B. POUR UNE PRÉFÉRENCE EUROPÉENNE ÉLARGIE
Le concept de préférence européenne doit se déployer sur de nouveaux fronts, dans le contexte géopolitique actuel, où les notions de souveraineté économique, agricole, industrielle et numérique sont devenues cruciales pour l'Union européenne.
Afin de le remettre en perspective, il est utile d'examiner la façon dont cette préférence est mise en oeuvre outre-Atlantique et outre-Manche.
1. Aux États-Unis et au Royaume-Uni, un dispositif élargi de préférence nationale
a) Aux États-Unis, un protectionnisme assumé
L'étude de législation comparée réalisée par les services du Sénat à la demande de la commission d'enquête montre que le droit de la commande publique américain est largement empreint de protectionnisme, et ce de longue date.
La commande publique aux États-Unis
Au cours de l'année fiscale 2023, le montant total des contrats de la commande publique passés par le gouvernement fédéral s'est élevé à 759,2 milliards de dollars (668 milliards d'euros), ce qui représente une augmentation de 33 milliards de dollars (après ajustement lié à l'inflation) par rapport à l'année fiscale précédente. Parmi ces contrats, la majorité est conclue par le ministère fédéral de la défense (456 milliards d'euros).
À l'échelle des États fédérés, les contrats de la commande publique - dits SLED, pour State, Local and Education, puisqu'ils sont conclus par les États, les collectivités territoriales, les académies ainsi que les établissements scolaires et universitaires - représentent environ 1 500 milliards de dollars chaque année, soit 10 % du PIB américain.
Source : étude de législation comparée, direction de l'initiative parlementaire et des délégations, Sénat, mai 2025
Si les grands principes du droit suivent une logique similaire aux autres pays membres de l'accord sur les marchés publics (AMP) de l'Organisation mondiale du commerce (OMC), notamment en ce qui concerne les procédures de passation concurrentielle, les États-Unis se démarquent par différents dispositifs de préférence nationale.
Ceux-ci complètent un dispositif de veille particulièrement actif et une politique de conquête des marchés publics à l'étranger très agressive. Ainsi, M. Alain Juillet, ancien Haut responsable chargé de l'intelligence économique, a indiqué lors de son audition devant la commission d'enquête que « chaque fois qu'un rapport est réalisé par un cabinet de conseil, une copie de celui-ci est envoyée au siège. Si le cabinet est américain, le rapport part donc aux États-Unis. »351(*) Et d'ajouter : « Le département du commerce américain dispose d'une petite organisation qui identifie tous les ans environ 120 ou 130 contrats essentiels pour les États-Unis. Tous les services américains - diplomates, services de renseignement, police, douanes, etc. - sont alors mobilisés pour donner aux entreprises américaines les moyens de remporter ces appels d'offres. »352(*)
Les principaux régimes de préférence nationale sont le Buy American Act, introduit en 1933, le Trade Agreement Act de 1979 qui permet l'articulation entre le principe de préférence nationale et les engagements contractés dans le cadre d'accords commerciaux, et le Berry Act et diverses restrictions supplémentaires propres aux achats du ministère fédéral de la défense. En outre, le principe de préférence nationale en matière d'approvisionnement a été étendu à un champ plus large de projets d'infrastructures (notamment en matière énergétique et numérique) et de matériaux de construction par le Build America, Buy America Act, adopté en 2021 dans le cadre de l'Infrastructure Investment and Jobs Act prévoyant plus de 1 000 milliards de dollars de nouveaux investissements fédéraux.
Ces divers régimes de préférence nationale en matière d'achat public prévoient néanmoins d'assez larges exceptions, en particulier en cas de prix « déraisonnable » de l'offre domestique, de quantité ou de qualité insuffisante ou, dans certains cas, d'accords commerciaux.
Le droit américain de la commande publique, depuis l'introduction du Small Business Act de 1953, se caractérise également par un large système de préférences accordées aux petites entreprises, qui prennent notamment la forme de marchés réservés ou de possibilités d'attribution directe jusqu'à des seuils plus élevés (cf. infra).
b) Les régimes de préférence nationale prévus par le droit fédéral américain de la commande publique
(1) Le Buy American Act et autres dispositions
Au fil des ans, en vertu de son large pouvoir sur les dépenses fédérales, le Congrès a promulgué un certain nombre de restrictions concernant l'achat de produits « étrangers » à partir de financements fédéraux. Ces restrictions exigent que les agences fédérales achètent des articles produits ou fabriqués aux États-Unis, sous réserve de diverses exceptions et exemptions.
(a) Le principe de préférence nationale
Aux États-Unis, la commande publique est irriguée par le principe de préférence nationale (domestic content), restreignant la possibilité pour les agences fédérales de se fournir à l'étranger.
Selon l'article 8302 du code des États-Unis, seuls les produits finaux, matériaux et fournitures extraits, produits ou manufacturés aux États-Unis peuvent être acquis pour un usage public, sauf si l'autorité adjudicatrice estime que l'achat est incompatible avec l'intérêt public, que son coût est déraisonnable ou que les produits, matériaux ou fournitures ne sont pas extraits, produits ou fabriqués aux États-Unis en quantités suffisantes et raisonnablement disponibles et d'une qualité satisfaisante.
À titre dérogatoire, le principe de préférence nationale ne s'applique ni :
- aux biens destinés à être consommés à l'étranger ;
- aux biens faisant l'objet d'un accord commercial avec un autre pays ou issus d'un pays moins avancé ;
- aux contrats dont le montant est inférieur au seuil de micro-achat, fixé à 10 000 dollars.
Qu'est-ce qu'un produit « national » aux États-Unis ?
