La conférence des présidents a fixé la durée maximale de la discussion à deux heures. Il nous faudra toutefois terminer l'examen de cette mission à minuit et demi, afin de pouvoir ouvrir la séance de demain matin, à neuf heures trente, pour la nouvelle lecture du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2026. Nous nous efforcerons de respecter cet horaire.
Engagements financiers de l'État (suite)
Compte d'affectation spéciale : Participations financières de l'État(suite)
Compte de concours financiers : Accords monétaires internationaux(suite)
Compte de concours financiers : Prêts et avances à divers services de l'État ou organismes gérant des services publics(suite)
Remboursements et dégrèvements(suite)
Mme la présidente. Mes chers collègues, je vous rappelle que le temps de parole de chaque groupe pour chaque unité de discussion comprend le temps de l'intervention générale, mais aussi celui de l'explication de vote.
Par ailleurs, le Gouvernement dispose de dix minutes pour intervenir.
Dans la suite de la discussion, la parole est à M. Marc Laménie. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)
M. Marc Laménie. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous examinons aujourd'hui les missions « Engagements financiers de l'État » et « Remboursements et dégrèvements », ainsi que le compte d'affectation spéciale « Participations financières de l'État ».
Je n'évoquerai que brièvement la mission « Remboursements et dégrèvements ». Sur plusieurs travées, des sénateurs s'interrogent sur le coût pour nos finances publiques du remboursement de nombreux dispositifs fiscaux. Ce questionnement sur l'évolution, entre autres, des nombreux crédits d'impôt, qui sont une spécificité française, est légitime.
Ces outils fiscaux ont généralement pour objet d'orienter l'action des contribuables vers des dépenses vertueuses ou souhaitables pour la collectivité. Je citerai le crédit d'impôt recherche pour les entreprises ou le crédit d'impôt services à la personne (Cisap) pour les particuliers.
Leur coût est, certes, élevé pour nos finances publiques. Toutefois, plutôt que de s'interroger sur leur légitimité, il convient de questionner leur raison d'être. Ces dispositifs se justifient, en partie, par le coût du travail et par le poids des impôts dans notre pays. Nos crédits d'impôt existent principalement pour compenser, aux particuliers et aux entreprises, les charges sociales et les impôts les plus élevés de l'OCDE.
Aussi, il nous paraît nécessaire de rappeler que nous ne pourrons évoquer la réduction des niches fiscales qu'une fois la charge fiscale baissée. Une baisse des impôts compensée par une baisse d'autant des niches fiscales nous semble indispensable.
Les crédits de la mission « Engagements financiers de l'État », soit 60 milliards d'euros en crédits de paiement, doivent, quant à eux, nous alerter. Ils retracent notamment les activités financières de l'État envers ses créanciers, au premier rang desquelles la gestion de notre dette.
Il nous faut, mes chers collègues, nous attarder sur le sujet de la dette et, surtout, de la charge de la dette.
Je l'ai dit, nos impôts sont beaucoup trop élevés, au point que nous ne pouvons pas espérer en lever de nouveaux sans annihiler leur rendement. En d'autres termes, nous n'avons plus d'autre choix que de baisser les dépenses. L'urgence première est de réduire le déficit public.
C'est ce déficit, alimenté par des dépenses supérieures à nos recettes, qui continue d'aggraver chaque année le montant total de la dette que nous faisons peser sur les générations qui viendront après nous.
La dette française explose et, avec elle, les taux auxquels l'État emprunte.
À ce jour, les taux d'emprunt de la France à dix ans sont plus élevés que ceux de tous nos voisins directs : l'Espagne, l'Italie, la Suisse, l'Allemagne et la Belgique, mais aussi l'Irlande, les Pays-Bas et le Portugal.
Un seul pays comparable de la zone euro emprunte à ce jour à des taux plus élevés, à savoir la Grèce, dont on connaît les turpitudes budgétaires depuis maintenant vingt ans. En août, pourtant, ce pays a pu emprunter à des taux inférieurs aux nôtres.
