II. UN CHEMIN SEMÉ D'EMBÛCHES : LA TRANSFORMATION INACHEVÉE D'UNE POLITIQUE EN MUTATION
A. LA COMMANDE PUBLIQUE, UN OUTIL MIS AU SERVICE DES TRANSITIONS ENVIRONNEMENTALES ET SOCIALES
1. Le volume des achats publics impose la prise en compte des enjeux sociaux et environnementaux dans la commande publique
Initialement conçu comme un outil visant à garantir l'efficacité de la dépense publique, le cadre juridique de la commande publique a connu une profonde évolution depuis le début des années 2000 avec l'assignation de nouveaux objectifs environnementaux et sociaux visant à rendre les achats publics « responsables ».
Sous l'influence d'une dynamique internationale, émerge en effet, dès les années 1990, une réflexion sur la façon dont les marchés publics pourraient contribuer à la protection de l'environnement. Le programme « Action 21 » des Nations Unies, adopté à Rio en 1992, afin de concilier développement économique et préservation d'un environnement de qualité pour tous, mentionne ainsi pour la première fois la nécessité d'intégrer progressivement les enjeux environnementaux au sein des politiques d'achats publics. En septembre 2015, les Nations Unies ont par ailleurs adopté, dans le cadre de leur Agenda 2030, les dix-sept Objectifs de développement durable (ODD), qui ont notamment vocation à servir de lignes directrices à toute politique visant à améliorer la soutenabilité de l'économie, comme la commande publique176(*).
L'Union européenne a, dans le même temps, progressivement ouvert la voie à l'introduction de critères d'appréciation tenant compte des enjeux environnementaux dans les marchés publics. La directive 2004/18/CE du 31 mars 2004 admet ainsi la possibilité que les caractéristiques environnementales des offres fassent partie des critères d'appréciation et indique que les spécifications techniques peuvent tenir compte des niveaux de performance environnementale. Le décret n° 2006-975 du 1er août 2006 portant code des marchés publics introduit également en droit français la possibilité que les conditions d'exécution d'un marché ou d'un accord-cadre comportent des éléments à caractère social ou environnemental prenant en compte des objectifs de développement durable. Le même décret crée aussi les premières formes de marchés réservés à certains acteurs économiques dans une perspective sociale, notamment s'agissant des emplois dits « protégés » occupés par des personnes en situation de handicap.
Pourtant, si elle s'inscrit dans une prise de conscience sociétale globale, la mobilisation de la commande publique à des fins autres qu'économiques demeure contestée par les économistes.
D'un point de vue économique, en effet, la commande publique relève d'un mécanisme contractuel devant aboutir à la conclusion d'un accord présentant l'offre de la meilleure qualité possible au prix juste pour l'acheteur public et le prestataire.
L'analyse économique issue de la théorie des incitations, dont les Français MM. Jean-Jacques Laffont et Jean Tirole sont les principaux concepteurs, souligne que l'atteinte de cette offre « optimale » est entravée par une double asymétrie qui nuit aux acheteurs publics : une asymétrie d'information d'une part, l'acheteur public n'ayant pas connaissance des coûts de production des soumissionnaires, de leurs marges de productivité ni du niveau de la concurrence sur le segment de marché ; ainsi qu'une asymétrie de compétences, d'autre part, l'acheteur étant dépendant des offres qu'il reçoit.
Dès lors, d'un point de vue économique, afin de permettre à l'acheteur d'obtenir la meilleure offre au plus bas prix, ce dernier doit disposer du plus grand nombre de soumissionnaires possible afin de pallier les asymétries mentionnées ci-avant et de contraindre ces derniers à présenter l'offre la plus compétitive.
Dans cette perspective, l'introduction de tout critère annexe au prix d'achat, à l'instar de critères tenant à la localisation des entreprises, ou à des considérations environnementales, suppose mécaniquement une réduction du nombre d'entreprises en mesure de répondre aux besoins de la puissance publique, aboutissant in fine à une augmentation potentielle du prix d'achat.