À l'exception des produits ou matériaux en acier ou en fer, les produits finaux non manufacturés doivent être extraits ou produits aux États-Unis pour être considérés comme des produits nationaux aux fins du Buy American Act. S'agissant des produits finaux manufacturés, ils sont considérés comme nationaux s'ils sont manufacturés aux États-Unis et s'ils remplissent l'une des deux conditions suivantes : le coût des composants extraits, produits ou fabriqués aux États-Unis dépasse 60 % du coût de l'ensemble des composants, ou le produit final est fabriqué aux États-Unis, ou s'il s'agit d'un article disponible dans le commerce.
Source : étude de législation comparée, Sénat
(b) La clause de préférence nationale dans les marchés publics de travaux
Plus spécifiquement, le Buy American Act encadre les marchés publics de travaux et dispose que tous les contrats publics relatifs à la construction, la modification ou la réparation d'un bâtiment public ou de tout édifice public situé aux États-Unis doivent en principe être assortis d'une clause stipulant le recours obligatoire à des produits, matériaux et fournitures extraits, produits ou manufacturés aux États-Unis.
(2) Une limite au principe de préférence nationale : le critère du prix raisonnable de l'offre
Le principe de préférence nationale introduit par le Buy American Act n'est pas absolu et comporte certaines exceptions, en particulier en cas de prix déraisonnable de l'offre.
Cette dérogation communément appelée préférence fondée sur le prix est précisée dans le règlement sur la commande publique fédérale (FAR), qui met en oeuvre le Buy American Act.
Le mode de calcul du caractère raisonnable de l'offre domestique y est déterminé : dans l'hypothèse où une offre étrangère présente un meilleur rapport qualité-prix par rapport à une offre domestique, il convient d'augmenter fictivement le prix de l'offre la moins chère d'un certain pourcentage afin de la comparer avec l'offre domestique. Ce pourcentage varie de 20 % dans les cas où l'offre nationale la moins chère provient d'une grande entreprise, à 30 % lorsque l'offre nationale la moins chère provient d'une petite entreprise et 50 % pour les marchés publics du ministère de la défense. Les ministères et agences fédérales peuvent aussi adopter leurs propres règlements fixant des pourcentages plus élevés.
En cas d'égalité entre l'offre nationale la moins chère et l'offre étrangère réévaluée, l'autorité adjudicatrice doit privilégier l'offre nationale. Toutefois, si l'offre étrangère reste la moins chère, l'autorité peut attribuer le marché à l'entreprise étrangère au prix initialement proposé.
(3) Le Trade Agreements Act (1979)
(a) L'articulation entre préférence nationale et accords commerciaux
En 1979, le Congrès américain a adopté la loi sur les accords commerciaux (Trade Agreements Act), dans la lignée de l'ancien accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (General Agreement on Tariffs and Trade - GATT), remplacé ultérieurement par l'OMC, qui a pour objectif de promouvoir le commerce international et limiter le protectionnisme.
Le Trade Agreements Act permet aux pouvoirs publics de déroger à toute règle du droit de la commande publique qui caractériserait une discrimination à l'égard des biens issus de certains pays désignés, afin que les États-Unis puissent honorer leurs obligations découlant des différents accords de commerce multilatéraux. Pour ce faire, les dispositions réglementaires appliquant le Trade Agreements Act déterminent les produits éligibles de certains pays désignés qui sont légalement autorisés à être considérés de façon équivalente aux biens domestiques.
Les pays concernés sont notamment :
- les États parties à l'accord sur les marchés publics (AMP) de l'OMC ;
- les États signataires d'un accord de libre-échange avec les États-Unis353(*) ;
- les pays les moins avancés.
(b) Les seuils d'application de la loi sur les accords commerciaux
Le montant du marché public est déterminant pour savoir si le Trade Agreements Act s'applique : des seuils, révisés tous les deux ans par le Bureau du représentant américain au commerce, déterminent les conditions dans lesquelles les dispositions du Trade Agreements Act s'appliquent. Si ces seuils varient selon les pays354(*), il y a une convergence autour des seuils suivants : 174 000 dollars pour les marchés publics de fournitures et de services et 6 708 000 dollars pour les marchés publics de travaux.
(c) Les restrictions supplémentaires propres au ministère fédéral de la défense (Department of Defense)
L'amendement Berry prévoit un cadre juridique plus restrictif pour les marchés publics du ministère fédéral de la défense : ainsi, tous les achats de nourriture, vêtements, tentes et matériels connexes, coton et tout autre produit à fibres naturelles, ainsi que les outils manuels ou de mesure, doivent obligatoirement provenir des États-Unis.
Une série d'exceptions est prévue en cas de difficultés qualitatives ou quantitatives ou si le montant de l'opération est inférieur à un seuil de 150 000 dollars, auquel cas il convient de mettre en oeuvre une procédure de passation simplifiée355(*).
D'autres restrictions sont prévues pour la fourniture en métaux spéciaux, avec quelques exceptions similaires à celles de l'amendement Berry.
(4) L'élargissement du principe de préférence nationale par le Build America, Buy America Act
Le Build America, Buy America Act356(*) (BABA) est un ensemble de dispositions législatives adopté par le Congrès américain en novembre 2021 au sein de la loi sur l'investissement dans les infrastructures et l'emploi357(*). Il vise à renforcer les chaînes d'approvisionnement et la production nationales afin d'assurer l'indépendance stratégique des États-Unis.
Pour ce faire, il établit une préférence nationale en matière d'approvisionnement (domestic content procurement preference) pour toutes les aides financières fédérales affectées à des projets d'infrastructure après le 14 mai 2022. Cette préférence exige que tout le fer, l'acier, les produits manufacturés et les matériaux de construction utilisés dans les projets d'infrastructure couverts par la loi soient produits aux États-Unis. Dans le cas inverse, l'octroi d'une subvention par un programme fédéral n'est pas possible.