Le stock trop important de dette à refinancer et les taux d'emprunt désormais élevés nous conduisent à voir la charge de la dette s'aggraver. Nous parlons ici du seul paiement des intérêts de la dette, et non pas du remboursement de celle-ci.
En 2026, la charge de la dette serait de 58 milliards d'euros. Mes chers collègues, les crédits de la mission « Engagements financiers de l'État » que nous examinons constituent désormais le deuxième poste de dépenses du budget de l'État, après la mission « Enseignement scolaire ». Nous payons des intérêts supérieurs au budget que nous allouons aux armées.
L'évolution à la hausse de la charge de la dette n'est malheureusement pas terminée. Elle pourrait atteindre 72 milliards d'euros en 2027, peut-être même 92 milliards d'euros en 2029. Il m'a semblé que je devais vous citer ces chiffres non pas pour ajouter de l'anxiété dans cet examen budgétaire, mais pour nous encourager à agir.
Nous ne pouvons pas laisser ces mauvais présages se réaliser. Il nous faut, sans attendre 2027, réformer avec efficacité et détermination notre pays pour diminuer ses dépenses. En réduisant ainsi notre déficit, nous réduirons la dette nouvelle que l'État doit souscrire. Nous verrons enfin les taux d'emprunt baisser et, avec eux, la charge de la dette s'alléger dans les années à venir.
Le groupe Les Indépendants – République et Territoires votera les crédits de ces missions.
Mme la présidente. La parole est à M. Marc Séné. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Marc Séné. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, alors que nous examinons le projet de loi de finances pour 2026, une évidence s'impose à nous comme à l'ensemble des Français : la dette, cette étrange banalité, accumulée depuis des décennies, est devenue notre première source de vulnérabilité.
Chaque année, elle occupe une place plus centrale dans notre équilibre budgétaire.
Chaque année, elle absorbe une part plus importante de nos marges de manœuvre.
Chaque année, elle repousse un peu plus nos investissements d'avenir les plus essentiels.
Les travaux menés par notre assemblée ne laissent aucun doute sur ce diagnostic : la charge de la dette atteint désormais un niveau qui transforme profondément notre action publique et ses capacités.
Il ne s'agit pas ici de stigmatiser l'endettement, car la dette n'est pas une finalité, c'est un outil. Bien utilisée, elle devient un accélérateur d'opportunités et un instrument de souveraineté. Mal pensée, elle forme un frein puissant, limitant notre liberté budgétaire, contraignant nos priorités, érodant notre crédibilité.
Le projet de loi de finances pour 2026 en donne une illustration saisissante. La charge de la dette s'élève à plus de 60 milliards d'euros en comptabilité générale. Cela représente une hausse de près de 7,5 % en un an.
Cette dépense n'est plus marginale. La charge de la dette rivalise désormais avec les grandes missions régaliennes et constitue le deuxième poste de crédits de paiement de l'État, juste derrière l'enseignement scolaire.
Si rien ne change, elle atteindra le seuil des 100 milliards d'euros au début de la prochaine décennie. C'est un montant vertigineux ! Cela représente davantage que l'ensemble de notre budget pour la justice, la sécurité, l'agriculture et l'enseignement supérieur réunis. C'est un niveau qui, une fois atteint, n'appellerait plus de simples ajustements, mais exigerait une réorientation profonde de notre stratégie financière.
Ce basculement est d'autant plus préoccupant que le programme de financement de l'État atteint un record historique.
En 2026, l'État devra émettre 310 milliards d'euros de dette à moyen et long termes. Cet effort exceptionnel s'explique par l'accumulation des déficits passés, mais aussi par l'environnement de taux, qui reste élevé.
Nous sommes plus sensibles que jamais à la variation des taux. Un choc d'un seul point entraînerait une augmentation immédiate de plusieurs milliards d'euros, et de plus de 30 milliards d'euros à horizon d'une décennie. C'est un risque que nous ne pouvons plus ignorer. Cet environnement rend plus visibles nos fragilités. Nous ne payons pas pour nos dettes passées, nous payons un manque de courage et une absence de réformes.
