B. LE BILAN EN DEMI-TEINTE DES MESURES DÉJÀ MISES EN oeUVRE

1. Un bilan très contrasté de l'application des normes introduites ces dernières années en matière de commande publique responsable

L'impulsion issue de l'adoption ces dernières années de multiples dispositions contraignantes ou incitatives a indéniablement conduit la France à se positionner à l'avant-garde européenne en matière de commande publique responsable. Selon les données présentées à la commission par M. Stéphane Saussier et Mme Anne Perrot, en 2023, seuls 8 % des contrats conclus en France sont désormais attribués sur le seul critère du prix, contre une moyenne européenne de 80 %. De plus, 27 % des marchés publics, en valeur, incluent des clauses sociales, et 40 % des clauses environnementales, plaçant la France parmi les leaders européens dans ce domaine.

Pour autant, si ces nouvelles obligations ont conduit à une accélération dans le changement de pratiques des acheteurs publics, les éléments communiqués à la commission d'enquête laissent entrevoir un respect très partiel du nouveau cadre juridique.

À cet égard, la commission regrette de n'avoir pu obtenir de bilans exacts et précis de la mise en conformité des pouvoirs adjudicateurs aux nouvelles dispositions législatives, faute d'un suivi exhaustif et régulier des données de la commande publique par les administrations centrales dans l'atteinte des objectifs fixés.

À titre d'exemple, la commission n'a pu obtenir de panorama complet de l'application des normes issues de la loi Égalim, la direction générale de l'alimentation (DGAL) n'ayant pu fournir que des données issues de la télédéclaration depuis la plateforme « Ma Cantine », sur laquelle seuls 21 % des cantines de l'ensemble du territoire national ont émis leur déclaration en 2023.

Sur cet échantillon restreint, l'appropriation des mesures adoptées en matière d'achats publics semble faible : seuls 15 % des télédéclarants se conformaient en 2023 à l'obligation de proposer 50 % de produits durables et de qualité, et 30,4 % à l'obligation de servir 20 % de produits issus de l'agriculture biologique.

La DGAL indique également que les services de restauration collective des établissements gérés par l'État proposent, en moyenne, 28 % de produits durables et de qualité, dont 12 % de produits bio. Les services de restauration relevant du bloc communal atteignent de bien meilleurs résultats, en proposant en moyenne 39 % de produits durables et de qualité et 23 % de produits biologiques sur l'année 2023, tout comme les collèges, gérés par les départements, dont la part de produits biologiques est de 16 %, et de 27 % pour les produits durables et de qualité. Ces taux sont légèrement plus faibles s'agissant des services de restauration des lycées (19 % et 10 %), gérés par les régions.

Les services de restauration du secteur hospitalier observent en revanche un retard alarmant, en ne proposant, en 2023, que 4 % de produits biologiques et 14 % de produits durables et de qualité conformes aux objectifs Egalim.

Part moyenne de produits durables et de qualité proposée au sein des services de restauration collective en 2023

Source : commission d'enquête, à partir des données de la DGAL pour la France métropolitaine. Santé : hôpitaux (CHU,CHR), cliniques, établissements de soins.

Le rapport du gouvernement au Parlement présentant le bilan statistique annuel de l'application des objectifs d'approvisionnement fixés à la restauration collective indique en outre que seuls 25,6 % des télédéclarants du secteur « Administration » ont atteint les 20 % de bio ; et 9 % l'ensemble des objectifs Egalim. Ces taux tombent respectivement à 1,8 % et 0,8 % pour le secteur hospitalier. La commission regrette que les diverses données des collectivités n'aient pas été traitées plus finement par ce rapport, ne distinguant qu'une catégorie « éducation », au sein de laquelle 37,4 % des télédéclarants se conforment à l'objectif de produits biologiques et 17,3 % à l'ensemble des objectifs Egalim.

