C. L'ENCHEVÊTREMENT DES COMPÉTENCES ENTRE LES ACTEURS CENTRAUX DE L'ACHAT PUBLIC APPELLE DES CLARIFICATIONS POUR AMÉLIORER L'EFFICACITÉ DE L'ACTION PUBLIQUE

1. Une pluralité d'acteurs centraux qui nuit à la lisibilité de la commande publique au niveau national et dilue les responsabilités

Dès ses premières auditions, la commission d'enquête s'est heurtée à la particulière illisibilité de l'articulation entre les principaux acteurs de la commande publique au niveau central.

Cet état de fait a été mis en lumière par M. Jean-Marc Joannès, rédacteur en chef d'achatpublic.info, qui constate « une "cartographie" des "autorités achat public" assez touffue, voire un enchevêtrement des missions et des compétences » et estime que les échanges entre la commission d'enquête et la direction des affaires juridiques (DAJ) des ministères économiques et financiers « montrent que les frontières et compétences entre les différentes autorités ne sont pas très claires et expliquent (ou justifient) des carences dans la remontée des données »93(*).

De fait, aucune des administrations entendues ne peut être expressément qualifiée de « pilote » de la commande publique à l'échelle nationale.

a) La direction des achats de l'État, cheville ouvrière de la politique des achats de l'État

Créée en 201694(*) et placée sous l'autorité conjointe du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique et de la ministre chargée des comptes publics, la direction des achats de l'État (DAE), qui compte une centaine d'agents, exerce bel et bien des fonctions de pilotage, mais celles-ci sont limitées au champ de la politique des achats de l'État - à l'exclusion notable des achats de défense et de sécurité, qui relèvent pratiquement en totalité du ministère des armées.

Comme l'a précisé devant la commission d'enquête M. François Adam, directeur des achats de l'État, « le pilotage implique de fixer des orientations, de définir des stratégies d'achat par segment d'achat, d'établir des indicateurs et de performance et de les suivre »95(*).

Les missions de la direction des achats de l'État (DAE)

Le décret n° 2016-247 du 3 mars 2016 créant la DAE et relatif à la gouvernance des achats de l'État assigne trois missions principales à cette direction. Celle-ci est ainsi principalement chargée de :

piloter la politique des achats de l'État, hors achats de défense et de sécurité, et d'animer la politique des achats des établissements publics de l'État, hors secteur hospitalier ;

- appuyer les services acheteurs des ministères et des établissements publics de l'État, notamment par un dispositif de formation et par la maîtrise d'ouvrage du système d'information des achats de l'État (SIA), dont la plateforme des achats de l'État (Place) est l'une des composantes ;

passer directement les marchés mutualisés au profit de l'État et des établissements publics intéressés pour certaines catégories d'achats, comme l'énergie - qui représente une dépense de l'ordre d'un milliard d'euros par an -, la maintenance immobilière ou encore certaines catégories de prestations informatiques et intellectuelles.

Par ailleurs, la DAE assure également la tutelle de l'Union des groupements d'achats publics (Ugap), conjointement avec la direction du budget et le ministère de l'éducation nationale. Elle lui confie ainsi la réalisation de certains achats, sous son contrôle.

Dans l'exercice de ces missions, « la DAE est une « tête de réseau », fortement tournée vers l'interministériel et en interaction avec des interlocuteurs très divers »96(*) :

- elle est en lien permanent avec les onze responsables ministériels des achats (RMA) placés auprès des secrétaires généraux des ministères, qui sont chargés de piloter la fonction achat de leur ministère et de garantir sa cohérence avec la politique interministérielle des achats ;

- elle anime l'activité des plateformes régionales des achats (PFRA), placées, dans chaque préfecture de région, auprès du secrétaire général pour les affaires régionales (SGAR), et qui assurent la mutualisation des achats au niveau déconcentré ;

- elle est en relation régulière avec l'ensemble des directions d'administration centrale concernées par certains enjeux des politiques d'achat : la DAJ des ministères économiques et financiers s'agissant du droit de la commande publique, la direction générale des entreprises (DGE) pour ce qui concerne les enjeux industriels et le soutien à l'innovation, la direction du budget, le commissariat général au développement durable (CGDD) autour des questions liées à la performance écologique de l'achat public, la direction interministérielle du numérique (Dinum) ou encore la direction de l'immobilier de l'État ;

- elle interagit également avec les services achat des principaux établissements publics de l'État, tels que France Travail, le Centre national de la recherche scientifique (CNRS), les universités et les établissements culturels, et avec la direction générale de l'offre de soins (DGOS), qui pilote les achats hospitaliers.

