B. LA FUTURE AGENCE EUROPÉENNE ANTI-BLANCHIMENT : LA PROMESSE D'UNE LUTTE CONTRE LE BLANCHIMENT MIEUX COORDONNÉE AU NIVEAU EUROPÉEN DONT LA CONCRÉTISATION SE FAIT ATTENDRE

1. La création d'une autorité entièrement dévolue à la problématique LCB-FT en Europe à la suite de plusieurs scandales de blanchiment impliquant le secteur financier

La création de la nouvelle autorité européenne de lutte contre le blanchiment de capitaux (ALBC, ou AMLA en anglais) est une des mesures phare du paquet anti-blanchiment de 2024228(*). Elle constitue une réponse directe à une série de scandales impliquant des établissements bancaires, et notamment, l'affaire de la Danske Bank lors de laquelle le Danemark a découvert fin 2018 que sa principale banque était au coeur d'un circuit de blanchiment de 200 milliards d'euros via sa filiale estonienne. En réaction à ces scandales, la commission a procédé à une communication en 2019, qui a mené à une proposition législative en 2021 prévoyant notamment la création de cette nouvelle autorité.

L'AMLA, qui est basée à Francfort, succéde à l'Autorité bancaire européenne (ABE), instance de supervision macro prudentiel du secteur financier en Europe qui, en réaction aux scandales de 2019, avait obtenu une mission élargie de contrôle des obligations LCB-FT du secteur financier. L'élargissement du champ de compétence de l'ABE avait ainsi vocation à préparer une transition vers la mise en place de l'AMLA.

La future articulation des compétences de l'AMLA et de l'ABE

La création de l'AMLA signifie que le mandat et les compétences qui avait été conférés à l'ABE en matière de LCB-FT seront transférés à la fin de l'année 2025. Pour faciliter la période transitoire qui mènera au transfert effectif des compétences de l'ABE en matière de LCB-FT, l'ABE travaille étroitement avec l'équipe mise en place par la Commission Européenne pour piloter la mise en place de l'AMLA.

Après avoir transféré à l'AMLA les pouvoirs spécifiques à la LCB-FT, l'ABE restera responsable de la gestion des risques LBC-FT dans le cadre de son mandat prudentiel. L'ABE veillera notamment à ce que le risque de LBC-FT soit pris en compte dans l'ensemble du secteur financier, notamment dans le cadre du paquet bancaire, des services de paiement et du nouveau règlement sur les marchés des cryptoactifs (MiCA). Cela inclut :

Le renforcement de la sensibilisation à l'impact des risques de LBC-FT sur la sécurité et la solidité des établissements financiers relevant de son champ d'action ;

S'assurer que les autorités compétentes en matière prudentielle et LCB-FT disposent des moyens nécessaires pour lutter efficacement contre le LBC-FT de manière coordonnée.

Veiller à ce que le secteur bancaire de l'Union devienne un environnement véritablement hostile aux criminels.

Source : réponse de l'ABE au questionnaire du rapporteur

L'AMLA aura pour mission :

- d'une part : d'assurer la supervision directe et indirecte du secteur financier ;

- et d'autre part, de coordonner l'action des cellules de renseignement financier (CRF) des États membres en matière de LCB-FT.

Elle sera donc composée de deux board, c'est-à-dire deux conseils d'administration, au sein desquels chacune des 27 autorités nationales seront représentées. Concernent le volet « supervision », l'ACPR représentera la France, tandis que pour le volet « CRF », Tracfin sera le représentant français. Ces deux board ont vocation à travailler de façon intégrée.

2. La création d'une communauté du renseignement intégrée au niveau européen

La création d'une communauté du renseignement intégrée au niveau européen n'est pas sans susciter certaines interrogations, au regard de la sensibilité des informations dont disposent les services de renseignement des États membres. La création d'un cadre propice à l'échange d'informations entre CRF sera donc un véritable défi pour l'AMLA. Comme le soulignait une personne auditionnée par la commission d'enquête, « il existait déjà un premier réseau appelé FAU.net, qui avait une structure informatique qui leur permettait d'échanger des informations et de se réunir régulièrement. Mais c'est la première fois que cette communauté se voit intégrée dans une autorité européenne et qu'il y a une forte incitation par le règlement fondateur d'aller plus loin dans les échanges d'information. » Néanmoins, les échanges d'informations demeureront strictement encadrés. Les CRF qui doivent donner leur accord sur les échanges d'information sensible, et il faut qu'il y ait un need to know, « un besoin d'en connaitre » clairement établi de la part des autres pays, pour permettre ce partage. Ainsi la culture de la confidentialité devrait rester préservée.