Taux d'atteinte des seuils Egalim dans chaque secteur selon les télédéclarations en France métropolitaine pour 2023

Secteurs

Objectifs bio et Egalim atteints

Objectif bio atteint

Administration

9 %

25,6 %

Éducation195(*)

17,3 %

37,4 %

Médico-social196(*)

14,8 %

24,7 %

Santé

0,8 %

1,8 %

Entreprise

10,1 %

14 %

Autres

14,5 %

27,4 %

Tous secteurs

15 %

30,4 %

Source : Rapport du Gouvernement remis au Parlement ; bilan statistique annuel de l'application des objectifs d'approvisionnement fixés à la restauration collective pour 2024.

Les données des centres régionaux des oeuvres universitaires et scolaires (CROUS) font également état d'une difficile progression vers le respect des objectifs de la loi Egalim, qui sont encore loin d'être atteints.

Conformité des achats alimentaires des centres régionaux des oeuvres universitaires et scolaires aux objectifs de la loi Egalim entre 2021 et 2025197(*)

 

Part de produits durables

Part de produits biologiques

2021

12,74 %

5,57 %

2022

13,45 %

5,90 %

2023

11,91 %

6,31 %

2024

16,13 %

8,49 %

2025198(*)

17,18 %

12,06 %

Source : réponse du centre national des oeuvres universitaires et scolaires au questionnaire de la commission d'enquête.

Enfin, dans les collectivités ultramarines, les objectifs Egalim font également état d'une faible mise en oeuvre. En effet, bien que les seuils à respecter aient fait l'objet d'adaptations199(*) pour tenir compte des difficultés propres à ces territoires (contraintes d'approvisionnement, surcoûts importants), seuls 18 % de télédéclarants se conforment aux exigences en matière de produits biologiques et 16 % atteignent les objectifs Egalim200(*).

S'agissant de la mise en oeuvre des normes instaurées au titre de l'article 58 de la loi AGEC en matière d'économie circulaire, la commission d'enquête observe également des difficultés à disposer d'une évaluation en temps réel. Il est en effet alarmant que l'évaluation la plus aboutie et récente, réalisée par le commissariat général au développement durable (CGDD) en 2023, ne prenne appui que sur une part restreinte des acheteurs concernés : alors que les dispositions de l'article 58 de la loi Agec s'appliquent à l'État, aux collectivités et leurs groupements, l'étude du CGDD se fonde sur les résultats déclarés par ces derniers auprès de l'Observatoire économique de la commande publique (OECP) au 30 juin 2022, c'est-à-dire 211 structures, dont 68 inexploitables, soit seulement 143 réponses valides.

Les échanges conduits par la commission d'enquête avec les collectivités territoriales ont d'ailleurs permis de mettre en lumière les difficultés de celles-ci à effectuer des déclarations régulières et exhaustives s'agissant de la mise en conformité aux normes environnementales. La métropole de Nantes rappelait à cet égard que « le reporting Agec constitue un exercice très chronophage pour les collectivités qui, contrairement aux entreprises privées, n'ont pas de « custom relationship management » (CRM) intégré combinant système d'information achats, approvisionnement et données financières. Il est ainsi impossible de déterminer directement la part de dépenses entrant dans les objectifs de l'article 58 de la loi Agec, les items concernés étant éparpillés dans les bordereaux de prix unitaires de nombreux marchés et les dépenses afférentes « noyées » dans des mandats plus globaux »201(*). 

Parmi les 143 acheteurs pour lesquels le CGDD disposait d'une déclaration d'achats, une minorité seulement avait atteint, en 2022, les objectifs fixés par l'article 58 :

- 7 % des acheteurs déclarants respectent les minima imposés en matière d'achats de vêtements ;

- 8 % respectent les minima imposés en matière d'achats de bicyclettes ;

- 11 % respectent les minima imposés en matière d'achats de matériel informatique ;

- 27 % respectent les minima imposés en matière d'achats de fournitures de bureau ;

- 42 % respectent les minima imposés en matière d'achats de véhicules ;

Étant rappelé que ces résultats ne concernent que 143 acheteurs, très probablement parmi les plus volontaires, de tels résultats ne peuvent qu'apparaître comme très mitigés.

