C. LES AGENCES SE DISTINGUENT ÉGALEMENT PAR LEUR FONCTION ET LEUR TERRITORIALISATION

Le Conseil d'État le notait en 2012 : créées au coup par coup et non dans le cadre d'une stratégie d'ensemble d'organisation de l'action publique, les agences ont été pensées pour répondre chacune à un besoin apparu à un moment donné, sans cohérence d'ensemble. Il n'est donc pas étonnant que l'on ne trouve pas plus d'homogénéité dans les fonctions remplies par les agences que dans leurs natures juridiques.

Afin, toutefois, de mieux appréhender leur diversité, la commission distinguera trois grandes fonctions remplies par les agences en tant qu'organismes participant à la mise en oeuvre des politiques publiques.

1. Financer, accompagner, contrôler : les trois fonctions assurées par les agences

En 2012, le Conseil d'État distinguait les agences de production et de prestation de services (par exemple Pôle Emploi pour l'accompagnement des demandeurs d'emploi, l'Association pour la formation professionnelle des adultes, l'AFPA, pour les prestations de formation), les agences de police et de contrôle (Office national des forêts, agences régionales de santé, etc.), les agences d'expertise (par exemple l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail, l'ANSES), les agences de financement70(*) (Agence française de développement (AFD), Agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU), etc.), les agences de mutualisation de moyens (Réunion des musées nationaux, etc.), les agences d'animation de réseaux (comme l'ancienne Agence nationale des services à la personne).

La commission d'enquête, pour sa part, a constaté au cours de ses travaux que les problématiques rencontrées variaient selon que les agences exercent trois grandes catégories de fonctions, certaines pouvant en exercer plusieurs à la fois.

Les agences de financement disposent de fonds à répartir (crédits budgétaires, taxes affectées, etc.), selon des critères définis par l'État, entre des bénéficiaires qui peuvent être des particuliers, des entreprises ou des collectivités territoriales.

Selon le cas, l'agence aura un rôle plus ou moins étendu : organiser des appels d'offres ou des appels à manifestation d'intérêt, instruire des dossiers de demande d'aide, attribuer une aide, la verser et la contrôler (Agence de services et de paiement (ASP), FranceAgriMer, Agence nationale pour l'amélioration de l'habitat (ANAH), Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe), Agence nationale de la recherche (ANR), agences de l'eau, etc.), ou simplement répartir une ressource publique entre plusieurs acteurs selon des règles définies par l'administration centrale ou les partenaires sociaux (AFITF, France compétences).

Le paysage des agences de financement est particulièrement complexe, depuis des agences spécialisées dans un secteur d'activité et une catégorie de bénéficiaires (FranceAgriMer pour les agriculteurs, AFITF pour les collectivités porteuses de projets d'infrastructures) à une agence généraliste comme l'ASP qui gère plusieurs centaines de dispositifs et de mesures dans des domaines aussi variés que la transition écologique, le travail ou l'agriculture. France compétences a, pour sa part, pour mission principale de centraliser le produit de taxes versées par les entreprises afin de contribuer à l'effort de formation professionnelle et d'apprentissage, et de reverser le produit de ces taxes à des opérateurs de formation.

En deuxième lieu, les agences d'accompagnement et d'expertise apportent un service à valeur ajoutée, plus qu'une aide financière, à des particuliers, des collectivités ou des entreprises. C'est le cas par exemple de France Travail, du Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (Cerema), de l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT), de l'Office national d'information sur les enseignements et les professions (Onisep), de Business France et Atout France, enfin de l'AFPA.

Les agences qui appartiennent à cette catégorie sont ceux dont les activités présentent le plus de risques de doublons avec d'autres acteurs publics (collectivités territoriales, autres agences) mais aussi, parfois, privés (ingénierie, formation, etc.). Dans certains cas, leurs prestations peuvent d'ailleurs faire l'objet d'une facturation à leurs destinataires.

Les agences de contrôle et d'autorisation exercent des fonctions qui se rattachent plus que les précédentes au domaine régalien : elles s'assurent de l'application de normes définies par l'État, parfois au niveau européen, et certaines peuvent disposer de pouvoirs de sanction. Un exemple emblématique est l'Office français de la biodiversité (OFB), mais on peut également citer l'Agence nationale de la sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM).