En revanche, s'agissant des établissements publics de l'État, qui bénéficient d'une réelle autonomie, la DAE se borne à exercer un rôle d'animation de leurs politiques d'achat. De même, ainsi que l'a rappelé M. Adam, cette direction n'intervient ni en direction du secteur public local, ni dans le champ de la santé.

De fait, l'accompagnement de la structuration, de l'optimisation et de la professionnalisation des achats hospitaliers est assuré, au sein de la DGOS, par la mission « Performance hospitalière pour des achats responsables » (Phare), tandis qu'aucune structure spécifique n'est dédiée aux questions relatives aux achats des collectivités territoriales - à l'exception de la cellule d'information juridique aux acheteurs publics (Cijap) de Lyon, qui dépend du ministère chargé de l'économie et des finances.

b) L'intervention de la direction des affaires juridiques des ministères économiques et financiers dans le champ de la commande publique

Créée sous sa forme actuelle en 199897(*), la DAJ des ministères économiques et financiers exerce, par le biais de sa sous-direction du droit de la commande publique, qui compte une quarantaine d'agents, une fonction de conseil, d'expertise et d'assistance auprès des directions du ministère chargé de l'économie, des finances et de l'industrie ou à la demande des autres administrations de l'État et de ses établissements publics98(*).

Contrairement à la DAE, cette direction n'est donc pas prescriptrice dans le champ de la commande publique, mais se borne à assurer la conformité juridique des achats publics dont elle est saisie, au titre de sa mission d'élaboration du droit français de la commande publique.

Les missions de la direction des affaires juridiques (DAJ) des ministères économiques et financiers en matière d'achat public

Le décret n° 2019-1454 du 24 décembre 2019 relatif à la DAJ des ministères économiques et financiers confie à cette direction trois missions principales en lien avec la commande publique.

En premier lieu, la DAJ analyse le droit de la commande publique et propose au ministre chargé de l'économie des réformes de la législation ou de la réglementation dans ce domaine. Si elle ne dispose pas du monopole de l'initiative normative en la matière, elle définit, dans le cadre de la coopération interministérielle, les positions défendues par la France sur ces questions devant les institutions de l'Union européenne.

La DAJ assume par ailleurs un rôle de conseil aux acheteurs dont peuvent bénéficier les directions des ministères économiques et financiers et l'ensemble des administrations de l'État et de ses établissements publics. Elle assure dans ce cadre un millier de consultations chaque année.

À ce titre, il lui revient également de diffuser la doctrine d'application du droit de la commande publique et la connaissance du droit au travers, notamment, de :

- la mise en ligne de fiches techniques, de documents-types d'aide à la rédaction des décisions et actes importants en matière de commande publique, de réponses à des questions fréquemment posées, de guides et de recommandations à destination des acheteurs publics, des autorités concédantes et des opérateurs économiques ;

- la diffusion de lettres et de brèves d'information au sujet des nouvelles règles adoptées et des décisions importantes rendues par les juges européens et nationaux ;

- sa collaboration avec des structures partenariales telles que la Cijap, chargée de la réponse aux questions des collectivités territoriales, de leurs groupements et établissements publics, des structures déconcentrées de l'État et des acheteurs publics dont la compétence n'est pas étendue à l'ensemble du territoire, le pôle national de soutien au réseau des comptables publics (PNSR), la mission d'appui au financement des infrastructures (FinInfra) et la commission consultative des marchés des organismes de sécurité sociale (CCMOSS), chargée du conseil en matière d'achat public à destination des organismes de sécurité sociale.

Enfin, il appartient à la DAJ de mener un suivi économique, statistique et technique de l'achat public, au travers, notamment, de l'Observatoire économique de la commande publique (OECP). Responsable du recensement des données essentielles de la commande publique et du pilotage de certains chantiers numériques ou de dématérialisation, elle pilote à ce titre la plateforme des achats de l'État (Place).

