Mercredi 2 août 2017

- Présidence de M. Philippe Bas, président -

La réunion est ouverte à 10 heures.

Articles 56 et 13 de la Constitution - Audition de M. Michel Mercier, candidat proposé par le Président du Sénat pour siéger au Conseil constitutionnel

La commission entend M. Michel Mercier, que le Président du Sénat envisage de nommer aux fonctions de membre du Conseil constitutionnel, en application des articles 56 et 13 de la Constitution ainsi que de la loi organique n° 2010-837 et de la loi n° 2010-838 du 23 juillet 2010 relatives à l'application du cinquième alinéa de l'article 13 de la Constitution.

M. Philippe Bas, président. - C'est avec joie que j'accueille notre collègue Philippe Bonnecarrère, sénateur du Tarn, avocat de profession, qui rejoint la commission des lois. Nous aurons un autre nouveau collègue commissaire aux lois, Laurent Dutheil, devenu sénateur le 29 juillet 2017 en remplacement de Luc Carvounas.

M. le Président du Sénat a saisi la commission des lois, le 25 juillet dernier, pour qu'elle procède, en application des articles 56 et 13 de la Constitution, ainsi que de la loi organique n° 2010-837 et de la loi n° 2010-838 du 23 juillet 2010 relatives à l'application du cinquième alinéa de l'article 13 de la Constitution, à l'audition de M. Michel Mercier et qu'elle émette un avis sur sa nomination aux fonctions de membre du Conseil constitutionnel, en remplacement de Mme Nicole Belloubet.

Nous allons donc procéder, dans un premier temps, à l'audition de M. Michel Mercier, sénateur du Rhône, ancien garde des sceaux, ministre de la justice.

Conformément à la loi du 23 juillet 2010, cette audition est publique. Elle fait l'objet d'une captation vidéo, qui sera retransmise en direct sur le site internet du Sénat et sera consultable en vidéo à la demande. Elle a également été ouverte à la presse et au public. Après cette audition, les membres de la commission des lois procéderont à un vote à bulletin secret. Je vous rappelle qu'en application des articles 56 et 13 de la Constitution, le Président du Sénat ne pourrait procéder à la nomination envisagée si les votes négatifs représentaient au moins trois cinquièmes des suffrages exprimés.

Michel Mercier me pardonnera tout d'abord de rappeler les titres qu'il a accumulés tout au long de sa riche carrière.

Il est universitaire, spécialisé dans le domaine du droit public ; il a par ailleurs exercé de très nombreuses fonctions électives : maire de Thizy puis de Thizy-les-Bourgs, il fut également conseiller général puis président du conseil général du Rhône, et député ; il est sénateur depuis 1995. Il fut ministre de l'espace rural et de l'aménagement du territoire, puis garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés. Il fut aussi vice-président du conseil régional de Rhône-Alpes.

Notre commission est particulièrement attentive, s'agissant de la nomination par le Président du Sénat d'un membre du Conseil constitutionnel, au triple attachement des candidats à la défense des libertés publiques, au bicamérisme et à la libre administration des collectivités territoriales.

M. Michel Mercier, candidat proposé par le Président du Sénat pour siéger au Conseil constitutionnel. - Monsieur le président, je vous remercie ainsi que tous les membres de la commission des lois présents en ce début de mois d'août. Je veux également remercier le président Larcher de proposer ma candidature.

Ma présentation se fera en deux temps. Je dirai d'abord quelques mots de moi, ce que je n'aime guère faire, puis j'évoquerai les points qui retiendront en priorité mon attention si la commission des lois émet le souhait que je devienne membre du Conseil constitutionnel.

Je suis né il y a 70 ans, à Thizy, le village où j'ai passé toute ma vie. Mes parents étaient ouvriers ; je suis d'abord allé à l'école communale, et c'est grâce à un directeur d'école sensationnel que j'ai pu continuer mes études. Sur ses conseils, j'ai suivi le cours complémentaire, avant d'envisager d'étudier au lycée. Aucun lycée, cependant, ne voulait de moi - je venais d'un enseignement court. Ledit directeur m'a finalement trouvé un lycée à Charlieu, dans la Loire ; celui-ci avait néanmoins la particularité de ne pas avoir de terminale. J'ai donc gagné, après la première, le lycée de Roanne, avant de rejoindre la faculté de droit de Lyon et l'institut d'études politiques de Lyon.

À la faculté de droit, j'étais en droit public, c'est-à-dire pas dans la voie noble - François-Noël Buffet qui était, lui, en droit privé le sait bien. Nous n'étions qu'une centaine d'étudiants, ce qui nous permettait d'entretenir des relations très particulières avec nos enseignants, lesquels m'ont donné le goût du droit, de la liberté et de l'engagement. J'ai découvert le droit romain et l'histoire du droit avec Louis Falletti, le droit administratif avec Raymond Guillien, disciple de Léon Duguit, le droit constitutionnel avec Jacques Cadart, Robert Pelloux et Maurice-René Simonnet. Ces trois derniers étaient démocrates-chrétiens ; c'est à leur suite que je me suis engagé.

Pour ne rien vous cacher, je suis catholique pratiquant ; j'ai sans discontinuer participé à des mouvements d'action catholique inspirés par la doctrine sociale de l'Église.

En 1971, la section de droit public m'a engagé comme assistant ; la même année j'ai été élu conseiller municipal de mon village ; je suis devenu maire en 1977, conseiller général en 1978, puis président du conseil général. Les gens de Thizy me font toujours confiance, puisque j'y suis encore élu.

Je suis entré au Parlement, à l'Assemblée nationale, puis au Sénat, et j'ai eu l'honneur de travailler avec vous sur les sujets qui nous préoccupent. Voici les sources de mes engagements, ce que j'ai appris, ce que j'aime.

Je me suis donc formé dans le double cadre de la faculté de droit de Lyon et des mouvements d'action catholique. J'ai par exemple beaucoup travaillé avec Bernard Devert dans le mouvement Habitat et humanisme, que nous avons créé sous la houlette du cardinal Decourtray. C'est la marque lyonnaise !

Je suis un adepte du modérantisme politique lyonnais, que je définirai en disant que nous savons que nous pouvons vivre ensemble, et qu'il est possible et nécessaire de créer les conditions du vivre-ensemble. Il faut savoir dépasser les clivages pour faire avancer les dossiers. Cette position m'a parfois été vivement reprochée ; le désaccord est normal : son absence serait néfaste pour la démocratie. Nous avons pu néanmoins, armés d'une telle philosophie, mettre en oeuvre un certain nombre de projets, et notamment celui qui a conduit à la création de la métropole de Lyon, unique en son genre dans notre pays.