La frontière n'est pas toujours nette entre ces agences et certaines autorités administratives indépendantes (AAI) et autorités publiques indépendantes (API), qui ont également un rôle de contrôle et d'autorisation, mais dont les prérogatives requièrent une indépendance dont ne bénéficient pas les agences soumises à tutelle ministérielle.

De nombreuses agences exercent plusieurs de ces fonctions, ce qui contribue parfois à troubler la vision qu'a d'elles le public. L'OFB exerce aussi des actions de conseil et d'expertise, l'Ademe ou l'ANAH instruisent des dossiers de demande d'aide, mais sont également des lieux d'accompagnement et d'expertise.

2. Agences nationales, agences à délégation territoriale : les modes variés de diffusion de l'action publique

L'action territoriale des agences est très variée. Si certaines missions de contrôle ou d'accompagnement passent par une nécessaire présence locale, les missions de financement peuvent parfois être exercées au niveau national.

Certaines agences opèrent principalement au niveau national et n'ont pas de relais locaux propres. Elles se concentrent sur des missions spécifiques, de grande échelle, ou nécessitant une expertise de pointe. C'est le cas de l'Agence nationale de la recherche (ANR) qui lance des appels à projets visant l'ensemble du territoire.

Un grand nombre d'agences ont une action locale plus ou moins développée, mais à travers des organismes tiers, d'une manière encadrée par les textes légaux et réglementaires ou par voie de convention, au risque parfois de multiplier les canaux par lesquels passe l'action publique.

L'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) indique ainsi au rapporteur que « la mise en oeuvre des politiques publiques pilotées par l'ANSM dépend pour partie d'un relais efficace de son action au niveau régional », relais assuré par une contractualisation avec les agences régionales de santé (ARS) et le pilotage du réseau des centres régionaux de pharmacovigilance (CRPV).

L'exemple de la pharmacovigilance : une organisation locale complexe

L'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM), créée à la suite de l'affaire du Mediator, ne dispose pas de délégations territoriales, mais son action dépend de la remontée d'informations provenant des régions et de la contractualisation avec les agences régionales de santé (ARS).

Si elle est chargée au niveau national des missions de vigilance relatives aux produits de santé71(*), ces missions sont exercées au niveau régional par des structures telles que les centres régionaux de pharmacovigilance (CRPV), souvent hébergés par des centres hospitaliers universitaires (CHU).

Ces structures peuvent agir pour le compte de l'ANSM (transmission de signalement, études et travaux), voire en complémentarité de cette agence (expertise et appui aux agences régionales de santé et aux professionnels de santé pour améliorer la qualité et la sécurité des soins), comme pour le compte du ministre de la santé. Un arrêté permet de définir la manière dont chaque centre régional agit en réponse aux demandes faites par l'ARS ou l'ANSM.

Source : commission d'enquête

Certaines agences agissent uniquement par l'intermédiaire des services déconcentrés. Le préfet est alors délégué territorial de l'agence, statut que le rapporteur examinera en détail plus loin en abordant la question des relations entre les préfets et les agences.

C'est le cas par exemple de l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) qui, malgré son intitulé, ne dispose pas de personnel dans les territoires, mais dont les programmes passent par les préfets et les services déconcentrés.

Ces services instruisent et suivent également les projets locaux financés par l'Agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU), étant notamment chargés de la validation des dépenses et de la vérification du service fait : selon la directrice générale de cet établissement, environ 300 équivalents temps plein (ETP) au sein des directions départementales des territoires (DDT) et des directions régionales de l'environnement, de l'aménagement et du logement (Dreal) participent au pilotage de la politique de renouvellement urbain, alors que l'ANRU ne compte que 135 ETP à l'échelon national.

Les services déconcentrés instruisent également les aides locales financées par l'Agence nationale de l'habitat (ANAH). La directrice générale de l'ANAH a toutefois indiqué à la commission d'enquête qu'elle n'était pas en mesure de dire combien d'agents s'occupaient de l'instruction de ces aides, ni d'évaluer le coût de traitement des dossiers, n'ayant pas d'autorité hiérarchique sur ces personnels.

