PRÉSIDENCE DE M. Loïc Hervé
vice-président
M. le président. La séance est reprise.
Nous poursuivons la discussion du projet de loi relatif à la lutte contre les fraudes sociales et fiscales.
Après l’article 19 (priorité) (suite)
M. le président. Dans la discussion des articles, nous poursuivons l’examen des amendements tendant à insérer un article additionnel après l’article 19, appelé en priorité.
Les deux amendements suivants sont identiques.
L’amendement n° 25 rectifié ter est présenté par M. Lurel, Mme Canalès, MM. Fichet, Jacquin, Kanner et Cozic, Mme Le Houerou, M. Raynal, Mmes Briquet et Blatrix Contat, M. Éblé, Mme Espagnac, MM. Féraud, Jeansannetas et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.
L’amendement n° 33 rectifié undecies est présenté par Mmes N. Goulet et Antoine, MM. Bitz, Canévet, Dhersin, Fargeot, Fialaire, Laugier, Maurey et Cambier, Mmes Sollogoub, Tetuanui et Saint-Pé, M. Kern, Mmes Romagny et Vermeillet, MM. Menonville et Lafon, Mme Guidez, M. Levi, Mmes Perrot et Loisier, M. Pillefer, Mme Jouve, MM. Bilhac et Daubet, Mme Guillotin, MM. Gold et Courtial, Mme Jacquemet, M. Masset, Mme N. Delattre et MM. Cabanel et Haye.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Après l’article 19
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Au premier alinéa du I de l’article 1740 A bis du code général des impôts, les mots : « sur le fondement du c du 1 de l’article 1728, des b ou c » sont remplacés par les mots : « ou de 40 % sur le fondement des b et c du 1 de l’article 1728, ».
La parole est à M. Victorin Lurel, pour présenter l’amendement n° 25 rectifié ter.
M. Victorin Lurel. Il est défendu, monsieur le président.
M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet, pour présenter l’amendement n° 33 rectifié undecies.
Mme Nathalie Goulet. J’ignorais que M. Lurel et moi avions déposé le même amendement, mais je n’en suis pas étonnée, car l’Assemblée nationale avait voté une disposition similaire l’année dernière, sur l’initiative de notre collègue Christine Pirès Beaune.
Le rôle des conseils dans l’élaboration des schémas de fraude et d’évasion fiscale n’est évidemment pas à démontrer, et le dispositif de l’article 1740 A bis n’est pas satisfaisant : le taux de majoration de 80 % rend le dispositif inopérant.
Ce mécanisme pourrait trouver à s’appliquer plus largement dans les cas où l’administration constate, en motivant ce constat, des manquements délibérés encourant une majoration de 40 %, la réalité de la fraude devant toujours être établie.
Cette mise en cause des conseils et de leur rôle en matière de fraude et d’évasion fiscale a été relevée dès 2012 par notre ancien collègue, M. Éric Bocquet, dans les deux rapports de commissions d’enquête que celui-ci a préparés au nom de notre Haute Assemblée.
M. le président. Quel est l’avis de la commission des finances ?
M. Bernard Delcros, rapporteur pour avis. Ces deux amendements visent à étendre les sanctions à l’égard des intermédiaires en cas de montage abusif.
En l’état actuel du droit, ces sanctions existent, mais elles s’appliquent aux cas les plus graves, lorsque les contribuables sont eux-mêmes sanctionnés à hauteur de 80 % de l’impôt dû. Cet amendement vise à les étendre à des cas moins graves, dans lesquels les contribuables sont sanctionnés à hauteur de 40 % de l’impôt dû.
La commission s’en remet à la sagesse du Sénat.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. David Amiel, ministre délégué. Je souhaite attirer l’attention du Sénat sur ces amendements, dont l’adoption risque d’emporter des dommages collatéraux très importants, qu’il convient d’avoir à l’esprit.
Aujourd’hui, le droit prévoit d’appliquer une amende aux professionnels qui, par leur conseil, ont permis à des contribuables d’échapper à l’impôt au moyen d’abus de droits, de manœuvres frauduleuses ou de dissimulations à l’étranger passibles d’une majoration de 80 %.