Une deux principales innovations de ce nouveau dispositif intégré de coopération des CFU réside dans la possibilité pour ces derrières de mener des joint analysis ou « analyses conjointes », qui permettront aux différentes CRF concernées par un cas s'appliquant à plusieurs États membres de mettre en place des équipes d'analyse conjointes. Cela impliquera nécessairement l'échange d'informations sensibles et confidentielles sur de possibles suspicions relatives à des acteurs privés. Dans ce cadre, la mise en place infrastructures informatiques permettant, notamment par le recours à l'IA, les échanges de données est un des principaux chantiers de la nouvelle autorité.

3. Un mécanisme de supervision directe et indirecte du secteur financier

L'AMLA supervisera par ailleurs 40 entités du secteur financier sélectionnées sur la base de leur profil de risque et qui seront identifiées d'ici 2026. La supervision sera en revanche indirecte, c'est-à-dire plus légère, sur les professions non financières. En cas de violations graves, systématiques ou répétées des exigences directement applicables, l'AMLA aura le pouvoir d'infliger des sanctions pécuniaires aux entités directement supervisées.

Initialement, la commission européenne avait proposé de limiter à 40 le nombre d'entités directement supervisées, mais le Parlement européen a souhaité doubler ce nombre lors des négociations. Si on peut se féliciter de l'extension du périmètre d'action de l'AMLA, qui permet d'afficher un certain volontarisme au niveau européen sur la question de la lutte contre le blanchiment, l'élargissement de ce spectre conduit mécaniquement à complexifier la méthodologie d'évaluation du risque sur la base de laquelle seront déterminées les entités supervisées. Il est en tout état de cause légitime de s'interroger sur la pertinence de ce nombre de 40 entités, qui semble avoir été fixé davantage pour des raisons politiques que techniques.

4. La montée en puissance de l'AMLA prendra plusieurs années, ce qui doit inciter les pouvoirs publics à ne pas relâcher les efforts de la lutte contre le blanchiment

La création de l'AMLA a été actée en juillet 2024 au moment de l'adoption du paquet anti-blanchiment, mais elle n'a été créée officiellement que depuis février 2025. Les 40 entités sélectionnées n'entreront ensuite sous la supervision directe de l'autorité qu'à compter du 1er janvier 2028. En effet certaines règles ont été établies dans le règlement fondateur adopté en juin 2024, mais de nombreux éléments précis n'ont pas encore été clarifiés. À titre d'exemple, les « suspicion transactions reports » (STR), c'est-à-dire les rapports que les banques doivent transmettre lorsqu'elles soupçonnent que certains opérateurs font du blanchiment d'argent doivent faire l'objet d'une harmonisation qui dans le cadre d'un processus décisionnel à 27, qui implique un processus long et complexe. La « méthodologie du risque » qui implique que la lutte contre le blanchiment doit être basée sur le niveau de risque que représentent les différentes entités assujetties, mais qui implique la définition de critères de détermination de ces niveaux de risques, est une autre illustration de la lenteur de ce processus.

Le rapporteur s'étonne du décalage entre les discours de plusieurs personnes auditionnées qui semblent donner un satisfecit global au dispositif anti-blanchiment en renvoyant vers la montée en puissance supposée imminente de l'AMLA. La création de cette autorité constitue certes une promesse enthousiasmante, mais, comme l'ont mis en évidence les auditions de la commission d'enquête, ses effets ne seront pas perceptibles avant plusieurs années. Les perspectives liées à la montée en charge de l'AMLA ne doivent pas servir d'alibi pour justifier une forme d'inaction des pouvoirs publics sur la question de la lutte contre la criminalité financière.


* 228 Règlement (UE) 2024/1620 du Parlement européen et du Conseil du 31 mai 2024 instituant l'Autorité de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme et modifiant les règlements (UE) no 1093/2010, (UE) no 1094/2010 et (UE) no 1095/2010.

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