Une dette soutenable n'est pas uniquement une dette que l'on parvient à refinancer. C'est une dette adossée à une croissance solide, à des dépenses orientées vers l'investissement, et à un appareil public capable de se réformer. Aujourd'hui, cette cohérence n'est pas au rendez-vous.
Mes chers collègues, il ne s'agit ni de soutenir ou de condamner la dette ni de dramatiser la situation. L'enjeu est de retrouver une trajectoire crédible, lisible et compatible avec nos ambitions nationales. Pour y parvenir, trois orientations me semblent essentielles.
En premier lieu, il nous faut redonner une priorité claire à l'investissement productif. La dette doit bâtir la croissance de demain, et non pas compromettre la croissance d'aujourd'hui. Elle doit permettre l'amélioration de nos infrastructures, faciliter nos réformes et nos transitions, œuvrer pour l'aménagement du territoire. C'est un choix économique, mais c'est d'abord un choix politique.
En deuxième lieu, il convient d'engager une modernisation efficace de la dépense publique. La question n'est pas de savoir combien, mais pour quoi nous dépensons. La dynamique de dépenses est aujourd'hui trop forte au regard du rythme de croissance. Une rationalisation méthodique, ciblée et réaliste est indispensable. C'est cette trajectoire qui nous guide et que nous avons souhaité décrire au travers de l'ensemble de nos travaux budgétaires.
En troisième lieu, il faut renforcer la transparence et les outils de pilotage de la dette. Nous devons disposer d'indicateurs clairs sur la soutenabilité, d'hypothèses sincères sur les taux et d'une vision pluriannuelle qui dépasse les ajustements techniques. Nos dépenses publiques augmentent plus vite que notre budget depuis 2017 et il est désormais établi que plusieurs décisions budgétaires récentes ont souffert d'une gestion déficiente, parfois marquée par l'insincérité.
La dette n'est pas une fatalité. Elle ne devient un risque que lorsque nous la laissons choisir à notre place. Sa charge ne doit pas financer nos renoncements collectifs : si nous voulons préserver notre capacité à agir, il nous faut reprendre l'initiative. C'est une question de lucidité, une exigence de responsabilité ; c'est surtout un devoir envers les générations qui nous suivront. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Marc Laménie applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Georges Patient. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. Georges Patient. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous examinons ce soir la mission « Remboursements et dégrèvements », d'une part, et la mission « Engagements financiers de l'État », d'autre part. Si elles ne financent aucune politique publique, ces missions ont néanmoins un impact prépondérant sur l'équilibre de nos finances.
Tout d'abord, la mission « Engagements financiers de l'État » connaît une progression spectaculaire : 60,4 milliards d'euros de crédits de paiement en 2026, en hausse de 7,49 %. Cette hausse est presque entièrement due à la charge de la dette, qui atteindra 58 milliards d'euros, soit 4,5 milliards d'euros de plus en un an. À politique inchangée, selon les projections de la commission des finances, elle pourrait atteindre 100 milliards d'euros d'ici à 2030 et pourrait alors devenir le premier poste budgétaire de l'État.
Ce constat est d'autant plus préoccupant que le programme de financement atteindra un niveau record en 2026 : 310 milliards d'euros, avec une dette de l'État déjà supérieure à 2 700 milliards d'euros. En d'autres termes, nous finançons chaque année davantage la dette passée et de moins en moins l'investissement futur.
Parallèlement, la mission « Remboursements et dégrèvements » révèle une autre dynamique, tout aussi préoccupante : la montée continue des dépenses fiscales, en particulier des crédits d'impôt.
En 2026, les remboursements et dégrèvements atteindront 145,4 milliards d'euros, pour l'essentiel sur les impôts d'État, soit 28 % des recettes fiscales brutes. En reprenant les budgets des années précédentes, on constate qu'en 2004 ce taux n'était que de 16 %, et de 22 % en 2014. Cela signifie que la part d'impôts à laquelle renonce l'État progresse de 6 points tous les dix ans.