Je voudrais à présent devant vous donner des explications très claires sur l'emploi familial auquel j'ai recouru. Il est tout à fait exact - je n'ai aucune raison de le cacher, et pour le moment, en outre, ce n'est pas interdit, puisque la loi n'est pas votée - que j'ai employé l'une de mes filles, d'août 2012 à avril 2014, pour travailler sur des points très spécialisés. À l'époque, en effet, j'étais responsable, localement, de dossiers très difficiles en matière culturelle. Forte de sa formation à l'école du Louvre et de son expérience à divers postes de coopération internationale, ma fille m'a donc assisté sur ces sujets.

Elle était alors domiciliée en France : j'ai vérifié ce matin même que le contrat avait bien été corrigé avant août 2012 au bureau de l'Agas, l'association pour la gestion des assistants de sénateurs. Les informations publiées ne correspondent pas à la réalité ! Ma fille a exercé sa mission à temps partiel, dans un certain nombre de domaines où son expertise était grande : préservation du patrimoine, coopération internationale, culture numérique, musées. En avril 2014, nous avons conjointement considéré que les sujets pour lesquels j'avais besoin de son expertise avaient été traités ; nous avons mis fin au contrat. Elle vit aujourd'hui, à Londres, de « petits boulots » dans le domaine des musées. Chaque mois, elle a besoin de ses parents - vous connaissez cette situation, vous qui, pour beaucoup, êtes parents.

Avec ma femme, qui est juriste, bien plus brillante que moi, nous avons eu cinq enfants.

M. Philippe Bas, président. - Bravo !

M. Michel Mercier. - Nous avons désormais six petits-enfants, ce qui est une source de joie, mais aussi, parfois, de soucis. Je tiens à la disposition du Sénat les travaux que ma fille a effectués dans le cadre de l'emploi que je viens d'évoquer. Si le Président du Sénat souhaite en avoir connaissance, cela se fera sans problème.

Je voudrais maintenant aborder trois thèmes qui sont pour moi très importants : les libertés publiques, le bicamérisme, les territoires. Ces trois notions feront très prochainement l'objet d'une véritable refonte. De grands changements se préparent, comme nous avons pu le constater, hier matin, lors de la réunion de la commission mixte paritaire sur le projet de loi organique rétablissant la confiance dans l'action publique. Le Sénat, mais aussi tous les Français, doivent prendre conscience des conséquences de ces changements.

S'agissant tout d'abord des libertés publiques, je suis frappé par le moindre attachement de nos concitoyens à l'idée de liberté publique. Lorsque j'étais étudiant, on apprenait que la liberté était la règle, la mesure de police l'exception. Aujourd'hui, on cherche plutôt à limiter la mesure de police, laquelle devient peu ou prou la règle de droit commun ; on le fait, en général, en commentant l'arrêt Benjamin du Conseil d'État de 1933. Le changement des mentalités, sur ce point, est profond. Il y a là un vrai problème.

Qui doit défendre les libertés publiques ? Tous les Français, bien entendu. Mais, plus techniquement, je pense qu'une telle défense ne peut être du seul ressort du Conseil constitutionnel. Ce dernier remplit bel et bien cette mission ; c'est même là sa réponse à l'apparition, caractéristique de la Ve République, du bloc majoritaire. Mais le Sénat doit partager avec lui cette responsabilité.

Vous le revendiquez souvent, et nous avons souvent essayé, au sein de cette commission, sous la présidence de Philippe Bas, d'être les défenseurs des libertés publiques. C'est là, me semble-t-il, la première justification du bicamérisme, avant même la représentation des collectivités locales ; si tel n'était pas le cas, le Sénat ne serait qu'un Bundesrat, et non une chambre de plein exercice et de pleine compétence. Il est assez normal, par ailleurs, que la seconde chambre ne puisse pas renverser le Gouvernement, puisqu'elle est elle-même permanente, renouvelée par moitié tous les trois ans.

Que le Sénat soit le défenseur des libertés publiques ne veut pas dire que le bloc majoritaire est liberticide, mais qu'il pourrait l'être un jour, ce qui est tout à fait différent.

Quant au bicamérisme, il ne s'agit pas simplement d'un mode d'organisation du Parlement, mais d'un système qui permet aux citoyens, s'exprimant par deux voies différentes, de contrôler les gouvernants. Il est tout à fait normal que les citoyens s'expriment directement en élisant des députés à l'Assemblée nationale ; mais ce sont les mêmes citoyens, par le biais, cette fois, du suffrage indirect, qui élisent les sénateurs. Dans notre Constitution, une seule source de pouvoir est reconnue : le suffrage universel. Qu'il soit direct ou indirect, le suffrage est toujours universel.

En la matière, quelques dangers sont à pressentir. Le bicamérisme est un moyen de faire de bonnes lois, mieux rédigées, normatives et non de simple proclamation. Or on nous explique que nous travaillons trop lentement. Une réforme institutionnelle devrait donc bientôt faire de la procédure exceptionnelle accélérée la procédure de droit commun. Nous devrons alors veiller plus encore au bicamérisme. Si une seule lecture demeure, il faudra garantir la réelle capacité de la seconde chambre à se prononcer. Si vous m'envoyez rue de Montpensier, je prendrai garde aux restrictions au droit d'amendement qui auront été introduites dans notre droit parlementaire. Certaines sont tout à fait justifiées, mais il ne faudra pas aller trop loin.

Une réflexion devra également être menée sur les commissions mixtes paritaires (CMP). Nous en avons eu hier un exemple très intéressant. Si nous tenons au bicamérisme, c'est-à-dire à ce que les points de vue de la seconde chambre puissent être entendus au moins partiellement, l'un des moyens consisterait à accepter des CMP conclusives sur une partie du texte, mais à laisser le débat se poursuivre sur d'autres parties. L'Assemblée nationale aurait le dernier mot, mais des accords avec le Sénat seraient recherchés dès que possible.

Hier, nous étions en désaccord sur un point ; sur d'autres, nous aurions pu assez facilement trouver un terrain d'entente. En définitive, nous aurons la version de l'Assemblée. Il y a là matière à réflexion, sachant que la notion même de CMP me paraît tout à fait essentielle et consubstantielle au bicamérisme.

Enfin, puisque la Constitution prévoit que le Sénat représente les collectivités territoriales de la République, nous devrons tous être extrêmement attentifs à l'idée de territoire. Aujourd'hui, la jurisprudence telle qu'elle s'est établie ne tient compte, pour la définition des circonscriptions électorales, que de la population - ce qui peut se concevoir. Les collectivités territoriales sont diverses. Si le nombre de parlementaires diminue, à jurisprudence constante, plusieurs départements n'auront plus qu'un seul élu. Peut-être faudrait-il envisager des règles différentes pour les deux assemblées.