Ce principe de la préférence nationale en matière d'approvisionnement se justifie par les impératifs liés à la sécurité nationale, la volonté des pouvoirs publics de promouvoir la main-d'oeuvre américaine, d'honorer les engagements en matière de protection de l'environnement et de garantir de hauts standards de conditions de travail au long des chaînes d'approvisionnement.
Les infrastructures concernées sont déterminées ainsi : il s'agit des structures, installations et équipements relatifs aux routes, autoroutes, ponts, transports publics, barrages, ports et autres installations maritimes, au transport ferroviaire interurbain de passagers et de marchandises, aux installations de fret et intermodales, aéroports, réseaux d'eau, y compris les réseaux d'eau potable et les eaux usées, installations et systèmes de transmission électrique, services publics, infrastructures à haut débit, bâtiments et biens immobiliers. Certaines infrastructures, telles que les autoroutes, le transport ferroviaire interurbain de passagers, les aéroports et la construction de réseaux d'eau et d'égouts étaient déjà couverts par le Buy American Act mais le BABA étend le principe de préférence nationale essentiellement aux installations énergétiques et à haut débit358(*).
La loi a également élargi la couverture des produits Buy America aux « matériaux de construction » y compris les métaux non ferreux (par exemple, le cuivre utilisé dans le câblage électrique), les produits à base de plastique et de polymère, le verre (y compris la fibre optique) et d'autres matériaux (bois d'oeuvre, cloisons sèches, etc.). Selon les lignes directrices publiées par le bureau de gestion et du budget (Office of Management and Budget, OMB), pour être considérés comme « produit aux États-Unis » au sens de cette loi, les produits manufacturés autres que le fer et l'acier doivent contenir plus de 55 % de contenu national359(*).
Le Build America Buy America Act prévoit enfin certaines dérogations (waivers). Le principe de préférence nationale peut être écarté dans trois cas de figure : en cas d'incompatibilité avec l'intérêt public, lorsque les quantités produites ne sont pas suffisantes ou que la qualité n'est pas satisfaisante, ou lorsque l'inclusion de ces produits augmenterait le coût du projet de plus de 25 %.
(5) Le manque de transparence de la commande publique aux États-Unis
Selon la Commission européenne, un autre obstacle à l'ouverture du marché américain est le manque de transparence du système de commande publique.
« Les États-Unis ne disposent pas d'un portail électronique unique présentant les avis de marchés publics. En outre, dans de nombreux États américains, les entreprises doivent d'abord s'enregistrer auprès de l'État pour recevoir des informations sur les appels d'offres et pour soumissionner. Pour ce faire, chaque État applique ses propres exigences. Certains États exigent un paiement pour s'enregistrer en tant que soumissionnaire. Les exigences en matière d'enregistrement constituent des obstacles supplémentaires à l'accès au marché.
« Le manque d'accès à l'information sur les possibilités de marchés publics dans les États américains est un facteur dissuasif important pour la participation aux marchés publics américains. Les entreprises de l'UE ne peuvent soumissionner que si elles sont en mesure de trouver des informations sur les marchés. Les entreprises de l'UE doivent naviguer sur des centaines de portails de marchés publics différents et se heurter à de nombreux obstacles pour s'inscrire en tant que soumissionnaires.
« En outre, en ce qui concerne l'IIJA, le système d'exemptions et de dérogations, qui peuvent être accordées de manière ad hoc ou en tant que dérogations d'application générale, représente un autre élément de complexité dans le système de passation des marchés publics des États-Unis. En particulier, il n'y a pas d'orientation claire concernant l'octroi de dérogations pour le respect d'obligations internationales et, en ce qui concerne les dérogations d'application générale, les agences fédérales peuvent définir des exigences supplémentaires pour des programmes de financement spécifiques, ce qui ajoute à la mosaïque de règles applicables. »360(*)
c) Au Royaume-Uni, une volonté de préférence britannique qui fait son chemin
(1) La commande publique au Royaume-Uni
La commande publique représente environ un tiers des dépenses publiques du Royaume-Uni361(*). Pour l'exercice budgétaire 2021-2022, les données consolidées indiquent que le secteur public - administrations centrales et locales confondues - a dépensé 329 milliards de livres sterling (385 milliards d'euros) en achats auprès du secteur privé, soit 32 % du total des dépenses publiques. La part de la commande publique est relativement stable depuis dix ans, avec un pic à 34 % en 2017-2018 et une chute à 29 % en 2020-2021.
Le secteur ayant le plus recours aux marchés publics est celui de la santé (131,8 milliards de livres sterling en 2023/2024, soit 153,4 milliards d'euros). Par ailleurs, en 2021-2022, 26,5 % des dépenses de marchés publics de l'État étaient à destination des petites à moyennes entreprises.
(2) Le débat pour la préférence britannique : Buying British
L'introduction de mesures de préférence nationale dans le cadre de la commande publique est un sujet présent dans le débat public britannique depuis de nombreuses années362(*). Ainsi, en 2019, le parti Conservateur plaidait pour un secteur public qui « achète britannique » (Buy British), notamment pour soutenir les agriculteurs et réduire les coûts environnementaux, et le parti travailliste s'est prononcé en faveur de mesures similaires après la pandémie de Covid-19363(*). Sous l'ancien régime juridique de la commande publique, il était néanmoins impossible de mettre en place une préférence nationale, allant à l'encontre des principes de non-discrimination et d'égalité de traitement des fournisseurs découlant du droit de l'UE et transposés dans la législation nationale.
