TROISIÈME PARTIE :
L'ENJEU DE LA COOPÉRATION INTERNATIONALE

I. LES INSTANCES DE COOPÉRATION INTERNATIONALE EN MATIÈRE FINANCIÈRE

Les travaux de la commission d'enquête l'ont clairement mis en évidence : la criminalité financière ne s'arrête pas à nos frontières hexagonales. Le caractère transnational des schémas de fraude a naturellement invité le rapporteur à se questionner sur l'efficacité des mécanismes de coopération interétatiques existant pour lutter contre ce phénomène.

À cet égard, le rapporteur souhaite brièvement s'attarder sur la fraude et de l'évasion fiscales internationales, qui constitue de longue date un de ses sujets de prédilection. Panama papers, Pandora papers, CumEx Files... la multiplication des « grandes affaires » révélés par la presse ces dernières années illustrent la systématisation de montages financiers transnationaux visant à échapper à l'impôt. Si ces scandales parviennent souvent à ébranler l'opinion dans l'immédiat, l'indignation retombe systématiquement comme un soufflé après quelques semaines, sans que le législateur et les instances de coopération internationale ne se saisissent efficacement du sujet. On ne peut que déplorer l'immobilisme de la part des pouvoirs publics sur cette question.

Recommandation de la commission d'enquête : faire de la lutte contre la fraude et l'évasion fiscales internationales un axe de travail prioritaire des instances de coopération interétatique.

A. LE GROUPE D'ACTION FINANCIÈRE (GAFI) : POINTER DU DOIGT LES MAUVAIS ÉLÈVE DE LA LUTTE CONTRE LE BLANCHIMENT

1. Un mécanisme de coopération qui repose sur une évaluation par les pairs des législations LCB-FT

Le Groupe d'action financière est un organisme intergouvernemental dédié à la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme. Crée en 1989 sur décision du G7, il fixe des normes internationales visant à prévenir ces activités illégales et les dommages qu'elles causent à la société.

Le siège du GAFI est à Paris, dans les locaux de l'Organisation de coopération de développement économique (OCDE), ce qui traduit le rôle moteur de la France dans cette institution.

Le GAFI n'étant pas une organisation internationale, ses membres ne disposent pas de délégation ou de représentation permanente, avec un personnel dédié, auprès de l'institution. Lors des trois réunions plénières annuelles du GAFI, la délégation française, pilotée par le DG Trésor est constituée d'une dizaine d'agents, qui regroupe notamment des experts de l'ACPR et du ministre de l'Europe et des affaires étrangères. De manière plus ponctuelle, la délégation française peut également être composée par d'autres administrations compétentes223(*).

Le GAFI édicte régulièrement un corpus de 40 recommandations qui sont autant de commandements à respecter pour lutter contre les délits financiers et connexes. Sur la base de ces recommandations, il procède régulièrement à l'analyse des dispositifs LCB-FT de plus de 200 juridictions, et plus particulièrement :

- des évaluations mutuelles régulières des 40 juridictions membres. La dernière évaluation de la France, en date de 2022, juge le dispositif français comme étant satisfaisant, et fait même partie des pays les mieux notées ;

- des évaluations moins fréquentes des autres juridictions non membres224(*) .

Les cycles d'évaluation comportent deux volets principaux :

- la conformité technique, c'est-à-dire, la mise en place dans chaque État des instruments juridiques et institutionnels requis ;

- l'efficacité du dispositif, c'est-à-dire, l'opérationnalité des outils et les résultats obtenus.

2. Une absence de pouvoir contraignant mais un mécanisme de name and shame plutôt efficace

Les évaluations du GAFI donnent lieu à l'identification de juridictions dont les mesures de LCB-FT sont insuffisantes. Si ces évaluations n'emportent par de mesures contraignantes, elles peuvent toutefois conduire à rétrograder certains pays par une inscription sur la liste noire225(*), qui recense l'ensemble des pays dits « à haut risque », ou la liste grise226(*), qui recense les pays soumis à une « surveillance renforcée ».

Un pays est placé sur liste grise à l'issue de son évaluation mutuelle par le GAFI en fonction de la conformité de son cadre juridique aux standards du GAFI, et de sa capacité à les traduire opérationnellement.

Au niveau national, le placement d'un pays sur liste grise ou liste noire a pour conséquence l'obligation pour les entités assujetties d'appliquer des mesures de vigilance complémentaires à l'égard de leur client lorsque l'opération est effectuée avec des personnes physiques ou morales enregistrées ou établies dans l'État en question. Le ministre de l'économie et des finances peut prendre un arrêté imposant aux entités assujetties la mise en oeuvre de contre-mesures, pouvant aller jusqu'à l'interdiction de toute relation d'affaires, à l'égard d'établissements situés dans un pays placé sur liste noire. Dans les faits, aucun arrêté de ce type n'a été pris à date, ce qui traduit une certaine frilosité de la part des autorités nationales à prendre des mesures de sanction à l'égard de leurs homologues hors de cadre multilatéral.

