Mardi 13 novembre 2018

- Présidence de Mme Catherine Morin-Desailly, présidente -

La réunion est ouverte à 18 h 5.

Projet de loi de finances pour 2019 - Audition de M. Didier Guillaume, ministre de l'agriculture et de l'alimentation (crédits « Enseignement technique agricole » de la mission « Enseignement scolaire » et crédits « Enseignement supérieur et recherche agricoles » de la mission « Recherche et enseignement supérieur »)

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Nous vous souhaitons, monsieur le ministre, la bienvenue dans cette salle que vous connaissez bien puisque vous êtes, pour quelques jours encore, membre de notre commission, et vous félicitons chaleureusement pour votre nomination.

Nous vous recevons aujourd'hui en vue de l'examen, par le Sénat, des crédits consacrés, dans le projet de loi de finances pour 2019, à l'enseignement agricole et à la recherche agricole.

M. Didier Guillaume, ministre de l'agriculture et de l'alimentation. - Membre de cette commission, je m'étais étonné jusqu'à présent du fait, qu'à une exception près, la présentation du budget de l'enseignement agricole ait échu au ministre de l'éducation nationale. Or, l'enseignement agricole est un joyau qui doit demeurer au ministère de l'agriculture et je suis fier de vous le présenter, comme ministre de l'agriculture, pour la première fois !

Ce budget représente 35 % du budget global du ministère de l'agriculture et de l'alimentation soit près de 1,8 milliard d'euros : 315 millions d'euros pour l'enseignement supérieur et la recherche et 1,47 milliard d'euros pour l'enseignement technique. Il mobilise également 60 % des fonctionnaires du ministère. Outre une mission de formation et d'insertion professionnelle, le législateur lui a également confié des missions d'animation du territoire, d'expérimentation et de coopération internationale tout à fait spécifiques.

L'enseignement technique agricole, ce sont 800 établissements et 160 000 jeunes scolarisés de la 4ème au BTS. 40 % le sont dans des établissements publics et les autres se répartissent également entre les maisons familiales rurales (MFR) et les lycées privés. Il compte également 34 000 apprentis et forme 250 000 adultes. Je veux ainsi être le ministre de toutes ces formations, comme je l'ai signalé à plusieurs reprises. Aujourd'hui, l'enseignement agricole ne compte plus que 10 % d'enfants d'agriculteurs mais joue un rôle majeur dans la formation des jeunes de milieu modeste des zones rurale et périurbaine auxquels il offre de bons taux de réussite aux examens et des taux d'insertion professionnelle remarquable. L'enseignement agricole a considérablement évolué pour répondre aux nouveaux besoins du monde rural et périurbain : 40 % des formations sont en lien avec l'agriculture, les industries agroalimentaires, la filière forêt bois et les métiers de l'environnement et des paysages, 30 % concernent les services à la personne et aux territoires et 30 % consistent en des formations générales et technologiques. La plupart des jeunes qui rejoignent nos établissements ne se destinent donc pas à devenir agriculteurs, mais à exercer une profession dans le secteur de l'environnement, de l'alimentation ou des services à la personne.

J'ai souhaité faire de l'enseignement et de la recherche l'une des priorités de mon action au ministère de l'agriculture et de l'alimentation. En effet, la jeunesse, qui représente l'avenir de notre pays, l'avenir de nos filières et de nos territoires, est la priorité du Gouvernement. La formation, l'expérimentation et l'innovation sont les leviers indispensables de la transformation agro-écologique de notre agriculture et de nos filières. Comme l'a dit le Président de la République, l'enseignement agricole est à la fois un système qui fonctionne et une voie de réussite et d'excellence. Il obtient d'excellents résultats en termes de réussite aux examens, d'insertion professionnelle et forme des citoyens épanouis et ouverts sur l'Europe et sur le monde.

C'est pourquoi je voudrais affirmer aujourd'hui trois ambitions fortes pour l'enseignement agricole. Première ambition : l'enseignement agricole doit former plus de jeunes. Malheureusement, il en accueille, d'année en d'année, de moins en moins ! Un défaut de communication est manifeste ; les jeunes ne connaissant pas ses filières. Il faut ainsi améliorer l'orientation des jeunes, en lien avec l'éducation nationale, et renforcer l'attractivité de ses métiers. Je souhaite que les filières - l'une relative à l'environnement et l'autre sanitaire - évoquées lors des États généraux de l'alimentation soient créées.

Deuxième ambition : l'enseignement agricole doit participer à la transformation de notre agriculture, de nos filières et de nos territoires. La performance économique, sociale, environnementale et sanitaire représente des attentes à la fois du législateur et de la société. L'enseignement agricole représente un levier essentiel pour répondre à ces attentes, transformer notre système productif et réaliser cette transition irréversible vers l'agro-écologie.

Troisième ambition : faire confiance aux établissements, aux acteurs locaux, pour répondre aux besoins de tous les territoires. Les programmes et les formations peuvent être adaptés à l'échelon territorial. Il faut donner davantage d'autonomie aux établissements agricoles pour qu'ils s'adaptent au contexte local et répondent aux souhaits des jeunes. Ce mouvement est déjà largement engagé dans l'enseignement agricole, puisque les équipes enseignantes disposent de 20 à 25 % d'heures non affectées dans les référentiels pour mener des projets locaux. Je souhaite que ce quota d'heures soit augmenté. C'est grâce à cette souplesse accrue que nous réaliserons le schéma d'emplois qui est demandé, avec une baisse de 50 équivalents temps plein (ETP) qui n'induira ni mutation dans l'intérêt du service, ni fermeture nette de classe.

Je souhaite également réussir les réformes en cours, tant celle du baccalauréat que de l'apprentissage, qui constitue une opportunité formidable de réussite dans le secteur de l'agriculture.

Je voudrais également évoquer la recherche et l'enseignement supérieur agricole. Le rapprochement entre l'Institut national de la recherche agronomique (INRA) et l'Institut national de recherche en sciences et technologies pour l'environnement et l'agriculture (IRSTEA) va permettre de disposer, au 1er janvier 2020, d'un acteur de premier rang mondial dans les domaines de l'agronomie, des sciences du vivant et de l'environnement. Dans le même esprit, la fin de la mandature va notamment être marquée par le transfert d'AgroParisTech à Saclay, le rapprochement des écoles agronomiques et la recherche de synergies entre nos quatre écoles vétérinaires, afin de refonder notre enseignement vétérinaire et de mieux répondre aux besoins de la ruralité.

Le budget du programme 143 connait une légère hausse (+1,44 %), soit 25 millions d'euros supplémentaires, par rapport à celui de l'an passé. Pour l'enseignement supérieur, cette dotation permettra d'augmenter de deux millions d'euros, soit de 2,5 %, les crédits de fonctionnement de nos écoles, ce qui permettra d'accueillir davantage d'étudiants dans de bonnes conditions et d'augmenter de 5,5 millions d'euros, soit 2,6 % de hausse, les rémunérations des personnels. Pour l'enseignement technique, le ministère dispose de huit millions d'euros de plus pour accompagner les établissements privés du temps plein et les maisons familiales rurales. Cet effort est important, compte tenu de la baisse des effectifs du privé - 12 600 jeunes en moins depuis 2011 -, et permettra de rapprocher la dépense publique par élève entre l'enseignement public et privé. Les systèmes d'information seront aussi modernisés. La hausse des crédits de personnels permettra d'améliorer la situation des enseignants et non enseignants de l'enseignement agricole, ce qui renforcera l'attractivité de ces métiers. Par ailleurs, les crédits consacrés au handicap augmentent de 44 % et 25 ETP d'accompagnants d'élèves en situation de handicap (AESH) sont créés pour un montant de 700 000 euros.

Nous réussirons notre mandature en agriculture si, à la fin du quinquennat, plus d'élèves rejoignent l'enseignement agricole. Nous aurons alors transformé notre modèle agricole pour répondre aux nouvelles attentes.

M. Antoine Karam, rapporteur pour avis des crédits du programme 143 « Enseignement technique agricole ». - Nous avons entendu, ces quinze derniers jours, l'ensemble des acteurs de l'enseignement agricole, y compris le ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse. Je voudrais vous remercier d'avoir consacré votre première visite ministérielle à des établissements de l'enseignement agricoles dans l'Isère. C'est là un gage de l'importance que vous lui accordez.

Année après année, nous assistons à la diminution du nombre d'élèves, qui devrait passer cette année sous la barre des 160 000, franchie dans les années 1990. Quelle politique allez-vous mener pour rendre à l'enseignement agricole sa vitalité et son attractivité ? Que ferez-vous pour réhabiliter une image encore trop dévalorisante ?

Par ailleurs, la coopération avec l'éducation nationale est un sujet qui me tient particulièrement à coeur, par exemple en matière de remplacement, d'accompagnement d'élèves en situation de handicap ou d'orientation. Comme me le faisait remarquer l'un de mes interlocuteurs, tous les élèves de l'enseignement agricole sont issus de l'éducation nationale. Quel regard portez-vous sur la coopération avec le ministère de l'éducation nationale ? Quelles perspectives souhaitez-vous lui donner ?

Enfin, j'ai été saisi, à plusieurs reprises, de la question du statut des directeurs d'établissement public, qui sont une des chevilles ouvrières de l'enseignement agricole. Si l'hypothèse d'un corps interministériel semble définitivement écartée, comment comptez-vous renforcer l'attractivité des fonctions de directeur d'établissement ?

M. Didier Guillaume, ministre. - Mon premier déplacement ministériel s'est déroulé dans plusieurs établissements : un lycée d'enseignement public, un lycée d'enseignement privé et une maison familiale rurale situés dans deux départements. La baisse du nombre d'élèves doit être enrayée. La communication sur les métiers de l'enseignement agricole est essentielle : les formations dispensées ne se limitent pas au seul métier d'agriculteur et préparent notamment aux métiers de services en milieu rural. Je partage votre constat quant à l'importance de la coopération avec l'éducation nationale pour l'orientation des élèves.

Le statut des directeurs d'établissement est essentiel. Si la création d'un corps spécifique destiné aux directeurs d'établissement a été refusée par le ministre en charge de l'action et des comptes publics, le projet d'un statut d'emploi rénové a été, l'année passée, élaboré en concertation avec les organisations syndicales. Ce projet, dont le ministère de l'action et des comptes publics a été saisi en août 2018, prévoit la création d'une grille indiciaire rénovée en fonction du protocole sur les parcours professionnels, les carrières et les rémunérations (PPCR) en vigueur pour les personnels de direction de l'éducation nationale. La réponse du guichet unique devrait intervenir au cours des prochaines semaines. Conscient de l'importance de fournir des gages de reconnaissance aux directeurs, je suis favorable à ce qu'ils aient un statut.

M. Stéphane Piednoir, rapporteur pour avis des crédits enseignement supérieur du programme 142 « Enseignement supérieur et recherche agricoles ». - Les États-généraux de l'alimentation ont suscité de réels espoirs au sein de la profession agricole, que la loi pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous, dite « EGALIM » a très vite anéantis. L'attractivité des métiers agricoles représente un réel enjeu. Or, les attaques médiatiques récurrentes sur les pratiques agricoles et les agriculteurs nuisent considérablement à l'image du métier et à l'enseignement agricole. Comment comptez-vous, au sein de ce Gouvernement où les sensibilités sur l'agriculture peuvent diverger, revaloriser globalement l'enseignement agricole ?

M. Didier Guillaume, ministre. - Si les attaques contre l'agriculture se multiplient, nous n'y parviendrons pas ! Je veux être le bouclier des agriculteurs et des agricultrices qui sont souvent des bouc-émissaires. Non ! Les agriculteurs ne sont pas des empoisonneurs ! Leurs pratiques ont évolué : l'utilisation de l'eau a baissé de 30 % en quinze ans et la transition vers l'agro-écologie est une réalité. Les instituts de recherche travaillent également à l'élaboration de nouvelles méthodes destinées à réduire l'utilisation des produits phytosanitaires. Les États-généraux ont généré de réels espoirs et la loi EGALIM, qui vient d'être promulguée, sera progressivement mise en application. La qualité sanitaire et alimentaire des produits de l'agriculture française est réelle. Certes, des progrès peuvent encore être réalisés : une étude de notre ministère indique l'augmentation sur ces trois dernières années de l'utilisation des produits phytosanitaires, en dépit des plans Écophytos. Le travail conduit par les organisations syndicales agricoles, et notamment la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA) avec ses contrats de solution, ainsi que les perspectives ouvertes par la « start-up nation pour les bonnes pratiques » lancée par le Président de la République, devrait bénéficier à l'agronomie sur notre territoire, alors que la sortie du glyphosate a été annoncée pour 2020. Enfin, il faut réconcilier le rural et l'urbain, et avec eux, l'agriculture et la société, ainsi que l'agriculteur et son voisin.

Mme Laure Darcos, rapporteur pour avis des crédits recherche du programme 142 « Enseignement supérieur et recherche agricoles ». - Les motivations de la fusion de l'INRA avec l'IRSTEA sont-elles avant tout scientifiques ? Les personnels sont inquiets. Me confirmez-vous que cette fusion bénéficiera des crédits supplémentaires à hauteur des 4,8 millions d'euros qui ont été annoncés ?

M. Didier Guillaume, ministre. - L'IRSTEA et l'INRA sont deux instituts de taille distincte aux compétences complémentaires. Un travail remarquable a été conduit en interne. Il ne s'agit pas d'une fusion motivée par des considérations strictement budgétaires, mais d'une démarche visant à obtenir l'excellence mondiale. Cette fusion n'implique aucune réduction ni de budget ni du nombre de postes. Ces deux instituts travaillent également de concert pour déterminer leur implantation optimale. Les chercheurs sont les plus à même de se prononcer sur les modalités concrètes de cette fusion qui contribue à notre primauté en agronomie.

Mme Dominique Vérien. - Que vont devenir les petits centres de formation d'apprentis (CFA) en secteur rural, avec la disparition des financements régionaux ? La baisse annoncée du nombre d'ETP devrait conduire à la fermeture du centre d'application de l'école vétérinaire de Maisons-Alfort situé à Champignelles, dans le département de l'Yonne, dont le CFA est également menacé. En outre, si la dotation budgétaire de la scolarisation des élèves en situation de handicap devrait connaître une hausse, de l'ordre de 3,4 millions d'euros, l'aide sociale devrait, quant à elle, connaître une baisse de 12 millions d'euros. Celle-ci concernera les bourses et les fonds sociaux, alors que la part des élèves boursiers dans l'enseignement agricole demeure plus élevée que dans les établissements de l'éducation nationale.

M. Jean-Yves Roux. - Les agriculteurs de mon département des Alpes de Haute-Provence expérimentent, en coopération avec les instituts de recherche, de nouvelles techniques au service d'une agriculture plus durable et économe en eau. Faute de pouvoir consacrer la totalité de leur temps à la recherche, ces agriculteurs ne sont pas éligibles au crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE). Or, les recherches qu'ils conduisent participent à la transition vers une agriculture biologique et durable. Avez-vous l'intention de promouvoir des appels d'offres spécifiques et d'associer plus étroitement, y compris financièrement, les groupements d'agriculteurs engagés dans une telle démarche ?

M. Pierre Ouzoulias. - Nous vous avons entendu, comme sénateur, lors du débat sur la loi sur l'alimentation et l'agriculture. L'agriculture aborde un tournant essentiel de son histoire. La formation est cruciale pour accompagner ces agriculteurs qui ne doivent être ni culpabilisés ni laissés seuls face aux défis qui sont immenses. L'enseignement agricole est essentiel à tous nos territoires ainsi qu'à notre conception de la République et à nos racines paysannes. Cependant, le projet de loi de finances rectificative pour 2018 prévoit une suppression de 5 millions d'euros de crédits du programme 142. Cette mesure, dont vous n'êtes pas responsable, s'inscrit à l'inverse de nos convictions communes. C'est là un signal préjudiciable à l'ensemble de l'enseignement et de la recherche agricoles.

J'ai rencontré les représentants syndicaux sur le statut des directeurs d'établissement. L'appartenance à un corps leur permettrait d'accéder à la mobilité, y compris vers l'éducation nationale. J'ai pris note de votre volonté de faire avancer ce dossier, même si la création de nouveaux corps ne semble guère dans l'air du temps.

M. Jacques Grosperrin. - L'enseignement agricole ne manquera pas de subir, à moyen terme, les conséquences de la baisse des élèves annoncée dans l'enseignement primaire. Or, de nombreux projets voient le jour, comme, dans la région Bourgogne-Franche-Comté, le lancement d'un logiciel de gestion de parcs forestiers par le numérique, l'inclusion des MFR dans Erasmus, ou encore la création d'un nouveau campus des métiers et qualifications agricoles à Vesoul. Or, ces initiatives se heurtent parfois à la pesanteur de l'éducation nationale : la Bourgogne et la Franche-Comté ont chacune un recteur, ce qui complexifie la situation. Pourrez-vous désigner un chef de file sur de tels projets ?

Mme Colette Mélot. - Les élèves de l'enseignement agricole doivent bénéficier de l'ensemble des formations disponibles. Le ministre de l'éducation nationale a annoncé que sur les 16 millions d'euros consacrés aux dispositifs d'échanges internationaux, 2 millions d'euros abonderont les programmes portés par l'Office franco-allemand de la jeunesse (OFAJ) et l'Office franco-québécois pour la jeunesse (OFQJ). Les établissements et les enseignants doivent y être impliqués. L'enseignement agricole pourra-t-il bénéficier de ces financements ?

M. Jacques-Bernard Magner. - Votre arrivée au ministère se fait dans un contexte budgétaire contraint. En 2012, l'un de vos prédécesseurs, Stéphane Le Foll, avait annoncé la création de 1 250 postes durant le précédent quinquennat. Vos ambitions pour l'enseignement agricole nous sont connues. La réforme du baccalauréat pourrait entraîner, selon les organisations syndicales, une perte de près de soixante postes pour l'enseignement agricole. En outre, comment l'enseignement agricole peut-il contribuer à faire de l'agro-écologie une priorité ? Enfin, comment comptez-vous assurer la promotion des femmes dans l'enseignement agricole ?

M. Didier Guillaume, ministre. - Toutes les questions auxquelles je ne suis pas en mesure de répondre, du fait de ma prise de poste récente, feront l'objet de réponses écrites.

La formation professionnelle suscite l'inquiétude. J'ai réuni l'ensemble des formateurs de l'enseignement public de mon ministère, avec la ministre du travail, pour aborder ce sujet. Les CFA, qui peuvent soulever des fonds, disposent de moyens de financement plus importants que d'autres structures. La situation du centre que vous évoquiez m'est connue et je vais essayer d'y répondre. Le budget pour 2019 prévoit une dotation de 600 000 euros pour les CFA, sans présager du soutien des régions.

Mme Dominique Vérien. - La région soutient déjà, avec 100 000 euros annuels, le CFA de Champigneulles !

M. Didier Guillaume, ministre. - L'effort de réduction de 50 ETP est partagé entre l'enseignement public et privé. Si les exploitations agricoles ne sont pas exclues du CICE, encore faut-il qu'elles en respectent les critères ! La simplification de ce dispositif ne me paraît cependant pas souhaitable.

Le transfert de 5 millions d'euros vers l'enseignement technique, que prévoit le projet de loi de finances rectificative, n'aura guère d'incidence sur les activités de notre ministère.

La création d'un corps spécifique aux directeurs des établissements d'enseignement agricole, actuellement débattue, me paraît une première forme de reconnaissance.

La baisse des effectifs de l'enseignement primaire nous pose en effet problème. La communication sur nos filières et nos métiers est, encore une fois, essentielle pour inciter les jeunes à rejoindre l'enseignement agricole, qui est également le champion d'Erasmus Plus. Cette réussite doit perdurer tant ces échanges permettent souvent à des jeunes, issus de milieux défavorisés, de partir pour l'étranger pour la première fois.

Durant le quinquennat précédent, 1 250 ETP ont été créés. Aujourd'hui, le nombre d'enseignants dont nous disposons est suffisant à l'exercice de nos missions.

L'agro-écologie figure déjà dans les programmes de l'enseignement agricole. Je souhaite que la transition environnementale et sanitaire y soit également incluse, dès l'année prochaine. La promotion des femmes est problématique dans les métiers de base de l'agriculture, tandis qu'elle est plutôt assurée dans les formations du supérieur. Si des mesures ont déjà été prises, en concertation avec Marlène Schiappa et Stéphane Travert, sur les congés maternité et les remplacements, d'autres progrès sont encore nécessaires.

Mme Françoise Laborde. - Les dernières réformes de l'enseignement général induisent des conséquences sur l'enseignement agricole. Les inquiétudes suscitées par la dernière réforme du baccalauréat général a cristallisé des inquiétudes dans les filières techniques. J'ai, à ce sujet, interpellé Jean-Michel Blanquer lors du débat initié par notre commission, le 3 octobre dernier.

En outre, la loi relative à la liberté de choisir son avenir professionnel a semé le trouble dans plusieurs CFA ruraux, notamment publics, du fait de leurs futures difficultés de financement.

Quelle sera la répartition entre l'enseignement agricole public et privé de la suppression des 50 ETP ? Par ailleurs, les maisons familiales rurales ne sont pas des lieux où l'apprentissage est tourné vers l'agriculture, mais plutôt vers les services à la personne, ce qui n'est pas sans créer de la confusion lors de l'examen du budget consacré à l'enseignement agricole. En outre, le rapport sur le métier d'enseignant, établi avec mon collègue Max Brisson, n'abordait pas l'enseignement agricole, du fait de ses spécificités, tant de ses enseignements que de ses personnels.

Mme Annick Billon. - Dans son rapport de 2018 sur la thématique « femmes et agriculture : pour l'égalité dans les territoires », la délégation aux droits des femmes du Sénat a émis de nombreuses préconisations dont l'une, sur le congé maternité, a été reprise par Madeleine Schiappa. Ne vous privez pas d'aller chercher de bonnes idées dans ce rapport toujours pertinent !

Comment les 44 % des moyens supplémentaires pour les élèves en situation de handicap seront-ils répartis entre l'enseignement public et privé ? À quelle échéance le nouveau statut de directeur d'établissement d'enseignement agricole sera-t-il instauré ? Enfin, selon quels critères les 38 postes d'enseignement seront-ils supprimés ?

Mme Maryvonne Blondin. - Les lycées aquacoles bénéficient d'équipements et de partenariats spécifiques. Leur relation avec le ministère en charge de l'écologie ne doit-elle pas être affirmée ? Le budget consacré aux actions culturelles et sportives au sein de ces établissements doit également être amputé de 500 000 euros au profit du compte d'affectation spéciale consacré aux pensions. Ne risque-t-on pas d'entraîner la suppression pure et simple de telles activités, malgré leur importance pour les élèves ?

Mme Sonia de la Provôté. - La filière équine forme depuis le certificat d'aptitude professionnelle (CAP) jusqu'au niveau Master. Elle représente 180 000 emplois. Son financement est spécifique puisqu'il repose à la fois sur le fonds éperon et les recettes du PMU. L'actuelle remise en cause de son financement risque de fragiliser cette filière et de menacer, plus largement, la situation des jeunes qui y sont scolarisés et y trouvent un avenir. En outre, l'excellence de la recherche dans la filière équine est reconnue, comme en témoignent les travaux réalisés dans le centre de Goustranville sur les cartilages qui peuvent avoir des applications sur l'homme. Je compte sur votre soutien pour cette filière qui rassemble également une grande diversité d'exploitations !

M. Didier Guillaume, ministre. - L'enseignement agricole dépend de mon ministère. J'assume d'ailleurs mes propos de l'année dernière. La loi sur la liberté de choisir son avenir professionnel suscite de nombreuses questions au sein de la filière professionnelle.

