III. RÉCONCILIER COMPÉTITIVITÉ ET TRANSITION POUR REFAIRE DE LA FRANCE UN TERRITOIRE D'INDUSTRIE AUTOMOBILE
Face à l'ampleur des bouleversements auxquels est confrontée l'industrie automobile, industrie structurante et fortement pourvoyeuse d'emplois, tant en France qu'en Europe, les pouvoirs publics ont le devoir de la soutenir dans ses efforts pour retrouver sa compétitivité et redevenir leader sur les véhicules du futur. Pour ce faire, les actions sur le marché ne suffiront pas. En effet, comme l'a suggéré aux rapporteurs le chercheur Tommaso Pardi, « [l]e principal problème de l'approche du gouvernement français consistant à miser sur l'électrification rapide pour inverser le déclin historique du secteur automobile français était en effet qu'elle ne s'attaquait pas à sa cause structurelle principale, à savoir la dérive réglementaire vers le haut de gamme ». C'est donc sur les fondamentaux industriels qu'il convient d'agir pour réussir la transition, y compris dans l'électromobilité.
A. INVESTIR DANS L'ÉLECTRIQUE : UNE NÉCESSITÉ
1. Une révolution en marche
Malgré les réels assouplissements proposés à la réglementation européenne, pour sortir du « tout électrique », les rapporteurs sont, comme l'ensemble des personnes auditionnées, convaincus que l'électrification sera la solution gagnante pour décarboner les mobilités individuelles.
En effet, ainsi qu'indiqué plus haut, l'automobile représente actuellement environ deux tiers des mobilités des Français. De ce fait, les autres leviers de décarbonation des mobilités de la stratégie nationale bas-carbone (SNBC) - modération des distances parcourues, report modal et augmentation du remplissage des véhicules, notamment par le covoiturage -, ne pourront, dans l'immédiat, qu'apporter une contribution marginale à la décarbonation.
Part de la voiture dans les mobilités des Français
Source : document fourni par A. Bigo
Parallèlement, malgré les récents reculs, et si sa part dans le parc total reste minoritaire, la part des véhicules électriques (« tout électrique » et hybrides rechargeables99(*)) dans les ventes de véhicules neufs a rapidement augmenté sur le moyen terme, en France (de 1,9 % en 2019 à 17 % actuellement100(*)), en Europe et dans le monde (de 2,1 M à 13,8 M entre 2018 et 2023101(*)), malgré une pénétration a été très inégale selon les régions.
Source : A. Bigo
Part des ventes de voitures neuves dans l'Union
européenne
par type de motorisation (2001-2003)
Source : Alochet mai 2024, p. 37, données Acea
La révolution en marche en Europe est en réalité, au niveau mondial, toujours tirée par la Chine. Si aux États-Unis, la part des ventes de véhicules électriques représentait seulement 16 % en 2023, et 4 % au Japon, la tendance à l'électrification est également en marche dans certains pays du Sud, comme au Vietnam ou en Turquie, où la part des ventes de véhicules électriques se situe déjà autour de 10 % - de même en Thaïlande, où l'absence totale de barrières douanières sur les véhicules chinois assure leur pénétration rapide du marché102(*).
De ce fait, à l'exemple chinois, des pays émergents comme le Brésil et l'Inde commencent à structurer des politiques industrielles visant à développer la production de véhicules électriques103(*). Les constructeurs européens ne peuvent donc pas rester en-dehors du jeu. Les rapporteurs ne peuvent par conséquent que souscrire à l'ambition portée par le président Macron, qui voulait, à la sortie de la crise Covid, faire de la France le leader de la production de véhicules électriques, et avait fixé un objectif de production de 2 millions de véhicules électriques produits en France à horizon 2030104(*), avec un « point de passage » à 1 million en 2027.
Ils notent d'ailleurs avec satisfaction que des investissements massifs ont été engagés par les constructeurs et l'État pour tenir cette trajectoire, et portent déjà leurs fruits : selon les informations fournies par la DGE, le site Renault à Douai est ainsi passé d'une production entièrement thermique en 2019 à 100 % électrique en 2024 et renoue déjà avec les volumes connus avant la Covid-19 ; Stellantis, Renault et Toyota proposent désormais 12 modèles électriques fabriqués en France ; le site de Toyota à Onnaing n'a jamais autant produit qu'en 2024, avec une gamme quasi entièrement électrifiée.
Cela ne signifie naturellement pas qu'il faut abandonner la production de véhicules thermiques : en vue de servir notamment les marchés du Sud, certains constructeurs comme Toyota développent d'ailleurs une stratégie « multicanal », précurseur sur l'hybride ; Renault a, pour sa part, choisi de scinder ces deux activités, en conservant avec sa division Horse une production innovante de moteurs thermiques), à rebours par exemple de la stratégie « New Auto » de Volkswagen, tournée toute entière vers l'électrique.
2. Un enjeu de souveraineté
La sortie des énergies fossiles pour les mobilités revêt également un enjeu de souveraineté énergétique : le pétrole utilisé pour les mobilités particulières représente environ 500 TWh, l'importation de produits pétroliers raffinés pesant lourdement sur la balance commerciale française (près de 26 Md€ en 2024 ont été consacrés à l'approvisionnement en carburants pour le transport routier, qui représente 91 % de la consommation pétrolière nationale). Or l'équivalent en électricité serait de 100 TWh, ce qui est exactement l'électricité exportée par la France tous les ans. Sortir de la dépendance aux énergies fossiles améliorerait donc la balance commerciale de la France. Or, de l'aveu même de leurs représentants, les autres solutions de mobilité décarbonée, en totalité ou partiellement, ne pourront pas couvrir l'ensemble des besoins du parc : Bioéthanol France estime que si la production de biocarburants en France « montait » à 1 % de la surface agricole utile (contre 0,7 % actuellement, ce qui semble devoir être le maximum pour ne pas créer d'éviction d'usage agricole, c'est moins de 20 % du parc total qui pourrait utiliser des biocarburants, grâce à des motorisations hybrides rechargeables.
* 99 Les différents types de motorisation électriques sont détaillés en Annexe 2, p. 124.
* 100 Chiffres fournis par A. Bigo.
* 101 Chiffres fournis par A. Bigo.
* 102 Krzywdzinski et al. 2025.
* 103 Krzywdzinski et al. 2025, p. 355.
* 104 Comité stratégique de la filière automobile. (2021). Avenant au contrat stratégique de la filière automobile 2018-2022.