Du côté des entreprises, le crédit d'impôt recherche (CIR) est, avec plus de 8 milliards d'euros par an, la première dépense fiscale de l'État. Son efficacité demeure insuffisamment démontrée : effet d'aubaine massif, concentration dans les grands groupes, impact limité sur l'effort de recherche et développement (R&D). Comme le recommande la commission d'enquête du Sénat sur l'utilisation des aides publiques aux grandes entreprises et à leurs sous-traitants, nous devons renforcer la conditionnalité, cibler davantage les PME innovantes et mettre fin à une logique de guichet sans contrôle.
Du côté des particuliers, la dynamique du crédit d'impôt services à la personne (Cisap) – déjà 7,7 % à ce jour pour 2025 et 10 % prévus en 2026 – le rendra rapidement insoutenable pour le budget de l'État. Le rapport de la Cour des comptes de 2024 signalait que « parmi les 75 premiers centiles de revenu, le taux de recours aux services à la personne est inférieur à 10 %, alors qu'il est supérieur à 50 % parmi les 3 % de foyers les plus aisés ». Là encore, l'effet d'aubaine est important.
Ainsi, nous faisons face à un double phénomène : une charge de la dette qui dévore le budget de l'État, conséquence, entre autres, de renoncements en matière de recettes ; une dépense fiscale en expansion, souvent peu évaluée, dont l'efficacité économique et sociale est incertaine, mais qui réduit année après année la capacité de l'État à financer ses priorités. La combinaison des deux crée une contrainte budgétaire majeure : l'État remboursera plus de 200 milliards d'euros au total en 2026 en dettes, remboursements et dégrèvements, tout en réduisant sa capacité à agir.
Aussi, il nous faut ouvrir un débat lucide sur la pertinence, l'équité et l'efficacité des dispositifs fiscaux qui grèvent le budget, afin de redonner à l'État des marges de manœuvre. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
Mme la présidente. La parole est à M. Thierry Cozic.
M. Thierry Cozic. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, il y a près de cent ans, en 1932, ici même au Sénat, le ministre des finances Joseph Caillaux – un illustre Sarthois ! (Sourires.) – prononçait un discours passé sous les radars, quelques années après la crise économique de 1929.
Face à la situation historique que nous traversons, j'aimerais vous en lire quelques lignes : « En ce mois d'avril 1932, m'adressant non pas seulement à mes contemporains mais à la postérité plus ou moins éloignée, je veux situer quelques considérations sur les problèmes économiques et politiques. Une crise presque sans précédent s'est abattue sur le monde. Je l'avais prévu et prédit l'avènement dès le mois d'août 1924. L'avènement de la tourmente fut retardé par les inflations monétaires que les gouvernements distribuèrent à l'envi. […] À ceux qui nous succéderont, peut-être les choses sembleront-elles plus simples, peut-être riront-ils de nos alarmes, peut-être des moyens plus efficaces de remédier aux maux dont souffre l'humanité auraient-ils été découverts ? »
Que pourrions-nous répondre à Joseph Caillaux ? Qu'avons-nous appris de son discours ? Rions-nous, aujourd'hui, de ses alarmes ? Ces questions, mes chers collègues, je vous les pose, car, malgré les avertissements du passé, nous paraissons condamnés à répéter les mêmes erreurs. L'histoire, au lieu de nous éclairer, ne semble servir qu'à nous aveugler.
Regardons la réalité en face. Notre dette atteint un niveau sans égal : 3 416 milliards d'euros. Jamais, au grand jamais, dans notre histoire nous n'avons connu un tel record !
Ce chiffre n'est pas tombé du ciel. Hier comme aujourd'hui, les procédés sont les mêmes. Depuis 2017, sous la présidence d'Emmanuel Macron, notre dette a augmenté de plus de 1 000 milliards d'euros. Sur cette somme vertigineuse, la Cour des comptes l'a elle-même rappelé, seuls 150 milliards d'euros relèvent de la crise sanitaire. Tout le reste – 850 milliards d'euros, excusez du peu – n'est que la conséquence de choix politiques, d'une même obstination, d'une même volonté, d'une gabegie.