S'agissant des CFA, ils pourront trouver d'autres financements, en complément de celui des régions qui continueront de pouvoir les aider.

La baisse du nombre d'élèves est plus forte dans le privé que dans le public. Je suis un ardent défenseur des maisons familiales rurales depuis de nombreuses années. Celles-ci proposent non seulement des formations qualifiantes dans les services en milieu rural et dans l'agriculture, mais aussi des passerelles vers l'enseignement supérieur.

Je ne manque jamais d'être inspiré par les travaux du Sénat, et notamment par ce rapport de la délégation sénatoriale au droit des femmes. Si l'enseignement agricole accueille, à parité, les garçons et les filles, les écoles vétérinaires accueillent désormais 80 % de femmes par promotion. Les syndicats vétérinaires m'ont alerté sur les risques de pénurie à terme de vétérinaires en milieu rural, puisque la majorité des jeunes praticiens choisissent d'exercer en ville, à la fin de leurs études. Or, le milieu rural a besoin de vétérinaires privés travaillant aux côtés des vétérinaires publics !

Je souhaite que la question du statut spécifique aux directeurs d'enseignement agricole soit réglée en 2019. Mon approche consiste à dire rapidement aux directeurs si un statut est mis en place ou si on y renonce clairement.

Le handicap est une priorité de la mandature. La convention signée avec le ministère de l'éducation nationale et de la jeunesse au salon international de l'agriculture de février dernier comporte un volet sur l'accompagnement des jeunes en situation de handicap. Le ministère accueille également un grand nombre de jeunes en situation de handicap, dans le cadre des projets personnalisés de scolarisation (PPS), passés de 1 400 en 2010 à 4 200 lors de cette rentrée. Le ministère a obtenu de nouveaux moyens qui se traduisent, dès le PLF 2019, et vise, d'une part, la transformation sur cinq ans des contrats aidés en contrats d'accompagnant d'élèves en situation de handicap (AESH) ; d'autre part, l'augmentation des crédits de personnels à hauteur de 25 ETP pour des contrats à durée indéterminée d'AESH et, enfin, la régulation des contrats AESH, qui ne seraient pas sur la base d'une durée de travail, de 39 à 45 semaines.

Je n'oublie pas les lycées aquacoles. La création d'un réseau de lycées de la mer, sous l'égide du ministère de l'agriculture et du ministère de la transition écologique et solidaire, vient de faire l'objet d'un rapport de l'inspection générale.

J'ai été interpellé par le président de la région Normandie sur la filière équine. C'est un sujet qui mérite d'être approfondi. La formation au sein de la filière équine est de qualité et les débouchés de sa recherche sont en effet nombreux.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Nous vous remercions, monsieur le ministre, d'avoir répondu à notre invitation. Vous êtes le deuxième ministre de l'agriculture que nous auditionnons. Nous espérons désormais avoir l'occasion d'échanger régulièrement avec vous sur l'enseignement agricole à l'occasion du débat budgétaire.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 19 h 25.

Mercredi 14 novembre 2018

- Présidence de M. Jean-Pierre Leleux, vice-président -

La réunion est ouverte à 8 h 30.

Proposition de loi visant à lutter contre l'exposition précoce des enfants aux écrans - Procédure de législation en commission (articles 47 ter à 47 quinquies du Règlement) - Examen du rapport et du texte de la commission

M. Jean-Pierre Leleux, vice-président. - Le 5 septembre dernier, la présidente de notre commission de la culture, de l'éducation et de la communication, Catherine Morin-Desailly, et plus de quatre-vingts de nos collègues ont déposé une proposition de loi visant à lutter contre l'exposition précoce des enfants aux écrans.

Lors de sa réunion du 17 octobre, la Conférence des présidents a décidé que cette proposition de loi serait intégralement examinée selon la procédure de législation en commission prévue aux articles 47 ter à 47 quinquies du règlement du Sénat, en vertu de laquelle le droit d'amendement s'exerce, sauf exception, uniquement en commission.

Elle a fixé à ce jour, mercredi 14 novembre, la date de réunion de la commission, au vendredi 9 novembre à midi le délai limite de dépôt des amendements et au mardi 20 novembre à seize heures la date et l'heure des explications de vote et du vote en séance publique sur le texte de la commission.

La réunion est ouverte à l'ensemble des sénateurs - seuls les membres de la commission de la culture prennent part aux votes - et au public. Elle fait l'objet d'une captation audiovisuelle diffusée en direct et en vidéo à la demande sur le site Internet du Sénat.

EXAMEN DU RAPPORT

Mme Catherine Morin-Desailly, auteure de la proposition de loi, rapporteure. - Dans le cadre de la mission que j'ai conduite sur la formation à l'heure du numérique, j'ai été très sensibilisée par plusieurs médecins, pédiatres, orthophonistes et experts de la santé sur les troubles du développement qu'ils observaient chez un nombre croissant de jeunes enfants et les liens de cause à effet qu'ils constataient entre ces fameux troubles et l'exposition précoce aux écrans de leurs jeunes patients.

D'abord, l'exposition aux écrans commence dès la petite enfance et tend à augmenter en raison de la multi-exposition des enfants aux écrans et de la possibilité d'utiliser ces derniers n'importe où n'importe quand. Même si la France dispose malheureusement de peu de statistiques, des enquêtes montrent toutefois l'ampleur du phénomène.

Selon les résultats d'une étude de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), présentée en septembre 2018, les deux tiers des enfants de deux ans regardent la télévision tous les jours et un enfant sur deux commence à la regarder avant dix-huit mois. En outre, 8 % des enfants de moins de deux ans passent déjà plus de deux heures par jour devant la télévision. En ce qui concerne les autres écrans - tablette, smartphone, jeux vidéos -, 20 % à 30 % des moins de deux ans les utilisent au moins une fois par semaine.

Selon une enquête déclarative de l'Association française de pédiatrie ambulatoire, menée en 2016 par 144 pédiatres auprès de 197 enfants de moins de trois ans et 231 enfants de plus de trois ans scolarisés en école maternelle et primaire, l'usage des écrans débute avant trois ans, même à l'école maternelle, ne serait-ce que lorsque les intempéries ne permettent pas aux enfants de jouer dans la cour. La télévision reste le média le plus utilisé. Certains enfants la regardent seuls et sans distinction entre les programmes adaptés ou non à leur âge, comme le journal télévisé. Par ailleurs, 47 % des enfants de moins de trois ans avaient joué avec un écran interactif pendant une durée médiane de trente minutes par semaine ; 29 % d'entre eux étaient livrés à eux-mêmes pendant ces périodes de jeu. Enfin, 44 % des parents prêtent leur téléphone portable à leur enfant de moins de trois ans pour l'occuper ou le consoler.

Enfin, selon une enquête Ipsos réalisée en 2017, les enfants d'un à six ans passent 4 h 37 par semaine devant Internet, soit 55 minutes supplémentaires par rapport à 2015 et 2 h 27 supplémentaires par rapport à 2012 !

On le voit bien, les enfants sont devant les écrans dès leur plus tendre enfance. L'industrie a vu en eux des clients potentiels et a mis sur le marché une panoplie de produits s'adressant directement aux bébés. Il est question non pas seulement de chaînes de télévision spécialisées, mais également de téléphones intelligents pour bébés, de tablettes ou d'ordinateurs pour bébés, qui peuvent d'ailleurs parfois se fixer aux sièges auto. Ces produits ne dictent pas aux parents l'utilisation qu'ils en feront, mais ils sont des facilitateurs de nature à créer un environnement favorable à l'augmentation du temps passé devant les écrans. De plus, ils contribuent à créer l'illusion qu'il est normal pour l'enfant de passer plusieurs heures de sa journée devant un écran.

Pourtant, toutes les études scientifiques confirment que les interactions qu'un enfant a avec son entourage et son environnement sont la meilleure source de stimulation pour lui. Or, plus un enfant passe de temps devant un écran durant une journée, moins il lui en restera pour jouer et interagir avec les autres.

Toujours selon des données scientifiques, le temps passé devant un écran est corrélé à une forme physique moins bonne et à des problèmes de santé mentale et de développement social. Une pratique excessive des écrans peut avoir les conséquences suivantes :

- conséquences sur le développement du cerveau et de l'apprentissage des compétences fondamentales : les enfants surexposés aux écrans ont plus de risques de souffrir d'un retard de langage que les autres. Une étude récente menée par des chercheurs québécois et américains a mis en évidence l'impact à long terme d'une exposition importante aux écrans dans les premières années de vie d'un enfant. Elle a montré que chaque heure supplémentaire passée devant la télévision par un enfant en bas âge diminuait ses performances scolaires à l'âge de dix ans (moindre intérêt pour l'école, moindre habileté sur le plan des mathématiques). Cette surexposition précoce entraînait également une moindre autonomie, une moindre persévérance et une intégration sociale plus difficile avec, notamment, un risque accru de souffrir d'une mise à l'écart par ses camarades de classe ;

- conséquences sur les capacités d'attention et de concentration. Cela est vrai même si l'enfant se trouve dans une pièce avec la télévision allumée sans qu'il la regarde ;

- conséquences sur le bien-être et l'équilibre des enfants. D'après une enquête réalisée par le ministère de la santé britannique, les enfants qui passent trop de temps devant les écrans seraient moins heureux, plus anxieux et plus déprimés que les autres ;

- conséquences sur le comportement. La surexposition des plus petits risque d'entraîner une attitude passive face au monde qui les entoure.

Des recommandations nationales sont régulièrement énoncées concernant les comportements à adopter en matière d'utilisation des écrans pour prévenir les risques avérés. Elles sont unanimes pour proscrire les écrans avant trois ans et insistent sur la nécessaire présence d'un adulte pour accompagner l'enfant dans son apprentissage des écrans. C'est ainsi que le carnet de santé de l'enfant a été récemment complété par le message suivant : « Avant trois ans, éviter l'exposition aux écrans : télévision, ordinateur, tablette, smartphone. »

De surcroît, des campagnes de sensibilisation sont organisées afin d'informer les parents ainsi que toutes les personnes au contact des jeunes enfants. Plusieurs guides des bonnes pratiques ont été élaborés. On peut citer celui de Serge Tisseron, psychiatre, l'un des premiers médecins à s'être publiquement inquiétés des conséquences de l'exposition des jeunes enfants aux écrans ; il nous avait alertés dès 2013 lors d'une table ronde sur la nouvelle société numérique que nous avions organisée ici même. On peut également citer le guide réalisé par l'Union nationale des associations familiales et le groupe de pédiatrie générale ou encore celui qui a été élaboré par le Centre de liaison de l'enseignement et des médias d'information (Clemi).

Le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) est particulièrement impliqué depuis dix ans dans la protection des enfants de moins de trois ans des effets de la télévision et, depuis l'avènement des outils numériques, des écrans en général. Chaque année, il organise sur les supports de communication à sa disposition (site Internet, « lettre du CSA », communiqués de presse, etc.) une campagne tendant à sensibiliser le public sur les dangers présentés par les écrans en ce qui concerne les enfants de moins de trois ans.

En outre, sous le contrôle du CSA, les chaînes de télévision lancent chaque année à leurs frais une campagne de sensibilisation pendant trois jours, le plus souvent avant les vacances de la Toussaint, pour rappeler les bonnes pratiques à adopter en matière d'exposition des enfants aux écrans. Celle-ci prend généralement la forme d'un film court réalisé par une chaîne ou un groupement de chaînes et diffusé à l'antenne.

Néanmoins, ces initiatives se heurtent à deux limites.

D'une part, ces campagnes de sensibilisation disposent de peu de moyens financiers, ce qui empêche une diffusion large de ces messages à caractère sanitaire et ne permet pas une prise de conscience générale de la gravité de la situation et des mesures à prendre pour y remédier. Ainsi, la brochure développée par le CSA à l'occasion de la dixième année de campagne d'information ne figure que sur son site Internet en l'absence d'accord avec le ministère chargé de la santé sur une prise en charge par ce dernier de l'impression des documents et de leur diffusion auprès des crèches, des écoles maternelles, des pédiatres, des hôpitaux, etc.

D'autre part, les actions actuellement conduites sont le fait d'initiatives isolées, qui se juxtaposent sans être coordonnées ; en témoigne la récente saisine par la direction générale de la santé du Haut Conseil de la santé publique.

Début août, le Haut Conseil de la santé publique a été saisi par le ministère pour établir une revue de la littérature scientifique sur la définition de la surexposition aux écrans et les risques induits ; une analyse critique des recommandations françaises et internationales existantes concernant les comportements à adopter en matière d'utilisation des écrans pour prévenir les risques avérés ; et proposer, le cas échéant, de nouvelles recommandations. Il dispose de seize mois pour remettre ses propositions. Or un comité tripartite rassemblant des membres de l'Académie des sciences, de l'Académie des technologies et de l'Académie de médecine travaille déjà sur ce sujet et devrait rendre ses conclusions d'ici au mois d'avril prochain.

Face à l'asymétrie d'informations sur les dangers liés à l'exposition précoce des jeunes enfants et compte tenu de l'efficacité limitée des campagnes de sensibilisation actuelles, j'ai souhaité donner du poids aux propositions figurant dans mon rapport d'information précité, que j'ai regroupées dans cette proposition de loi que nous examinons aujourd'hui et dont nombre d'entre vous sont cosignataires - et je les en remercie.

Ce texte, que j'ai enrichi et amélioré, avait deux objets : obliger les fabricants d'ordinateurs, de tablettes et de tout autre jeu ludopédagogique disposant d'un écran à assortir les emballages de ces produits d'un message à caractère sanitaire avertissant des dangers liés à leur utilisation par des enfants de moins de trois ans pour leur développement psychomoteur ; exhorter le ministère chargé de la santé à engager chaque année une campagne nationale de sensibilisation aux bonnes pratiques en matière d'exposition aux écrans.

Toutefois, la table ronde organisée par notre commission le 24 octobre dernier, les remarques que certains d'entre vous avaient faites à cette occasion, ainsi que l'audition très approfondie de membres du CSA et celle du cabinet de la ministre m'ont conduite à compléter ma proposition de loi en introduisant une nouvelle obligation : à l'instar de ce qui est imposé aux messages publicitaires portant sur les boissons sucrées et les produits alimentaires manufacturés, il est proposé que toute publicité pour des télévisions, smartphones, ordinateurs portables, tablettes et jeux numériques, quel que soit son support, soit assortie d'un message à caractère sanitaire.

Par ailleurs, compte tenu de la nécessité de multiplier les campagnes de sensibilisation pour faire passer les messages de santé publique, je suggère de ne pas se limiter à une seule campagne nationale annuelle de sensibilisation et de prôner des actions régulières d'information et d'éducation institutionnelles en partenariat avec le CSA, mission inscrite à l'article 14 de la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication. Enfin, il me paraît plus pertinent de faire figurer ces nouvelles dispositions dans la partie du code de la santé publique visant les actions de prévention concernant l'enfant.

Comme vous pouvez le constater, mes chers collègues, je n'ai pas hésité à compléter la présente proposition de loi afin de vous proposer une rédaction qui me paraît répondre à l'objectif que tous les cosignataires et moi-même avons à coeur : prendre nos responsabilités en tant que responsables politiques et apporter des solutions concrètes pour lutter contre un phénomène qui est en train de devenir un véritable problème de santé publique.

Cette proposition de loi s'inscrit dans le prolongement de la directive sur les services de médias audiovisuels, dite directive SMA, récemment renégociée et qui oblige les États à prendre toutes les mesures appropriées, afin que tous les fournisseurs de services de médias, y compris les réseaux sociaux et les plateformes de partage de vidéos, ne nuisent pas à « l'épanouissement physique, mental ou moral des mineurs ».

En conclusion, cette proposition de loi est à dessein limitée à la problématique de la surexposition des très jeunes enfants aux écrans. J'ai conscience de ses limites, notamment parce qu'elle ne prévoit aucune obligation en direction des sites de vente en ligne ou des plateformes de partage de vidéos. Cette question est fondamentale, mais je ne sais pas si elle pourra être résolue aujourd'hui. Je compte bien me saisir du prochain projet de loi sur l'audiovisuel, qui sera l'occasion de transposer la directive SMA, pour trouver le moyen juridique approprié afin d'impliquer les hébergeurs de sites et les fournisseurs Internet de contenus dans la lutte contre l'exposition aux écrans. Cela va d'ailleurs dans le sens de la proposition de résolution européenne visant à responsabiliser les plateformes que j'ai déposée en septembre dernier et qui a été examinée par la commission des affaires européennes fin octobre.

Mme Christelle Dubos, secrétaire d'État auprès de la ministre des solidarités et de la santé. - Je tiens tout d'abord à vous remercier, madame la présidente de la commission, Catherine Morin-Desailly, auteure et rapporteure de ce texte pour votre investissement sur la question des enjeux liés au numérique. J'ai pris connaissance de votre rapport, publié en juin dernier, et vous avez raison : il est grand temps de se former et de prendre en main notre destin numérique.

L'un des axes de votre réflexion portait sur la nécessité d'apprendre à se servir des écrans et à s'en passer, en particulier pour les plus jeunes, même si vous en conviendrez, chacun peut se sentir concerné.

Cette proposition de loi reprend l'une de vos préoccupations, à savoir sensibiliser les citoyens aux bonnes pratiques et lutter contre la surexposition des jeunes enfants aux écrans, en obligeant les fabricants à inscrire sur les unités de conditionnement un message sanitaire d'avertissement.

Les potentiels effets d'une surexposition aux écrans de très jeunes enfants sont légitimement une source de questionnement et le Gouvernement partage l'objectif de mieux communiquer sur des repères dans l'usage des outils numériques. Le Conseil supérieur de l'audiovisuel s'est saisi de cette question il y a près de dix ans et nous mesurons aujourd'hui combien cette alerte était nécessaire ; cet enjeu demeure plus que jamais d'actualité.

Néanmoins - c'est là où nos méthodes divergent -, les données manquent quant à l'ampleur de l'exposition des enfants de moins de trois ans aux écrans et surtout quant aux effets d'une surexposition des très jeunes enfants aux écrans. Les prises de position publiques de certains acteurs établissant un lien entre surexposition aux écrans et autisme virtuel ont récemment fait l'objet de vives contestations, et nous ne pouvons pas nous permettre d'éluder les faits scientifiques lorsque l'on impose à des acteurs extérieurs un message de santé publique. Saisi par la ministre des solidarités et de la santé le 1er août dernier, le Haut Conseil de la santé publique (HCSP) doit faire une analyse des risques pour l'enfant et son développement de l'usage des écrans, ainsi qu'une étude des effets pathologiques et addictifs des écrans. Nous attendons la synthèse de ses travaux et ses recommandations pour élaborer une nouvelle campagne nationale de prévention sur le sujet et diffuser de l'information basée sur des preuves. Cette étude concerne les 0-18 ans, mais nous avons insisté sur la nécessité de porter une attention particulière aux 0-6 ans.

Si notre méthode diffère, soyez assurés que le Gouvernement partage vos inquiétudes, comme en témoigne le plan « Priorité Prévention », présenté en mars dernier par le Premier ministre et Agnès Buzyn. Ce plan prévoit de créer des repères sur l'usage des écrans destinés aux proches de jeunes enfants et de réaliser une campagne d'information sur ces repères ainsi que sur les bonnes pratiques en matière de temps passé devant les écrans.

En outre, le Haut Conseil de la famille, de l'enfance et de l'âge va amorcer une réflexion sur le sujet au premier trimestre 2019. Par ailleurs, les états généraux des nouvelles régulations numériques sont un espace de discussions et d'échanges. Nous ne sommes pas seuls à réfléchir sur ces sujets. Le mouvement doit aussi être européen, voire international. Notre souhait commun est de renforcer les constats scientifiques, qui doivent nous guider. Or nous estimons que les études que vous mentionnez ne constituent que des données encore trop partielles pour imposer un message sanitaire indiscutable.

Enfin, le rôle des parents revêt une importance particulière. Nous avons souvent l'occasion de le souligner dans le cadre des actions de soutien à la parentalité, être parent est une mission difficile aujourd'hui peut-être plus qu'hier : du seul poste de télévision posé dans le salon hier, les écrans se sont démultipliés dans les foyers, avec les téléphones, les ordinateurs, les tablettes, les jeux vidéo. Limiter l'accès des enfants aux écrans ne se résume plus à une surveillance intransigeante de la télécommande. Nous avons donc besoin d'évaluer le poids de l'éducation ainsi que le rôle des adultes référents dans l'usage excessif des écrans et leur régulation.

Mme Laure Darcos. - Madame la secrétaire d'État, je réagis à vos propos. Cela fait des années et des années que les pédiatres nous alertent sur ce problème. J'ai vu les vidéos. Mme Ducanda, médecin au sein du service de protection maternelle et infantile (PMI) de l'Essonne, s'est certes fait rabrouer pour avoir fait un amalgame entre les troubles autistiques et les troubles cognitifs - j'en suis consciente. Mais, souvent, les parents pensent que les écrans vont faire évoluer les enfants plus vite. Des expériences l'attestent, privé d'écran pendant plusieurs mois, l'enfant se remet à parler et reprend un développement normal. Vous attendez des preuves supplémentaires, mais tous les responsables de la petite enfance ont pointé ce problème. Vos déclarations sont donc un petit peu abruptes.

Permettez-moi de revenir sur la responsabilité des parents. Le terme de « parents » est rarement cité. Or, sans vouloir les culpabiliser, leur responsabilité est fondamentale. Quelle que soit la classe sociale, tous les parents donnent à un moment donné un téléphone ou une tablette à leur enfant pour être tranquilles. Le nouveau carnet de santé recommande d'éviter les écrans avant trois ans, mais cette mention n'est pas assez forte : il faut écrire que les enfants « ne doivent pas être exposés aux écrans ». Les parents n'ont pas forcément conscience des conséquences très importantes sur l'évolution de leur enfant.

En outre, je note une contradiction entre la fabrication de tablettes pour les tout-petits par un certain nombre d'industriels et le message d'avertissement qui serait apposé sur le produit. On a inventé une tablette incorporée au pot ! Or, pour devenir propre, l'enfant doit avoir conscience de son corps et apprendre à contrôler ses sphincters. À un moment donné, il faut dire aux industriels que ces outils ne sont pas adaptés.

Enfin, je propose d'instituer au niveau national une journée, voire deux, sans écran. Cela nous ferait aussi beaucoup de bien !

Mme Françoise Laborde. - Permettez-moi de vous lire l'accroche du dossier publié dans Télérama le 29 novembre 2017 : « Noël approche... Les fabricants de tablettes, smartphones et ordinateurs ciblent désormais les enfants dès leur plus jeune âge. Mais l'exposition aux écrans avant trois ans n'est-elle pas nocive pour un cerveau en construction ? Et ne parasite-t-elle pas le développement du lien à l'autre ? ». Vous le voyez, il était temps de prendre ce sujet à bras-le-corps. Madame la secrétaire d'État, je m'associe aux propos de ma collègue : ce que vous avez dit ne nous convient pas, pour ne pas dire plus... Attendre, toujours attendre, je ne suis pas du tout d'accord.

Mme Sylvie Robert. - Nous partageons bien sûr les objectifs poursuivis. L'amendement de notre rapporteure, que nous approuvons, témoigne de l'importance à prévoir dans le code de la santé publique un chapitre sur la prévention de l'exposition précoce des enfants aux écrans. La campagne de sensibilisation est particulièrement essentielle. Ces dispositions permettent de préciser la proposition de loi.