Le droit actuel s’applique précisément à cette majoration, parce que les situations concernées requièrent un tel niveau de complexité – des schémas mis en œuvre pour dissimuler son identité ou pour mettre en place ces mécanismes de fraude… – qu’il faut passer par un conseil. L’intention du législateur était bien de sanctionner fortement ledit conseil.
Or, dès lors que les cas concernés recouvrent les manquements encourant une majoration de 40 %, on change de monde : le non-dépôt d’une déclaration fiscale dans les trente jours suivant une mise en demeure, par exemple, est concerné. En pareil cas, le conseil, par exemple un cabinet d’avocats qui n’est pas toujours de grande taille, n’est pas nécessairement à l’initiative de la fraude.
Or la rédaction de cet amendement étend le champ de la sanction au point que les éventuels manquements délibérés de contribuables n’ayant pas déposé leur déclaration fiscale dans les trente jours qui suivent une mise en demeure, pour lesquels ils n’avaient pas besoin de recourir à un conseil, emporteraient tout de même, pour ce dernier, de très lourdes amendes.
Les conséquences économiques de ces dispositions risquent donc d’être totalement disproportionnées au regard de l’intention de leurs auteurs.
Je crains, en outre, que cette extension du champ d’application de l’amende ne soit elle-même censurée par le Conseil constitutionnel pour cette raison. Ce n’est pas le motif principal de mon avis, mais il s’agit tout de même d’une alerte.
J’ai été économe en la matière, vous l’avez constaté ; je sais combien le Sénat réalise un travail considérable en commission, qu’il poursuit en séance.
Pour autant, en ce qui concerne ces amendements, j’émets un avis tout à fait défavorable, tant leurs conséquences économiques risquent d’être lourdes.
M. le président. La parole est à M. Victorin Lurel, pour explication de vote.
M. Victorin Lurel. Monsieur le ministre, j’avoue n’avoir rien compris à votre explication ! Et je reste sceptique.
Cet amendement a déjà été adopté plusieurs fois. Il a été voté à l’Assemblée nationale, il a connu la navette, il est revenu devant nous. Je ne vois pas quel est le problème.
Nous travaillons ici très sérieusement, et la commission a émis un avis de sagesse sur cet amendement. Nous avions initialement fermé le périmètre de la mesure, c’est vrai. Mais ensuite, nous l’avons légèrement ouvert, en nous accordant avec Nathalie Goulet et son groupe.
Enfin, vous aurez largement le temps de reprendre cette disposition à l’Assemblée nationale. Vous en vérifierez alors la pertinence.
Je demande donc à notre assemblée de bien vouloir voter cet amendement.
M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet, pour explication de vote.
Mme Nathalie Goulet. Monsieur le ministre, je ne retirerai pas non plus mon amendement, car les dispositions de l’article 1740 A ne relèvent pas du tout du droit à l’erreur.
Il s’agit de permettre au contribuable de dissimuler son identité, de dissimuler sa situation ou de bénéficier à tort d’une destruction de revenus.
Par conséquent, de grâce, laissons faire la navette !
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 25 rectifié ter et 33 rectifié undecies.
(Les amendements sont adoptés.)
M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi, après l’article 19.
L’amendement n° 7 rectifié nonies, présenté par Mme N. Goulet, MM. Bitz, Canévet, Dhersin, Fargeot, Fialaire, Laugier et Maurey, Mmes Saint-Pé, Sollogoub, Tetuanui, Antoine et Guidez, MM. Kern et Menonville, Mmes Vermeillet, Romagny et Loisier, MM. Lafon et Levi, Mmes Perrot, de La Provôté et Guillotin, M. Gold, Mme Jacquemet et MM. Masset, Courtial, Pillefer, Cabanel, Haye et Parigi, est ainsi libellé :
Après l’article 19
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
À l’article 39 sexies de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, les mots : « ou d’agents des douanes » sont remplacés par les mots : « d’agents des douanes et d’agents des finances publiques ».
La parole est à Mme Nathalie Goulet.
Mme Nathalie Goulet. Cet amendement vise à apporter une précision à l’article 39-6 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse.
Les auditions de notre commission aux fins d’évaluer les outils de la lutte contre la délinquance financière, la criminalité organisée et le contournement des sanctions internationales, en France et en Europe, et de proposer des mesures face aux nouveaux défis ont montré que nos agents sont de plus en plus exposés physiquement aux criminels qu’ils traquent.