La loi sur la commande publique de 2023 ne contient pas de mesure de préférence nationale stricto sensu. Indirectement, l'objectif de prendre en compte les obstacles particuliers des PME et « d'examiner si ces obstacles peuvent être supprimés ou réduits » peut néanmoins permettre de privilégier des entreprises nationales.
Lors de l'examen du projet de loi sur la commande publique à la Chambre des Lords, un amendement a été déposé visant à fixer un objectif de 50 % des produits et ingrédients locaux, dans le cadre des marchés publics alimentaires et de boissons. Cet amendement fut rejeté, le gouvernement indiquant qu'un tel quota de produits alimentaires britanniques serait contraire aux engagements internationaux du Royaume-Uni au titre de l'accord de l'OMC sur les marchés publics. Toutefois, le gouvernement avait précisé que d'autres options étaient disponibles pour réserver des contrats en dessous des seuils de passation des marchés publics, tout en respectant les engagements internationaux.
(3) Une évolution récente
La note de politique de commande publique intitulée « Réserver des marchés publics inférieurs aux seuils », publiée par le Bureau du Cabinet en 2020 et mise à jour en février 2025, indique que les ministères et les agences du gouvernement central peuvent envisager, le cas échéant, les deux options suivantes pour la passation de marchés de biens, services et travaux inférieurs aux seuils :
- réserver le marché grâce à des critères de localisation du fournisseur. Dans ce cas, un appel d'offres peut être organisé, spécifiant que seuls les fournisseurs situés dans une zone géographique déterminée - par exemple à l'échelle du Royaume-Uni dans son ensemble ou d'un comté ou d'un arrondissement à Londres - peuvent soumissionner, dans le but de lutter contre les inégalités économiques et de soutenir les recrutements et l'investissement au niveau local ;
- réserver le marché aux petites et moyennes entreprises (PME) et à des entreprises volontaires, communautaires et sociales (voluntary, community and social enterprises, VCSE). Cela signifie que seules ces catégories d'entreprises peuvent soumissionner364(*).
Par ailleurs, en décembre 2024, dans une déclaration d'intention relative à la stratégie industrielle de défense, le gouvernement a annoncé son intention de réformer les marchés publics afin de donner une priorité aux entreprises britanniques dans le cadre des marchés publics de défense, et de les encourager à investir, sans perdre les avantages de la concurrence.
Il n'en reste pas moins que, conformément à l'accord de commerce et de coopération conclu entre l'UE et le Royaume-Uni, un principe de non-discrimination dans la commande publique à l'égard des entreprises européennes installées au Royaume-Uni et des entreprises anglaises installées dans l'UE est en vigueur : elles ne peuvent subir un traitement moins favorable que celui appliqué aux entreprises nationales, en sus de l'application de l'AMP365(*). L'objectif posé y est bien de « garantir l'accès des fournisseurs de chaque Partie à des possibilités accrues de participer aux procédures de marchés publics et d'améliorer la transparence de ces procédures »366(*).
2. La problématique internationale de la préférence européenne : le cadre de l'AMP et de l'IMPI
a) Le cadre fondateur de l'OMC
Le droit de la commande publique n'est pas que national et européen.
Les comparaisons internationales sur les évolutions plus ou moins récentes aux États-Unis et au Royaume-Uni ne peuvent éluder les règles internationales que le droit de l'UE en particulier se doit de respecter, en l'absence de négociation internationale pour les faire évoluer. Or, ont été déterminées dans le cadre de l'OMC, héritière du GATT, des règles importantes, mais peu nombreuses, s'appliquant aux marchés publics : obligation de publicité, exigence de non-discrimination à l'égard de soumissionnaires établis dans des États tiers, transparence des informations.
Quelle que soit l'érosion constatée de ces principes à l'échelle internationale, qui progressivement tend à remettre en cause le système même de l'OMC, celui-ci demeure en vigueur, même s'il est parfois tempéré par les accords bilatéraux que l'UE en particulier conclut avec des États tiers.
b) L'accord sur les marchés publics (AMP), intégré au droit de l'UE
L'accord sur les marchés publics (AMP) a été conclu en 1994 sous l'égide de l'OMC dans le but de contribuer à la libéralisation et à l'expansion du commerce mondial, qui sont à l'origine de cette organisation. Il établit un cadre multilatéral de droits et d'obligations équilibrés en matière de marchés publics afin que les fournisseurs de biens et de services puissent avoir accès, dans les mêmes conditions que les fournisseurs nationaux, aux marchés publics passés par les pouvoirs adjudicateurs des États membres. Il a été tôt intégré dans l'ordre juridique communautaire par une décision du Conseil du 22 décembre 1994367(*).
L'AMP s'applique aux marchés de fournitures, à certains marchés de services et aux marchés de travaux dont le montant atteint des seuils exprimés en droits de tirage spéciaux (DTS) du Fonds monétaire international (FMI), convertis tous les deux ans en euros, et correspondant aux seuils européens mentionnés à l'article L. 2124-1 du code de la commande publique.
Conclu dans un premier temps entre les membres de la CEE et onze autres pays parties au GATT, l'AMP compte aujourd'hui 22 parties (représentant 49 membres de l'OMC, l'Union européenne et ses 27 États membres comptant pour une partie à l'accord).
