Mardi 5 novembre 2013

- Présidence de M. Philippe Marini, président, puis de Mme Michèle André, vice-présidente -

Loi de finances pour 2014 - Examen du rapport de M. Jean-Marc Todeschini, rapporteur spécial, sur la mission « Sport, jeunesse et vie associative »

La commission procède tout d'abord à l'examen du rapport de M. Jean-Marc Todeschini, rapporteur spécial, sur la mission « Sport, jeunesse et vie associative ».

M. Jean-Marc Todeschini, rapporteur spécial. - La mission « Sport, jeunesse et vie associative » s'enrichit d'un programme cette année. Aux deux programmes traditionnels, c'est-à-dire le programme « Sport » et le programme « Jeunesse et vie associative », s'en ajoutera un nouveau, dénommé « Projets innovants en faveur de la jeunesse ».

La programmation pluriannuelle avait fixé le montant de l'annualité 2014 de la mission à 484,8 millions d'euros. Néanmoins, les crédits demandés pour la mission dans son format traditionnel ont été ajustés à 454 millions d'euros en autorisations d'engagement (AE) et à 460,5 millions en crédits de paiement (CP). Elle participe ainsi pleinement aux efforts de maîtrise de la dépense publique, au-delà même de la programmation.

Le programme « Sport » présente une budgétisation sérieuse et réaliste : sérieuse par sa stabilité en euros courants par rapport à 2013, signe de maîtrise de la trajectoire des finances publiques ; réaliste du fait de la programmation des dépenses, telles que les investissements à l'Institut national du sport, de l'expertise et de la performance (INSEP), le financement de la première tranche du plan de titularisation des personnels contractuels pour les opérateurs, ou encore le remboursement à l'agence centrale des organismes de sécurité sociale (Acoss) de la prise en charge par l'État des cotisations de retraite des sportifs de haut niveau - le ministère se trouvera à l'abri de mauvaises surprises l'année prochaine.

Si le soutien financier aux fédérations sportives revient de 66 millions d'euros à 63,5 millions d'euros, l'enveloppe qui leur est dévolue en faveur du développement du sport pour tous est maintenue.

Le centre national pour le développement du sport (CNDS) doit purger une situation difficile, née de la multiplication d'engagements non maîtrisés durant le précédent quinquennat - la Cour des comptes s'en était fait l'écho en janvier 2012. Les simulations effectuées en novembre 2012 faisaient apparaître un manque de trésorerie de 160 millions d'euros à la fin 2016. Depuis la fin de l'année dernière, un plan de redressement des comptes est prévu, avec une trajectoire budgétaire devant assurer une trésorerie positive pour les exercices 2013 à 2016.

Par ailleurs, il y a tout lieu de se féliciter de l'accord conclu en septembre avec le consortium Stade de France, qui se traduit notamment par la suppression, pour au moins quatre ans, de l'indemnité versée par l'État du fait de l'absence de club résident. L'économie est très substantielle, le montant annuel de la pénalité devant tendre vers 15 à 16 millions d'euros. A l'avenir, pour consolider le modèle économique du stade, l'État devra oeuvrer à la conclusion d'un accord de long terme entre le consortium et la Fédération française de rugby. Cette solution serait nettement préférable à la construction en région parisienne d'un nouveau stade de plus de 80 000 places sans club résident.

En outre, je salue le provisionnement d'un million d'euros au titre des primes aux futurs médaillés des Jeux olympiques et paralympiques de Sotchi. Ce montant apparaît aussi prudent d'un point de vue budgétaire qu'ambitieux au vu des résultats des athlètes français lors des jeux de Vancouver en 2010, qui avaient entraîné le décaissement de 500 000 euros. Cette attitude tranche avec celle du précédent gouvernement, qui n'avait programmé aucun crédit au titre des Jeux de Londres en 2012. Les 4,8 millions d'euros de cette dépense, pourtant prévisible, avaient fortement compliqué l'exécution du programme...