Le présent amendement vise à leur apporter une garantie de sécurité supplémentaire, en protégeant leur identité.
M. le président. Quel est l’avis de la commission des finances ?
M. Bernard Delcros, rapporteur pour avis. Il s’agit en effet de protéger les agents. Un léger problème de rédaction se posait dans cet amendement, mais il a été réglé.
L’avis de la commission est donc favorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi, après l’article 19.
L’amendement n° 10 rectifié septies, présenté par Mme N. Goulet, MM. Bitz, Canévet, Dhersin, Fargeot, Fialaire, Laugier et Maurey, Mmes Sollogoub, Tetuanui, Antoine et Guidez, MM. Kern, Lafon et Menonville, Mme Vermeillet, M. Folliot, Mme Perrot, M. Levi, Mme Loisier, MM. Courtial et Masset, Mme Jacquemet et MM. Pillefer et Cabanel, est ainsi libellé :
Après l’article 19
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Dans les six mois qui suivent la publication de la présente loi, le Gouvernement remet au Parlement un rapport sur la faisabilité de la création d’une plateforme automatisée d’obtention des données bancaires.
La parole est à Mme Nathalie Goulet.
Mme Nathalie Goulet. Il s’agit d’un amendement d’appel. Cette disposition émane directement des services en charge de la lutte contre la criminalité et contre la corruption.
Il s’agit de demander un rapport sur la faisabilité d’une plateforme automatisée d’obtention des données bancaires, comparable à la plateforme nationale des interceptions judiciaires (Pnij).
Le Parlement a voté un certain nombre de textes, jusqu’à récemment, pour collecter les données relatives aux faux Iban (International Bank Account Number). Toutefois, les enquêtes sur la délinquance économique rencontrent des écueils significatifs. Face à la complexité des flux financiers, il faut donc faciliter l’identification et la collecte de données.
Dans son dernier rapport, Tracfin pointe une très grande hétérogénéité des formats reçus de la part des assujettis, dont certains comportent des lacunes manifestes, comme l’absence d’Iban, l’utilisation du format Excel, etc. Le directeur de l’Office national antifraude (Onaf) déclarait, le 13 mars dernier, qu’il fallait continuer à faire le forcing avec les banques, dont certaines transmettent encore des fichiers en PDF, notamment.
Il s’agit donc d’un amendement d’appel visant à vous proposer, monsieur le ministre, de travailler à la constitution de cette Pnij bancaire.
M. le président. Quel est l’avis de la commission des finances ?
M. Bernard Delcros, rapporteur pour avis. Nous avons voté en fin d’après-midi l’article 3 bis, lequel permet à l’administration fiscale d’obliger les banques à lui transmettre des informations sous un format exploitable et qui reprend d’ailleurs un dispositif porté dans la proposition de loi contre toutes les fraudes aux aides publiques. Il me semble préférable de privilégier ce dispositif.
Quoi qu’il en soit, nous avons bien compris qu’il s’agissait d’un amendement d’appel, sur une question qui mérite sans doute d’être approfondie.
La commission demande donc le retrait de cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. David Amiel, ministre délégué. J’ai bien compris qu’il s’agissait d’un amendement d’appel.
Toutefois, le dispositif adopté cet après-midi pour permettre la transmission électronique de documents, lesquels, aujourd’hui encore, peuvent malheureusement nécessiter des déplacements physiques des agents entre la DGFiP et les banques, ainsi que la transmission de feuillets imprimés, permet de satisfaire cette demande, sans qu’il soit besoin de construire un fichier centralisé.
C’est la raison pour laquelle je sollicite également le retrait de cet amendement.
M. le président. Madame Goulet, l’amendement n° 10 rectifié septies est-il maintenu ?
Mme Nathalie Goulet. Je vais le retirer, mais deux amendements ne régleront pas le problème. Monsieur le ministre, vous savez bien que nous rencontrerons des difficultés. Aussi, je vous demande d’examiner cette possibilité.
Par le passé, il a fallu douze ans pour mettre en place la Pnij. Il me semble que ce sujet est pertinent, en raison de la créativité des uns ou des autres, dont on comprend bien, dès lors, les réticences.
En tout état de cause, je retire cet amendement, monsieur le président.
