II. LES POUVOIRS PUBLICS PEINENT À DÉFINIR UNE STRATÉGIE CLAIRE EN DEHORS DE LA LUTTE CONTRE LES VIOLENCES CONJUGALES

A. UNE RÉPONSE PÉNALE PROGRESSIVEMENT AFFERMIE, MAIS QUI PRÉSENTE ENCORE D'IMPORTANTES FAILLES

1. Un renforcement de l'arsenal répressif ces dernières années

La prise de conscience de l'impact du sexisme et des violences sexistes et sexuelles qui l'accompagnent ont conduit les pouvoirs publics à renforcer substantiellement l'arsenal législatif - et particulièrement répressif - en la matière. Dans leur rapport de 2020, les rapporteurs spéciaux d'alors avait dressé une liste des lois pénales adoptées, depuis les années 1990, afin de lutter contre les violences faites aux femmes - qu'il suffise ici d'y renvoyer le lecteur intéressé.

Les rapporteurs spéciaux constatent que, depuis 2019, cet arsenal législatif et réglementaire a été élargi et renforcé.

Dispositifs législatifs adoptés depuis 2019 pour renforcer
la lutte contre les violences conjugales et intrafamiliales

Loi du 28 décembre 2019 visant à agir contre les violences au sein de la famille : création du dispositif du bracelet antirapprochement (BAR) et accélération de la procédure d'obtention de l'ordonnance de protection à six jours.

Loi n° 2019-828 du 6 août 2019 de transformation de la fonction publique : prévoit la mise en oeuvre obligatoire de dispositifs de signalement des violences, harcèlements et agissements sexistes dans la fonction publique.

Loi du 30 juillet 2020 visant à protéger les victimes de violences conjugales : renforce de façon significative la protection des victimes en autorisant la levée du secret médical lorsque les violences mettent la vie de la victime en danger immédiat. Le « suicide forcé » est reconnu dans le code pénal, comme circonstance aggravante du délit de harcèlement moral au sein du couple.

Décret n° 2021-1820 du 24 décembre 2021 relatif aux mesures de surveillance applicables, lors de leur libération, aux auteurs d'infractions commises au sein du couple : renforce la protection des victimes lors de la libération de l'auteur de violences conjugales en encadrant les mesures de surveillance (BAR, TGD, interdictions de contact) pour éviter toute rupture de suivi.

Loi du 28 février 2023 créant une aide universelle d'urgence pour les victimes de violences conjugales sous la forme d'une aide non remboursable ou d'un prêt sans intérêt. Cette aide vise à permettre aux victimes qui quittent le foyer conjugal de faire face aux dépenses immédiates en attendant de trouver une solution durable.

Décret n° 2023-1077 du 23 novembre 2023 : institue des pôles spécialisés en matière de violences intrafamiliales au sein des tribunaux judiciaires et des cours d'appel. La circulaire de du 24 novembre 2024 organise sa mise en oeuvre.

Loi du 18 mars 2024 visant à mieux protéger et accompagner les enfants victimes et co-victimes de violences intrafamiliales, qui prévoit :

- le retrait total de l'autorité parentale par les juridictions en cas de condamnation pour agression sexuelle, viol incestueux ou autre crime sur son enfant, et en cas de crime commis sur l'autre parent ;

- la suspension automatique de l'exercice de l'autorité parentale, des droits de visite et d'hébergement au parent poursuivi ou mis en examen pour agression sexuelle ou viol incestueux ou pour tout autre crime commis sur son enfant ;

- la délégation forcée de l'exercice de l'autorité parentale en cas de poursuite, de mise en examen ou de condamnation pour crime ou agression sexuelle incestueuse commis sur son enfant par un parent s'il est seul titulaire de l'exercice de l'autorité parentale ;

- la suspension des droits de visite et d'hébergement des parents sous contrôle judiciaire pour violences intrafamiliales.

Loi du 13 juin 2024 renforçant l'ordonnance de protection et créant l'ordonnance provisoire de protection immédiate : adoptée à la suite du rapport parlementaire « Plan rouge VIF - Améliorer le traitement judiciaire des violences intrafamiliales », cette loi prévoit notamment de :

- porter à 12 mois la durée initiale des mesures prononcées ;

- masquer l'adresse de la victime sur les listes électorales ;

- permettre au juge de délivrer sous 24 heures une ordonnance provisoire de protection immédiate, en cas de danger grave et imminent. Il peut aussi prononcer plusieurs mesures contre l'auteur présumé des violences : interdiction d'entrer en contact avec la ou les victimes ; interdiction de paraître dans certains lieux (domicile, lieu de travail de la victime...) ; suspension du droit de visite et d'hébergement ; interdiction de détenir une arme et obligation de la remettre aux forces de l'ordre.

