V. OUVRIR UNE RÉFLEXION NATIONALE SUR L'ORIENTATION ÉTUDIANTE ET LES TARIFS UNIVERSITAIRES

1. Des marqueurs du modèle universitaire aux conséquences non régulées

Deux caractéristiques centrales du modèle universitaire français ont fait l'objet de débats nourris tout au long des travaux de la mission : l'absence de sélection à l'entrée des filières universitaires et la quasi-gratuité du parcours d'études pour l'ensemble des étudiants. Ces deux éléments correspondent à des marqueurs fortement identifiants du système universitaire français, auxquels les acteurs apparaissent diversement attachés.

Alors que le paysage de l'enseignement supérieur connaît de profonds bouleversements sur le territoire français comme à l'échelle internationale, il n'est pas débattu par les acteurs entendus que le statu quo sur ces deux points est générateur d'effets négatifs, voire contre-productifs pour les étudiants, les familles, les établissements et, à travers l'enjeu de finances publiques, l'ensemble des citoyens :

- l'absence de régulation des effectifs étudiants par la sélection à l'entrée du premier cycle universitaire, dont les effets sont entièrement absorbés par les établissements, fait peser une forte contrainte sur leur fonctionnement. Elle dégrade par ailleurs l'efficience de la dépense publique en direction des universités, dès lors que l'appariement entre les exigences des formations, les capacités des candidats et les perspectives de poursuite d'études et d'insertion professionnelles n'est pas assuré par la procédure d'orientation en vigueur. Surtout, elle agit de manière très négative pour des étudiants entretenus dans une forme d'illusion mais soumis à une sélection massive a posteriori et par l'échec ;

- la modicité des droits d'inscription dans les filières universitaires a été abordée, au cours des auditions, sous l'angle d'une dégradation de la qualité perçue de ces formations au regard d'un « signal prix ». Cette caractéristique emporte également des conséquences en matière financière, notamment en ce qui concerne la structure des ressources des établissements ainsi que l'efficience de la dépense publique - la différence entre le montant des droits d'inscription et le coût réel des formations étant pris en charge par le budget de l'État, y compris pour les étudiants extracommunautaires.

Ces deux éléments ont par ailleurs des effets négatifs sur le positionnement des universités dans l'offre générale d'enseignement supérieur, à l'échelle nationale comme sur le plan international. La massification des effectifs accueillis à l'université, sans que l'adéquation entre les attendus des formations et les profils des candidats toujours soit assurée, dégrade les conditions d'accueil et de formation des étudiants à l'université, perçue en conséquence comme une solution d'orientation par défaut. À l'échelle internationale, le premier cycle universitaire se positionne comme une offre d'enseignement supérieur accessible à bas coût et de qualité moyenne.

2. Une absence de consensus justifiant l'ouverture d'un débat

• Ces constats sont globalement partagés par les acteurs entendus par la mission. La manière de répondre aux questions ainsi soulevées n'a cependant pas fait l'objet d'un consensus entre les acteurs entendus. Les rapporteurs estiment en conséquence nécessaire d'ouvrir la réflexion sur ces sujets, notamment dans le cadre de la concertation stratégique prévue par la première recommandation.

À cet égard, le débat devra prendre en compte plusieurs éléments.

• En premier lieu, l'évolution à la hausse des frais d'inscription n'est pas demandée par tous les établissements et ne fait pas l'objet d'un consensus politique.

L'enjeu soulevé par cette question est par ailleurs moins celui d'une augmentation des ressources des établissements que de l'efficience de la dépense publique.

Du fait de leur grande modicité et de leur très faible poids dans les ressources des établissements, une augmentation même très importante de leur montant n'aurait en effet qu'un effet limité sur le financement des établissements137(*), tout en entraînant un accroissement de la dépense de l'État du fait de leur prise en charge pour les étudiants boursiers.

En revanche, la pertinence de la prise en charge par le budget de l'État de l'essentiel du coût de la formation des étudiants issus de familles aisées ainsi que des étudiants extracommunautaires, indépendamment de leur niveau de ressources, doit faire l'objet d'un débat approfondi. Si le financement par l'État de la formation des étudiants dont la situation économique ou personnelle le justifie, ou dont le projet de formation répond aux priorités de formation138(*) et de recherche de notre pays, ne doit pas être remis en cause, les contours de ces éléments doivent être précisés dans le cadre d'une stratégie concertée.

Les rapporteurs estiment en tout état de cause qu'une augmentation des droits d'inscription ne pourrait être intervenir qu'à la triple condition d'être opérée de manière progressive avec les revenus, en coordination avec une réforme des bourses, et sans réduire la part du financement de l'État.

• En second lieu, si l'introduction de mécanismes de régulation des effectifs étudiants à l'entrée dans le premier cycle universitaire constitue une demande plus largement partagée parmi les établissements, il n'existe pas davantage de consensus sur les modalités concrètes d'une telle évolution.

Les rapporteurs relèvent à cet égard que la sélection qui pourrait être mise en oeuvre dans le cadre du service public universitaire ne saurait être confondue avec celle qui prévaut pour l'accès aux grandes écoles, qui relève du régime du concours. Il ne s'agit pas, en effet, de choisir un nombre restreint des meilleurs profils académiques, mais d'éviter l'accueil de candidats dont la probabilité de réussite est très faible et n'est pas susceptible d'être augmentée par un dispositif d'accompagnement bien conduit.

Le débat mériterait d'être inscrit dans un cadre plus large incluant une réflexion sur la fonction du baccalauréat, l'organisation du continuum entre le lycée et le premier cycle universitaire ainsi que le fonctionnement de ce cycle de formation.

Les rapporteurs relèvent enfin qu'il est de l'intérêt de tous que la formation universitaire, qui constitue l'offre d'enseignement supérieur la plus accessible aux bacheliers indépendamment de leur origine sociale et de leur niveau de ressource, demeure une référence de qualité.

Recommandation n° 12 : Dans le cadre de la conférence stratégique quinquennale, ouvrir la réflexion sur :

- la régulation de l'entrée dans le premier cycle universitaire;

- les conditions d'un rehaussement national des droits d'inscription, de manière progressive avec les revenus, en coordination avec une réforme des bourses, et sans réduire la part du financement de l'État.


* 137 La Cour des comptes relève à cet égard que « le montant des droits universitaires étant actuellement très modeste, en valeur absolue et en part dans les ressources des universités, l'objectif de procurer des recettes d'un montant significatif pour les universités nécessiterait une augmentation soutenue. En 2018-2019, une hausse générale des droits de 30 %, qui peut déjà` être considérée comme très substantielle au regard des évolutions historiques, n'aurait procure' aux universités que 102 M€ de recettes supplémentaires ».

* 138 Se poserait notamment la question du maintien du niveau de prise en charge de l'État pour les études en santé.

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