Mardi 9 avril 2013

- Présidence de Philippe Marini, président -

Audition de M. Dominique Lefebvre, député, co-auteur du rapport au Premier ministre « Dynamiser l'épargne financière des ménages pour financer l'investissement et la compétitivité »

La commission procède à l'audition de M. Dominique Lefebvre, député, auteur avec Mme Karine Berger, députée, du rapport au Premier ministre « Dynamiser l'épargne financière des ménages pour financer l'investissement et la compétitivité ».

M. Philippe Marini, président. - Nous accueillons M. Dominique Lefebvre, député du Val d'Oise, co-auteur avec Mme Karine Berger - députée des Hautes-Alpes - d'un rapport au Premier ministre intitulé « Dynamiser l'épargne financière des ménages pour financer l'investissement et la compétitivité ».

Dans sa lettre de mission, en date du 9 octobre 2012, le Premier ministre soulignait la nécessité de faire davantage contribuer l'épargne financière au financement à long terme de l'économie, alors même que les réformes prudentielles et de normalisation comptable en cours vont se traduire par des contraintes supplémentaires sur les banques et les assurances. Le Premier ministre soulignait également le peu de lisibilité et l'efficacité discutable des nombreux régimes fiscaux existants.

Simultanément, le Gouvernement choisissait, en loi de finances pour 2013, d'aligner la fiscalité des revenus patrimoniaux sur celle des revenus du travail et d'augmenter les plafonds des livrets d'épargne réglementés.

Vos travaux, très attendus, se sont déroulés dans une période de forte contrainte économique et budgétaire. Vous les avez néanmoins menés à bien et avez remis votre rapport au Premier ministre le 2 avril dernier. La commission est heureuse d'entendre vos conclusions et les réformes, réglementaires ou fiscales, qui vous semblent utiles.

M. Dominique Lefebvre, député. - Merci de votre invitation ; veuillez excuser Karine Berger, qui est en déplacement en Australie. Notre rapport a été remis au Premier ministre puis présenté à la commission des finances de l'Assemblée nationale la semaine dernière. Le communiqué du Gouvernement indique que certaines mesures seront intégrées dans la prochaine loi de finances. J'ai toutefois insisté auprès des ministres sur la nécessité de préciser rapidement certaines propositions sensibles.

Ne disposant pas des moyens des administrations et des cabinets, Karine Berger et moi avons choisi de nous focaliser sur une analyse et une logique politiques. Nous avons organisé plus de 150 heures d'audition, afin de comprendre l'état d'esprit de nos interlocuteurs. Au final, le rapport comporte dix recommandations et quinze propositions.

La première de nos recommandations est de poursuivre la politique de redressement des finances publiques et de réduction de la dette, car on ne peut imaginer mieux orienter l'épargne des Français vers les entreprises si celle-ci est excessivement mobilisée vers le financement de la dette. Le financement des entreprises suppose de restaurer leur taux de marge, car l'autofinancement reste la première manière de se financer. Mais tel n'était pas l'objet de nos travaux et je vous renvoie, sur ce point, au rapport de Louis Gallois.

En revanche, notre rapport évalue le besoin de financement de l'économie française à 100 milliards d'euros sur les quatre années à venir, dont 20 à 25 milliards pour les petites et moyennes entreprises (PME) : c'est à la fois beaucoup et peu... Les grandes entreprises n'ont pas de problème de financement, nous ont dit aussi bien le mouvement des entreprises de France (Medef) que l'Association française des entreprises privées (Afep), mais plutôt de nationalité du capital. En effet, 45 % du capital des entreprises du CAC 40 est détenu par des non-résidents. Pour le reste, les grandes entreprises bénéficient à la fois des taux bas des obligations d'Etat et d'une facilité d'accès au marché obligataire, c'est-à-dire d'un mouvement de désintermédiation.

Il en va autrement pour les PME. Selon le rapport de l'Observatoire du financement des entreprises, celles-ci ne connaissent pas de problème de financement global à l'instant t - sans que l'on sache si cela découle d'une anticipation négative des chefs d'entreprise ni si le système intermédié sera apte à réagir quand la croissance reviendra.

L'épargne des ménages français est importante. Leur patrimoine s'élève à 10 000 milliards d'euros nets, dont 3 600 milliards d'épargne financière. On note une préférence pour l'immobilier : il est vrai que lorsque le produit intérieur brut (PIB) augmente de 40 %, l'épargne financière augmente de 50 % et le patrimoine immobilier de 150 %, notamment à cause d'un effet prix. Rien ne sert de vouloir modifier la répartition entre ces deux types d'épargne si les 3 600 milliards d'euros d'épargne financière suffisent pour répondre aux besoins de l'économie. Il n'est pas non plus question d'inciter les ménages français à épargner davantage en période de croissance atone, le Gouvernement cherchant d'ailleurs plutôt à inciter les Français à consommer pour soutenir l'activité.

Reste l'épargne réglementée, qui a fait l'objet d'un débat : l'exonération fiscale totale pour ce placement liquide ne favorise pas la prise de risque. Cela dit, il est bon de rappeler que sur les trente dernières années, la part de l'épargne réglementée est passée de 30 % à 15 % de l'épargne financière totale tandis que, sur la même période, la part de l'assurance-vie a fortement augmenté, passant de 5 % à 40 % (15 milliards d'euros en 1980, 1 500 milliards aujourd'hui). Alors certes, les banques et les assureurs-vie nous ont expliqué que le doublement du plafond du livret A bénéficiera davantage aux ménages aisés. Néanmoins, considérant que le livret A et les contrats d'assurance-vie en euros ont, en réalité, la même stabilité et la même liquidité, Karine Berger et moi n'avons pas jugé opportun de critiquer les mesures prises en 2012 - il ne s'agit finalement que d'une « histoire de tuyaux ». De toute façon, je rappelle que le surcroît d'épargne réglementée venant de ce changement de plafond, soit une trentaine de milliards d'euros, doit être rapidement investi dans des programmes d'infrastructures ou en appui de la Banque publique d'investissement (BPI) ou de la Caisse des dépôts et consignations (CDC).

De manière plus générale, nous avons délibérément choisi de partir de la réalité du paysage français de l'épargne. Bien sûr, certains pourraient souhaiter un changement radical, avec moins d'intermédiation et plus de recours au marché, comme aux Etats-Unis. Bien sûr, d'autres peuvent regretter une culture du risque insuffisante ou encore invoquer la fiscalité. Cependant, de manière réaliste, nous n'avons pas les moyens de revenir sur les mesures de barémisation ou d'instaurer un prélèvement libératoire pour l'épargne longue. De même, dans la conjoncture économique et budgétaire, il ne serait pas opportun de proposer d'engager une grande réforme, au risque de déstabiliser le système actuel sans rien régler. C'est pourquoi, afin que notre rapport soit vraiment utile et exploitable, nous avons choisi de proposer des mesures pragmatiques.

Dans cette optique, nous nous sommes tournés vers l'assurance-vie pour d'évidentes raisons de masse financière.

En premier lieu, nous avons souligné que le système intermédié est contraint par les normes comptables et prudentielles, Bâle III et Solvabilité II. Le bon sens veut qu'avant d'envisager des incitations fiscales, nous regardions si la réglementation est adaptée. Or l'application de Bâle III fait débat. Les banques, qui ont un problème de bilan, souhaiteraient pouvoir commercialiser un produit concurrentiel de l'assurance-vie pour retrouver l'équilibre mais nous n'avons pas souhaité les suivre dans cette logique en raison du risque de déstabilisation de l'assurance-vie - d'où la nécessité d'une négociation sur les normes prudentielles. A cet égard - paradoxe fréquent - les assureurs, qui ont milité pour une réglementation européenne, sont aujourd'hui les premiers à protester, estimant qu'elle entrave leur capacité à financer l'économie. De fait, ces normes obligent les assureurs à adosser les primes à des actifs liquides : on préfère donc des obligations grecques à des actions d'entreprise. Solvabilité II impose de pouvoir rembourser 1 200 milliards d'euros de primes à un an : il faut reconnaître que c'est aberrant.

En deuxième lieu, s'agissant de la fiscalité, j'observe que la réduction de l'avantage fiscal au fil des années n'a pas empêché le maintien d'un important flux d'épargne vers l'assurance-vie. A l'inverse, l'épargne salariale et l'épargne retraite, qui coûtent chacune 2 milliards d'euros en dépense fiscale, ne se sont guère développées... Pour ce qui concerne la légitimité de l'imposition réduite de l'assurance-vie, est-il normal de pouvoir ouvrir un contrat avec 100 euros puis, huit ans plus tard, quand l'avantage fiscal est à son maximum, y déposer 100 000 euros ? Clairement non. Pour autant, « démonter » l'assurance-vie poserait un problème à la fois économique et politique, d'une part, parce qu'elle finance en partie notre économie et d'autre part, parce que l'on recense 20 millions de contrats pour 17 millions de ménages... 

En troisième lieu, s'agissant de l'allocation des actifs de l'assurance-vie, notre rapport montre qu'il conviendrait de bouger des curseurs afin de l'optimiser : moins de 5 % des quelque 1 500 milliards d'encours sont investis en actions françaises, sachant que la durée moyenne des contrats est de huit à douze ans.

Que faire une fois ce constat dressé ? Pour ne pas entamer la confiance des épargnants, nous ne proposons pas de remise en cause du régime fiscal, même si elle pourrait se justifier, les contrats d'assurance-vie en euros, garantis à tout moment, représentant les trois quarts des encours, avec seulement 70 milliards d'euros d'actions pour 1 200 milliards d'euros d'encours. Nous préconisons plutôt de créer un nouveau contrat « Euro-Croissance », tirant les conséquences de l'échec du contrat « DSK ». L'assureur prendrait peu de risque, car le capital serait garanti à la fin du contrat. Ces nouveaux contrats permettraient d'investir davantage en actions, tout en étant cohérents avec les normes prudentielles et avec la durée moyenne de placement. Afin de dynamiser la mesure, nous proposons, dans la lignée de l'amendement Fourgous sur les contrats multi-supports, que les primes sur les contrats en euros puissent être transférées sur des contrats Euro-Croissance sans perdre l'avantage fiscal. Nous faisons le pari que les épargnants opteront pour ces produits offrant un taux de rendement plus élevé. En tout cas, les assureurs sont prêts à jouer le jeu, car ils ont de plus en plus de mal à servir le rendement annoncé aux épargnants. Pour l'heure, ils bénéficient de la faiblesse des taux des obligations d'État, mais une remontée des taux entraînerait un séisme dans l'assurance-vie ; le contrat Euro-Croissance aurait l'avantage de répondre à ce problème systémique.

En somme, notre rapport est une sorte de contrat d'assurance-vie... pour les assureurs ! La Fédération française des sociétés d'assurance (FFSA) est toutefois réticente, car elle a du mal à accepter l'idée d'une distinction entre « riches » et « pauvres » dans l'assurance-vie. Pour notre part, nous proposons qu'au-delà de 600 000 euros d'encours, l'avantage fiscal sur les successions soit réservé non seulement aux contrats en unités de compte mais aussi aux contrats « Euro-Croissance ». Une telle mesure pourrait avoir des effets puissants car, si les 10 % des ménages les plus riches concentrent 25 % des revenus et 80 % du patrimoine, en matière d'assurance-vie, 1 % des ménages concentre un tiers des encours. Jusqu'au neuvième décile, les contrats sont en moyenne de 50 000 euros ; dans le dernier centile, ils vont jusqu'à 600 000 euros. Je suis sidéré d'entendre certains prétendre qu'en faisant cela, on favoriserait la fuite des pluri-patrimoines, et qu'il ne faut surtout pas toucher à l'assurance-vie sinon pour desserrer les normes prudentielles !

A côté de cela, nous proposons quelques mesures d'intérêt public, à commencer par le fichier central des contrats d'assurance, auquel la Fédération française des sociétés d'assurances (FFSA) a dit son opposition.

Les PME privilégient l'autofinancement, selon le président de la Confédération générale des petites et moyennes entreprises (CGPME), qui prône un impôt sur les sociétés spécifique, un « IS-PME », malheureusement impossible à mettre en place du fait de la situation budgétaire. Le principal problème vient du fait que les chefs d'entreprise ne veulent pas perdre le contrôle de leur entreprise en faisant appel au marché. D'où notre proposition de nous inspirer du droit allemand des actionnaires minoritaires, qui permettrait aux dirigeants de PME d'adosser leur entreprise à un grand groupe tout en restant en place.

La crise de confiance existe aussi entre les intermédiaires financiers et le secteur du capital-investissement. « Les assureurs se sont retirés, les intermédiaires ne nous aident pas », entend-on ; « les frais de gestion sont trop importants et les rendements insuffisants », disent les assureurs. Un rapport de l'Inspection générale des finances de 2010, jamais rendu public, balayait l'ensemble de l'épargne financière, dressant des constats sévères sur les fonds d'investissement de proximité (FIP) et les fonds communs de placement dans l'innovation (FCPI). Nous prenons acte de l'engagement de stabilité fiscale du Président de la République mais nous incitons à ne pas prévoir, à l'avenir, d'avantage fiscal à l'entrée. En outre, nous proposons des mesures afin que les assureurs puissent investir sur de plus longues durées.

Enfin, pour ce qui concerne l'immobilier, les assureurs-vie nous ont dit être prêts à investir dans le logement, à condition que la rentabilité ne soit pas inférieure à 4 % ; face à cela, les professionnels du secteur doivent être capables de proposer de tels produits.

M. Philippe Marini, président. - Merci pour cette synthèse. Je pense que le rapporteur général a des questions à vous poser.

M. François Marc, rapporteur général. - Je salue la performance de M. Lefebvre et Mme Berger, dont les propositions utiles ont vocation à prospérer, à fructifier avec les bourgeons de printemps. La lettre de mission du Premier ministre enserrait d'office leur mission dans nombre de contraintes : répondre aux besoins des épargnants, poursuivre les réformes engagées en loi de finances pour 2013, assurer une meilleure justice fiscale, s'inscrire dans un contexte de redressement des finances publiques en limitant la dépense fiscale, éviter le morcellement des produits, améliorer la lisibilité de la fiscalité... Ce n'était pas simple, mais vous avez su cheminer entre les récifs.

Le contrat « Euro-Croissance » dont vous proposez la création doit permettre à l'assureur d'effectuer des placements plus risqués, notamment en fonds propres de PME, tout en maintenant une garantie du capital investi mais seulement à terme. C'est une gageure. Comment inciter les épargnants à se tourner vers ce type de contrat, alors qu'en dessous de 500 000 euros d'encours - ou 600 000, comme vous l'avez indiqué à notre commission -, par ménage, l'avantage fiscal n'est pas plus élevé que pour les contrats en euros ? Comment avez-vous déterminé ce seuil ? Sera-t-il identique pour un célibataire et pour un couple ? Comment pourra-t-on consolider les différents contrats détenus par un ménage ? Seul 1 % des ménages sont concernés, dites-vous. Cela suffira-t-il à réorienter un volume d'épargne suffisant pour contribuer significativement au financement de l'économie ? En l'état actuel des conditions de marché, les assureurs restent très « liquides » et attendent que les taux d'intérêt remontent pour s'engager de façon plus déterminée dans la réallocation des moyens. Face à cette réticence, en quoi ce produit est-il incitatif ?