À ce titre, il est intéressant de noter que la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable du Sénat202(*) a très récemment déploré l'impossibilité d'obtenir des chiffres consolidés et représentatifs concernant la mise en oeuvre de l'article 58 de la loi Agec et fait le constat plus général que la politique d'économie circulaire manquait d'une « boussole »203(*), faute de coordination interministérielle efficace. Cette situation, similaire à celle découverte par la commission d'enquête à propos de la commande publique (cf. supra), appelle selon nos collègues la même réponse : l'élaboration « au plus haut niveau »204(*) d'une stratégie industrielle, par un service rattaché au Premier ministre, qui s'imposerait à l'ensemble des ministères. La commission d'enquête aurait évidemment pu faire sienne cette recommandation.

Enfin, si les objectifs de la loi Climat et résilience n'entreront en vigueur, pour une majorité des acheteurs publics, qu'à compter du 22 août 2026, la possibilité d'une application réelle de telles exigences d'ici un an apparaît comme un défi de taille au regard du niveau actuel d'appropriation de ces objectifs par les acheteurs.

En effet, selon les données remontées à l'OECP, en 2023, 30,9 % des contrats dont le montant est supérieur à 90 000 euros HT conclus par l'État et le secteur hospitalier incluaient une clause environnementale (27,2 % en montant des marchés), 20,1 % des marchés des collectivités territoriales (27,9 % en montant) et 54,4 % des contrats du reste des acheteurs publics205(*) (68,9 % en montant, soit un total de 29,1 % des contrats publics).

Les données transmises par la DAJ concernant la part de marchés supérieurs à 25 000 euros HT incluant une clause environnementale font état de résultats légèrement différents, puisque 27 % des marchés conclus par l'État et le secteur hospitalier disposent d'une clause environnementale en 2023 (contre 14 % en 2020), 28 % des marchés des collectivités territoriales (contre 18 % en 2020) et 69 % des marchés des établissements publics et des opérateurs, soit 40 % de l'ensemble des marchés supérieurs à 25 000 euros HT.

Les données de la DAE s'agissant des seuls marchés de l'État font toutefois état d'une réelle progression dans l'inclusion de considérations environnementales et sociales ces dernières années, avec plus de 70 % de marchés présentant une considération environnementale en 2024, contre 21 % deux ans auparavant.

Tableau : Indicateurs de performance relatifs à l'achat responsable sur la période 2020-2024

 

Services de l'État

2020

2021

2022

2023

2024206(*)

Part des marchés avec considération environnementale

18,1 %

20,4 %

21,2 %

54,7 %

71,6 %

Part des marchés avec considération sociale

6,1 %

6,1 %

7,7 %

24,7 %

41,2 %

Source : données de la DAE.

Devant ces données, la commission d'enquête note néanmoins des disparités entre les données transmises par la DAJ, la DAE, ainsi que les données disponibles en source ouverte sur le site de l'OECP, disparités qui témoignent de l'absence de remontées d'informations complètes et standardisées pour l'ensemble des marchés publics, ne permettant pas de disposer d'un réel état des lieux de l'application de telles mesures, à un an ans de l'entrée en vigueur des dispositions issues de l'article 35 de la loi Climat et résilience.

S'agissant des clauses sociales, elles sont, selon le recensement de l'OECP, présentes dans 13,2 % des contrats conclus par l'État et le secteur hospitalier en 2023 (12,3 % en montant des marchés), 12,7 % des contrats des collectivités territoriales (22,5 % en montant) 39,5 % des contrats du reste des acheteurs publics (49,7 % en montant), soit un total de 18,7 % des contrats publics.

La progression marquée de l'inclusion de considérations sociales et environnementales au sein des marchés publics depuis 2023 s'observe également dans le bilan de mise en oeuvre du PNAD, qui prévoit l'inclusion de considération environnementale dans tous les marchés d'ici 2025 et de considération sociale dans au moins 30 % des contrats de la commande publique.

L'atteinte des objectifs fixés par le PNAD en matière de considérations environnementales dans les achats entre 2020 et 2025

Source : OCDE, juin 2025, Promouvoir les marchés publics stratégiques et écologiques en France.

