M. le président. La parole est à Mme Corinne Bourcier, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires. (Mmes Anne-Sophie Romagny et Marie-Pierre Richer applaudissent.)
Mme Corinne Bourcier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, j’ignore si l’on peut le qualifier d’historique, mais ce texte marque indiscutablement une étape importante, déterminante, pour la profession d’infirmier.
Pour les 640 000 infirmiers et infirmières exerçant dans notre pays, dont 145 000 en libéral, cette proposition de loi consacre la reconnaissance de leurs compétences, de leur savoir-faire, de leur engagement et, en somme, de leur rôle fondamental auprès des patients.
Demandé depuis vingt ans par les infirmiers, ce texte va enfin contribuer à réorganiser la profession comme maillon de la chaîne de l’accès aux soins.
Il contribuera à fluidifier le parcours de soins dans un système actuellement défaillant, puisque 6,7 millions de personnes n’ont pas de médecin traitant.
Son objet – je tiens à y insister – n’est absolument pas de remplacer le médecin traitant : il est de donner aux infirmiers les capacités et le droit de mener des entretiens reconnus comme des consultations et d’établir un diagnostic infirmier, ce qu’ils font déjà depuis longtemps ; désormais, ces actes seront reconnus et, surtout, rémunérés.
Les infirmiers pourront désormais effectuer des prescriptions simples, mais essentielles, comme des prescriptions de paracétamol ou autres antalgiques de niveau I, les mêmes que nous pouvons tous acheter en pharmacie, mais que l’infirmier n’a pourtant pas le droit de prescrire… Ils pourront prescrire aussi d’autres produits et examens.
Le texte sur lequel nous devons nous prononcer aujourd’hui préserve l’équilibre trouvé lors de son examen au Sénat.
En effet, il garantit – c’est impératif – que les missions des infirmiers s’exerceront toujours en « coordination » avec le médecin traitant. Le diagnostic infirmier ne remplacera pas le diagnostic médical, et un compte rendu intégral du suivi réalisé par l’infirmier devra être versé dans le dossier médical partagé du patient.
Leurs missions sont enfin définies : réalisation et évaluation des soins, orientation de la personne, participation à la prévention et à la formation.
Le texte accorde aussi une meilleure reconnaissance de la pratique avancée. Les IPA, piliers indispensables, pourront désormais exercer dans les services de protection maternelle et infantile, de santé scolaire et d’aide sociale à l’enfance.
Nous saluons le maintien dans la proposition de loi, à l’issue de la CMP, de l’amendement de notre collègue Daniel Chasseing, dont l’adoption marque la reconnaissance des infirmiers coordonnateurs en Ehpad : c’est une avancée significative pour tous ceux qui jouent un rôle fondamental dans beaucoup de ces établissements.
À titre personnel, je salue la suppression, que j’avais également proposée, de la mesure imposant aux infirmiers qui arrêtent d’exercer pendant plusieurs années d’être soumis à une évaluation et, éventuellement, à une remise à niveau. Si je comprenais bien l’objectif de cette mesure, je la trouvais néanmoins injuste, les autres professionnels de santé n’y étant pas soumis.
Ce texte est réellement un texte positif : il répond aux attentes de la profession, aux besoins des patients et respecte le champ de compétence des différents professionnels.
Mais, nous y avions insisté lors de son examen en première lecture, il ne sera une vraie réussite qu’à plusieurs conditions.
Tout d’abord, il faudra que les décrets soient rapidement publiés, et qu’ils respectent, bien sûr, l’esprit de cette PPL.
Ensuite – je dirais même « surtout » –, les négociations qui seront menées cet été devront être à la hauteur des attentes, alors que la liste des actes médicaux infirmiers (AMI) n’a pratiquement pas évolué depuis 2009. C’est indispensable pour renforcer l’attractivité de la profession et pour envoyer le bon message à celles et ceux qui sont déjà en activité et à qui il arrive de perdre espoir dans un métier dont l’exercice peut s’avérer extrêmement difficile.
