OFB), ou encore aux fonctionnaires habilités du ministère de l'économie et de l'Autorité de la concurrence.

Un échelon national, la Mission interministérielle de coordination anti-fraude (MICAF), reproduit cette organisation au niveau national, et permet de définir une stratégie de prévention et de détection des fraudes notamment aux aides publiques.

Ces structures sont nécessaires à une meilleure connaissance des phénomènes touchant les territoires et doivent en complément déboucher sur des partages opérationnels en continus entre leurs membres.

Mais ces comités opérationnels doivent également assurer la remontée d'informations vers un échelon plus centralisé, capable d'enrichir ces dernières et de solliciter l'autorité judiciaire au bon niveau afin de d'arbitrer la meilleure stratégie de lutte (entrave administrative immédiate ou répressive, et le cas échéant via un service local ou national).

Des initiatives locales ont pu être déclinées sur ce mode dans des domaines spécifiques, tels que la lutte contre le blanchiment. Ainsi en est-il du comité opérationnel de lutte contre le blanchiment et les avoirs criminels en stupéfiants (Colbac « S ») créés à Marseille, et visant à partager de l'information et du renseignement et essayer de définir des cibles communes (modes opératoires, familles ou clans). De même, la juridiction interrégionale spécialisée (JIRS) de Lille anime un GONEF, comité opérationnel de détection des flux financiers suspects, sorte de COLB territorial aux potentialités intéressantes. L'objectif étant de dépasser le seul objectif de faciliter un engagement précoce des contrôles par les administrations, pour aller jusqu'à favoriser un décloisonnement entre les administrations et un changement stratégique afin de travailler à l'appréhension des avoirs criminels.

Toutes les initiatives visant à partager les données judiciaires avec des administrations confrontées à des fraudes doivent être encouragés. La MICAF a donné l'exemple d'un protocole mis en place sous son égide initialement entre la direction nationale de la police aux frontières (DNPAF), et les organismes de protection sociale permettant de vérifier si des pièces d'identité usurpées apparaissant dans les procédures judiciaires ont été utilisées pour toucher des prestations indues. Une mission pourrait être confiée à la MICAF afin de déterminer quels mécanismes comparables doivent être mis en place afin de prévenir les fraudes aux finances publiques.

Il faut instaurer une organisation plus structurée et donc pérenne pour permettre une meilleure efficacité. Les auditions ont montré que le succès de la lutte contre la criminalité devait beaucoup à des initiatives individuelles d'acteurs de terrain.

Il convient donc d'envisager une généralisation de ces bonnes pratiques. Surtout, ces initiatives reposent sur la coordination de services distincts, aux formations, aux cultures et aux objectifs différents et parfois antagonistes, ce qui pose la question de l'intégration d'agents issus de toutes ces administrations au sein de structures de lutte contre la délinquance financière.

Il faut avoir conscience que les réseaux criminels sont mobiles, qu'ils recherchent les meilleures opportunités de profits. Ils peuvent cibler un département moins en avance en termes de détection des délits financiers pour y commettre un très grand nombre de faits et disparaître avant d'être détecté en tant que réseau. La question est ensuite celle du croisement des données entre les départements, afin de caractériser les infractions dans leur globalité sans devoir nécessairement passer par Europol.

Recommandation de la commission d'enquête : renforcer la lutte territoriale contre l'économie souterraine

- mieux intégrer les CODAF dans le circuit de centralisation de l'information judiciaire ou généraliser les pratiques comités territoriaux dédiés à la lutte contre le blanchiment ;

- recentrer le renseignement territorial sur la lutte contre l'économie souterraine ?

- recentrer les GIR dans la lutte contre l'économie souterraine dans le cadre d'une nouvelle doctrine ;

- systématiser l'appui de services spécialisés en enquêtes financières et cryptoactifs dans les perquisitions relatives à la criminalité organisée.

f) L'exemple réussie des GIR : les antennes interministérielles locales d'un office central qui n'existe pas ?

L'interministérialité n'est pas inconnue en matière de lutte contre le blanchiment et la délinquance financière, comme le montre de façon édifiante l'action des 41 GIR que compte le territoire national213(*).

N'intervenant qu'en co-saisine, il est difficile d'évaluer précisément la part spécifiquement due aux GIR dans les montants saisis d'avoirs criminels, mais leur apport est unanimement souligné. En 2022 par exemple, ils ont contribué à la saisie de 280 millions d'euros. Cette actionl se révèle efficace, y compris pour les ministères qui détachent leurs fonctionnaires dans ces structures. En 2023, 48 millions d'euros de droits nets et de pénalités ont été identifiés par la DGFiP à la suite d'informations fiscales transmises par leurs agents mis à disposition au sein d'un GIR. Au cours de l'année 2024, l'action des agents des douanes a permis le recouvrement de plus de 4,5 millions d'euros. Une action commune avec les antennes de l'ONAF apparaitrait bienvenue.

Les renseignements analysés par le GIR ont vocation à nourrir l'action judiciaire, en étant destinés à l'ouverture d'une enquête. De nombreux exemples ont été donnés dans le domaine du trafic de déchets214(*) à partir d'informations données par la direction régionale et interdépartementale de l'environnement, de l'aménagement et des transports (Drieat), ou bien des barber shop en lien avec le trafic de drogues, contrôlés dans le cadre d'un CODAF, avec à chaque fois la saisie de l'équivalent de plusieurs centaines de milliers d'euros d'avoir criminels.