M. Philippe Bas, président. - Merci de nous avoir ainsi fait part de vos motivations et de vos convictions, et d'avoir retracé votre parcours. Nous voyons clairement à quoi vous attachez de l'importance - notamment, au bicamérisme. Notre architecture institutionnelle compte trois pouvoirs alignés - le Président de la République, le Gouvernement et l'Assemblée nationale, avec sa majorité - et deux pouvoirs non alignés - le Conseil constitutionnel et le Sénat. Ces deux pouvoirs ont vocation, chacun selon ses attributions, à défendre les libertés, individuelles ou publiques. Et le rôle du Sénat est de représenter les collectivités territoriales, comme le prévoit la Constitution. Vous avez aussi évoqué, à juste titre, l'importance du bon fonctionnement de la procédure parlementaire.

Merci aussi de vous être spontanément exprimé sur les informations de presse qui vous concernent, et de nous avoir apporté toutes les précisions souhaitables. Votre proposition de fournir au Président du Sénat tous éléments utiles pour justifier du travail accompli entre 2012 et 2014 par votre fille, que vous employiez à temps partiel comme assistante parlementaire, me paraît excellente.

M. Jean-Yves Leconte. - Nous avons apprécié votre traitement des textes relatifs à l'état d'urgence : quelle que soit la majorité, vous avez toujours défendu les libertés publiques. Nous comptons sur vous pour continuer ! Justement, vous avez été rapporteur de plusieurs textes qui font ou feront l'objet de questions prioritaires de constitutionnalité (QPC). Cela vous conduira à vous déporter lors de l'examen de ces QPC, mais ne craignez-vous pas, même ainsi, que vos collègues ne s'en trouvent embarrassés ? Depuis quatre ans, la lutte contre le terrorisme bascule du plan judiciaire, avec l'élargissement du champ de certaines infractions pour judiciariser les procédures, au domaine administratif, via une multiplication des mesures préventives. Que pensez-vous de cette évolution ? Quelle sera sa limite ? Notre droit est de plus en plus encadré non par notre Constitution, mais par des règles européennes et des conventions internationales, sur lesquelles le contrôle du Conseil constitutionnel est limité. Sa crédibilité ne sera-t-elle pas amenée à en souffrir ? Vous nous avez donné votre opinion sur le bicamérisme, et nous l'apprécions. Mais pourrez-vous la défendre dans vos nouvelles fonctions, où il ne s'agit plus d'agir mais d'écrire ?

M. Philippe Bas, président. - Le juge constitutionnel ne se contente pas d'écrire, il interprète. Et son interprétation s'impose à tous.

Mme Catherine Tasca. - Merci pour vos explications sur ce contrat de collaboration qui vous est imputé par la presse dans des termes, si j'ai bien compris, qui ne correspondent pas tous à la réalité. Vos explications me suffisent, notamment parce que je suis très attachée à la non-rétroactivité du droit. Or l'évolution des idées crée une forte tentation d'appliquer à un moment donné des textes qui n'ont pas encore force de loi. Si nous cédons sur ce point, tout deviendra possible, car chacun pourra interpréter la loi à sa guise. Vous avez une longue pratique de la magistrature. Que pensez-vous des QPC, et du poids qui est le leur dans l'évolution de notre droit ?

M. Pierre-Yves Collombat. - Selon la jurisprudence du Conseil constitutionnel, les élections doivent être organisées sur des bases essentiellement démographiques. C'est presque une révision constitutionnelle ! Le préambule de la Constitution de 1946, qui fait partie de notre bloc de constitutionnalité, est peu souvent évoqué. Comment rectifier la tendance actuelle, qui conduit, en réduisant le nombre d'élus, à rendre plus difficile la représentation des territoires ?

M. Alain Richard. - J'éprouve toujours une forme de gêne dans ce type d'auditions, car le Conseil constitutionnel est une instance collégiale, dont chaque membre fait appel à sa conscience et exerce son indépendance. On n'y est donc pas élu sur un programme, mais nommé par une autorité de la République, pour exercer de façon indépendante la mission consistant à vérifier le respect de la Constitution et des principes découlant de la Déclaration des droits de l'homme. Ces auditions avant nomination sont un apport récent à notre Constitution, dont les partisans disent qu'il est d'inspiration parlementariste, quand il constitue aussi une imitation d'un rite américain, et que la Constitution des États-Unis n'est guère parlementariste... La Cour suprême américaine est d'ailleurs officiellement divisée entre une majorité et une minorité, ce que je trouve absolument tragique. Nous ne sommes pas dans un contexte similaire. Aussi nous faut-il quelque peu meubler cette audition, car il serait vain de chercher à obtenir de l'impétrant des engagements sur tel ou tel sujet. En somme, nous avons là une discussion entre personnes de bonne compagnie.

J'ai écouté attentivement vos propos sur le bicamérisme. À mon sens, la composante libérale a une grande importance car le Sénat est d'abord une création orléaniste. C'est d'ailleurs parce qu'il est devenu majoritairement républicain en janvier 1879 que le régime a basculé et que M. de Mac Mahon a démissionné. Certes, au cours des dernières décennies, le Sénat a aussi été un soutien de l'autorité de l'État, ce qui est moins séduisant mais essentiel. Le Conseil constitutionnel a rappelé que l'ordre public est aussi un principe à valeur constitutionnelle, car s'il n'est pas respecté, les autres principes ne peuvent l'être.

Sur les CMP, je ne partage pas votre avis. La Constitution parle bien du texte dans son ensemble. Si on commence à envisager un accord partiel, le résultat sera que des initiatives risquent d'être prises sur les parties n'ayant pas fait l'objet d'un accord en CMP, au risque de remettre en cause l'équilibre de l'ensemble d'un texte. Mieux vaut donc en rester à l'état actuel du droit. La création des CMP, d'ailleurs, a représenté un vrai progrès pour la cohérence législative.

Je souhaite vous interroger sur le fait que le Conseil constitutionnel se saisisse parfois lui-même, en choisissant d'étendre son examen à d'autres articles que ceux qui lui sont déférés. Selon quels critères prend-il cette décision ? Il ne s'en est jamais vraiment expliqué. C'est pourtant un facteur - modeste - d'incertitude juridique.

Si vous entrez au Conseil constitutionnel, vous y assumerez la défense d'une espèce menacée : les universitaires ! Je m'en réjouis.

M. Christian Favier. - L'accélération des procédures pose des problèmes, notamment en ce qui concerne le droit d'amendement. Que pensez-vous de l'idée de voter la loi directement en commission ? Vous êtes favorable à la conclusion d'accords partiels en CMP, mais cela donnerait de nouveaux pouvoirs à ces commissions, dont la représentativité devrait dès lors être plus minutieusement assurée. Actuellement, leur faible effectif empêche parfois d'intégrer dans leur composition les représentants de certains courants.