À cet égard, M. Stéphane Saussier, professeur d'économie et de management public à l'Institut d'administration des entreprises de l'Université Paris I - Panthéon Sorbonne, a noté, devant la commission d'enquête, que la part de contrats publics attribués en France après un appel d'offres avec un soumissionnaire unique est dans la moyenne européenne (23 %), mais que cette part « a augmenté de plus de 50 % entre 2011 et 2021 »177(*). Or, selon les conclusions d'une étude d'octobre 2024178(*), l'augmentation du nombre de soumissionnaires d'un à quatre pourrait réduire les coûts de la commande publique de 10 à 13 %.
En définitive, la théorie économique considère que l'assignation d'objectifs relatifs à la protection de l'environnement dans le cadre de la commande publique tend à décroître l'efficacité de celle-ci vis-à-vis de son objectif principal, c'est-à-dire le coût le plus efficient pour l'acheteur.
Mme Anne Perrot, inspectrice générale des finances et correspondante du Conseil d'analyse économique et Stéphane Saussier indiquent ainsi que, théoriquement, le recours à des politiques environnementales globales, telles que la taxe carbone ou les droits d'émission de CO2, serait plus susceptible d'atteindre des résultats efficaces, lisibles et contrôlables en matière environnementale ou sociale, plutôt que l'inclusion obligatoire de considérations annexes à la qualité et au prix du produit dans la procédure de passation des marchés publics. En effet, selon eux, « une politique environnementale correctement mise en oeuvre, qui taxerait les émissions carbone à un niveau adéquat, devrait renchérir les coûts des entreprises les plus contributives au réchauffement climatique, sans qu'il soit besoin de rajouter une clause de sélection dans les appels d'offres pour limiter l'accès aux seules entreprises " vertes " »179(*).
En outre, cette théorie économique avance que la mobilisation des marchés publics au service d'objectifs sociaux et environnementaux demeure moins efficace qu'« une approche à la fois uniforme et globale. Uniforme, car elle suppose des règles claires, communes, harmonisées -- en matière de critères, de pondération, d'indicateurs. Globale, car elle ne saurait se limiter à la seule commande publique, qui ne représente qu'une partie de la demande nationale. 180(*) » De fait, si de tels objectifs ne sont pas également assignés à la commande privée, l'atteinte d'objectifs environnementaux et sociaux serait inévitablement ralentie.
De la même manière, l'ajout de clauses d'insertion sociale au sein des contrats publics nécessite un suivi renforcé pour l'acheteur public comme pour l'entreprise sélectionnée, ce qui augmente inévitablement le coût de l'acquisition. En conséquence, pour M. Stéphane Saussier, « il faut se demander s'il n'existe pas d'autres instruments plus efficaces pour réinsérer les personnes éloignées de l'emploi, plutôt que de compliquer davantage la tâche des acheteurs publics » 181(*).
En d'autres termes, la théorie économique réfute l'utilité d'intégrer des considérations environnementales au sein de la commande publique, soutenant que celles-ci devraient faire l'objet d'une politique propre afin de maximiser leur efficacité sans affaiblir l'objectif premier du cadre régissant la commande publique. Cette théorie se fonde néanmoins sur le postulat selon lequel les politiques environnementales et sociales mises en oeuvre permettraient une atteinte parfaite des objectifs assignés. Devant les effets insuffisants de ces dernières et les limites qu'elles rencontrent, les économistes entendus sont convenus de la nécessité de prévoir d'autres outils au service de la préservation de l'environnement et de la cohésion sociale.
En effet, en dépit de ces considérations théoriques, l'essor du développement durable comme priorité des politiques publiques rendrait incompréhensible qu'une part aussi essentielle des marchés demeure exempte de toute considération à ce sujet. De fait, selon les données du CGDD, les achats de l'État représentent 23 % de ses émissions totales de gaz à effet de serre, soit 10 millions de tonnes en équivalent CO2182(*). Plus précisément, l'achat de produits textiles et d'habillement (uniformes, linge), de produits chimiques et d'entretien et de meubles représente 9 % des émissions totales ; les services d'ingénierie, de maintenance, de communication ou financiers représentent également 9 % et les services numériques 5 %. Si l'ensemble des émissions indirectes sont prises en compte, notamment celles des véhicules, des consommations d'énergie ou des déplacements professionnels, la part des émissions de l'État liées directement ou indirectement à sa politique d'achat atteint 80 %. Dès lors, l'amélioration de la soutenabilité des achats des pouvoirs adjudicateurs apparaît comme un levier essentiel afin de mener à bien une transition écologique globale.
