Mme la présidente. La parole est à M. Cédric Perrin. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Cédric Perrin. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, alors que la part de l'Europe dans la production mondiale ne cesse de décliner, nouer des accords commerciaux peut nous permettre d'aller chercher dans les zones les plus dynamiques du monde le complément de croissance dont nous aurons le plus besoin.

Alors qu'autour de l'Europe se resserre l'étau des chantages douaniers américains et des pratiques déloyales ou restrictives chinoises, nouer des accords commerciaux peut nous permettre de sécuriser nos débouchés comme nos approvisionnements.

Alors que, peu à peu, l'ordre international bascule dans la conflictualité, nouer des accords commerciaux peut nous permettre d'étendre nos réseaux d'alliances à de nouveaux partenaires.

Ce sont précisément ces objectifs essentiels qui sont visés dans le texte négocié avec le Mercosur. Pourtant, en lieu et place du large assentiment qu'il devrait recevoir, monsieur le ministre, ce texte suscite sur nos travées une quasi-unanimité contre lui. Ce paradoxe, en réalité, n'en constitue pas un. À y regarder de plus près, accepter cet accord serait pour l'Europe un triple renoncement.

Il s'agirait tout d'abord d'un renoncement à promouvoir notre modèle, qui s'incarne aussi dans notre corpus de normes. En effet, même si elles sont trop souvent excessives, nos règles sociales, environnementales ou encore sanitaires n'en restent pas moins l'expression de choix collectifs essentiels. Elles doivent donc être respectées et défendues.

Or, dans chacun de ces domaines, le différentiel de normes est abyssal et les standards en vigueur en Amérique du Sud sont à des années-lumière des niveaux d'exigence européens. Et c'est désormais un fait : la réciprocité des normes de production ne sera pas imposée par l'accord.

Pis, une clause de rééquilibrage ouvrirait à nos partenaires un droit à compensation pour des décisions que nous pourrions être amenés à prendre souverainement en matière réglementaire.

S'il est vrai que celui qui contrôle la norme contrôle le marché, alors il convient de prendre l'exact contre-pied et de faire de la politique commerciale européenne une politique de puissance, en utilisant les accès préférentiels que nous accordons comme un moyen d'imposer nos règles et notre modèle. La profondeur et l'attractivité du marché unique nous permettent d'avoir un tel niveau d'exigence. Surtout, notre responsabilité à l'égard de nos concitoyens nous l'impose.

Accepter l'accord conclu avec le Mercosur, ce serait renoncer à protéger nos agriculteurs, mais ce serait aussi renoncer à défendre notre souveraineté alimentaire. Naturellement, nous ne cherchons pas à faire de notre agriculture une île qui vivrait en autarcie par rapport au reste du monde. Ce serait économiquement absurde et cela conduirait à refuser de reconnaître que bien des maux dont nous souffrons trouvent avant tout leur origine dans la sphère nationale.

M. Laurent Duplomb. C'est vrai !

M. Cédric Perrin. Toutefois, en accordant une prime à une concurrence de fait déloyale, en l'octroyant à un véritable mastodonte agricole dont tous les quotas seraient instantanément remplis, cet accord produirait une conséquence simple et immédiate : de nouvelles pertes de parts de marché pour nos producteurs et donc de nouvelles faillites d'exploitations. D'hypothétiques clauses de sauvegarde ne pourraient permettre de l'éviter.

À l'heure où l'enjeu alimentaire redevient chaque jour plus central dans le monde, à l'heure où l'Europe entend se défaire de ses dépendances les plus stratégiques, comment comprendre que l'acte de production agricole soit ainsi déstabilisé et que notre souveraineté alimentaire soit ainsi obérée ?

Enfin, l'acceptation de cet accord reviendrait à acter un renoncement juridique et un renoncement démocratique, la Commission cherchant aujourd'hui à s'extraire du cadre légal expressément défini par le Conseil. Vous n'en avez pas dit un mot, monsieur le ministre. Il est inouï qu'elle s'estime autorisée à proposer à la ratification autre chose que ce pour quoi elle a été mandatée ; inouï encore qu'elle tente de modifier les règles en cours de route, afin de faire sauter les verrous qui la dérangent !