Je suis moi aussi extrêmement étonnée des propos de Mme la secrétaire d'État. Je rejoins mes collègues, nous avons ce débat depuis des années. D'ailleurs, nous avons débattu de l'utilisation du téléphone portable à l'école. Vous vous souvenez de la position de notre groupe - j'aurais alors aimé que le Gouvernement soit plus prompt à nous fournir des données chiffrées, des analyses. Il y a là une forme d'incohérence, voire de contradiction, dans la position du Gouvernement.

Enfin, j'exprimerai un regret ou plutôt une réserve. Cette proposition de loi est une étape. Les questions liées aux contenus, aux parents et, surtout, à l'accompagnement nécessaire des parents et de l'ensemble des acteurs de la sphère éducative me semblent essentielles. Il faut continuer à approfondir ces questions. Pour l'heure, il convient d'inclure un message de vigilance sur les unités de conditionnement des produits visés.

Mme Céline Brulin. - Je partage les propos de mes collègues. Cette proposition de loi pose la première pierre d'un chantier immense de santé publique. De nombreuses études ont montré - les auditions que vous avez conduites, madame la rapporteure, en témoignent également - que l'exposition précoce des enfants aux écrans induit des problèmes comportementaux (risques de sédentarité et, donc, d'obésité, de violence). Pour travailler efficacement sur les questions de violence à l'école, il faut prendre le problème à la racine.

Je suis atterrée par vos propos, madame la secrétaire d'État, laissant entendre que certaines études sont sujettes à caution. J'espérais que le Gouvernement reconnaîtrait qu'il s'agit véritablement là d'une question de santé publique. Je souligne, moi aussi, une contradiction avec les arguments développés lors de l'examen de la loi relative à l'interdiction du portable à l'école et au collège. Sur un sujet transpartisan, je regrette que le Gouvernement ne joigne pas sa voix à la nôtre !

M. Michel Laugier. - On dit que les discours les plus courts sont les meilleurs. Cette proposition de loi est donc la meilleure ! Il est temps que l'on débatte de l'éducation numérique et aux médias. Notre position oecuménique témoigne de l'importance que nous accordons à ce sujet : ce texte nous permettra d'aller plus loin encore.

Je suis moi aussi très surpris par les propos de Mme la secrétaire d'État. Passons aux actes ! La proposition de loi est claire, simple et me paraît efficace. Il importe de sensibiliser les enfants et, surtout, les parents. Travaillons de manière efficace, comme nous le faisons aujourd'hui ! Que chacun apporte sa pierre à l'édifice ! Madame la présidente de la commission, nous sommes tous derrière vous.

Mme Colette Mélot. - Les écrans font désormais partie de la vie moderne et les nouvelles technologies ont permis d'améliorer bien des choses. Toutefois, on parle ici d'enfants de moins de trois ans, période durant laquelle ils se développent et se construisent. On le sait, la communication humaine est essentielle. Si les pédiatres que nous avons auditionnés ont souligné que les écrans n'étaient pas vraiment la cause de maladies infantiles, ils nous ont alertés sur un défaut de communication dès le plus jeune âge et des problèmes de rétine, sur lesquels je reviendrai lors de l'examen des amendements.

Le groupe les Indépendants - République et Territoires votera cette proposition de loi, avec les réserves d'usage, avant discussion des amendements.

M. André Gattolin. - Nonobstant le respect que j'ai pour le Gouvernement, je voterai cette proposition de loi. Je l'ai cosignée avec mon collègue Antoine Karam car ce sujet est absolument fondamental. On ne saurait se satisfaire de campagnes d'information ou attendre une autorégulation, un discours que l'on entend toujours quand il s'agit de réguler la publicité.

Avec le soutien de la commission de la culture, j'ai été l'auteur d'une proposition de loi supprimant la publicité commerciale dans les programmes jeunesse de la télévision publique, qui a été promulguée le 20 décembre 2016 : l'article 1er oblige le CSA à remettre chaque année au Parlement un rapport sur les actions menées par les chaînes publiques et privées. Or il ne s'est toujours pas acquitté de cette tâche, et on ne peut pas déposer un recours pour non-exécution de la loi.

On le voit à chaque fois, le monde de la publicité est extrêmement influent. Sur des sujets aussi importants, il importe de légiférer ou, à tout le moins, de fixer un cadre. Il est essentiel de protéger les jeunes de moins de trois ans. Avec mon collègue Antoine Karam, Je voterai ce texte.

Mme Catherine Dumas. - Madame la secrétaire d'État, je suis assez surprise par vos propos. Il y a un problème de communication dans votre ministère. L'affaire des bébés sans bras défraie actuellement la chronique et on nous dit : circulez, il n'y a rien à voir. Face à un problème de santé publique pour les enfants de moins de trois ans, vous affirmez que d'autres études sont nécessaires. Ce n'est pas sérieux ! Votre ministère est-il à l'écoute de la France ? Tous les groupes politiques s'accordent à dire que vos propos sont inacceptables.

La campagne de sensibilisation doit concerner trois acteurs importants : les parents, l'école et les professionnels de la santé. Les parents sont un modèle. Pourquoi ne pas organiser un jour sans écran pour les adultes que nous sommes, comme l'a proposé Laure Darcos ? L'éducation au numérique à l'école est indispensable : il faut expliquer aux enfants dès leur plus jeune âge à se servir du numérique et à savoir s'en passer. Il conviendrait peut-être de sensibiliser plus encore les médecins de la PMI, qui ont les premiers contacts avec les parents. Je soutiens totalement cette proposition de loi.

Mme Maryvonne Blondin. - Je rejoins les propos de mes collègues ; l'éducation dès le plus jeune âge est importante. Il faut que les parents, qui sont effectivement les modèles des enfants, soient véritablement avertis des dangers.

Pour compléter la campagne d'information, permettez-moi de vous parler de l'association Fragil, située à Nantes, qui, depuis quatorze ans, est un relais dans plusieurs domaines : les médias, la culture et l'éducation. Une des psychocliniciennes a défini « quatre pas » : pas d'écran le matin, durant les repas, avant de s'endormir et dans la chambre. Il faut éduquer en famille.

Certes, le nouveau carnet de santé mentionne un message d'alerte. Mais je vous invite à vous inspirer, mes chers collègues, du bulletin de la communauté de Quimperlé, qui consacre une page aux écrans : cela a plus d'impact encore sur les familles car il est lu par tous les habitants.

M. Pierre Ouzoulias. - Les études existent. Elles sont importantes et elles montrent depuis trente ou trente-cinq ans qu'une surexposition aux écrans a des conséquences graves sur les capacités d'apprentissage des enfants à l'école. Il existe une relation directe entre la surexposition et le décrochage scolaire. Nous en avions parlé à M. Blanquer, qui était tout à fait d'accord avec nous. Aussi, votre position est incohérente, madame la secrétaire d'État, avec celle du Gouvernement, qui a été réaffirmée à plusieurs reprises par M. Blanquer, spécialiste des neurosciences. Vous devriez lui demander de vous communiquer les études scientifiques sur lesquelles il se fonde. Cela ferait avancer notre débat.

Sur le fond, vous avez un problème général avec la science. Vous ne pouvez pas utiliser les scientifiques pour fuir vos responsabilités politiques. Or vous le faites régulièrement sur de nombreux sujets. Dans la crise de confiance démocratique actuelle, les citoyens demandent que les politiques prennent leurs responsabilités. À un moment donné, vous avez la responsabilité de vous engager sur des choix clairs ; c'est ce que nous vous demandons ici !

M. Stéphane Piednoir. -Je salue le caractère extrêmement synthétique de cette proposition de loi, qui prévoit des mesures de bon sens. Aussi, je suis étonné par l'opposition stérile du Gouvernement.

On le sait, la pédagogie, c'est l'art de la répétition. Les dispositions prévues s'inscrivent dans le prolongement d'autres mesures, tel l'avertissement inscrit dans le nouveau carnet de santé.

En tant qu'ancien rapporteur sur la proposition de loi relative à l'interdiction de l'usage du téléphone portable dans les écoles et les collèges, qui était commandée par le Gouvernement - c'était une promesse du candidat Macron -, je ne reviendrai pas sur l'opportunité de légiférer sur un tel sujet : bon nombre de mes collègues estimaient alors que cette question relevait du domaine réglementaire. Le progressisme peut se partager, vous pouvez en faire part à qui de droit, madame la secrétaire d'État. J'aurais apprécié une attitude plus positive. Cela donne l'impression que les bonnes idées ne peuvent provenir que d'une source, ce qui est très regrettable.

M. Jacques Grosperrin. - Madame la secrétaire d'État, vous faites offense au travail des chercheurs. Être sur les écrans plus de deux heures par jour nuit à l'intelligence des enfants ; cela a des conséquences sur les capacités cognitives, sur le sommeil, avec des difficultés de concentration et une addiction aux écrans. Permettez-moi de vous renvoyer au principe de réfutabilité cher au philosophe autrichien, Karl Popper. Vous affirmez que les études scientifiques sont insuffisantes. Expliquez-nous ! De nombreux chercheurs ont démontré que l'exposition précoce des enfants aux écrans pose problème. Quelles sont vos motivations ? Vos propos sont-ils partagés par Mme la ministre des solidarités et de la santé ? Vos propos sont graves. On a parlé du principe de précaution. Moi, je vous parle du principe de responsabilité. Cette proposition de loi a un intérêt pédagogique, celui d'alerter les parents et d'interpeller toute la communauté éducative, voire au-delà.

Mme Samia Ghali. - Cette proposition de loi est intelligente. On informe les parents qu'une exposition précoce peut être nocive pour les enfants. Par ailleurs, je veux souligner l'importance du langage informatique. Les tablettes constituent plutôt un handicap en la matière - j'espère que nous aurons un jour un débat sur cette question, car les enfants doivent apprendre cette nouvelle langue.

M. David Assouline. - Le débat se déporte sur quelque chose qui nous surprend tous, la position du Gouvernement. On peut probablement voir dans vos propos décalés, madame la secrétaire d'État, l'intervention du lobby des constructeurs. Peut-être temporisez-vous le temps de négocier, car il ne faut pas froisser certaines puissances, telles que Apple. Mais commençons à donner des coups de pied ! Nous ne pouvons pas légiférer de cette manière ; il y va de l'avenir des enfants. Même si cette proposition de loi ne comprend qu'un article, elle dérange ! Il faut donc aller jusqu'au bout. Nous devrons avoir une réflexion sur les contenus. Il faut éduquer pour que les gens puissent porter un regard critique, avoir la capacité de décrypter. Il est souhaitable d'aborder la question des écrans dans toutes ses dimensions.

M. Max Brisson. - Certes, cette proposition de loi simple, claire et précise ne règle pas tous les problèmes, mais elle a le mérite d'exister. Il s'agit de demander que figure un message obligatoire à caractère sanitaire avertissant des dangers de l'exposition des enfants de moins de trois ans aux écrans. Que de discussions pour un message aussi simple sur les appareils pour prévenir les parents ! Je déplore l'absence de logique gouvernementale : il fallait légiférer rapidement pour interdire les téléphones portables à l'école, alors qu'il faut aujourd'hui attendre de nouvelles études scientifiques. Madame la secrétaire d'État, le véritable problème n'est-il pas que cette proposition de loi émane du Sénat ? (Applaudissements.)

Mme Sonia de la Provôté. - On parle ici d'une proposition d'étiquetage et d'une campagne de prévention de santé publique pour les enfants de moins de trois ans. Vous nous opposez des arguments, que l'on pourrait qualifier d'arguties si nous étions mal inspirés, alors que nous poursuivons un objectif justifié. Il est de notre devoir de veiller à ce que les enfants soient accompagnés et protégés et que les parents prennent la mesure de la situation à risques avérée. Il n'est pas besoin d'organiser des concertations pour prendre conscience de la réalité.

Vous pourrez user et abuser de la coconstruction avec toutes les parties prenantes - les scientifiques, les parents, les citoyens, les pédagogues etc. - pour mettre en place la campagne de prévention. On ne peut que louer votre volonté quasi farouche de vouloir engager des concertations. Nous vous assurons de notre soutien et de nos contributions dans ces discussions.

Cette proposition de loi arrive à point nommé, au moment où commencent à fleurir les publicités avant Noël. Saisissez cette opportunité, madame la secrétaire d'État ! C'est le juste moment pour une juste cause ! Prenons date maintenant !

Mme Annick Billon. - Je partage totalement les propos de mes collègues. Hier, nous avons eu un échange avec le ministre chargé des relations avec le Parlement, Marc Fesneau. Si je puis permettre, on peut mieux faire ! Aujourd'hui, tout ce qui ne vient pas du Gouvernement est rejeté, même les propositions de bon sens. Je citerai à titre d'exemple la proposition de loi visant à favoriser la reconnaissance des proches aidants : c'est très bien, nous a-t-on dit, mais on verra plus tard.

Sur le sujet qui nous occupe, on ne peut attendre. Même les sénateurs de la République en Marche l'affirment. Madame la secrétaire d'État, entendez ce que dit le Sénat ! C'est la voix de la sagesse ! (Applaudissements.)

Mme Catherine Morin-Desailly, rapporteure. - Madame la secrétaire d'État, vous avez dit que nos méthodes divergent, et vous avez raison sur ce point. Notre commission a l'habitude de travailler étroitement avec les différents ministères pour progresser ensemble. Je me suis attachée à envoyer mon rapport d'information, établi après une année de travail, à l'ensemble des ministres concernés. Seul M. Blanquer a échangé avec moi sur cette question. Pire, j'ai dû engager des démarches et vous relancer personnellement pour avoir un bref rendez-vous avec des membres de votre cabinet, alors que cette proposition de loi a été déposée le 5 septembre dernier. Ce n'est pas une méthode sérieuse pour préparer un texte, surtout quand on s'entend dire qu'il ne s'inscrit pas dans l'agenda du Gouvernement. Le Sénat a, je le rappelle, un droit d'initiative législative.

Est-il cohérent de lancer une nouvelle étude, qui ne rendra ses conclusions que dans seize mois, ce qui représente un tiers de la vie d'un enfant de moins de trois ans ? Les trois académies précitées doivent rendre leur travail sous peu. J'y vois là une forme d'incohérence.

Mounir Mahjoubi m'avait fait part de l'organisation des états généraux des nouvelles régulations numériques bien avant l'été. Il m'avait même demandé de participer à un atelier ; j'attends toujours une date de convocation. Je ne sais pas comment notre commission y sera associée. Or la méthode voudrait que ce soit un travail partagé, pour un diagnostic commun et des solutions communes.

Jamais je n'ai parlé de l'autisme, madame la secrétaire d'État. C'est vous qui en avez parlé. Vous avez dit à juste titre : « nous nous interrogeons sur les prises de position d'acteurs qui relient les effets d'une surexposition intensive des enfants de moins de trois ans à l'autisme virtuel ». Ce serait faire injure aux familles d'enfants autistes ; la recherche a besoin d'avancer sur cette maladie. Pour ma part, j'ai parlé de troubles du langage, du développement, de l'attention. D'ailleurs, les médecins que nous avons auditionnés ne font pas non plus cette confusion et nous alertent sur elle.

On peut insister sur la nécessité d'approfondir la recherche sur cette question ; je formule d'ailleurs ces préconisations dans mon rapport d'information. Je propose d'approfondir la question sur les apprentissages à l'école, sur les effets de l'utilisation intensive des écrans, y compris sur les adultes. Mais Serge Tisseron le rappelle, les faisceaux d'indices se renforcent de jour en jour : il y a pratiquement deux ans d'attente pour avoir une consultation dans certains centres médicosociaux en Seine-Saint-Denis. Les enfants ne sont pas des rats, madame la secrétaire d'État. Il faut agir par simple principe de précaution. Comme l'a rappelé Mme Ghali, nous sommes des politiques, et nous prenons nos responsabilités au regard du travail que nous faisons au sein de cette commission depuis dix ans pour un certain nombre d'entre nous.

Je remercie Mme Robert et M. Brisson d'avoir parlé de l'incohérence de votre propos au regard des dispositions que l'on nous a fait voter sur l'interdiction du téléphone portable à l'école. Nous avons fait confiance à Jean-Michel Blanquer, qui avait besoin de cet outil législatif. Comme l'a souligné Mme Robert, nous aurions alors aimé débattre d'autres sujets connexes. Mais il fallait que la loi soit adoptée rapidement pour pouvoir être appliquée à la rentrée scolaire 2018. La proposition de loi que nous examinons aujourd'hui s'inscrit dans cette logique.

Mme Darcos, notamment, a soulevé la question des parents. Bien entendu, les parents doivent être responsabilisés ; mais encore faut-il qu'ils soient eux-mêmes sensibilisés et formés aux enjeux liés au numérique. Or la déferlante des innovations technologiques est telle que nous avons besoin, quel que soit notre âge, d'une formation continue au numérique. À cet égard, j'avais demandé au Président de la République et au Premier ministre que le numérique soit la grande cause nationale en 2019 ou en 2020, et je n'ai pas de réponse non plus. Nous sommes vraiment méprisés ! (Applaudissements.)

Va-t-on recommencer le scandale de la cigarette, de l'alcool, des produits sucrés ? Nous connaissons le poids des lobbies, comme l'ont expliqué David Assouline et André Gattolin. Les membres du CSA que j'ai longuement auditionnés m'ont rappelé à quel point il avait été difficile d'imposer la campagne d'information sur les publicités visant l'alimentation. D'ailleurs, ils souhaitent transformer la charte de l'alimentation en charte de la santé - cela inclura la problématique des écrans. S'il n'y a pas force législative, les choses seront encore plus compliquées.

Mes chers collègues, je vous remercie de votre confiance. Il ne s'agit là que d'une première étape. Il faudra s'atteler à la question des contenus. Peut-être organiserons-nous un débat très complet sur le sujet en séance publique.

Mme Christelle Dubos, secrétaire d'État. - Je veux préciser certains éléments, notamment sur le besoin de consensus. Il n'y a pas de cohérence dans les études ni de visibilité scientifique sur l'impact réel des écrans sur l'enfant. Nous avons besoin de connaître les effets pour lancer une campagne adaptée. C'est pourquoi nous avons demandé, le 1er août dernier, un rapport au HSCP sur ce sujet.

En termes d'actions de santé publique, lance-t-on une campagne globale ou cible-t-on des catégories particulières ? Et si oui, que cible-t-on ? Nous attendons le rapport.

Le message d'alerte dans le carnet de santé est une étape ; il figure d'ailleurs sur une dizaine de pages en fonction de l'âge de l'enfant. En matière d'information, ces éléments factuels constituent des prémices.

Les campagnes d'information existent déjà. Vous l'avez rappelé, une campagne a été organisée avant la Toussaint, qui est régulièrement relancée. Surtout, nous agissons notamment dans le cadre du rôle à la parentalité. Vous avez expliqué qu'il fallait accompagner les parents, et c'est ce que nous faisons en redonnant un rôle aux PMI en matière de prévention, en mettant en place une visite médicale scolaire obligatoire pour les enfants de moins de six ans et en prévoyant une inscription obligatoire à l'école pour les plus de trois ans, voire dès trois ans. Nous accompagnons les parents sur les effets néfastes du numérique. Une mission parlementaire porte sur le rôle de la PMI et la prévention.

Nous souhaitons - c'est un souhait commun - renforcer les constats scientifiques. Ceux-ci doivent nous guider sur les actions à mener sur ce sujet.

EXAMEN DES AMENDEMENTS

Mme Catherine Morin-Desailly, rapporteure. - J'ai déjà beaucoup parlé de l'objet de l'amendement COM-6. Je suis à votre disposition pour toute question.

Mme Sylvie Robert. - Cet amendement est bienvenu en ce qu'il intègre de nouveaux articles dans le code de la santé publique. Toutefois, il est prévu que des actions d'information et d'éducation institutionnelles sur l'utilisation des écrans sont assurées régulièrement en liaison avec le CSA. Ne faudrait-il pas préciser par qui ? Ciblez-vous principalement l'État ? Quoi qu'il en soit, nous voterons cet amendement.

Mme Catherine Morin-Desailly, rapporteure. - Comme je l'ai dit, le CSA a l'obligation légale de se préoccuper de ces questions, en vertu de l'article 14 de la loi de 1986. Décliner la liste des acteurs concernés me paraît à la limite du domaine réglementaire. D'ailleurs, Mme Laborde propose de sous-amender cet amendement en ce sens. Un décret précisera tout cela.

Mme Maryvonne Blondin. - On pourrait peut-être ajouter les collectivités territoriales.

Mme Françoise Laborde. - Le sous-amendement COM-7 tend à étendre l'obligation du message avertissant des dangers liés à l'utilisation d'écrans pour les moins de trois ans aux sites de e-commerce commercialisant des outils et des jeux présentant des écrans, ainsi qu'aux sites fournissant des contenus audiovisuels en ligne, comme les services de streaming des chaînes de télévision ou les plateformes de streaming comme YouTube. Il est utile d'alerter les parents au moment de l'achat, notamment sur Internet, des dangers liés à l'utilisation des écrans pour les tout-petits. Il est nécessaire de viser le maximum de supports de diffusion.

Le sous-amendement COM-8 vise à exonérer les emballages d'appareils photo de l'obligation d'être assortis d'un message à caractère sanitaire, un équipement auquel ne sont pas exposés les tout-petits.

Le sous-amendement COM-9 tend à renforcer l'ampleur des actions d'information et d'éducation institutionnelles en y associant les lieux d'accueil des jeunes enfants, tels que les services de santé, les services à la petite enfance et les sections jeunesse des bibliothèques.

Mme Catherine Morin-Desailly, rapporteure. - Il est pertinent de proposer d'étendre le message sanitaire aux sites d'achat en ligne et aux sites qui fournissent des contenus audiovisuels en ligne. Toutefois, le message doit-il être contenu dans le descriptif de l'équipement proposé à la vente ou doit-il apparaître dès l'ouverture du site ? Que faire lorsque le site n'est pas localisé en France ? Ne risque-t-on pas d'être en décalage avec les sites étrangers ? Cette discussion doit être menée au niveau européen, notamment dans le cadre de la renégociation de la directive e-commerce.

Je propose que la question du message à caractère sanitaire sur les sites qui fournissent des contenus audiovisuels en ligne soit traitée dans le cadre de la future loi sur l'audiovisuel, qui devrait être examinée au second semestre de 2019. Dans ces conditions, je suis plutôt défavorable au sous-amendement COM-7.

Concernant l'amendement COM-8, le décret prévu aura notamment pour objet de fixer la liste des outils numériques dont les emballages devront comprendre un message à caractère sanitaire. En seront naturellement exclus les appareils photo et les GPS.

De même, je propose de renvoyer au décret la liste des services associés aux actions d'information et d'éducation institutionnelles. La proposition de loi vise à obliger la campagne d'information et, surtout, sa coordination. Le CSA a relevé une absence de coordination et de pilotage, avec des moyens adéquats. Nous sommes tous sensibles, madame Blondin, à l'idée d'associer les collectivités territoriales.

Quoi qu'il en soit, je suis très ouverte à vos réactions et c'est ensemble que nous déciderons.

Mme Christelle Dubos, secrétaire d'État. - Je suis du même avis que Mme la rapporteure concernant le sous-amendement COM-7. La question mérite une approche internationale et européenne. C'est tout l'enjeu des états généraux des nouvelles régulations numériques.

La disposition prévue par le sous-amendement COM-8 nous semble plutôt relever du décret, mais, sur le principe, l'avis est favorable. Il en est de même pour le sous-amendement COM-9.

Concernant l'amendement COM-6, l'utilisation des écrans pour les jeunes enfants suscite, à juste titre, de nombreuses questions, que ce soit sur le plan médical, éducatif ou sociétal. L'usage des technologies du numérique pose ainsi la question de la surexposition aux écrans et de l'impact potentiel sur le développement de l'enfant dès le plus jeune âge. Le nouveau positionnement proposé dans la partie relative aux actions de prévention concernant l'enfant est à ce titre judicieux. Il importe de protéger les mineurs et de promouvoir la parentalité numérique. Le CSA est évidemment un partenaire incontournable, notamment pour ce qui concerne les campagnes d'information.