L'introduction de nouvelles exigences au sein du code de la commande publique interroge néanmoins la capacité des acheteurs à s'en saisir. Alors que la commande publique reste perçue comme une matière complexe et rigide, toute nouvelle injonction à l'égard des acheteurs doit faire l'objet d'une réflexion sur la charge administrative qu'elle suppose pour ces derniers. M. Boris Ravignon, maire de Charleville-Mezières et auteur du rapport intitulé « Coût des normes et de l'enchevêtrement des compétences entre l'État et les collectivités : évaluation, constats et propositions », remis au Gouvernement en mai 2024, rappelait ainsi devant la commission d'enquête qu'en matière de lutte contre le changement climatique, les « meilleures intentions du monde » peuvent se traduire pour les élus locaux par « une complexification » du droit et « des postures parfois artificielles »183(*). La France, qui se singularise vis-à-vis de ses voisins européens par un nombre élevé de pouvoirs adjudicateurs (la France en dénombre 130 000, alors que l'Union européenne en recense 250 000 sur l'ensemble de son territoire184(*)) est particulièrement concernée par ce risque de complexité du droit en raison de son nombre élevé de petits acheteurs, pour lesquels se former et se conformer à un droit en constante évolution représente un défi.
Dès lors, la connaissance des « risques » liés à l'introduction de nouvelles exigences au sein de la commande publique (perte d'efficacité, charge administrative accrue pour les plus petits acheteurs) doit conduire l'État, en tant que prescripteur de la norme, à assurer un accompagnement renforcé des acheteurs ainsi qu'un contrôle de l'efficacité de ces nouveaux objectifs. Cet accompagnement semble en effet être la condition sine qua non d'un cadre juridique acceptable pour les petits acheteurs, et efficace, c'est-à-dire permettant d'atteindre des résultats en matière environnementale et sociale sans aboutir à une hausse des coûts auxquels font face les acheteurs publics. La commission d'enquête s'est ainsi employée à évaluer l'accompagnement fourni par l'État en la matière, ainsi que ses effets sur les achats publics en France.
2. Ces dix dernières années, le cadre juridique de la commande publique a été largement remanié pour accélérer la soutenabilité des achats publics
a) L'introduction d'obligations environnementales et sociales dans la loi
Après avoir reconnu la possibilité pour les acheteurs publics de tenir compte des enjeux environnementaux et sociaux dans leurs marchés, le législateur a progressivement instauré, ces dix dernières années, des normes imposant la prise en considération du développement durable dans la commande publique.
Cette volonté d'améliorer la soutenabilité de la commande publique s'est matérialisée, dans un premier temps, par l'adoption de multiples dispositions législatives sectorielles.
La loi n° 2009-967 du 3 août 2009 de programmation relative à la mise en oeuvre du Grenelle de l'environnement avait introduit de premières obligations en matière de restauration collective responsable, avec l'obligation pour les services de restauration de l'État de recourir à des produits biologiques pour au moins 15 % de leurs commandes à compter de 2010 et 20 % en 2012, ainsi qu'une part identique de produits saisonniers ou à faible impact environnemental.
La loi n° 2018-938 du 30 octobre 2018 pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous (dite loi « Egalim ») rehausse ces objectifs et les étend à l'ensemble des services publics de restauration collective, dont ceux des collectivités territoriales. Elle impose ainsi une modification substantielle des achats publics de ces services, désormais tenus de proposer des repas comprenant au moins 50 % de produits durables, dont 20 % issus de l'agriculture biologique à compter du 1er janvier 2022, ainsi qu'une option végétarienne depuis 2023 pour les services de restauration de l'État. À compter de 2024, la part de produits durables et de qualité pour les viandes et les poissons doit également atteindre 60 % et 100 % pour ces derniers185(*).