Cette initiative en dit long sur la propension de la Commission à repousser toujours plus loin les limites de ses prérogatives, tout autant que sur sa défiance à l'égard des démocraties nationales. Une telle démarche aurait dû choquer le Gouvernement. Nous n'en avons pourtant pas entendu un mot !

M. Christian Cambon. Très bien !

M. Cédric Perrin. Elle en dit long aussi sur l'influence européenne de la France.

Certes, son étoile à Bruxelles a considérablement pâli ces dernières années. Mais, si sa crédibilité est aujourd'hui largement écornée, elle reste, par sa population comme par son économie, la deuxième nation d'Europe. Sur un sujet d'une telle importance, balayer son avis, celui de l'ensemble de sa représentation nationale, aurait nécessairement de profondes conséquences politiques.

J'observe cependant les revirements et les atermoiements du Président de la République, qui ne cesse de varier entre fermeté et signes de soutien à l'accord. Serait-ce parce que, anticipant son échec à agréger suffisamment de soutien, il est tenté d'accompagner ce qu'il ne peut empêcher ?

M. Didier Marie, rapporteur pour avis. Très bien !

M. Cédric Perrin. Quoi qu'il en soit, mes chers collègues, la France se doit de maintenir jusqu'au bout une ligne claire : tel est précisément l'objet de cette proposition de résolution. Il s'agit non pas de tourner le dos à un partenariat essentiel avec le continent sud-américain, mais tout simplement de redire notre opposition à un accord daté et insatisfaisant. Il s'agit de refuser le contournement de la démocratie et l'oubli des engagements pris. Nous le devons à nos agriculteurs, car un peuple qui renonce à sa souveraineté renonce à sa liberté.

Au travers de ce texte, il vous est proposé, en somme, de ne pas renoncer et de ne pas abandonner ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Laure Darcos et M. François Patriat applaudissent également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Baptiste Lemoyne. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

M. Jean-Baptiste Lemoyne. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la proposition de résolution européenne que nous examinons aujourd'hui, visant à demander au Gouvernement français de saisir la Cour de justice de l'Union européenne, est une initiative bienvenue de nos collègues présidents de la commission des affaires européennes, de la commission des affaires étrangères et de la commission des affaires économiques.

En effet, cette semaine, nous le savons, sera décisive pour ce dossier qui est sur la table depuis plus d'un quart de siècle !

Je le dis comme je le pense, une présidente de la Commission européenne ne devrait pas s'échiner à passer en force sur un tel dossier et s'opposer à nombre d'États membres de l'Union européenne représentant plus de 100 millions de citoyens !

M. Jean-Baptiste Lemoyne. Sur le fond, le compte n'y est pas. Il n'y est pas pour les agriculteurs français, mais il n'y est pas non plus pour les agriculteurs européens. Tous font face à d'énormes défis, et leur situation demeure très précaire. Ils doivent savoir que nous les soutenons.

Sur la forme, la Commission européenne joue avec les textes et se joue des textes, ce qui n'est pas acceptable. Il ne faut pas s'étonner ensuite que les peuples tournent le dos à cette Union européenne-là. C'est grave, très grave, car cela revient à décrédibiliser une longue construction façonnée par le temps, qui devrait être un outil de puissance pour les nations d'Europe, lesquelles, réunies, pèsent ensemble 450 millions de consommateurs.

Ce mauvais film, monsieur le ministre, nous est hélas régulièrement joué par la Commission européenne en matière de politique commerciale.