Enfin, je tiens de nouveau à remercier et à féliciter vivement Nicole Dubré-Chirat, députée de Maine-et-Loire, et Frédéric Valletoux, qui sont à l’origine de cette proposition de loi. Je remercie aussi nos rapporteurs, Anne-Sophie Romagny et Jean Sol, de leur travail.
M. le président. La parole est à Mme Marie-Pierre Richer, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Anne-Sophie Romagny applaudit également.)
Mme Marie-Pierre Richer. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, cette proposition de loi, adoptée à l’unanimité par le Sénat le 5 mai dernier, a naturellement fait l’objet d’un accord en commission mixte paritaire. Nous nous en félicitons.
Ce texte, enrichi par les travaux du Parlement, marque une étape décisive dans l’évolution et la reconnaissance du métier d’infirmier. Ce faisant, des réponses concrètes sont apportées aux patients, dont le parcours de soins sera facilité et fluidifié.
Nous sommes satisfaits de retrouver dans le texte de la CMP la majorité des apports du Sénat. Nous saluons, à cet égard, le travail accompli par les rapporteurs Anne-Sophie Romagny et Jean Sol.
Ces améliorations ont notamment permis d’éviter d’opposer entre eux les professionnels de santé et d’apaiser les tensions.
Je pense au rétablissement de l’avis de l’Académie nationale de médecine sur la liste des produits et examens pouvant être prescrits par les infirmiers et à la consécration du principe de coordination interprofessionnelle.
De notre point de vue, les missions de l’infirmier doivent toujours avoir vocation à être exercées en complémentarité avec les autres professions de santé qui interviennent dans la prise en charge des patients, au premier rang desquelles les médecins.
Ce texte contient de nombreuses avancées attendues par la profession. Je pense particulièrement à la consultation infirmière et au diagnostic infirmier.
Nous avons également soutenu l’expérimentation d’un accès direct aux infirmiers au-delà de leur rôle propre, dans le cadre d’un exercice coordonné.
La commission mixte paritaire a pu trouver une formulation permettant de rendre effective la reconnaissance du statut d’infirmier coordinateur en Ehpad ; nous nous en félicitons.
Nous saluons par ailleurs le maintien des mesures adoptées sur l’initiative des sénateurs de notre groupe.
Je pense à la reconnaissance du métier d’infirmier scolaire comme une spécialité autonome : le rôle pivot de ces infirmiers dans le système éducatif et sanitaire sera ainsi reconnu.
Je pense également à la mesure visant à recentrer les domaines d’intervention des infirmiers en pratique avancée sur une approche populationnelle.
Quant à l’article tendant à renvoyer aux partenaires conventionnels l’uniformisation de la définition de l’agglomération retenue pour le calcul des indemnités kilométriques, afin d’assurer une meilleure équité entre professionnels dans la facturation de ces indemnités, il constitue une réelle avancée.
Par ailleurs, nous sommes satisfaits de la nouvelle rédaction de l’article qui conditionne la reprise d’activité des infirmiers à une évaluation des compétences. Le caractère obligatoire de la procédure, qui n’existe pour aucune autre profession de santé, nous semblait en effet trop rigide. Ainsi, les infirmiers qui le souhaiteront auront la possibilité de solliciter l’avis du Conseil national de l’ordre des infirmiers pour évaluer leurs acquis et leurs compétences et déterminer si une formation est nécessaire.
Toutes ces mesures doivent maintenant trouver leur traduction concrète.
Le texte permet d’acter l’ouverture d’une négociation conventionnelle sur la question essentielle de la rémunération ; nous espérons que celle-ci pourra aboutir dans les meilleurs délais.
Compte tenu des attentes et de l’urgence qu’il y a à faire entrer ce texte en vigueur, nous comptons sur vous, monsieur le ministre, pour veiller à la publication rapide des décrets d’application. Après avoir entendu votre intervention, je ne doute pas de votre action en ce sens !