Pendant ce temps, l'inflation, en allégeant le poids de la dette, sert une fois encore à retarder une crise économique qui pointe le bout de son nez, et ce sur le dos des Français, dont le pouvoir d'achat se réduit chaque jour un peu plus.
Cette fuite en avant à un coût : un coût indirect – à chaque emprunt supplémentaire, nous scellons notre souveraineté et notre destin dans les mains de nos créanciers – et un coût direct – cette année, 65 milliards d'euros ont été versés aux seuls intérêts de la dette, soit plus que le budget de l'enseignement supérieur. Ce chiffre devrait faire frémir tous ceux que préoccupe l'avenir de notre pays.
Ce n'est pas tout. Les projections pour 2026 annoncent encore 10 milliards d'euros supplémentaires. À ce rythme, c'est non plus la question du « si » qui se pose, mais bien celle du « quand ». La prochaine crise nous obligera à ouvrir les yeux.
Pourtant, le Gouvernement persiste dans une spirale qui nous mène droit dans le mur. L'an prochain, 310 milliards d'euros de dette seront levés – un nouveau record –,175 milliards d'euros étant destinés uniquement à rembourser des emprunts passés.
Nous continuons de rouler notre dette, comme un hamster dans sa roue, mais vers quel horizon ? Soyons clairs, cette stratégie n'a toujours servi qu'un seul objectif : repousser les conséquences de choix politiques à plus tard et au prix fort. Un prix que paieront les générations futures.
Oui, s'endetter à un coût. S'endetter alimente la concentration des richesses et du pouvoir économique dans les mains d'une minorité, au détriment de la majorité. Depuis 2017, les actionnaires ont vu leurs dividendes bondir de +114 %, quand le Smic, lui, n'a progressé que de 19 %. C'est peut-être cela la démocratie sous le macronisme : la solidarité entre riches.
Si encore cette politique produisait des résultats... Les chiffres parlent d'eux-mêmes : cette année, un taux de chômage de 7,6 %, une croissance à 0,7 %, 68 000 défaillances d'entreprises. Un triste record, que l'on aurait pu parfaitement éviter.
Pourtant, le budget que nous examinons aujourd'hui persiste dans la même logique : celle du profit quoi qu'il en coûte, qui privilégie toujours la rentabilité du court terme au détriment des investissements de long terme.
On nous dit que la dette est une promesse. Très bien. Quid alors des autres promesses faites depuis 2017 ? Celles qui ont été faites aux gilets jaunes alors que plus de 10 millions de Français vivent sous le seuil de pauvreté ? Celles qui ont été faites pendant la crise sanitaire quand un Français sur trois vit dans un désert médical ? Celles qui ont été faites en matière de logement alors que 4 millions de personnes souffrent de mal-logement ?
Si les promesses n'engagent que ceux qui y croient, faut-il en conclure que le paiement de la dette est, lui aussi, facultatif ? Permettez-moi de poser la question...
Le groupe socialiste ne sera jamais du côté de ceux qui se résignent. Oui, nous sommes prêts au compromis, mais jamais au prix d'une politique qui sacrifie l'avenir des Français à la logique froide et amorale de la dette.
Mes chers collègues, plus que jamais des choix s'imposent. Souhaitons-nous continuer dans cette fuite en avant de l'endettement, au risque de connaître une crise économique semblable à celle qu'ont connue nos aïeux, voire pire, ou sommes-nous enfin prêts à reprendre le contrôle de notre dette et de notre économie ?
Les cris d'alerte ne suffisent plus. Contrairement à ceux auxquels s'adressaient les avertissements de Joseph Caillaux en son temps, nous ne devons pas détourner le regard. Un grand débat sur la dette s'impose dès maintenant, avant qu'il ne soit trop tard. L'avenir n'est jamais une fatalité.
Pour toutes ces raisons, le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain s'abstiendra sur la mission « Engagements financiers de l'État » et votera pour la mission « Remboursements et dégrèvements ». (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Barros.