Lorsque j'étais ministre chargé du commerce extérieur, j'ai conservé un souvenir très précis de la onzième conférence ministérielle de l'Organisation mondiale du commerce (OMC), à Buenos Aires, en décembre 2017. Déjà, la Commission voulait profiter de ce momentum pour faire avaliser à tout prix un accord qui n'était pourtant pas mûr, afin que les chefs d'État et de gouvernement l'endossent ensuite à l'occasion du G20 se tenant quelques mois plus tard en Argentine.

Je puis attester de l'engagement constant du Président de la République, qui m'avait dûment mandaté avec un objectif clair : ne rien lâcher. C'est ce que nous avons fait en unissant nos forces à d'autres États affinitaires. Il n'y eut donc pas de signature en 2017 ni en 2018. N'eût été l'intervention du Président de la République, la messe aurait été dite depuis longtemps sur ce dossier. (M. Yannick Jadot manifeste son ironie.)

Huit ans plus tard, nous faisons face à une triple nécessité.

La première nécessité consiste à faire respecter la réciprocité au bénéfice de nos agriculteurs. Si nous sommes ouverts aux échanges internationaux qui offrent des débouchés à notre agriculture – à nos vignerons, par exemple –, nous ne saurions accepter une concurrence déloyale.

Or les différentiels de normes et de réglementations sont indéniables. Nous ne pouvons tout simplement pas accepter sur le sol européen des produits qui ne respectent pas les normes qui s'imposent à nos propres agriculteurs.

Nous ne pouvons pas non plus transiger sur notre souveraineté alimentaire ni sur la défense de nos filières de production.

C'est pourquoi il est indispensable que soient insérées des clauses ou des mesures miroirs garantissant le respect des normes environnementales, notamment en matière de pesticides et d'alimentation animale.

En outre, il faut s'assurer du respect des normes et des clauses en question. L'audit mené au Brésil en 2024 par la direction générale de la santé et de la sécurité alimentaire a révélé des défaillances dans la traçabilité des exportations brésiliennes vers l'Union européenne. Il faut donc des contrôles sur place, comme nos propres éleveurs en subissent d'ailleurs de la part des pays vers lesquels nous exportons. Cela suppose aussi des moyens de surveillance renforcés aux frontières de l'Union.

Par ailleurs, les clauses de sauvegarde pour les produits agricoles sensibles comme la viande bovine, la volaille, l'éthanol ou le sucre doivent être plus robustes et effectivement activables pour éviter toute perturbation de marché.

La deuxième nécessité est de faire respecter le mandat initial de négociation. Le mandat de 1999 du Conseil européen pour la Commission européenne prévoyait un accord d'association politique et économique exigeant l'unanimité du Conseil et la ratification des États membres par leur Parlement.

Le Conseil européen a réaffirmé en mai 2018 sa position sur le Mercosur, en précisant que l'accord d'association en cours de négociation resterait un accord mixte. La scission de l'accord en deux parties, l'une portant sur l'accord politique, l'autre sur la partie commerciale, relève donc d'une forfaiture pour contourner certains États et les parlements nationaux.

Ce n'est hélas pas la première fois que la Commission suit ce mode opératoire, puisqu'elle l'a fait avec l'accord révisé pour le Chili en 2022, violant, là encore, les conclusions du Conseil de mai 2018. La Commission européenne est donc en état de récidive, et sa décision porte en elle-même un problème de légitimité démocratique.

C'est pourquoi la France doit saisir la Cour de justice de l'Union européenne. Même si un tel recours n'est pas suspensif – je vous ai bien entendu, monsieur le ministre –, il importe de mettre un coup d'arrêt aux dérives de la Commission en matière de politique commerciale. Il s'agit d'un enjeu institutionnel.

La situation se révèle complexe, j'en conviens, mais l'intérêt des ministres réunis au Conseil commande de préserver les prérogatives des États et des parlements nationaux face à la Commission, a fortiori lorsque le Parlement européen s'est abstenu d'agir en déclarant irrecevable une proposition de résolution similaire.

