D. LA COOPÉRATION JUDICIAIRE ENTRE LA FRANCE ET LES ÉMIRATS ARABES UNIS... METTRE LES DÉLINQUANTS ENFIN À L'OMBRE
Depuis un accord avec le garde des sceaux Pascal Clément la coopération avec les Émirats constituent une croisade en terre de droit anglo-saxon, néanmoins les progrès sont importants et les relations bâties sur la confiance d'un partenariat très large.
Les Émirats ont multiplié les mécanismes de coopération et les occasions de présenter leurs efforts pour répondre aux critères fixés par le Groupe d'action financière (voir supra).
Les ministres entendus par la commission d'enquête ont considéré que l'extradition, en avril dernier, de deux ressortissants français qui figuraient parmi une liste de 27 noms transmise en janvier par le ministre de la Justice constituait la preuve d'une amélioration de la coopération, résultant à l'évidence des multiples déplacements et rencontres. Il faut noter une accélération des procédures. Ainsi entre le 14 et le 27 mai 2025, cinq décisions d'extradition ont été prononcées dont deux définitives visant des individus figurants parmi les « objectifs prioritaires ».
De multiples contacts de haut niveau
Au cours des derniers 24 mois les contact de haut niveau entre les deux pays se sont multipliés, comme le montre la liste suivante élaborée par l'ambassade de France aux Émirats.
Année 2025
- 20 et 21 février : Visite de M. Laurent Saint Martin, Ministre délégué auprès du ministre de l'Europe et des Affaires étrangères, chargé du Commerce extérieur et des Français de l'étranger, aux Emirats arabes unis.
- 18 février : Entretien téléphonique entre M. Jean-Noël Barrot et son homologue émirien, Son Altesse Abdallah bin Zayed Al Nahyane.
- 17 février : Visite de M. Sébastien Lecornu, Ministre des Armées, aux Émirats arabes unis.
- 6 février : Visite de travail de Son Altesse Cheikh Mohamed bin Zayed Al Nahyane, Président des Émirats arabes unis, à Paris. Signature d'un accord-cadre de coopération entre la France et les Emirats arabes unis dans le domaine de l'intelligence artificielle.
- 20 et 21 janvier : Visite de Gérald Darmanin, Ministre d'État, Garde des Sceaux, Ministre de la Justice, aux Émirats arabes unis.
Année 2024
- 19 novembre : Visite de Sébastien Lecornu, Ministre des Armées, aux Émirats arabes unis.
- 20 et 21 mai : Visite de M. Bruno le Maire, ministre de l'Economie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique, aux Emirats arabes unis. Entretien avec S.A. Cheikh Mohamed bin Zayed, Président des EAU. Signature d'un accord de partenariat stratégique sur l'intelligence artificielle.
- 26 avril : Visite de M. Éric Dupond-Moretti, Garde des Sceaux, aux Émirats arabes unis.
- 25 - 27 février : Visite de M. Franck Riester, Ministre délégué auprès du ministre de l'Europe et des Affaires étrangères, chargé du Commerce extérieur, de l'Attractivité, de la Francophonie et des Français de l'étranger, aux Émirats arabes unis à l'occasion de la 13ème conférence interministérielle de l'OMC à Abou Dabi.
- 15 février : Visite de Mme Rachida Dati, Ministre de la culture, à Abou Dabi, à l'occasion de la conférence mondiale sur l'éducation culturelle et artistique de l'UNESCO, organisée par les Émirats arabes unis.
Année 2023
- 1er et 2 décembre : Visite du Président de la République, M. Emmanuel Macron, aux Émirats arabes unis, dans le cadre de la COP28.
Mais le climat encore propice au refuge doré des délinquants constitue un sujet de préoccupation pour les autorités françaises.
1. Quelques éléments de contexte
Bien identifiés à Dubaï, où leurs habitudes, notamment au Café de Paris, sont de notoriété publique, les délinquants et criminels pourraient voir leur immunité de fait remise en cause dès lors qu'ils enfreignent les règles de vie locale, en attendant la coopération se construit pour leur offrir un avenir ... à l'ombre ...