Or, l'articulation de ces missions avec celles de la DAE n'est pas toujours claire. Interrogée sur les moyens dont elle dispose pour contraindre l'État à respecter ses obligations légales, notamment pour ce qui concerne la publication d'un schéma de promotion des achats socialement et écologiquement responsables (Spaser), la directrice de la DAJ, Mme Clémence Olsina, a ainsi précisé son périmètre d'intervention : « La DAJ a un rôle de conseil, de partenaire et d'observateur - et ces rôles nourrissent nos propositions de normes nouvelles. Un rôle de conseil : tous les marchés conclus par les ministères ne transitent pas par la DAJ, heureusement. Nous sommes experts du cadre juridique existant et nous sommes là pour clarifier ou apporter de la sécurité juridique, mais nous n'exerçons pas de contrôle préalable de légalité. Nous sommes des interlocuteurs permanents de la DAE, nous sommes saisis chaque fois qu'une difficulté juridique apparaît, par exemple lorsqu'il faut faire usage des concepts d'urgence ou de circonstances exceptionnelles, pour faire face à des besoins inédits. On nous demande aussi de faire le point sur des évolutions normatives, comme les considérations environnementales. [...] Nous avons ensuite un rôle de partenaire sur certains chantiers, en particulier numériques, dès lors qu'ils concernent Place et plus largement les opérateurs de la commande publique et des éditeurs de profils d'acheteur. La DAJ est partenaire dès lors qu'on excède le seul champ de l'État et qu'apparaissent des enjeux d'interopérabilité avec les autres acheteurs. Enfin, nous avons un rôle d'observateur et nous intégrons tous les "irritants" pour proposer des évolutions normatives au plan interne ou européen »99(*).

Au-delà de cette fonction de conseil, la DAJ se trouve en première ligne dans le cadre du processus de révision des directives européennes sur la commande publique engagé récemment par la Commission européenne (cf. infra).

c) L'élargissement récent du rôle du Commissariat général au développement durable au suivi de la mise en oeuvre des dispositions législatives relatives à l'achat durable

À côté de la DAE et de la DAJ des ministères économiques et financiers, un nouvel acteur intervient dans le champ de la commande publique au niveau central depuis quelques années : le Commissariat général au développement durable (CGDD), mis en place en 2008 pour élaborer, animer et suivre la stratégie nationale de développement durable100(*).

En effet, celui-ci est chargé du pilotage du verdissement de l'économie ainsi que de l'achat et de la consommation durables, et notamment du suivi de la mise en oeuvre d'un certain nombre de dispositions législatives qui y sont relatives.

Les missions du CGDD en matière d'achat public

Le CGDD assure la mise en oeuvre de plusieurs dispositions législatives intervenant dans le champ de l'achat durable. Il s'agit notamment de :

- l'article 58 de la loi n° 2020-105 du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l'économie circulaire, dite loi Agec, qui impose depuis 2021 à l'État, aux collectivités territoriales et à leurs groupements l'acquisition d'une certaine proportion de biens issus de l'économie circulaire ;

- l'article 35 de la loi n° 2021-1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, dite loi Climat et résilience, qui impose, à compter d'août 2026, l'intégration d'une clause et d'un critère environnemental dans tous les contrats de la commande publique - le CGDD pilote et anime le plan national pour des achats durables (Pnad) pour permettre le respect de ces dispositions ;

- l'article 36 de la même loi, qui prévoit que l'État mette à la disposition des acheteurs publics des outils d'analyse du cycle de vie (ACV) des biens pour les principaux segments d'achat à compter du 1er janvier 2025 - des travaux de développement de méthodologies d'ACV sont menés à ce titre par le CGDD depuis plusieurs années.

Par ailleurs, le CGDD est chargé du pilotage du plan national pour des achats durables (Pnad) ainsi que du dispositif « Services publics écoresponsables », dont l'objectif est d'assurer la transition écologique de tous les services de l'État ainsi que de ses établissements publics et opérateurs, notamment dans la dimension achats. Dans ce cadre, le CGDD assure le suivi de l'avancement des travaux, la coordination de la production d'outils et de ressources et un accompagnement spécifique en cas de difficulté.

Les nombreuses interactions du CGDD avec la DAE soulèvent elles aussi la question de la répartition des compétences entre ces entités et de l'enchevêtrement des responsabilités s'agissant du pilotage de l'achat public au niveau national.

M. Brice Huet, commissaire général au développement durable, évoque ainsi ses relations avec la DAE : « On collabore en particulier avec elle dans le cadre du pilotage du Pnad, sachant que les achats de l'État vont probablement réussir à se conformer aux objectifs de la loi Climat et résilience en matière d'intégration de clauses environnementales. Nos efforts se joignent à ceux de la DAE également dans le domaine des services publics écoresponsables, autre chantier que l'on pilote »101(*).