La troisième nécessité est de revoir la politique commerciale européenne. La France a déjà contribué à réorienter cette politique, notamment avec l'insertion de l'accord de Paris, dont nous fêtons les dix ans, comme clause essentielle des accords commerciaux. À l'époque, je puis vous dire que cela n'avait rien d'évident.

Il faut donc continuer à pousser les feux : soit la politique commerciale européenne se réforme, soit elle risque d'emporter avec elle le consentement des peuples à cette construction européenne.

Pour ne prendre qu'un exemple, il faudrait borner dans le temps la validité d'un mandat de négociation de la Commission européenne. Quel sens cela a-t-il de négocier en 2025 sous l'empire d'un mandat de 1999 ? Aucun ! Le monde a tellement changé entre temps.

Vous l'aurez donc compris, mes chers collègues, pour toutes ces raisons, le groupe RDPI votera cette proposition de résolution européenne. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et Les Républicains. – M. Daniel Chasseing applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Michaël Weber. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. Michaël Weber. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, il n'y a pas de souveraineté alimentaire possible sans un protectionnisme écologique et social pour notre agriculture.

La souveraineté agricole n'a de sens que si elle donne un accès à une alimentation saine et durable pour tous. Elle est le droit de chaque pays de maintenir et de développer sa capacité à produire lui-même son alimentation de base.

Au cours des trois dernières décennies, les accords de libre-échange se sont multipliés, en offrant une part toujours plus grande aux importations agricoles. La pression exercée sur les prix par ces produits importés empêche aujourd'hui nos agriculteurs de vivre décemment de leurs exploitations.

Nous devons protéger l'agriculture française et européenne d'un ordre commercial mondial dérégulé. Cela implique de préserver notre capacité à légiférer pour défendre notre production agricole, pour une juste rémunération des agriculteurs et pour les ambitions agroécologiques de l'Europe.

La saisine de la Cour de justice de l'Union européenne constitue l'ultime recours du Gouvernement contre cet accord avec le Mercosur, symbole d'un modèle économique destructeur. Ce énième traité de libre-échange compromet nos engagements pour une agriculture durable et va déstabiliser des marchés agricoles déjà fragilisés en faisant chuter les prix.

À rebours de nos objectifs en matière de lutte contre la déforestation et le changement climatique, l'impact environnemental d'un tel traité est inacceptable.

Très concrètement, cet accord « viande contre voitures » permettra aux constructeurs automobiles d'écouler leurs modèles thermiques polluants et à l'industrie des pesticides d'écouler ses stocks de produits dangereux. En retour, une production agricole intensive et responsable de la déforestation inondera l'Europe, dissimulée dans la composition des produits transformés d'une agro-industrie habituée, par ailleurs, à tirer les prix vers le bas.

Alors même que notre agriculture traverse une crise d'une gravité exceptionnelle, cet accord expose davantage les producteurs de l'Union européenne à une concurrence déloyale.

Outre ces déséquilibres manifestes sur le fond, la scission de cet accord pour contourner un vote à l'unanimité au Conseil pose un sérieux problème démocratique. Les parlements et les nations auraient dû avoir le dernier mot, tant les implications politiques, écologiques et en termes de droits humains sont importantes. Une saisine de la Cour de justice de l'Union européenne est notre dernière chance pour clarifier le cadre juridique applicable.

Les récentes déclarations du Président de la République et l'ambivalence du Gouvernement sont, par ailleurs, alarmantes.

Les très hypothétiques clauses de sauvegarde, les promesses de contrôles sanitaires renforcés et les mesures miroirs sur les pesticides dont vous vous prévalez, monsieur le ministre, ne constituent aucunement des garanties. Sans nouvelles négociations avec les pays du Mercosur, ces clauses sont simplement irréalistes et illusoires.

Monsieur le ministre, nos concitoyens ne veulent pas d'un tel accord. Ils souhaitent, à l'exact opposé, un nouvel essor du pacte vert, un renforcement de la stratégie « de la ferme à l'assiette », la consolidation d'une agriculture locale rémunératrice et durable, ainsi que la transformation en profondeur du système alimentaire européen. Nous attendons de vous l'élaboration d'une politique cohérente, axée sur une production agricole adaptée à la consommation, à la préservation du revenu des producteurs et à la protection de l'environnement.