Néanmoins, avant de diffuser des messages à caractère sanitaire, il paraît nécessaire de développer une expertise scientifique et de confronter les opinions pour asseoir validement la base des informations diffusées par les institutions. Or l'expertise est à ce jour débutante et ne fait pas l'objet d'un consensus. C'est pourquoi la ministre a saisi le Haut Conseil de la santé publique. Pour ces raisons, même si le Gouvernement partage vos préoccupations, il ne peut être favorable à cet amendement.

Mme Sylvie Robert. - Mon groupe votera l'amendement COM-6. Les dispositions du sous-amendement COM-8 me semblent de nature réglementaire, le décret pourrait intégrer les appareils photo. Le COM-9 ne pose aucun problème. Nous sommes réservés sur le COM-7, car le conditionnement des produits électroniques et les sites d'achat (ou ceux qui fournissent des contenus), juxtaposés dans l'alinéa 5, ne sont pas de même nature...

Mme Françoise Laborde. - Je retire le sous-amendement COM-8 ; j'espère que les appareils photo seront mentionnés dans le décret. Entre une liste à la Prévert dans la loi et une grande déception à la publication du décret, il faut choisir : je maintiens le COM-9. Sur le COM-7, je serais d'accord pour créer un alinéa spécifique. Il faudra attendre, certes, pour les emballages, une harmonisation entre les pays. Même chose pour les sites. Mais renvoyer la mesure à la loi sur l'audiovisuel me paraît risqué : dans un an, l'Arlésienne sera-t-elle arrivée ?

Mme Catherine Morin-Desailly, rapporteure. - Je suis plutôt défavorable au sous-amendement COM-9, non pas sur le principe, mais parce que la liste est incomplète, il faudrait ajouter les centres médico-sociaux, les centres de PMI, les écoles maternelles, les médiathèques... On risque de ne pas couvrir toutes les institutions à viser. Par sagesse, mieux vaut renvoyer au décret. Je suis réservée sur le sous-amendement COM-7, les outils et les contenus sont deux choses différentes. Il faudra nous livrer à un gros travail d'approfondissement à l'occasion de propositions de résolution européenne, de la prochaine loi audiovisuelle, voire de l'examen d'autres textes d'origine parlementaire. Retrait ? Tous ces sujets sont pertinents, nous n'en doutons pas.

Mme Françoise Laborde. - J'écoute ces remarques - moi, j'écoute, serais-je tentée de préciser... Je retire donc le sous-amendement COM-9 également, puisque ma liste à la Prévert n'est pas suffisamment longue ! Je fais de même s'agissant du COM-7, puisque nous en rediscuterons le moment venu, dans la loi sur l'audiovisuel.

Les sous-amendements COM-7, COM-8 et COM-9 sont retirés.

L'amendement COM-6 est adopté et l'article unique est ainsi rédigé.

Les amendements COM-3, COM-4 et COM-5 deviennent sans objet.

Articles additionnels après l'article unique 

Mme Colette Mélot. - L'amendement COM-1 rectifié pose une règle pour limiter l'exposition des élèves - selon leur tranche d'âge - aux écrans dans le cadre des apprentissages scolaires. Il importe que les enfants ne prennent pas l'habitude de la dépasser.

Mme Catherine Morin-Desailly, rapporteure. - Je partage l'intention, d'autant que des dispositions légales ont déjà été prises sur le téléphone portable à l'école, dont l'usage est autorisé sous conditions. Cependant la mesure relève d'une circulaire du ministère de l'Éducation nationale. Je vous demande donc de le retirer.

Mme Christelle Dubos, secrétaire d'État. - Même avis.

Mme Colette Mélot. - Soit. Encore faut-il que la circulaire soit rédigée en ce sens : nous serons vigilants...

L'amendement  COM-1 rectifié est retiré.

Mme Colette Mélot. - L'amendement COM-2 rectifié vise à protéger les élèves des leds des écrans, car physiologiquement, les enfants ne filtrent pas naturellement la lumière bleue. Ils risquent donc une opacification du cristallin et une pathologie de la rétine. Il convient d'installer des filtres sur les appareils.

Mme Catherine Morin-Desailly, rapporteure. - Le problème est pris au sérieux par les fabricants : les appareils dans leur conception, ou les paramétrages disponibles, sont souvent prévus en conséquence. La mesure est sans doute d'ordre réglementaire. Qu'en pense le Gouvernement ?

Mme Christelle Dubos, secrétaire d'État. - Je partage votre interrogation sur la nature de la mesure. Sur la plupart des appareils, il est également possible de régler la luminosité. Défavorable.

M. André Gattolin. - L'impact sur les problèmes de vue des enfants est connu. Pas d'études, dit la ministre ? La direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (Drees) du ministère de la santé produit régulièrement des études, qui ont par exemple montré qu'entre 2000 et 2013, le taux des enfants portant des lunettes est passé de 10 à 18 % en classe maternelle. Comparez les photos actuelles et celles du site « Copains d'avant », la comparaison est éloquente.

Mme Catherine Morin-Desailly, rapporteure. - Nos débats éclaireront l'interprétation de la loi et l'élaboration du décret. Nous assumerons notre mission de contrôle de l'application de la loi. Retrait ? Le décret devrait énumérer les précautions à prendre pour éviter ces effets.

Mme Colette Mélot. - Nous serons là encore très vigilants.

L'amendement COM-2 rectifié est retiré.

Mme Catherine Morin-Desailly, rapporteure. - Je vous remercie tous de ces réflexions et de ces contributions.

Intitulé de la proposition de loi 

M. Jean-Pierre Leleux, président. - La proposition de loi pourrait être intitulée : « proposition de loi visant à lutter contre l'exposition précoce des enfants aux écrans. »

L'intitulé est adopté.

La proposition de loi est adoptée dans la rédaction issue des travaux de la commission.

M. Jean-Pierre Leleux, président. - C'est une belle unanimité !

Mme Catherine Morin-Desailly, rapporteure. - Depuis le dépôt de cette proposition de loi, nous avons avancé ensemble au sein de la commission, ce texte est le nôtre. Je remercie les sénateurs d'autres commissions qui, s'intéressant au sujet, ont participé à cette réunion. Nous poursuivrons ce travail en prenant en compte les préconisations des uns et des autres. Madame la secrétaire d'État, j'espère qu'en dépit de positions intransigeantes, tout sera fait pour faire prospérer cette proposition.

Le sort des amendements examinés par la commission est retracé dans le tableau suivant :

Article unique

Auteur

Objet

Sort de l'amendement

Mme MORIN-DESAILLY, rapporteure

6

Cet amendement complète la proposition de loi en imposant la présence d'un message à caractère sanitaire aux publicités pour des outils et jeux numériques comportant un écran, il remplace également la campagne annuelle de sensibilisation par des actions régulières d'information et d'éducation institutionnelles en partenariat avec le conseil supérieur de l'audiovisuel et il insère les dispositions de la proposition de loi dans la partie du code de la santé publique visant les actions de prévention concernant l'enfant.

Adopté

Mme LABORDE

7 rect.

Ce sous-amendement étend l'obligation de message à caractère sanitaire aux sites d'achat en ligne et aux sites qui fournissent des contenus audiovisuels en ligne.

Retiré

Mme LABORDE

8 rect.

Cet amendement vise à exonérer les emballages d'appareils photo de l'obligation d'être assortis d'un message à caractère sanitaire.

Retiré

Mme LABORDE

9 rect.

Ce sous-amendement dresse la liste des institutions associées aux actions d'information et d'éducation institutionnelles.

Retiré

Mme LABORDE

3 rect.

Cet amendement étend l'obligation de message à caractère sanitaire aux sites d'achat en ligne et aux sites qui fournissent des contenus audiovisuels en ligne.

Sans objet

Mme LABORDE

4 rect.

Cet amendement vise à exclure de l'obligation d'un message à caractère sanitaire les appareils photo numériques.

Sans objet

Mme LABORDE

5 rect.

Cet amendement vise à fixer la liste des institutions qui devront être associées aux campagnes de sensibilisation.

Sans objet

Article(s) additionnel(s) après Article unique

Mme MÉLOT

1 rect.

En août dernier, le Parlement a adopté une loi interdisant l'utilisation du téléphone portable ou autre équipement de communications électroniques dans les écoles maternelles, les écoles primaires et les collèges, sauf pour un usage pédagogique. Le présent amendement prévoit de fixer des durées d'exposition maximales journalières lorsque le téléphone portable est utilisé à des fins pédagogiques ou par des enfants en situation de handicap.

Retiré

Mme MÉLOT

2 rect.

La loi du 3 août 2018 a autorisé l'utilisation du portable à l'école à des fins pédagogiques ou destinés à des enfants en situation de handicap. Cet amendement précise que les équipements équipés dans ces cas-là doivent comporter un filtre à lumière bleue.

Retiré

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La séance est suspendue à 10 h 25.

- Présidence de Mme Catherine Morin-Desailly, présidente -

La réunion est ouverte à 10h30.

Projet de loi de finances pour 2019 - Mission « Enseignement scolaire » - Crédits « Enseignement scolaire » et « Enseignement technique agricole » - Examen du rapport pour avis

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Mes chers collègues, l'ordre du jour appelle l'examen des crédits de la mission « Enseignement scolaire » et du programme « Enseignement technique agricole ».

M. Jacques Grosperrin, rapporteur pour avis des crédits de la mission « Enseignement scolaire ». - Je souhaiterais rendre hommage à notre ancien collègue Jean-Claude Carle, qui fut rapporteur de ce budget pendant de longues années, sans que celles-ci n'entament sa passion pour l'éducation. Je retiendrai tout particulièrement sa conviction forte que l'enseignement des apprentissages fondamentaux est à la racine de la réussite et de l'échec d'un système éducatif et que, comme il le disait lui-même, « la qualité d'un budget ne se mesure pas à l'aune de ses crédits ».

Le projet de loi de finances pour 2019 prévoit une augmentation des crédits des cinq programmes de la mission « Enseignement scolaire » de 1,2 milliard d'euros en 2019, soit une augmentation de 1,7 % ; à titre de comparaison, il avait augmenté de 2,4 % par an en moyenne de 2012 à 2017. Le budget de l'éducation nationale atteindra alors près de 71,3 milliards d'euros constitué à 93,4 % de dépenses de personnel.

L'intégralité de l'augmentation des crédits provient des dépenses de personnel, dont la hausse procède de plusieurs facteurs :

- le glissement vieillesse-technicité (GVT), soit l'augmentation naturelle des dépenses liée à l'avancement des agents, dont le solde est prévu à 428 millions d'euros ;

- des mesures de revalorisation catégorielles, pour une somme totale de 388 millions d'euros, dont 294 au titre de la mise en oeuvre du protocole « parcours professionnels, carrières et rémunérations » (PPCR) et 59 millions d'euros au titre de la revalorisation du dispositif indemnitaire en éducation prioritaire ;

- et enfin de l'extension en année pleine du schéma d'emplois 2018.

S'agissant des emplois, 1 800 emplois sont supprimés, ce qui est relativement faible au regard des effectifs de la mission, dont le plafond d'emplois s'élève à 1 043 000 ETPT.

Comme le budget précédent, le budget 2019 donne une priorité forte et claire à l'école primaire. Elle se traduit par la forte augmentation des crédits consacrés au primaire, qui s'élève à 2,3 %, et la création de 2 850 postes d'enseignants titulaires à la rentrée 2019, essentiellement destinés à achever le dédoublement des classes de CP et de CE1 en éducation prioritaire.

Ces créations de postes sont compensées par la suppression de 1 050 postes d'enseignants stagiaires dans le premier degré, 2 650 postes d'enseignants dans le second degré, 550 dans l'enseignement privé et 400 de personnels administratifs. Je regrette l'absence d'une programmation pluriannuelle des emplois, qui permettrait de donner au système éducatif de la stabilité et de la prévisibilité, ce dont il a tant besoin.

Le budget 2019 poursuit le rééquilibrage de la dépense d'éducation en direction du primaire. L'école primaire, moment de l'acquisition des fondamentaux - lire, écrire, compter, respecter autrui - fait l'objet d'un sous-investissement continu dans notre pays. La France dépensait en effet 6 550 euros par écolier en 2017, soit un tiers de moins que pour un élève du secondaire et près de moitié moins que pour un étudiant.

Le rééquilibrage devrait être facilité par la diminution attendue des effectifs d'élèves de l'école primaire, qui agira comme un effet de levier. Le ministère prévoit en effet une baisse importante des effectifs du premier degré, liée à une baisse inquiétante de la démographie : on attend 63 000 élèves de moins à l'école primaire en 2019, 73 000 en 2020 et 86 000 en 2021.

Dans le premier degré, la mesure principale demeure la réduction à douze de l'effectif des classes de CP et de CE1 en éducation prioritaire. Elle présente un coût substantiel, estimé à 11 000 postes à l'horizon 2020 et un coût brut de 500 millions d'euros.

Si cette mesure volontariste va dans le bon sens, en ce qu'elle vise à réduire l'échec scolaire à la racine et alors que les évaluations montrent un écart important dans les acquis des élèves selon qu'ils sont ou non en éducation prioritaire, j'émettrai néanmoins plusieurs réserves.

En premier lieu, je regrette l'absence d'évaluation de ce dispositif ainsi que du dispositif « plus de maîtres que de classes » qui a été largement réduit à son profit. Cela est d'autant plus important qu'une expérimentation analogue de classes de CP à effectifs réduits en éducation prioritaire, menée de 2002 à 2004, s'était révélée très décevante.

Deuxièmement, il semble que la compensation des investissements consentis par les communes a été très imparfaite. Ce n'est pas faute de dotations prévues à cet effet, puisqu'étaient notamment fléchées la dotation politique de la ville (DPV), la dotation de soutien à l'investissement local (DSIL) ou encore la dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR). Mais il semble que beaucoup de communes n'en ont pas eu connaissance à temps ; selon les départements, les priorités ont également pu varier.

Enfin, on ne peut que déplorer que cette mesure ait entrainé de nombreuses fermetures de classes en milieu rural. En juillet 2017, à l'occasion de la conférence des territoires, le Président de la République s'était engagé à ce qu'il n'y ait plus de fermeture de classes dans les écoles rurales. Contrairement à cet engagement, au moins 300 fermetures de classes ont eu lieu à la rentrée 2018 en milieu rural. Vous le savez, mes chers collègues, l'école est souvent le dernier service public présent dans les communes. Il n'y revêt pas seulement une dimension symbolique : outre les longs trajets imposés aux enfants et à leurs parents, les fermetures de classes participent d'une perte d'attractivité et de la désertification de nos campagnes. C'est tout un pan de notre pays qui se sent oublié ; lui prendre pour donner à d'autres ne peut être la solution : c'est opposer une France à l'autre ! C'est pourquoi je vous proposerai d'adopter un amendement visant à transférer 10 millions d'euros de dépenses de titre 2 vers l'enseignement primaire, afin de créer des postes supplémentaires en faveur de l'école rurale.

L'autre mesure importante est l'abaissement à trois ans de l'obligation d'instruction, qui devrait entrer en vigueur à la rentrée 2019, après l'adoption du projet de loi pour une école de la confiance, dont elle constitue une mesure phare.

Selon le ministère, cette mesure se traduirait par une augmentation du nombre d'enfants scolarisés située entre 23 000 et 26 000, compensée en partie par l'arrivée de classes d'âge creuses. Cette mesure devrait en revanche se traduire par un surcoût pour les collectivités territoriales estimé à 100 millions d'euros ; du fait des délais d'instruction des demandes, la compensation de ce surcoût ne devrait être versée qu'en 2020. C'est pourquoi le PLF 2019 ne prévoit rien à cet effet. Il conviendra d'être particulièrement vigilant à ce que le surcoût engendré pour les collectivités territoriales concernées soit intégralement compensé.

Dans le second degré, le ministère a annoncé son intention de compenser en partie les suppressions d'emploi par un recours accru aux heures supplémentaires. Pour ce faire, il est prévu qu'à partir de la rentrée 2019 les chefs d'établissement pourront imposer une seconde heure supplémentaire aux enseignants dans l'intérêt du service, contre une seule actuellement. C'est une mesure qui me semble de bon sens et qui permettra d'augmenter le pouvoir d'achat des enseignants, à plus forte raison dans la mesure où ces heures supplémentaires seront exonérées de cotisations sociales.

L'année 2019 verra la mise en oeuvre des réformes du lycée général et technologique et de la voie professionnelle. Conformément à la position défendue de longue date par le Sénat, ces réformes vont dans le sens d'une optimisation de l'emploi des moyens.

La réforme du baccalauréat général et technologique, dont la mise en oeuvre progressive s'achèvera en 2021, devrait permettre de rationaliser l'offre scolaire et d'optimiser la taille des classes, notamment par :

- la suppression des séries dans la voie générale ;

- l'allègement des horaires, de l'ordre de 3 % en moyenne par élève, en lycée général ;

- l'introduction d'une part de contrôle continu et l'allègement du nombre d'épreuves terminales du baccalauréat, dont il est attendu une moindre perte d'heures d'enseignement en fin d'année scolaire.

Dans la voie professionnelle, la réforme annoncée au printemps dernier, devrait aboutir à une rationalisation de l'offre scolaire en vue d'une meilleure professionnalisation des diplômés. Les axes de travail envisagés sont :

- la création de classes de seconde professionnelle sectorielles, correspondant à des familles de métiers présentant des compétences communes ;

- la refonte des grilles horaires de CAP et du baccalauréat professionnel, qui se traduirait par une légère baisse des volumes horaires élève et un renforcement de l'accompagnement personnalisé des élèves ;

- une personnalisation accrue des parcours menant au baccalauréat professionnel, avec, selon le projet de l'élève, des modules d'aide à la poursuite d'études ou à l'insertion professionnelle ;

- la redynamisation des campus des métiers et des qualifications et l'insertion des lycées professionnels dans le tissu économique ;

- une offre de formation mieux adaptée à la réalité économique et orientée vers les secteurs les plus porteurs.

Au collège, le dispositif « devoirs faits » continuera sa montée en puissance, pour un coût de 247 millions d'euros, qui finance à la fois les heures supplémentaires des professeurs qui y participent ainsi que la rémunération des assistants d'éducation, des associations et des volontaires du service civique impliqués. Si l'on ne peut être que favorable à cette mesure de bon sens, il me semble qu'une évaluation de ce dispositif est nécessaire ; les remontées du terrain font état d'une réalisation en-deçà des ambitions du ministère, tant en matière du volume horaire proposé que du public concerné.

Je passerai rapidement sur les autres points saillants de ce budget, qui sont :

- la forte diminution des crédits prévus au titre du fonds de soutien au développement des activités périscolaires (- 168 millions d'euros) ; il s'agit de la conséquence du choix d'un grand nombre de communes - 87 % d'entre elles à la rentrée 2018 - de revenir à la semaine de quatre jours, comme le permet le décret du 27 juin 2017 ;

- la considérable augmentation des crédits consacrés à l'accompagnement des élèves en situation de handicap (+ 380 millions d'euros, soit + 33 %) ; si elle procède, pour 124 millions d'euros, d'un transfert de crédits lié à la prise en charge accrue du financement des contrats aidés par le ministère, cette augmentation finance également le recrutement de 1 500 AESH dès janvier 2019 pour faire face aux besoins en croissance constante, le recrutement direct de 4 500 AESH supplémentaires à la rentrée 2019 ainsi que la poursuite de la politique de professionnalisation de l'accompagnement des élèves handicapés, par la transformation de 11 200 contrats aidés en 6 400 contrats d'AESH à la rentrée 2019 ;

- enfin, le ministère a annoncé l'abandon du programme SIRHEN, son logiciel RH dont le surcoût et le retard semblaient hors de contrôle. Son remplacement est d'ores et déjà programmé.

J'en viens désormais à la question de la scolarisation des enfants de moins de trois ans, sur laquelle j'ai souhaité porter un éclairage.

Prévu dès l'origine de l'école maternelle, l'accueil des enfants de deux ans est une exception française - ou plutôt francophone puisque seule la Belgique wallone le met aussi en oeuvre. Il ne s'est vraiment développé qu'à partir des années 1960, parallèlement à la généralisation de la scolarisation des enfants de trois à cinq ans. Nos anciens collègues Monique Papon et Pierre Martin écrivaient que « l'école maternelle a laissé venir à elle les enfants de deux ans » quand le contexte démographique et socio-économique l'a permis. Schématiquement, 5 à 6 enfants de deux ans étaient accueillis pour remplir une classe de 20 ou de 25 enfants plus âgés. De 1980 à 2001, le taux de scolarisation des enfants de deux ans s'est maintenu à environ 35 %, avant de fondre rapidement - en 2010, il n'était que de 12 %.

Cette diminution rapide a plusieurs causes : l'augmentation des effectifs d'élèves, les suppressions de postes intervenues dans l'éducation nationale, mais également une remise en question profonde, sinon de son bien-fondé, du moins des conditions de cet accueil. Le rapport annuel de 2003 du défenseur des enfants se faisait l'écho des inquiétudes exprimées par divers spécialistes de la petite enfance sur les conséquences négatives qu'entraînait l'intégration des enfants de deux ans au sein de classes de petite section voire de classes mixtes accueillant des élèves jusqu'à la grande section. En 2007 et en 2008, de nombreux rapports, comme celui d'Alain Bentolila ou de nos anciens collègues Monique Papon et Pierre Martin ont remis en cause cette politique et appelé au développement de crèches ou à la mise en place de jardins d'éveil - l'expérimentation de ces derniers, menée à partir de 2010, s'est révélée toutefois décevante.

La relance de la scolarisation des enfants de moins de trois ans constitue une des priorités de la refondation de l'école mise en oeuvre à partir de 2012. La loi du 8 juillet 2013 a prévu que l'accueil des enfants de deux ans, orienté en priorité vers les familles les plus éloignées de la langue française et de la culture scolaire, devait avoir lieu « dans des conditions éducatives et pédagogiques adaptées à leur âge visant leur développement moteur, sensoriel et cognitif ». Son rapport annexé prévoyait la création de 3 000 ETP sur la durée de la législature en faveur de cette mesure, devant permettre d'atteindre l'objectif de porter à 30 % le taux de scolarisation des enfants de moins de trois ans en éducation prioritaire à l'horizon 2017. À l'occasion du comité interministériel « égalité et citoyenneté » du 6 mars 2015, cet objectif a été porté à 50 % pour les REP+.

D'un point de vue quantitatif, cet objectif n'a pas été atteint : à la rentrée 2017, 12 % environ des enfants de deux ans étaient scolarisés, soit une proportion globalement stable par rapport à 2010, le taux de scolarisation ne dépassant pas 20 % en REP (elle s'y élève à 19,3 %) et atteignant 22,3 % en REP+.

La situation demeure très contrastée selon les territoires et n'est véritablement satisfaisante que dans ceux où la scolarisation des enfants de deux ans s'était maintenue : l'Ouest, le Nord et le Massif central. Il est particulièrement faible en Île-de-France, y compris dans l'éducation prioritaire, et en Rhône-Alpes. Sur les 3000 postes prévus, 1 413 seulement ont été créés, à 70 % en éducation prioritaire.

Pourquoi ? Le premier frein invoqué est l'absence de demande, voire la réticence, de la part des populations cibles de la politique de scolarisation précoce, particulièrement dans un contexte de chômage.