M. Michel Mercier. - Je serai entièrement indépendant. J'ai lu quelque part que j'étais le représentant du Président de la République... Balivernes ! Je ne représente personne, si ce n'est, peut-être, les minorités, ayant toujours été membre de groupes minoritaires. Oui, contrairement à la Cour suprême américaine, le Conseil constitutionnel - qui n'est pas non plus la Cour de La Haye - ne compte pas d'opinions dissidentes en son sein. J'imagine tout de même qu'une certaine maïeutique y aboutit aux décisions, et j'y apporterai ce que je sais, ce que je crois et ce dont j'ai envie pour la France.

Les QPC ont changé la vie du Conseil constitutionnel. Elles constituent une évolution logique. J'ai été le disciple de Robert Pelloux, lui-même élève de Carré de Malberg, qui tenait pour une limitation du rôle de la loi, et donc du Parlement. La création du Conseil constitutionnel a été une évolution majeure apportée par la cinquième République. Sous la Quatrième, on conformait la Constitution à la loi ! Nous disposons désormais d'une hiérarchie des normes solide, même si quelques problèmes de conventionalité subsistent. Et la QPC donne à tout citoyen l'accès au juge constitutionnel. Lorsqu'elle fut introduite, les deux juridictions suprêmes n'étaient guère enthousiastes - la Cour de cassation encore moins que le Conseil d'État. Et des questions de personnes n'ont pas arrangé la situation. Mais nous sommes désormais parvenus à un régime stabilisé. Et l'État de droit y gagne.

Sur l'auto-saisine du Conseil constitutionnel, je me bornerai à imaginer qu'il a repris cette pratique du Conseil d'État, où elle est constante !

Faut-il accélérer la procédure législative ? En France, on considère que le Parlement va trop lentement. C'est faux ! Si un texte législatif est d'application immédiate, le temps qui s'écoule entre son dépôt et sa mise en oeuvre n'est pas toujours très long. S'il impose de prendre des décrets d'application, le temps d'élaboration de ceux-ci est parfois plus long que celui du débat législatif. On ne peut pas faire une loi à la va-vite, avec tambours et trompettes. Le temps est nécessaire, pour réfléchir, pour consulter, pour écouter.

Dans certaines matières, comme la ratification de conventions internationales par exemple, les pouvoirs du Parlement sont plus faibles. Mais celles qui touchent directement tous nos concitoyens doivent faire l'objet d'une durée de délibération suffisante.

J'ai bien conscience du problème que pose la représentation des territoires. Il n'est pas seulement juridique : que de nombreux départements n'aient qu'un élu chacun serait problématique, car il faut aussi représenter la diversité. Le Conseil constitutionnel a le pouvoir de déclarer une loi conforme ou non à la Constitution, mais il n'a pas le pouvoir de réviser la Constitution, ni celui de faire la loi - pouvoir qui n'appartient qu'au Parlement. Je ne dévoilerai donc pas un programme, mais je veillerai, si je vous me permettez de siéger au Conseil constitutionnel, à ce qu'il reste dans son rôle et le Parlement dans le sien.

M. Leconte a raison : j'ai été le rapporteur de beaucoup de textes - et je remercie le président et la commission des lois de m'avoir donné cette opportunité. Je me conformerai tout simplement à la jurisprudence du Conseil constitutionnel sur le déport, ainsi que le fait Jean-Jacques Hyest - surtout s'il se trouve que nous avons travaillé sur le même texte !

M. Philippe Bas, président. - Nous vous remercions.

La réunion est suspendue à 11 heures.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

Vote et dépouillement du scrutin sur la proposition de nomination par le Président du Sénat aux fonctions de membre du Conseil constitutionnel

La réunion reprend à 11 h 10.

M. Philippe Bas, président. - Nous allons passer au vote sur la proposition de nomination, par le Président du Sénat, de M. Michel Mercier aux fonctions de membre du Conseil constitutionnel.

Le vote se déroulera à bulletins secrets, comme le prévoit l'article 19 bis du Règlement du Sénat, et les délégations de vote ne sont pas autorisées, en vertu de l'article 1er de l'ordonnance n° 58-1066 du 7 novembre 1958 portant loi organique autorisant exceptionnellement les parlementaires à déléguer leur droit de vote.

En application des articles 56 et 13 de la Constitution, le Président du Sénat ne pourrait procéder à cette nomination si les votes négatifs représentaient au moins trois cinquièmes des suffrages exprimés.

MM. Mathieu Darnaud et François Bonhomme sont désignés scrutateurs.

M. Philippe Bas, président. - Voici les résultats du scrutin :

Nombre de votants : 31.

Bulletin blanc : 1.

Bulletin nul : 1.

Nombre de suffrages exprimés : 29.

Pour : 22.

Contre : 7.

La commission donne un avis favorable à la nomination de M. Michel Mercier aux fonctions de membre du Conseil constitutionnel.

Nomination de rapporteurs

MM. Jacques Bigot et François-Noël Buffet sont nommés rapporteurs sur la proposition de loi organique n° 640 (2016-2017) pour le redressement de la justice et la proposition de loi n° 641 (2016-2017) d'orientation et de programmation pour le redressement de la justice, présentées par M. Philippe Bas.

La réunion est close à 11 h 25.

Vendredi 4 août 2017

- Présidence de Mme Catherine Troendlé, vice-présidente -

La réunion est ouverte à 10 h 35.

Projet de loi organique pour la confiance dans la vie politique (nouvelle lecture) - Examen du rapport et du texte de la commission

La commission examine, en nouvelle lecture, le rapport de M. Philippe Bas et le texte qu'elle propose pour le projet de loi organique pour la confiance dans la vie politique n° 122 (2016-2017).

M. Philippe Bas, rapporteur. - Lors de la réunion de la commission mixte paritaire mardi 1er août, nous nous sommes entendus sur tout, sauf sur la réserve parlementaire. À ce propos, deux conceptions très différentes du bon fonctionnement des commissions mixtes paritaires se sont exprimées, et la conception que j'ai défendue n'a pas prévalu. Selon moi, une commission mixte paritaire est une instance où l'on recherche un accord, y compris en passant au vote en cas de divergence des points de vue. Or ma collègue rapporteure et présidente de la commission des lois de l'Assemblée nationale ne souhaitait pas procéder à un vote sur la question de la réserve parlementaire et le président de la commission mixte paritaire n'a pas accepté ma demande, qui était pourtant soutenue par une majorité de membres, pour trancher notre différend.