La ministre de l'agriculture a déclaré la semaine dernière au marché international de Rungis que « la guerre agricole se prépare ». Le Gouvernement ne peut à la fois tenir ce type de discours et valider, par ailleurs, un accord qui ne peut qu'aggraver la situation.

Dans un contexte marqué par l'isolement manifeste de la France et par l'absence de toute perspective de minorité de blocage au Conseil européen, nous vous demandons instamment de faire usage du dernier levier à votre disposition, à savoir la saisine de la Cour de justice de l'Union européenne, afin de vous opposer à la ratification imminente de cet accord.

Monsieur le ministre, en amont de la COP30 à Belém, je me suis récemment déplacé au Brésil sur les communes de Nilo Peçanha et Taperoá. À proximité de Salvador de Bahia, ce territoire veut soutenir le retour à une agriculture familiale et de proximité. Au Brésil, la démarche biologique est naissante, mais la fierté pour cette agriculture de territoire est, elle, bien présente. C'est une agriculture exemplaire, qui doit faire l'objet de coopérations internationales.

Aux antipodes de cette démarche, cet accord commercial encourage une agriculture productiviste déversant des surplus agricoles à bas prix, asphyxiant l'agriculture d'autres territoires et détruisant les conditions de leur autosuffisance alimentaire.

Cette logique est incompatible avec le principe de souveraineté agricole, au nom duquel il convient de promouvoir, en lieu et place d'un système hyperconcurrentiel, une véritable solidarité à l'échelle planétaire, porteuse de perspectives et d'espérance pour l'avenir de l'agriculture paysanne et vivrière. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST. – Mme Marie-Claude Varaillas applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Gérard Lahellec. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K, ainsi que sur des travées du groupe SER. – M. Jacques Fernique applaudit également.)

M. Gérard Lahellec. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le groupe auquel j'appartiens votera, bien entendu, cette proposition de résolution. La perspective de l'accord de libre-échange avec les pays du Mercosur assombrit un peu plus l'avenir de la filière de la volaille et de l'élevage bovin, y compris en Bretagne, région d'élevage où le cheptel diminue déjà en moyenne de 3 % par an.

Toutefois, il ne faudrait pas que cette proposition de résolution se limite à servir d'alibi pour se dédouaner à bon compte face à un scénario dont chacun pressent qu'il pourrait conduire à une capitulation.

Le discours du Président de la République sur le Mercosur varie selon les circonstances. À Belém, le 6 novembre, il considérait comme « très positive » la possibilité d'aboutir à un accord sur le traité du Mercosur. Moins de huit jours plus tard, à Toulouse, devant une délégation de syndicalistes agricoles, il proclamait : « Tel qu'il existe aujourd'hui, ce projet recueillera un « non » ferme de la France ».

La question se pose donc de savoir à quel moment il convient de le croire, alors même que, lors de la dernière réunion du Conseil européen, il expliquait encore que « tout allait dans le bon sens » – bien entendu sans préciser ni lequel, ni pour qui !

Non seulement ce texte se prépare dans le dos des peuples, mais voici qu'est déployée une charretée d'artifices – pardonnez-moi l'expression – pour le mettre en œuvre sans l'aval des parlements nationaux. Le projet d'accord a en effet été artificiellement scindé en deux, avec un volet « commerce » et un volet « coopération ».

Seul ce second volet doit être soumis au Parlement de chacun des pays de l'Union européenne. Autrement dit, les grandes entreprises transnationales qui dominent le commerce mondial ne se verront opposer aucune barrière pour imposer le traité tel qu'elles le souhaitent et tel qu'elles le réclament, à cor et à cri. Étrange conception, tout de même, de la démocratie libérale européenne !