L'autre difficulté majeure est celle liée aux conditions matérielles d'accueil, en particulier le manque de locaux en éducation prioritaire, particulièrement criant en Île-de-France, mais également dans d'autres académies, d'autant qu'ils sont sollicités pour le dédoublement des classes de CP et de CE1. En milieu rural et périurbain se pose plutôt le problème des transports scolaires, inadaptés à la prise en charge d'enfants aussi jeunes.

Enfin, parce qu'elle nécessite la mise à disposition de locaux et de mobilier adaptés et presque toujours d'un agent territorial spécialisé des écoles maternelles (ATSEM), l'accueil des enfants de deux ans, particulièrement au sein de classes spécifiques, exige un investissement conséquent des communes. Sous le double mouvement de la baisse des dotations et des dépenses imposées par la réforme des rythmes scolaires, peu de communes ont pu dégager les moyens suffisants. Celles qui ne l'ont pas fait invoquent aussi l'absence de confiance dans la pérennité du dispositif : il est difficile de consentir de tels investissements lorsque l'on n'a pas foi dans l'engagement de l'État.

Sur le plan qualitatif, le bilan de la relance de la scolarisation à deux ans est difficile à établir, faute d'évaluation sérieuse. On ne peut qu'être surpris de savoir qu'aucune évaluation de cette politique n'a été prévue.

Il n'existe sur ce sujet que des évaluations sur des données anciennes. Si certaines études aboutissent à des résultats positifs, la plus récente, publiée par France Stratégie en janvier 2018, trouve un effet neutre, voire légèrement négatif, de la scolarisation à deux ans telle qu'elle était menée au début des années 2000. Sans mesurer ce qu'apporte une quatrième année de maternelle, les travaux de l'OCDE sur la petite enfance montrent des rendements décroissants de la scolarisation préélémentaire.

Ce qui est certain, c'est que les conditions d'un accueil de qualité ne sont toujours pas réunies.

Premièrement, l'accueil au sein de classes dédiées demeure largement minoritaire. Dit autrement, la plupart des enfants de deux ans scolarisés complètent des classes accueillant des enfants plus grands. Il s'agit clairement de la configuration la moins favorable, en ce qu'elle aboutit souvent à méconnaître les rythmes et les besoins particuliers de ces enfants. Ils reçoivent aussi moins d'attention de la part des enseignants. D'autre part, les classes passerelles, qui constituent une solution très intéressante, demeurent rares car coûteuses.

L'école doit également s'adapter aux enfants de deux ans et être éducative en étant moins scolaire. Si les programmes de 2015 sont satisfaisants, donnant une large place au jeu et à l'éveil, il semble que leur mise en oeuvre laisse souvent à désirer. Observant une classe mixte, des chercheurs ont pu décrire des enfants de deux ans confrontés à des exigences scolaires qui ne sont pas adaptées et qui les mettent en échec.

La qualité des encadrants n'est pas toujours au rendez-vous. Exercer auprès d'enfants de deux ans est un autre métier qu'enseigner à des enfants plus grands. Pourtant, sa spécificité est peu prise en compte par l'institution : les postes en classes spécifiques ne sont pas toujours profilés, voire sont occupés par des débutants, la formation en école supérieure du professorat et de l'éducation (ÉSPÉ) est inexistante et doit être compensée par des formations organisées au niveau local. Les interlocuteurs ont pu décrire l'importance du rôle de l'ATSEM, exerçant de préférence à plein temps, ce qui représente un coût important pour la commune. Il convient de reconnaître pleinement sa dimension éducative et de construire une culture commune avec les enseignants, notamment par des formations partagées.

Enfin, le succès du dispositif repose sur la qualité du partenariat entre l'école et les autres acteurs de la petite enfance : commune, PMI, CAF, etc.

Quelles conclusions faut-il en tirer ?

Il me semble urgent d'évaluer la scolarisation des enfants de deux ans selon ses différentes modalités, afin d'en connaître les effets sur les élèves.

Tous les élèves n'ont pas vocation à être scolarisés dès l'âge de deux ans ; les remontées du terrain ne font état de bénéfices réels que pour certains, notamment les allophones et ceux qui sont très éloignés de la culture scolaire.

Pour autant, je ne préconise pas de mettre fin à la scolarisation des enfants de deux ans. Notre système éducatif pâtit de ces allers-retours incessants ; il a besoin de stabilité et de prévisibilité. En revanche, là où cela est encore nécessaire, il convient de concentrer les efforts sur les classes dédiées dans les zones prioritaires ainsi que sur les classes passerelles.

Surtout, ce sujet m'amène à partager avec vous deux réflexions sur la qualité de l'accueil de la petite enfance et de notre école maternelle.

La France se distingue d'autres pays de l'OCDE, notamment les pays nordiques, par le caractère dual de sa politique de la petite enfance, dont les formes d'accueil relève d'institutions différentes. Au contraire, d'autres pays possèdent un système intégré, souvent sous l'égide du ministère chargé de l'éducation, qui prend en charge les enfants de leur première à leur sixième année, lorsqu'ils entrent à l'école élémentaire. Il ressort du rapport de l'OCDE que la France semble désormais « à la traîne » du point de vue des financements publics fléchés vers la petite enfance.

L'offre de places en accueil collectif demeure en-deçà des besoins (57 places pour 100 enfants) et marqué par de fortes disparités sociales : en 2013, seuls 5 % d'enfants défavorisés étaient accueillis en crèche, contre 22 % des enfants les plus favorisés. La dimension éducative en crèche est trop peu présente.

Le Gouvernement a annoncé la création de 30 000 places en crèches et 1 000 en relais d'assistantes maternelles ainsi qu'un plan de formation continue de 600 000 professionnels de la petite enfance avec un nouveau référentiel favorisant l'apprentissage de la langue française par les tout-petits, qui sera élaboré sous l'égide du Haut conseil de la famille de l'enfance et de l'âge (HCFEA). L'éducation nationale y sera, je l'espère, associée - en tout cas cela illustre les cloisonnements de notre système de prise en charge de la petite enfance.

Enfin, ma seconde réflexion porte sur la qualité de notre école maternelle. Alors que notre pays a été précurseur et a longtemps été en pointe, la prise en charge des enfants de même âge s'est fortement développée dans les autres pays de l'OCDE. Les taux d'encadrement y sont plus élevés qu'à l'étranger, avec un enseignant pour 23 élèves en France contre un pour quinze dans l'OCDE. La maternelle est la grande oubliée de la formation initiale des professeurs des écoles ; un de nos interlocuteurs nous disait qu'il y avait plus de différences entre un enfant de maternelle et un enfant en élémentaire qu'entre ce dernier et un enfant de collège. Cette spécificité est aujourd'hui peu prise en compte. Sans spécialiser trop tôt les enseignants, il serait profitable qu'une mention « maternelle » soit créée dans la formation initiale et que la formation continue à leur égard soit rénovée. La question du statut, de la formation et du rôle des ATSEM est également cruciale.

Alors que le Gouvernement envisage de rendre obligatoire l'instruction dès trois ans, encore faut-il que la qualité de l'enseignement soit au rendez-vous ! Sinon je crains que celle-ci ne se réduise à une mesure d'affichage.

Au bénéfice de ces observations et sous réserve de l'adoption de l'amendement que je vous présente, je vous propose de donner un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission « Enseignement scolaire » du PLF 2019.

M. Antoine Karam, rapporteur pour avis des crédits du programme 143 « Enseignement technique agricole ». - L'exercice 2019 voit le budget de l'enseignement agricole marqué par la stabilité, dans un contexte de baisse des effectifs d'élèves et de nombreuses réformes de fond.

Alors que l'exercice 2018 marquait une consolidation après cinq années de créations de postes, 50 emplois seront supprimés en 2019. Cette réduction, parallèle à celle constatée dans le second degré de l'éducation nationale, est relativement minime, surtout au regard de la baisse continue des effectifs d'élèves, sur laquelle je reviendrai.

Rappelons également que les effectifs par classe sont singulièrement plus faibles dans l'enseignement agricole, ce qui aurait pu justifier une ponction autrement plus douloureuse.

Toutefois, cette réduction de cinquante emplois marque clairement un renversement de tendance, alors même que l'enseignement agricole doit engager un redéploiement de ses moyens pour répondre à l'évolution de la démographie.

Au total, les crédits du programme 143 augmentent de 20 millions d'euros, soit une augmentation de 1,4 %. L'augmentation des crédits est toute entière concentrée sur les dépenses de personnel, finançant par là les revalorisations liées à la pleine mise en oeuvre du protocole PPCR, la revalorisation de la rémunération des enseignants contractuels et le glissement vieillesse-technicité, c'est-à-dire l'augmentation naturelle des dépenses compte tenu de l'avancement des agents.

Les crédits qui ne relèvent pas des dépenses de personnel, qui avaient fortement augmentés l'année dernière, demeurent stables.

Le seul point d'alerte est à mon sens la réduction de la prise en compte de la compensation des charges de pension des agents titulaires sur budget des centres de formation d'apprentis (CFA) et CFPPA. Celle-ci diminue de 500 000 euros en 2019, ce qui reviendra à la mettre à la charge des établissements publics. Il ne faudrait pas, en effet, contrarier la dynamique d'amélioration de leur situation financière, qui demeure globalement fragile : à peine plus de la moitié des établissements présentent une situation financière satisfaisante.

S'agissant de l'aide sociale aux élèves, les crédits liés aux bourses diminuent de 12 millions d'euros (- 14 %). Cette baisse s'explique avant tout par une surestimation manifeste des crédits demandés en 2018 ainsi que par une baisse du nombre d'élèves et d'étudiants remplissant les conditions d'éligibilité, dans un contexte général de diminution des effectifs.

En revanche, les crédits destinés à la prise en charge du handicap poursuivent leur augmentation tendancielle. Pour 2019, celle-ci s'élève à 3,5 millions d'euros (+ 44 %) ; elle s'explique par :

- la progression constante des prescriptions d'aide humaine ou matérielle (+ 20 % par an entre les années scolaires 2016-2017 et 2017-2018) ;

- une prise en charge accrue par le ministère des contrats d'auxiliaires de vie scolaire, devenus des contrats aidés « parcours emploi compétence » ;

- la professionnalisation des accompagnants, sous la forme de contrats d'AESH ; les AESH concluant un contrat de durée indéterminée (CDI) à l'issue de six années d'exercice sont pris en charge sur le titre 2 du programme, ce qui se traduit par une dépense supplémentaire de 700 000 euros. En 2019, ils seront 25 dans ce cas.

J'en viens aux relations avec les établissements privés, qui accueillent plus de 60 % des élèves de l'enseignement agricole. On y distingue l'enseignement privé du temps plein - analogue à l'enseignement sous contrat « classique » - et celui du rythme approprié, dispensé par les maisons familiales rurales (MFR), qui proposent une pédagogie originale centrée sur l'alternance.

Ces établissements sont financés par des subventions de l'État versées en application et selon les modalités déterminées par la loi « Rocard » du 31 décembre 1984. Depuis 2002, des accords ont été conclus avec l'enseignement privé afin d'encadrer le montant des subventions versées.

L'année 2018 a vu la conclusion de nouveaux protocoles d'accord entre l'État et les différentes fédérations :

- pour les établissements relevant du rythme approprié, deux protocoles ont été conclus avec l'Union nationale des maisons familiales rurales (UNMFREO) et l'Union nationale rurale d'éducation et de promotion (UNREP) ; le montant des subventions allouées à ces fédérations augmente respectivement de 3 millions d'euros et de 200 000 euros ;

- pour les établissements relevant du temps plein, un protocole d'accord a été conclu le 30 juillet 2018 avec le conseil national de l'enseignement agricole privé (CNEAP) et l'UNREP : le montant maximal de la subvention de fonctionnement augmente de près de 4,7 millions d'euros.

Ces protocoles, qui permettent de pérenniser le financement des établissements privés, me semblent constituer une solution équitable. Les familles de l'enseignement privé sont une composante essentielle de l'enseignement agricole ; l'augmentation de leur financement permet d'envisager un nouvel avenir pour l'enseignement agricole privé, alors que certains territoires, notamment l'Ouest et les outre-mer, constituent un terreau favorable à son développement.

Ce développement est pour moi, mes chers collègues, l'enjeu central.

Dire de l'enseignement agricole qu'il est une filière de réussite et d'excellence est quasiment devenu un élément de langage convenu, tant je l'entends répéter par tous et partout.

Et pourtant, alors que nous le répétons sans cesse, nous voyons les effectifs d'élèves se réduire année après année. Ils devraient passer sous la barre des 160 000 élèves cette année, soit 6 % de moins qu'en 2008.

Cette baisse concerne toutes les composantes de l'enseignement agricole et tous les niveaux, y compris au lycée général et technologique où l'on attend pourtant une hausse des effectifs au niveau national.

Pourquoi ? Plusieurs facteurs expliquent la baisse des effectifs :

- l'implantation traditionnelle de l'enseignement agricole dans des régions en baisse démographique, et a contrario une sous-représentation dans les régions où la demande existe ;

- le maintien d'une forme de concurrence entre l'éducation nationale et l'enseignement agricole, surtout là où les effectifs d'élèves diminuent ;

- surtout, un défaut de visibilité auprès des élèves, peu informés sur l'enseignement agricole et ce qu'il offre ; combien de collégiens savent que l'on peut devenir ingénieur en intégrant une classe de première technologique agricole ? Combien savent que sept mois après sa sortie de formation, un élève de terminale professionnelle agricole a 59 % de chance de trouver un emploi, contre 42 % pour son homologue de l'éducation nationale ?

Je ne vous surprendrai pas, mes chers collègues, en vous disant à quel point je crois en l'avenir de l'enseignement agricole. La préservation de l'environnement et des ressources naturelles, la transition agro-écologique, les nouvelles formes d'agriculture, dont par exemple l'agriculture urbaine, sont des enjeux de la plus haute importance, auxquels l'enseignement agricole peut apporter des réponses.

J'ai été satisfait d'apprendre qu'une campagne de communication devrait être lancée en 2019, visant à mettre en avant l'enseignement agricole et la diversité des métiers auxquels il prépare. Elle devrait être menée en partenariat avec la FNSEA pour les métiers agricoles, et surtout avec l'éducation nationale. Une convention a d'ailleurs été conclue entre les deux ministres le 27 février 2018, identifiant les domaines dans lesquels l'éducation nationale et l'enseignement agricole vont collaborer plus étroitement. La convention cite ainsi

- l'orientation et l'affectation des élèves ;

- l'élaboration des référentiels de formation ;

- la conduite des politiques éducatives, en particulier l'accueil des élèves handicapés et la lutte contre le décrochage ;

- l'éducation artistique et culturelle ;

- la cohérence de l'offre de formation et la mobilisation de la ressource humaine (remplacement, formation continue, solutions de mobilité) ;

- les partenariats en matière statistique et de systèmes d'information, afin notamment de faciliter la transmission des dossiers.

Vous savez que je suis très attaché à la coopération entre ces deux ministères ; l'enseignement agricole a tout à y gagner. Espérons qu'elle se traduira de manière concrète, au niveau local.

Enfin, l'année 2019 verra l'achèvement des chantiers d'ampleur - réforme du baccalauréat général et technologique, réforme de la voie professionnelle, réforme de l'apprentissage et de la formation professionnelle - qui ne seront pas sans conséquence sur l'enseignement agricole.

En premier lieu, vous remarquerez que beaucoup d'éléments de ces réformes s'inspirent de ce qui a déjà cours dans l'enseignement agricole : l'importance accordée à l'oral, l'accompagnement individuel, le contrôle continu, la place importante des stages et de l'expérience professionnelle, etc.

Au milieu de ces changements, l'enseignement agricole devra maintenir tant sa spécificité que de son attractivité.

S'agissant de la réforme de la voie professionnelle, les conséquences sur les maquettes de formation dans l'enseignement agricole devraient être limitées, en ce que le volume horaire de formation y est déjà inférieur à celui de l'éducation nationale. Le ministère annonce tout de même réfléchir à une meilleure articulation entre les enseignements généraux et professionnels et à une augmentation des périodes de stages.

En ce qui concerne la réforme du lycée général et technologique, le baccalauréat « sciences et technologies de l'agronomie et du vivant » (STAV), seul baccalauréat technologique proposé dans l'enseignement agricole, ne devrait pas être substantiellement modifié.

Il en va autrement dans la voie générale, sachant que n'est proposée aujourd'hui dans l'enseignement agricole que la filière S, avec une spécialité spécifique : « écologie, agronomie et territoires ». Dans le cadre de la nouvelle organisation, il a été fait le choix de conserver le caractère scientifique du baccalauréat général proposé par les lycées agricoles.

En classe de première, trois enseignements de spécialité seront proposés : mathématiques, physique-chimie et biologie-écologie, cette dernière étant spécifique à l'enseignement agricole. Deux de ces trois spécialités seront conservées par les élèves en classe de terminale. Après une période de flottement, le ministère a confirmé que tous les lycées agricoles seront en mesure d'offrir aux élèves une certaine liberté dans le choix des spécialités en terminale.

En effet, alors que la réforme du lycée général met en avant la liberté de choix des élèves, il était à craindre que n'afficher qu'un choix limité, voire absent, décourage l'orientation vers l'enseignement agricole. Il conviendra de demeurer vigilant sur cette question, au regard de l'évolution des effectifs d'élèves.

Enfin, la mise en oeuvre de la loi du 5 septembre 2018, qui réforme en profondeur la formation professionnelle et l'apprentissage, exigera un important travail d'adaptation des établissements de l'enseignement agricole. Le ministère vient de lancer un plan triennal d'accompagnement des équipes pédagogiques, afin de les préparer au mieux à la nouvelle donne. Je suis néanmoins résolument optimiste quant à la place de l'enseignement agricole dans le nouveau système. Il possède en effet de nombreux atouts : des formations de qualité, un savoir-faire reconnu, des établissements qui entretiennent des relations étroites avec le tissu économique et qui possèdent la faculté de répondre vite et bien aux besoins des territoires et des entreprises.

Vous le voyez, mes chers collègues, en ces temps de réformes profondes, c'est un message d'espoir que je porte. L'enseignement agricole a un rôle à jouer dans les territoires, il y répond à un réel besoin.

Cette ambition, je me réjouis de savoir que le nouveau ministre, notre collègue Didier Guillaume, la porte avec nous, comme il l'a exposé hier devant notre commission.

Compte tenu de l'ensemble de ces observations, je recommande de donner un avis favorable à l'adoption des crédits affectés à l'enseignement agricole au sein de la mission « Enseignement scolaire ».

M. Jacques-Bernard Magner. - Je remercie les rapporteurs pour la qualité de leur travail. Je tiens à souligner les insuffisances de ce projet de budget. Les moyens ne sont en effet pas à la hauteur des ambitions. J'en veux pour preuve le recours aux heures supplémentaires, qu'il est dommage d'imposer aux enseignants et qui de surcroît, ne sont pas assez nombreuses pour compenser les suppressions de postes. Il n'est pas certain que cela bénéficie aux élèves. En ce qui concerne la maternelle, je rappelle que 97 % des enfants de trois ans et plus sont scolarisés. La maternelle donne de très bons résultats et les nouveaux programmes semblent donner satisfaction. L'extension de l'obligation de scolarité devra être accompagnée de moyens supplémentaires et d'une profonde réorganisation, par exemple pour les transports scolaires.

S'agissant de l'enseignement agricole, je prends acte des propos du ministre, qui s'engageait à rendre indolores les suppressions de postes.

Mme Céline Brulin. - L'audition du conseil national d'évaluation du système scolaire (CNESCO) a montré que le système scolaire reproduisait les inégalités. La conjonction entre les mesures budgétaires et les réformes annoncées devrait encore les renforcer que ce soit au niveau social, territorial, ou encore dans l'insuffisante prise en compte du handicap. Il faudrait plus de moyens pour ces enfants pour lesquels les élus locaux peinent à trouver des solutions année après année. Le Gouvernement essaie de faire croire à un rééquilibrage mais les moyens pour les REP et REP+ sont encore insuffisants et mènent à la suppression de postes d'enseignants dans les écoles rurales. Ainsi 2 650 suppressions de postes sont prévues dans le secondaire, alors même que les effectifs augmentent et que les phénomènes de violence en milieu scolaire nécessitent un encadrement renforcé. De même, tous les bassins de vie et tous les territoires ne pourront pas proposer l'ensemble des spécialités prévues par la réforme du baccalauréat. Enfin, lors de son audition la semaine dernière, j'ai trouvé le ministre très peu précis sur les moyens accordés aux collectivités territoriales au regard de l'obligation de scolarité à trois ans. Je constate avec regret que le projet de loi finances pour 2019 ne prévoit aucun crédit pour sa mise en oeuvre.

M. Olivier Paccaud. - La présentation des rapporteurs m'amène à poser deux questions.

La première concerne le soutien à la ruralité qui génère beaucoup de mécontentement. Je rappelle que moins d'1 % des collèges classés en éducation prioritaire sont en zone rurale ce qui fait de ces territoires les oubliés de la République. Il faudrait revoir les modalités de classification en REP pour lever les incompréhensions de nos concitoyens.

D'autre part, en ce qui concerne le plan numérique en faveur des zones rurales, je m'étonne de son caractère très flou et m'interroge sur son financement.

Mme Annick Billon. - Je m'interroge sur l'attractivité du métier d'enseignant. Les mesures prises pour les renforcer sont clairement insuffisantes, comme l'a montré le travail de nos collègues Max Brisson et Françoise Laborde.

En ce qui concerne les ouvertures et fermetures des classes, il convient effectivement d'accorder une grande attention aux territoires ruraux, comme la Vendée. Notre collègue Alain Duran mène actuellement un travail sur les conventions de ruralité qu'il faudra suivre de près. Je ne peux que faire part de mon inquiétude quant à la concentration des moyens sur les zones en difficultés qui conduit à négliger les autres territoires. Il n'est pas possible de fermer des classes sans s'interroger sur les transports. Enfin, la réduction des postes administratifs ne me paraît pas répondre aux nouvelles problématiques de l'enseignement.

Mme Colette Mélot. - Je félicite les rapporteurs pour leur présentation très riche et conforme à la réalité. Ce budget prévoit un rééquilibrage en faveur du primaire afin de lutter à la racine contre l'échec scolaire. Mon département de Seine-et-Marne compte un grand nombre d'établissements classés en REP et REP+ et je confirme que le dédoublement des classes permet d'obtenir des résultats notamment sur l'acquisition de la lecture. On part de très loin.

La transformation des contrats aidés en AESH est positive, pour autant qu'elle s'accompagne d'une formation, car la bonne volonté ne peut remplacer la compétence.

Il faudra attendre pour pouvoir se prononcer sur la réforme de l'orientation. Je tiens également à souligner la qualité de l'enseignement agricole. À propos des territoires ruraux, il faut faire preuve de réalisme concernant les regroupements. Le Président de la République s'est engagé à ne pas fermer d'écoles, ce qui ne signifie pas qu'il n'y aura pas de fermetures de classes. Je soutiendrai les rapporteurs dans leurs propositions d'avis.

Mme Françoise Laborde. - Nous sommes satisfaits du rééquilibrage en faveur du primaire. Cependant, si on évoque une diminution du nombre d'élèves dans le primaire, c'est aussi que les enfants nés lors du « baby-boom » des années 2000 sont aujourd'hui dans le secondaire. On ne voit pas dans ces lignes budgétaires l'adéquation avec la réforme du baccalauréat.

Nous nous abstiendrons sur les crédits de l'enseignement scolaire mais donnerons un avis favorable sur ceux de l'enseignement agricole.