L'interprétation de la Constitution par mon homologue de l'Assemblée nationale est la suivante : si les représentants à une commission mixte paritaire du groupe ayant la majorité à l'Assemblée nationale estiment qu'on ne peut pas trouver d'accord, celui-ci ne doit pas être forcé par un vote qui pourrait donner la minorité auxdits représentants. Une telle conception s'appuie sur un certain esprit des institutions, qui considère que, si le vote avait mis en minorité les représentants de la majorité de l'Assemblée nationale, l'accord de la commission mixte paritaire n'aurait pu prospérer devant cette assemblée. Cette interprétation se heurte pourtant à un argument de texte : le Gouvernement a toute latitude pour présenter ensuite des amendements devant l'Assemblée nationale et le Sénat, et la majorité des députés peut alors exprimer son soutien au Gouvernement. Aller jusqu'au bout de la recherche d'un accord en commission mixte paritaire en ayant recours à un vote présente tout de même un avantage : donner une chance à une solution ayant émergé en CMP.

Je souhaitais aborder cette question, car j'estime qu'elle n'a pas été tranchée par le Conseil constitutionnel lorsque, dans sa décision du 13 août 2015, il a estimé ne pas avoir à apprécier les motifs et les conditions dans lesquels une commission mixte paritaire ne parvient pas à l'adoption d'un texte commun. Il a relevé que, dans le rapport établi conjointement par les rapporteurs des deux assemblées à l'issue de la CMP, cette dernière avait constaté, d'une part, l'impossibilité de parvenir à l'adoption d'un texte commun, d'autre part, l'absence de contestation de cette impossibilité.

Or, au cas présent, je n'ai reconnu ni la régularité de la procédure, ni l'impossibilité de parvenir à l'adoption d'un texte commun. À mes yeux, une majorité des membres de la commission était disposée à voter afin de parvenir à un accord. C'est un point de droit qu'il serait intéressant de trancher, notamment pour ce qui concerne une loi organique. Mon intervention alimentera je l'espère la réflexion du Conseil constitutionnel, automatiquement saisi s'agissant d'une loi organique.

Je n'ai pas voulu prolonger inutilement les débats. Certaines mesures adoptées par l'Assemblée nationale laissent ouverte la possibilité de revenir à la position initiale du Sénat : j'y renonce la plupart du temps, pour bien isoler l'unique sujet de désaccord majeur avec le Gouvernement et la majorité de l'Assemblée nationale.

Le Gouvernement a introduit à l'Assemblée nationale des amendements relatifs à la Nouvelle-Calédonie et à la Polynésie française. Je les ai acceptés. Toutefois, dans la mesure où les assemblées de ces territoires n'ont pas été consultées, j'émets une réserve : si le procédé est conforme à la lettre des textes, il peut constituer une sorte de détournement de procédure. Il ne faudrait pas que, pour échapper à la consultation des assemblées de ces territoires, le Gouvernement présente systématique ce genre d'amendements, auquel cas la règle du jeu ne serait pas respectée.

Il existe également une difficulté juridique concernant une disposition adoptée par l'Assemblée nationale sur la rémunération des parlementaires au titre de responsabilités dans des structures publiques. L'intervention de la Cour de discipline budgétaire et financière est prévue pour sanctionner l'ordonnateur ayant pris l'acte sur la base duquel le parlementaire est rémunéré. Le problème est renvoyé dans le projet de loi organique aux règlements des assemblées concernées, mais ceux-ci, en application de la jurisprudence du Conseil constitutionnel, doivent se limiter aux règles relatives à l'organisation et au fonctionnement des assemblées, à la procédure législative et au contrôle de l'action du Gouvernement. La disposition adoptée par l'Assemblée nationale remet en cause le respect de notre ordre juridique constitutionnel.

Nous ne sommes pas pour la suppression sèche de la réserve parlementaire, je ne reviens pas sur nos raisons. Mais les dispositions que le Gouvernement s'apprête à faire voter par l'Assemblée nationale sont inconstitutionnelles.

Soit elles sont une interdiction faite au Gouvernement de déposer un amendement au projet de loi de finances pour abonder les crédits du ministère de l'intérieur afin de financer les petits projets signalés par les parlementaires, et le pouvoir d'amendement du Gouvernement ne peut être limité par une loi organique.

Soit cet amendement suppressif n'est pas abrogatif, il ne vise aucune disposition législative mais une pratique, la réserve parlementaire, qui n'est fondée sur aucun texte de loi : dès lors on ne voit pas comment une loi organique pourrait la supprimer. Un ancien président du Conseil constitutionnel, Jean-Louis Debré, parlait des « neutrons législatifs » systématiquement éliminés par le juge constitutionnel. Nous en avons ici un exemple ! Un amendement ironique posant : « il est mis fin à la pratique des neutrons législatifs par lesquels le Gouvernement, dans un projet de loi ou un amendement, présente des mesures sans portée législative, uniquement destinées à plaire à l'opinion publique » serait à l'évidence inconstitutionnel. C'est la même chose ici.

Bref, nous avons tant de raisons de principe et de fond pour écarter la disposition que nous devons rester fermes sur notre position et faire confiance au Conseil constitutionnel. Dans une ultime tentative de trouver un accord et dans le désir d'éviter au Gouvernement et à sa majorité le camouflet qui les menace, j'ai proposé aux membres de la commission mixte paritaire de renoncer à ma rédaction et d'écarter plutôt les articles 9 et 9 bis, le Gouvernement pouvant s'abstenir en loi de finances d'abonder la réserve parlementaire. Mais même cela a rencontré une résistance absolue...

Mme Catherine Troendlé, présidente. - Je regrette qu'aucun de ces arguments, pourtant largement développés par le rapporteur durant la CMP, n'ait reçu d'écho.

M. Alain Richard. - Dans la décision qu'il sera amené à prendre sur la loi organique, je ne doute pas que le Conseil constitutionnel précisera si l'obligation s'impose au président de la commission mixte paritaire d'organiser un vote lorsqu'un désaccord est constaté. Nous avons tous connu de nombreuses CMP non conclusives - et parfois très brèves - lors desquelles aucun vote n'a eu lieu.

Si le Conseil constitutionnel décide qu'il doit y avoir un vote, même dans le cas où une majorité composite - que je qualifierai « de rencontre » - adopte des conclusions dont le rejet par l'une des deux chambres est assuré, nous en ferons l'expérience à l'occasion d'un prochain texte : des conclusions seront adoptées, pour conduire ensuite à l'échec...

Je note qu'il existe un cliquet supplémentaire : c'est le Gouvernement qui décide de soumettre les conclusions d'une CMP au vote du Parlement, il pourrait donc ne pas le faire !

Au total, même si les arguments exposés à l'instant par le rapporteur étaient fondés en termes de pure procédure, en pratique, un accord obtenu dans de telles conditions éclaterait immédiatement. La CMP aurait travaillé en pure perte.