Là encore, à l'endroit des collectivités territoriales, les prérogatives des administrations centrales sont sensiblement plus limitées : « Concernant l'impact et le pouvoir de prescription et d'orientation du CGDD, si on travaille main dans la main avec la DAE, il en va forcément différemment avec les collectivités, en l'absence de rôle prescriptif. On endosse un rôle de mobilisation avec l'ensemble des réseaux, en utilisant la totalité des moyens que je vous ai décrits ainsi que de nouveaux outils, car on poursuit la recherche de nouvelles pistes pour aller plus loin dans le volume de marchés qui est concerné »102(*).

d) Affirmer le pilotage par le Premier ministre de la politique nationale de la commande publique

Il est difficile de voir clair au travers de cette architecture centrale particulièrement confuse au sein de laquelle les responsabilités sont diluées et parfois difficilement attribuables. Il faut d'urgence mettre un capitaine à la barre.

Aux yeux de la commission d'enquête, la responsabilité du pilotage de la commande publique doit directement incomber au Premier ministre, qui serait ainsi le garant de sa cohérence et de son efficience. En effet, s'ils sont, en théorie, libres de définir leur politique d'achat, les hôpitaux et les collectivités territoriales ne disposent pas de la maîtrise de leurs ressources et se trouvent par conséquent contraints par des décisions relevant du Gouvernement.

Il paraît donc souhaitable, d'une part, de confier explicitement au Premier ministre cette responsabilité et, d'autre part, d'envisager la création d'un comité interministériel de l'achat public. Ce dernier aurait vocation à rassembler des représentants de l'État, des hôpitaux, des collectivités territoriales et de l'ensemble des acteurs soumis au droit de la commande publique, pouvoirs adjudicateurs et entités adjudicatrices confondues, et pourrait être chargé d'une mission de concertation, d'harmonisation des textes, de diffusion des bonnes pratiques, d'identification des difficultés et de mutualisation des moyens, notamment en matière de collecte et d'analyse des données.

Le pilotage de l'Observatoire économique de la commande (OECP), une instance de concertation et d'échanges d'informations avec les opérateurs économiques, les pouvoirs adjudicateurs et les entités adjudicatrices contribuant à la diffusion des bonnes pratiques et analysant les données relatives aux aspects économiques et techniques de la commande publique actuellement placée auprès du ministre chargé de l'économie103(*), pourrait, dans ce cadre, lui être transféré.

Recommandation n° 4. - Au vu des enjeux politiques et budgétaires et de l'inefficacité de sa gouvernance, confier au Premier ministre la responsabilité du pilotage, de la cohérence et de l'efficience de la politique nationale de commande publique.

Recommandation n° 5. - Créer un comité interministériel de l'achat public, instance de concertation sur la commande publique rassemblant l'État, les hôpitaux, les collectivités territoriales et l'ensemble des acteurs soumis au droit de la commande publique.

Il importe également que le Parlement soit mieux associé à la définition des orientations et au suivi de la politique d'achat de l'État. À défaut d'une approbation du Spaser par celui-ci, il apparaît indispensable à la commission d'enquête que chaque année le Gouvernement vienne présenter devant l'Assemblée nationale et le Sénat les résultats atteints dans ce domaine, notamment au regard des indicateurs contenus dans le Spaser de l'État, dont l'adoption est attendue très prochainement (cf. infra), et de l'activité des centrales d'achat, au premier rang desquelles figure l'Ugap.

Recommandation n° 6. - Organiser un débat annuel d'évaluation de la politique d'achat de l'État au Parlement, incluant le suivi du schéma de promotion des achats publics socialement et écologiquement responsables (Spaser) et de l'activité des centrales d'achat, dont l'Ugap.

2. La politique des achats de l'État, une stratégie complexe dont la mise en oeuvre implique le concours de multiples acteurs
a) La direction des achats de l'État définit et conduit la politique des achats de l'État et élabore dans ce cadre des stratégies interministérielles
(1) La conception et le suivi de la mise en oeuvre de la politique des achats de l'État sont assurés par la direction des achats de l'État

La politique des achats de l'État est définie et pilotée par la DAE, qui s'assure de son application par les ministères et les établissements publics de l'État.