M. le président. L’amendement n° 10 rectifié septies est retiré.
Article 20 (priorité)
Le code général des impôts est ainsi modifié :
1° Le sixième alinéa du 2 du II de l’article 792-0 bis est ainsi modifié :
a) Après la première phrase, est insérée une phrase ainsi rédigée : « Le paiement est accompagné d’une déclaration détaillée, conforme à un modèle établi par l’administration, précisant l’identité des bénéficiaires ainsi que les éléments nécessaires à la détermination de l’assiette et à la liquidation des droits de mutation par décès. » ;
b) Au début de la seconde phrase, après les mots : « À défaut », sont insérés les mots : « de paiement » ;
2° Au c du I de l’article 1729-0 A, les mots : « mentionnés aux 1° et 2° du III de l’article 990 J » sont supprimés – (Adopté.)
Après l’article 20 (priorité)
M. le président. L’amendement n° 232 rectifié, présenté par Mmes Silvani, Apourceau-Poly et Brulin, MM. Barros, Savoldelli et les membres du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky, est ainsi libellé :
Après l’article 20
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Au dernier alinéa de l’article 1735 ter du code général des impôts, le montant : « 50 000 € » est remplacé par le montant : « 100 000 € ».
La parole est à M. Pierre Barros.
M. Pierre Barros. Mes chers collègues, je me permets de vous raconter une histoire que nos services fiscaux ne connaissent que trop bien.
La scène se passe un matin, lors d’un contrôle dans une grande entreprise, l’une de ces multinationales dont les tours de verre dominent le périphérique – l’action se situe donc en région parisienne, et même à Paris. Les agents de la DGFiP de Paris, polis, précis, apportant leur liste de pièces, indiquent qu’ils souhaitent obtenir la documentation relative aux prix de transfert pratiqués par l’entreprise.
Alors, le ballet commence. Le directeur financier sourit et renvoie vers le siège européen à Amsterdam, qui lui-même renvoie vers la maison mère à Dublin, laquelle attend une validation du Delaware. Trois mois plus tard, les documents finissent par arriver, incomplets, caviardés et rédigés dans un jargon absurde.
Derrière ce retard organisé, que se passe-t-il ? Des milliards d’euros de bénéfices glissent hors de France, au nom de services intragroupes, de centrales de financement ou de droits de marque internes.
Telle est la réalité : alors que ces géants jouent la montre, nos impôts, nos hôpitaux, nos écoles, nos communes en paient le prix.
L’amendement de notre groupe vise donc à doubler la pénalité envers ceux qui refusent de produire à temps cette documentation, laquelle concerne, rappelons-le, les entreprises réalisant plus de 150 millions d’euros de chiffre d’affaires.
Nous formulons cette proposition par esprit non pas de vengeance, mais de justice : l’évasion fiscale doit cesser d’être rentable. Un grand groupe qui se dérobe n’est pas un contribuable distrait ; c’est un acteur qui défie la loi. Il convient dès lors de le sanctionner plus fermement.
Tel est l’objet de cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis de la commission des finances ?
M. Bernard Delcros, rapporteur pour avis. Lorsqu’une entreprise ne fournit pas la documentation sur ses prix de transfert, ou lorsqu’elle ne présente qu’une documentation partielle, elle est sanctionnée. Le prix plancher de cette sanction était, l’année dernière, de 10 000 euros.
Lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2024, nous avons multiplié ce plancher par cinq, pour le porter à 50 000 euros. Il nous est proposé ici de le rehausser encore.
Il y a un an, ce plancher a donc été multiplié par cinq. Il convient tout d’abord de laisser à cette disposition le temps de produire son effet, puis de l’évaluer et d’examiner si ce plancher de 50 000 euros est au bon niveau.
Je sollicite donc le retrait de cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. David Amiel, ministre délégué. J’ajoute que le caractère dissuasif de l’amende vient souvent moins du montant plancher, les transactions concernées étant, sauf pour quelques petites structures, bien plus élevées, que de sa proportionnalité au volume des transactions concernées. C’est la raison pour laquelle les entreprises présentent la plupart du temps la documentation sur les prix de transfert à l’ouverture du contrôle.
La difficulté arrive plutôt ensuite, au moment de vérifier que cette documentation correspond bien aux règles fiscales.
C’est la raison pour laquelle cette disposition ne me semble pas répondre à la préoccupation exprimée par ses auteurs.