Quid de l'orientation d'une fraction des encours des contrats d'assurance-vie vers l'immobilier ? Avez-vous exploré cette piste, que le Gouvernement avait évoquée ?

En revanche vous prônez de pousser plus avant la négociation internationale sur les règles prudentielles et comptables qui pèsent sur les banquiers et les assureurs. Font-elles, selon vous, obstacle à la réorientation de l'épargne ? Seraient-elles de nature à limiter l'efficacité du nouveau contrat Euro-Croissance ? A-t-on identifié des goulots d'étranglement ?

De combien pensez-vous allonger la durée exigée pour bénéficier de l'avantage fiscal ? Il faut tenir compte de la durée effective de placement et de la maturité des titres, dites-vous. Selon quelles modalités ?

Quelle sera la fonction du fichier national des contrats d'assurance dont vous souhaitez la création ? S'agira-t-il d'améliorer le traitement des contrats non réclamés - et de faire remonter les fonds ainsi disponibles ?

Le nouveau type de plan d'épargne en actions (PEA), davantage orienté vers les PME, que vous préconisez ouvrirait-il droit à des avantages calqués sur ceux de l'actuel PEA ? Quel serait le public visé, ce nouveau produit étant a priori plus contraignant et plus risqué?

Vous proposez de budgétiser les dispositifs de défiscalisation outre-mer ou de leur substituer un mécanisme de crédit d'impôt. Avez-vous recueilli l'avis du ministère des outre-mer et du ministère des finances ? Cette proposition préfigure-t-elle les préconisations des rapports à venir sur le sujet ? Le crédit d'impôt ne fait-il pas courir le risque d'une année blanche pour les entreprises ultramarines ? Vous savez que le Sénat est sensible à ces questions !

M. Philippe Marini, président. - Permettez-moi d'ajouter trois brèves questions à celles du rapporteur général. Pensez-vous qu'au-delà de l'ancien plafond de 15 300 euros, le livret A mérite encore d'être qualifié d'outil d'épargne populaire ?

Par ailleurs, « le total de la dépense fiscale pour le soutien à divers dispositifs d'épargne s'élève à 11 milliards d'euros » écrivez-vous dans votre rapport. Vos propositions conduisent-elle à diminuer ce coût budgétaire ? Si oui, de combien ?

D'autre part, vous évoquez la mise en place d'un PEA-PME. Or la valorisation de PME non cotées étant complexe et fluctuante, les investissements ne correspondant pas à une vraie liquidité de marché, peut-il réellement s'agir d'un outil de placement du type PEA ? Comment surmontez-vous la contrainte de non-liquidité ?

Enfin, votre proposition de renforcer les droits des actionnaires minoritaires après adossement d'une PME à un groupe ou après investissement d'un fonds de capital-investissement n'entraîne-t-elle pas une modification substantielle du droit des sociétés ? En souhaitant à la fois drainer de l'argent mais conserver l'autonomie managériale, les dirigeants d'une catégorie d'entreprises ne veulent-ils pas le beurre et l'argent du beurre ?

M. Dominique Lefebvre. - Je ne répondrai peut-être pas dans l'ordre des questions... Nous ne pouvions ignorer l'outre-mer en raison du caractère très favorable du mécanisme de défiscalisation de l'épargne. La formule que nous avons retenue ne gênait ni Bercy ni le ministère des outre-mer. Je participe au comité de pilotage et au groupe de travail sur ce sujet, qui devrait rendre ses conclusions d'ici deux mois. Faut-il rebudgétiser tout ou partie sur le logement social ? Des hypothèses sont sur la table, elles seront discutées. La question du crédit d'impôt est également au menu ; en tout état de cause, il n'y aura pas d'année blanche, le Gouvernement s'est engagé à travailler à enveloppe constante.

Le PEA-PME, qui figurait déjà dans le rapport Gallois, est en discussion interministérielle et sera évoqué lors des Assises de l'entreprenariat. Ne pouvant compter sur un investissement direct des ménages dans les PME, risqué et peu liquide, nous proposons d'autoriser des fonds à investir, en ciblant les entreprises destinataires.

Comment motiver les souscripteurs de contrats d'assurance-vie à demander le transfert vers un contrat Euro-Croissance, moins liquide ? En donnant aux assureurs la possibilité d'offrir des rendements plus élevés. Il ne serait guère opportun de donner l'impression que l'on touche à la fiscalité de l'assurance-vie. Mais nous proposons de réserver l'avantage fiscal au-delà d'un niveau d'encours par ménage, en laissant au Gouvernement le soin de fixer le seuil au terme des discussions qu'il conduira avec les acteurs. Le chiffre de 500 000 euros cible les contrats les plus élevés. On attend de ces deux mesures respectivement 20 milliards d'euros et 50 milliards d'euros de placements en actions.

Le contrat Euro-Croissance est un produit intéressant, il offre à l'épargnant une garantie à terme et aux assureurs une possibilité de rendement supérieur. Nous n'avons pas trouvé mieux.

Nous n'avons pas suggéré au Gouvernement de revenir sur les avantages fiscaux existants, d'une part parce que l'assurance-vie est un contrat de confiance, d'autre part parce que nous avons compris, lors de l'audition de l'Association française d'épargne et de retraite (AFER), la puissance de feu du secteur... N'allons pas créer une crise.

M. Philippe Marini, président. - Cela paraît plus sage.

M. Dominique Lefebvre. - Cette mission nous a été confiée car ce point n'avait pas été arbitré dans la loi de finances pour 2013 et qu'il y avait une proposition assez bouleversante, systémique, qui pouvait être source de rendement budgétaire pour l'État - au moins 3 milliards de recettes fiscales. Toutefois, la question que le Premier ministre nous a posée, à Karine Berger et moi, était celle du financement de l'économie, pas celle des économies budgétaires. La question du régime successoral est évidemment sensible car elle concerne les plus hauts patrimoines - qui sont les plus mobiles.

L'immobilier ? Nous proposons que dans les contrats Euro-Croissance ou en unités de compte, pour les plus hauts revenus, l'avantage fiscal soit conditionné à l'existence de compartiments. Cela pourrait donc aussi concerner l'immobilier même si nous n'avons pas donné de chiffre précis dans notre rapport.

Dès qu'on aborde ce type de raisonnement, les assureurs soulignent que la réglementation européenne interdit de leur imposer l'allocation de leurs actifs. Nous pouvons néanmoins utiliser le levier fiscal. Je relève d'ailleurs que les assureurs tiennent d'ailleurs parfois un discours contradictoire : ainsi, récemment, j'ai fait observer à l'un d'entre eux, qui en appelait à une fiscalité plus favorable au risque, que les assurances-vie en euros, en euros diversifié ou en unité de compte étaient soumises à une fiscalité identique qu'alors qu'elles ne présentaient nullement le même niveau de risque pour l'épargnant.

M. Philippe Marini, président. - Eh oui...

M. Dominique Lefebvre. - On entend l'argument selon lequel les titulaires de contrats les plus importants seraient des chefs d'entreprises achevant leur vie professionnelle, auxquels il ne serait pas raisonnable de demander une prise de risques. Mais l'Euro-Croissance n'est pas si risqué. Surtout, si les plus gros épargnants ne veulent pas prendre de risques, il y a de quoi s'inquiéter. Qui en prendra ? Le petit épargnant ? Le débat portera précisément sur cette question de savoir s'il doit s'agir d'une mesure générale.

Néanmoins, il est vrai que les normes prudentielles sont excessives en ce qu'elles exigent de garantir la liquidité d'un portefeuille à un an, alors que la durée moyenne du placement est de dix ans. De même, pour les normes comptables, la valeur de marché pose problème. Dans les règles qui ont été adoptées, tout incite les intermédiaires à privilégier des placements plus liquides. On nous a confié que le problème était l'opposition des assureurs - alors qu'à l'origine, certains y étaient favorables. A la direction générale du Trésor, la négociation avec eux n'a peut-être pas été très bien menée...

M. Philippe Marini, président. - Direction générale du trésor qui est toujours la même...

M. Dominique Lefebvre. - Oui, et qui nous dit que les discussions communautaires n'ont pas été menées correctement. Une réglementation européenne inspirée de principes anglo-saxons s'applique désormais au système français. De même, culturellement, l'immobilier n'a pas le même statut en France, au Royaume-Uni et en Espagne. Les comportements sont donc différents.

L'épargne financière en France correspond à des attentes spécifiques des Français. Attentes diverses : le chef d'entreprise veut rester maître dans son entreprise, les ménages veulent des placements liquides et peu risqués. Certains tiennent un discours en faveur de la désintermédiation. Christian Noyer, gouverneur de la Banque de France, estime que la crise empêche les intermédiaires de faire correctement leur métier et qu'il conviendrait par conséquent d'aller vers davantage de désintermédiation. Ne serait-ce pas brûler les étapes, quand on ne sait même pas faire fonctionner l'intermédiation ?

L'alternative qui figure dans notre rapport est la suivante. Il est exclu de distinguer entre riches et pauvres, mais peut-être pourrions-nous imposer une durée plus longue aux plus gros contrats ? Cela aurait pour effet d'augmenter la capacité de placement. Reste que j'ai été très étonné d'entendre les assureurs affirmer, lors de la présentation du rapport à la FFSA, qu'ils ne trouvent pas suffisamment d'entreprises de croissance rentables ! Régler la question des normes prudentielles leur ôterait tout prétexte en faveur d'une gestion sans risque, mais il faut aussi qu'elles engagent le dialogue avec les fonds d'investissement. Les professionnels doivent aller chercher le rendement : s'ils continuent de n'offrir que des rendements à peine supérieur au livret A, le système ne fonctionnera pas. Comment font les fonds anglo-saxons pour dégager des niveaux de rentabilité de 8 à 10 % quand ils investissent dans des sociétés françaises ?

En conclusion, encore une fois, du fait de notre système de retraite par répartition, c'est l'assurance-vie qui joue dans notre pays le rôle des fonds de pension. C'est donc sur le levier qu'il faut agir en priorité.

M. Philippe Adnot. - Vos propos traduisent une évolution remarquable. J'avais moi-même déposé en 2003 un amendement tendant à affecter 6 milliards d'euros de l'assurance-vie au financement des entreprises non cotées, ce qui fut fait par Nicolas Sarkozy, alors ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, l'année suivante. Je trouve d'ailleurs intéressant de constater que vous rejoignez sa position...

Toutefois, tout cela n'aura d'efficacité que si le Gouvernement ne prend pas dans le même temps des mesures contradictoires, comme il le fait par exemple en empêchant les entreprises de taille intermédiaires (ETI) de déduire les frais financiers liés à leurs investissements.

Il faut aussi veiller à ce que les investisseurs soient intéressés à l'emploi de leur épargne, comme ils le sont lorsqu'ils investissent les sommes dues au titre de l'impôt sur la fortune (ISF). Mais que s'est-il passé pour les 6 milliards d'euros que j'ai évoqués ? Contrairement à l'objectif initial, les assureurs les ont utilisés pour des leverage buy-out (LBO), c'est à dire sans y intéresser les investisseurs. Je crains qu'il ne se produise la même chose avec ce que vous proposez.

Par ailleurs, lorsque vous évoquez la réorientation d'un montant de 100 milliards d'euros d'encours d'assurance-vie au bout de cinq ans, s'agit-il d'un montant annuel ou du cumul des cinq années ?

M. Dominique Lefebvre. - Du cumul des cinq années.

N'ayant jamais eu de vision caricaturale de la vie publique, je ne considère pas que tout ce qui a été fait par l'opposition soit mauvais. Je note toutefois que le contrat « NSK » a eu le même sort que le contrat « DSK »...

M. Philippe Adnot. - Comment pensez-vous faire en sorte que les investisseurs soient intéressés à leurs placements ?

M. Dominique Lefebvre. - La relance de l'économie ne saurait reposer sur les seuls moyens publics. Cela dit, au vu de notre histoire, il faut agir avec doigté. Ainsi, nous ne pouvons pas envisager de remettre en cause le régime d'exonération totale de l'épargne réglementée, auquel les Français sont très attachés, surtout dans le contexte actuel. Mais nous pouvons agir sur l'utilisation de cette épargne. Une partie a d'ailleurs déjà été dirigée vers les fonds d'épargne gérés par la banque publique d'investissement (BPI) et la Caisse des dépôts et consignations (CDC). La commission des finances de l'Assemblée nationale auditionnera d'ailleurs demain MM. Emmanuelli et Jouyet, respectivement président de la commission de surveillance et directeur général de la CDC, sur l'emploi de ce surcroît d'épargne de 30 milliards d'euros issu du doublement du plafond du livret A.

En somme, nous avons fait des propositions qui nous semblent pouvoir être comprises par les épargnants et acceptées par les assureurs avec lesquels nous avons débattu franchement. Bien sûr, certains voudront sans doute durcir le dispositif au cours du débat parlementaire. Face à eux, les compagnies d'assurances brandiront la menace des rachats, comme on agite une bouteille de nitroglycérine en faisant valoir qu'elle peut exploser. Mais j'espère qu'au terme du débat, la raison l'emportera.

En conclusion, l'assurance-vie représente 40 % de l'épargne financière des Français et je fais appel à la responsabilité des assureurs. Je leur explique qu'hors période de crise, j'aurais proposé des mesures systémiques, comme j'ai su le faire lorsque je travaillais avec Michel Rocard - nous avons créé la contribution sociale généralisée (CSG). La responsabilité du Gouvernement est aujourd'hui de faire appel au patriotisme économique des groupes d'assurance, en contrepartie d'une libération des contraintes liées aux normes et avec l'assurance de garantie sur dix ans de préservation de notre modèle d'assurance-vie. Tel est l'esprit de ce rapport.

M. Philippe Marini, président. - Je vous remercie.

Mercredi 10 avril 2013

- Présidence de Philippe Marini, président -

Conséquences des nouvelles règles de gouvernance budgétaire européennes sur la procédure nationale - Audition de MM. Julien Dubertret, directeur du budget, et Ramon Fernandez, directeur général du Trésor

Au cours d'une première séance tenue dans la matinée, la commission procède à l'audition de MM. Julien Dubertret, directeur du budget, et Ramon Fernandez, directeur général du Trésor, sur les conséquences des nouvelles règles de gouvernance budgétaire européennes sur la procédure nationale.

M. Philippe Marini, président. - Nous recevons MM. Dubertret et Fernandez pour les entendre sur les conséquences des nouvelles règles de gouvernance budgétaire européennes sur la procédure nationale. Cette séance est exceptionnelle car je ne crois pas que nous ayons eu l'occasion dans le passé de recevoir, ensemble, le directeur du budget et le directeur général du Trésor.