M. Claude Kern. - J'observe que les AESH sont dans une situation précaire et que beaucoup décident de quitter leur poste. Le budget prévoit 380 millions d'euros en plus mais cela ne répond pas au problème de reconnaissance qu'ils connaissent en tant que professionnels du handicap. Il faudrait leur accorder un statut au sein de la fonction publique.

Mme Dominique Vérien. - Je m'exprimerai seulement sur l'enseignement agricole. Je déplore la fragilisation financière des CFA et des CFPPA sur la réduction des subventions pour la prise en charge des agents sur budget. C'est une source d'inquiétude réelle compte tenu du désengagement des régions et du risque de fermeture de places.

Mme Laure Darcos. - Sur le numérique, j'ai exprimé mon inquiétude concernant les manuels qui sont souvent à la charge des régions. C'est le cas en Ile-de-France pour 35 millions d'euros. Le ministre de l'éducation a évoqué la possibilité que des crédits d'investissement soient mobilisés, on peut penser au plan Peillon sur l'investissement dans le numérique. Je n'ai pas eu connaissance, par contre, de crédits affectés à l'achat de manuels numériques.

M. Pierre Ouzoulias. - Les enseignants ne pourront pas supporter de se voir imposer une heure supplémentaire de plus devant leur classe. Ce serait prendre le risque que nombre d'entre eux choisissent le temps partiel avec, pour conséquence, une baisse du temps global travaillé.

Je rejoins Max Brisson sur le mal-être enseignant. Nous sommes à la limite de la rupture. Il existe des disparités dans l'accès à l'enseignement qui sont devenues insupportables. Concernant l'enseignement technique agricole et Parcoursup des différences de traitement ont été constatées entre les candidats issus de l'enseignement général et ceux de l'enseignement technologique et professionnel en termes de délai de réponse qui pose question et nécessite un examen approfondi. J'aimerais savoir ce qu'il en est pour l'enseignement agricole. Il y a une forme de malhonnêteté à ne pas faire le bilan de Parcoursup dans ce budget.

Je rejoins ce qu'a dit notre collègue Dominique Vérien sur les CFA. Notre projet consiste à transformer la société par l'éducation et les CFA ont un rôle à jouer. Les moyens publics sont importants pour préparer les filières d'avenir. Je prends l'exemple de la filière bois en Nouvelle-Aquitaine, où il est fait preuve d'une réelle volonté politique pour son développement.

M. Stéphane Piednoir. - Peu de métiers sont aussi exigeants que celui d'enseignant, en termes de connaissances et de formation, et aussi mal payés tout au long de la carrière. Au demeurant, les professeurs sont assimilés à des cadres et, à ce titre, les heures supplémentaires me paraissent faire partie des contraintes liées à ce statut. Gardons à l'esprit la souplesse que cette seconde heure supplémentaire est susceptible d'apporter aux chefs d'établissement dans l'organisation des nécessités de service.

Je m'étonne du flou entretenu par le Gouvernement sur le financement de l'obligation d'instruction à partir de trois ans. Il n'est fait mention que d'investissements, surtout dans les départements d'outre-mer. L'impact financier de cette nouvelle mesure ne sera pas neutre pour les collectivités territoriales. Une nouvelle fois, je constate que le Gouvernement impose aux collectivités territoriales des dépenses qui ne leur incombent pas.

M. Laurent Lafon. - Il me parait difficile de comprendre les conséquences budgétaires des réformes décidées par le Gouvernement, ce qui rend délicat l'exercice de notre mission de contrôle. Est-il envisagé de recruter des enseignants pour les nouveaux enseignements, à l'instar de la nouvelle spécialité numérique et sciences informatiques ? Il est clair que le corps des enseignants ne dispose pas aujourd'hui de ressources ni suffisamment compétentes, ni suffisamment nombreuses en la matière.

Je regrette qu'aucun accent particulier n'ait été mis sur la question de la formation continue. Le CNESCO prévoyait d'évaluer l'efficacité de la dépense en matière de formation continue. J'espère que cette évaluation sera effectivement réalisée en dépit de l'évolution à venir de cet organe.

Le rapport de la Cour des comptes sur l'éducation prioritaire met en lumière une véritable décorrélation entre les priorités retenues en la matière, les budgets qui y sont alloués et la manière dont les crédits sont effectivement affectés dans les différentes zones prioritaires. Il s'avère que les moyens n'arrivent pas forcément là où ils sont souhaités et attendus. Il me semblerait intéressant que nous procédions à des auditions à ce sujet.

Mme Claudine Lepage. - Je souhaitais attirer votre attention sur le fait que le dédoublement des classes a un impact direct sur les écoles françaises à l'étranger, puisqu'il réduit mécaniquement le nombre d'enseignants susceptibles d'être détachés dans ces écoles, obligeant à procéder à des recrutements locaux. La qualité de l'enseignement dispensé pourrait s'en ressentir, sans oublier le coût que cela constituera pour les familles dont les enfants fréquentent ces établissements, dans la mesure où le recrutement d'un enseignant local est entièrement à la charge des familles.

M. Max Brisson. - Deux ambitions me paraissent faire défaut dans ce projet de budget.

D'une part, la formation continue : il faut que le ministère fasse preuve de volonté rapidement sur ce sujet et que des crédits soient débloqués en conséquence. Lorsque nous avons travaillé avec Françoise Laborde sur le métier d'enseignant, nous avons insisté sur l'intérêt qu'il y aurait à rendre obligatoire la formation continue, en particulier pour les professeurs du secondaire.

D'autre part, je regrette que la nécessité de revaloriser les rémunérations des jeunes professeurs ne soit pas prise en compte. C'est un élément clé de l'attractivité et de la dignité du métier d'enseignant. Je crois cependant que la revalorisation des rémunérations des professeurs doit aller de pair avec une réforme de leur temps de travail. L'annualisation est une nécessité, non forcément pour que les professeurs travaillent plus, mais pour qu'ils travaillent de manière plus adaptée aux besoins des élèves et plus innovante.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Sur tous ces sujets qui viennent d'être évoqués, je rappelle que notre commission a essayé de faire passer des amendements ou des idées au cours de l'année écoulée, que ce soit à l'occasion de l'examen du projet de loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel ou avec mon rapport sur la formation à l'heure du numérique. Les réponses apportées par les ministres n'ont jamais été pleinement satisfaisantes. Il existe une vraie carence dans la formation au numérique dans les ÉSPÉ aujourd'hui. Sans oublier le plan informatique mis en place sous le précédent quinquennat, qui avait pour vertu d'inciter les collectivités territoriales à investir ces questions, mais qui semble désormais abandonné.

M. Jacques Grosperrin, rapporteur pour avis. - Je me suis efforcé de faire l'évaluation des crédits de la manière la plus objective possible. Je partage vos interrogations sur la question des heures supplémentaires. Il y avait bien plus de volontaires parmi les enseignants pour effectuer des heures supplémentaires lorsque celles-ci étaient défiscalisées jusqu'à deux heures par semaine. C'était aussi un moyen d'améliorer la rémunération des enseignants, notamment de celle des jeunes professeurs, qui pose particulièrement problème.

La réforme abaissant l'âge de l'obligation d'instruction à trois ans n'est rien d'autre qu'un écran de fumée, puisque 98 % des enfants de trois ans sont déjà scolarisés. Si elle n'engendrera, somme toute, qu'un surcroît modeste pour l'État, elle aura indéniablement un impact sur les finances des collectivités territoriales.

En ce qui concerne la formation des enseignants, j'observe un fossé de plus en plus important dans les ÉSPÉ. Enseigner aux enfants en maternelle est un métier très spécifique. Dans plusieurs pays européens où l'âge de la scolarité obligatoire n'est pas aussi précoce, un travail plus important est fait dans les jardins d'enfants sur le développement sensoriel.

Je partage votre sentiment sur le fait que les réponses du ministre à nos questions sur la réforme du baccalauréat la semaine dernière ont été floues. Je voudrais souligner à cet égard le problème que la réforme risque de susciter en milieu rural où la formule du baccalauréat à la carte ne permettra pas, en réalité, aux élèves de ces zones géographiques de choisir, contrairement à ceux qui résident en ville.

La suppression de classes dans les écoles situées en milieu rural est une vraie préoccupation. Dans ce contexte, il serait intéressant d'entendre notre collègue Alain Duran, chargé par le Gouvernement d'une mission sur les conventions de ruralité.

En matière d'éducation prioritaire, le ministère n'annoncera aucune nouvelle mesure dans l'attente des conclusions du rapport Mathiot-Azéma. Il faudrait dresser toutefois une évaluation sérieuse des résultats obtenus depuis la mise en place du dédoublement des classes de CP et de CE1 en REP et REP+.

Il y a certainement une réflexion à mener sur la répartition des postes administratifs au niveau de l'administration centrale et dans les rectorats, de manière à « dégraisser le mammouth » pour reprendre les mots d'un ancien ministre de l'éducation nationale. Il faut en tout état de cause éviter toute suppression de poste parmi les emplois dans les établissements.

L'augmentation du nombre d'élèves pour des raisons démographiques concerne essentiellement le second degré. Une baisse des effectifs est en revanche constatée dans le primaire. Cela devrait donner quelques marges de manoeuvre au Gouvernement.

Les inquiétudes concernant la situation des accompagnants des élèves en situation de handicap (AESH) sont légitimes. Un mouvement de professionnalisation et de titularisation de ces accompagnants est toutefois engagé.

Le projet de loi de finances pour 2019 ne comporte pas d'augmentation notable du financement dédié aux manuels scolaires.

Mme Laure Darcos. - Les nouveaux professeurs attendent pourtant un outil pour les premières années.

M. Jacques Grosperrin, rapporteur pour avis. - Aucun recrutement pour les enseignements liés au numérique n'est prévu. Ceux-ci seront assurés par les personnels en place.

La formation continue du corps enseignant a été négligée au détriment de la formation initiale depuis de nombreuses années.

Le temps de travail des enseignants doit être repensé à travers une présence plus importante dans les établissements ou une annualisation. Cette réflexion doit être conduite en prenant en compte la disparité des territoires.

M. Antoine Karam, rapporteur pour avis. - J'ai voulu vous faire partager mon inquiétude concernant la baisse des effectifs dans des lycées agricoles qui ne relève pas, surtout de mon point de vue, de la baisse démographique dans les territoires ruraux. Il convient d'adapter le lycée agricole à l'évolution du monde rural et urbain. L'enseignement agricole ne doit pas être considéré comme une voie de garage. Il y a un véritable travail de communication à réaliser pour redorer le blason de cet enseignement car celui-ci a de l'avenir !

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Nous en sommes tous convaincus.

M. Jacques Grosperrin. - Je propose un avis favorable à l'adoption des crédits sous réserve de l'adoption de cet amendement qui propose de transférer 10 millions d'euros en autorisations d'engagement et en crédits de paiement de titre 2 du programme 141 au profit du programme 140 afin de financer la création de 300 postes d'enseignants supplémentaires dans le primaire au profit des écoles rurales. En effet, une école qui ferme dans un village, souvent c'est un village qui meurt.

Mme Françoise Laborde. - Nous ne voterons pas cet amendement, le symbole déshabiller Pierre pour habiller Paul ne nous convient pas.

Par ailleurs, pour rebondir sur les propos d'Annick Billon, je précise qu'en Vendée il n'y a pas suffisamment d'écoles publiques et que, trop souvent, il n'existe dans les villages ou communes qu'une école privée.

M. Jacques-Bernard Magner. - Pour les mêmes raisons que celles invoquées par Mme Laborde, nous ne pouvons voter un amendement qui dépouillerait l'enseignement secondaire, qui a trop de besoins non satisfaits.

L'amendement est adopté.

M. Jacques-Bernard Magner. - Notre groupe s'abstiendra sur l'ensemble des crédits de la mission.

Mme Françoise Laborde. - Notre groupe portant un regard négatif sur les crédits de l'enseignement scolaire et un avis positif sur les crédits de l'enseignement agricole, nous nous abstiendrons également et donnerons un avis définitif lors de l'examen des crédits de la mission.

M. Pierre Ouzoulias. - J'ai été impressionné par la qualité du travail effectué par nos collègues rapporteurs ainsi que par leur état d'esprit. L'accès de l'ensemble des sénateurs de la commission, aux auditions des rapporteurs permet un contact direct, simple et très enrichissant avec les personnes entendues. Ceci étant dit, je vous précise que notre groupe votera contre l'adoption des crédits de la mission.

M. Jacques Grosperrin. - Je précise que sur la suppression de 300 emplois d'enseignants stagiaires en contrepartie de l'ouverture de 300 postes dans les écoles rurales est une contrainte liée à l'application des règles de la loi organique relative aux lois de finance.

La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission « Enseignement scolaire » du projet de loi de finances 2019.

Vote sur l'article 78 rattaché aux crédits de la recherche et de l'enseignement supérieur du projet de loi de finances pour 2019

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - La semaine dernière, notre commission a donné un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission interministérielle recherche et enseignement supérieur (MIRES), sur le rapport de nos collègues Laure Darcos et Stéphane Piednoir.

À cette occasion, notre rapporteur Stéphane Piednoir a présenté les dispositions de l'article 78 du projet de loi de finances pour 2019 rattaché à la mission, qui supprime l'Allocation pour la recherche du premier emploi (dite ARPE). Il nous a indiqué qu'il était favorable à la suppression de l'ARPE et donc à l'adoption de l'article 78. La question a ensuite été abordée par Jacques Grosperrin, qui a approuvé cette suppression, et Sylvie Robert, qui l'a regrettée.

Mme Sylvie Robert. - Je reconnais les limites de l'ARPE mais j'aurais aimé que la ministre nous explique selon quelles modalités ce dispositif sera remplacé par la Garantie Jeunes qui aujourd'hui s'adresse à un public différent. Les acteurs sur le terrain ne semblent pas informés du projet d'extension de la Garantie Jeunes aux jeunes diplômés boursiers en recherche d'emploi.

La commission émet un avis favorable à l'adoption de l'article 78 du projet de loi de finances pour 2019 rattaché à la MIRES.

La séance est levée à 12h20.

- Présidence de Mme Catherine Morin-Desailly, présidente -

La réunion est ouverte à 17 heures.

Projet de loi de finances pour 2019 - Audition de M. Franck Riester, ministre de la culture

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Nous accueillons M. Franck Riester, ministre de la culture. Comme vous le savez, nous sommes extrêmement attentifs au devenir de la culture et à l'attention qui lui sera apportée. Nous comptons sur vous pour redonner à ce ministère l'influence qu'il a quelque peu perdue ces dernières années. Sans plus attendre, je vous laisse la parole.

M. Franck Riester, ministre de la culture. - Merci madame la présidente. J'ai été onze ans et quelques mois membre de la commission des affaires culturelles et de l'éducation de l'Assemblée nationale. Dans ce cadre, j'ai l'occasion de participer à des travaux communs avec les membres de votre commission. La culture implique un travail collectif : j'ai besoin de vos compétences, savoir-faire et idées. Ce ministère a de nombreux sujets à traiter. L'ensemble des acteurs concernés par la culture doivent être mobilisés et fédérés, y compris les députés européens, tant ces enjeux dépassent le cadre national.

Je viens aujourd'hui vous présenter le budget pour 2019 du ministère de la culture. Il s'agit d'un budget conforté, à hauteur de 3,65 milliards d'euros, soit 17 millions d'euros de plus qu'en 2018. Au total, en prenant en compte les ressources publiques affectées à l'audiovisuel public, les taxes affectées à nos opérateurs et les dépenses fiscales, plus de 9,7 milliards d'euros seront consacrés à la culture en 2019. Si une augmentation de budget n'est jamais une fin en soi, c'est tout de même, dans le contexte budgétaire actuel, un signe fort. Lorsqu'on cherche à faire des économies, le budget de la culture est généralement la variable d'ajustement. Tel n'est pas le projet de ce gouvernement. Le projet de transformation que nous portons, ensemble, pour le pays, appelle une politique culturelle ambitieuse. Le budget qui nous réunit aujourd'hui nous permettra de la mener à bien.

Notre politique culturelle sera centrée autour de trois grandes priorités. La première, c'est d'assurer à tous les Français les conditions d'un égal accès à la culture. Cette démarche nécessite d'inscrire notre politique culturelle dans nos territoires. J'ai été, pendant vingt-trois ans, élu local puis maire. Je sais combien l'action des collectivités territoriales est complémentaire de celle de l'État et combien leur partenariat est indispensable. De mon expérience, je tire une conviction : pour que notre politique bénéficie aux territoires, il faut que les moyens soient gérés par les territoires ou au plus près de ceux-ci. C'est pourquoi le ministère de la culture augmentera la part de ses crédits déconcentrés, qui atteindront 849 millions d'euros. Ils augmenteront de 30 millions, après avoir déjà augmenté de 30 millions cette année. En deux ans, les directions régionales de l'action culturelle (DRAC) auront vu leurs moyens progresser de 8 % et leurs effectifs seront sanctuarisés.

Cet ancrage territorial trouve sa meilleure incarnation dans notre politique pour le patrimoine.

Plus de 85 % des crédits d'entretien et de restauration pour les monuments historiques - hors grands projets - vont aux monuments en régions. C'est une raison suffisante de les sanctuariser, à 326 millions d'euros. Ils permettront de financer plus de 6 000 opérations, partout en France et en Outre-mer. Il faut y ajouter le loto du patrimoine, porté par Stéphane Bern, qui a suscité une mobilisation exceptionnelle : 15 millions d'euros de recettes sont d'ores et déjà assurées au profit de la Fondation du Patrimoine, afin de sauver nos monuments en péril. Elles devraient à terme avoisiner les 20 millions d'euros. Pour accompagner cet élan populaire, nous avons annoncé, avec le ministre de l'action et des comptes publics Gérald Darmanin, un déblocage de 21 millions d'euros supplémentaires dès la fin de gestion 2018.

Cette action territoriale ne saurait servir de variable d'ajustement pour les grands projets patrimoniaux, notamment parisiens. La rénovation du Grand Palais ou les divers projets immobiliers de nos établissements nationaux doivent faire l'objet de plans de financement dédiés, étalés dans la durée, avec le souci constant de parvenir à un équilibre économique de long terme et de pallier tout risque de dérive budgétaire.

Par ailleurs, les exemples récents d'opérations patrimoniales alliant crédits de l'État, emprunt privé, ressources propres et mécénat se sont imposés comme un levier de responsabilisation de l'ensemble des acteurs. Ils nous rappellent, si besoin était, toute l'importance du mécénat. Sur les 2 milliards d'euros de dons déclarés en France en 2017, 500 millions d'euros bénéficient à ce secteur. Ne brisons pas cet outil devenu indispensable !

Nous devons garantir partout les conditions d'un égal accès à la culture dans tous les territoires, en particulier les plus délaissés : tel est le sens de la circulation des oeuvres et des artistes, prévue par le plan « Culture près de chez vous », auquel le ministère consacrera 6,5 millions d'euros en 2019. C'est également le sens de notre soutien aux bibliothèques, qui sera poursuivi et amplifié. Elles seront davantage ouvertes : 265 bibliothèques sont d'ores et déjà accompagnées dans l'aménagement de leurs horaires, avec une extension moyenne de six heures par semaine. Elles seront également mieux ouvertes : deux millions d'euros additionnels seront mobilisés, en plus des 88 millions d'euros déjà prévus.

L'accès à la culture ne peut être une réalité que si on y est sensibilisé dès le plus jeune âge. 145 millions d'euros seront consacrés à l'éducation artistique et culturelle l'année prochaine, afin de donner à chaque enfant une éducation artistique et culturelle à l'école, d'ici 2022 et que les plus jeunes puissent fréquenter des oeuvres, des artistes et s'initier à la pratique artistique. C'est deux fois plus qu'en 2017. Cet objectif suppose également un partenariat fort avec l'éducation nationale que j'aurai à coeur de poursuivre.

Le Pass Culture participe de cette même ambition d'ouverture à la diversité culturelle : une enveloppe de 34 millions d'euros lui est réservée en 2019. Nous lancerons prochainement son expérimentation auprès de 10 000 jeunes dans les cinq départements test que sont la Guyane, le Finistère, la Seine Saint Denis, le Bas Rhin et l'Hérault.

Mais pour permettre un égal accès à la culture, il faut d'abord de la culture. Il nous revient de soutenir celles et ceux qui la font vivre : nos artistes, nos créateurs, nos lieux de diffusion.

C'est notre deuxième priorité : il n'est pas de culture sans création. C'est pourquoi les crédits qui lui sont dédiés seront sanctuarisés. Ces crédits favoriseront l'émergence de nouveaux talents, l'accompagnement des artistes dans leurs projets et la meilleure diffusion des oeuvres en milieu rural et dans les quartiers prioritaires. 706 millions d'euros iront notamment au spectacle vivant, tandis que le soutien aux arts visuels sera accru, pour atteindre 76 millions d'euros.

Parce qu'il n'est pas de création sans créateurs, nous continuerons également à soutenir leur emploi. C'est le rôle par exemple du fonds national pour l'emploi pérenne dans le spectacle vivant (FONPEPS). Il sera évidemment prolongé au-delà de 2018. Les crédits de 2019 ont été ajustés à la réalité de l'exécution budgétaire, sans aucune remise en cause de principe. D'ici la fin de l'année et en 2019, nous poursuivrons également le travail avec les représentants des artistes auteurs. Ils méritent une protection sociale digne de ce nom, comme le rappelle un amendement au projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2019 que vous avez été nombreux à présenter et qui sera bientôt débattu en séance. La hausse de la contribution sociale généralisée (CSG) sera compensée par 18 millions d'euros de crédits nouveaux. Les cotisations seront recouvrées par l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale (Acoss) à compter de 2019. Certains aménagements ont été rendus possibles dans le cadre du prélèvement à la source. Enfin, les inspections générales des affaires sociales et des affaires culturelles travaillent actuellement sur le régime de protection sociale des artistes auteurs. Elles me feront des propositions d'ici la fin de l'année.

Il n'est pas de création, non plus, sans industries culturelles. Sur le sujet du livre, d'abord : le budget 2019 marque la budgétisation des moyens du Centre national du livre. Celle-ci sécurisera des ressources dont le rendement était fragilisé depuis plusieurs années. Elle s'opérera au niveau du budget 2018 et sera accompagnée de la suppression des deux taxes qui étaient affectées au Centre, dont celle sur le chiffre d'affaires des entreprises d'édition. Concernant la musique, ensuite : le Centre national de la musique (CNM) est un projet auquel je crois et auquel j'ai consacré, comme député, un rapport dont Roch-Olivier Maistre a repris les réflexions. Il soutiendra notre production et son rayonnement à l'international, dans un contexte de concurrence exacerbée. Il est sur le point de se concrétiser, et je me battrai pour qu'il voie enfin le jour. Dès 2019, cinq millions d'euros seront mobilisés pour en amorcer le financement en année pleine. Ces moyens viendront également renforcer les dispositifs en faveur de l'exportation.

Les industries culturelles ne peuvent vivre sans crédits d'impôt. Ces dispositifs jouent un rôle essentiel notamment à la structuration des filières du cinéma, de l'audiovisuel, de la musique enregistrée ou de la production de spectacles. Ils pérennisent ou créent de l'activité et de l'emploi dans notre pays, contribuent au renouvellement des talents et à la promotion de la diversité culturelle. Je les défendrai avec la plus grande vigueur. Comme toute dépense fiscale, ces dispositifs nécessitent d'être évalués et, éventuellement, mieux pilotés. C'est indispensable pour optimiser leur effet.

Enfin, la troisième priorité de notre politique culturelle - et donc de ce budget -, c'est de permettre à nos médias de se renouveler, de se moderniser.