Les parties à l'accord sur les marchés publics de l'OMC
Parties à l'AMP |
Date d'entrée en vigueur / d'accession |
|
AMP de 1994 |
AMP de 2012 |
|
Arménie |
15 septembre 2011 |
6 juin 2015 |
Australie |
N/A |
5 mai 2019 |
Canada |
1er janvier 1996 |
6 avril 2014 |
Corée, République de |
1er janvier 1997 |
14 janvier 2016 |
États-Unis d'Amérique |
1er janvier 1996 |
6 avril 2014 |
Hong Kong, Chine |
19 juin 1997 |
6 avril 2014 |
Islande |
28 avril 2001 |
6 avril 2014 |
Israël |
1er janvier 1996 |
6 avril 2014 |
Japon |
1er janvier 1996 |
16 avril 2014 |
Liechtenstein |
18 septembre 1997 |
6 avril 2014 |
Macédoine du Nord |
N/A |
30 octobre 2023 |
Moldavie |
N/A |
14 juillet 2016 |
Monténégro |
N/A |
15 juillet 2015 |
Norvège |
1er janvier 1996 |
6 avril 2014 |
Nouvelle-Zélande |
N/A |
12 août 2015 |
Pays-Bas, pour le compte d'Aruba |
25 octobre 1996 |
21 août 2014 |
Royaume-Uni |
1er janvier 1996 |
1er janvier 2021 |
Singapour |
20 octobre 1997 |
6 avril 2014 |
Suisse |
1er janvier 1996 |
1er janvier 2021 |
Taipei chinois |
15 juillet 2009 |
6 avril 2014 |
Ukraine |
N/A |
18 mai 2016 |
Union européenne et ses 27 États membres |
1er janvier 1996 |
6 avril 2014 |
Allemagne, Autriche, Belgique, Danemark, Espagne, Finlande, France, Grèce, Irlande, Italie, Luxembourg, Pays-Bas, Portugal et Suède |
1er janvier 1996 |
|
Chypre, Estonie, Hongrie, Lettonie, Lituanie, Malte, Pologne, République slovaque, République tchèque et Slovénie |
1er mai 2004 |
|
Bulgarie et Roumanie |
1er janvier 2007 |
|
Croatie |
1er juillet 2013 |
En outre, 37 membres de l'OMC participent au Comité des marchés publics en tant qu'observateurs368(*).
Son objet est d'ouvrir à la concurrence internationale pour une part aussi large que possible les marchés publics en faisant en sorte que les lois, réglementations, procédures et pratiques des États parties soient plus transparentes et qu'elles n'aient pas pour effet de protéger les produits ou fournisseurs nationaux ou d'entraîner une discrimination à l'encontre des produits ou fournisseurs étrangers.
L'AMP a été intégré dans l'ordre communautaire, mais seules les dispositions qui le transposent peuvent être invoquées devant les juridictions européennes ou les États membres.
Prise en compte de l'AMP dans les considérants de la directive 2014/24/UE
(17) La décision 94/800/CE du Conseil a notamment approuvé l'accord de l'Organisation mondiale du commerce sur les marchés publics (AMP). Le but de l'AMP est d'établir un cadre multilatéral de droits et d'obligations équilibrés en matière de marchés publics en vue de réaliser la libéralisation et l'expansion du commerce mondial. Pour les marchés relevant des annexes 1, 2, 4 et 5 et des notes générales relatives à l'Union européenne de l'appendice I de l'AMP ainsi que d'autres accords internationaux pertinents par lesquels l'Union est liée, les pouvoirs adjudicateurs devraient remplir les obligations prévues par ces accords en appliquant la présente directive aux opérateurs économiques des pays tiers qui en sont signataires.
(18) L'AMP s'applique aux marchés dont le montant dépasse certains seuils fixés dans l'AMP et exprimés en droits de tirage spéciaux. Il convient d'harmoniser les seuils fixés par la présente directive pour qu'ils correspondent aux équivalents en euros des seuils prévus par l'AMP. Il convient également de prévoir une révision périodique des seuils exprimés en euros afin de les adapter, par une opération purement mathématique, en fonction des variations éventuelles de la valeur de l'euro par rapport à ces droits de tirage spéciaux. Outre ces adaptations mathématiques périodiques, il conviendrait d'étudier la possibilité de relever les seuils fixés dans l'AMP lors du prochain cycle de négociations correspondant.
Source : directive 2014/24/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 février 2014 sur la passation des marchés publics et abrogeant la directive 2004/18/CE)
c) Le champ de l'AMP et l'évolution du contexte international
L'accord n'engage pas tous les membres de l'OMC, mais seuls les signataires, dont ne font par exemple par partie la Chine ou l'Inde.
Rappelons que l'UE représente 17,5 % de la richesse produite mondialement et compte parmi les plus grandes économies mondiales, avec les États-Unis et la Chine. Son taux d'ouverture, c'est-à-dire le ratio de ses échanges internationaux par rapport à son PIB, dépasse 50 %, contre 37 % pour la Chine et 27 % pour les États-Unis370(*). En 2023, elle était la deuxième exportatrice mondiale, derrière la Chine, et le deuxième importateur, derrière les États-Unis.
Face à un contexte international de plus en plus dégradé, en proie à la multiplication des tentatives de déstabilisation, y compris dans le domaine des échanges internationaux, l'UE doit continuer à renforcer sa capacité à faire respecter des conditions équitables de concurrence et à rendre les chaînes de valeur européennes plus durables. Tel est le sens des évolutions souhaitables du modèle d'ouverture de l'UE au sein du système de l'OMC, défendues par la France depuis plusieurs années déjà, mais qui doivent s'intensifier, au service des priorités stratégiques et économiques de l'UE et de la France, afin que les entreprises françaises et européennes puissent opérer dans des conditions de concurrence équitables, en cohérence avec les objectifs de souveraineté économique et d'autonomie stratégique.
d) L'instrument sur les marchés publics internationaux (IMPI) : un premier pas vers plus d'équité internationale
L'adoption, dans le cadre de la présidence française de l'Union européenne, du règlement (UE) 2022/1031 du 23 juin 2022, dit « instrument relatif aux marchés publics internationaux (Impi) »371(*), a parachevé avec succès dix années de négociations européennes afin d'offrir aux pouvoirs adjudicateurs et aux entités adjudicatrices les moyens d'assurer une concurrence internationale plus équitable dans le champ de la commande publique.