FranceAgriMer, dont 348 agents sur 980 sont rattachés à des services territoriaux72(*), présente une organisation originale : les agents des anciens offices agricoles, qui ont fusionné pour former FranceAgriMer, ont été intégrés dans les directions régionales de l'alimentation, de l'agriculture et de la forêt (Draaf) et sont donc placés sous l'autorité hiérarchique du directeur régional, tout en étant rémunérés par FranceAgriMer. Le directeur général de cet établissement a présenté ce système, qui croise une organisation nationale et une organisation territoriale, comme un modèle envisageable pour d'autres organismes : il présente notamment l'intérêt de faire revenir des agents dotés d'une forte expertise technique dans les services de l'administration territoriale.

Enfin certaines agences disposent de délégations territoriales importantes.

C'est le cas par exemple de l'Office français de biodiversité (OFB), notamment en raison de ses missions de contrôle qui nécessitent une présence sur l'ensemble du territoire, mais aussi pour ses fonctions d'étude et d'expertise, au point que le préfet Éric Freysselinard, vice-président délégué de l'Association du corps préfectoral et des hauts fonctionnaires du ministère de l'intérieur, notait devant la commission d'enquête que, avec la fin de l'ingénierie publique dans les DDT, celles-ci étaient désormais de taille moins grande que les délégations locales de l'OFB.

Le Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (Cerema), pour sa part, est presque entièrement déconcentré. Son directeur général a indiqué à la commission d'enquête que l'établissement est installé dans 27 villes, avec 60 à 250 agents sur chaque site, mais ne dispose à Paris que de quelques bureaux dans les locaux de l'Institut national de l'information géographique et forestière (IGN).

3. En outre-mer, des territoires dont la spécificité et la diversité devraient être mieux appréhendées par les agences de l'État

Les spécificités ultramarines nécessitent une mise en oeuvre différenciée des politiques publiques comme de l'organisation administrative, constat général qui devrait s'appliquer également à l'action des agences. Ce constat ne justifie pas pour autant la création de structures spécifiques à ces territoires.

Une agence spécifique, l'Agence de l'outre-mer pour la mobilité (LADOM), a ainsi été créée en 2016 pour mettre en oeuvre des actions ayant trait à la continuité territoriale, à l'insertion professionnelle des personnes résidant outre-mer et à la gestion de certaines aides pour le compte des collectivités territoriales73(*). Il s'agit en effet de questions spécifiques aux outre-mer, qui ne se posent pas dans les mêmes termes pour les autres territoires.

Il est permis en revanche de s'interroger sur la pertinence de maintenir, pour le versement des aides agricoles, un organisme distinct de FranceAgriMer, à savoir l'Office de développement de l'économie agricole d'outre-mer (Odeadom). Créé par voie réglementaire74(*), cet organisme met en oeuvre les missions dévolues à cet établissement dans les cinq départements d'outre-mer75(*) et dans trois collectivités d'outre-mer76(*). Toutefois, basé à Montreuil (Seine-Saint-Denis), l'Odeadom ne se distingue guère de FranceAgriMer, dont il utilise les locaux et les fonctions support. La Cour des comptes note « l'absence de taille critique de l'établissement et la faiblesse de sa gouvernance »77(*), d'autant que l'Odeadom n'assure pas l'instruction et le paiement de l'ensemble des aides à l'agriculture ultramarine, une partie étant confiée à FranceAgriMer et à l'Agence de service et de paiement (ASP). Le CBCM note également que le manque de ressources internes met en difficulté le pilotage de projets informatiques qui sont pourtant nécessaires pour payer les aides du POSEI78(*) France.

La justification habituellement apportée à l'existence juridiquement distincte de l'Odeadom est qu'il s'agirait d'un lieu de dialogue entre l'État, les collectivités et les professionnels agricoles d'outre-mer. La DGOM indique ainsi, dans une réponse à la Cour des comptes, qu'une réunion de novembre 2021 « a permis de débattre des orientations stratégiques européennes à la veille de la présidence française, en présence d'un parlementaire européen et d'un membre du comité économique et social européen ».

Or il n'est pas besoin de créer un établissement doté d'une structure administrative et d'un conseil d'administration pour organiser un dialogue. La concertation évoquée par la DGOM correspond aux missions normales de l'administration centrale et en particulier du Délégué interministériel à la souveraineté agricole des outre-mer (DITAOM).