Trois objectifs principaux sont poursuivis par l'État dans la mise en oeuvre de cette politique :

- la maîtrise de la dépense, qui repose sur la mutualisation des achats à l'échelle ministérielle et interministérielle et la standardisation du besoin. Ainsi que l'a expliqué M. François Adam, directeur des achats de l'État, « les marchés gérés par la DAE étant mutualisés, nous faisons face à des ministères exprimant des besoins légèrement différents, compte tenu des particularités de la mission qu'ils exercent. Or il est toujours préférable d'aboutir à une certaine standardisation du besoin et des périmètres suffisamment larges pour obtenir de bons prix » 104(*) ;

- l'achat responsable, qui se traduit par la mise en oeuvre des dispositions législatives relatives à cet enjeu adoptées au cours des dernières années, et notamment de l'article 35 de la loi Climat et résilience, ainsi que de mesures sectorielles ;

- et l'optimisation de l'incidence économique de la commande publique, par le biais du maintien du niveau de l'achat auprès des PME, du développement de l'achat innovant, notamment en direction des start-ups, et du soutien aux filières industrielles françaises et européennes.

M. François Adam a rappelé à cet égard l'horizon poursuivi dans le cadre de la mise en oeuvre de la stratégie d'achat de l'État : « Nous devons atteindre ces trois objectifs en respectant évidemment les deux fondamentaux de la démarche d'achat : la sécurité juridique - exigence permanente pour toutes nos procédures - et la réponse aux besoins opérationnels des administrations »105(*).

La conception et le suivi de la mise en oeuvre de la politique des achats de l'État

La DAE s'est notamment vue confier une fonction de conception et d'orientation, dans le cadre duquel elle :

définit, sous l'autorité du Premier ministre, la politique des achats de l'État, et s'assure de sa mise en oeuvre après concertation avec les ministères ;

- élabore, après concertation interministérielle au sein du comité des achats de l'État, les stratégies interministérielles concernant les achats relevant d'une même famille et portant sur les besoins communs à plusieurs ministères ;

- conclut les marchés publics destinés à répondre, dans le cadre de la mise en oeuvre des stratégies d'achat interministérielles, aux besoins des services de l'État en matière de travaux, services et fournitures, exception faite du cas où elle en confie la conclusion, pour son compte, à un autre service de l'État, à l'Ugap, à une autre centrale d'achat public ou à un établissement public de l'État, les services de l'État pouvant conclure des marchés publics pour les achats qui n'en ont pas fait l'objet ou pour le compte de la DAE ;

s'assure que les achats de l'État et, en lien avec les autorités de tutelle concernées, les achats des établissements publics et organismes relevant de la tutelle de l'État respectent la politique des achats de l'État et sont effectués dans les conditions économiquement les plus avantageuses, qu'ils respectent les objectifs de développement durable et de développement social, qu'ils sont réalisés dans des conditions facilitant l'accès des PME à la commande publique et qu'ils contribuent à la diffusion de l'innovation ;

- et conçoit et pilote le SIA de l'État106(*).

À ce titre, elle participe à la définition des orientations générales de la politique des achats de l'État, définies par des textes législatifs et réglementaires, des plans gouvernementaux tels que le troisième plan national d'adaptation au changement climatique, publié en mars 2025, ou des circulaires du Premier ministre, par exemple pour ce qui concerne la gestion des véhicules (2020), l'encadrement du recours aux prestations intellectuelles (2022 et 2023) ou le plan de transformation écologique de l'État (2023).

La DAE s'assure également de l'exécution de la politique des achats de l'État par le biais, notamment, des rapports d'exécution que lui transmettent les ministères et les préfets de région, des indicateurs d'activité et de performance communiqués par les établissements publics les plus importants ainsi que du SIA de l'État et du système d'information financier, baptisé Chorus, auxquels elle dispose d'un accès direct lui permettant de suivre les projets d'achat en préparation, les consultations lancées dans Place, les marchés notifiés, les actes d'exécution financière de la dépense et le niveau des engagements et paiements.

Ce suivi est par ailleurs mené par la DAE dans le cadre de son rôle d'animation fonctionnelle des responsables ministériels des achats (RMA), qui relèvent de l'autorité hiérarchique de leurs ministres respectifs, et d'animation de la politique des achats des établissements publics de l'État, qui se traduit par la réunion régulière du comité des achats des établissements publics et de nombreux échanges informels avec ces derniers.