Nous souhaitons faire le point sur les implications concrètes des nouvelles règles de gouvernance budgétaire, conséquences de nos engagements européens. Le Six pack, le traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance (TSCG) et le Two pack appellent un effort de transposition. A nous de faire, désormais, le lien avec nos procédures nationales. Le Haut Conseil des finances publiques (HCFP) est aujourd'hui - puisqu'il s'est réuni ce matin en vue de son avis sur le projet de programme de stabilité - pleinement opérationnel. Nous aurons prochainement le débat sur le programme de stabilité, suivi d'un vote je l'espère. Cette procédure, que la France a mise en place de sa propre initiative, fonctionne depuis 2011 ; nous l'avions instaurée en raison de l'importance que revêtait à nos yeux le programme de stabilité : il contient nos engagements européens, qui doivent ensuite être déclinés dans les textes financiers. Notre commission des finances entend veiller à la cohérence de la démarche budgétaire avec ces engagements.

Quant à l'annonce du non-respect de l'objectif de 3 % de déficit nominal pour 2013, dans quelle procédure européenne s'inscrit-elle ? A quelles sanctions peut-elle nous exposer ? Un collectif budgétaire sera-t-il nécessaire pour en tirer les conséquences ? Si le ministre de l'économie et des finances et le ministre chargé du budget sont les seuls habilités à se prononcer sur ces questions, la multiplication des interventions ministérielles traduit le trouble qui s'est emparé des esprits.

Le Conseil européen du 14 mars a décidé que tous les travaux préparatoires devraient être accomplis afin que les règles de gouvernance budgétaires et macroéconomiques issues du Six pack, du TSCG et du Two pack soient effectivement appliquées dès le début des cycles budgétaires nationaux en 2013. Chez nous, les lettres de cadrage ont été adressées aux ministres : c'est donc dès maintenant qu'il nous faut tirer les conséquences du nouveau cadre juridique.

M. Ramon Fernandez, directeur général du Trésor. - Pourquoi a-t-on réformé, pour l'Europe entière et particulièrement pour la zone euro, les règles d'élaboration de nos politiques économiques et de gestion des finances publiques ? En mars 2010, le Conseil européen a constaté que les règles étaient inexistantes ou mal respectées ; il a confié mandat à son président, Herman Van Rompuy, pour trouver des remèdes. Deux années de travaux ont débouché sur l'adoption du « Semestre européen », puis du Six pack en décembre 2011, du Two pack en février 2013 et du TSCG entré en vigueur le 1er janvier de cette année. Ces textes renforcent la coordination entre les politiques économiques et budgétaires ; les nouvelles règles sont plus strictes mais s'appliquent aux agrégats structurels pour prendre en compte les aléas de la conjoncture. Les décisions, notamment les sanctions, seront désormais prises à la majorité qualifiée inversée : cela change tout !

La procédure pour déficit excessif comporte un volet préventif et un volet correctif, avec des cibles d'effort structurel budgétaire d'au moins 0,5 point de PIB par an et des critères d'accompagnement pour réduire la dette si celle-ci excède 60 % du PIB.

Le cadre budgétaire national est renforcé par l'introduction dans le droit national de règles d'équilibre structurel et de mécanismes de correction en cas de déviation significative par rapport à la trajectoire ; le Two pack reconnaît à la Commission européenne la faculté de demander aux autorités nationales un nouveau projet le budget si celui qui lui a été soumis n'est pas conforme aux engagements pris. Les pays doivent établir une programmation pluriannuelle des finances publiques et s'appuyer sur des prévisions macroéconomiques approuvées par un organisme indépendant - pour la France, ce sera le HCFP. Ainsi, est institué un cadre rigoureux pour les budgets nationaux.

Au-delà du champ des finances publiques, sont aussi mises en place de nouvelles procédures de réduction des déséquilibres macroéconomiques. Le solde des paiements courants, le déficit commercial, l'inflation, les taux d'intérêt et des éléments relatifs à l'existence de bulles d'actifs seront analysés afin d'évaluer la nécessité de mesures correctrices. En Espagne ou en Irlande, les déficits budgétaires et la dette publique étaient sous contrôle, mais d'autres déséquilibres se creusaient...

S'agissant du Semestre européen, il s'agit donc d'améliorer la surveillance budgétaire et de mieux coordonner les politiques de croissance, en prenant les décisions collectivement et en les appliquant. Avant le début de l'année civile, dans son examen annuel de croissance (EAC), la Commission définit de grandes priorités sur la base desquelles, en mars, le Conseil des ministres de l'économie et des finances puis le Conseil européen arrêtent des orientations générales. En avril, sont transmis à la Commission les programmes de stabilité ou de convergence et les programmes nationaux de réforme. Le Conseil formule ses recommandations et des décisions sont prises collectivement. Lorsque la Commission constate des écarts ou des manquements graves dans les projets de budget, par rapport aux programmes de stabilité, elle demande aux gouvernements concernés de revoir leur copie et son avis est rendu public.

L'examen annuel de croissance pour 2013 comporte cinq priorités : un assainissement budgétaire différencié et axé sur la croissance, le rétablissement des conditions normales d'octroi de crédit à l'économie, le soutien à la croissance et à la compétitivité, la lutte contre le chômage et les conséquences sociales de la crise, et, enfin, la modernisation des administrations publiques.

M. Philippe Marini, président. - On enfonce beaucoup de portes ouvertes.

M. Ramon Fernandez. - Il n'a pas toujours été dit que l'assainissement budgétaire devait être différencié et axé sur la croissance.

M. François Marc. - Cela va mieux en le disant.

M. Philippe Marini, président. - Et surtout en le faisant !

M. Ramon Fernandez. - Les exégètes du Conseil européen auront de même retenu l'inflexion du message en mars dernier, puisqu'il fut question de porter attention à « l'impact des politiques de consolidation des finances publiques sur la croissance ». En présentant ses prévisions dites « d'hiver », la Commission européenne a indiqué que certains pays pourraient bénéficier de plus de temps pour atteindre leur cible de déficit public. Cette souplesse avait été accordée l'an dernier à l'Espagne, à la Grèce et au Portugal. La question se pose cette année pour la France, ainsi que pour la Slovénie, les Pays-Bas et la République tchèque. Notre pays s'étant engagé à ramener son déficit à 3 % au plus tard en 2013 et à accomplir un effort structurel de plus d'1 point de PIB entre 2010 et 2013, la procédure pour déficit excessif avait été mise en sommeil depuis 2010 ; la Commission avait estimé que la France avait pris des engagements suffisants pour réduire son déficit. Il reviendra à la Commission, au vu des chiffres 2012 et des prévisions pour 2013, de se prononcer au printemps ou à l'été sur les efforts structurels accomplis et sur l'octroi ou non d'un délai supplémentaire pour atteindre l'objectif de déficit nominal.

Si elle considérait qu'un Etat membre n'a pas accompli l'effort structurel auquel il s'était engagé, la Commission pourrait lui infliger une sanction pouvant atteindre 0,2 % du PIB soit, pour la France, 4 milliards d'euros. Cette décision est soumise au Conseil statuant à la majorité qualifiée inversée.

La nouvelle procédure relative aux déséquilibres macroéconomiques s'appuie à la fois sur des indicateurs externes, déficit commercial, taux de change, coût unitaire du travail, et internes, inflation, chômage et niveau de la dette publique. Si la Commission identifie une situation de déséquilibre et que l'Etat membre ne réagit pas aux recommandations qu'elle lui a adressées, des sanctions pécuniaires pourront être imposées. Il est dommage qu'une telle procédure n'ait pas existé lorsque nous avons dû traiter les cas de la Grèce, de l'Irlande de l'Espagne ou du Portugal. Nous voilà aujourd'hui engagés dans des programmes de soutien de 100 à 200 milliards d'euros. Cette procédure peut sembler bureaucratique mais elle a son utilité en obligeant les gouvernements à discuter des déséquilibres apparus, le cas échéant, dans leurs États respectifs et de leurs conséquences.

En 2012, au titre du volet préventif, la France avait fait l'objet, comme plus de dix autres Etats membres, de recommandations par le Conseil, concernant en l'occurrence l'organisation du marché de l'emploi, le coût du travail, la concurrence dans les industries de services et de réseaux. En 2013, la situation notre pays a de nouveau suscité un examen approfondi - nous en aurons les résultats dans quelques jours - motivé par une perte de parts de marché et de compétitivité. Rien de très original en somme, mais le programme national de réforme (PNR) et le programme de stabilité, de même que les mesures telles que le crédit d'impôt compétitivité emploi (CICE) et l'accord national interprofessionnel (ANI), répondent aux recommandations de la Commission.

M. Julien Dubertret, directeur du budget. - La loi organique du 17 décembre 2012 transpose le TSCG dans le droit national en s'appuyant notamment sur quatre éléments fondamentaux.

Tout d'abord, elle formalise le contenu de la loi de programmation des finances publiques, cette dernière devant désormais préciser les objectifs budgétaires à moyen terme, la trajectoire pour les atteindre, les modalités des mécanismes de correction.

Ensuite, elle crée le HCFP qui s'est réuni ce matin ; j'ai participé à cette réunion avant de venir vous rejoindre.

M. Philippe Marini, président. - Comment s'est déroulée cette réunion en vue du premier avis du Haut Conseil ?

M. Julien Dubertret. - Sans trahir de secrets, je puis vous dire que les échanges y ont été substantiels ; ils ont porté sur toutes les questions relevant de la compétence du Haut Conseil.

La loi organique met aussi en place des mécanismes de correction. Si le Haut Conseil identifie des écarts par rapport aux objectifs structurels, le Gouvernement doit s'expliquer et présenter des mesures dans le prochain projet de loi de finances ou de financement de la sécurité sociale. Enfin, toute loi de finances, initiale, rectificative ou de règlement, comprendra un article liminaire présentant le solde de l'ensemble des administrations publiques. Ces dispositions s'appliqueront dès le prochain programme de stabilité en avril et la prochaine loi de règlement en mai. Le mécanisme de correction ne sera pas mis en oeuvre cette année, compte tenu de la déviation mineure constatée - la correction est exigée si l'écart excède 0,5 % au cours d'une année ou 0,25 % durant deux années consécutives.

M. Philippe Marini, président. - Tout dépend des prévisions macroéconomiques qui seront retenues et de l'avis du Haut Conseil, sachant que la définition de solde structurel n'est pas simple.

M. Julien Dubertret. - Ce solde se mesure par rapport à des hypothèses de croissance potentielles définies ex ante...

M. Philippe Marini, président. - ... sur lesquelles les avis peuvent diverger.

M. Julien Dubertret. - Le Haut Conseil se prononcera prochainement sur le programme de stabilité et sur la crédibilité des prévisions de croissance. Il a indiqué ce matin qu'il considérait que politique budgétaire et prévisions macroéconomiques interagissaient.

Sur la loi de règlement, il constatera sans doute une absence de déviation par rapport à la trajectoire, puisque l'Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE) indique un écart de 0,3 % seulement sur le déficit nominal, 4,8 % du PIB contre les 4,5 % prévus. L'écart devrait être de 0,1 % s'agissant du déficit structurel : 3,7 % du PIB  au lieu de 3,6 % prévus. Avant l'examen parlementaire de la loi de finances, le Haut Conseil se prononcera sur les prévisions de croissance pour l'année à venir et sur la cohérence entre l'article liminaire et la programmation pluriannuelle. Dans le cas des projets de loi de programmation des finances publiques, il donnera un avis sur les prévisions de croissance potentielle et sur la cohérence entre nos orientations et nos engagements européens.

Si les avis du Haut Conseil ne lient pas le Gouvernement - il aurait fallu pour cela modifier la Constitution - ils seront rendus publics et auront donc un impact considérable. Dans la décision du 13 décembre 2012, le Conseil constitutionnel a indiqué, en outre, qu'il analyserait la sincérité des textes financiers à la lumière des avis du Haut Conseil.

Un mot du calendrier de préparation du projet de loi de finances. Le Haut Conseil sera saisi du texte une semaine avant le Conseil d'Etat et notre intention est de lui apporter toutes les informations le plus en amont possible afin de pouvoir réellement échanger avec lui.

M. Philippe Marini, président. - Cette instance travaillera donc au mois d'août ?

M. Julien Dubertret. - Je m'attends plutôt à ce que nous menions des travaux en commun fin juillet.

M. François Marc, rapporteur général. - Je souhaite rappeler la vocation pédagogique de l'exercice mené ce matin. Aussi, je vous remercie tous deux d'avoir clarifié les choses. Je me réjouis, moi aussi, que le Haut Conseil soit déjà au travail, administrant au passage la preuve que la parité ne constituait en rien une difficulté. Je serais curieux de savoir comment cette instance va fonctionner.

Les lettres de cadrage adressées aux ministres invitent à « anticiper significativement les délais de finalisation des textes financiers ». Quelles seront les conséquences sur votre calendrier ? Le Two pack prévoit que « le projet de budget pour l'année suivante de l'administration centrale et les principaux paramètres des projets de budgets de tous les autres sous-secteurs des administrations publiques sont rendus publics chaque année, au plus tard le 15 octobre ». Ceci donnera-t-il lieu à la rédaction d'un nouveau document, un budget consolidé de la France, ou bien s'agira-t-il des projets de lois de finances et de financement de la sécurité sociale, assortis de quelques compléments relatifs aux autres catégories d'administrations publiques ?

Les écarts éventuels étant constatés à l'occasion de la loi de règlement, les mesures correctrices devraient être présentées dans les documents remis en vue du débat d'orientation des finances publiques. En cas de dérapage, ne serait-il pas préférable d'aborder ensemble les causes et les conséquences ? Pourquoi ne pas faire coïncider les deux débats ?

Le « plan budgétaire national à moyen terme » que chaque Etat membre doit adresser à Bruxelles reprendra-t-il le contenu du programme de stabilité ? Si les documents sont distincts, seront-ils tous deux transmis au Parlement ?

L'article 10 de la loi organique relative à la programmation et à la gouvernance des finances publiques prévoit que les documents produits par le Gouvernement et par les institutions européennes peuvent faire l'objet de débats au Parlement. En dehors du programme de stabilité, quelles procédures ou moments du calendrier européen pourraient faire l'objet de débats au Parlement ? À quel moment, dans le nouveau calendrier ?

Le non-respect par la France des recommandations d'ordre macroéconomique pourrait donner lieu à des sanctions ; mais sur quel fondement ?

Dans la réflexion sur l'approfondissement de l'Union économique et monétaire, on évoque des contrats de compétitivité et de croissance entre la Commission et les Etats. Peut-on en savoir plus sur cette démarche ?

M. Philippe Marini, président. - Que se passerait-il si notre assemblée adoptait un projet de loi de finances tout en rejetant l'article liminaire ? Cette question n'est pas seulement théorique et peut-être conviendrait-il de la poser préalablement au Conseil constitutionnel. Si l'avis de Commission européenne, qui doit être rendu avant le 30 novembre, remettait un projet de budget en cause, comment le texte serait-il modifié alors qu'il serait en cours d'examen au Parlement ? Quelles seraient les conséquences, du point de vue du juge constitutionnel, d'un désaccord du Haut Conseil sur les prévisions macroéconomiques du Gouvernement retenues pour construire une loi de finances ?