Ce règlement dote l'Union européenne d'un nouvel outil permettant de dissuader les États non-signataires d'un accord de libre accès mutuel à la commande publique de restreindre l'accès des opérateurs économiques européens à leurs propres contrats de la commande publique et de les inciter à conclure avec elle de tels accords.
En parallèle, ce règlement clarifie les règles de détermination de la nationalité des opérateurs économiques et de l'origine des travaux, fournitures et services en matière de commande publique.
Il donne enfin une base expresse à la possibilité, pour les acheteurs et les autorités concédantes, de mettre directement en oeuvre des mesures de traitement différencié et de restriction d'accès à la commande publique envers les entreprises des pays qui n'ont pas conclu un accord de libre accès et les offres originaires de pays tiers non couverts par un accord d'ouverture des marchés publics ou dont les biens, services ou travaux, ne sont pas couverts par un tel accord. Il sécurise en conséquence l'utilisation de l'article L. 2153-1 du code de la commande publique.
L'intérêt de ce règlement est donc triple :
- doter l'UE d'un outil susceptible d'amener les pays tiers non-signataires d'un tel accord et qui pratiquent des restrictions à l'accès des opérateurs économiques européens à leurs propres contrats de la commande publique à cesser ces discriminations à l'encontre des entreprises et des prestations de l'Union européenne et à conclure avec elle de tels accords (« level playing field ») ;
- clarifier les règles de détermination de la nationalité des opérateurs économiques et de l'origine des travaux, fournitures et services en matière de commande publique ;
- et à permettre la mise en oeuvre, en toute sécurité juridique, de l'article L. 2153-1 du code de la commande publique, y compris à l'égard des opérateurs, fournitures, services et travaux issus des pays tiers non-signataires d'un accord relatif à l'accès aux marchés publics conclu avec l'UE372(*).
3. La problématique de la préférence européenne : aller plus loin dans le cadre de la révision des directives de 2014
La mise en place d'un véritable principe de préférence européenne généralisée doit être une priorité dans le cadre de la révision des directives, notamment pour accélérer la structuration des filières économiques à l'échelle de l'Union européenne.
a) Pour garantir la sécurité et la résilience de nos économies
Les directives relatives à la commande publique devraient prendre en compte la nécessité d'assurer la sécurité des approvisionnements. Alors que l'économie européenne fait face à des difficultés pour s'approvisionner en produits essentiels, y compris en médicaments, la directive 2014/24/UE régissant les secteurs classiques n'offre aucune latitude pour permettre aux acheteurs de prendre des dispositions visant à assurer la sécurité des approvisionnements. Une telle disposition existe, en revanche, aux articles 23 et 42 de la directive relative aux marchés de défense et de sécurité (directive 2009/81).
De manière générale, il serait opportun de prévoir au niveau européen des dispositions spécifiques permettant aux États membres, en cas de menace pesant sur leur population ou de circonstances exceptionnelles qu'ils pourront eux-mêmes définir, d'assouplir voire de déroger aux règles relatives à l'égalité de traitement des entreprises à raison de leur origine pour privilégier un approvisionnement européen.
b) Pour répondre aux situations d'urgence ou de crise
Introduire une préférence européenne pourrait avoir un effet bénéfique sur la rapidité des procédures destinée à répondre à des situations d'urgence ou de crise.
De manière générale, les directives devraient accorder plus de souplesse aux pouvoirs adjudicateurs, s'agissant de la passation et de la modification de leurs contrats, faisant face à des situations d'urgence.
Cela pourrait, notamment, passer par une extension de la notion d'urgence qui permettrait de couvrir des situations telles que les catastrophes naturelles, crises sanitaires, conflits armés, émeutes, mais aussi la défaillance d'un fournisseur mettant en péril l'exécution du contrat et à laquelle il ne pourrait être remédié autrement que par une modification urgente, etc.
Dans ces cas d'urgence, les pouvoirs adjudicateurs pourraient être autorisés à conclure un contrat sans publicité ni mise en concurrence préalable.
Une exclusion du champ d'application des directives pourrait être créée en faveur des contrats stratégiques destinés à prévenir les situations dangereuses ou à garantir l'approvisionnement de certains biens et services.
c) Saisir l'occasion de la révision des directives pour introduire une exception alimentaire
La révision des directives est un important levier d'action pour inscrire dans le droit européen de la commande publique un véritable ancrage territorial des achats de denrées alimentaires, participant à l'effort de sécurité et de souveraineté alimentaires au niveau de l'Union européenne.
Il est en effet urgent d'agir en la matière pour mettre en cohérence le cadre juridique et les stratégies nationales et européennes afin de promouvoir un modèle alimentaire local, régional, national et européen plus résilient et plus durable. Il convient à cet effet d'introduire, à l'occasion de la révision des directives relatives à la commande publique, des dispositions spécifiques aux achats alimentaires, au travers d'une « exception alimentaire ».
La commande publique est en l'espèce un levier majeur pour contribuer à structurer les systèmes alimentaires territoriaux, par l'effet d'entraînement qu'elle génère et les masses financières qu'elle mobilise, en soutien à nos agriculteurs pour garantir la juste rémunération de leur travail.
Le droit européen doit donc évoluer pour introduire, dans les marchés publics d'achats alimentaires, un critère de proximité, s'inscrivant dans une démarche, cohérente au plan européen, visant à renforcer la résilience du territoire et développer les circuits courts. Il faut que les producteurs locaux puissent se positionner sur ces marchés sans accroître les risques de contentieux. Cela contribuera à la fois à la transition écologique et à la souveraineté alimentaire, européenne, qui passe par des systèmes productifs locaux et durables.