Notre groupe votera avec conviction en faveur de cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et INDEP.)
M. le président. Conformément à l’article 42, alinéa 12, du règlement, je mets aux voix, dans la rédaction résultant du texte élaboré par la commission mixte paritaire, l’ensemble de la proposition de loi sur la profession d’infirmier.
J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant de la commission.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 330 :
Nombre de votants | 341 |
Nombre de suffrages exprimés | 341 |
Pour l’adoption | 341 |
La proposition de loi est adoptée définitivement. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et INDEP.)
M. Laurent Burgoa. Bravo !
M. le président. Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-huit heures dix, est reprise à dix-huit heures onze.)
M. le président. La séance est reprise.
4
Projet parental et discriminations au travail
Adoption définitive d’une proposition de loi dans le texte de la commission
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale, visant à protéger les personnes engagées dans un projet parental des discriminations au travail (proposition n° 568, texte de la commission n° 717, rapport n° 716).
Discussion générale
M. le président. Dans la discussion générale, la parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Charlotte Parmentier-Lecocq, ministre déléguée auprès de la ministre du travail, de la santé, de la solidarité et des familles, chargée de l’autonomie et du handicap. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des affaires sociales, madame la rapporteure, mesdames, messieurs les sénateurs, vous êtes saisis aujourd’hui d’une proposition de loi examinée il y a quelques semaines à l’Assemblée nationale.
La question de l’assistance médicale à la procréation (AMP) n’est pas une question marginale : 15 % des couples sont confrontés à l’infertilité et une naissance sur trente se fait dans le cadre d’une assistance médicale à la procréation.
Si les causes de l’infertilité sont réparties entre hommes et femmes, le poids du traitement repose essentiellement sur les femmes.
Une étude internationale de référence a évalué la durée moyenne d’un parcours d’assistance médicale à la procréation à plus de sept ans, dont plus de quatre ans de soins, durée à laquelle il faut ajouter les neuf mois de grossesse.
Par sa longueur, sa lourdeur et ses difficultés, un parcours d’assistance médicale à la procréation peut évidemment avoir des effets directs sur la vie professionnelle des femmes en renforçant les inégalités professionnelles et en exposant certaines d’entre elles, ainsi que certains conjoints, à des comportements discriminatoires de la part de leurs employeurs.
Trop souvent, en effet, l’annonce d’une grossesse expose encore à des comportements discriminatoires ; l’annonce d’un projet de grossesse dans le cadre d’une assistance médicale à la procréation y expose tout autant, voire davantage, et ce parfois avant même le début effectif de la grossesse.
La Défenseure des droits est régulièrement saisie de discriminations liées à la grossesse, mais aussi de cas impliquant des projets d’assistance médicale à la procréation. Je vous renvoie notamment à une décision intervenue en 2020 et qui a donné lieu à une transaction pénale décidée par le Défenseur des droits.
Des organisations syndicales et des associations sont régulièrement interpellées par des salariés rencontrant des difficultés pour faire appliquer la loi.
Notre cadre juridique en matière de lutte contre les discriminations au sein du monde du travail est très complet : il couvre un grand nombre de situations, et l’enjeu est de renforcer à la fois la prévention, l’identification et la sanction des pratiques discriminatoires.
Par la loi du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé, le législateur a explicitement affirmé le droit à la non-discrimination, offrant aux femmes en parcours d’AMP une protection juridique identique à celle dont bénéficient les « femmes en état de grossesse ».
La même loi a également prévu des autorisations d’absence pour les actes médicaux nécessaires. De telles autorisations sont également possibles pour les conjoints.
Alors que le recours à l’assistance médicale à la procréation augmente et que cette technique a été ouverte aux femmes seules et aux couples de femmes par la loi du 2 août 2021 relative à la bioéthique, le Gouvernement partage la volonté des auteurs de la présente proposition de la loi de renforcer, clarifier et préciser certaines dispositions du code du travail.