*

La transition de la commande publique vers des pratiques plus durables et responsables semble ainsi actuellement au milieu du gué : si l'adoption de nombreuses normes, dont le non-respect n'engendre aucune sanction, a effectivement permis une prise de conscience des acheteurs et une impulsion décisive pour le changement des pratiques, les bilans très partiels de la mise en conformité avec l'ensemble des obligations nouvelles interrogent en creux la capacité concrète des acheteurs - les petits comme les plus substantiels - à faire évoluer leurs achats de manière significative dans un laps de temps restreint tout comme la volonté politique de l'État à accompagner l'ensemble des pouvoirs adjudicateurs dans cette transition.

Convaincue du bien-fondé de la démarche d'amélioration de la soutenabilité et de responsabilisation des achats publics, la commission d'enquête a toutefois abouti à des conclusions sévères quant au processus de mise en oeuvre de celle-ci. Elle a ainsi constaté :

- un pilotage par la donnée trop peu développé ayant conduit à la définition de normes sans visibilité sur les pratiques initiales des acheteurs ;

- un défaut d'accompagnement par l'État des plus petits acheteurs générant une appropriation très disparate du nouveau cadre juridique ;

- en conséquence, l'impréparation de nombreux acheteurs à l'entrée en vigueur de la loi Climat et résilience en 2026, de laquelle découle un risque de voir apparaître des mesures d'ordre cosmétique.

2. L'élaboration de la norme à l'aveugle, facteur de retard des acheteurs dans l'appropriation des obligations nouvelles

La commission s'est premièrement intéressée à la manière dont la transition écologique et sociale de la commande publique avait été initiée. À cet égard, il lui est apparu assez clairement que l'élaboration de nouveaux impératifs juridiques au sein des marchés relevait certes d'une initiative nécessaire et de bon sens, mais que celle-ci s'était opérée sans égard pour les pratiques initiales des acheteurs qui allaient pourtant devoir faire l'objet de fortes évolutions.

Il convient tout d'abord de rappeler l'état lacunaire des données dont disposaient le Gouvernement et la représentation nationale entre les années 2016 et 2022, durant lesquelles le cadre juridique des achats publics a été fortement remanié.

Si, en vertu de l'article R. 2196-4 du code de la commande publique, l'Observatoire économique de la commande publique (OECP) effectue chaque année un recensement économique des contrats de la commande publique, celui-ci était jusqu'à très récemment ostensiblement incomplet. Jusqu'au recensement des données pour 2024 (cf. infra), le recueil de données de l'OECP ne reposait en effet que sur une partie des marchés publics (supérieurs à un montant de 90 000 euros HT) et n'incluait que très faiblement des indicateurs en lien avec le développement durable ou les considérations sociales. À compter du 1er janvier 2024, la publication des données essentielles de la commande publique doit désormais intervenir en données ouvertes sur le portail national data.gouv.fr dès 25 000 euros HT, le nombre de contrats référencés devrait ainsi sensiblement augmenter207(*).

Conséquence de ce manque de visibilité criant sur les données des contrats publics, le législateur a édicté des normes nouvelles sans être en mesure de tenir compte des pratiques initiales des acheteurs (l'équivalent d'un T0) ni d'engager un processus de concertation préalable ou de recensement des bonnes pratiques des collectivités, prenant ainsi le risque de leur imposer des changements importants, voire irréalistes.

L'élaboration des exigences nouvelles en matière d'acquisition d'aliments durables et de qualité au sein de la loi Egalim illustre notamment ce processus puisque l'étude d'impact du Gouvernement ne s'appuyait pas sur un état des lieux détaillé du recours à l'agriculture biologique au sein des services de restauration collective, se limitant tout juste à préciser que la part de produits bio dans la restauration collective s'élevait « environ à 2,9 % » - sans pouvoir préciser cette donnée pour les seuls services publics de restauration. Interrogée par la commission d'enquête à ce propos, la DGAL a confirmé208(*) que les premiers chiffres collectés à ce sujet datent de 2019, soit un an après l'adoption de la loi. En d'autres termes, aucune donnée sur le recours à des produits durables ou issus de l'agriculture biologique en restauration collective publique, que ce soit en fonction des catégories de collectivités ou du type d'acheteur, n'était disponible lors de l'examen au Parlement de ces dispositions.