Les crédits de paiement du programme 163, « Jeunesse et vie associative », diminuent de 0, 6 % par rapport à 2013. Les crédits en faveur de la jeunesse et de l'éducation populaire, quant à eux, baissent de 3 millions d'euros ; le soutien au Fonds de coopération de la jeunesse et de l'éducation populaire (FONJEP) s'élèvera à 24,9 millions d'euros et l'appui aux associations agréées « jeunesse et éducation populaire » à 9,1 millions. Enfin le développement de la vie associative revient de 13,3 millions à 12,7 millions d'euros. Cette légère baisse ne traduit évidemment pas un manque d'ambition à l'égard de la politique en faveur de la jeunesse, dont l'apparition d'un nouveau programme souligne qu'elle ne se résume pas, loin s'en faut, au programme 163.

La très légère hausse des crédits alloués au service civique, qui passent de 145 millions d'euros à 146 millions traduit la hausse attendue du nombre des volontaires, qui devrait s'établir à 31 000. Son impact sur le budget de l'État sera minimisé par le raccourcissement de la durée moyenne des missions des jeunes. Je soutiens cette volonté de ne pas entraver la progression du service civique malgré la forte pression budgétaire.

Enfin, le nouveau programme « Projets innovants en faveur de la jeunesse » sera doté de 100 millions d'euros, en autorisations d'engagement comme en crédits de paiement, et recevra des fonds en provenance du nouveau programme d'investissements d'avenir (PIA), piloté par le Commissariat général à l'investissement. Cette somme sera intégralement reversée à l'agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU), que le ministère a choisie comme prestataire. Par la suite, le déblocage des fonds se fera au fil de l'eau, en fonction de la désignation puis de l'avancement des projets retenus, normalement de 2014 à 2017, ce qu'il conviendra de surveiller attentivement.

Ce programme traduit l'engagement du président de la République en faveur des jeunes ; je m'en félicite, ainsi que de la marque de transparence que constitue l'inscription des crédits correspondants au sein de la mission. Cependant, les crédits en provenance du PIA ne sont pas fongibles avec les autres, ce qui signifie qu'aucun amendement visant à modifier leur montant ne saurait recevoir notre appui dans le cours de l'examen de ce projet de loi de finances. De plus, la mécanique propre au PIA crée un décalage entre l'inscription de la somme que ce projet de loi de finances consacre aux projets innovants en faveur de la jeunesse et les décaissements effectifs en faveur des acteurs de terrain. Il conviendra de rester attentif au développement des projets et de veiller à ce que ses crédits ne soient pas confondus avec des crédits budgétaires normaux. Les investissements d'avenir doivent servir à appuyer des actions qui, à terme, s'autofinanceront ; ils diminueront même les crédits publics en les rendant plus efficaces. Le succès de cette opération dépend du strict respect de ces principes dans le temps.

Je vous recommande d'adopter sans modification les crédits de la mission « Sport, jeunesse et vie associative ».

M. Philippe Marini, président. - Votre rapport, Monsieur le rapporteur spécial, est assorti d'un amendement.

M. Jean-Marc Todeschini, rapporteur spécial. - Vous savez que l'État, par le biais du CNDS, s'est engagé à soutenir les travaux de construction et de rénovation des stades de football de l'Euro 2016 à hauteur de 160 millions d'euros ; 138 millions en ont d'ores et déjà été attribués, sous réserve de la validation de ce plan de soutien par la Commission européenne. Or, grâce à un amendement de...

M. Jean-Paul Emorine. - François Trucy !

M. Jean-Marc Todeschini, rapporteur spécial. - ... de François Trucy en effet, le CNDS bénéficie d'une ressource spécifique, à savoir un prélèvement complémentaire de 0,3 % sur les mises de la Française des jeux de 2011 à 2015. Son plafonnement à 120 millions d'euros entraîne toutefois un manque à gagner de 40 millions d'euros. Comme le CNDS est engagé dans un plan de redressement très sévère, laisser les choses en l'état reviendrait à détourner ses ressources en faveur des grandes enceintes sportives, ce qui est un peu paradoxal pour un outil censé symboliser la solidarité entre sport professionnel et sport amateur.