M. Ramon Fernandez. - Le projet de budget transmis dans le cadre du Two pack ne sera autre que le rapport économique, social et financier tel qu'enrichi par la loi organique de décembre 2012, c'est-à-dire incluant la trajectoire. Nous avions anticipé les nouvelles règles. Le plan budgétaire national à moyen terme et le programme de stabilité ne sont qu'un même document, comme le prévoit la dernière version du règlement européen dit « Ferreira ».

Quels documents peuvent faire l'objet d'un débat au Parlement ? Tous, bien entendu.

M. Philippe Marini, président. - Quel diplomate !

M. Ramon Fernandez. - Le programme de stabilité sera transmis à la Commission en avril. Vous en débattrez prochainement. Le rapport économique social et financier augmenté peut faire l'objet d'un débat, puisque, transmis avant le 15 octobre, il est annexé au projet de loi de finances. A cela peut s'ajouter le programme de partenariat économique (PPE), exigé des Etats soumis à une procédure pour déficit excessif. Enfin, des plans de mesures correctrices doivent être établis en cas de déséquilibre macroéconomique excessif. L'article 10 de la loi organique de décembre 2012 précise que tous ces documents peuvent faire l'objet de débat au Parlement.

La procédure de déséquilibre macroéconomique excessif est amorcée par l'identification d'un déséquilibre. Ce fut le cas pour la France en 2012 puis en 2013. C'est aujourd'hui le cas de treize Etats membres de l'Union européenne. Ensuite, si les déséquilibres n'ont pas disparu, la Commission européenne formule des recommandations pour les corriger, voire exige la présentation d'un plan de réformes structurelles. L'Etat qui ne respecterait pas ce plan serait assujetti à des sanctions financières plafonnées à 0,1 % du PIB, contre 0,2 % à 0,5 % dans le cadre du pacte de stabilité et de croissance.

Le Conseil européen de décembre 2012 avait demandé à son président de formuler des propositions, je l'ai dit, pour une Union économique et monétaire qui fonctionnerait mieux... Elles incluent les contrats de compétitivité et de croissance, la coordination ex ante des politiques économiques, ainsi que la dimension sociale de la zone euro. La Commission européenne a publié, le 20 mars 2013, une communication sur la coordination des politiques économiques et sur le contenu possible des contrats. Beaucoup d'interrogations demeurent, il n'y a pas aujourd'hui de consensus. Pour la France, ces contrats, instruments de gouvernance, doivent concerner tous les Etats membres de la zone euro et non pas seulement ceux qui sont en déficit ; leur contenu doit embrasser le soutien à la croissance et la dimension sociale ; ils doivent promouvoir, enfin, plus de solidarité et un accompagnement financier à la réforme. La mise en oeuvre est complexe, mais nous défendons ainsi « l'intégration solidaire » appelée de ses voeux par le président de la République. Je pourrai revenir sur les travaux du HCFP. La directrice générale adjointe du Trésor, chef économiste du ministère de l'économie, lui a soumis ce matin-même nos prévisions macroéconomiques et a explicité les hypothèses qui les sous-tendent.

M. Julien Dubertret. - Les conséquences du nouveau cadre européen sur la procédure d'adoption de la loi de finances par le Parlement sont assez limitées. Ce sont les délais de la phase administrative qui seront affectés.

M. Philippe Marini, président. - Faudra-t-il rendre les arbitrages plus tôt ?

M. Julien Dubertret. - Les arbitrages sur les dépenses auront lieu vers le mois de juin. L'article 13 de la loi organique prévoit la transmission du projet de loi de programmation des finances publiques au HCFP une semaine avant la saisine du Conseil d'Etat. Son article 14 dispose que le Gouvernement transmet au HCFP « les éléments » des projets de loi de finances et de financement de la sécurité sociale, afin que celui-ci apprécie la cohérence de l'article liminaire du projet de loi de finances au regard des orientations pluriannuelles de solde structurel définies dans la loi de programmation des finances publiques. Le Gouvernement n'est pas obligé de communiquer au Haut Conseil des textes définitifs à la virgule près, seulement de lui en transmettre la teneur.

M. Philippe Marini, président. - La contrainte est donc modérée.

M. Julien Dubertret. - Oui. Mais nous partageons avec le Haut Conseil le souhait qu'une partie de l'été soit consacrée à l'examen des textes en amont, ce qui induirait davantage de contraintes sur les arbitrages de recettes, notamment fiscales.

M. Philippe Marini, président. - Ce qui veut dire que les arbitrages interviendraient plus tôt ? Pouvez-vous être plus précis ?

M. Julien Dubertret. - En effet. Si l'on veut discuter avec le HCFP dans la deuxième quinzaine de juillet, les arbitrages devront être rendus avant cela. Pour le volet dépenses, les arbitrages sont traditionnellement rendus au mois de juin : nous sommes donc parfaitement dans les temps.

Avec le Conseil constitutionnel et le Conseil d'Etat, nous avons dû réfléchir à la question des lois de finances rectificatives. Celles-ci sont parfois adoptées en quelques jours ! La loi organique nous impose de recueillir l'avis du HCFP selon la même procédure. Le Conseil constitutionnel a estimé que, si cette exigence ne pouvait être respectée, il apprécierait la procédure globale au regard des exigences de continuité de la vie nationale. Ainsi, le collectif budgétaire de 2008 créant la Société de financement de l'économie française (SFEF) n'aurait sans doute pas pu recueillir l'avis préalable du HCFP, mais la procédure n'en aurait pas été viciée pour autant.

M. Philippe Marini, président. - Cela a demandé trois jours.

M. Julien Dubertret. - J'y étais : la décision a été prise un samedi vers 13 heures 30, examinée par le Conseil d'Etat le dimanche matin, par son assemblée générale le dimanche soir, et un conseil des ministres exceptionnel s'est tenu le lendemain en début d'après-midi. Soit deux jours en tout et pour tout. Nous nous sommes étonnés nous-mêmes !

M. Philippe Marini, président. - Les limites de l'impossible sont chaque jour repoussées...

M. Julien Dubertret. - S'agissant des calendriers du débat d'orientation des finances publiques et de la loi de règlement, la loi organique distingue clairement deux phases. Cette distinction claire est issue d'amendements parlementaires. Elle est sage. D'abord parce que la loi de règlement est l'occasion d'examiner la gestion passée des politiques publiques de manière assez fine. Cela mériterait d'être développé, dans l'esprit de la loi organique, non d'être mêlé avec le débat d'orientation, qui permet d'anticiper un dérapage macro-budgétaire et d'envisager des corrections. Non qu'il n'y ait pas de lien entre l'un et l'autre, mais la fusion des deux débats risque de faire prévaloir la seconde optique sur la première. Ensuite, il y a une certaine logique à distinguer le temps du constat de celui des propositions.

M. Philippe Marini, président. - L'examen de la gestion publique, cela n'intéresse jamais personne...

M. Julien Dubertret. - Beaucoup de fonctionnaires appréhenderaient, à juste titre, d'être interrogés par les assemblées sur la façon dont a été géré leur portefeuille l'année précédente... En tant que directeur du budget, moi qui ne suis pas responsable de crédits, je regrette que cette phase ne soit pas plus vivante.

M. Philippe Marini, président. - Le passé est mort pour un homme politique !

M. Julien Dubertret. - Pas s'il éclaire l'avenir !

M. Philippe Marini, président. - Si le même débat permet d'aborder les deux sujets, pourquoi pas ? Notez que, dans nos collectivités territoriales, c'est généralement dans la même séance que l'on adopte le compte administratif, dégage les soldes et vote le budget.

M. Jean Germain. - Mais non !

Mme Marie-France Beaufils. - Pas toujours !

M. Philippe Marini, président. - Il existe certes des pratiques différentes, mais c'est de plus en plus souvent le cas.

M. Julien Dubertret. - L'article 23 de la loi organique impose de présenter les mesures de correction en deux temps : dans le cadre du débat d'orientation des finances publiques d'une part, dans le cadre des projets de loi de finances et de financement de la sécurité sociale d'autre part. Au premier stade, il s'agit de présenter les mesures de correction envisagées et leurs effets escomptés, sans entrer dans le détail. Mais le rapport annexé au projet de loi de finances ou de financement de la sécurité sociale « analyse » les mesures de correction envisagées : il en fait donc une présentation détaillée, dont on pourra retrouver la trace sous forme de textes juridiques dans les projets de loi.

M. Roland du Luart. - Merci pour ces exposés, fort intéressants.

Nous sommes en procédure de déficit excessif depuis 2010. Or, de quelles mesures de baisse des dépenses publiques la France pourra-t-elle se prévaloir pour justifier sa demande de sursis d'une année ? Dans un scenario catastrophe, nous pourrions être condamnés à nous acquitter de pénalités financières. Vous avez indiqué qu'elles pourraient atteindre 4 milliards d'euros. J'ai lu dans un quotidien du soir que M. Montebourg avait quelques idées sur la question. L'Europe pourra-t-elle résister si nous ne tenons pas nos engagements, et si par ses sanctions elle aggrave notre déficit d'un tel montant ?

Notre situation me préoccupe au plus haut point. Le dérapage est grave et généralisé. Dexia est une bombe à retardement. Comment tout cela va-t-il se terminer ? Je suis en général sceptique à l'égard des hauts conseils et autres « bidules » administratifs et indépendants que l'on crée sans arrêt et qui ne servent à rien. J'espère que le HCFP sera toutefois utile, et qu'il aura le poids moral pour imposer un changement de cap.

M. Jean Germain. - J'ai écouté avec le plus grand intérêt l'exposé que nous ont présenté deux hauts fonctionnaires parmi les plus brillants de notre pays.

Je suis néanmoins atterré par la complexité de la mécanique budgétaire française et européenne. Et dire qu'on dénonce la complexité de notre « millefeuille territorial » ! J'ai quelque intérêt pour les civilisations asiatiques : cette situation me fait penser à une période de l'histoire chinoise où l'administration avait atteint un niveau d'excellence inégalé, mais perdu toute boussole. Nous conduisons des réflexions, passionnantes, sur la façon dont fonctionne le sous-marin, mais celui-ci reste bloqué au fond : comment le remonter ? Comment retrouver de l'oxygène ? C'est la vraie question ! Nous sommes la seule région du monde en récession, on nous annonce un recul de 0,3 % du PIB l'année prochaine et presque 12 % de chômage.

M. Philippe Marini, président. - Plus on parle de croissance, moins on en fait...

M. Jean Germain. - Depuis 2008, on est certes moins bavards sur l'efficience des marchés globaux. La seule lueur d'espoir, c'est « l'intégration solidaire » dont a parlé Ramon Fernandez. L'Union européenne a en effet raté son architecture politique et n'a pas d'institutions économiques. Quant à sa banque centrale, elle ne peut pas même intervenir sur sa monnaie. Le secrétaire d'Etat américain au Trésor a fait valoir aux Allemands que les Etats-Unis avaient dans les années cinquante les plus gros excédents et qu'ils avaient alors largement contribué aux efforts de reconstruction. Aujourd'hui ce sont les Allemands qui enregistrent les excédents les plus importants, mais ils thésaurisent.

Nos concitoyens voient tout cela et ne cessent de nous demander comment croire encore à l'Europe. Et on ne peut accepter de donner plus de place à la technocratie et refuser de tenir compte des résultats électoraux observés en Autriche ou en Italie...

Or nous sommes dans le même cas ! Car dans cette affaire, le Parlement ne servira plus à rien. Cela serait acceptable s'il existait au niveau européen des institutions démocratiques issues du suffrage universel. Ce n'est pas le cas ! Les membres des divers instances et comités européens seraient d'ailleurs bien inspirés de dévoiler leur patrimoine car ils ont plus de pouvoir que nous sur le quotidien des gens ! Je le dis comme je le pense. Les réunions de commission non plus ne serviraient à rien si l'on ne disait pas les choses franchement.

Cette situation ne pourra pas durer. Il faudra donner du sens à l'« intégration solidaire ». On a dit pendant des années que c'était les marchés qui assuraient la meilleure régulation économique possible. On a mis Keynes et ses émules à la poubelle. M. Montebourg, malgré ses outrances, ne dit pas que des bêtises... Il dit parfois tout haut ce que d'autres n'ont pas le cran d'exprimer.

Je refuse d'être sur la photo des parlementaires qui auront voté en cadence et se seront tus en commission. Car 3,2 millions de chômeurs, il n'y a rien de plus grave.

M. Philippe Dallier. - Ah oui !

M. Jean Germain. - Comment procéder à une « intégration solidaire » avec le règlement actuel de la Banque centrale européenne (BCE) ? Je vous croirais si la BCE avait la possibilité de conduire une politique monétaire. La solidarité passe aujourd'hui par les budgets nationaux, sur lesquels nous auront de moins en moins de prise. Comment faire de l'intégration solidaire sans budget européen ?

M. Roland du Luart. - On a mis la charrue avant les boeufs.

M. Philippe Marini, président. - Messieurs les directeurs, je vous invite à prêter attention aux propos de Jean Germain : je crois pouvoir dire qu'au-delà de nos différences, nous y sommes tous sensibles.

M. Richard Yung. - Quelle forme prendra la coordination des budgets des Etats-membres ? La Commission européenne aura-t-elle le pouvoir de dire qui en fait trop, qui pas assez, sur la consommation, l'investissement, etc. ? Examinera-t-elle les budgets poste par poste ? L'« intégration solidaire » consiste-t-elle à les faire converger ? Parmi tous les éléments que vous avez présentés, qu'est-ce qui promeut la croissance ? Cette question rejoint celle de Jean Germain.

M. Jean Germain. - Oui, qu'y a-t-il en dehors des hausses d'impôts ?

M. Richard Yung. - Enfin, pouvez-vous nous indiquer quelles grandes orientations figureront dans le PNR, qui sortira dans quelques jours ?

Mme Marie-France Beaufils. - La question centrale est la suivante : quel est le rôle du Parlement aujourd'hui ? On dit beaucoup que le politique doit retrouver sa place, mais il n'en a plus aucune ! La loi de finances sera moulinée cent fois, en particulier par la Commission européenne, avant d'être soumise au Parlement et celui-ci sera mal avisé de vouloir y changer une ligne. Nous devrions avoir notre mot à dire sur les orientations budgétaires avant que la loi de finances ne soit finalisée.

Quand compte-t-on analyser l'impact des décisions prises à ce jour ? Je me souviens des déclarations des économistes du Fonds monétaire international (FMI), reconnaissant que la baisse des dépenses publiques imposées à certains pays avait eu des incidences lourdes sur leur croissance, bien supérieure aux prévisions. Je suis sur ce point en désaccord avec Roland du Luart, car je crois que la dépense publique peut être porteuse de croissance, mais ce discours ne rencontre aucun écho. Lorsqu'on voit les prévisions à la baisse sur les recettes de TVA, on devrait s'interroger sur le recul des investissements des collectivités territoriales et leur impact futur, en retour, sur les recettes de TVA. Pour préparer les budgets à venir, il faudra évaluer les politiques menées au cours de l'année qui précède. Ayons une réflexion de fond sur ce sujet.