Dans la pratique, les entités assujetties, en particulier des banques, rehaussent systématiquement le niveau de risque inhérent aux pays faisant l'objet d'un listing LBC-FT. Cela peut les conduire à accentuer leur vigilance, mais aussi à procéder à des ruptures ou des refus d'entrée en relation d'affaires avec les ressortissants des pays listés. Ces pratiques s'apparentent alors à un phénomène de derisking, c'est-à-dire une exclusion du risque plutôt qu'une prise en charge, ce qui nuit à l'efficacité du dispositif. Cette pratique présente des effets néfastes pour l'efficacité du dispositif LCB-FT (voir supra).

Lorsqu'un pays est inscrit sur liste grise, un groupe d'experts du GAFI lui assigne un plan d'action dont la mise en oeuvre doit lui permettre de remédier à ses défaillances stratégiques et ainsi d'envisager sa sortie de liste. Un suivi régulier est ensuite réalisé entre chaque réunion plénière du GAFI. Les examinateurs en charge du suivi de chacun des axes du dispositif émettent, sur cette base, des recommandations quant au niveau d'avancement du plan d'action, qui doivent ensuite être approuvées formellement par le GAFI.

Toutefois, la sortie de liste ne signifie pas pour autant que le pays concerné a remédié à l'ensemble de ces défaillances, mais seulement aux plus importantes d'entre elles. Dans les faits, les critères de sortie de la liste grise sont donc plutôt souples puisqu'il suffit que des progrès soient constatés, quand bien même de nombreuses lacunes dans la législation LCB-FT de ce pays perdurerait. En outre, il ressort des travaux de la commission d'enquête En outre, la décision de levée parfois désynchronisée, car entre le plan d'action et la levée de la sanction, d'autres facteurs de risques ou failles dans la législation et les pratiques LCB-FT peuvent émerger.

Il semble assez clair que cette souplesse dans les conditions de sortie de la liste grise est guidée par une volonté de ne pas stigmatiser à outrance des États dont l'adhésion au GAFI n'est pas irréversible. Comme le soulignait Chantal Cutajar lors de son audition227(*) devant la commission d'enquête ce problème est « inhérent à la nature juridique du Gafi, organisme intergouvernemental dépourvu de pouvoir normatif » et les évaluations par les pairs « aboutit à un jeu diplomatique » pouvant atténuer certaines conclusions.

Cette approche suscite le scepticisme du rapporteur, d'autant plus que ce mécanisme reposant sur le name and shame, c'est-à-dire le fait de « nommer et pointer du doigt » les acteurs défaillants, semble plutôt efficace. L'impact de ces mesures est réel sur la réputation d'un État, a fortiori pour les États émergents ayant l'ambition de modifier leur perception par le grand public à l'international en paraissant comme des États raisonnables et vertueux sur le plan de la lutte contre la délinquance financière. Il est donc regrettable que la portée de cet outil soit limitée par une approche trop conciliante à l'égard des « mauvais élèves » de la lutte contre le blanchiment.

Recommandation de la commission d'enquête : promouvoir au niveau du GAFI un durcissement des conditions de sortie de la liste grise qu'il élabore.

À noter que l'Union européenne (UE) dispose en parallèle, depuis la 4ème directive anti-blanchiment de 2015, de sa propre liste de pays tiers à haut risque, c'est-à-dire, des pays dont les dispositifs LBC-FT présentent des carences stratégiques. Si, de façon générale, l'UE se conforme aux listes du GAFI, elle n'en effectue pas moins des évaluations indépendantes. En témoigne l'annonce par la Commission européenne début juin 2025 de l'inscription sur la liste des pays tiers à haut risque de la principauté de Monaco, qui ne figure pourtant pas sur les listes du GAFI.


* 223 Notamment, l'Office central pour la répression de la grande délinquance financière (OCRGDF) ou l'Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués (AGRASC).

* 224 Au total, le GAFI évalue plus de 200 juridictions.

* 225 Corée du Nord, Iran, Myanmar.

* 226 Afrique du Sud, Algérie, Angola, Bulgarie, Burkina Faso, Cameroun, Côte d'Ivoire, Croatie, Haïti, Kenya, Laos, Liban, Mali, Monaco, Mozambique, Namibie, Népal, Nigeria, République démocratique du Congo, Soudan du Sud, Syrie, Tanzanie, Venezuela, Vietnam, Yémen.

* 227 Table ronde du 5 février 2025.

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