J'ai noté avec satisfaction que, pour la première fois, le bleu budgétaire indique clairement le financement des dépenses relatives aux stades de l'Euro 2016 « sera intégralement couvert par des recettes dédiées afin de ne pas peser sur le plan de redressement du CNDS ». Mon amendement concrétise en partie cet engagement en prolongeant jusqu'en 2016 le prélèvement sur les mises de la Française des jeux : cela rapporterait 24 millions d'euros au CNDS.

M. Jean-Jacques Lozach, rapporteur pour avis de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication. - Les crédits budgétaires et extra-budgétaires alloués au sport sont maintenus à hauteur de 833 millions d'euros ; or, dans la situation actuelle, un budget maintenu est un bon budget. Cela résulte de l'économie de 16 millions d'euros réalisée grâce à l'accord trouvé avec le consortium Stade de France, ainsi que du règlement du dossier du musée national du sport (MNS) : l'État, qui s'était engagé pour l'investissement comme pour le fonctionnement, n'interviendra plus pour celui-ci, soit une économie de 4,5 millions d'euros.

Surtout, la réorientation du CNDS, dont les crédits, depuis quatre ans, dépassent ceux du ministère en faveur du sport, le recentrera sur sa mission originelle, c'est-à-dire le développement de la pratique pour tous et des équipements de proximité. Cette réorientation prendra pleinement ses effets avec le retour général à l'équilibre budgétaire, prévu pour 2016.

Enfin, nous accédons à une vieille requête du comité national olympique et sportif français (CNOSF) en transférant au monde sportif la promotion internationale du sport français, sous la responsabilité de Bernard Lapasset, qui sera assisté d'un nouvel ambassadeur en charge des événements sportifs internationaux.

M. Philippe Marini, président. - Un ambassadeur thématique de plus !

M. Jean-Jacques Lozach, rapporteur pour avis. - Je me félicite également de l'anticipation financière des Jeux olympiques à venir, ce qui n'avait pas été prévu pour ceux de Londres.

M. François Marc, rapporteur général. - Je me rallie aux préconisations de Jean-Marc Todeschini.

M. François Trucy. - Le Gouvernement escompte 25 médailles aux Jeux olympiques de Sotchi, c'est peut-être... optimiste : espérons que la prévision budgétaire sera dépassée ! Les pays européens procèdent-ils de la même façon pour budgétiser les performances de leurs athlètes ?

L'indemnité versée au consortium Stade de France avait l'inconvénient de ne pas l'inciter à utiliser au mieux cet équipement. Espérons que sa suppression mènera à des comportements plus raisonnables.

Sur un autre sujet, pouvez-vous me confirmer que l'essentiel des ressources du CNDS provient bien d'un prélèvement sur la Française des jeux ?

M. Yvon Collin. - Je poserai différemment la question de François Trucy : compte tenu de la forme physique de nos athlètes, l'anticipation des résultats de Sotchi n'est-elle pas plutôt pessimiste ?

M. Éric Bocquet. - La programmation pluriannuelle retenait le chiffre de 484 millions d'euros pour l'annuité 2014 de la mission « Sport, jeunesse et vie associative ». Nous voici à 454 millions. Qu'est-ce qui justifie ce nouveau coup de rabot, qui ajoute de la rigueur à la rigueur ?

M. Vincent Delahaye. - La suppression de l'indemnité versée au consortium Stade de France, dont je me réjouis, résulte d'une négociation. Quelles ont été les contreparties offertes par l'État ?

M. Francis Delattre. - Les ressources de l'équitation proviennent du PMU, grâce au Fonds d'encouragement aux projets équestres régionaux ou nationaux (Eperon). Or celui-ci dépend pour partie du ministère de l'agriculture. L'équitation fournit trois disciplines olympiques : ne pourrait-on pas inscrire ces crédits au sein du programme « Sport » ? Enfin, je suis déçu que le rapporteur général n'intervienne pas pour le stade du Brest, qui n'a pas changé depuis que j'y usais mes crampons...