En ce qui concerne la réserve parlementaire, je rappelle que cette mesure a été introduite à un moment particulier dans le texte initial, alors que le garde des sceaux de l'époque cherchait des éléments pour nourrir le texte qu'il préparait, y compris en incluant une idée qui n'avait jamais été exprimée par le nouveau Président de la République. N'écoutant pas les conseils de prudence, le garde des sceaux a voulu présenter le projet de loi organique en conseil des ministres entre les deux tours : la qualité juridique s'en ressent. La suppression « de la pratique » de la réserve parlementaire n'est en rien une disposition normative.

Le précédent garde des sceaux avait lui-même évoqué l'idée que la réserve soit remplacée par un fonds et le Gouvernement devra évidemment revenir sur le sujet. La question du devenir des 146 millions d'euros de réserve actuelle sera posée dès le prochain débat budgétaire. Tout naturellement, les groupes d'opposition s'agitent, les gazettes en font leurs choux gras, mais nous ne sommes pas devant le tremblement de terre du siècle évoqué par certains...

Mme Catherine Troendlé, présidente. - Je suis tout de même choquée que la réserve parlementaire apparaisse dans un texte sur la moralisation de la vie publique, car nous avons largement contribué à la complète transparence de l'utilisation de ces crédits : l'instruction est assurée par les ministères, la liste des projets financés est publiée... Il ne peut donc absolument pas s'agir de clientélisme et introduire une telle mesure dans un projet de loi sur la moralisation ne grandit personne !

M. Jean-Yves Leconte. - Je ne vais pas reprendre l'ensemble des arguments échangés. Notre groupe rejoint les remarques de droit faites par le rapporteur sur la méthode. Clairement, il n'y avait pas de volonté à la CMP d'échanger sur la question de la réserve, ce qui a conduit à un constat de désaccord. Le seul argument avancé consistait à renvoyer à un engagement du Président de la République... Ce niveau d'argumentation ne peut que nous renforcer dans nos convictions.

En ce qui concerne le déroulement de la CMP, je rappelle que l'enjeu d'une telle commission est de faire adopter un texte commun par les deux assemblées. Elle a donc une vocation d'efficacité. Si on sait d'avance que le texte sera rejeté dans l'une des deux chambres, adopter des conclusions est une perte de temps.

Mme Catherine Troendlé, présidente. - Je comprends cet argument, mais on ne peut rien exclure d'avance. Dans l'examen de la loi sur l'égalité réelle outre-mer, il y avait au départ un profond désaccord sur la question de l'indemnisation des victimes des essais nucléaires en Polynésie française. Après un long débat, la CMP a trouvé un accord qui allait dans le sens souhaité par nos amis polynésiens... et qui a été conservé dans le texte final en dépit des réticences du Gouvernement. On peut donc bien infléchir les positions des uns ou des autres.

M. Jean-Yves Leconte. - Nous n'étions pas dans la même situation...

Mme Catherine Troendlé, présidente. - Exactement. On ne peut pas faire de généralités.

Mme Éliane Assassi. - Je partage l'essentiel des propos tenus par notre rapporteur, notamment sur l'absence de vote au sein de la CMP. Je crois d'ailleurs qu'il serait utile de relier cet événement aux projets de réforme annoncés récemment par le président de l'Assemblée nationale et qui auront un impact également sur le Sénat.

Sur le fond, je regrette vraiment que les discussions se soient focalisées sur la réserve parlementaire, qui ne constitue évidemment pas l'alpha et l'oméga de la moralisation de la vie politique. Je le dis d'autant plus volontiers que mon groupe est divisé sur ce point.

Personnellement, je suis favorable à la suppression de la réserve parlementaire, mais je reconnais aussi que des efforts considérables ont été menés ces dernières années, sur le montant attribué à chaque parlementaire ou sur les contrôles. Pour autant, il ne me semble pas que verser des subventions entre dans les missions des députés et des sénateurs. Je ne veux pas employer le mot de clientélisme, qui est inadapté, mais distribuer de l'argent ne relève tout simplement pas de nos fonctions.

Mme Jacky Deromedi. - Je regrette également le lien qui a été introduit entre réserve parlementaire et moralisation. Aujourd'hui, le mal est fait, comme nous pouvons le constater dans les courriers que nous recevons, qui nous accusent d'en « avoir bien profité » et ajoutent que « maintenant c'est fini ». Pourtant, toutes les décisions de financement sont publiques, même si l'opinion ne le sait pas nécessairement. Sur le fond, il me semble important de conserver cet outil qui est très utile pour financer un certain nombre de projets.

Mme Catherine Tasca. - Sur la réserve, ce n'est pas sur le changement de méthode que nous devons nous appesantir. Le Parlement devra surtout être vigilant lors de l'examen de la prochaine loi de finances sur la reconstitution, quelque part dans le budget, d'une ligne correspondant aux moyens mis jusque-là à disposition pour financer les petits projets dans les petites collectivités. La situation est tout à fait rattrapable, mais il faudra y être attentif.

Nos collègues députés de La République en marche ont-ils fait preuve d'inexpérience ? La CMP est un moment de recherche d'un consensus, c'est important pour le fonctionnement du bicamérisme. Si on annonce à l'avance que des points sont non négociables, on ôte toute envie de discuter et on nie l'utilité de la CMP.

Nous devons vraiment être exigeants sur cette question, en particulier après les annonces récentes du président de l'Assemblée nationale sur la réforme de la procédure législative - je pense notamment à l'idée, discutable et même inquiétante, de limiter l'examen et le vote des textes aux commissions, sans passer par la séance publique. Certes, des améliorations sont toujours possibles dans la procédure parlementaire - il est vrai que certaines discussions sont trop longues et devraient être mieux encadrées -, mais la navette est le fondement du bicamérisme et on ne peut pas procéder à des réformes sur un coin de table, au gré des majorités... Je ne serai plus parlementaire dans quelques semaines, mais je compte sur la vigilance du Sénat, car toute majorité a tendance à estimer que la procédure est une entrave !

M. François Bonhomme. - Je souscris aux propos qui viennent d'être tenus. Une volonté d'affichage a rendu nos collègues députés imperméables à tous nos arguments, notamment sur les importantes évolutions qui ont eu lieu en matière de transparence.

La décision de supprimer la réserve, qui représente peut-être une somme faible (146 millions d'euros) dans l'ensemble des concours financiers aux collectivités locales, s'inscrit dans une conjoncture globalement défavorable : 10 milliards de dotations en moins sur les trois dernières années, 13 milliards annoncés pour l'avenir... sans oublier le décret d'avance réduisant les versements de 300 millions cette année. Inexpérience ? Non, les députés savent ce qu'ils font, mais c'est un très mauvais signal qui est ainsi envoyé !