En amont de l’examen du texte par l’Assemblée nationale, le Gouvernement, et tout particulièrement les services du ministère chargé du travail et de l’emploi, a beaucoup travaillé avec la rapporteure, Mme Prisca Thevenot, pour consolider le dispositif initial.
L’article 1er complète ainsi les dispositions du code du travail qui concernent l’interdiction des refus d’embauche, des ruptures de contrat de travail et des mutations forcées : les femmes en parcours d’AMP bénéficieront des mêmes protections que les femmes enceintes. Ces protections seront aussi élargies à la personne accompagnant un parcours d’AMP ou participant à un projet d’adoption.
À l’article 2, l’extension du régime des autorisations d’absence permettra de mieux tenir compte de la réalité de la procédure et de mieux concilier vie personnelle et vie professionnelle.
Quand le projet parental est conçu par un homme et une femme, les hommes ne sont pas uniquement des accompagnants : il arrive fréquemment que la recherche de l’infertilité nécessite des actes médicaux qui concernent les hommes.
Afin de prendre en compte les projets d’adoption, la proposition de loi intègre les entretiens obligatoires préalables à l’obtention d’un agrément dans le cadre d’une procédure d’adoption parmi les raisons ouvrant droit à une autorisation d’absence.
L’ensemble des modifications que vous proposez d’apporter au code du travail constituent des précisions utiles qui contribueront à mieux protéger les salariés engagés dans une procédure d’AMP ou un projet d’adoption.
L’infertilité a des causes médicales, sociétales, comportementales et environnementales.
Les techniques d’AMP permettent d’y apporter des réponses et il est important que la société n’oppose pas d’obstacles supplémentaires à un projet parental qui, s’il est éminemment personnel, n’en est pas moins d’intérêt général au moment où la France traverse une crise démographique inédite.
Le présent texte envoie aussi un message aux salariés qui ne font pas toujours valoir leurs droits et aux employeurs qui n’ont pas toujours le bon réflexe : tout projet parental doit être protégé des discriminations.
Cette proposition de loi a été adoptée à l’unanimité par l’Assemblée nationale. Le texte a été adopté sans modification par la commission des affaires sociales du Sénat. J’invite évidemment votre assemblée à le voter. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et INDEP.)
M. le président. La parole est à Mme la rapporteure. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Annick Petrus, rapporteure de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous examinons aujourd’hui une proposition de loi déposée par la députée Prisca Thevenot et adoptée à l’unanimité par l’Assemblée nationale le 5 mai 2025. Elle vise à mieux protéger contre les discriminations au travail les personnes engagées dans un parcours d’AMP ou d’adoption. Ces parcours, déjà exigeants et parfois douloureux sur le plan personnel, ne doivent pas être alourdis par des obstacles professionnels.
Avant de présenter les articles de ce texte, permettez-moi de rappeler brièvement le droit en vigueur.
Le principe de non-discrimination est un pilier du droit du travail. Il s’applique à l’embauche comme tout au long du contrat, et couvre un large éventail de critères : le sexe, l’âge, la situation familiale, le handicap, les convictions religieuses, entre autres. Depuis 2016, les femmes engagées dans un parcours d’AMP bénéficient d’un régime de protection renforcée, comparable à celui dont bénéficient les salariées enceintes.
Par ailleurs, le législateur a prévu des autorisations d’absence pour les femmes salariées en parcours d’AMP, ainsi que pour leurs partenaires, afin qu’ils puissent honorer leurs rendez-vous médicaux. Ces droits s’inscrivent dans une volonté d’adapter le droit du travail à l’évolution des parcours de parentalité.
Dans certains territoires, notamment ultramarins, les démarches d’adoption ou d’AMP peuvent se heurter à des contraintes supplémentaires d’ordre géographique ou administratif. Ce texte permettra aussi de sécuriser juridiquement les familles concernées, où qu’elles vivent.