Sans préjudice de sa conviction du bien-fondé de l'adoption de normes visant à la transition alimentaire durable et responsable, la commission d'enquête estime néanmoins que la définition d'un cadre normatif aussi exigeant que celui de la loi Egalim n'aurait pas dû reposer sur un bilan aussi approximatif. Elle juge dès lors que si les difficultés constatées aujourd'hui dans la mise en oeuvre de ces dispositifs révèlent un regrettable manque de volonté politique de l'État dans l'accompagnement des pouvoirs adjudicateurs, elles sont également les conséquences logiques et prévisibles d'une norme édictée en l'absence d'un pilotage robuste par la donnée.

De plus, la connaissance fine de la composition des achats des différents acheteurs en amont de l'édiction de la norme aurait éventuellement pu conduire à un ajustement de celle-ci, en préconisant des seuils ou des dates d'entrée en vigueur différenciées afin de permettre à chaque catégorie d'acheteurs d'être en mesure d'atteindre les objectifs fixés et de se les approprier.

Le même constat peut s'appliquer à l'élaboration de la loi Climat et résilience. L'étude d'impact de celle-ci reconnaissait alors, à demi-mot, que les objectifs en matière de recours à des clauses sociales et environnementales étaient loin d'être atteints, en spécifiant que « le plan national d'action pour les achats publics durables pour la période 2014-2020 avait notamment fixé un objectif ambitieux de 30 % des marchés publics intégrant une clause environnementale, or en 2018 (...) seulement 18 % des marchés publics recensés contiennent une clause environnementale ». Il convient de rappeler que ce taux de 18 % est à relativiser au vu des défaillances que présentait à l'époque le recensement effectué par l'OECP. Au demeurant, la commission d'enquête, si elle comprend la portée incitative des obligations nouvelles instaurées par la loi Climat et résilience, s'interroge néanmoins sur la faisabilité d'un tel changement de pratiques pour l'ensemble des acheteurs publics alors même que l'échantillon restreint et non représentatif étudié en 2018 laissait craindre un coût d'adaptation élevé pour l'ensemble des pouvoirs adjudicateurs, et a fortiori les petites collectivités.

Toutefois, la commission d'enquête ne souhaite nullement remettre en cause la nécessité de se doter d'une législation ambitieuse afin de susciter un effet levier dans l'économie française pour accélérer la transition sociale et environnementale. Elle est en revanche convaincue qu'une telle transition doit à tout le moins aller de pair avec un important travail d'accompagnement des acheteurs dans la mise en conformité avec ces obligations nouvelles.

3. Faute d'un accompagnement suffisant de la part de l'État, une application en demi-teinte du nouveau cadre juridique de la commande publique responsable

La commission d'enquête a en effet relevé que les disparités dans l'application des nouvelles normes environnementales et sociales pouvaient pour partie être attribuées à la sous-estimation des difficultés rencontrées par les acheteurs face aux changements de pratique demandés ainsi que, en conséquence, de lacunes dans l'accompagnement proposé par l'État face à l'évolution du cadre juridique.

Ces difficultés, s'agissant de l'article 58 de la loi Agec, sont, au regard des éléments communiqués à la commission d'enquête, de plusieurs natures : la nécessité de recourir à des matériaux recyclés ou issus du réemploi a pu susciter de la méfiance chez les acheteurs quant au niveau de sécurité et de qualité de ces produits, tandis que la faible connaissance des écosystèmes de l'économie circulaire a également inquiété certains acteurs vis-à-vis de leur capacité à se conformer aux nouvelles exigences ; exigences qui, de surcroit, étaient peu claires pour eux.

Face à ces inquiétudes, la commission d'enquête estime que l'État n'a pas pleinement joué son rôle d'accompagnateur. En effet, le décret d'application du texte209(*), présentant les diverses catégories de produits soumises aux obligations prévues, paru plus d'un an après l'adoption de la loi, a pu, du fait de son faible niveau de détail, susciter plus d'interrogations que de réponses quant au périmètre de la loi et aux moyens de s'y conformer.