Je pense à la presse, qui doit faire face à de considérables mutations. Nous l'aiderons à engager les transformations nécessaires. Nous accompagnerons l'Agence France-Presse, avec 2 millions d'euros supplémentaires. Au total, le soutien de l'État aura été de près de 8 millions d'euros supérieur aux engagements pris dans le cadre du contrat d'objectifs et de moyens qui s'achève. Nous continuerons à soutenir le pluralisme de la presse, avec des aides qui seront sanctuarisées à hauteur de 16 millions d'euros. Nous accompagnerons également la transformation de la distribution de la presse, comme nous accompagnons déjà Presstalis. C'est tout l'enjeu de la réforme de la loi Bichet, que nous préparons pour le début de l'année prochaine. Je sais que votre commission, et notamment votre collègue Michel Laugier, sont mobilisés sur ce sujet.

En 2019, une autre grande transformation s'invitera dans le secteur des médias : celle de notre paysage audiovisuel. D'une part, nous entamerons la mise en oeuvre de la transformation de l'audiovisuel public. J'ai entendu, madame la Présidente, MM. David Assouline, Jean-Pierre Leleux et André Gattolin, vos appels à la nécessaire refondation de ce secteur. Je vous associerai à nos travaux sur la gouvernance de l'audiovisuel public, pour que nous confortions nos ambitions pour l'audiovisuel public et réformions la loi de 1986. Je vous préciserai ultérieurement ma vision de notre co-construction, en amont de la discussion au Parlement, de cette nouvelle régulation de l'audiovisuel. Il nous faudra, pour ce faire, intégrer notamment la transposition de la directive sur les « services de médias audiovisuels ». J'ai rencontré, à ce sujet, le vice-président de la Commission européenne et je dois rencontrer cette semaine mes homologues allemandes de la justice et de la culture, afin de conforter l'axe franco-allemand sur la question des droits d'auteur. A priori, je souhaite que la transposition de cette directive et la loi sur l'audiovisuel public soient votées concomitamment.

L'année 2019 marquera le 60ème anniversaire du ministère de la culture. Cet anniversaire nous oblige à être plus que jamais fidèles aux ambitions de ses fondateurs, tout en assumant les ruptures et les transformations nécessaires. Ce budget nous aidera à faire de l'action de ce ministère une fierté collective.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Je vous remercie monsieur le ministre d'avoir présenté les différents aspects de votre mission plurisectorielle et passe la parole, pour débuter notre débat, aux différents rapporteurs de notre commission sur la mission Médias, livre et industries culturelles.

M. Jean-Pierre Leleux, rapporteur pour avis des crédits de l'audiovisuel. -Lors du débat à l'Assemblée nationale, vous avez semblé indiquer qu'il n'y aurait pas de réforme de la contribution à l'audiovisuel public (CAP) avant 2021. Pouvez-vous nous le confirmer ? Cette mesure n'est-elle pourtant pas indispensable pour boucler le financement de la réforme à venir et renforcer sa spécificité en supprimant, par exemple, la publicité ?

M. Franck Riester, ministre. - La réforme sera conduite d'ici 2021 au plus tard, suite à la suppression de la taxe d'habitation. Elle tiendra compte de l'évolution des usages, en termes d'accès aux médias, de nos compatriotes. La modernisation du financement de l'audiovisuel public sera ainsi adossée sur une réflexion globale afin qu'elle soit juste et pérenne.

M. Jean-Pierre Leleux, rapporteur pour avis des crédits de l'audiovisuel. - Selon la présidente de France Télévisions, que nous avons pu auditionner, la suppression de France 4 ne devrait quasiment pas permettre de réaliser des économies, sinon à travers la baisse des coûts de diffusion. Par contre, les effets néfastes de cette décision devraient être réels, en livrant les enfants aux griffes de YouTube et de ses annonceurs, ainsi qu'en affaiblissant le secteur français de l'animation. Le président de la BBC, qui intervenait au Sénat dans le cadre du colloque sur l'avenir de l'audiovisuel public en juillet dernier, a dit que cela ne faisait pas de sens de se priver d'une chaîne dédiée aux enfants si l'on souhaitait fidéliser les jeunes publics. Accepteriez-vous, dans ces conditions, de réétudier la suppression de la diffusion hertzienne de France 4 ou, tout du moins, d'en repousser de plusieurs années la mise en oeuvre ?

M. Franck Riester, ministre. - Je partage votre point de vue sur l'importance du secteur de l'animation, qui est dynamique et exporte des contenus vers le monde entier. Notre offre pour la jeunesse doit répondre aux besoins d'information, de divertissement, d'éducation et d'accès à la culture. France Télévisions doit mettre en oeuvre un plan ambitieux tourné vers la jeunesse passant à la fois par le numérique et l'offre linéaire.

M. Jean-Pierre Leleux, rapporteur pour avis des crédits de l'audiovisuel. - Le rapprochement entre France 3 et France Bleu devait se concrétiser en septembre 2018 par le lancement de matinales communes. Il apparaît aujourd'hui très difficile de créer des rendez-vous communs, faute de maillage commun du territoire et compte tenu de la difficulté à illustrer en images toutes les actualités locales. Que pouvez-vous nous dire des deux expérimentations en cours sur la Côte d'Azur et en Occitanie ? Cette expérimentation pourrait-elle aboutir à une remise en cause du projet si les difficultés se confirment, afin de privilégier d'autres types de coopération ?

M. Franck Riester, ministre. - Mon point de vue sur cette question est connu. Il y a une convergence des contenus et l'audiovisuel public doit être plus présent encore en régions. Il faut à la fois être volontariste et privilégier la différenciation pour adapter nos dispositifs. Je suis très attentif aux résultats des expérimentations : France Bleu et France 3 doivent travailler de concert pour étoffer leur gamme de contenus régionaux, dans les secteurs de la télévision, de la radio et du numérique.

M. Jean-Pierre Leleux, rapporteur pour avis des crédits de l'audiovisuel. - Le chantier de Radio France a connu, en 2017, de nouvelles déconvenues avec l'émergence d'une « crise juridique », suite à des dépassements de marchés et de nombreuses malfaçons qui ont occasionné des retards. Cette crise semble aujourd'hui terminée et un nouveau scénario a été établi pour terminer le chantier. Pouvez-vous nous confirmer que le chantier sera bien terminé à la fin de 2022, soit avec cinq ans de retard ? Quel en est aujourd'hui le coût global estimé pour ce chantier en distinguant l'investissement du fonctionnement ?

M. Franck Riester, ministre. - Ce coût est estimé à 430 millions d'euros, soit plus de 20 % que les estimations de départ. Les travaux doivent repartir. Ce budget sera néanmoins ad hoc.

Mme Françoise Laborde, rapporteure pour avis des crédits du livre et des industries culturelles. - Le statut des auteurs constitue une source de préoccupation pour notre commission. Avec Sylvie Robert, nous avons reçu récemment les organisations représentatives, qui nous ont fait part de leur désarroi sur plusieurs réformes, toutes au détriment de la situation des auteurs : hausse de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) prélèvement à la source et réforme du statut social. Avec la présidente de la commission et de nombreux collègues, nous avons déposé un amendement pour rappeler au gouvernement sa promesse, pas encore tenue, d'une simple compensation de la hausse de la contribution sociale généralisée (CSG). Alors que 18 millions d'euros ont été prévus en 2018 et 2019, rien n'a encore été versé. Ma question est donc double : sur la CSG, quand allez-vous enfin trouver une solution, et sur les problèmes que rencontrent les auteurs, quand allez-vous réfléchir à un vrai statut adapté ?

M. Franck Riester, ministre. - Cette question du statut des artistes auteurs est fondamentale et complexe. La compensation de la CSG a été budgétée en 2018 et son versement a été confié à la maison des artistes et à l'AGESSA ; la campagne de versement et d'information étant d'ores et déjà lancée. Ce sujet n'est donc pas d'ordre budgétaire. Il faudra réinscrire cette compensation, pour 2019, afin qu'elle soit versée intégralement. À partir de 2020, le Gouvernement prévoit de mettre en place une mesure pérenne de prise en charge des cotisations de l'impôt sur les sociétés à cette même hauteur. Un décret en ce sens est d'ailleurs en cours d'élaboration.

Mme Françoise Laborde, rapporteure pour avis des crédits du livre et des industries culturelles. - Nous sommes bien dans notre rôle de contrôle parlementaire et ne manquerons pas de vérifier le bon versement de cette compensation. J'en viens à ma seconde question : je me réjouis de l'annonce de l'accord entre Canal Plus et les sociétés de production du cinéma arraché la semaine dernière. Cette signature rend maintenant enfin envisageable la conclusion d'un accord sur la chronologie des médias, indispensable pour la pérennité du financement du cinéma et que nous attendons depuis plusieurs années. Où en sommes-nous sur ce sujet, et sur quelles bases l'accord se fera-t-il ?

M. Franck Riester, ministre. - On ne peut que se réjouir du déblocage de la situation et de la conclusion de cet accord. Je tiens, d'ailleurs, à saluer le travail de ma prédécesseur sur ce dossier. Canal Plus assumera son rôle, pour les quatre années qui viennent, de financeur du cinéma français et maintiendra son modèle généraliste sur le cinéma et sur le sport, avec une présence sur la Télévision numérique terrestre (TNT). Le groupe s'est aussi engagé à demander l'agrément au Conseil supérieur de l'audiovisuel. En contrepartie, la signature de l'accord sur la modernisation de la chronologie des médias doit intervenir dans les prochains jours. Cet accord implique l'élargissement de la dérogation de la sortie des films en DVD et VAD trois mois après leur sortie en salles, la fin du gel des droits de vidéos à la demande pendant la fenêtre Canal Plus, ainsi que l'avancée de toutes les autres fenêtres, VOD par abonnement comprise. Sa signature devrait intervenir dans les tout-prochains jours.

Mme Françoise Laborde, rapporteure pour avis des crédits du livre et des industries culturelles. - Les secteurs de la musique et du jeu vidéo sont peu consommateurs de crédits publics, mais bénéficient de deux crédits d'impôt très utiles. Ils ont certes été renouvelés, mais pour des périodes limitées. Or, en cette matière la stabilité et la visibilité sont primordiaux. Pouvez-vous nous en dire plus sur votre position à propos de leur prorogation ?

M. Franck Riester, ministre. - Ce sujet est récurrent. Certains parlementaires proposent de remettre en question ces crédits d'impôt, qui semblent pourtant des outils vertueux. Ces crédits d'impôt permettent aux acteurs du secteur de soutenir et d'accompagner la diversité des créations. Ils ont également permis de ramener en France certaines productions cinématographiques et ainsi de contribuer au développement économique local. Comme toute dépense fiscale, ces dispositifs doivent être évalués et, éventuellement, mieux pilotés, lorsqu'ils bénéficient notamment au spectacle vivant.

Mme Françoise Laborde, rapporteure pour avis des crédits du livre et des industries culturelles. - Où sont passés les deux millions d'euros de crédits additionnels, qui permettent au concours particulier bibliothèques de la dotation générale de décentralisation (DGD) de passer de 88 à 90 millions d'euros ?

M. Franck Riester, ministre. - Ces deux millions d'euros relèvent de crédits de gestion. Dans le cadre de votre mission de contrôle de l'action du Gouvernement, vous aurez tout le loisir d'examiner la réalité de cette augmentation.

Mme Sylvie Robert, rapporteure pour avis des crédits des programmes « Création et Transmission des savoirs et démocratisation de la culture ». - La ligne ministère de l'intérieur - DGD, reste fixée à 88 millions d'euros.

M. Franck Riester, ministre. - On retrouve une situation analogue pour le Centre national de la musique (CNM) où l'engagement du Gouvernement est en gestion.

M. Michel Laugier, rapporteur pour avis des crédits de la presse. - Le budget de l'Agence France-Presse (AFP) est annoncé en augmentation de deux millions d'euros. Une telle augmentation ne règlera pas le problème de fond de l'agence. Avec un chiffre d'affaires commercial est en diminution, l'AFP assume difficilement ses charges, sans parler de son endettement conséquent. Comment voyez-vous l'avenir de l'Agence France-Presse dans un contexte concurrentiel où les autres agences internationales sont dotées de très importants budgets ?

M. Franck Riester, ministre. - Le budget octroie des moyens supplémentaires pour que l'AFP réussisse sa transformation qui s'avère complexe. Il s'agit là d'un signe fort de l'accompagnement du Gouvernement de cette agence, qui est à la fois une force pour la presse dans notre pays et un atout pour le rayonnement de la France dans le monde. Nous aurons sans doute l'occasion d'évoquer ensemble le plan de transformation de l'AFP de manière spécifique.

M. Michel Laugier, rapporteur pour avis des crédits de la presse. - Ma seconde question portera sur Presstalis qui constitue un autre sujet récurrent. Votre réflexion sur l'évolution de la loi Bichet, que vous souhaitez rapide, se fonde-t-elle sur le rapport de Marc Schwartz ?

M. Franck Riester, ministre. - Ma réflexion se fonde sur la diversité des contributions des personnes qui ont été impliquées sur cette question. Mes prédécesseurs se sont d'ailleurs penchés sur l'évolution de la loi Bichet. Le dispositif Presstalis doit être modernisé. Je crois que le processus coopératif exclusif arrive à son terme.

M. Michel Laugier, rapporteur pour avis des crédits de la presse. - L'aide au portage connait une diminution de 5 millions d'euros dans le projet de loi de finances pour 2019, très au-dessus de la baisse de la diffusion. Dans le même temps, il n'est actuellement pas prévu que les entreprises de portage bénéficient de la compensation prévue pour la fin du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE), soit 4 millions d'euros. En l'état actuel donc, ce secteur, primordial pour la presse locale, subirait une perte de 9 millions d'euros en une seule année. Je viens de déposer un amendement sur le PLFSS 2019 sur la question de la compensation des entreprises de portage, suite à la fin du CICE. Il vient d'ailleurs d'être adopté en séance contre l'avis de votre collègue en charge des solidarités et de la santé. Monsieur le ministre, quelle est votre position sur cette question ?

M. Franck Riester, ministre. - Les budgets mobilisés pour l'aide au portage doivent être adaptés aux volumes. Le budget de l'aide au portage a triplé depuis 2008 ! Comme toute intervention publique, il faut évaluer son efficacité réelle. Les 5 millions d'euros de baisse s'inscrivent dans cette logique, mais permettent de maintenir une ambition pour l'aide au portage, avec un montant trois fois supérieur, en 2019, à son niveau de 2008.

M. Michel Laugier, rapporteur pour avis des crédits de la presse. - Sachant que 800 millions de journaux sont distribués chaque année grâce au portage ! Où en sont les négociations européennes sur les droits voisins évoqués lors de l'examen de la proposition de loi sur la manipulation de l'information.

M. Franck Riester, ministre. - Deux trilogues se tiendront le 26 novembre et le 13 décembre prochains. Je viens de rencontrer le vice-président de la Commission européenne et je dois, comme je l'évoquais à l'instant, dialoguer avec mes collègues allemandes. La France doit demeurer très mobilisée sur cette question. Dans le contexte de la révolution numérique, les droits voisins des éditeurs de presse doivent être reconnus, mais je ne dispose pas, pour l'heure, des éléments pris en compte par la négociation.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Je donne à présent la parole aux représentants des groupes, en commençant par David Assouline, qui représente également le Sénat au centre national du cinéma et de l'image animée (CNC).

M. David Assouline. - Je suis heureux que le nouveau ministre de la culture connaisse bien le secteur des médias. Entre l'année dernière jusqu'à l'année 2022, l'audiovisuel va connaître d'importantes coupes budgétaires, dans un contexte où les coûts des programmes sont de plus en plus élevés. Des économies sont conduites, alors que le nouveau cadre de l'audiovisuel public n'est pas encore défini. Pour tenir notre rang dans la compétition mondiale, face à l'internet et au secteur privé, il nous faut pourtant plus de moyens. En outre, la sanctuarisation de l'investissement de l'audiovisuel public dans la création et le maintien d'une information de qualité et d'un accès aux compétitions sportives sont nécessaires. Une telle baisse budgétaire est un très mauvais signe ! Pourquoi, alors que nous étions parvenus à un consensus, avec l'indexation de la contribution à l'audiovisuel public sur l'inflation, retirer le fruit de cette augmentation de deux euros aux dotations de l'audiovisuel public ? L'évolution de l'affectation de la taxe sur les opérateurs de communications électroniques (TOCE) s'inscrit à l'encontre de son principe fondateur. Enfin, comment les parlementaires pourront-ils être associés, en amont, à la préparation du projet de loi qui doit être finalisé en janvier prochain ?

M. Pierre Ouzoulias. - Le groupe Mondadori France risque d'être racheté par un groupe dont le modèle économique ne concourt guère au développement du pluralisme dans la presse. Conformément aux dispositions de l'article 72 du code général des impôts (CGI), les industries de presse doivent participer à la diffusion de la pensée, de l'information, de l'éducation, de la récréation du public. On s'éloigne ainsi de cette exigence. Le Gouvernement devrait porter un regard plus attentif sur la qualité de l'information en encourageant la presse à respecter la déontologie des journalistes. Comment conditionner les aides publiques à la presse et aboutir au respect d'une charte de qualité permettant de lutter contre les fausses informations et de renforcer le respect du pluralisme de l'information ? Cette démarche s'inscrit dans la continuité de la réforme de la loi Bichet qui vise à conforter la liberté de conscience via la liberté de la presse.

M. André Gattolin. - Ma question portera sur le financement et l'économie de l'audiovisuel public. 4,2 millions de foyers, bientôt 4,5 millions, vont être dégrevés de la CAP. L'État devra compenser ce manque à gagner. Le niveau et la nature des dégrèvements ne sont-ils pas trop élevés ? La redevance universelle n'existera pas, puisqu'elle sera compensée par le budget de l'État et, donc, par les contribuables. Par ailleurs, le rapport déposé par Aurore Bergé et Pierre-Yves Bournazel préconise la suppression de la publicité sur Radio France et son maintien sur France Télévisions. Or, à la radio, le volume de recettes tiré de la publicité est déjà plafonné. A l'inverse de la télévision, la radio ne dispose pas non plus de droits sur ses productions, faute d'un marché de revente. Le contingentement en volume ou en temps de publicité doit-il être plutôt privilégié pour garantir à Radio France plus de revenus ? Quel est votre point de vue sur les propositions de ce rapport ?

M. Jean-Raymond Hugonet. - Nous avons auditionné Sybile Veil sur les travaux engagés sur le site de Radio France. Personne n'est en capacité de donner un chiffre réel, à l'exception du chiffre du contrat d'objectifs et de moyens (COM) qui n'est, au final, qu'indicatif.

M. Franck Riester, ministre. - Le chiffre que je vous ai donné excède déjà de 20 % celui du COM.

M. Jean-Raymond Hugonet. - Il faut faire preuve de prudence. Je souhaitais obtenir la confirmation que ces dépassements seront financièrement assumés par l'État.

Mme Claudine Lepage. - Je ne peux que déplorer la baisse des crédits de France Médias Monde et de TV5 Monde en contradiction avec la volonté exprimée par le Président de la République de développer la francophonie. Pouvez-vous d'ores et déjà nous indiquer les conséquences de la réforme du financement de l'audiovisuel public sur l'audiovisuel extérieur ?

M. Jean-Pierre Leleux. - La commission de la culture soutient, tout comme vous, le crédit d'impôt spectacle vivant. Néanmoins, un amendement à l'Assemblée nationale modifie les critères d'éligibilité des artistes du spectacle vivant, sans qu'aucune évaluation n'ait été, au préalable, conduite. Quelle est votre position sur cette démarche qui semble faire fi de l'évaluation de ce dispositif que vous appelez de vos voeux ?

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Nous avons ensemble vécu la naissance de CFII, devenu par la suite France 24. Alors que les autres grands pays consacrent davantage de moyens à leur audiovisuel extérieur, la France est le seul pays du monde à diminuer les moyens de son opérateur international, France Médias monde, qui devra faire face à déficit prévisionnel de trois millions d'euros susceptible d'atteindre, en 2022, 11 millions d'euros. Nous devons accompagner France Médias Monde dans son développement en Afrique et en Amérique latine. Accepteriez-vous que cet opérateur bénéficie de l'aide publique au développement, à l'instar de la BBC au Royaume-Uni ?

M. Franck Riester, ministre. - La prochaine loi devrait être finalisée au début de l'année prochaine. Je veux qu'on avance. Alors que nous en sommes aux travaux préparatoires, je veux associer, en amont, les parlementaires à la rédaction de la loi. La méthode en sera précisée ultérieurement.

Mon ambition pour l'audiovisuel public est réelle. La réforme proposée par ma prédécesseur visait à accroître la place du numérique, les contenus pour la jeunesse ainsi qu'une sanctuarisation des financements de la création. Cet audiovisuel doit s'adapter aux nouveaux usages issus la révolution numérique, à l'instar des autres groupes européens. De réels progrès ont d'ores et déjà été réalisés. Nous aurons à conduire, ensemble, la réforme du financement de l'audiovisuel public : à terme, sans perturber les équilibres économiques de ses entreprises, il faudra sanctuariser également les financements des opérateurs privés, qui soutiennent la création et doivent proposer au public des programmes de qualité. La fiscalité, notamment la taxe d'habitation sur laquelle est adossé le financement de l'audiovisuel public et la Taxe dite Copé, devra être remise à plat dans les trois années qui viennent. Ces entreprises doivent être transformées en profondeur pour leur permettre de répondre aux enjeux de l'audiovisuel à l'ère numérique.

La liberté et le pluralisme de la presse sont essentiels, tout comme la liberté des journalistes. La réponse est multiple : la création d'un conseil de déontologie, sur laquelle Emmanuel Hoog réfléchit actuellement, l'évaluation de la « loi relative à l'indépendance des rédactions, dite Bloche », ainsi que les propositions d'organismes comme Reporters sans frontières. L'auto-régulation et les dispositifs innovants doivent être pris en compte. Les aides à la presse ne seront versées sur le temps long qu'à la condition que les entreprises bénéficiaires respectent les bonnes pratiques. Il nous faut arrêter une vision commune de l'audiovisuel, en s'appuyant sur les efforts importants déjà réalisés et en confortant les équilibres actuels. La nouvelle législation sur l'audiovisuel public doit s'inscrire sur le temps long, en travaillant sur des financements pluriannuels.

Le financement des travaux de Radio France se fera hors-budget 2019.

J'étais à Abu Dhabi pour soutenir le travail de l'Agence France-Muséum qui a oeuvré pour la création du nouveau Louvre. Cependant, hormis TV5 Monde, la présence audiovisuelle de la France y est limitée. Les Pouvoirs publics, parlementaires compris, doivent forger une nouvelle ambition et préciser de nouveaux objectifs à l'audiovisuel extérieur de la France, en partenariat, le cas échéant, avec l'Agence française de développement. Une telle démarche relève des arbitrages interministériels, mais il faut envisager toutes les pistes pour assurer le financement de cet outil essentiel au rayonnement de la France.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - France Médias Monde, tout comme Arte, a conduit une réelle réforme de son fonctionnement, alors que sa dotation est en baisse. Le ministère de la culture a toute sa part à jouer dans l'évolution de ses missions. D'ailleurs, France 24 conduit un travail excellent depuis un an à Bogota, véritable tête de pont pour un rayonnement sur le continent américain.

Nous passons aux questions relatives à la mission culture et je salue notre collègue Vincent Eblé, président de la Commission des finances et rapporteur spécial de la mission.