Toutefois, les services d'enquête ont indiqué que le champ des GIR est devenu de plus en plus patrimonial, autrement dit qu'ils interviennent pour l'annexe patrimoniales des enquêtes portant sur des infractions sources, et non sur la délinquance financière elle-même ce qui pose question.

Recommandation de la commission d'enquête : création au niveau national d'une structure interministérielle d'enquête spécialisée en matière financière, à l'image des GIR à l'échelon territorial.


* 190 Le législateur a ensuite créé une infraction spécifique de blanchiment liée au trafic de stupéfiants (article 222-38 du Code pénal). Il y a donc eu dans l'histoire législative une compréhension distincte du blanchiment selon qu'il était d'infraction financière ou d'infraction relevant de la criminalité organisée.

* 191 D'ailleurs, alors que certains universitaires soutenaient que l'infraction de blanchiment ne pouvait être caractérisée qu'à l'encontre de tiers au produit de l'infraction sous-jacente, la Cour de cassation a reconnu l'incrimination de l'auto-blanchiment, soit le blanchiment de sommes provenant d'un crime ou d'un délit qu'on a soi-même commis (Cass. crim.,14 janvier 2004, 03-81.165).

* 192 Toutefois, le droit pénal n'exige pas nécessairement que les faits de l'infraction sous-jacente aient donné lieu à condamnation pour permettre une condamnation pour blanchiment. Les infractions sont liées mais les condamnations sont distinctes.

* 193 Loi n° 2013-1117 du 6 décembre 2013 relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière, s'inspirant notamment du 6 de l'article 9 de la convention du Conseil de l'Europe relative au blanchiment, au dépistage, à la saisie et à la confiscation des produits du crime et du financement du terrorisme signée à Varsovie le 16 mai 2005.

* 194 Le lien entre le caractère douanier de l'infraction source et le blanchiment est ainsi rompu.

* 195 Article 334 de l'ancien code pénal, repris aujourd'hui à l'article 225-6 du code pénal.

* 196 Ancien article 222-39-1 du code pénal.

* 197 Article 321-6 du code pénal.

* 198 Par exemple, les autorités allemandes, mais ce ne sont pas les seules, ne coopèrent judiciairement que lorsque l'infraction de blanchiment peut être reliée à une infraction sous-jacente clairement identifiée.

* 199 Voir les articles 324-2 et suivants du code pénal.

* 200 Voir le II de l'article 706-105-1 du code de procédure pénale.

* 201 Ce qui appellerait une modification du champ de compétence défini à l'article 705 du code de procédure pénale en y incluant la criminalité financière en bande organisée, permettant un usage plus large de la présomption de blanchiment.

* 202 170 procédures en lien avec la criminalité économique et financière organisée étaient en cours dans les sections de recherches en février 2025.

* 203 L'article 30 de la loi du 18 juillet 2023 visant à donner à la douane les moyens de faire face aux nouvelles menaces a réformé le délit de blanchiment douanier afin de permettre notamment à la Douane de sanctionner pour délit de blanchiment douanier les fonds transportés par des « mules » entre le territoire métropolitain et les Antilles ou la Guyane, territoires exposés aux importations de stupéfiants.

* 204Le service s'est notamment fait connaître pour son implication dans le démantèlement de réseaux liés à la fraude à la taxe carbone.

* 205 Voir articles 28-1 et 28-2 du code de procédure pénale.

* 206 Près de 40 % des affaires traitées sont confiées par des parquets spécialisés.

* 207 Constituées sur le fondement du troisième alinéa de l'article 28 du code de procédure pénale.

* 208 Il a par exemple été souligné que les procédures judiciaires traitées par l'ONAF n'alimentent pas le fichier « traitement des antécédents judiciaires » (TAJ, consultable par les services de police et de gendarmerie, et qui est très utile dans le déroulé des enquêtes de ces services.

* 209 Il s'agira dans un premier temps de ne traiter que de l'échelon national.

* 210Alors même que les montants de ces administrations n'entrent pas dans les saisies confiscations judiciaires. La consolidation des chiffres de la délinquance financière permettrait d'ailleurs d'avoir une idée plus précise de l'efficacité de notre lutte contre ce phénomène. Plus curieux, les chiffres des saisies initiées par l'ONAF ne sont pas consolidées au niveau de l'AGRASC. On manque de chiffres permettant d'avoir une vision claire de la situation.

* 211 Ainsi, la BRIF de la préfecture de police a indiqué que ses enquêtes étaient ouvertes soit sur information recueillie auprès de ses sources, soit sur information de Tracfin.

* 212 Sur le fondement de l'article L. 78-2-1 du code de procédure pénale, sorte d'équivalent pour les entreprises du contrôle d'identité.

* 213 Comme vu plus haut, au niveau central, les services spécialisés en blanchiment de la police nationale et la préfecture de police intègrent également des agents des finances publiques.

* 214 Trafic qui consiste par exemple pour une société à se faire rémunérer pour prendre en charge des déchets, et notamment des terres polluées issues de chantiers de construction, et qui finalement les décharger dans la nature. Les affaires peuvent porter sur plusieurs centaines de milliers d'euros.

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