A quel moment la représentation nationale pourra-t-elle s'exprimer sur l'avis que rendra le HCFP ? Nous devrions pouvoir émettre notre opinion. C'est à nous que la population demande des comptes, or nous n'avons aucun moyen d'action ! Les gouvernements techniques qui ont été mis en place en Grèce et en Italie, certains rêvent manifestement de les implanter en France. Il faut redonner aux politiques le temps d'intervenir. Notre tour arrive quand tout est déjà ficelé !

M. Philippe Marini, président. - Je rappelle que le président du HCFP peut être convoqué à tout moment par notre commission, et que ses avis seront annexés aux lois de finances et à tous les textes financiers.

M. Aymeri de Montesquiou. - Les dépenses publiques françaises dépassent de 9 ou 10 points la moyenne européenne. Le président de la République a déclaré qu'un effort fiscal supplémentaire était exclu. Cela implique de baisser les dépenses. Si la France ne respecte par ses engagements budgétaires, elle sera sanctionnée. Peut-on imaginer une mise sous programme de la France ?

M. Dominique de Legge. - La multiplication des procédures et des documents ne risque-t-elle pas, paradoxalement, de nous faire perdre en information et de ne rien apporter en termes de transparence ? Si on voulait masquer la réalité, on ne s'y prendrait pas autrement. C'est une manière de se donner bonne conscience.

Les sanctions font gentiment sourire. La France pourrait-elle réellement faire face aux sanctions si son déficit était alourdi de leur montant ? Punir un locataire de ses impayés par une sanction financière, c'est absurde. C'est une fuite en avant.

M. Philippe Marini, président. - Ce raisonnement est frappé au coin du bon sens. Nous faisons semblant. Les procédures de sanction ne sont que des tigres de papier.

M. Julien Dubertret. - Il ne faut pas exagérer les contraintes supplémentaires. Le nouveau cadre européen ne fait que rappeler les règles du pacte de stabilité et de croissance, mal appliquées depuis qu'en novembre 2005 la France et l'Allemagne ont fait cause commune pour échapper aux sanctions auxquelles elles s'étaient exposées. Les contraintes de déficit sont quasiment identiques, et l'objectif est toujours celui d'atteindre l'équilibre structurel, c'est-à-dire corrigé de l'impact de la conjoncture.

Mais il ne faut pas non plus sous-estimer la transformation procédurale profonde qui résulte de ces textes, qui profite plutôt au Parlement ! Le HCFP ne le dépossède en rien. C'est plutôt une terrible machine à nettoyer la copie budgétaire du Gouvernement, pour la rendre plus réaliste, plus crédible, plus sincère.

Les dépenses publiques porteuses de croissance : en tant que directeur du budget, cela me fait réagir...

M. Philippe Marini, président. - Il faut reconnaître qu'un directeur du budget qui donne des enveloppes supplémentaires, cela ne s'est jamais vu, même en période de prospérité !

M. Julien Dubertret. - Ce n'est pas spontané, en effet. Il y a toutefois plusieurs sortes de dépenses publiques. Certaines peuvent avoir un effet multiplicateur. J'appelle à ce propos votre attention sur le développement en cours du rôle du commissariat général à l'investissement, destiné à évaluer les projets d'investissement public. De ce point de vue, la France a d'énormes progrès à faire. Certains projets d'infrastructures ont un impact négatif sur la croissance, d'autres, ceux qui facilitent les échanges économiques, lui procurent un gain.

La confiance est un autre élément d'explication de l'impact de la dépense publique. Je vous concède qu'il n'a rien de scientifique. Mais montrer que l'on reste maître de son destin budgétaire et que l'on est capable de tenir la dépense comme on l'a décidé, c'est capital pour donner confiance à l'ensemble des agents économiques.

M. Jean Germain. - Connaissez-vous le ratio dette publique sur PIB aux Etats-Unis ?

M. Julien Dubertret. - Il est plus élevé que le nôtre. Avec une perspective de stabilisation qui n'est pas très bonne. Au Japon, il a dépassé 200 %.

Que se passerait-il si l'article liminaire de la loi de finances n'était pas voté dans la loi de finances, me demandez-vous. La question a été clairement posée au Conseil constitutionnel. Son existence dans le projet de loi est une exigence absolue de procédure. Si le Gouvernement s'avisait de ne pas l'y faire figurer, le Conseil constitutionnel annulerait vraisemblablement le texte entier. Pour autant, - le Conseil constitutionnel l'a clairement indiqué - la vocation de cet article est informative, et si le Parlement, par extraordinaire, décidait de le supprimer et si la loi de finances était publiée sans cet article liminaire, le Conseil constitutionnel estime qu'il n'en résulterait pas une inconstitutionnalité d'ensemble. Il va sans dire qu'en tant que directeur du budget, je veillerai avec le plus grand scrupule, dans toute la mesure du possible, à ce que la loi définitivement publiée au Journal officiel comporte cet article, qui parait être un élément très important en termes d'information de la représentation nationale et, au-delà, en termes de crédibilité réputationnelle de la Nation. Je serai gêné qu'une loi de finances soit pour finir publiée au Journal officiel sans cet article liminaire car cela ne serait pas forcément vu comme un excellent signal à l'extérieur.

M. Philippe Marini, président. - Cet avis du Conseil constitutionnel est-il disponible ? Peut-il être communiqué à notre commission ?

M. Julien Dubertret. - Il me semble que ce point est écrit dans la décision du Conseil constitutionnel, mais je le vérifierai.

Concernant le calendrier budgétaire, sujet assez problématique, le compromis retenu - serré mais qui à mon avis fonctionne - est le suivant : si la Commission européenne émet un avis exigeant une modification du projet budgétaire national, elle doit le faire dans les quinze jours à compter du dépôt du projet de loi de finances au Parlement. Celui-ci intervient en moyenne le 28 septembre. Dès lors, c'est en moyenne vers le 13 octobre que la Commission européenne devrait se prononcer au plus tard. Le débat à l'Assemblée nationale - discussion générale et première partie - commence généralement entre le 16 et le 20 octobre. Par conséquent, l'avis de la Commission européenne resterait antérieur à l'examen du texte par la représentation nationale, même si le délai serait court. La procédure parlementaire serait donc respectée, même si l'équilibre devait être amendé avant ou pendant l'examen de la première partie.

Si la Commission européenne émettait un avis tardif n'exigeant pas de modification mais dont on considérerait qu'il appelle des prises en compte, nous devrions alors amender tardivement au cours du mois de novembre. En 2011, le Gouvernement avait été amené à introduire de substantielles mesures nouvelles dans le projet de loi de finances au stade de son examen au Sénat : le Conseil constitutionnel avait alors estimé que l'objectif de maintien du solde budgétaire justifiait cette dérogation à la règle de l'entonnoir.

Dans tous les cas, nous aurions des solutions juridiques.

Enfin, quels seraient les effets d'un désaccord du HCFP sur les prévisions retenues ? J'espère que nous n'aurons jamais à nous poser la question. C'est pourquoi nous entendons travailler en bonne intelligence avec le Haut Conseil, et en amont du dépôt du texte au Parlement. Je n'imagine pas qu'un gouvernement prenne le risque de se heurter à un avis négatif du Haut Conseil.

M. Jean Germain. - Le taux de croissance a été rectifié il y a dix jours !

M. Julien Dubertret. - Je le conçois. La réalité est évolutive. Le HCFP remettra son avis quelques jours seulement avant le dépôt du projet de budget au Parlement.

M. Philippe Marini, président. - Vous pensez donc qu'il sera docile...

M. Julien Dubertret. - Absolument pas. Le feu nourri de questions auquel nous avons été soumis ce matin me donne à penser que ses membres exerceront leurs fonctions dans la plénitude de leurs attributions. Après transmission officielle d'un premier projet, nous avons en effet répondu aux questions que celui-ci a suscitées, ainsi qu'à d'autres qui n'avaient pas été posées par écrit. Et croyez-moi, ce n'était pas une discussion de salon.

M. Ramon Fernandez. - Je vous accorde que les règles sont très nombreuses et très complexes. Mais c'est l'absence de règles qui nous a conduits à la crise. Nous faisons partie d'un groupe, d'une équipe : nous ne pouvons faire l'économie de règles intelligentes, donc complexes.

Imposer des sanctions à ceux qui ne respectent pas un déficit public nominal de 3 % du PIB, c'est une règle idiote, car trop simple. Il faut tenir compte de la conjoncture. De ce point de vue, le débat économique a progressé, qui a conduit à ne prendre en compte que le déficit structurel. C'est en vertu de cette règle intelligente que la France n'est pas sanctionnée, en dépit d'un déficit de 3,7 % en 2013.

Nous souffrons parfois nous-mêmes de la complexité de ces règles. Mais il y va de l'intérêt de tous. Nous savions depuis un an que la situation de Chypre n'était pas tenable, mais son gouvernement ne voulait rien faire ; dès lors, nous assistions impuissants à la dégringolade. Pensons à nous-mêmes, mais également à la situation de nos voisins. Le débat n'est pas fermé pour autant, ni sur la politique économique, ni sur le rythme des ajustements à effectuer. Je vous renvoie à l'entretien très nuancé qu'Olivier Blanchard, chef économiste du FMI, a donné à un hebdomadaire la semaine dernière : « le constat est simple et connu de tous : tous les pays sont trop endettés. Il faut donc revenir à l'équilibre budgétaire, mais le faire ni trop lentement ni trop rapidement ».

M. Jean Germain. - Cela veut dire : sans tuer la croissance !

M. Ramon Fernandez. - Les propos de l'économiste du FMI ont été caricaturés : on lui fait dire que l'Europe faisait trop d'ajustement structurel. Ce n'est pas ce qu'il a dit. La BCE, pour sa part, a été extraordinairement hétérodoxe et non conventionnelle. Sans elle, nous serions dans une situation infiniment plus grave. Chaque banque centrale est hétérodoxe à sa manière. Pour sa part, la BCE a fait preuve d'une capacité d'innovation qui en a surpris beaucoup.

M. Jean Germain. - C'est très récent ! Ce n'était pas le cas avant !

M. Ramon Fernandez. - La réactivité de la BCE n'a rien eu à envier à celle des autres banques centrales.

S'agissant de la coordination des politiques économiques et du programme national de réforme, vous aurez la semaine prochaine tous les éléments...

M. Jean Germain. - Quid de l'« intégration solidaire » ?

M. Ramon Fernandez. - C'est un débat plus fondamental. Quelle vision la France a-t-elle de l'Europe et notamment de la zone euro ? Voilà la question cruciale à laquelle il faudra répondre. M. Moscovici a déjà fait un certain nombre de propositions sur les perspectives de l'intégration européenne, notamment au Parlement européen.

M. Philippe Marini, président. - Merci messieurs les directeurs.

Évolution des concours financiers de l'État aux collectivités territoriales - Audition de MM. André Laignel, président du comité des finances locales, et Serge Morvan, directeur général des collectivités locales

Au cours d'une seconde séance tenue dans l'après-midi, la commission procède à l'audition de MM. André Laignel, président du comité des finances locales, et Serge Morvan, directeur général des collectivités locales, sur l'évolution des concours financiers de l'Etat aux collectivités territoriales.

M. Philippe Marini, président. - La loi de programmation des finances publiques pour les années 2012 à 2017, adoptée en décembre dernier, prévoit une stabilisation de l'enveloppe normée en valeur, en 2013, avant une diminution de son montant d'au moins 750 millions d'euros en 2014 et en 2015, soit une baisse de 1,5 milliard d'euros en deux ans.

Le 12 février dernier, lors du Comité des finances locales (CFL), le Gouvernement a annoncé le doublement de cette baisse. Cet effort supplémentaire se chiffrerait à 750 millions d'euros en 2014 et 2015, soit un total de 1,5 milliard d'euros qui s'ajoute donc à la précédente baisse.

Je rappelle que la loi de programmation prévoit également que « les collectivités territoriales contribuent à l'effort de redressement des finances publiques selon des modalités à l'élaboration desquelles elles sont associées ».

Dans ce contexte, le rôle du CFL, au sein duquel notre commission des finances est représentée par nos collègues Gérard Miquel et Charles Guené, sera important.

Il a mis en place un groupe de travail consacré aux dotations, à la répartition des efforts d'économie entre collectivités, et à la péréquation. Les travaux sont en cours mais les conclusions doivent être rendues avant la fin du mois de juin afin de pouvoir s'intégrer de façon cohérente dans le processus d'élaboration du projet de loi de finances.

La commission des finances du Sénat souhaite s'impliquer dans ce débat et connaître les pistes qui pourraient être suivies, dans la continuité de nos précédents travaux.

Il est utile que nous vous entendions sur la façon dont vous envisagez cette baisse des dotations et sa répercussion pour chaque niveau de collectivités, qui doit faire face, vous le savez, à des difficultés différentes.

C'est pourquoi, nous renouons avec la tradition des auditions conjointes du président du CFL et du directeur général des collectivités locales ; la commission des finances avait organisé de telles auditions en 2011 pour participer aux réflexions menées alors sur la péréquation, thème éternel, toujours perfectible...

M. François Marc, rapporteur général. - Je voudrais apporter quelques compléments sur notre principal sujet d'interrogation de cet après-midi. Jusqu'à présent, nous étions habitués à des dotations au moins stables, sinon en hausse. Dans le contexte que le président a rappelé, il convient, dès à présent, de définir les modalités d'application de la baisse annoncée des dotations.

Le Sénat, et particulièrement sa commission des finances, ont l'ambition d'apporter une contribution utile au débat. Nous l'avons fait sur le dossier de la révision des valeurs locatives et le Gouvernement nous a suivis. S'agissant de la péréquation, un certain nombre d'ajustements ont été adoptés par le Parlement à l'initiative de Pierre Jarlier, de Jean Germain, de Charles Guené et de plusieurs de nos collègues qui connaissent parfaitement bien tous ces sujets. Il y a, dans notre enceinte, une accumulation de connaissances qui peut être précieuse pour répondre aux différentes questions auxquelles nous devons faire face.

Nous savons que les dotations de l'Etat représentent 40 % des ressources des régions, ce qui les rend particulièrement vulnérables à toute diminution. Quant aux départements, la Cour des comptes a récemment souligné la fragilité de leurs finances, du fait notamment du financement des allocations de solidarité. S'agissant de l'échelon communal, dont certains estiment qu'il devrait porter à lui seul cet effort budgétaire, n'oublions pas qu'il assure 50 % de l'investissement public civil.

Il me semble donc que, vu l'ampleur de la baisse annoncée, il n'est pas réaliste de faire peser l'effort sur un seul niveau de collectivités.

Comment procéder ? On pourrait retenir le critère du poids respectif de chaque niveau de collectivités dans la dotation globale de fonctionnement (DGF). Vous nous direz comment vous comptez aborder cette première question.

Si on accepte une répartition de l'effort entre tous les niveaux de collectivités, il me semble que deux possibilités s'offrent à nous.