Le fait que, identifiés, ils ne soient pas extradés s'explique par plusieurs facteurs.
La mise en place de normes LCB-FT sur les transactions suspectes est en fait particulièrement difficile dans un contexte où l'apport d'argent liquide de l'étranger a longtemps constitué un schéma économique pour certains des émirats fédérés. De plus, la très faible fiscalité émirienne crée une forte tolérance au blanchiment de fraude fiscale, y compris au sein de la communauté française. Il semble que l'évasion fiscale paraisse une stratégie normale pour bénéficier du produit de son travail en évitant l'impôt .
2. Takes 2 to tango
Si les autorités françaises ont des raisons de trouver que la coopération avec les Émirats a tardé à s'améliorer, elles doivent aussi, d'après la commission se monter plus pro-actives.
Les autorités émiriennes interrogent légitimement sur le fait que des individus dangereux et recherchés pour des faits graves aient pu sans problème quitter le territoire français ou européen, ou que des individus incarcérés bénéficient librement d'un téléphone pour activer un portefeuille de crypto actifs.
À cet égard une mise en place d'un échange de liste des personnes recherchées pourrait être améliorée.
De la même façon pour les dirigeants d'entreprises.
Les autorités du port de Jebel Ali ont souligné qu'elles n'avaient aucun contact ou aucune information sur des personnes recherchées ou suspectées d'appartenir à un réseau mafieux.
Elles affirment que leur contrôle de conformité est en place, et régulier notamment pour exclure les entités sous sanction.
Elles se disent ouvertes à une coopération plus pratique avec les autorités françaises sur ce point.
3. Propositions :
- une meilleure maîtrise, par les autorités françaises, des instruments déjà disponibles, comme le cadastre de Dubaï, disponible en ligne, et déjà exploité par les journalistes pour identifier le patrimoine de trafiquants ou de kleptocrates ;
- une meilleure information donnée sur ces instruments à l'ensemble des services concernés comme aux professions réglementées, avocats, notaires, huissiers de justice ;
- un renforcement des moyens de coopération existants. La commission d'enquête a appris avec intérêt que la coopération en matière de sécurité intérieure fonctionne bien dans plusieurs domaines. Elle souhaite que cette coopération s'étende en matière de blanchiment ;
- un meilleur accompagnement de l'action essentielle conduite par le magistrat de liaison sur place. Les difficultés procédurales sont un élément essentiel des refus d'extradition opposés par les autorités émiriennes, et l'action du magistrat de liaison permet de trouver les bons interlocuteurs et d'aplanir ces difficultés.
La commission d'enquête insiste sur l'appui qui doit lui être fourni par la Chancellerie, notamment pour résoudre d'incompréhensibles difficultés de droits d'auteur conduisant à devoir solliciter à chaque fois une traduction en arabe des dispositions du code pénal utilisées à l'appui des demandes d'extradition.
Au regard de l'ampleur des tâches qui sont les siennes, la création d'un poste d'assistant, auprès du magistrat de liaison apparaît également comme une nécessité
La commission d'enquête a constaté, enfin, la difficulté pratique pour les services de la France sur place à nouer des relations opérationnelles avec tous les interlocuteurs nécessaires à la lutte contre le blanchiment. Elle regrette que les attachés français (Trésor, douane, magistrat de liaison notamment), présents à l'ambassade et au consulat, n'aient pas été associés à ses déplacements, qui auraient pu permettre l'obtention directe d'informations utiles et surtout l'établissement de contacts susceptibles de favoriser les liens de coopération.
La commission d'enquête est en effet convaincue que les efforts faits par la France pour mettre fin au flux de capitaux issus de la fraude et des trafics et à l'exil doré des criminels peuvent porter leurs fruits et rejoignent les intérêts des Émirats eux-mêmes.