M. Yannick Botrel. - Les collectivités propriétaires d'équipements sportifs se plaignent des exigences abusives des fédérations, qui interprètent et parfois renforcent les normes - et leur coût. Ne faudrait-il pas que l'État qui leur a délégué assez largement son pouvoir règlementaire recouvre la maîtrise des décisions en la matière et ne s'en remette pas à des gens qui ne sont pas les payeurs ?

M. Jean-Marc Todeschini, rapporteur spécial. - Les recettes du CNDS consistent d'abord en un prélèvement de 1,8 % sur les sommes misées aux jeux de la Française des jeux, hors paris sportifs ; son plafond devrait s'établir 176,3 millions d'euros. Une contribution de 1,8 % sur les mises jouées lors des paris sportifs de la Française des jeux et des opérateurs agréés rapportera 31 millions d'euros. Le prélèvement complémentaire de 0,3 %, plafonné à 24 millions d'euros, soit 120 millions sur l'ensemble de la période 2011-2015, aidera à financer la construction et de la rénovation des stades de l'Euro 2016. S'y ajoute le produit de la contribution de 5 % sur la cession des droits de retransmission de manifestations ou de compétitions sportives, dite « taxe Buffet », évalué à 49 millions compte tenu de l'évolution des contrats signés avec les diffuseurs. D'un autre côté, je rappelle que le CNDS contribue au financement des politiques fédérales de développement de la pratique sportive à hauteur de 19,5 millions d'euros.

L'anticipation des médailles françaises aux jeux olympiques de Sotchi n'est ni optimiste ni pessimiste, mais simplement prudente. Prévoir un financement d'un million d'euros alors que la dépense s'est élevée à 500 000 euros après les Jeux de Vancouver évitera d'avoir à faire face à des surprises.

Le coup de rabot évoqué par Éric Bocquet fait partie de la réduction supplémentaire de 1,5 milliard d'euros décidée par le Premier ministre quand il a envoyé ses lettres-plafonds.

J'indiquerai à Francis Delattre que je ne peux parler qu'à périmètre constant : il ne m'appartient pas d'inscrire le fonds « Eperon » dans la mission.

M. Francis Delattre. - Ce serait pourtant logique !

M. Jean-Marc Todeschini, rapporteur spécial. - S'agissant du Stade de France, Mme Fourneyron avait déjà décidé l'année dernière de ne pas inscrire les crédits pour le consortium au titre de la pénalité pour absence de club résident - même si l'État a, par la suite, respecté ses obligations contractuelles. De plus, elle a obtenu que le consortium et la Fédération française de rugby (FFR) se rassoient à la table de négociation. Cette stratégie a tout simplement payé. Mais il n'y a pas eu de contrepartie en dehors du fait que la FFR organisera des matchs à Saint-Denis pour les quatre années qui viennent.

J'en arrive au sujet des normes. Dans le cadre du contrôle sur le financement public des grands équipements sportifs que j'ai récemment mené avec Dominique Bailly, j'ai entendu beaucoup de monde. Il en ressort que, bien souvent, les normes ne sont pas définies par les fédérations nationales, mais par les fédérations internationales. Il faut, en particulier, se plier à leurs conditions pour organiser des compétitions comme l'Euro 2016 en France. D'ailleurs, en 2020, l'Union européenne des associations de football (UEFA) organisera son championnat d'Europe dans plusieurs pays à la fois, de façon à utiliser les structures aux normes. Tout le monde ne peut pas faire comme le Qatar, qui organisera la coupe du monde de football de 2022 malgré l'absence de public.

À l'issue de ce débat, la commission décide de proposer au Sénat l'adoption, sans modification, des crédits de la mission « Sport, jeunesse et vie associative ».

Elle adopte l'amendement proposé par M. Jean-Marc Todeschini, rapporteur spécial, portant article additionnel après l'article 76.

Loi de finances pour 2014 - Examen du rapport de M. Yvon Collin et Mme Fabienne Keller, rapporteurs spéciaux, sur la mission « Aide publique au développement » et sur le compte de concours financiers « Prêts à des États étrangers »

Puis la commission procède à l'examen du rapport de M. Yvon Collin et Mme Fabienne Keller, rapporteurs spéciaux, sur la mission « Aide publique au développement » et sur le compte de concours financiers « Prêts à des États étrangers ».