Si, dans son rapport d'évaluation de l'application de l'article 58 réalisé en 2023, le CGDD rappelle les dispositifs d'accompagnement mis en place par l'État (note explicative de la DAJ, webinaire, page ressource, ateliers), il constate néanmoins que « l'accompagnement devra être renforcé pour lever les blocages identifiés »210(*), notamment face à la complexité et l'illisibilité du décret d'application. Le Commissariat note ainsi que « la mauvaise compréhension des aspects techniques du décret [...] a été décrite comme ayant freiné l'appropriation du dispositif par les acheteurs » et concluait que, « compte tenu des multiples questionnements remontés sur cette question, il s'avère que cette présentation, faute d'être intuitive et bien comprise, mérite d'être modifiée ».

Devant ce bilan sévère, il est étonnant de constater qu'il aura fallu près de trois ans au Gouvernement pour publier un nouveau décret. Abrogeant le précédent, le décret n° 2024-134 du 21 février 2024 relatif à l'obligation d'acquisition par la commande publique de biens issus du réemploi ou de la réutilisation ou intégrant des matières recyclées et à l'interdiction d'acquisition par l'État de produits en plastique à usage unique détermine finalement de manière plus précise les règles relatives aux modalités d'acquisition des biens issus du réemploi ou intégrant des matières recyclées, et décline la part minimale d'acquisition en fonction du type de produits ainsi qu'un échéancier de mise en oeuvre, permettant enfin aux acheteurs une meilleure compréhension du cadre juridique auquel ils doivent se soumettre.

L'AMF souligne néanmoins des difficultés persistantes vis-à-vis de l'article 58 de la loi Agec, particulièrement quant aux obligations de déclaration des acquisitions issues de dons, dont les modalités sont qualifiées d'« usine à gaz »211(*). Il est en effet demandé aux collectivités d'estimer la valeur de ces dons sur la base d'un barème prévu par un arrêté du 29 février 2024 et d'un arrêté en date du 13 janvier 2025 fixant une grille de valeur forfaitaire permettant la comptabilisation des dons acquis, jugés peu clairs. Ce constat est partagé par l'association France urbaine qui précise que « le reporting Agec constitue un exercice très chronophage pour les collectivités »212(*).

Il ne fait ainsi nul doute que le manque d'anticipation de l'État dans la définition de la norme et l'accompagnement des pouvoirs adjudicateurs sont des causes directes de la lente appropriation de ces enjeux par ces derniers. Sans doute trop tardivement, l'État semble néanmoins avoir pris conscience de la nécessité d'assister les collectivités dans la mise en oeuvre de la loi Agec. Le CGDD a ainsi présenté à la commission d'enquête le dispositif « La Réf » répertoriant, par type d'acheteurs et segments d'achat, l'ensemble des obligations issues de la loi Agec, ainsi que le marché de l'inclusion, outil en open data référençant les structures de l'insertion et du handicap existantes à l'échelle de chaque territoire. La commission d'enquête a également observé la qualité des dispositifs d'accompagnement proposés par les réseaux régionaux, tels que « La Clause Verte ».

Un bilan similaire se dégage de la mise en oeuvre de la loi Égalim. Les difficultés rencontrées par les collectivités, premières concernées par les nouvelles obligations, sont multiples, le recours à des produits durables et de qualité supposant :

- la formation des acheteurs aux enjeux de sourcing et à l'adaptation des procédures de manière à les rendre plus accessibles aux producteurs locaux ;

- une anticipation des surcoûts induits par la transition vers une alimentation durable, qui s'élèvent en moyenne à 10 % à 20 %213(*) - surcoûts pouvant être compensés par la lutte contre le gaspillage alimentaire et le recours au « fait maison » ;

- une adaptation de la ressource humaine, des locaux et des équipements de cuisine, insuffisamment pensés pour la production de menus avec des composantes « faites maison » ;

- l'accompagnement des responsables des services de restauration - notamment les établissements scolaires - du fait de leur statut autonome. Départements de France note à cet égard que les secrétaires généraux des collèges semblent peu sensibilisés à la nécessité de se conformer à la loi Égalim par le ministère de l'Éducation nationale214(*) ;

- la gestion des difficultés d'approvisionnement, qui sont, selon l'AMF, en augmentation ces dernières années215(*) ;

- un travail lourd pour le développement de plateformes territorialisées et mutualisées efficaces et visibles afin de faciliter les commandes de produits locaux prêts à l'emploi.