M. Pierre Barros. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le premier poste de dépenses de l'État n'est ni l'éducation nationale ni même la charge de la dette : ce sont les remboursements et dégrèvements, qui atteindront 145 milliards d'euros en 2026. L'État consacre donc d'abord ses ressources non pas à l'action publique, mais à la compensation d'impôts qu'il a choisi de ne plus percevoir.
Chacun voit bien ici ce que cette situation révèle de notre modèle fiscal. On nous dit qu'il y a trop d'impôts. Je l'entends, mais il y a surtout trop de dégrèvements et trop peu de justice fiscale ! Le problème est assurément là.
On pourrait, bien sûr, évoquer la suppression de la taxe d'habitation, qui a définitivement arrimé les collectivités territoriales à une TVA affectée, contraire au principe même d'autonomie financière de ces collectivités. Permettez-moi plutôt de revenir sur l'exemple, rappelé avec justesse par le rapporteur spécial Pascal Savoldelli, de la réforme de l'exit tax, introduite discrètement fin 2023 par le ministre Mathieu Lefèvre, alors député, et validée par un 49.3.
Nous tenons là l'un des points les plus préoccupants pour notre mission de contrôle : aucune étude d'impact, aucun débat sincère et, au bout du compte, 2 milliards d'euros de remboursements supplémentaires chaque année au profit des contribuables les plus fortunés. C'est une anomalie démocratique, parce que le Parlement a été privé d'information. C'est aussi le parfait exemple de ce qu'est l'injustice fiscale. Une telle légèreté sur un sujet aussi stratégique doit forcément interroger.
Les crédits d'impôt ne dessinent pas un tableau plus lumineux. Même l'outrenoir de Pierre Soulages renvoie davantage de lumière !
Le crédit d'impôt services à la personne, le Cisap, poursuit une croissance sans frein et l'on continue d'accorder le crédit d'impôt recherche sans condition. Pourtant, ces masses financières considérables, estimées à 15 milliards d'euros, pourraient alimenter, par exemple, la création d'un service public de l'aide à domicile. Pour cette raison, nous défendrons la création d'un « jaune » budgétaire retraçant ces aides, conformément aux travaux de la commission d'enquête du Sénat sur l'utilisation des aides publiques aux grandes entreprises et à leurs sous-traitants.
Un mot, enfin, sur la dette et l'État actionnaire.
Depuis 2017, ce sont 1 100 milliards d'euros de dettes supplémentaires qui ont été accumulées, 400 milliards d'euros rapportés à la croissance.
Cette année, la charge de la dette progressera encore de 4,2 milliards, soit +7,5 %, malgré l'assouplissement de la Banque centrale européenne (BCE). Dans ce contexte, les marchés avancent et l'État recule. Les grandes banques se ruent sur les adjudications de l'Agence France Trésor (AFT), profitant d'une rente à des taux qu'elles contribuent elles-mêmes à administrer via les agences de notation. Mes chers collègues, il est urgent de libérer l'État de cette idiosyncrasie des marchés, très antidémocratique et contraire à l'intérêt général.
S'agissant de l'État actionnaire, la situation n'est pas meilleure. Le Gouvernement persiste dans une logique de court terme : il a préféré procéder à cinq privatisations confidentielles, destinées à rapporter 3,2 milliards d'euros, plutôt que de solliciter une contribution accrue des grandes fortunes. C'est ainsi que le solde du compte d'affectation spéciale (CAS) atteindra son plus bas niveau depuis 2006. C'est une nouvelle preuve du recul de l'État stratège et de l'absence d'une doctrine claire.
Le cas Alcatel est révélateur. Après avoir validé la privatisation de l'entreprise en 2016, alors qu'il était ministre de l'économie, M. Emmanuel Macron prend conscience, dix ans plus tard, de l'enjeu stratégique de nationaliser Alcatel Submarine Networks (ASN). Nous payons aujourd'hui les renoncements d'hier.
Et que dire d'ArcelorMittal, dont la nationalisation, réclamée par les salariés, a été défendue ici même par la gauche lors de la dernière niche parlementaire du groupe CRCE-K ?
Là encore, si l'État n'agit pas, il se heurtera aux conséquences de son inconséquence. Il est temps que l'État retrouve doctrine, ambition et capacité d'intervention stratégique.