La présente proposition de loi trouve son origine dans un constat de bon sens : les contraintes imposées par une procédure d’adoption ou un parcours d’AMP peuvent avoir un impact sur l’organisation du temps de travail. Elles sont souvent connues de l’employeur, ce qui peut, dans de rares cas, conduire à des attitudes discriminatoires.
L’article 1er étend la protection contre les discriminations, déjà applicable aux femmes engagées dans une AMP, à toutes les personnes, femmes et hommes, engagées dans un projet parental. Il s’agit d’inscrire dans le code du travail l’interdiction de tout refus d’embauche, de tout licenciement et de toute mutation qui seraient motivés par un tel projet, et d’appliquer à ces cas le régime probatoire protecteur prévu en matière de discrimination. Ainsi la charge de la preuve sera-t-elle inversée, ce qui est de droit commun en matière de discrimination.
Il est vrai que le droit actuel couvre déjà en grande partie ces situations via plusieurs motifs de discrimination. Mais l’inscription explicite dans la loi présente un double intérêt : renforcer la sécurité juridique des salariés concernés et affirmer clairement une orientation politique.
C’est une mesure à la fois symbolique et nécessaire.
Il me paraît important de rappeler que ce texte ne constitue en rien un procès fait aux employeurs. La grande majorité d’entre eux agit avec discernement et responsabilité. Il s’agit ici de mieux encadrer les pratiques et d’éviter les abus isolés.
L’article 2 va plus loin encore. Il étend le bénéfice des autorisations d’absence aux hommes en parcours d’AMP, à leurs partenaires en tant qu’accompagnants, ainsi qu’à toute personne engagée dans une procédure d’adoption. Cette mesure vise à faciliter la conciliation entre engagement parental et contraintes professionnelles.
Nombre d’entreprises ont déjà mis en place de telles dispositions par la négociation collective ou par bienveillance. Mais l’harmonisation légale permet de garantir une équité de traitement sur l’ensemble du territoire.
Mes chers collègues, si je vous invite à soutenir ce texte, qui a été adopté par la commission des affaires sociales dans sa grande majorité, c’est parce qu’il répond à une attente réelle et contribue à une société plus juste.
Mais cela ne doit pas nous dispenser d’une réflexion plus large sur la manière dont la loi traite des discriminations.
Depuis 2012, le code du travail a été modifié en moyenne tous les deux ans pour y ajouter de nouveaux motifs de discrimination. Il nous faut nous interroger : les discriminations sont-elles mieux combattues pour autant ?
En outre, une énumération trop longue des motifs de discrimination risque d’introduire des oublis, voire des contradictions entre les différents codes. Ce texte n’échappe pas à cet écueil, puisqu’il n’inscrit pas dans le code de la fonction publique le motif ajouté au code du travail.
Mais, plus fondamentalement, gardons-nous de donner à penser que seules les discriminations énumérées par la loi seraient interdites. C’est bien toute différence de traitement injustifiée, à situation comparable, qui doit être sanctionnée, quel qu’en soit le motif.
En dépit de ces réserves, et puisque le Gouvernement n’a pas engagé la procédure accélérée, le vote conforme reste le seul moyen de garantir une entrée en vigueur rapide. Cette avancée est attendue par les familles concernées. Elle mérite d’être inscrite sans tarder dans notre droit.
C’est donc sans modification que je vous invite à adopter ce texte. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et INDEP.)
M. le président. La parole est à Mme Maryse Carrère.
Mme Maryse Carrère. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, vouloir un enfant ne devrait jamais être un frein à la vie professionnelle : cette conviction simple, mais essentielle, inspire la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui. Elle traduit une volonté de mieux concilier deux dimensions fondamentales de la vie : travail et projet parental. Elle répond à une réalité de plus en plus visible dans notre société, celle de femmes et d’hommes engagés dans un parcours de procréation médicalement assistée ou dans une procédure d’adoption et confrontés à des difficultés professionnelles liées à cet engagement.