Ces enjeux ont visiblement entraîné des difficultés plus ou moins importantes au regard des disparités dans l'atteinte des objectifs fixés dans la loi.

Comme indiqué précédemment, seuls 9 % des services de restauration de l'administration, 17,3 % des services du secteur de l'éducation, 14,3 % de ceux du secteur médico-social et 0,8 % de ceux du secteur hospitalier se conformaient, en 2023, aux objectifs de la loi Egalim.

Si, pour ces deux derniers secteurs, un groupe de travail spécifique a été ouvert avec la DGAL, de tels résultats ne peuvent dans l'ensemble être jugés satisfaisants. La commission d'enquête rappelle que les obstacles au respect de la loi relèvent avant tout de la rigidité du cadre juridique européen interdisant l'introduction de clauses favorisant le recours à des fournisseurs locaux, au sujet duquel elle porte des recommandations, développées dans la troisième partie du rapport. Néanmoins, elle considère que la lente évolution des pratiques des services de restauration s'explique également par un déficit indéniable d'accompagnement de l'État face à des objectifs qu'il a lui-même fixés. Elle appelle à cet égard à la poursuite et au renforcement des mesures d'aide aux acheteurs publics rencontrant des difficultés dans le changement des pratiques alimentaires, mais également à une vigilance accrue vis-à-vis des baisses de moyens transférés aux collectivités qui, année après année, réduisent leurs marges de manoeuvre dans le pilotage de leurs achats.

Par ailleurs, outre l'enjeu des moyens, le pilotage de la restauration scolaire se heurte à l'articulation parfois complexe des compétences entre les collectivités territoriales et l'État. En effet, si les collectivités sont prescriptrices du fonctionnement des services de restauration collective des établissements publics locaux d'enseignement (EPLE) et assurent leur financement, les adjoints au chef d'établissement chargés de la gestion matérielle, financière et administrative, agents de l'Éducation nationale, ont conservé la maîtrise des recettes et des dépenses de certaines sections du budget des établissements scolaires, notamment de celle relative au service de restauration.

Bien que l'article 145 de la loi dite 3DS216(*) ait consacré une forme d'autorité fonctionnelle des collectivités sur les adjoints gestionnaires des EPLE, cette solution reste insatisfaisante. L'effet concret d'une telle mesure est à relativiser aux dires des collectivités entendues et plaide en faveur du transfert de ces agents du ministère de l'Éducation nationale aux collectivités, afin de créer une réelle autorité hiérarchique, plus concrète et efficace, sur ces gestionnaires.

Recommandation n° 8. - Transférer les adjoints gestionnaires des établissements publics locaux d'enseignement aux collectivités de tutelle de ces derniers, afin d'assurer un pilotage plus cohérent de leurs services de restauration scolaire.

Pour les services de restauration collective de l'État, dont les moyens et de leviers d'action sont plus importants que les services relevant des collectivités territoriales ou du secteur hospitalier, il est impératif que, dans un délai d'un an, ils se soient conformés entièrement aux prescriptions de la loi Egalim.

Recommandation n° 9. - Exiger de l'État et de ses opérateurs le respect, dans un délai d'un an, des prescriptions de la loi Egalim en matière de restauration collective.

Les collectivités entendues au cours des travaux regrettent par ailleurs que l'État ne simplifie pas le système de télédéclaration mis en place pour assurer le suivi de la loi Egalim. Lourdes pour les acteurs de terrain, les procédures de télédéclaration font l'objet de publications peu exploitables. France urbaine et Départements de France rappellent sur ce point que les données du logiciel « Ma cantine » sont difficilement utilisables pour elles puisqu'elles ne permettent pas d'extraire des résultats par strate de collectivités, ce qui rend impossible un accompagnement ciblé des acheteurs en difficulté.

Alertés par la commission d'enquête à ce sujet, les services de la direction générale de l'alimentation du ministère de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire ont indiqué avoir « entrepris des démarches de simplification »217(*).