L'application d'un rabot uniforme, c'est-à-dire une réduction dans les mêmes proportions pour tous, au sein de chaque niveau de collectivités, me semble à proscrire. Cette solution, simple, voire simpliste, ne prend pas en considération les inégalités et les spécificités de nos territoires.

Je serai dès lors plutôt favorable à un rabot différencié, plus sélectif, qui permettrait d'envisager une répartition de l'effort en fonction des « capacités contributives » de chaque collectivité. La prise en compte de critères de richesse et de charges permettrait ainsi de ne pas remettre en cause l'objectif de péréquation.

Il ne me semble pas que l'on puisse, d'un côté, être favorable à la péréquation et, de l'autre, ne pas l'appliquer « à rebours » lorsqu'il s'agit de réduire les allocations aux collectivités.

Pour prendre en compte les richesses des collectivités tout en étant prêts pour le projet de loi de finances pour 2014, ne pourrait-on pas s'appuyer sur des critères à la fois récents, « objectifs » et équitables ? Les critères utilisés pour le fonds national de péréquation des ressources intercommunales et communales (FPIC), ne pourraient-ils pas être utilisés comme paramètre pour évaluer les ponctions qui seraient appliquées aux différentes collectivités ?

Une autre question mérite d'être posée : faut-il ou non se limiter stricto sensu à la seule enveloppe normée ? Il faudra, je crois, chercher à faire des économies également du côté des dotations de compensation et de garantie, parce qu'on ne peut pas figer ainsi des montants et créer des sortes de rentes qui ne seraient jamais remises en cause.

Au-delà de ces questions, nous devons nous interroger, plus largement, sur la structure même des concours financiers de l'Etat aux collectivités territoriales. Je suis convaincu qu'il faut repenser l'architecture de la DGF elle-même. A partir du moment où il y a une mise sous tension de l'ensemble des concours financiers et bien sûr de la DGF, qui en est la composante principale, ne faut-il la revisiter ?

Il faut tendre, assez rapidement, à une refondation des paramètres de la DGF, car ils sont aujourd'hui incompréhensibles. Nous avons de plus en plus de mal à expliquer les différences de montant de DGF par habitant entre les collectivités : ceux-ci varient parfois du simple au double ! Il y a, au-delà de la DGF, des éléments vieillis ou obsolètes, comme, par exemple, la dotation « instituteurs », alors que les professeurs des écoles ont remplacé les instituteurs voilà plus de vingt ans. C'est dire à quel point cette dotation commence à être datée sinon dans sa légitimité, du moins dans sa formulation.

Aussi, il est indispensable que nous nous orientions, à moyen terme, vers une réforme globale. Vous nous direz sans doute si cette refonte de la DGF est envisagée et les principes qui pourraient la guider.

M. André Laignel, président du comité des finances locales. - Le coeur de notre audition porte sur les dotations, mais je voudrais d'abord remettre les choses en perspective.

Le Premier ministre a annoncé, au cours de la dernière Conférence nationale des finances locales, six chantiers, qui ont été confiés au CFL qui doit « rendre une copie » à la mi-juin. Comme vous l'indiquiez, cette échéance a été fixée afin d'être en cohérence avec la préparation du projet de loi de finances. Ces six chantiers sont :

- la répartition de la baisse des dotations entre niveaux de collectivités et à l'intérieur de chaque niveau ;

- l'évolution des dépenses contraintes, c'est-à-dire des charges nouvelles qui s'imposent aux collectivités ;

- l'amélioration du panier fiscal des régions qui doivent retrouver des ressources plus évolutives et élargir leur capacité d'autonomie fiscale ou financière ;

- la péréquation, ce chantier permanent et multiple ;

- l'amélioration de l'accès au crédit, même si beaucoup de choses ont déjà été faites ;

- l'évolution de la contractualisation entre l'Etat et les collectivités territoriales.

La charge de travail qui nous a été confiée et l'échéance retenue nous contraignent à une certaine modestie.

Je vais commencer par répondre au dernier point qui a été évoqué, à savoir la refonte de la DGF. C'est un chantier important qui mérite d'être engagé. Mais compte tenu des délais, il ne serait pas raisonnable de le mêler aux travaux que nous devons déjà conduire pour la fin du premier semestre et qui doivent trouver leur traduction dans la loi de finances initiale pour 2014.

Néanmoins, l'idée que ce chantier de clarification, de simplification et de justice doive être ouvert, je la partage, personnellement même si je ne peux pas engager le CFL. C'est une tâche de longue haleine et il sera utile, le moment venu, que nous puissions échanger sur le sujet. Vous me permettrez, pour aujourd'hui, de le laisser de côté.

S'agissant du sujet plus spécifique de la baisse des dotations, vous avez eu raison de souligner qu'il s'agit d'un exercice inconnu. C'est la première fois, en tout cas depuis que la DGF existe, que nous devons prendre en compte une baisse aussi importante des concours financiers de l'Etat.

Cette baisse des dotations s'élève à 1,5 milliard d'euros pour 2014, à l'issue de deux étapes. Je pourrais souhaiter que le Gouvernement revienne sur le doublement de cette baisse, mais, n'étant pas un rêveur, je prends en compte la réalité des choses !

Nous avons à répondre à deux questions : comment répartir cette diminution entre les niveaux de collectivités : régions, départements, bloc communal ? Puis, à l'intérieur de chacun des niveaux, comment la répartition doit-elle s'opérer ?

Une question subsidiaire - ce qui ne veut pas dire qu'elle n'est pas importante - a été posée par le rapporteur général : faut-il, à cette occasion, se livrer à un exercice de péréquation ou bien séparer les deux sujets ?

Le CFL n'a pas encore tranché ce point, dont nous aurons l'occasion de débattre demain, lors de la réunion du groupe de travail qui traite de cette question. En revanche, le Premier ministre a d'ores et déjà annoncé qu'il était exclu qu'un niveau de collectivités ne participe pas à l'effort général.

Quels critères faut-il retenir pour répartir l'effort ? Il y a celui des ressources et celui des dépenses.

Du côté des ressources, il faut faire des choix : on peut retenir le périmètre de la DGF seule, de l'enveloppe normée ou encore celui des compensations d'exonération. Du côté des dépenses, vous savez que c'est beaucoup plus complexe ...

L'association des maires de France (AMF) a fait une simulation - la seule dont je dispose - répartissant la baisse des dotations sur la base des ressources.

A cette aune, le bloc communal supporterait 57 % de l'effort global. Sur les 1,5 milliard d'euros de ponction, les communes et les intercommunalités se verraient privées de près de 860 millions d'euros en 2014. Il s'agit d'un ordre de grandeur et non d'une estimation fiable. Cette simulation est réalisée sur la base des chiffres actuels en ne comptabilisant, comme charges nouvelles, que les évolutions de la démographie et de l'intercommunalité.

Ainsi, la dotation de garantie serait en baisse d'environ 6 % et la dotation de compensation d'environ 11 %. Je vous laisse imaginer, en fonction des situations que vous connaissez, la traduction concrète pour les budgets concernés. En cumul jusqu'en 2015, la baisse de la dotation de compensation serait de 23,7 % et celle de la dotation de garantie de 11,6 %. Je me permets d'insister à nouveau sur le fait qu'il ne s'agit que d'une simulation. C'est néanmoins considérable, d'autant que les proportions seraient sans doute identiques pour les départements et les régions.

Par ailleurs, nous devons mettre en rapport ces chiffres avec le fait que les collectivités feront face à des charges nouvelles. Pour les premiers mois de l'année en cours, la commission consultative d'évaluation des normes (CCEN) a d'ores et déjà pris acte d'environ 800 millions d'euros de charges nouvelles, qui ne comprennent ni la réforme des rythmes scolaires, ni l'impact de l'augmentation de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA).

M. Aymeri de Montesquiou. - Que recouvre ce chiffre ?

M. André Laignel. - Principalement la hausse de la cotisation à la Caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales (CNRACL), pour environ 700 millions d'euros. Pour le reste, il s'agit de toute une série de normes qui évoluent.

Le calcul de la CCEN prend uniquement en compte les actes réglementaires. Il ne comprend pas les mesures législatives, ni celles décidées au niveau européen. On estime au total que les charges nouvelles représenteront 1,8 milliard d'euros en 2014, dont 800 millions d'euros au titre de la réforme des rythmes scolaires. L'impact de la hausse de la TVA est très difficile à mesurer. S'agissant de l'investissement, nous espérons un ajustement des taux du Fonds de compensation de la TVA (FCTVA) ; et s'agissant du fonctionnement, les achats des collectivités étant soumis à différents taux, les projections sont difficiles.

Et encore, ces chiffres ne prennent pas en compte la hausse des dépenses sociales. A ce titre, je voudrais préciser que cette dernière ne concerne pas que les départements, mais également les communes qui gèrent les centres communaux d'action sociale (CCAS). Dans une petite ville ouvrière comme la mienne, en deux ans, j'ai constaté une augmentation de 30 % de ces dépenses, à réglementation constante.

M. Philippe Marini, président. - C'est tout à fait exact, mais, curieusement, les départements sont plus audibles que les communes sur cette question.

M. Philippe Adnot. - Ils ont les plus grosses charges !

M. Philippe Marini, président. - Ils ont un syndicat mieux organisé !

M. André Laignel. - Bien évidemment, en matière sociale, les départements sont en première ligne. J'ai d'ailleurs eu l'occasion de le dire, lorsque j'ai remis le rapport 2012 de l'Observatoire des finances locales. Je me permets simplement de souligner que si les départements font face à la hausse des dépenses sociales, ils ne sont pas les seuls : les communes sont également concernées.

Enfin, il faut prendre en compte l'inflation qui rogne, si ce n'est le pouvoir d'achat, du moins le « pouvoir d'action » des collectivités. L'ensemble des dotations représente environ 100 milliards d'euros, c'est donc 1,8 milliard d'euros de perte de « pouvoir d'action » du seul fait de l'inflation.

Au total, toutes ces sommes vont manquer aux collectivités, notamment pour leurs opérations d'investissement. Or, celles-ci représentent 75 % de l'investissement civil en France. Je tiens à préciser que, si cette proportion a augmenté, c'est en raison d'une diminution de l'investissement de l'Etat.

M. Serge Morvan, directeur général des collectivités locales. - Tout en étant d'accord, pour l'essentiel, avec les observations du président André Laignel, je souhaiterais apporter quelques éléments complémentaires.

La différence entre la première diminution de dotation à hauteur de 750 millions d'euros prévue par la loi de programmation des finances publiques, et déjà votée par le Parlement, et la deuxième baisse de 750 millions d'euros, n'est pas seulement arithmétique. En effet, la loi de programmation des finances publiques prévoit explicitement une diminution de l'enveloppe normée à hauteur de 750 millions d'euros par an en 2014 et en 2015. En revanche, la deuxième baisse pourra s'imputer sur l'ensemble des concours financiers de l'Etat aux collectivités locales. Cette différence est susceptible d'avoir un impact sur les différentes solutions à l'étude.

Les questions auxquelles nous devons répondre sont multiples. Tout d'abord, quelle sera la répartition de la baisse de DGF entre les différents niveaux de collectivités territoriales ? Les chiffres sont très proches selon que l'on prend en compte la proportion des ressources de la DGF de chaque collectivité, ou celle des dépenses globales. Du côté des recettes, la baisse de la DGF se répartit entre les communes et leurs groupements à hauteur de 57 %, les départements pour 30 % et les régions pour 13 %. Au prorata des dépenses globales, la répartition est la suivante : 56 % pour les communes, 30 % pour les départements et 12 % pour les régions, le total n'atteignant pas 100 % du fait des arrondis. La répartition est donc identique.

Mais doit-on considérer que les ressources et les dépenses sont toutes équivalentes, ou que les dépenses d'allocations, dites de solidarité nationale, doivent être exclues des calculs ?

Par ailleurs, doit-on prendre en compte le montant (ou stock) des dépenses globales, ou opérer une répartition selon l'évolution des dépenses de collectivités territoriales, ou encore retenir un critère mixte ? Comme l'observait le président André Laignel, une répartition selon le stock des dépenses globales, aboutit à une baisse de 840 à 870 millions d'euros de la DGF des communes et intercommunalités. Mais si l'on procède en prenant en compte l'évolution des dépenses, ce montant peut atteindre 1,1 milliard d'euros. Plusieurs scénarios seront ainsi présentés par mes services lors de la réunion, demain, du groupe de travail du CFL, ce qui donnera sans doute lieu à des débats intéressants.

Au sein du bloc des communes et des intercommunalités, doit-on considérer que les communes percevant la dotation de solidarité urbaine (DSU) cible et la dotation de solidarité rurale (DSR) cible doivent être totalement ou partiellement exonérées de la diminution des dotations, ou y contribuer de manière proportionnelle ? Doit-on faire appel aux critères du revenu par habitant, de l'effort fiscal et du potentiel financier, alors que le mode de calcul actuel du potentiel financier des départements est contesté ?

Un groupe de travail de l'Assemblée des départements de France (ADF) travaille à une modification éventuelle des critères qui déterminent le potentiel financier des départements en vue de soumettre des propositions au CFL et au Gouvernement. En tout état de cause, c'est lors de la réunion du groupe de travail prévue le 25 avril 2013 que sera abordée la question de la répartition de l'effort entre les collectivités territoriales de même niveau.

Par ailleurs, doit-on chercher à diminuer de 1,5 milliard d'euros la DGF globalement, ce qui inclut la dotation de base, les dotations de péréquation, ou des parties de la DGF - le complément garantie et la dotation de compensation de la suppression de la part salaires ? Car les chiffres restent les mêmes : par exemple, il faut répartir au sein du bloc communal une baisse de 860 millions d'euros, qui peut être ponctionnée soit sur les 23,8 milliards d'euros de la DGF, soit sur le seul complément de garantie, et les pourcentages sont alors, bien entendu, différents.

En outre, en dehors de la DGF, se pose la question des autres dotations, comme la dotation spéciale instituteurs (DSI) que vous avez citée et qui est constituée de deux parties : la compensation d'un logement mis à disposition par les communes et une indemnité pour les instituteurs non logés, étant entendu que la DSI est en extinction progressive.

Au sein de l'enveloppe normée, le cas particulier des variables d'ajustement, comme la dotation de compensation unifiée de taxe professionnelle, représente un enjeu chiffré à 1 milliard d'euros. Faire porter l'effort sur les variables d'ajustement soulèverait donc des difficultés particulières.

Une réforme de la dotation elle-même ferait débat. Quand la DGF a été créée en 1993, un principe de base avait été retenu pour surmonter les difficultés de répartition : la cristallisation des différentes parts de compensation de la péréquation qui existaient à l'époque. C'est pourquoi, la DSU, créée en 1991, et la DSR ont évolué séparément au sein d'une DGF qui était alors indexée sur la hausse des prix et la moitié de la croissance du produit intérieur brut (PIB). Faut-il revenir en arrière, et intégrer de la péréquation dès la dotation forfaitaire ? Il s'agit d'une piste de réflexion, qui n'est aujourd'hui qu'à l'état d'ébauche. Il me semble impossible de pouvoir faire aboutir ces chantiers à l'horizon du projet de loi de finances pour 2014, mais ce serait envisageable pour 2015.