Ces parcours sont souvent longs, exigeants, parfois éprouvants, tant sur le plan physique que sur le plan émotionnel. Ils nécessitent des absences, des démarches, des traitements, et peuvent être à l’origine d’incompréhensions, voire de discriminations.
Aussi cette proposition de loi répond-elle à un objectif simple : mieux protéger les salariés qui vivent de telles situations.
L’article 1er élargit les protections accordées actuellement aux femmes enceintes ou engagées dans un parcours d’AMP. Ces garanties concernent l’embauche, la rémunération ou encore le maintien du contrat de travail. Le texte prévoit de les étendre aux hommes engagés dans un projet d’AMP et de les ouvrir aux salariés engagés dans une procédure d’adoption.
D’aucuns pourraient s’interroger sur l’opportunité d’adopter cet article. En effet, le code du travail interdit déjà les discriminations fondées sur la situation familiale, le sexe ou l’état de santé, et les juges en font une interprétation large. Mais l’extension explicite du régime de protection à l’ensemble des salariés engagés dans un projet parental, femmes et hommes, est une mesure symbolique et un signal envoyé aux employeurs.
L’article 2, quant à lui, élargit le régime des autorisations d’absence. Il permet aux hommes, comme aux femmes, de se voir accorder du temps pour les actes médicaux et les démarches administratives liés à leur projet parental. Il ouvre également ces droits aux agents publics.
C’est une mesure de bon sens ! Elle marque un réel progrès pour les hommes engagés dans une démarche d’AMP comme pour les futurs parents engagés dans une procédure d’adoption. Ils pourront ainsi s’absenter pour se rendre aux rendez-vous nécessaires, sans craindre de devoir poser un jour de congé ou justifier longuement leur absence.
Mais, comme l’a rappelé la rapporteure, encore faut-il que ce droit soit connu. Nombre de salariés ignorent encore l’existence de ces autorisations d’absence. L’effectivité du droit suppose une information claire, à destination des employeurs comme des salariés – voilà un point de vigilance.
Au fond, ce texte est porté par une idée simple : nul ne doit être pénalisé dans sa vie professionnelle pour avoir souhaité devenir parent. Il reconnaît que vouloir fonder une famille ne devrait jamais être un motif d’inquiétude au travail.
Le groupe du RDSE salue cette avancée. Il y voit une réponse équilibrée, respectueuse des droits individuels, et en phase avec les évolutions de notre société. Le droit du travail, en effet, ne doit pas rester figé : il doit accompagner les réalités de la vie en soutenant les parcours, en protégeant les choix et en encourageant une société plus juste, plus attentive, plus humaine.
Pour toutes ces raisons, le groupe du RDSE apportera son soutien à cette proposition de loi.
M. le président. La parole est à Mme Élisabeth Doineau.
Mme Élisabeth Doineau. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la loi peut-elle changer les comportements ? Il y a là, peut-être, un sujet de baccalauréat… (Sourires.) Quant à nous, nous le pensons, et nous y travaillons.
Le texte dont nous discutons aujourd’hui est une réponse à un phénomène qui fait peu de bruit, mais est bien réel : celui des difficultés rencontrées par certains de nos concitoyens lorsqu’ils s’engagent dans un parcours d’assistance médicale à la procréation ou dans un parcours d’adoption.
Le nombre de personnes engagées dans de tels parcours ne cesse de croître, pour ce qui est en tout cas de l’AMP, sous l’effet notamment de l’évolution des modèles familiaux et du recul de l’âge de la parentalité. En 2022, 158 000 tentatives d’AMP ont été recensées et, en 2021, 2 072 agréments ont été délivrés en vue d’une adoption. Il s’agit d’apporter une réponse claire aux discriminations, parfois subtiles, que peuvent rencontrer ces personnes.
Ces parcours, déjà éprouvants par leur complexité et par leur durée, ne devraient pas de surcroît exposer celles et ceux qui les empruntent à des obstacles supplémentaires dans leur vie professionnelle.