Le législateur a par la suite souhaité impulser une profonde évolution de la manière de consommer des acheteurs publics en introduisant des normes relatives à la consommation de produits issus de l'économie circulaire au sein de la loi n° 2020-105 du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l'économie circulaire (loi dite « Agec »).
En application de son article 58, l'État, les collectivités et leurs groupements se doivent désormais de réserver une part de leurs achats allant de 20 % à 100 %, selon le type de produit, à des biens issus du réemploi, de la réutilisation, ou intégrant des matières recyclées. L'article 60 du même texte les contraint également à l'achat de pneumatiques rechapés. La loi Agec est ainsi venue compléter des dispositions législatives éparses visant l'acquisition de papier recyclé, d'achats de produits de construction issus du réemploi, de la réutilisation ou du recyclage186(*) ou l'achat de véhicules à faibles émissions187(*).
À la suite de ces premières avancées sectorielles, la loi n° 2021-1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets (loi dite « Climat et résilience »), issue des travaux de la Convention citoyenne pour le climat, a constitué une avancée inédite dans la généralisation de la prise en compte des enjeux sociaux et environnementaux au sein de la commande publique, plaçant la France parmi les pays disposant des législations les plus ambitieuses en la matière.
Si le texte consacre premièrement les objectifs de développement durable au sein du titre préliminaire du code de la commande publique au même niveau que les principes fondamentaux destinés à garantir une libre et égale concurrence entre les entreprises, son article 35 prévoit surtout un recours systématique à des considérations environnementales et sociales au sein des marchés publics.
Plus précisément, ledit article instaure, à l'article L. 2112-2 du code de la commande publique, l'obligation de tenir compte des considérations relatives à l'environnement dans les conditions d'exécution d'un marché. Cette obligation s'entend, de manière non cumulative, soit par l'inclusion d'une clause relative aux caractéristiques environnementales du marché et de ses modalités de mise en oeuvre soit par une spécification technique prenant en compte des objectifs de développement durable dans leurs dimensions économique, sociale et environnementale.
Le même article impose également aux acheteurs de recourir au minimum à un critère d'attribution des offres basé sur la performance environnementale des travaux, fournitures ou services objets du marché. L'article L. 2152-7, qui précise que le marché est attribué au soumissionnaire ayant présenté l'offre économiquement la plus avantageuse sur la base d'un ou plusieurs critères objectifs est ainsi complété afin de préciser qu'« au moins un de ces critères prend en compte les caractéristiques environnementales de l'offre ». Comme souligné par la DAJ, « en pratique, cette évolution interdira le recours au critère unique du prix. Si l'acheteur fait le choix de ne retenir qu'un seul critère de sélection, seul le critère du coût global intégrant nécessairement des considérations environnementales ou fondé sur le coût du cycle de vie pourra désormais être retenu »188(*).
L'article 36 de la loi Climat et Résilience prévoit à ce titre la mise à disposition des acheteurs par l'État d'outils opérationnels de définition et d'analyse du coût du cycle de vie des biens pour les principaux segments d'achats. Ces outils, qui ont vocation à intégrer le coût global lié à l'acquisition, l'utilisation, la maintenance, la fin de vie et les coûts externes (par exemple, la pollution atmosphérique, les émissions de gaz à effet de serre, la perte de la biodiversité ou la déforestation) devaient être mis à disposition au plus tard le 1er janvier 2025.
L'analyse du coût du cycle de vie (ACV) dans les marchés publics
La notion d'analyse du coût du cycle de vie permet de prendre en compte dans les critères d'acquisition la totalité des coûts. Elle se distingue du simple critère prix, car elle permet d'intégrer tout ou partie des coûts imputables à un produit ou un service tout au long de son cycle de vie, c'est-à-dire aussi bien les coûts financiers directement supportés par l'acheteur, que les coûts liés à l'utilisation ou à la maintenance du produit, en passant par les coûts des externalités négatives (pollution atmosphérique, déforestation, etc.).