M. François-Noël Buffet. - On a jeté l'opprobre sur l'ensemble des élus s'agissant de l'usage de cette réserve parlementaire, dont la transparence a pourtant été largement améliorée.

Je voudrais livrer, en la matière, un témoignage récent : dans une petite collectivité locale, une plaque inaugurale a été posée sur la façade d'un bâtiment qui a fait l'objet de travaux de restauration. On y remercie évidemment le département, la région, l'État, mais aussi, en toutes lettres, la réserve parlementaire du député qui a contribué à la réalisation des travaux.

M. François Bonhomme. - La réserve a une existence physique !

M. Christophe-André Frassa. - Je voudrais rebondir sur ce que disait Mme Tasca. Je rentre d'un petit circuit dans ma petite circonscription... Les ambassadeurs et consuls généraux sont les premiers à proposer d'établir la liste des alliances françaises qui, au cours de l'année prochaine, ou des années prochaines pour les plus robustes, mettront la clé sous la porte, parce qu'elles vivent des subventions reçues au titre de la réserve parlementaire. Il s'agit en effet d'organismes de droit local, qui, comme tels, ne peuvent recevoir de subventions : les alliances sont considérées par les autorités locales comme des associations étrangères, mais ne sont pas non plus considérées par la France comme des services de l'État à l'étranger. Elles se retrouvent totalement aux abois !

Sur le continent américain ou en Asie centrale, les sources de revenus sont rares pour les alliances françaises en dehors des cours et des événements culturels, lesquels ne suffiront pas à assurer leur survie. En définitive, on se gargarise sur le rayonnement culturel de la France, mais on coupe tous les moyens de ce rayonnement !

La réserve parlementaire, même de façon assez modeste, pouvait faire vivre pendant presque une année une alliance française. Celle-ci était parfois l'unique point de rayonnement culturel dans un désert où la France ne disposait d'aucun autre relais.

La suppression de la réserve sera également une source de grandes difficultés financières pour les écoles françaises. L'Agence pour l'enseignement français à l'étranger, qui reçoit sa dotation le 1er janvier, gère la pénurie dès le 2 ! Sur les 500 établissements français, 90 sont en gestion directe ; les autres sont des établissements de droit local. Même problème que pour les alliances françaises, donc !

Les collectivités territoriales bénéficieront toujours des subventions des conseils départementaux et des conseils régionaux. Mais, hors de France, les 23 parlementaires des Français de l'étranger étaient, via la réserve, les seules sources de subvention. Lorsque j'entends parler de clientélisme, je m'étrangle, ou j'ai l'impression de faire un mauvais rêve. Où est le clientélisme lorsque, au titre de la réserve parlementaire, je finance l'achat d'une ambulance pour le centre médicosocial de Bamako ? Demande-t-on aux malades, à la montée dans l'ambulance, s'ils votent à droite ou à gauche ? Il y a des coups de bâton qui se perdent !

Mme Josiane Costes. - Placer le problème de la réserve parlementaire dans le texte de rétablissement de la confiance dans l'action publique, c'est depuis le début une façon de semer le doute, voire le soupçon, sur l'équité et l'honnêteté de ce dispositif. C'est grave !

Je voudrais moi aussi évoquer un exemple, celui d'un petit village du Cantal situé au pied du Puy Mary, Dienne. La collectivité était en très grande difficulté financière ; sans la réserve parlementaire, elle n'aurait pu acheter le petit engin de déneigement dont elle avait besoin.

M. Philippe Bas, rapporteur. - Je me réjouis de constater que le périmètre de nos désaccords est beaucoup plus réduit que celui de notre accord.

EXAMEN DES ARTICLES

Article 1er

M. Philippe Bas, rapporteur. - L'amendement COM-3 vise à corriger la définition du rôle de la Haute Autorité de la transparence de la vie publique s'agissant de l'examen de l'exhaustivité, de l'exactitude et de la sincérité des déclarations qui lui sont soumises. J'y suis favorable.

L'amendement COM-3 est adopté.

Article 2 A

L'amendement de suppression COM-4 est adopté.

Article 5

M. Philippe Bas, rapporteur. - En nouvelle lecture, après la réunion de la commission mixte paritaire, l'Assemblée nationale a adopté un amendement tendant à interdire aux parlementaires de fournir des prestations de conseil à des organismes publics étrangers.

Je vous propose, en adoptant l'amendement COM-5, de rejeter cette disposition. Cette interdiction existe déjà en grande partie ; surtout, elle pose, par son imprécision, des problèmes juridiques, s'agissant notamment du terme de « structure publique ». Si nous voulons légiférer en ce sens, il faudra le faire dans un autre cadre.

M. Alain Richard. - Qu'un parlementaire ne puisse conseiller des États étrangers ou leurs démembrements est-il anormal ? Cette disposition me paraît raisonnable. Peut-être sa rédaction n'est-elle pas parfaite, mais je ne vois pas de raison de la supprimer.

Mme Éliane Assassi. - Tout à fait.

L'amendement COM-5 est adopté.

Article 8 bis (supprimé)

M. Philippe Bas, rapporteur. - L'amendement COM-6 vise à rétablir la suppression de la possibilité pour le Gouvernement de désigner des parlementaires en mission.

Les amendements identiques COM-6 et COM-1 sont adoptés.

Article 8 ter

M. Philippe Bas, rapporteur. - L'amendement COM-7 a pour objet de rétablir la rédaction du Sénat pour l'entrée en vigueur des dispositions relatives à la désignation d'un parlementaire dans une institution ou un organisme extérieur. Ceux qui sont déjà membres d'une telle institution ou d'un tel organisme pourront achever leur mandat.

L'amendement COM-7 est adopté.

Article 9

M. Philippe Bas, rapporteur. - L'amendement COM-30 sera satisfait par mes amendements ; quant à l'amendement COM-29, j'y suis défavorable.

Les amendements COM-30 et COM-29 ne sont pas adoptés.

M. Philippe Bas, rapporteur. - L'amendement COM-8 est un amendement de compromis, si j'ose dire, sur l'article 9, qui concerne la réserve parlementaire. J'ai pris la précaution de modifier le texte que nous avions adopté pour tenir compte des amendements qui avaient été présentés par le rapporteur général de la commission des finances de l'Assemblée nationale, amendements qu'il s'était senti contraint de retirer.

Nous avions, de notre côté, pour la réunion de la commission mixte paritaire, écrit un texte en deux temps : premièrement, la mention de la suppression de la réserve parlementaire - j'espérais que le Gouvernement saisirait la perche que nous lui tendions - et deuxièmement, un dispositif alternatif que nous proposions pour la remplacer. Je ne conserve que la deuxième partie.