Voilà, mes chers collègues, ce que révèlent ces missions : des renoncements répétés, des avancées trop rares et une succession de capitulations face aux marchés financiers. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K.)
Mme la présidente. La parole est à M. Yannick Jadot. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
M. Yannick Jadot. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, j'ouvrirai mon propos sur la charge de la dette. En hausse de 7,5 %, elle atteindra 58 milliards d'euros en 2026. La remontée des taux alourdit particulièrement la facture : un point d'intérêt supplémentaire, c'est 3,2 milliards d'euros de charges en plus. C'est une situation évidemment préoccupante, que l'instabilité politique née de la dissolution a particulièrement aggravée.
Des travaux récents de l'Institut Avant-garde montrent cependant que la France a déjà connu, et surmonté, dans son histoire des niveaux d'endettement bien supérieurs à ceux d'aujourd'hui. Je rappelle surtout que la charge de la dette demeure, elle, contenue : 1,8 % du PIB en 2025, et 2 % en 2026. Pour mémoire, c'était 6,5 % en 1997, avant que la droite ne passe la main à la gauche qui, elle, a réduit le déficit. Il s'agit non pas de nier l'enjeu, mais de rappeler qu'il n'est pas insurmontable.
Le véritable problème des finances publiques n'est pas l'insoutenabilité de la dette. C'est bien, d'une part, la baisse non compensée de nos recettes publiques, portée par Emmanuel Macron, d'autre part, la complaisance délibérée vis-à-vis de l'évasion et de l'évitement fiscaux.
C'est ici que la mission « Remboursements et dégrèvements » éclaire nos débats : les remboursements et dégrèvements atteignent désormais 147 milliards d'euros, contre 113 milliards d'euros en 2017. Je rejoins le rapporteur spécial Savoldelli sur la dynamique des crédits d'impôt, sans contrôle et plutôt génératrice d'injustice fiscale que l'inverse.
Le crédit d'impôt services à la personne, le Cisap, en est devenu l'illustration la plus frappante : 2,3 milliards d'euros, contre 1,1 milliard d'euros en 2022. La Cour des comptes parle d'un « dispositif hétéroclite, faiblement efficace, socialement régressif et particulièrement coûteux pour la trésorerie de l'État », qui avance chaque année des sommes considérables. Les 3 % des foyers les plus aisés concentrent plus de 50 % du recours à ce crédit d'impôt. C'est socialement intenable et financièrement insoutenable !
Quant au crédit impôt recherche, le CIR, c'est un bel outil, mais aussi la première dépense fiscale, à hauteur de 8 milliards d'euros : il y manque toujours un meilleur ciblage et de véritables conditionnalités écologiques et sociales. Même le prix Nobel d'économie Philippe Aghion, auquel la droite se réfère souvent, formule de vives critiques à l'encontre de ce manque de conditionnalité.
Enfin, les 255 dépenses fiscales en faveur des entreprises rendent notre système illisible, en plus de coûter 43 milliards d'euros en 2023. Le Conseil des prélèvements obligatoires (CPO) lui-même admet qu'il ne peut plus les évaluer sérieusement, car elles sont trop nombreuses, trop dispersées et trop opaques.
Mes chers collègues, notre pays n'a plus les moyens de sa politique fiscale actuelle.
À force d'amputer nos recettes au nom de la compétitivité ou de la simplification – selon les moments et les émetteurs –, nous avons réduit les marges d'action de l'État, tout en concentrant à l'extrême les richesses. Pis, les évaluations convergent pour dire que ces mesures ont trop rarement permis de soutenir l'investissement et l'emploi.
La question de la dette doit être sérieusement traitée. La dette ne doit pas être délibérément créée, puis cyniquement instrumentalisée, pour casser notre contrat social. Sur cette mission comme pour l'ensemble du budget de l'État, il est temps que l'intérêt général et la cohésion nationale priment de nouveau sur les intérêts privés. Il y va de notre pacte républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST. – M. Franck Montaugé applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Michel Masset.