L'utilisation de cet outil, théoriquement séduisant, se heurte toutefois à d'importantes difficultés pratiques. Afin de garantir la sécurité juridique d'une procédure recourant à une analyse du coût du cycle de vie, celle-ci doit s'appuyer sur des paramètres non discriminatoires, vérifiables de manière objective et accessibles à l'ensemble des candidats.
Source : La prise en compte des enjeux du développement durable dans les achats de l'État, Rapport public thématique de la Cour des comptes, décembre 2024.
Enfin, l'article 35 impose, pour les marchés dont le montant est supérieur aux seuils européens, la présence de conditions d'exécution prenant en compte des considérations relatives au domaine social ou à l'emploi, notamment en faveur des personnes défavorisées189(*). Cette prise en compte peut en pratique se traduire par une clause sociale d'insertion, une clause favorisant l'égalité femmes-hommes ou l'achat équitable ou en réservant un contrat aux structures de l'économie sociale et solidaire, du handicap, de l'insertion par l'activité économique ou intervenant dans les services pénitentiaires.
Compte tenu du fort changement de pratique qu'implique l'application de ces mesures, leur entrée en vigueur a été différée de cinq ans, soit au 22 août 2026, avec quelques adaptations sectorielles :
- Entrée en vigueur au 1er juillet 2024 pour les marchés relatifs à l'implantation ou l'exploitation d'installation de production ou de stockage d'énergies renouvelables ;
- Au 1er janvier 2025 s'agissant des marchés interministériels nationaux ;
- Au 1er juillet 2025 pour les marchés interministériels régionaux.
La loi Climat et résilience a également renforcé les exigences liées aux schémas de promotion des achats publics socialement et écologiquement responsables (Spaser), s'agissant notamment de leur publicité et de la présence d'indicateurs précis. Ces documents, instaurés par la loi du 31 juillet 2014 relative à l'économie sociale et solidaire, visent à « déterminer les objectifs de politique d'achat comportant des éléments à caractère social visant à concourir à l'intégration sociale et professionnelle de travailleurs handicapés ou défavorisés et des éléments à caractère écologique » et « contribuer à la promotion d'une économie circulaire ».
La loi n° 2023-973 du 23 octobre 2023 relative à l'industrie verte est venue compléter un certain nombre de dispositions de la loi Climat et résilience. Elle a premièrement étendu à l'État et à tous les acheteurs publics atteignant le seuil annuel de 50 millions d'euros HT d'achats publics l'obligation d'adopter un Spaser, et a autorisé son élaboration conjointe entre plusieurs acheteurs. Afin d'accompagner les acheteurs publics vers la mise en conformité avec les dispositions de la loi Climat et Résilience entrant en vigueur en 2026, elle a également précisé les critères de détermination de l'offre économiquement la plus avantageuse qui régit, conformément au droit européen, l'attribution des marchés publics, en indiquant que cette appréciation peut « être déterminée sur le fondement d'une pluralité de critères non discriminatoires et liés à l'objet du marché ou à ses conditions d'exécution, parmi lesquels figure le critère du prix ou du coût et un ou plusieurs autres critères comprenant des aspects qualitatifs, environnementaux ou sociaux ».
b) L'émergence d'obligations en matière de marchés publics écologiques au sein de l'Union européenne
La volonté de renforcer le rôle des achats publics dans la transition écologique a également émergé au niveau européen, avec l'introduction de premières obligations s'inscrivant dans la démarche globale du Pacte vert, dont l'objectif est la réduction de 55 % des émissions nettes de gaz à effet de serre d'ici à 2030.
Ces obligations figurent notamment dans deux règlements, tous deux publiés en juin 2024.
· Le règlement 2024/1735/UE relatif à l'établissement d'un cadre de mesures en vue de renforcer l'écosystème européen de la fabrication de produits de technologie « zéro net »
Le règlement européen pour une industrie « zéro net » entend contribuer au développement des technologies « propres » au sein de l'Union européenne et attirer les investissements dans ce domaine. Pour ce faire, il contient notamment des mesures similaires à celles de la loi Climat et résilience.