Recommandation n° 18. - Défendre une exception alimentaire à l'échelle européenne pour faciliter le recours aux producteurs locaux.
d) Pourquoi limiter la préférence européenne à certains secteurs ?
Sur le modèle de la boussole pour la compétitivité373(*) de l'Union européenne, la Commission européenne, comme cela a été confirmé à la délégation de la commission d'enquête à Bruxelles, a proposé d'introduire « une préférence européenne dans les marchés publics pour les secteurs critiques et technologiques ». Cette proposition va de pair avec celle qui a été inscrite dès le 26 février 2025 dans le Pacte pour l'industrie propre374(*).
Ainsi, Mme Clémence Olsina, directrice des affaires juridiques des ministères économiques et financiers, a souligné que c'était la première fois que la Commission européenne employait « expressément le terme de préférence européenne »375(*), dont la définition précise et juridique constitue « l'un des enjeux de la révision et de la négociation »376(*) des directives récemment engagées. Elle a surtout énoncé que les autorités françaises y étaient « favorables, et ce de façon transversale, pas seulement pour quelques secteurs stratégiques mais pour le cadre général de la commande publique applicable au niveau européen »377(*).
Partageant cette position, la délégation de la commission d'enquête a défendu auprès de ses interlocuteurs à Bruxelles, et en particulier les services de la Commission européenne et le cabinet du Commissaire Séjourné, l'introduction d'un principe de préférence européenne qui ne se limite pas à certains secteurs, afin de favoriser les produits fabriqués sur le territoire européen et non pas revendus par un importateur.
La définition de l'origine européenne des produits et services concernés et les conséquences à en tirer devraient, dans ce cadre, faire l'objet d'un travail approfondi (cf. infra).
e) Le traitement des offres en provenance des pays tiers non couverts par l'AMP
Les directives relatives à la commande publique pourraient comprendre un article dédié au traitement des offres de pays tiers non couverts par l'AMP.
Ainsi, au principe proclamé à l'origine, dans un contexte mondial très différent, d'une ouverture générale de la commande publique européenne aux opérateurs et prestations non couverts par l'AMP ou tout accord équivalent pourrait succéder un principe inverse de fermeture sauf à démontrer, au cas par cas, qu'un opérateur tiers bénéficie d'une mesure d'ouverture, charge étant laissée à l'opérateur économique candidat de le démontrer.
En outre, le dispositif de préférence reconnu aux entités adjudicatrices par l'article 85 de la directive 2014/25 s'agissant des marchés de fournitures, et transposé à l'article L. 2153-2 du code de la commande publique, pourrait être étendu aux marchés passés par des pouvoirs adjudicateurs (cf. supra recommandation n° 7).
L'AMP, à cet égard, ne paraît pas constituer une contrainte. En effet, un droit, ou une obligation, de préférence n'est pas en soi contraire au principe de traitement équivalent prévu par cet accord, si seules des prestations non couvertes par l'AMP sont visées.
À cet égard, il importe de bien distinguer l'appréciation de la localisation d'une offre spécifique, en se gardant de tout localisme exacerbé. Qu'est-ce en effet qu'une entreprise française ou européenne ? Une entreprise dont le siège, éventuellement aux faibles effectifs, serait domicilié en France ou en Europe, ou une entreprise dont les produits ou les services incorporeraient une part prépondérante, à déterminer, d'origine française ou européenne, en s'inspirant éventuellement des exemples américains cités ci-dessus.
La mise en place de la préférence européenne devrait donc conduire les acheteurs à demander aux fournisseurs l'origine des produits qu'ils achètent, et les fournisseurs à transmettre ces informations pour pouvoir accéder aux marchés.
La réforme pourrait ainsi intégrer des dispositions permettant de déterminer l'origine des produits et des opérateurs, sur le modèle de l'article 3 du règlement Impi.
L'article 3 du règlement du
23 juin 2022
dit « Instrument relatif aux
marchés publics internationaux » (Impi)
Article 3
Détermination de l'origine
1. L'origine de l'opérateur économique est réputée être :
a) dans le cas d'une personne physique, le pays dont la personne est un ressortissant ou où cette personne jouit d'un droit de séjour permanent ;
b) dans le cas d'une personne morale, l'un ou l'autre des pays déterminés comme suit :
i) le pays selon la législation duquel la personne morale est constituée ou autrement organisée et sur le territoire duquel elle effectue des opérations commerciales substantielles ;
ii) si la personne morale n'effectue pas des opérations commerciales substantielles sur le territoire du pays dans lequel elle est constituée ou autrement organisée, l'origine de la personne morale est celle de la personne ou des personnes qui peuvent exercer, directement ou indirectement, une influence dominante sur la personne morale en vertu de leur propriété de celle-ci, de leur participation financière à celle-ci ou des règles qui régissent cette personne morale.
Aux fins du premier alinéa, point b) ii), il est présumé que cette personne ou ces personnes ont une influence dominante sur la personne morale si, directement ou indirectement, elles :
a) détiennent la majorité du capital souscrit de la personne morale ;
b) disposent de la majorité des voix attachées aux parts émises par la personne morale ; ou
c) peuvent désigner plus de la moitié des membres de l'organe d'administration, de direction ou de surveillance de la personne morale.
2. Lorsqu'un opérateur économique est un groupe de personnes physiques ou morales ou d'entités publiques, ou toute combinaison de celles-ci, et qu'au moins une de ces personnes ou entités provient d'un pays tiers où les opérateurs économiques, les biens ou les services sont soumis à une mesure relevant de l'IMPI, cette mesure s'applique également aux offres soumises par ce groupe.