Outre un accompagnement encore perfectible, la commission d'enquête a déploré que l'État soit, en matière de commande publique responsable, en retard vis-à-vis des collectivités qui, pour leur part, s'investissent fortement pour porter cette transition.

À titre d'exemple, alors que 81 départements se sont d'ores et déjà dotés d'un Spaser, à la suite de l'entrée en vigueur de la loi Industrie verte abaissant le seuil du volume d'achats rendant obligatoire la réalisation d'un tel document218(*), l'État ne l'a toujours pas publié au moment de la présentation des conclusions de la commission d'enquête. Annoncé pour l'année 2024, puis retardé à la suite de la censure du gouvernement Barnier en décembre de cette même année, il importe que ce document, dans le cadre duquel l'État doit se montrer exemplaire, soit publié dans les meilleurs délais. Malgré l'intérêt marqué par la commission d'enquête pour ce sujet, aucun projet ou document préparatoire ne lui a été communiqué.

Recommandation n° 10Assurer dans les plus brefs délais la mise en conformité de l'État avec ses obligations légales en le dotant d'un schéma de promotion des achats publics socialement et écologiquement responsables (Spaser), applicable à l'ensemble de ses opérateurs.


* 195 Écoles élémentaires, secondaire collège, secondaire lycée, université et supérieur, autres structures d'enseignement.

* 196 Crèches, EHPAD, ESAT, établissements sociaux et médico-sociaux.

* 197 Données moyennes pour les 26 CROUS.

* 198 Données pour la période janvier - février 2025.

* 199 En application du décret n° 2021-1235 du 21 septembre 2021, le seuil de produits durables et de qualité est fixé à 20 % de l'ensemble des achats et le seuil de produits biologiques à 5 % en Guadeloupe, Guyane, Martinique et à La Réunion. Pour Mayotte, ces taux sont respectivement de 5 % et 2 %.

* 200 Rapport du gouvernement remis au Parlement ; bilan statistique annuel de l'application des objectifs d'approvisionnement fixés à la restauration collective pour 2024.

* 201 Réponse de France urbaine au questionnaire de la commission d'enquête.

* 202 Marta de Cidrac, Jacques Fernique, « La loi AGEC cinq ans après : redonner confiance en l'économie circulaire », rapport d'information n° 786 (2024-2025), déposé le 25 juin 2025.

* 203 Ibid.

* 204 Ibid.

* 205 Entreprises publiques, opérateurs de réseaux, etc.

* 206 Chiffres quasi-définitifs au 24 mars 2025.

* 207 Néanmoins, pour les marchés dont le montant est égal ou supérieur à 25 000 euros HT et inférieur à 40 000 euros HT, l'acheteur peut choisir de ne pas publier les données essentielles sur le portail national des données ouvertes mais se contenter de publier, au cours du premier trimestre de chaque année, sur le support de son choix, la liste des marchés conclus l'année précédente.

* 208 Audition du 1er avril 2025.

* 209 Décret n° 2021-254 du 9 mars 2021 relatif à l'obligation d'acquisition par la commande publique de biens issus du réemploi ou de la réutilisation ou intégrant des matières recyclées.

* 210 CGDD, Rapport d'évaluation de l'article 58 de la loi anti-gaspillage pour une économie circulaire.

* 211 Réponse de l'AMF au questionnaire de la commission d'enquête.

* 212 Réponse de France urbaine au questionnaire de la commission d'enquête.

* 213 Données Départements de France.

* 214 Réponse de Départements de France au questionnaire de la commission d'enquête.

* 215 Selon l'AMF, les difficultés d'approvisionnement en produits de qualité et durables s'avèrent plus fortes en 2023 (40 %) qu'en 2020 (18 %).

* 216 Loi n° 2022-217 du 21 février 2022 relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l'action locale.

* 217 Audition du 1er avril 2025.

* 218 Depuis le 25 octobre 2023, en application de la loi n° 2023-973 du 23 octobre 2023 relative à l'industrie verte, tout acheteur réalisant un volume d'achats annuel égal ou supérieur à 50 millions d'euros HT doit se doter d'un Spaser.

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