II. LA COOPÉRATION POLICIÈRE ET DOUANIÈRE

Comme l'a rappelé avec son humour Frédéric Ploquin, « considérer qu'il peut être mis fin au blanchiment de l'argent sale à l'échelle de la France, c'est comme croire que le narcotrafic peut se régler en se concentrant sur Champigny-sur-Marne ». La commission d'enquête a tenu à se rendre à Interpol et à Europol, car les schémas de blanchiment font appel dans la plupart des cas à des mécanismes internationaux.

La coopération policière et douanière, qui permettent notamment un partage d'informations directes de services à services sans intervention de magistrats, apparaissent donc primordiaux pour la bonne conduite des enquêtes. Ils passent d'abord et historiquement par des relations bilatérales, via le réseau d'attachés de sécurité intérieure et d'attachés douaniers, rattachés aux ambassades, et qui couvrent environ 160 pays (83 pour les douanes). De plus, la France partage avec ses pays frontaliers dix centres de coordination policière et douanière installés à proximité des frontières de l'hexagone, permettant des échanges directs avec ces pays dans le cadre des accords de Schengen ainsi que d'accords de coopération bilatérales. Ils sont notamment compétents en matière de délinquance transfrontalière, d'immigration irrégulière et de falsification de documents d'identité.

Les coopérations opérationnelles passent en France par un point de contact unique, la section centrale de coopération opérationnelle de police (SCCOPOL), structure interministérielle placée au sein du département de la coopération internationale opérationnelle (DCIO) de la DNPJ, et qui regroupe, sur une même plateforme, les trois principaux canaux institutionnels de coopération (Europol, Interpol, Schengen) par lesquels transitent les échanges d'informations opérationnelles entre les services répressifs français et internationaux. 5 800 dossiers relevant de la matière économique et financière ont été traités par la SCCOPOL en 2024. Dans le cadre de la mise en oeuvre de la directive européenne 977/2023 du 10 mai 2023 relative à l'échange d'informations entre les services répressifs des États membres, ainsi que du règlement 2024/982 (Prüm II), la France mettra prochainement en oeuvre un « Case Management System », système de gestion des flux d'informations massifs qui à terme sera relié à Europol et Interpol afin de gagner en performance dans les recoupements de données.

Enfin, la mission Justice du bureau d'entraide pénale internationale du ministère de la justice (BEPI), composée de 3 greffiers, est intégrée au SCCOPOL afin de fluidifier le traitement des mandats d'arrêts européens (MAE), des notices, les demandes d'arrestation en vue d'extradition des fugitifs.

Apportant son appui aux services français et étrangers, composée de policiers, de gendarmes, de douaniers et de greffiers et personnels administratif, elle est un exemple de réussite de l'intégration interministérielle.

A. EUROPOL : LE PARTAGE ENRICHI

Europol, l'agence européenne de coopération policière, met à disposition des États membres, une messagerie sécurisée SIENA229(*), par laquelle chaque service français, via la SCOOPOL, peut solliciter des recoupements aux services étrangers uniquement pour les affaires de criminalité organisée230(*). Cela peut par exemple concerner un numéro de téléphone, une plaque d'immatriculation, un compte en banque que le service français a retrouvé au cours de son enquête et dont il souhaite savoir s'il est connu pour des affaires judiciaires à l'étranger231(*).

Europol pourra au passage consulter sa base de données contenant l'ensemble des messages SIENA et le cas échéant indiquer au service demandeur si de telles informations ont déjà été demandées par un service d'un autre État, afin d'enrichir les enquêtes de tous les États membres. Chaque service demeure propriétaire de la donnée, c'est-à-dire qu'il peut indiquer des restrictions à l'usage qui pourrait être fait par des États tiers. Il faut rappeler qu'Europol regroupe les services des 27 États membres de l'Union européenne ainsi que 24 pays tiers ayant signé un accord de coopération opérationnelle (Royaume-Uni, États-Unis, Canada, Israël...). Les services judiciaires et douaniers français doivent donc être encouragés à faire des demandes de recoupement de manière systématique en matière de criminalité organisée.

Au-delà de ces apports purement opérationnels, SIENA permet un échange de vues plus stratégiques, sur des phénomènes de délinquance émergents.

Le rôle d'Europol consiste également à appuyer les enquêtes internationales, dès lors que deux pays membres sont concernés. Cela consiste en un appui logistique, financier, ou opérationnel, ou le concours d'analystes spécialistes, par exemple dans le domaine des cryptoactifs, ou dans l'analyse massives de données232(*). Europol a créé un centre dédié à la criminalité financière et économique en 2020.

L'appui d'Europol aux enquêtes nationales se traduit par exemple par la création de task-forces opérationnelles (OTF). Dans le domaine du blanchiment, les OTF TOKEN et HORIZON, dirigées contre des réseaux bancaires occultes opérant respectivement depuis les Émirats Arabes Unis et la Chine ont révélé tous les bénéfices opérationnels de la coopération policière, à laquelle la France a participé via l'OCRGDF.

Par ailleurs, Europol fournit les infrastructures permettant des opérations ciblées réunissant plusieurs services travaillant sur des cibles communes. Ainsi l'opération ASSET (Asset Seach and Seize Enforcement Taskforce) menée sur une semaine en janvier 2025 a permis l'identification de l'équivalent de 60 millions d'euros d'avoirs criminels.

Europol joue également un rôle important en termes d'analyse des phénomènes criminels les plus menaçants, qui traduit par la publication de remarquables rapports thématiques.

Certains pays membres voient leurs cellules de renseignement financier, l'équivalent de Tracfin, alimenter automatiquement la base SIENA des déclarations de soupçons qu'elles reçoivent des professions assujetties. Tracfin n'a pas adopté une telle mesure, apparemment du fait de sa qualité de service de renseignement, qui présente des difficultés en terme de partage d'information. La possibilité pour se service de transmettre plus d'informations à Europol, actuellement à l'étude, doit être encouragée.

Recommandation de la commission d'enquête :

favoriser un usage plus systématique de SIENA (remontées systématiques des DS de Tracfin, augmentation des demandes des services judiciaires d'enquête judiciaires via une semi-automatisation des remontées de données judiciaires ;

- transférer les données contenues dans les affaires jugées après présélection.


* 229 Secure Information Exchange Network Application.

* 230 SIENA devrait prochainement concerner tous types de délinquance.

* 231 Plus de 62 000 messages par an sont échangés avec nos partenaires d'Europol.

* 232 Comme ce fut le cas dans le cadre des enquêtes EncroChat et Sky ECC.

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