Certes, des protections contre les discriminations liées à la grossesse ou à l’état de santé, de même que des mesures spécifiques pour les salariées engagées dans une assistance médicale à la procréation, existent déjà dans le droit du travail et la fonction publique. Cependant, le « projet parental » n’est pas encore reconnu comme un motif autonome de discrimination.
La proposition de loi que nous étudions vise à combler cette lacune, par cohérence et par clarté, mais surtout par justice. Aucun salarié ne devrait avoir à choisir entre construire un projet familial et mener une carrière professionnelle. Il est de notre responsabilité de garantir à chacun un cadre protecteur, conforme aux principes fondamentaux de notre droit et aux aspirations légitimes de nos concitoyens.
Je tiens à saluer ici le travail rigoureux et constructif conduit par notre rapporteure au Sénat, Annick Petrus.
Je vais à mon tour revenir sur les apports de l’article 1er – on sait que la pédagogie est l’art de la répétition…
Mme Laurence Rossignol. À ce stade, c’est du dévouement !
Mme Élisabeth Doineau. L’article 1er consacre une avancée importante en matière de lutte contre les discriminations, en étendant explicitement la protection juridique au « projet parental ». Cette disposition vise à sécuriser les parcours de parentalité, qu’ils relèvent de l’assistance médicale à la procréation ou d’un projet d’adoption, ainsi qu’à garantir l’égalité de traitement des personnes concernées.
La nouvelle rédaction des articles du code du travail étend ainsi les protections spécifiques à la grossesse aux hommes et aux femmes engagés dans ces démarches. Par cette mesure, la législation française s’adapte aux réalités contemporaines et affirme sa volonté de construire un cadre professionnel plus inclusif et respectueux de la vie de chacun.
Pour prolonger et donner toute sa portée au principe de non-discrimination affirmé à l’article 1er, l’article 2 introduit des droits concrets et encadrés. Il permet aux conjointes et aux hommes engagés dans une AMP de bénéficier, au même titre que les femmes, d’autorisations d’absence. Il ouvre également ce droit aux personnes qui ont un projet d’adoption.
Enfin, il veille à garantir une stricte égalité entre agents publics et salariés du secteur privé, en assurant à chacun les mêmes droits, quel que soit le statut professionnel. Ce faisant, l’article 2 participe à l’élargissement des droits à l’ensemble des personnes engagées dans un parcours de parentalité, sans distinction de sexe ni de statut, renforçant ainsi l’effectivité du principe d’égalité et la reconnaissance des divers modèles familiaux.
Ce texte marque une avancée nécessaire, mais il ne réglera pas à lui seul l’ensemble des discriminations vécues.
Je pense notamment à celles que subissent encore de nombreuses femmes à leur retour au travail après leur congé de maternité. J’ai hier encore reçu par courriel le témoignage d’une femme dont le travail a été vidé de sa substance à son retour…
Ces pratiques sont illégales sur le papier. Pourtant, elles demeurent peu sanctionnées.
Comment rendre effectives les lois que nous votons ? Tel est l’objectif qui doit nous animer, en tant que législateur.
Si je soutiens cette proposition de loi, j’invite à une réflexion collective sur nos pratiques et à affronter ces réalités que la loi peine parfois à saisir et à encadrer. Trop souvent, les propositions de loi que nous examinons manquent d’une vision d’ensemble et apportent une réponse imparfaite à une situation précise. Nous sommes loin de l’esprit originel des lois !
Cependant, il faut aussi savoir faire preuve de pragmatisme et saluer les avancées quand elles sont devant nous.
À l’heure où la natalité redevient un enjeu central pour notre nation, aucun salarié ne devrait avoir à choisir entre construire un projet familial et mener une carrière professionnelle.
Aussi, le groupe Union Centriste votera en faveur de ce texte, avec la volonté de poursuivre ce travail d’amélioration. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et INDEP.)