Dans l'exercice de sa mission de pilotage de la politique des achats de l'État, la DAE suit un certain nombre d'indicateurs de performance, qui sont produits à partir du SIA et du système d'information financier de l'État, Chorus, et autour desquels est structurée la stratégie d'achat de l'État :

- le « gain achat » s'agissant de l'objectif de maîtrise de la dépense. Comme l'a expliqué à la commission d'enquête M. François Adam, « pour un achat récurrent, nous comparons systématiquement le prix obtenu dans le cadre du marché le plus récent avec le prix précédent, corrigé de l'inflation, et nous regardons si nous avons obtenu un meilleur prix », ce qui aurait permis de constater que l'État et ses établissements publics avaient généré « plus de 700 millions d'euros de gains achat par an » au cours des dernières années107(*) ;

- le nombre de marchés intégrant des considérations environnementales ou sociales pour ce qui concerne l'objectif d'achat responsable. Plus de 70 % des marchés de l'État auraient ainsi inclus une considération environnementale en 2024 et environ 40 % d'entre eux une considération sociale ;

- en matière d'optimisation de l'incidence économique de la commande publique, la part des dépenses d'achat dirigée vers les PME de façon générale, et vers les entreprises innovantes en particulier. En 2023, selon M. Adam, les achats de l'État auprès des PME représentaient 27 % de la dépense totale, contre 9,6 % pour les PME et ETI innovantes - dont 2,7 % pour les seules PME innovantes.

(2) Certains segments d'achat sont couverts par des stratégies interministérielles

Des stratégies interministérielles sont élaborées par la DAE concernant les achats relevant d'une même famille et portant sur les besoins communs à plusieurs ministères.

50 stratégies de cette nature étaient en vigueur à la fin de 2024, autour des principaux segments d'achat communs aux ministères, notamment l'énergie et les carburants, l'informatique et les télécoms, la maintenance et l'exploitation des bâtiments, les moyens de communication, les fournitures courantes et certaines catégories de prestations intellectuelles et de formation.

Par ailleurs, depuis 2024, trois nouveaux segments sont eux aussi couverts par une stratégie interministérielle : les achats de panneaux photovoltaïques, ceux de pompes à chaleur et la maintenance des matériels de sécurité incendie.

Ces stratégies donnent généralement lieu à la passation de marchés interministériels nationaux ou régionaux sur tout ou partie de leur périmètre, mais peuvent également impliquer le recours obligatoire à des supports contractuels de l'Ugap, comme pour l'acquisition de véhicules neufs.

Selon la DAE, 84 accords-cadres interministériels nationaux passés par elle ou délégués à un ministère étaient en cours d'exécution à la fin de 2024, représentant 243 lots. C'était également le cas, à la même date, de 4 500 contrats interministériels régionaux passés par les plateformes régionales des achats de l'État (PFRA).

Les achats mutualisés de l'État atteignaient 1,95 milliard d'euros en 2024, dont 1,64 milliard d'euros pour les marchés interministériels nationaux et 310 millions d'euros pour les marchés interministériels régionaux. En y ajoutant les dépenses résultant de commandes passées sur des supports contractuels de l'Ugap, le total des achats mutualisés au niveau interministériel représentait 3,73 milliards d'euros.

Les stratégies interministérielles d'achat s'appliquent en principe à tous les services de l'État. Des dérogations peuvent toutefois être accordées par la DAE, pour répondre à des besoins spécifiques, des contraintes techniques ou des exigences légales ou règlementaires auxquels sont soumis certains ministères, à l'échelle des périmètres des responsables ministériels des achats (cf. infra). Des exemptions complémentaires peuvent être demandées, mais elles restent très peu nombreuses : 4 en 2022, 4 en 2023 et 6 en 2024.

b) Aux niveaux central et déconcentré, différents acteurs assurent la déclinaison de la politique des achats de l'État
(1) Dans les ministères, la politique des achats de l'État est mise en oeuvre par le secrétaire général et le responsable ministériel des achats

Au sein de chaque ministère, le secrétaire général est chargé de s'assurer que les achats du ministère respectent la politique des achats de l'État, soient effectués dans les conditions économiquement les plus avantageuses, respectent les objectifs de développement durable et de développement social, soient réalisés dans des conditions facilitant l'accès des PME à la commande publique et contribuent à la diffusion de l'innovation108(*).

Il adresse à cet effet à chaque service acheteur du ministère les orientations et instructions nécessaires ainsi que leurs objectifs de résultats.