Or le recours à cette procédure peut tout à fait être contesté devant la justice. J'avais d'ailleurs abordé ce point lors des questions d'actualité au Gouvernement le 12 novembre dernier. Soit dit en passant, je n'avais alors obtenu aucune réponse du ministre.

Les pays du Mercosur pourraient donc exporter demain vers l'Union européenne du bœuf aux hormones et des poulets aux antibiotiques.

Il est plus que curieux qu'une disposition inscrite dans l'accord de libre-échange entre l'UE et la Nouvelle-Zélande interdisant aux industriels néo-zélandais d'exporter de la viande bovine produite dans des centres d'engraissement industriels – les fameux feedlots –, ne soit pas reprise dans le traité Mercosur. En effet, il n'y a quasiment pas de centre d'engraissement de ce type en Nouvelle-Zélande, alors que l'élevage brésilien est fondé sur ce modèle, des milliers d'animaux ne voyant jamais ni un champ ni un brin d'herbe.

Aujourd'hui, on voudrait nous faire croire que nous obtiendrions des mécanismes dits de sauvegarde. Une clause de sauvegarde permettrait, nous dit-on, de bloquer les importations en cas de déséquilibre des marchés. En réalité, il s'agit d'une grosse tromperie. Ce mécanisme figure déjà dans le texte depuis 2019, et chacun peut constater le sort qui lui a été réservé.

En vérité, la tentation du ralliement au Mercosur a une autre raison. S'inscrivant dans le militarisme européen décidé au sommet de l'OTAN, les autorités allemandes ont promis aux dirigeants français d'acheter des armes produites dans les usines françaises. L'Allemagne se trouve en effet prise en tenaille entre, d'une part, les sanctions contre la Russie, qui la privent d'une énergie bon marché, et, d'autre part, une dépendance aux importations de pétrole et de gaz américains pour faire fonctionner ses propres usines. Ceci explique vraisemblablement cela.

Pis encore, pour ficeler l'ensemble, le traité comprend un mécanisme juridique dit de rééquilibrage. Que signifie juridiquement ce terme ? Cet ajout permet à l'une des parties signataires de demander des compensations à l'autre partie si une mesure prise par cette dernière a affecté défavorablement le commerce.

En vertu de cet article, l'Union européenne ne pourrait pas voter des règles empêchant les importations de produits traités avec tel ou tel pesticide interdit sur nos territoires, sans compenser financièrement ces sociétés.

Ce sont là autant de raisons qui nous conduisent à exiger que la France use de tous les moyens juridiques et diplomatiques à sa disposition pour s'opposer à un acte qui mettrait de nouveau à mal notre agriculture. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains. – M. Daniel Chasseing applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Yannick Jadot. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)

M. Yannick Jadot. Madame la présidente, monsieur le ministre, s'agissant de l'accord entre l'Union européenne et le Mercosur, les menaces sont connues.

L'accord fait peser tout d'abord une menace sur le climat. Depuis le début des négociations, il y a un quart de siècle, l'équivalent de la superficie de la péninsule ibérique a été déforesté en Amazonie. C'est considérable ! L'extension des cultures de soja, l'élevage intensif et la production d'éthanol participent à cette déforestation. Aujourd'hui, le front se situe dans le Cerrado, véritable château d'eau de l'Amazonie, où la situation est catastrophique. Cette extension se traduit, en outre, par une spoliation accrue des paysans et des peuples indigènes du Brésil.

L'accord présente également une menace pour l'agriculture, cela a été dit et répété : 99 000 tonnes de bœuf, 180 000 tonnes de viande de poulet, sans oublier le sucre et l'éthanol. Autant dire qu'il s'agit potentiellement d'une catastrophe pour nos éleveurs et pour nos agriculteurs, y compris sur des morceaux à forte valeur ajoutée comme l'aloyau, qui a déjà été évoqué.