Je demande donc le retrait de cet amendement ; à défaut, l’avis du Gouvernement serait défavorable.
M. le président. Monsieur Barros, l’amendement n° 232 rectifié est-il maintenu ?
M. Pierre Barros. Oui, je le maintiens, monsieur le président.
M. le président. L’amendement n° 234 rectifié, présenté par Mmes Silvani, Apourceau-Poly et Brulin, MM. Barros, Savoldelli et les membres du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky, est ainsi libellé :
Après l’article 20
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
L’article L. 13 AA du livre des procédures fiscales est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Cette documentation est opposable à la personne morale qui l’a produite. L’administration s’assure du respect de la politique de prix de transfert au moyen d’un contrôle approfondi des données listées aux d et n du 1 et aux h, j et k du 2 du II. La non-conformité à la politique générale de fixation constatée par l’administration peut engendrer une amende ne pouvant dépasser 5 % du montant des prix de transferts en cause. »
La parole est à M. Pierre Barros.
M. Pierre Barros. Cet amendement tend à s’inscrire dans la continuité du précédent, relatif à l’accord préalable en matière de prix de transfert. Il vise à rendre véritablement opposable la documentation produite par les entreprises, mais aussi à prévoir une sanction proportionnée en cas d’écart entre la politique déclarée et la pratique constatée.
Actuellement, les grandes entreprises multinationales ont l’obligation de documenter leur politique de prix de transfert dans un fichier principal et dans un fichier local. Toutefois, ces documentations, aussi volumineuses soient-elles, n’ont aucune valeur opposable.
Autrement dit, une entreprise peut déclarer une politique dans ses documents et en appliquer une autre dans ses pratiques internes, sans que cela emporte de conséquences.
La situation est donc paradoxale : les entreprises publient une politique de conformité pour rassurer l’administration, mais continuent d’ajuster librement leurs prix de transfert dans l’ombre des flux intragroupes.
L’amendement que nous présentons tend à mettre fin à cette fiction et à prévoir que la documentation produite soit désormais opposable à l’entreprise.
M. le président. Quel est l’avis de la commission des finances ?
M. Bernard Delcros, rapporteur pour avis. La commission considère que cet amendement est satisfait.
Le droit en vigueur impose aux plus grandes entreprises de tenir à la disposition de l’administration une documentation permettant de justifier les politiques de prix de transfert mises en œuvre au sein du groupe auquel elles appartiennent.
En cas de vérification de comptabilité, l’administration peut s’appuyer sur ces éléments pour effectuer des redressements.
Par ailleurs, des sanctions existent déjà en cas de manquement aux obligations documentaires et déclaratives en matière de prix de transfert.
Il apparaît donc que votre amendement est complètement satisfait. C’est pourquoi, mon cher collègue, je vous demande de le retirer.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. David Amiel, ministre délégué. Le Gouvernement partage l’avis de la commission : je sollicite le retrait de cet amendement, faute de quoi j’émettrais un avis défavorable.
M. le président. L’amendement n° 228 rectifié, présenté par Mmes Silvani, Apourceau-Poly et Brulin, MM. Barros, Savoldelli et les membres du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky, est ainsi libellé :
Après l’article 20
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
L’article 223 quinquies B du code général des impôts est ainsi modifié :
1° Le dernier alinéa du I est ainsi rédigé :
« sollicitent un accord préalable prévu par le 7° de l’article L. 80 B du livre des procédures fiscales. » ;
2° Le I bis est abrogé ;
3° Au II, les mots : « La déclaration est souscrite » sont remplacés par les mots : « L’accord préalable est sollicité et obtenu ».
La parole est à M. Pierre Barros.
M. Pierre Barros. Aujourd’hui, le dispositif d’accord préalable en matière de prix de transfert (APP) permet à une entreprise de convenir à l’avance avec l’administration fiscale de la méthode de détermination de ses prix intragroupes.
Il s’agit d’une procédure sérieuse, encadrée, qui repose sur les principes de pleine concurrence définis par l’OCDE, principes qui sont, par ailleurs, contestables pour certaines transactions, l’Assemblée nationale ayant adopté un amendement permettant de déterminer l’assiette d’imposition par partage des bénéfices. Toutefois, cette procédure repose – tenez-vous bien ! – sur le bon vouloir des entreprises.