Le secrétaire général du ministère doit également veiller à la mise en oeuvre de ces mêmes objectifs et de la politique des achats de l'État par les établissements publics de l'État et les organismes relevant de la tutelle de son ministre.

Au surplus, chaque ministère compte un responsable ministériel des achats (RMA), désigné, après avis du directeur des achats de l'État, par le secrétaire général, sous l'autorité duquel il est placé.

Le RMA est l'interlocuteur du directeur des achats de l'État, auquel il transmet toute information relative aux achats de son ministère et des établissements publics de l'État et organismes dont celui-ci assure la tutelle et tout élément utile pour apprécier le respect de la politique des achats de l'État, des stratégies interministérielles ainsi que de l'efficacité et de l'efficience des achats de son ministère109(*).

Le responsable ministériel des achats (RMA),
animateur de la politique ministérielle des achats

Aux termes du décret n° 2016-247 du 3 mars 2016 créant la DAE et relatif à la gouvernance des achats de l'État, le RMA :

pilote, organise et anime la fonction d'achat des services centraux et déconcentrés du ministère et s'assure, à cet effet, du respect du cadre de référence pour l'efficacité et l'efficience des organisations et des moyens consacrés aux achats de l'État ainsi que des processus d'achat ;

propose au secrétaire général les objectifs d'achats à arrêter pour chaque service acheteur du ministère et évalue régulièrement les résultats des achats du ministère, qu'il traduit en plans d'action ;

établit, actualise et transmet à la DAE la programmation pluriannuelle des achats des services centraux et déconcentrés du ministère ;

- s'assure de la définition et de la mise en oeuvre des stratégies d'achat ministérielles dans le cadre de la politique des achats de l'État et dans le respect des stratégies interministérielles ;

- et établit les besoins de professionnalisation des agents réalisant des actes liés à l'achat, aux marchés publics ou à l'approvisionnement et définit et met en oeuvre le plan de formation du ministère dans ce domaine.

Il est prévu que les services acheteurs du ministère transmettent au RMA, à sa demande, tout élément lui permettant d'apprécier le respect de la politique des achats de l'État et des stratégies interministérielle et ministérielle des achats ainsi que l'efficacité et l'efficience des achats qu'ils mettent en oeuvre.

Du reste, le RMA est chargé de proposer au secrétaire général toute mesure propre à garantir le respect de la politique des achats de l'État ainsi que des stratégies ministérielle et interministérielle des achats par tout agent du ministère réalisant des actes liés à l'achat, aux marchés publics ou à l'approvisionnement, à l'exception des marchés publics de défense ou de sécurité.

Dans chaque ministère, tout projet de marché public d'un montant égal ou supérieur au seuil de procédure formalisée publié au Journal officiel de la République française applicable aux autorités publiques centrales pour les fournitures et services et à un million d'euros HT pour les travaux est soumis à l'avis conforme du RMA, qui doit s'assurer de sa conformité aux politiques interministérielle et ministérielle des achats. Au surplus, à l'initiative du RMA lui-même, tout projet de marché public dont le montant se situe en dessous de ces seuils peut être soumis à son avis conforme.

Mme Agnès Boissonnet, RMA des ministères de l'aménagement du territoire et de la décentralisation et de la transition écologique, de la biodiversité, de la forêt, de la mer et de la pêche a par exemple indiqué avoir rendu 390 avis RMA en 2023 et 430 en 2024 et précisé les contours de ses fonctions : « Quelque 22 % des achats du pôle ministériel sont passés par l'administration centrale et 78 % par les services déconcentrés. En administration centrale, le service que je dirige passe les marchés du secrétariat général, en étroite collaboration entre le prescripteur et l'acheteur. [...] Toutes les directions générales de notre ministère ont leur propre service achat et passent leurs propres marchés, que nous voyons au niveau de la validation du RMA. Cependant, lorsque ces directions ont des questions ou des besoins spécifiques, mes services sont à leur disposition pour leur apporter un appui, voire se mettre à leur service pour régler les difficultés qu'elles rencontrent. Nous avons mis en place un dialogue de gestion avec toutes ces directions générales pour faire un point sur leurs marchés. Cela nous permet de contrôler a posteriori le résultat, en particulier la performance achat sur le plan social et environnemental, et de voir s'il y a un éventuel décalage avec la prescription initiale. [...] Nous vérifions également l'application des politiques prioritaires du Gouvernement dans les domaines qui aident l'industrie française. Par exemple, en matière de panneaux photovoltaïques ou de pompes à chaleur, nous vérifions que les préconisations gouvernementales ont bien été prises en compte »110(*).