D'autres agences, au contraire, couvrent les outre-mer au même titre que l'ensemble du territoire français. L'Agence de services et de paiement (ASP), par exemple, est présente aussi bien dans les chefs-lieux des anciennes régions que dans les cinq départements d'outre-mer.

De même, l'Office français de la biodiversité (OFB) dispose de cinq délégations territoriales recouvrant l'ensemble de la France d'outre-mer79(*) et six services départementaux ultra-marins. Les représentants de l'opérateur ont souligné auprès de la commission d'enquête qu'ils menaient de nombreuses actions dans les outre-mer. Le Cerema, pour sa part, a créé en juillet 2021 une direction déléguée dédiée à l'outre-mer et s'est implanté de façon pérenne à La Réunion, à Mayotte et en Guyane80(*).

La diversité des outre-mer comme celle des politiques publiques expliquent la multiplicité des modalités d'organisation et d'action des agences en outre-mer.

La commission d'enquête a toutefois constaté des difficultés particulières de prise en compte des situations locales par des agences qui prenaient leurs décisions trop loin du terrain ou en concertation insuffisante avec les élus locaux. En matière d'offre de santé, par exemple, on ne peut pas calquer sans modification les modes d'action hexagonaux dans des territoires îliens, et plus encore archipélagiques. D'une manière générale, l'accès aux services proposés par les agences est souvent plus compliqué dans des territoires plus difficiles d'accès, que ce soit dans les Antilles, dans l'océan Indien ou dans l'océan Pacifique. La connaissance même de l'offre de services de ces agences est souvent plus difficile sur des territoires très dispersés.

En outre, la disparition de l'ingénierie autrefois réalisée par les services de l'État, point souvent évoqué dans les travaux de la commission d'enquête, a été particulièrement ressentie en outre-mer, expliquant en partie une longue période de sous-investissement dans les réseaux comme vient de le noter la Cour des comptes dans une étude sur la gestion de l'eau potable et de l'assainissement en outre-mer81(*). La Cour s'étonne à ce sujet que le retour d'une assistance technique à Mayotte passe par la création d'une antenne locale du Cerema alors même que des postes sont également créés dans la direction locale de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DEAL) ; tous ces postes financés par le même acteur, l'État, viennent en appui au syndicat des eaux de Mayotte.

La commission d'enquête considère en conséquence nécessaire une meilleure prise en compte des spécificités de l'action en outre-mer par les agences et propose, pour s'en assurer, que cette prise en compte soit prévue systématiquement dans leurs contrats d'objectifs, et précisée dans les lettres de mission adressées à leurs directeurs généraux.

Recommandation : Inclure un volet outre-mer dans les contrats d'objectifs et de performance (COP) ou de moyens (COM) des agences dont l'action porte, au moins partiellement, sur les outre-mer.


* 70 Celle qui contient le mot « financement » dans son intitulé, l'Agence de financement des infrastructures de transport de France (AFITF), est qualifiée de simple « fond », et non de véritable agence, par le Conseil d'État en raison de son absence de réelle autonomie.

* 71 Article R. 1413-61-1 et suivants du code de la santé publique.

* 72 FranceAgriMer, Bilan social 2020.

* 73 Articles L. 1803-10 et suivants du code des transports.

* 74 Articles D. 696-1 et suivants du code rural et de la pêche maritime.

* 75 Guadeloupe, Guyane, Martinique, Mayotte et La Réunion.

* 76 Saint-Barthélemy, Saint-Martin et Saint-Pierre-et-Miquelon.

* 77 Cour des comptes, L'Office de développement de l'économie agricole d'outre-mer, exercices 2016-2021, juin 2023.

* 78 Programme d'options spécifiques à l'éloignement et à l'insularité, outil de mise à disposition d'aides européennes et nationales au secteur agricole pour toutes les régions ultra-périphériques de l'Union européenne.

* 79 Antilles, Guyane, Océan Indien, Polynésie française et Nouvelle-Calédonie, cette dernière également compétente pour Wallis et Futuna (Office français de la biodiversité, Contacts et implantations).

* 80 Cerema Info, Le Cerema s'implante en Outre-mer, septembre 2021.

* 81  Communication de la Cour des comptes à la commission des finances du Sénat, relative à la gestion de l'eau potable et de l'assainissement en outre-mer, janvier 2025.

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