Autrement dit, seules celles qui ont intérêt à la transparence s’engagent dans cette voie. Les autres, souvent les plus grandes, les plus sophistiquées et les plus créatives fiscalement, s’en tiennent soigneusement à l’écart.
Résultat, la puissance publique reste dans le brouillard sur les flux financiers colossaux entre filiales françaises et paradis fiscaux, sur lesquels s’évaporent nos recettes d’impôt sur les sociétés.
Les prix de transfert sont aujourd’hui le premier levier international d’optimisation et, parfois, de fraude fiscale. Tant que ces prix ne sont pas préalablement validés par l’administration, la porte est ouverte à tous les artifices comptables.
L’argument selon lequel la procédure serait complexe ou trop contraignante ne tient évidemment pas : elle existe déjà, et elle fonctionne.
Les entreprises que nous visons, dont le chiffre d’affaires dépasse 50 millions d’euros, disposent de directions fiscales internes, de conseils spécialisés, d’outils de reporting sophistiqués. Elles ont largement les moyens de formaliser leur méthode de définition des prix de transfert, il ne leur manque que la volonté de rendre des comptes.
En rendant l’accord préalable obligatoire, nous instaurons une symétrie : l’administration saura à l’avance comment sont calculés les prix intragroupes ; les entreprises bénéficieront d’une sécurité juridique ; la Nation disposera d’une base fiscale mieux protégée.
Tel est le sens de cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis de la commission des finances ?
M. Bernard Delcros, rapporteur pour avis. Les entreprises sont d’ores et déjà soumises à l’obligation de définir leurs prix de transfert en application du principe de pleine concurrence.
Quant à l’administration, elle dispose d’outils adaptés pour contrôler les prix de transfert et éviter que ceux-ci ne réduisent la base d’imposition à l’impôt sur les sociétés. En France, le parcours est connu : tout bénéfice indûment transféré peut être réintégré dans la comptabilité de l’entreprise.
Il ne nous paraît donc pas justifié d’imposer un accord préalable, ce qui amènerait toutes les entreprises concernées à demander un rescrit à l’administration fiscale, que celle-ci devrait absorber.
J’ajoute que la conclusion d’un accord préalable n’exclut ni la fraude ni le contrôle.
Je sollicite donc le retrait de cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. David Amiel, ministre délégué. J’irai dans le même sens que le rapporteur, en ajoutant que la somme de travail requise des administrations pour valider individuellement et de manière préalable cette politique de prix de transfert pour l’ensemble des entreprises de taille intermédiaire (ETI) se ferait au détriment du ciblage de la fraude des entreprises identifiées par l’administration fiscale.
Opérationnellement, cela me paraît poser de très lourdes difficultés, qui s’ajouteraient à celles que le rapporteur a justement évoquées.
Le risque serait de provoquer l’effet contraire à celui que vous recherchez, si cette mesure devait être interprétée par les entreprises concernées comme une forme de rescrit.
Le Gouvernement demande donc le retrait de cet amendement, faute de quoi il émettrait un avis défavorable.
M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet, pour explication de vote.
Mme Nathalie Goulet. Monsieur le ministre, il y a deux ans, nous avons diminué le seuil de contrôle des prix de transfert de 400 millions d’euros à 140 millions d’euros. Il s’agissait déjà d’une avancée.
Il nous a été expliqué il y a quelques semaines à Romainville, en présence du Premier ministre, que le sujet était important et que même les sociétés qui réalisaient un chiffre d’affaires légèrement inférieur fraudaient.
Rappelons que les prix de transfert sont le dispositif qui permet à Jersey d’être le premier producteur de bananes au monde, ce qui est tout de même assez extravagant !
Cela signifie dans les faits une érosion de la base : une société dispose d’une base imposable, mais fait gérer sa marque par une filiale en Suisse, parce qu’il n’y a pas de fiscalité là-bas, l’emballage à un autre endroit, le marketing à un autre encore, etc. Ces échanges entre filiales du même groupe permettent de rogner la base imposable dans le pays d’imposition.
Les prix de transfert étant légaux, ce contrôle du schéma préalable est donc très important. Pour autant, il nous a également été expliqué que des retards devaient encore être absorbés, en raison de la diminution du seuil votée il y a deux ans.