(2) Les préfets, assistés des plateformes régionales des achats de l'État, appliquent la politique des achats de l'État à l'échelle régionale

Dans les régions, la mise en oeuvre de la politique des achats de l'État est assurée par les préfets de région111(*). Ceux-ci sont informés chaque semestre par le directeur des achats de l'État des grandes orientations en matière d'achat et lui présentent les actions mises en oeuvre ainsi que leurs résultats.

Le comité de l'administration régionale, composé entre autres, autour du préfet de région, des préfets de département et du secrétaire général pour les affaires régionales (SGAR), doit être consulté au moins une fois par an sur la mise en oeuvre de la politique des achats de l'État et de ses établissements publics dans la région.

Une plateforme régionale des achats de l'État (PFRA), dont le responsable est désigné, après avis du directeur des achats de l'État, par le préfet de région, est placée auprès de ce dernier.

La plateforme régionale des achats, une structure chargée de la
passation des marchés interministériels régionaux

Le décret n° 2016-247 du 3 mars 2016 créant la DAE et relatif à la gouvernance des achats de l'État confie au responsable de la PFRA, sous l'autorité du préfet de région, la charge :

- d'organiser les procédures de consultation et de conclure les marchés interministériels répondant à des besoins évalués à l'échelon déconcentré lorsque cette mutualisation est demandée par la DAE ou lorsqu'il l'estime pertinent dans le respect des stratégies d'achat ministérielles et interministérielles. Il est destinataire de la programmation exhaustive des achats établie et actualisée par les services de l'État dans la région, tandis qu'il doit être informé de tout projet de passation d'un marché public de l'État à l'échelon régional d'un montant supérieur à 40 000 euros HT112(*) ;

- de s'assurer, dans la région, du suivi de l'exécution des marchés qu'il passe ou qui sont passés par la DAE ou pour le compte de celle-ci ;

- de proposer au préfet, pour les achats relevant de sa compétence, toute réduction du nombre des représentants du pouvoir adjudicateur qui lui paraîtrait de nature à assurer l'efficacité et l'efficience de la fonction d'achat ;

- et de saisir la DAE ou les RMA de toute difficulté nécessitant leur intervention.


* 93 Mail du 23 avril 2025 au secrétariat de la commission d'enquête.

* 94 Décret n° 2016-247 du 3 mars 2016 créant la direction des achats de l'État et relatif à la gouvernance des achats de l'État.

* 95 Audition de M. François Adam, mardi 18 mars 2025.

* 96 Réponses écrites de la DAE du ministère de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique au questionnaire de la commission d'enquête.

* 97 Décret n° 98-975 du 2 novembre 1998 portant création d'une direction des affaires juridiques au ministère de l'économie, des finances et de l'industrie.

* 98 Décret n° 2019-1454 du 24 décembre 2019 relatif à la direction des affaires juridiques des ministères économiques et financiers, article 2.

* 99 Audition de Mme Clémence Olsina, 2 avril 2025.

* 100 Décret n° 2008-680 du 9 juillet 2008 portant organisation de l'administration centrale des ministères chargés de la transition écologique, de la cohésion des territoires et de la mer, article 3.

* 101 Audition de M. Brice Huet, 1er avril 2025.

* 102 Ibid.

* 103 Article R. 2196-2 du code de la commande publique.

* 104 Audition de M. François Adam, 18 mars 2025.

* 105 Ibid.

* 106 Décret n° 2016-247 du 3 mars 2016 créant la direction des achats de l'État et relatif à la gouvernance des achats de l'État, articles 2 à 4.

* 107 Ibid.

* 108 Décret n° 2016-247 du 3 mars 2016 créant la direction des achats de l'État et relatif à la gouvernance des achats de l'État, article 8.

* 109 Ibid.

* 110 Audition de responsables ministériels des achats, 3 juin 2025.

* 111 Décret n° 2016-247 du 3 mars 2016 créant la direction des achats de l'État et relatif à la gouvernance des achats de l'État, article 9.

* 112 Arrêté du 17 juin 2024 pris en application de l'article 9 du décret n° 2016-247 du 3 mars 2016 créant la direction des achats de l'État et relatif à la gouvernance des achats de l'État, article 1er.

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