Source : commission des finances du Sénat d'après les réponses aux questionnaire des rapporteurs spéciaux

Les rapporteurs spéciaux se félicitent de l'accélération de la prise de conscience politique sur la question des violences conjugales et intrafamiliales et de ses traductions législatives.

Ce satisfecit s'étend, plus largement, des violences sexistes et sexuelles, bien qu'il faille relever le caractère plus incident des mesures législatives prises en la matière : ainsi la question des violences sexistes et sexuelles est-elle à l'occasion traitée dans le cadre sportif ou dans le cadre numérique - ce qui est évidemment très positif - mais sans que le problème ne soit appréhendé dans sa globalité.

Dispositifs législatifs adoptés depuis 2019 pour renforcer
la lutte contre les violences sexistes et sexuelles

Loi du 21 avril 2021 visant à protéger les mineurs des crimes et délits sexuels et de l'inceste : instauration de seuils d'âge de non-consentement (15 ans ou 18 ans en cas d'inceste), autorisant la ratification de la convention n° 190 de l'Organisation internationale du travail (automaticité des qualifications criminelles, allongement des délais de prescription.

Loi du 2 mars 2022 visant à démocratiser le sport en France : formation obligatoire à la lutte contre les violences sexuelles dans les cursus des métiers du sport et obligation d'information des licenciés sur la possibilité de souscrire une assurance de protection juridique en cas de violences, notamment d'abus sexuels ou d'autorité.

Loi du 24 janvier 2023 d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur (LOPMI) : transformation de l'outrage sexiste et sexuel aggravé en délit puni de 3 750 euros (avec possibilité d'amende forfaitaire de 300 euros).

Décret n° 2023-227 du 30 mars 2023 relatif à l'outrage sexiste et sexuel non aggravé : élève la contravention à la 5ème classe (amende forfaitaire portée à 1 500 euros).

Loi du 21 mai 2024 visant à sécuriser et réguler l'espace numérique : lutte contre le cyberharcèlement, sanctions pour les deepfakes à caractère sexuel, obligation de vérification de l'âge sur les plateformes pornographiques.

Surtout, d'autres sujets n'ont guère suscité l'intérêt du législateur ces dernières années.

Ainsi, ni la lutte contre la prostitution ni la prévention des violences (par l'éducation par exemple) n'ont fait l'objet d'un renforcement législatif ces dernières années ; non qu'un tel renforcement eût été nécessaire si la loi avait été strictement appliquée, mais le présent rapport s'attachera à montrer les limites importantes auxquelles ces politiques ont été confrontées ces dernières années20(*).

2. La réponse pénale demeure perfectible compte-tenu du caractère endémique des violences sexistes et sexuelles

Comme le relevait nos collègues Elsa Schalck et Dominique Vérien dans leur rapport sur la proposition de loi visant à modifier la définition pénale du viol et des agressions sexuelles21(*), « bien que substantielles, les avancées du droit n'ont pas encore permis une répression satisfaisante du viol et des autres agressions sexuelles. »

Les statistiques avancées par ce même rapport attestent ainsi d'un « triple « décrochage » de la réponse pénale » : seule une faible minorité des violences sexuelles est dénoncée à la police ou à la gendarmerie ; parmi elles, une large proportion fait l'objet d'un classement sans suite ; enfin, les condamnations restent rares.

Au total, sur un minimum évalué à 230 000 victimes et donc à 230 000 faits de violences sexuelles commis chaque année, moins de 8 000 donnent lieu à une condamnation.

Les chiffres publiés par l'Observatoire national des violences faites aux femmes corroborent ce constat : sur les 33 307 mises en causes pour viols en 2023, 64 % ont fait l'objet d'un classement sans suite pour seulement 36 % de poursuites lancées ; et parmi ces affaires poursuivies, seules 1 117 ont donné lieu à une condamnation définitive.

Orientation des affaires de viol hors du couple en 2023

Source : commission des finances du Sénat, d'après l'Observatoire national des violences faites aux femmes


* 20 Cf. infra.

* 21 Rapport n° 731 (2024-2025), fait par Mmes Elsa Schalck et Dominique Vérien au nom de la commission des lois du Sénat, sur la proposition de loi visant à modifier la définition pénale du viol et des agressions sexuelles, remis le 11 juin 2025.

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