Son article 25 impose en effet aux acheteurs des obligations nouvelles en matière de développement durable et de résilience, qui seront définies au sein d'un acte d'exécution de la Commission européenne. Celui-ci fixera notamment des exigences minimales obligatoires en matière de durabilité environnementale pour les marchés au montant supérieur aux seuils européens portant sur certaines technologies durables 190(*), exigences qui pourront relever de conditions d'exécution ou de spécifications techniques.
Le règlement prévoit également l'inclusion de conditions d'exécution relatives au domaine social et à l'emploi au sein des marchés publics, ou une obligation pour le titulaire de démontrer la conformité de ses marchés avec les exigences en matière de cybersécurité prévues par le règlement sur la cyberrésilience191(*), ou une clause spécifique imposant au titulaire de livrer les technologies dans un certain délai.
· Le règlement 2024/1781/UE établissant un cadre pour la fixation d'exigences en matière d'écoconception pour des produits durables
Publié le 28 juin 2024, ce règlement habilite la Commission européenne à fixer, par acte d'exécution, des exigences minimales visant à encourager l'acquisition de produits durables sur le plan environnemental pour les marchés publics dont le montant est supérieur aux seuils européens. Ces exigences, qui pourront prendre la forme de spécifications techniques, de critères d'attribution, de conditions ou d'objectifs d'exécution du marché seront identifiées par groupes de produits au moyen d'un acte délégué.
L'article 65 du règlement précise en outre que les critères d'attribution feront l'objet d'une pondération minimale comprise entre 15 % et 30 % dans le processus d'attribution afin « d'avoir une incidence significative sur le résultat de la procédure de passation des marchés qui favorise la sélection des produits les plus durables sur le plan environnemental ». De même, les objectifs devront concerner un pourcentage minimal de 50 % des marchés passés au niveau des pouvoirs adjudicateurs ou des entités adjudicatrices, ou à un niveau national agrégé, pour les produits les plus durables sur le plan environnemental.
*
Bien que ces dispositions demeurent suspendues à des mesures d'exécution, elles supposent une avancée notable à l'échelle européenne : d'une part, le pourcentage élevé de marchés qui devront se soumettre aux exigences créées présage d'un changement significatif de pratique pour la majorité des pouvoirs adjudicateurs et, d'autre part, la définition d'exigences précises quant au niveau de pondération des critères d'attribution pourrait entraîner de réels effets sur les prestataires retenus.
La commission d'enquête s'interroge néanmoins sur la cohérence d'ensemble de ces mesures qui, relevant de textes différents adoptés à quelques jours d'écart, auraient pu bénéficier d'une approche globale unique.
c) Des objectifs infra-législatifs déclinés au sein des plans nationaux d'action pour les achats publics durables (PNAD)
En parallèles des réformes du code de la commande publique et du droit communautaire, la France s'est dotée depuis le milieu des années 2000 d'objectifs infra-législatifs pour une commande publique verte et responsable, aux ambitions croissantes.
Sous l'impulsion d'une communication de la Commission européenne192(*) de 2003 demandant aux pays membres de s'engager dans une démarche d'achat public responsable, la France s'est dotée en effet, dès 2007 d'un plan d'action national pour les achats publics durables (PNAD) pour la période 2007-2010, feuille de route non contraignante à destination des trois fonctions publiques (État, collectivités territoriales, hôpitaux).
Ce premier plan portait l'objectif de faire de la France l'un des pays de l'Union européenne les plus engagés dans l'intégration du développement durable au sein de la commande publique. Il comportait des objectifs sectoriels liés au recours à des matières recyclées ainsi qu'une réduction de la consommation de ressources non renouvelables et de la production de déchets.
Par la suite, deux PNAD ont été adoptés pour les périodes 2015-2020 et 2022-2025 afin de guider et inciter les acteurs publics à adopter une politique d'achats durables. Alors que le deuxième PNAD (2015-2020) avait pour objectif l'inclusion d'une stipulation sociale dans 25 % des marchés passés en 2020, et d'une stipulation environnementale dans 30 % des marchés, le troisième, couvrant la période 2022-2025, a rehaussé ses attentes dans la perspective de l'entrée en vigueur de l'article 35 de la loi Climat et résilience en 2026. Il vise ainsi l'inclusion d'une considération environnementale dans la totalité des contrats de la commande publique notifiés en 2025, et d'une considération sociale dans au moins 30 % d'entre eux.