S'agissant du poids des dépenses dites contraintes, un tiers des dépenses provenant de normes nouvelles est lié aux dépenses de personnel des collectivités locales ; il peut s'agir de la revalorisation du point d'indice, qui n'est certes pas d'actualité, ou des réformes du salaire minimum. Nos estimations de la hausse des dépenses imputables aux normes sont un peu différentes de celles de l'AMF. Pour 2013, nous les avons évaluées à 800 millions d'euros. Pour 2014, on doit prendre en compte des économies prévisibles de l'ordre de 200 millions d'euros, et le solde de dépenses liées aux normes nouvelles atteindrait donc près de 600 millions d'euros.

M. Serge Dassault. - Superbe !

M. Jean Arthuis. - Très bien !

M. Philippe Marini, président. - La parole est à Jean Germain, rapporteur spécial de la mission « Relations avec les collectivités territoriales ».

M. Jean Germain. - Si l'énoncé politique des mesures proposées est assez simple, les explications techniques apparaissent plus alambiquées. Nous ne savons pas quels sont les critères qui seront retenus. Pourtant, ces facteurs, sur lesquels les collectivités territoriales n'ont pas de prise, devront être intégrés dans la préparation des budgets locaux à la veille des élections municipales de mars 2014.

Sur la réforme de la DGF, le président du CFL a déclaré que le chantier de cette année était déjà important, alors que le directeur général des collectivités locales ne m'a pas semblé tenir tout à fait le même discours...

M. Serge Morvan. - Si, et je tiens à préciser à nouveau le calendrier : une réforme de la DGF n'aura pas lieu avant 2015.

M. Jean Germain. - Il me semble nécessaire de réfléchir à de nouvelles ressources en-dehors des dotations de l'Etat aux collectivités locales. Indépendamment du contexte actuel de rigueur budgétaire, il est nécessaire de préserver les capacités d'investissement des collectivités en évitant de procéder à des hausses d'impôts locaux. Pour disposer de ressources nouvelles non fiscales, la production et la vente d'énergie sont une piste à explorer : si les gains ne sont pas immédiats, à terme, une collectivité locale produisant elle-même son énergie peut réaliser des économies chiffrables en millions d'euros.

S'agissant des départements, l'an dernier, après avoir réalisé des simulations et reçu les représentants de l'ADF, la commission des finances du Sénat avait décidé de réserver sa position concernant le potentiel financier des départements. Il est difficile de retenir des critères indiscutables pour définir la richesse ou la pauvreté d'un département, mais il faudra trouver un moyen de moduler l'effort des collectivités.

A cet égard, je suis très attaché à la prise en compte de l'effort fiscal : celui-ci est en effet une mesure de l'effort des citoyens. En 2013, nous avons remonté le niveau minimum à atteindre dans le cadre des mécanismes de péréquation de à 0,5 à 0,75. Nous pensons, Pierre Jarlier et moi-même, que ce critère devrait au moins approcher 1 pour 2014.

M. Philippe Marini, président. - Il faut effectivement faire preuve d'imagination pour envisager des recettes nouvelles ne correspondant pas à des dotations et n'étant pas de nature fiscale. Les questions d'énergie offrent des perspectives inexplorées. Il y a aussi lieu de s'interroger sur les modulations de certains impôts aujourd'hui régis par des taux fixes nationaux, au regard de la diminution des marges de manoeuvre dont disposent les collectivités locales.

La parole est à Pierre Jarlier, l'autre rapporteur spécial de la mission « Relations avec les collectivités territoriales ».

M. Pierre Jarlier. - Nous avons été quelque peu frustrés de l'absence de débat au Sénat sur la seconde partie du projet de loi de finances pour 2013.

Malgré le nécessaire redressement des finances publiques, beaucoup s'interrogent sur les limites d'une politique d'austérité. Dans ce contexte, est-il souhaitable d'opérer une ponction à hauteur de 1,5 milliard d'euros en 2014 sur les ressources des collectivités territoriales ? A-t-on mesuré les effets de ces mesures sur les investissements locaux ?

Je m'interroge aussi sur l'impact à l'intérieur de la DGF de la baisse de 1,5 milliard d'euros, avec des incidences extrêmement fortes sur la dotation de garantie et sur la dotation de compensation, ce qui posera de graves problèmes car ces dotations ne pèsent pas de la même façon pour toutes les collectivités. Certaines communes ayant une DGF élevée ne sont pas forcément riches. Comment la ponction de 1,5 milliard d'euros pourra-t-elle être opérée de façon équitable ? Ce débat est indissociable du renforcement de la péréquation verticale.

Même si nous n'engageons pas de réforme immédiate de la DGF, celle-ci sera nécessaire pour rendre cette baisse plus péréquatrice : il existe des solutions, comme resserrer l'écart de la dotation par habitant, articulée au coefficient logarithmique, ou augmenter la part de la dotation superficiaire, qui est extrêmement faible, alors qu'elle prend en compte les charges territoriales. Il est indispensable de renforcer la péréquation interne à la DGF en même temps qu'elle diminue dans sa globalité.

Par ailleurs, il est nécessaire de rechercher des ressources nouvelles et pérennes pour les collectivités : nous y travaillons au sein du groupe de travail du CFL.

S'agissant des départements, où en est-on de l'attribution de la deuxième part du fonds d'urgence qui est très attendue par les départements ruraux qui ont été fortement pénalisés par la première répartition du fonds de péréquation des droits de mutation à titre onéreux (DMTO). Pourriez-vous nous donner une répartition, département par département, de l'impact du nouveau potentiel financier, de la diminution des bases liée à la baisse des transactions puisque nous disposons à présent des nouvelles bases de 2013, ainsi que sur les effets du fameux amendement dévastateur pour la péréquation, avec des modifications de critères apportées en dernière minute et dont nous n'avons pas eu la possibilité de débattre au Sénat ?

Enfin, sommes-nous disposés ou non à modifier les critères déterminant le potentiel financier des départements ? En effet, à l'aune de ce critère, certains départements de la région Ile-de-France pourraient être considérés comme pauvres. En tout état de cause, il est nécessaire d'adopter un nouveau mode de calcul pour avoir une évaluation de la richesse des départements fondée sur des critères objectifs.

M. Philippe Marini, président. - En l'espèce, il n'existe plus, dans le monde des collectivités territoriales, aucun riche.

M. Philippe Adnot. - Il faut poser un principe : la nation est en difficulté...

M. Pierre Jarlier. - Ca, c'est sûr !

M. Philippe Adnot. - Et tout le monde doit faire un effort mais il faut se demander dans quelles conditions cette répartition doit se faire.

S'agissant des surcoûts normatifs, Nicolas Sarkozy nous avait promis le gel des normes. Le Gouvernement actuel semble sensible à la limitation du poids des normes, mais vous avez évoqué tout à l'heure le chiffre de 800 millions d'euros de charges supplémentaires pour les collectivités générées par ces seules normes. Je pose la question : quand arrête-t-on le massacre ?

Or, on constate que les cotisations sociales pour les élus vont alourdir les charges pesant sur les collectivités, alors que personne n'avait besoin de rien ! Il nous faut donc faire face à la fois à ces charges supplémentaires et à une baisse des dotations.

Ensuite, quelle répartition de l'effort voulons-nous ? Il faut que cette question soit examinée à la lumière des dépenses obligatoires. La dotation d'intercommunalité, cette dotation qui est essentiellement une dotation « carotte », incitative, et à laquelle ne correspond aucune charge, n'est pas de même nature que des dotations - insuffisantes - liées à des dépenses rendues obligatoires dans le cadre de la décentralisation. Ce sont deux types de ressources qui ne doivent pas être comparées. Donc voici ma proposition : l'intercommunalité bénéficie d'une dotation annuelle de 3 milliards d'euros pour financer de l'idéologie...

M. Philippe Marini, président. - C'est très bien, il faut toujours faire les économies chez les autres ! C'est le meilleur des principes.

M. Philippe Adnot. - Monsieur le président, laissez-moi aller au bout de mon propos parce que vous ne pouvez pas le contredire.

M. Pierre Jarlier. - Mais on peut contredire ce que vous venez de dire, cher collègue.

M. Philippe Adnot. - Aujourd'hui, les intercommunalités touchent une indemnité « carotte », qui n'est pas liée à un transfert de charges. D'ailleurs, on va bien le voir, les nouvelles intercommunalités qui se créent dans le cadre du prochain projet de loi sur la décentralisation, n'ont aucune dépense supplémentaire, mais elles vont recevoir une dotation. Celle-ci ne correspond à aucune charge, c'est une récompense ! Alors que nous, départements, quand l'Etat nous dit que le revenu de solidarité active (RSA) est à notre charge, il ne s'agit pas d'une dépense « carotte » mais d'une dépense obligatoire et non compensée.

M. Philippe Marini, président. - On entend ce discours depuis toujours, répété sur tous les bancs, sur tous les tons, et d'ailleurs en général plus par l'opposition que par la majorité, mais de toute façon, quand ce ne sont pas les uns, ce sont les autres, et c'est toujours la même chose !

M. Philippe Adnot. - Je vous remercie monsieur le président de me contredire dans mon exposé. Je suis le seul depuis vingt ans à tenir ici un raisonnement de chef d'entreprise : si on s'associe, c'est pour faire des économies et cela ne doit pas coûter davantage en fonctionnement. Les gouvernements, depuis toujours, ont utilisé la « carotte » en disant : « si vous vous associez, je vous donne de l'argent en plus pour fonctionner ». Je vous mets au défi de me contredire !

M. Philippe Marini, président. - Puisqu'on ne peut pas vous contredire, on vous laisse donc parler !

M. Philippe Adnot. - Or nous avons là 3 milliards d'euros de dépenses de fonctionnement de confort. Voici mes observations et mes propositions et j'espère qu'elles seront au procès-verbal, et notre échange également, monsieur le président, de telle sorte que nos héritiers s'en souviennent.

Par ailleurs, puisqu'on cherche à diminuer les dotations, on devrait créer les conditions d'une diminution de la dépense. J'avais proposé au Gouvernement précédent de modifier les mécanismes prévus dans le cadre de la passation des marchés. Vous avez souligné tout à l'heure l'importance des investissements des collectivités. Or, ceux-ci coûtent 20 % plus chers que lorsqu'ils sont faits par le secteur privé ! Pourquoi ? Parce que nous n'arrivons pas à faire comprendre que nous n'avons pas le droit d'utiliser des mécanismes de maîtrise de la dépense, car l'Etat a considéré que, s'agissant de l'attribution des marchés publics, les collectivités territoriales n'étaient pas des personnes responsables. En même temps que la baisse des dotations, c'est-à-dire des recettes des collectivités, on pourrait chercher à maîtriser les dépenses, et mettre en oeuvre des méthodes d'appel au marché qui permettent de rejoindre le prix de marché. Cela représente des dépenses d'un montant énorme, et je peux vous donner des exemples.

Ne touchez pas, Monsieur Morvan, aux variables d'ajustement, qui ont été le résultat de la parole de l'Etat car sinon, demain, vous aurez un problème puisque seul Philippe Marini pourra demander à bénéficier des dépôts de l'agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (ANDRA).

M. Philippe Marini, président. - Pour cela, il faut que la nature géologique des sols s'y prête, et dans les vallées, ce n'est pas possible !

M. Joël Bourdin. - Dans les extrapolations que l'on est en train faire, a-t-on évalué l'incidence de la modification des catégories d'établissements publics intercommunaux (EPCI) à fiscalité propre prévue par le projet de loi sur les métropoles ? Je pense en particulier aux fusions de communautés d'agglomération et de communautés de communes, à la création des métropoles, et aux dispositions relatives à la région parisienne qui va s'organiser en EPCI à fiscalité propre. Généralement, ces changements seront faits à un bon niveau, c'est-à-dire avec les valeurs de points les plus élevées, ce qui provoquera une augmentation des dotations d'intercommunalité.

Tout cela va se faire dans un même groupe, celui de l'intercommunalité : ne va-t-on pas faire face à un problème de financement des autres intercommunalités ? Les intercommunalités créées recevront des dotations de 40 euros par habitant alors que beaucoup d'autres ne touchent que 23 euros par habitant. A-t-on mesuré les effets de ces modifications structurelles ?

M. Philippe Marini, président. - C'est une question tout à fait réelle et qu'il faut traiter.

M. Pierre Jarlier. - Tout à fait !

M. Edmond Hervé. - Nous devons nous placer dans le cadre d'un temps long, comme l'a indiqué Philippe Adnot en évoquant nos héritiers. Nous avons une terrible responsabilité. Nous n'avons jamais eu le courage de procéder à certaines réformes importantes. Or, la troisième étape de la décentralisation n'a rien à voir avec les deux précédentes, en raison du contexte dans lequel elle se situe. Notre commission des finances doit bien prendre conscience qu'il n'y a plus de cloison étanche entre la fiscalité de l'Etat, celle des collectivités territoriales, et les ressources des organismes sociaux.

D'autre part, nous avons mis en place, pendant des années, de nombreuses exonérations ; aussi, l'Etat est-il devenu le premier financeur des collectivités territoriales. Donc, dans une situation telle que celle que nous connaissons aujourd'hui, il est normal que le Gouvernement, quel qu'il soit, s'intéresse au budget qui finance les collectivités territoriales, qui est l'un des plus importants au sein du budget de l'Etat.

Je pense que dans un pays comme le nôtre, il ne peut pas y avoir de développement, de croissance, de solidarité et de cohésion si les collectivités territoriales ne sont pas actives. Je reconnais que ce principe ne fait pas l'unanimité. Il est donc important que les collectivités assument leurs pouvoirs. Ainsi, par exemple, il n'est pas normal que l'Etat finance nos agences d'urbanisme, nos agences de développement : il faut que les collectivités assument leurs responsabilités. De même, l'Etat ne doit pas financer la formation continue de la fonction publique territoriale, ce qui n'interdit pas les liens et solidarités entre l'Etat, les organismes sociaux et les collectivités.

Enfin, arrêtons de nous gargariser avec l'autonomie ! D'autant que, même parmi nous, certains confondent autonomie financière et autonomie fiscale...

M. André Laignel. - C'est un péché courant.

M. Edmond Hervé. - Je suis très heureux que le Premier ministre ait anticipé la mise en place du Haut conseil des territoires, et vous avez rappelé, monsieur le président du CFL, les six chantiers annoncés à cette occasion. Je suis également très heureux que, suite à votre insistance, monsieur le rapporteur général, nous nous soyons engagés dans un processus de revalorisation des valeurs locatives. J'espère, monsieur le président de la commission des finances, que nous ne baisserons pas pavillon devant l'administration de Bercy, car le jour où, dans nos communes, les associations de consommateurs publieront le montant des taxes d'habitation, des taxes foncières sur les propriétés bâties et non bâties, nous aurons la révolution.