Mme Sylvie Robert, rapporteure pour avis des crédits des programmes « Création et Transmission des savoirs et démocratisation de la culture ». - Grande est notre difficulté, comme parlementaires, à retracer les financements que nous avons votés ! Les documents budgétaires ne favorisent pas notre contrôle de l'action du Gouvernement et l'argument des crédits de gestion me semble peu convaincant. Avec une dotation prévue de 5 millions d'euros, le Centre national de la musique (CNM) ne verra jamais le jour, puisque sa création est estimée à 20 millions d'euros ! 10 millions d'euros me paraît plutôt une base réaliste pour amorcer un tel projet et permettre de mettre enfin sur pied l'observatoire qui nous fait défaut.

M. Franck Riester, ministre. - 5 millions d'euros représentent les besoins évalués pour le démarrage du CNM, et non son budget en année pleine.

Mme Sylvie Robert, rapporteure pour avis. - Dont acte. Nos réserves sur le pass culture sont connues : quelle sera la ventilation des 34 millions d'euros inscrits au budget à ce titre ? Quelle instance fera l'évaluation de l'expérimentation ? À combien s'élève la généralisation du pass culture, une fois passée son évaluation ?

M. Franck Riester, ministre. - Il n'est pas question de généraliser le pass culture sans être transparent sur les résultats de son expérimentation qui n'est pas encore lancée. Cette démarche est innovante et permet d'offrir, sur une application, des informations géolocalisées sur les offres et les pratiques culturelles de proximité. L'idée est d'associer des partenaires qui valoriseraient un service, sans le facturer à l'État. Ce pass permettra d'assurer l'accès à la culture pour les jeunes, voire d'autres personnes à l'avenir. Cette offre culturelle viendra au terme d'un parcours éducatif ambitieux dans ce pays.

Mme Sylvie Robert, rapporteure pour avis. - Comptez-vous réformer le statut des enseignants des écoles d'art territoriales en vous inspirant de celui des enseignants des écoles d'art nationales ? Comment les 800 000 euros annoncés seront-ils répartis entre les différentes écoles d'art territoriales ? Cette réforme doit débuter dès à présent !

M. Franck Riester, ministre. - Il faut en effet traiter ces enseignants de la manière la plus équitable possible. Cette réforme doit intervenir au terme d'une réelle concertation.

Mme Sylvie Robert, rapporteure pour avis. - Des amendements ont été déposés lors de l'examen du projet de loi de finances à l'Assemblée nationale, qui tendaient à restreindre les crédits d'impôt dont le spectacle vivant, les productions phonographiques et audiovisuelles sont bénéficiaires. Nous espérons, au Sénat, que ces amendements ne seront pas adoptés !

M. Franck Riester, ministre. - Nous travaillons à la pérennisation du dispositif du crédit d'impôt phonographique bien au-delà de 2019 et allons proposer des sous-amendements en ce sens. Quant au dispositif concernant le spectacle vivant, il doit être mieux piloté. Pour autant, il s'agit d'une bonne dépense fiscale.

M. Philippe Nachbar, rapporteur pour avis des crédits du programme « Patrimoines ». - J'ai peu connu de budget pour le programme 175 aussi satisfaisant ! Avez-vous la garantie que ce budget ne subira pas de régulation budgétaire, incluant les 21 millions d'euros en compensation de la TVA sur le loto du patrimoine qui vont abonder le budget ? Comment s'assurer que les crédits soient bel et bien consommés ? Le loto du patrimoine est-il voué à être pérennisé ? Où en est la restauration du château de Villers-Cotterêts et son projet d'accueil du laboratoire international de la francophonie, estimés à 250 millions d'euros ?

M. Vincent Éblé, président de la commission des finances. - J'interviens ici comme rapporteur spécial des crédits de la mission culture au sein de la commission des finances. Si le loto du patrimoine n'impacte que marginalement les capacités publiques à accompagner les rénovations, il contribue à la mobilisation de la population en faveur de la rénovation du patrimoine. Nous souhaitons que l'accord entre Stéphane Bern et le ministre des comptes publics soit pérennisé, en raison de la modicité de son coût pour les finances publiques. Il serait dommage de perdre cette clientèle nouvelle motivée par la rénovation du patrimoine !

La rénovation du Grand Palais a fait débat ; les sommes en jeux étant considérées comme importantes, sans être pour autant mirobolantes. Elle est nécessaire, tant ce monument parisien est emblématique. Pour autant, le modèle économique et culturel de cette opération doit être interrogé : il ne faudrait pas que ces crédits, et plus largement ceux consacrés à la restauration de monuments emblématiques appartenant à l'État, conduisent à la consommation de disponibilités budgétaires destinées à accompagner d'autres propriétaires, comme les collectivités territoriales de taille modeste et les propriétaires privés. Même si l'on constate un retrait des collectivités ces dernières années, les régions se sont remises à contribuer au financement des travaux réalisés sur les monuments historiques.

Si les porteurs du projet de rénovation proposé par la Réunion des musées nationaux-Grand Palais nous ont fait part d'une contribution du programme des investissements d'avenir à hauteur de 160 millions d'euros, celle-ci n'a pas été identifiée par notre collègue Christine Lavarde, rapporteur spécial de la commission des finances. Pouvez-nous nous rassurer sur ce point ?

M. Franck Riester, ministre. - La sincérisation du budget de la culture, dont je vous remercie de saluer l'augmentation, est manifeste. L'accompagnement du patrimoine dans les petites communes est très important ; le fonds pour les petites communes, instauré par ma prédécesseur et doté de 15 millions d'euros, est conforté cette année. À travers la Fondation du patrimoine, les 21 millions d'euros complémentaires de fin de gestion seront utilisés au profit de ces collectivités. 50 % du patrimoine protégé se trouve dans les petites communes de moins de 2 000 habitants. L'État doit jouer son rôle aux côtés des départements et des régions. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle les DRAC se voient confier de nouveaux moyens. Le loto du patrimoine représente un bel outil de sensibilisation des Français à la restauration du patrimoine. Il a permis, au total, de dégager 41 millions d'euros pour le financement d'opérations de proximité. Il faut néanmoins s'assurer de la bonne consommation de ces crédits : faute de la finalisation de l'ensemble de leurs aspects financiers, certaines opérations doivent parfois être abandonnées. Les DRAC, en lien notamment avec la Fondation du patrimoine, travaillent sur la réorientation des crédits afin d'éviter, à terme, la régulation budgétaire. Ces dispositifs de financement doivent ainsi être rendus plus fluides.

Avant de pérenniser le loto du patrimoine, nous allons l'évaluer. Les règles qui régissent déjà la loterie nationale s'y appliquent.

Tout récemment, plusieurs personnalités du ministère de la culture ont été nommées : Sylviane Tarsot-Gillery, comme directrice générale de la création artistique, Philippe Barbat, comme directeur général du patrimoine, Paul de Sinety comme délégué général à la langue française et aux langues de France, ainsi que Chris Dercon, comme président de la Réunion des musées nationaux. Les 466 millions d'euros consacrés à la rénovation du Grand Palais comprennent 123 millions directement financés par le ministère de la culture, 150 millions par la RMN-Grand Palais à travers un emprunt, 160 millions d'euros de subventions exceptionnelles de l'État à travers le programme d'investissement d'avenir, 8 millions d'euros apporté par Universcience et 25 millions d'euros par le mécénat. Ce site est emblématique et permet de rendre des services autant culturels que sportifs ; son utilisation lors des Jeux olympiques et paralympiques de Paris en 2024 nous obligeant à respecter les délais de sa rénovation. Nous pourrions peut-être vous présenter, au cours d'une prochaine audition, les modifications du projet initial de rénovation du Grand Palais et sa mise en oeuvre par l'équipe de Chris Dercon.

Je me rendrai prochainement au Château de Villers-Cotterêts dont la restauration est divisée en deux parties distinctes : d'une part, la restauration pour 110 millions d'euros, assurée par le centre des monuments nationaux (CMN), du petit quadrilatère, qui accueillera le laboratoire de la langue française, dont le projet n'est pas encore finalisé, et, d'autre part, l'aménagement du grand quadrilatère qui est encore à l'état de réflexion. Le plan de financement de cette restauration doit être précisé.

Mme Sonia de la Provôté. - Un projet de réforme des conservatoires a été annoncé. Une grande partie des crédits a été fléchée vers le plan « chorales ». On ne peut diversifier les missions des conservatoires et demander sans cesse aux collectivités territoriales d'en assurer le financement, alors que l'aide de l'État enregistre une baisse drastique. Les arts visuels sont souvent cités, mais peu développés. Certaines structures oeuvrent pour cette filière, pourtant très présente dans les territoires avec le développement de tiers lieux et de collectifs artistiques, ne sont pas même évoquées dans le budget. Quelle est l'ambition de l'État dans ce domaine ? En outre, avez-vous une stratégie concernant les maisons d'éducation à l'architecture et au patrimoine qui représentent un élément important de l'éducation artistique des enfants. Enfin, le patrimoine vernaculaire des petites communes n'a toujours pas été recensé. En l'absence de réserve parlementaire, qui accompagnait ces petits patrimoines, ce recensement relève désormais de l'urgence.

Mme Françoise Laborde, rapporteure pour avis des crédits du livre et des industries culturelles. - En ma qualité de présidente du groupe d'études sur les arts de la scène, de la rue et des festivals en région, je dois vous alerter sur la situation des cirques traditionnels : Gruss, Bouglione et Médrano. Trois ans après, ils n'ont toujours pas réussi à absorber les pertes liées aux baisses de fréquentation intervenues dans les semaines qui ont suivi les attentats et se trouvent encore dans une situation financière difficile. Le ministère entend-il les accompagner pour faire face à cette situation difficile ? Ces cirques s'étaient vus promettre une compensation, à chacun, de 300 000 euros qui n'a jamais été accordée. Ne serait-il pas opportun de les rendre éligibles au crédit d'impôt pour le spectacle vivant ?

M. Claude Malhuret. - Vous avez évoqué les territoires dans votre intervention. Or, ces dernières années, Paris a concentré 30 des 35 des principaux projets d'investissement culturels français. L'annonce de porter à 849 millions d'euros les crédits déconcentrés est une bonne nouvelle pour la décentralisation. Quels seront les moyens apportés à la mobilité des oeuvres et des collections des musées nationaux ? Envisagez-vous de renforcer la coopération internationale en matière de circulation des oeuvres d'art ? Disposez-vous d'informations sur les fractions de produits des taxes existantes - TOCE et taxe sur les GAFA - qui pourraient abonder le financement du futur CNM ? Par ailleurs, quels sont les partenaires identifiés qui doivent abonder jusqu'à 80 % du pass culture ? L'expérience italienne, qui a inspiré ce projet, affiche un bilan assez mitigé, avec des fraudes conséquentes. Quelles sont les garanties mises en oeuvre pour ne pas reproduire une telle situation ? Nous sommes tous attentifs à l'évolution de la loi Aillagon et au développement du mécénat d'entreprise. Les États-Unis comptent plus de 12 000 fondations, lorsque la France n'en a que six cent. Les marges de progression sont importantes : seuls 9 % des entreprises, surtout les plus grandes, ont mené des activités de mécénat en 2017. Pour les entreprises de taille intermédiaire, le plafond annuel, fixé à 0,5 % du chiffre d'affaires hors taxe, est considéré comme trop limitatif. Envisagez-vous de nouvelles mesures pour développer le mécénat culturel dans son ensemble ?

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Nous venons de rendre les conclusions d'une mission d'information sur le mécénat, présidé par Maryvonne Blondin et dont le rapporteur était Alain Schmitz. Je vous ai également adressé les conclusions d'un groupe de travail ad hoc, animé par notre collègue Jean-Raymond Hugonet, sur le pass culture.

M. Alain Schmitz. - Vous nous avez rassurés lors des questions d'actualité du 25 octobre dernier sur la pérennité du mécénat. La sanctuarisation était une priorité. En revanche, les dons aux associations par les particuliers se sont effondrés, après la suppression de l'impôt de solidarité sur la fortune et compte tenu de la mise en place prochaine du prélèvement à la source. La Fondation du patrimoine, spécialisée dans le sauvetage du patrimoine vernaculaire et de proximité, a constaté, pour la seule Île-de-France, une baisse très importante des dons. Si elle était anticipée, l'ampleur de cette chute a été, en revanche, une surprise. Quelles mesures pourriez-vous prendre pour limiter ce phénomène ?

M. Jean-Raymond Hugonet. - Il est louable de nous associer à la réflexion. La gestion du comité d'orientation du pass culture, où je représente le Sénat, s'est avérée surréaliste. Lors de la seconde réunion, le 25 juin dernier, nous appris la création d'une association de préfiguration dont le président n'a pu être auditionné par notre commission, en raison d'une annulation de dernière minute imposée par votre prédécesseur. Personne n'est capable de donner une indication précise sur l'affectation et l'origine des 34 millions d'euros ! Ce projet paraît, à ce stade, conduit dans une réelle opacité financière, alors qu'il est présenté comme un projet majeur du quinquennat. À l'inverse, l'irrigation culturelle du territoire et des pratiques amateurs est en recul de trois millions d'euros sur le budget 2019. Il y a là péril en la demeure !

M. Pierre Ouzoulias. - Nous avons travaillé de concert sur le loto du patrimoine. Si celui-ci venait à être pérennisé, les critères de sélection des sites devront être plus transparents. Par ailleurs, le budget des archives a été amputé à hauteur de 17,8 % environ. La philosophie de l'archivage a-t-elle évolué ? Si tel n'était pas le cas, cette économie sur le fonctionnement me paraît infondée. Enfin, le budget montre la volonté de conforter le travail des DRAC avec lesquelles les élus ont proposé l'intensification du dialogue. En revanche, la suppression de 50 ETP en administration centrale risque d'obérer la capacité de vos directions à influencer la définition des politiques publiques.

M. Laurent Lafon. - Les DRAC sont voués à être les interlocuteurs quotidiens des collectivités locales. Par ailleurs, votre prédécesseur avait missionné Philippe Bélaval sur la réorganisation des différentes instances en charge du patrimoine. Qu'adviendra-t-il des préconisations de son rapport ? En outre, le loto du patrimoine ne saurait répondre seul aux enjeux de la rénovation du patrimoine. D'autres mesures, comme l'entrée payante des églises fréquentées, permettrait de procurer de nouvelles ressources à l'entretien du patrimoine.

Mme Maryvonne Blondin. - À la suite des attentats en 2015, un fonds d'urgence destiné à accompagner les établissements dans la prise en charge des surcoûts de sécurité, a été créé. Ce fonds devrait être remplacé par une dotation de deux millions d'euros supplémentaires en 2019. Mais, une circulaire du ministre de l'intérieur, dite « circulaire Collomb », en mai dernier, laisse désormais à la discrétion des préfets les critères de définition du périmètre missionnel facturable. Une telle décision pèse sur les budgets d'organisation des événements et spectacles culturels, qui sont déjà dans une grande fragilité financière.

Le FONPEPS représente une aide continue à l'emploi votée en 2016 : parmi les mesures qu'il comprend, la mesure 6, relative aux groupements d'entreprises de la culture, ne me semble pas avoir été mise en oeuvre. Ce fonds devrait recevoir 22,5 millions d'euros en autorisations d'engagement et 9,59 millions d'euros en crédits de paiement en 2019. Pourrait-on en assouplir les critères d'emploi et l'ouvrir aux arts visuels ?

La loi Aillagon représente un outil exceptionnel susceptible d'être ajusté.

Quelles sont les actions et les moyens déployés en faveur de l'égalité entre les femmes et les hommes dans le secteur culturel ? Enfin, quelle est votre action vis-à-vis des langues de France qui représentent un patrimoine immatériel important ?

Mme Colette Mélot. - La lecture est délaissée et la fréquentation des médiathèques est en baisse. Quel est le bilan de la mise en oeuvre du plan bibliothèque, qui avait notamment proposé une amplitude horaire plus large ? Pour atténuer les inégalités entre collectivités, ne faudrait-il pas augmenter les crédits dédiés aux médiathèques ?

M. Jean-Pierre Leleux. - Lors de l'examen de la loi portant sur l'évolution du logement, de l'aménagement et du numérique (ELAN), nous avons eu un débat difficile à propos du rôle et des missions des architectes des bâtiments de France. Notre commission était acquise au maintien de l'avis conforme des architectes des bâtiments de France sur les projets d'urbanisme portant sur le patrimoine ancien. L'amendement en ce sens que nous avions déposé n'a pas été adopté. Ces architectes sont actuellement surchargés et ne peuvent répondre aux demandes qui leur sont adressées.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Les délégués régionaux de la Fondation du patrimoine m'ont alerté sur le manque de transparence quant aux critères de sélection des bâtiments retenus lors de la première édition du loto du patrimoine.

M. Franck Riester, ministre. - Vos questions illustrent la richesse du travail des parlementaires et leur connaissance des dossiers. Les conservatoires me tiennent à coeur. Mon expérience d'élu local sur ce sujet comme sur d'autres, m'a donné une sensibilité sur les politiques territoriales et les partenariats avec les élus, dont je connais les contraintes.

La décentralisation d'un certain nombre de décisions budgétaires et l'accompagnement du travail des DRAC, en lien avec les directions centrales qui ont un savoir-faire, me semblent prioritaires. Les partenariats avec les conservatoires sont importants. La redéfinition des critères de classement des conservatoires et des schémas d'orientation pédagogique nationaux et régionaux est en cours. L'amélioration de la situation des conservatoires passe aussi par une meilleure articulation des relations entre l'État et les collectivités territoriales.

Il faut innover au sujet des institutions d'art contemporain en région. Je crois, dans ce domaine, aux vertus de la différenciation et préconise la création de centres d'action culturelle modernisés, consacrés à la diversité des pratiques et des arts, répondant aux besoins exprimés sur les territoires. De tels lieux, qui reposent sur une multiplicité de financements, permettront de mieux irriguer la création artistique dans les territoires. L'État, dans le cadre de ses schémas d'organisation, essaiera d'accompagner ces bonnes pratiques.

L'architecture doit monter en puissance. Elle dépend bien du ministère de la culture, comme je l'ai rappelé lors de la remise du grand prix national d'architecture. Le patrimoine vernaculaire est très important et pourrait être associé aux bénéficiaires du loto du patrimoine.

Le versement exceptionnel aux trois cirques que vous avez mentionnés, Madame Laborde, interviendra, fin 2018, sur des crédits spécifiques en fin de gestion.

La circulation des oeuvres peut s'avérer critique. Lorsque certains musées, municipaux ou locaux, n'ont pas les moyens de sécurité nécessaires pour s'assurer, des expositions temporaires, sur une journée, peuvent être organisées. Il faut améliorer ce dispositif au niveau national. À l'échelle internationale, l'Agence-France Muséums dispose d'un plan d'exposition temporaire, sur quinze ans, en partenariat avec les grands musées français, auxquels s'ajoute le prêt d'oeuvres contre rétribution. Ce dispositif permet de faire connaître et financer la qualité exceptionnelle de notre ingénierie culturelle, tout en faisant circuler ces oeuvres dans des pays qui partagent avec nous ce souci de l'universalité de l'art.

Les Gafa doivent davantage contribuer au financement de la création et à l'exposition des contenus audiovisuels européens et français. Bruno Le Maire se bat pour obtenir, au niveau européen, la mise en place d'une fiscalité européenne sur le chiffre d'affaires des GAFA ; l'Allemagne s'y est engagée mais quelques États membres restent encore à convaincre. Il faudra réfléchir, dans l'avenir, à une participation accrue des GAFA à la diffusion de nos créations.

Le financement, le modèle économique, ainsi que la structure juridique du pass culture doivent être précisés. Son cadre doit être innovant et je veillerai à ce que ce dispositif soit conduit dans les règles.

J'assume nos choix politiques. À un moment donné, un budget s'oriente vers le soutien de certaines mesures au détriment d'autres.

Je souhaite que le mécénat soit pérennisé, ce qui n'empêche pas d'en revoir le pilotage et d'en assouplir les règles pour permettre aux petites et moyennes entreprises dans les territoires d'y participer davantage. Une envie de patrimoine est palpable en France depuis plusieurs années. Il faut trouver les dispositifs pour que sa restauration continue à avoir un sens.

Philippe Barbat, nouveau directeur général des patrimoines, est issu de l'administration des archives. Le chef du service des archives de France devrait prochainement être désigné. La fin de l'opération de Pierrefitte-sur-Seine explique, pour partie, cette baisse faciale du financement des archives dont les activités sont loin d'être considérées comme secondaires. Pour preuve, le grand mémorial des poilus, qui démontre l'ampleur de la grande collecte et de la numérisation des matricules conduits par les services des archives, dont celui des archives numériques en lien avec les archives départementales, pendant plus de quatre ans.

Il faudra optimiser l'organisation des services centraux de mon ministère afin de rendre encore plus efficace le travail de ses équipes. Je rencontre actuellement l'ensemble des organisations syndicales pour assurer un fonctionnement plus fluide de son administration.

Le rapport de Philippe Bélaval est en ligne et réaffirme le rôle du ministère de la culture dans la rénovation du patrimoine. Je reviendrai vers vous pour vous présenter les modalités de la réorganisation de la direction du patrimoine et de ses mesures.

Il faut d'abord évaluer le loto du patrimoine avant de le pérenniser. La gouvernance entre le clergé et l'État pour l'ouverture des cathédrales au public doit être reconsidérée. Il en va de l'avenir de ces bâtiments, autant cultuels que culturels.

La sécurisation des festivals et des spectacles vivants représente, depuis 2015, un surcoût pour les organisateurs de spectacle vivant et leurs différents partenaires. Le principe d'un accompagnement de l'État sera maintenu même si le fonds d'urgence disparaît.

Le FONPEPS, qui vise la pérennisation des emplois précaires, doit être davantage utilisé. Nous trouverons les voies et moyens, si besoin, d'augmenter la dotation de ce fonds, que l'État a abondé à hauteur de 10 millions d'euros au cours des quatre dernières années.

Je veux m'impliquer sur la francophonie et répondre aux besoins de langue française. Je reviendrai vous faire un point global sur cette thématique, une fois installé Paul de Sinéty et lancé le programme de Villers-Cotterêts.

Le plan bibliothèque ne peut passer que par un accompagnement des collectivités territoriales, au cas par cas. Les médiathèques et les bibliothèques, qui sont des lieux exceptionnels de travail, de sociabilité et de convivialité, sont incitées à s'ouvrir davantage, sans dogmatisme aucun.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - La réforme en profondeur de l'audiovisuel public, que nous attendons, a été abordée par le biais du budget. Or, des décisions antérieures à votre arrivée ont été prises. Lors du colloque que nous avons organisé le 12 juillet dernier, nous avons accueilli cinq présidents d'entreprises publiques audiovisuelles européennes et confronté notre vision de l'audiovisuel extérieur à la réalité internationale.

Comme vous, nous sommes attachés à un système pérenne. Nous avons été amèrement déçus par la loi Elan qui a annihilé tout le travail effectué, en bonne intelligence avec l'Assemblée nationale - comme en témoigne le vote de la loi relative à la liberté de la création, à l'architecture et au patrimoine (LCAP) - depuis ces trois dernières années sur la culture et le patrimoine. Nous aborderons à nouveau la situation des architectes des bâtiments de France et plus largement celle de l'architecture. Nous sommes tous des élus locaux, comme vous l'êtes encore. La règle des 1,2 % rend difficile, pour les collectivités territoriales le maintien d'un effort soutenu en faveur du patrimoine et de la culture. Cette réalité doit être prise en compte. Nous sommes, en revanche, rassurés par votre souhait d'associer les parlementaires, avides de dialoguer avec vous pour améliorer le dispositif législatif.

M. Franck Riester, ministre. - Je vous remercie de la qualité de votre accueil. J'ai demandé à mes collaborateurs de recenser l'ensemble des différents rapports parlementaires de ces cinq dernières années, sur les thématiques relevant de ma compétence, afin de m'en inspirer.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 20 heures.