Afin d'atteindre ces objectifs ambitieux, le PNAD 2022-2025 comprend deux axes déclinés en 22 actions visant à « aider les acheteurs à s'emparer des objectifs du PNAD » et « mobiliser, animer, promouvoir et suivre le PNAD ». Ce déploiement se fait en collaboration avec les acteurs de l'État (DGEFP, DAE, DAJ des ministères économiques et financiers, DGE, DGOS), les représentants des collectivités locales, des centrales d'achat ainsi que des associations d'acheteurs. Il a récemment été élargi à de nouveaux acteurs publics et privés, afin d'assurer une mobilisation la plus large possible.
Les axes et les actions de déploiement du PNAD 2022-2025
En parallèle de ces initiatives, de multiples plans gouvernementaux193(*) et « feuilles de route »194(*), avaient vu le jour afin d'accompagner la transition vers une commande publique durable. La pluralité de ces initiatives souligne d'ailleurs l'éclatement des administrations mobilisées pour conduire cette transition, en l'absence d'un chef de file clairement désigné à ce sujet.
* 176 Et sur la base desquels ont été bâtis plusieurs Spaser (Eurométropole de Strasbourg, région Bretagne, etc.)
* 177 Audition de M. Stéphane Saussier, 19 mars 2025.
* 178 The impact of competition for public contracts on public finances, Kasper Bek Aagaard et Jesper Gregers Linaa, The Danish Competition and Consumer Authority, Octobre 2024.
* 179 Contribution écrite de Mme Anne Perrot et M. Stéphane Saussier aux travaux de la commission d'enquête.
* 180 Ibid.
* 181 Ibid.
* 182 À partir des données pour 2019.
* 183 Audition de M. Boris Ravignon, 12 mars 2025.
* 184 Données de la Commission européenne (DG GROW).
* 185 Obligations introduites par l'article 257 de la loi n° 2021-1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets.
* 186 Article 79 de la loi n° 2015-992 du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte.
* 187 Article 48 de la loi n° 2009-967 du 3 août 2009 de programmation relative à la mise en oeuvre du Grenelle de l'environnement et article 76 de la loi n° 2019-1428 du 24 décembre 2019 d'orientation des mobilités.
* 188 Contribution écrite de la direction des affaires juridiques du ministère de l'Économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique aux travaux de la commission d'enquête.
* 189 Article L. 2112-2-1 du code de la commande publique.
* 190 Technologies solaires, renouvelables éoliennes, de batterie et de stockage d'énergie, d'énergie nucléaire de fission, liées aux carburants de substitution durables, hydroélectriques, de l'hydrogène, ainsi que les électrolyseurs, piles à combustibles, pompes à chaleur, géothermies, mentionnées à l'article 4 du règlement.
* 191 Règlement (UE) 2024/2847 du parlement européen et du conseil du 23 octobre 2024 concernant des exigences de cybersécurité horizontales pour les produits comportant des éléments numériques et modifiant les règlement (UE) n° 168/2°13 et (UE) 2019/1020 et la directive (UE) 2020/1828.
* 192 Communication n° COM(2003)302 de la Commission au Conseil et au Parlement européen relative à la politique intégrée des produits et au développement d'une réflexion environnementale axée sur le cycle de vie, 18 juin 2003.
* 193 Plan climat de juillet 2017, plan Biodiversité de juillet 2018.
* 194 Feuille de route économie circulaire de février 2018, Stratégie de lutte contre la déforestation importée de novembre 2018, Pacte de croissance de l'économie sociale et solidaire de novembre 2019, Pacte d'ambition pour l'insertion par l'activité économique en septembre 2019, Engagement national « Cap vers l'entreprise inclusive » en juillet 2018.