Enfin, régulièrement, les présidents de départements demandent une rallonge au Gouvernement : cela ne pourra pas continuer. Je plaide, même si je suis minoritaire, pour le respect d'un engagement qui proposait la fusion de l'impôt sur le revenu et de la contribution sociale généralisée (CSG). Vous n'y échapperez pas ! C'est comme pour l'impôt sur le revenu, il a fallu attendre juillet 1914, à quelques jours du déclenchement de la première guerre mondiale, pour que le Sénat, enfin sage, vote ce projet qui s'était perdu dans les limbes depuis très longtemps !

Concernant l'intercommunalité, Philippe Adnot, quand on développe les compétences des EPCI, en règle générale, on étend le service rendu, ainsi par exemple pour la collecte et le traitement des ordures ménagères, pour lesquels on est alors obligé de faire des dépenses supplémentaires. Mais je suis d'accord avec vous concernant les marchés d'appels d'offre et de maîtrise d'ouvrage : les collectivités ont, dans ce domaine, des efforts à faire. Les départements devraient donc avoir une mission de conseil et d'expertise auprès de communes et d'intercommunalités qui n'ont pas les moyens requis. Je pense en particulier, monsieur le président, aux négociations de délégations de service public que les collectivités sont susceptibles de passer avec de grandes entreprises nationales publiques. Je suis convaincu que, dans ce domaine, des avancées peuvent être faites.

S'agissant des normes, ma religion est faite : vous pourrez faire tous les rapports possibles sur les normes, cela n'aboutira pas car il faut prendre chaque norme, l'une après l'autre, et savoir qui en a décidé. Les normes peuvent aussi avoir un effet positif, de croissance, de modernisation ; ne les mettons pas toutes dans le même panier.

Je constate que nous traitons de ce sujet depuis 30 ans. Nous devons faire preuve aujourd'hui de responsabilité, et j'attends beaucoup du prochain projet de loi de finances. Mais le calendrier est-il pertinent, alors que des élections sont prévues en mars 2014 ?

M. Edmond Hervé. - Si nous ne résolvons pas ces questions, mes chers collègues, ce n'est pas la peine de parler de fiscalité locale, et nous aurons un système généralisé de dotations, ce qui n'est d'ailleurs pas anti-démocratique.

M. Albéric de Montgolfier. - A la différence d'Edmond Hervé, je n'attends pas grand chose du projet de loi de finances pour 2014 concernant les dotations.

Ma question est liée à celle de Joël Bourdin. Y aura-t-il toujours, malgré la baisse des dotations, une prime au regroupement des intercommunalités ?

De plus, quels seront les montants de DGF par habitant à l'intérieur du bloc communal, entre les métropoles de demain, les communautés d'agglomération, les communautés de communes et les communes, en distinguant communes urbaines et communes rurales ?

Enfin, le projet de loi de décentralisation présenté ce matin en conseil des ministres a été découpé en trois projets, ce que le président de la commission des lois, Jean-Pierre Sueur a dit regretter. Vu le calendrier prévu, je me demande comment il est possible d'anticiper les baisses de dotations pour les différents blocs tant qu'on ne sait pas quelles seront les compétences de chacun d'entre eux ! Une dernière question : les travaux du CFL se limiteront-ils au projet de loi de finances pour 2014 ou s'intéresseront-ils aux années suivantes ?

M. André Laignel. - En réponse à Jean Germain et s'agissant des critères sur lesquels fonder la baisse des dotations : quand on parle de la répartition des dotations, à la hausse comme à la baisse, la question est toujours celle des critères. Il faut savoir si on doit mêler baisse des dotations et péréquation ou si on traite ces deux sujets séparément. Le CFL est convaincu que la péréquation est une question essentielle. Je suis personnellement persuadé que nous rencontrerons de très grandes difficultés si nous voulons péréquer la baisse. Il faut un système le plus simple possible pour répartir la baisse des dotations, ce qui n'empêche pas, par ailleurs, d'améliorer les mécanismes de péréquation pour prendre en compte les éventuels impacts qu'aurait une application uniforme de la baisse des dotations. Vouloir mêler les deux opérations, c'est risquer, en raison d'une trop grande complexité, de ne jamais parvenir à un consensus ; or, le CFL fonctionne par consensus.

Sur la prise en compte de l'effort fiscal, j'avais plaidé l'année dernière pour que le curseur soit fixé à 1 pour qu'aucune collectivité ne puisse « tendre la sébile » si elle ne fait pas l'effort de lever autant d'impôts que la moyenne de la catégorie à laquelle elle appartient. J'ai le sentiment que le Premier ministre et le Gouvernement sont favorables à une telle évolution, et donc une telle disposition devrait figurer dans le projet de loi de finances initiale. Si ce n'est pas le cas, je serais favorable à ce que des amendements allant dans ce sens soient déposés.

S'agissant de la prise en compte du revenu par habitant : aujourd'hui, ce critère est pris en compte à hauteur de 20 % dans certains mécanismes de péréquation et en particulier dans le FPIC. Nous disposons, depuis hier, des chiffres du FPIC, et je pense qu'il sera intéressant de regarder quelles ont été les évolutions pour mesurer l'impact de la prise en compte de ce critère. Intuitivement, je pense qu'attribuer un poids de seulement 20 % à ce critère est peut-être un peu faible au regard des enjeux. Cette question doit être examinée et éventuellement éclairée par des simulations, pour savoir s'il faut améliorer le dispositif.

J'ai peu évoqué la question des départements dans la mesure où elle fait l'objet d'un groupe de travail spécifique, dont les propositions seront versées à la réflexion du CFL. Aujourd'hui, tous les arbitrages ne sont pas rendus.

En ce qui concerne les ressources nouvelles, je peux citer l'exemple de ma communauté de communes : la création de la première société d'économie mixte (SEM) dédiée aux énergies renouvelables permet de financer l'ensemble des dépenses favorisant l'économie d'énergie pour les années à venir, et probablement la mise en place prochaine d'un réseau de chaleur. Cet exemple, adapté à un territoire précis, n'est certes pas généralisable mais correspond à une solution nouvelle en dehors du champ des impôts et des dotations.

En réponse à Pierre Jarlier, qui s'interrogeait sur la possibilité d'une diminution du montant de la baisse des dotations, j'ai déclaré publiquement que cette baisse de la DGF représentait des dangers pour l'investissement. Je suis personnellement convaincu qu'un recul important des dotations qui perdurerait, malgré une hausse des charges, mettrait en péril les investissements locaux aujourd'hui très largement réalisés par les communes et leurs groupements. On observe en effet une hausse des investissements l'année précédant une élection, et une chute ensuite, qui risque d'être d'autant plus marquée qu'elle aura dû intégrer l'impact de la baisse de la DGF.

M. Philippe Adnot. - Intégrez-vous les subventions des départements dans les dépenses des communes ?

M. André Laignel. - Oui, et celles-ci diminuent.

M. Philippe Adnot. - Dans mon département, les subventions aux communes s'élèvent à 14 millions d'euros par an.

M. André Laignel. - Les remarques que j'ai formulées portent sur l'ensemble des dépenses d'investissement, quel que soit leur mode de financement.

M. Philippe Marini, président. - Il s'agit de sujets éternels, où toute vérité est relative selon le point de vue adopté. Certes, les départements subventionnent les communes. Mais les communes ne contribuent-elles pas, sans que cela s'accompagne d'un pouvoir de décision, au financement des services départementaux d'incendie et de secours (SDIS) ?

En ce qui concerne la richesse et la pauvreté relatives des différents niveaux de collectivités, les champs de débat sont infinis.

M. André Laignel. - Des données indiscutables figurent dans les comptes administratifs des collectivités locales.

En ce qui concerne les normes, comme Edmond Hervé l'a évoqué, il faut s'inscrire dans le temps long. Or, il y a urgence budgétaire à diminuer les dotations, malgré la prégnance des charges nouvelles. Le débat sur la simplification des normes est si ancien qu'il suscite un certain scepticisme, et même si nous parvenions à le trancher, sa mise en oeuvre ne produirait d'effets qu'à long terme.

La révision des valeurs cadastrales est un sujet tout aussi essentiel mais nécessitant du temps pour aboutir, et qui soulève la question de la justice fiscale entre les contribuables, mais elle n'aura pas forcément pour effet d'augmenter les ressources des collectivités locales.

Sur le sujet lourd que constituent les dotations des EPCI, nous n'aurons pas nécessairement de solution dès 2014. Pour les métropoles et les évolutions du fait urbain, comme pour l'accession des communes de la petite couronne parisienne à l'intercommunalité, les travaux prendront du temps et n'aboutiront sans doute qu'en 2016. Il s'agit d'une vraie préoccupation, d'autant plus que l'on observe des écarts de dotation moyenne entre les communes et leurs groupements à compétences similaires. Cette question devra être de nouveau abordée.

S'agissant de la prime au regroupement intercommunal, son évolution a été limitée à 5 % dans la loi de finances initiale pour 2013.

M. Serge Morvan. - Lorsque l'on s'interroge sur la pertinence du montant de 1,5 milliard d'euros, il peut être rappelé qu'il représente 0,625 % des budgets locaux.

Concernant la deuxième partie du fonds d'urgence, les départements qui souhaitaient bénéficier de subventions exceptionnelles devaient déposer leurs dossiers en préfecture avant le 31 mars. Les préfectures avaient jusqu'au 8 avril pour les transmettre à la DGCL. 38 départements, représentant toutes les régions de France, comme la Seine-Saint-Denis, le Val-d'Oise et la Seine-Maritime, ont déposé des demandes. L'instruction est en cours avec l'appui du ministère de l'intérieur qui proposera une méthodologie d'analyse des critères pour définir quels départements seront éligibles. Deux critères sont inscrits dans la loi : l'évolution des dépenses sociales et l'existence de difficultés budgétaires spécifiques. Mais la surface financière du département sera bien évidemment aussi prise en compte. Comme pour l'effort fiscal, il est logique de considérer la capacité du département à assumer ces charges nouvelles. L'instruction devrait prendre un mois pour s'achever mi-mai et la notification des crédits correspondants est prévue en juin.

S'agissant de l'impact du nouveau potentiel financier sur les départements, celui-ci a déjà été utilisé l'an dernier dans le calcul des dotations et très peu d'écarts ont été observés avec l'ancien mode de calcul. Pour l'essentiel, il n'y a pas eu de modification de la hiérarchie des départements, mais plutôt un resserrement des moyennes par habitant.

Je regrette également que les débats sur les DMTO n'aient pas pu avoir lieu au Sénat lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2013. Concernant les contributions, il n'y a eu aucune modification dans la loi de finances des critères préexistants, parmi lesquels ne figure pas le potentiel financier. La différence entre les données 2012 et 2013 reflète l'évolution du marché immobilier : les DMTO ont fortement baissé, à hauteur de 650 millions d'euros. Le fonds de péréquation des DMTO est doté de 239 millions d'euros cette année, contre 580 millions d'euros l'an passé, traduisant la baisse des produits et non un changement des critères d'éligibilité au fonds.

Le Gouvernement est prêt à accepter, sur le principe, une modification des critères de potentiel financier, mais une discussion sera évidemment à engager dans le cadre de la préparation et de l'examen du projet de loi de finances.

J'en viens à la question de Philippe Adnot sur des dépenses obligatoires des départements. Nous en avons déjà parlé lorsque nous avons abordé les divers scénarios de répartition de l'effort qui pourront être proposés. Il en va de même pour les variables d'ajustement.

La question a été posée de savoir si l'on a évalué le coût du projet de loi sur les métropoles et l'impact de la création des métropoles sur la DGF. Oui, nous l'avons fait. Au 1er janvier 2015 - les métropoles ne seront pas créées avant cette date compte tenu des délais nécessaires à leur mise en place - le coût serait de 36 millions d'euros. C'est beaucoup et peu à la fois - si l'on compare ce chiffre aux 1,5 milliard d'euros évoqué précédemment.

En fait, la plupart des métropoles sont déjà des communautés urbaines, le montant de la dotation par habitant sera donc exactement le même. Il y aura un impact financier uniquement dans le cas où des communautés d'agglomération deviendront des métropoles.

Le cas particulier de Marseille pourrait se révéler plus coûteux. Le projet de loi, à ce jour, prévoit la fusion des six EPCI en un seul. Ces six EPCI sont des communautés d'agglomération, des syndicats d'agglomération nouvelle et une communauté urbaine. De ce fait, si l'on prend comme valeur de base la dotation par habitant de la communauté urbaine, le coût sera alors d'environ 35 millions d'euros sur l'ensemble de la DGF.

Paris et la région Île-de-France n'engendrent aucun coût supplémentaire avant le 1er janvier 2016. En effet, il faut d'abord constituer les commissions départementales de coopération intercommunale et la commission régionale de coopération intercommunale. En un mot, il faut d'abord que l'intercommunalité soit achevée en Île-de-France. On pourrait faire le calcul, mais il ne s'inscrit pas dans la même temporalité que les cas évoqués précédemment.

S'agissant de savoir si l'on va maintenir la « prime à la fusion », je rappelle qu'elle a déjà été largement encadrée par la loi de finances pour 2013, qui permet de bénéficier d'un « bonus » de 5 %. Aujourd'hui, il n'est pas prévu de revenir sur cette disposition. Ceci étant dit, l'essentiel du regroupement intercommunal est achevé. Il n'existe plus aujourd'hui que 53 communes isolées, en dehors de l'Île-de-France. Je précise d'ailleurs que l'augmentation de la population intercommunale augmente la DGF intercommunale. S'agissant des fusions, la plupart des opérations sont déjà engagées et, par conséquent, le coût en 2014 ne sera pas supérieur à celui de 2013. Il n'y a donc pas de raison que nous revenions sur cette disposition, sauf si le Parlement le décide.

Enfin, faut-il associer péréquation et baisse des dotations ? C'est évidemment très difficile car il s'agirait de mener deux opérations complexes en même temps. De surcroît, la péréquation pourrait s'opérer sur des critères nouveaux. Néanmoins, si l'on voulait mener à bien cette double opération, il faudrait prendre en compte deux éléments :

- la péréquation verticale : dans le cadre du fonctionnement de l'enveloppe normée, l'augmentation de la DSU - ou de la DSR - en 2014 par rapport à 2013 va forcément s'imputer sur l'enveloppe normée de 50 milliards d'euros ;

- l'évolution des fonds de péréquation, dits horizontaux, dont le FPIC, abondé aujourd'hui à hauteur de 360 millions d'euros. La loi prévoit que ce montant soit porté à hauteur de 570 millions d'euros en 2014. Par conséquent, si l'on ne touche pas à la péréquation verticale, faudra-t-il renforcer la péréquation horizontale ? Et, en cas de réponse par l'affirmative, dans quelle mesure ? Je n'ai pas de réponses à ce stade. Les arbitrages n'ont pas été rendus et je ne peux guère plus m'avancer.

M. Philippe Marini, président. - Merci infiniment. Compte tenu de la multiplicité des sujets évoqués, je crois que nous serons appelés à nous revoir souvent.