Toutefois, lorsque la participation de ces personnes ou entités d'un groupe représente moins de 15 % de la valeur d'une offre soumise par ce groupe, la mesure relevant de l'IMPI ne s'applique pas à cette offre, sauf si ces personnes ou entités sont nécessaires pour atteindre la majorité pour au moins un des critères de sélection d'une procédure de passation de marchés publics.
3. Les pouvoirs adjudicateurs ou entités adjudicatrices peuvent, à tout moment au cours de la procédure de passation de marchés publics, demander à l'opérateur économique de soumettre, de clarifier ou de compléter les informations ou les documents liés à la vérification de son origine dans un délai approprié, pour autant que ces demandes soient en conformité avec les principes d'égalité de traitement et de transparence. Lorsque l'opérateur économique ne fournit pas ces informations ou ces documents sans apporter d'explication raisonnable, empêchant ainsi les pouvoirs adjudicateurs ou les entités adjudicatrices de vérifier son origine ou rendant cette vérification pratiquement impossible ou très difficile, cet opérateur économique est exclu de la participation à la procédure de passation de marché public concernée.
(...)
Une telle préférence européenne généralisée pour les marchés publics, ardemment souhaitée par cette commission d'enquête, ne peut être applicable sans l'instauration d'un large droit de regard des pouvoirs adjudicateurs sur l'origine des produits et des services qu'ils achètent.
f) Une priorité à défendre
Instaurer une telle préférence européenne, sans limitation à certains secteurs, est une priorité de la réforme à venir pour cette commission d'enquête, qui entend le faire largement partager et assumer par toutes les parties prenantes et d'abord par la France. Tous les leviers d'influence évoqués plus haut devraient être mobilisés par les autorités françaises afin de mobiliser une communauté d'action européenne autour de l'intérêt stratégique de la commande publique.
Au sein de la Commission européenne, il serait éminemment souhaitable que le vice-président exécutif en charge du pilotage de cette réforme emmène ses collègues dans une véritable dynamique afin que la verticalité propre aux directions générales soit « désilotée » en faveur de l'intérêt général européen, dans une approche de la commande publique incluant et la politique industrielle et la politique commerciale pour reconquérir une souveraineté économique, agricole, industrielle et numérique européenne.
Pour commencer, un principe général d'interdiction d'accès à la commande publique européenne pourrait être posé pour les produits et prestations provenant de pays non signataires de l'AMP ou d'un accord équivalent, qui ne se limiterait donc pas à certains secteurs.
Il conviendrait également de garantir une réciprocité effective dans l'accès à la commande publique entre les pays signataires de tels accords.
Les autres objectifs de la réforme, tels que les envisage la commission d'enquête, en matière de cybersécurité, de résilience, de durabilité environnementale et sociale, et territoriale, non dans un localisme rigide mais dans une perspective d'articulation avec la politique de cohésion et d'autres politiques européennes visant à réduire les inégalités, n'en prendraient que plus de poids.
Recommandation n° 19. - Instaurer, dans le cadre de la révision des directives européennes sur la commande publique, un principe général de préférence européenne dans les achats des personnes publiques.
* 351 Audition de M. Alain Juillet le 8 avril 2025.
* 352 Ibid.
* 353 Jusqu'au 1er janvier 2025, les pays de l'accord USMCA (United States-Mexico-Canada Agreement), le Chili, Singapour, l'Australie, le Maroc, les pays de l'accord CAFTA-DR (The Dominican Republic-Central America-United States Free Trade agreement), Bahreïn, Oman, le Pérou, la Corée du Sud, la Colombie, le Panama.
* 354 Cf. étude de législation comparée, en annexe, p.53.
* 355 Ibid. p. 54.
* 356 Étude de législation comparée en annexe, p. 55.
* 357 Infrastructure Investments and Jobs Act, IIJA - articles 70901 à 70927.
* 358 Ibid.
* 359 Ibid.
* 360 https://trade.ec.europa.eu/access-to-markets/en/barriers/details?isSps=false&barrier_id=11190 (consulté le 26 mai 2025).
* 361 Étude de législation comparée, en annexe, p. 28.
* 362 Id. p.43.
* 363 Ibid.
* 364 Ibid.
* 365 Articles 277, 287 et 288 de l'accord de commerce et de coopération entre l'Union européenne et le Royaume-Uni.
* 366 Article 276 de l'accord précité.
* 367 Cf. Stéphane de la Rosa, Droit européen de la commande publique, op. cit. pp. 142-146.
* 368 Cf. liste sur https://www.wto.org/french/tratop_f/gproc_f/memobs_f.htm
* 369 Ibid.
* 370 Source : Secrétariat général des affaires européennes.
* 371 Règlement (UE) 2022/1031 du Parlement européen et du Conseil du 23 juin 2022 concernant l'accès des opérateurs économiques, des biens et des services des pays tiers aux marchés publics et aux concessions de l'Union et établissant des procédures visant à faciliter les négociations relatives à l'accès des opérateurs économiques, des biens et des services originaires de l'Union aux marchés publics et aux concessions des pays tiers (Instrument relatif aux marchés publics internationaux -- Impi) ; cf. ci-dessus I-D 4) a - pp. 102-105.
* 372 Fiche technique de la DAJ, ministère de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique téléchargeable sur https://www.economie.gouv.fr/daj/la-daj-publie-une-fiche-technique-sur-lacces-des-offres-de-pays-tiers-aux-marches-publics
* 373 Communication de la Commission : « Une boussole pour la compétitivité de l'UE », publiée le 29 janvier 2025, cf. https://commission.europa.eu/topics/eu-competitiveness/competitiveness-compass_fr
* 374 Cf. https://commission.europa.eu/topics/eu-competitiveness/clean-industrial-deal_fr
* 375 Audition de Clémence Olsina, 2 avril 2025.
* 376 Ibid.
* 377 Ibid.