Je ne me suis pas borné à prendre en compte les communes, leurs groupements et les Français de l'étranger ; j'ai inclus les associations que les députés souhaitent pouvoir continuer à aider. J'ai en outre précisé davantage les critères, en définissant notamment le type d'associations et de projets communaux concernés.

M. Alain Richard. - Je suis contre !

Mme Éliane Assassi. - Je m'abstiens.

Les amendements identiques COM-8 et COM-2 sont adoptés.

Les amendements COM-31, COM-32 et COM-33 deviennent sans objet.

Article 9 bis

M. Philippe Bas, rapporteur. - L'Assemblée nationale a supprimé la réserve ministérielle ; je vous propose de la rétablir, en assortissant néanmoins ce rétablissement de conditions de transparence applicables à l'ensemble des membres du Gouvernement.

L'amendement COM-9 est adopté.

Article 9 ter

L'amendement rédactionnel COM-10 est adopté.

Article 11

M. Philippe Bas, rapporteur. - S'agissant de la procédure de délivrance de l'attestation fiscale des parlementaires, des modalités transitoires d'application sont nécessaires. Tel est l'objet de l'amendement COM-11.

L'amendement COM-11 est adopté.

Article 12

M. Philippe Bas, rapporteur. - L'amendement COM-12 vise à rétablir le délai de six mois, plutôt que trois, pour l'actualisation par les parlementaires de leurs déclarations d'intérêts et d'activités, par cohérence avec l'article 14 de la loi ordinaire.

L'amendement COM-12 est adopté.

Les amendements de coordination COM-13 et COM-14 sont adoptés.

Article 13

L'amendement de coordination COM-15 est adopté.

Article 16

L'amendement de coordination COM-16 est adopté.

L'amendement de cohérence COM-17 est adopté.

L'amendement rédactionnel COM-18 est adopté.

Article 17

Les amendements de cohérence COM-19, COM-20, COM-21 et COM-22 sont adoptés.

Article 18

Les amendements de cohérence COM-23, COM-24, COM-25 et COM-26 sont adoptés.

Article 19

L'amendement de coordination COM-27 est adopté.

L'amendement de cohérence COM-28 est adopté.

Le projet de loi organique est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Le sort des amendements examinés par la commission est retracé dans le tableau suivant :

Auteur

Objet

Sort de l'amendement

Article 1er
Déclaration du patrimoine du Président de la République

M. MARIE

3

Contrôle de la déclaration de situation patrimoniale

Adopté

Article 2 A
Sanction de la perception de rémunérations publiques illégales par des parlementaires

M. BAS, rapporteur

4

Suppression de l'article

Adopté

Article 5
Limitation pour un parlementaire de l'exercice d'une activité de conseil à titre individuel

M. BAS, rapporteur

5

Prestations de conseil pour un gouvernement étranger

Adopté

Article 8 bis (Supprimé)
Interdiction des parlementaires en mission

M. BAS, rapporteur

6

Suppression de la désignation par le Gouvernement de « parlementaires en mission »

Adopté

M. LECONTE

1

Suppression de la désignation par le Gouvernement de « parlementaires en mission »

Adopté

Article 8 ter
Réserver à la loi la possibilité de prévoir la participation de parlementaires
à des organismes extraparlementaires

M. BAS, rapporteur

7

Entrée en vigueur de l'article 8 ter

Adopté

Article 9
Dotation de solidarité locale

M. L. HERVÉ

29

Suppression de l'article

Rejeté

M. LECONTE

2

Dotation de solidarité locale

Adopté

M. BAS, rapporteur

8

Dotation de solidarité locale

Adopté

M. L. HERVÉ

30

Intitulé du chapitre III

Satisfait ou sans objet

M. L. HERVÉ

31

Dotation de soutien à l'investissement des communes, de leurs groupements et des associations

Satisfait ou sans objet

M. L. HERVÉ

32

Dotation de soutien à l'investissement des communes, de leurs groupements et des associations

Satisfait ou sans objet

M. L. HERVÉ

33

Dotation de soutien à l'investissement des communes, de leurs groupements et des associations

Satisfait ou sans objet

Article 9 bis
Publicité de la « réserve ministérielle »

M. BAS, rapporteur

9

Publicité de la réserve ministérielle

Adopté

Article 9 ter
Délai de transmission d'une nouvelle déclaration de situation patrimoniale
à la Haute autorité pour la transparence de la vie publique et transfert de dispositions
intéressant les membres du Conseil supérieur de la magistrature

M. BAS, rapporteur

10

Rédactionnel.

Adopté

Article 11
Modalités d'entrée en vigueur de l'article 2 relatif à la vérification de la situation fiscale des parlementaires

M. BAS, rapporteur

11

Dispositions transitoires

Adopté

Article 12
Modalités d'entrée en vigueur des dispositions renforçant les incompatibilités parlementaires

M. BAS, rapporteur

12

Délai pour l'actualisation des déclarations d'intérêts et d'activités des députés et sénateurs

Adopté

M. BAS, rapporteur

13

Coordination

Adopté

M. BAS, rapporteur

14

Coordination

Adopté

Article 13
Poursuite de l'exécution des crédits ouverts au titre de la « réserve parlementaire »

M. BAS, rapporteur

15

Coordination

Adopté

Article 16
Extension à certains élus de Nouvelle-Calédonie des incompatibilités parlementaires
applicables à certaines activités de conseil

M. BAS, rapporteur

16

Coordination

Adopté

M. BAS, rapporteur

17

Délai d'actualisation de la déclaration d'intérêts et d'activités des membres d'une assemblée de province ou du congrès de la Nouvelle-Calédonie

Adopté

M. BAS, rapporteur

18

Rédactionnel

Adopté

Article 17
Adaptation des dispositions relatives aux « emplois familiaux » des collaborateurs de cabinet
aux institutions de Nouvelle-Calédonie

M. BAS, rapporteur

19

Cohérence

Adopté

M. BAS, rapporteur

20

Cohérence

Adopté

M. BAS, rapporteur

21

Cohérence

Adopté

M. BAS, rapporteur

22

Cohérence

Adopté

Article 18
Adaptation des dispositions relatives aux « emplois familiaux » des collaborateurs de cabinet
aux institutions de Polynésie française

M. BAS, rapporteur

23

Cohérence

Adopté

M. BAS, rapporteur

24

Cohérence

Adopté

M. BAS, rapporteur

25

Cohérence

Adopté

M. BAS, rapporteur

26

Cohérence

Adopté

Article 19
Extension à certains élus de Polynésie française des incompatibilités parlementaires applicables
à certaines activités de conseil

M. BAS, rapporteur

27

Coordination

Adopté

M. BAS, rapporteur

28

Délai d'actualisation de la déclaration d'intérêts et d'activités des élus de l'assemblée de la Polynésie française

Adopté

La réunion est close à 11 h 25.