À l'inverse, prenons-nous soin des paysans brésiliens ? Vous avez avancé, monsieur le ministre, que l'exportation de poudre de lait bénéficierait aux éleveurs français. Sans doute, mais elle détruirait les fermes familiales du Brésil. (M. le ministre proteste.) On ne peut pas, d'un côté, défendre nos agriculteurs et, de l'autre, fragiliser et détruire ceux du Mercosur.

Cet accord présente, en outre, une grave menace pour la santé, avec plus de 150 pesticides interdits sur notre territoire, des hormones, des accélérateurs de croissance, sans même parler du bien-être animal.

Vous avez évoqué, monsieur le ministre, la question des contrôles. Nous sommes à la veille de Noël. L'an dernier, 775 millions de colis en provenance de Chine sont arrivés en France. Le taux de contrôle s'est établi à 0,01 %, alors même que la santé de nos enfants n'est pas garantie à travers l'importation de jouets. Personne ne croit donc sérieusement que les produits en provenance du Brésil et du reste du Mercosur seront contrôlés !

L'accord entre l'Union européenne et le Mercosur incarne ainsi la mondialisation du dérèglement climatique, l'effondrement de la biodiversité, la disparition des paysans ici comme là-bas, la malbouffe et la souffrance animale. Mais il constitue aussi, cela a été dit, une menace pour la démocratie.

Le mécanisme de rééquilibrage n'est rien d'autre qu'une contrainte imposée à l'Union européenne lorsque celle-ci cherchera à protéger la santé et l'environnement. Aucune concertation réelle n'existe, notamment de l'autre côté de l'Atlantique. Les parlements nationaux sont contournés, tout comme, à l'heure actuelle, le Parlement européen. La stratégie de Mme von der Leyen sur la clause de sauvegarde a consisté à obtenir l'accord du Conseil avant la signature prévue en fin de semaine, puis à espérer un vote conforme du Parlement européen.

Heureusement, le Parlement européen – et non la France, monsieur le ministre ! – vient d'adopter des amendements sur les seuils et sur la réciprocité, comme nous le souhaitions.

M. Nicolas Forissier, ministre délégué. À la demande de la France !

M. Yannick Jadot. J'en appelle donc à chacune et à chacun : au sein du Parti populaire européen, de Renew Europe et des sociaux-démocrates européens, il faut rejeter l'idée qu'il puisse y avoir un trilogue conclusif ce soir et l'adoption d'une clause de sauvegarde qui permettrait à Mme von der Leyen de signer en fin de semaine. Nous avons tous une tâche à accomplir !

Un devoir de cohérence s'impose. En 2024, la France a exporté 6 620 tonnes de pesticides interdits sur son propre territoire. Depuis des années, les ministères chargés de l'agriculture et de l'environnement annoncent l'interdiction de ces exportations : elle n'a toujours pas été mise en œuvre.

Par ailleurs, il devient difficile de défendre les vertus du modèle européen contre le modèle brésilien si nous l'abîmons et le sacrifions chaque jour un peu plus.

Un argument fait sens dans le débat : l'Union européenne ne doit-elle pas, face à Trump, trouver des alliances avec des pays comme ceux du Mercosur, par exemple, dans ce monde très déstabilisé, en voie de régionalisation et de constitution de blocs concurrents ?

Sauf que, dans le Mercosur, il y a aussi l'Argentine de Milei – on a connu plus démocratique… Et, au Brésil, ce sont en réalité les soutiens de Bolsonaro qui sont favorables à l'accord sur le Mercosur et ceux de Lula et des démocrates qui y sont opposés, que ce soit dans l'industrie ou les services publics ou parmi les petits paysans – un petit paysan du Brésil cultive tout de même 400 hectares en moyenne…

Où est la France ? Pardon de le dire, monsieur le ministre, mais la France a perdu sur la minorité de blocage. Elle a perdu sur la mixité de l'accord. Elle a perdu sur la clause de sauvegarde. Il est temps qu'elle se réveille ! L'attentisme que vous nous proposez dans votre discours n'est absolument pas compatible…