Mme Fabienne Keller, rapporteure spéciale. - Pour la deuxième année consécutive, l'OCDE constate pour 2012 une diminution de près de 8 milliards de dollars de l'Aide publique au développement (APD) versée par les pays membres du Comité d'aide au développement (CAD). Cette baisse s'explique par la crise financière de 2008 et les turbulences de la zone euro : l'Espagne (- 50 %), l'Italie (- 35 %), le Portugal, la Belgique et la Grèce ont sensiblement diminué leur aide. À l'inverse, les États non membres du CAD ont accru la leur de près d'1,5 milliard de dollars. C'est ainsi le cas des Émirats arabes unis, qui participent par exemple au financement du TGV marocain, et de la Turquie.

Les États-Unis demeurent le premier pays contributeur, devant le Royaume-Uni, qui dépasse cette année l'Allemagne, puis la France. Rapportée au revenu national brut (RNB), l'aide est la plus élevée dans des pays européens comme le Luxembourg, la Suède, la Norvège, le Danemark, la France étant dixième, derrière notamment le Royaume-Uni, sixième.

Les ressources budgétaires de l'aide publique française baisseront de 600 millions d'euros, dont 200 millions sur cette mission, qui ne représente que 38 % des crédits budgétaires comptabilisés en aide publique au développement. À l'inverse, la contribution des opérations de prêts et de traitement des dettes est en hausse de plus de 900 millions d'euros, malgré une baisse des décaissements. Il est vrai que la contribution nette dépend de l'évolution respective du montant des prêts accordés et des remboursements perçus.

Si la contribution résultant de notre participation au budget communautaire est quasiment stable, l'APD des collectivités territoriales connaîtra une légère hausse de 5 millions d'euros. Enfin, le produit des « financements innovants » devrait augmenter de 63 millions d'euros, grâce à la revalorisation des tarifs de la taxe de solidarité sur les billets d'avions et à l'augmentation de 40 millions de la part du produit de la taxe sur les transactions financières affectée au développement. Nous sommes très favorables à une généralisation de ce type de financement au niveau mondial ou au niveau communautaire. La Commission européenne a présenté un projet de directive en février dernier et nous espérons progresser grâce à une coopération renforcée.

M. Yvon Collin, rapporteur spécial. - La France s'est engagée, dans le cadre des objectifs du millénaire des Nations unies, à consacrer 0,7 % de son RNB à l'APD en 2015, avec une étape intermédiaire de 0,56 % en 2010. Il apparaît évident qu'aucun des deux objectifs ne sera atteint. Cela est d'autant plus regrettable que notre voisin britannique ne les a pas abandonnés.

En février dernier, je me suis entretenu à Londres avec Mme Lynne Featherstone, ministre déléguée au développement international, avec le président et plusieurs membres de la commission du développement international de la Chambre des communes et avec le commissaire en chef de l'organisme chargé de l'évaluation de l'aide. Une volonté politique forte a mobilisé autour d'un objectif qui fait l'objet d'un consensus tant au sein des principaux partis qu'au niveau de l'opinion publique, grâce aux efforts accomplis pour assurer l'efficacité des sommes engagées.

Il est nécessaire que la France adopte une trajectoire précise pour atteindre cet objectif. La discussion du projet de loi de programmation sera peut-être l'occasion de la définir. Nous pouvons néanmoins nous réjouir que notre pays n'ait pas, contrairement à certains de ses partenaires européens, appliqué de coupes drastiques dans cette politique.

Selon les chiffres de 2012, notre aide bilatérale a en majorité bénéficié à l'Afrique (52 %) et notamment à l'Afrique subsaharienne (40 %), puis à l'Amérique du Sud (13 %). La Côte d'Ivoire est le principal pays bénéficiaire, du fait des annulations de dette intervenues ces dernières années. L'aide multilatérale, sur laquelle nous avons moins de prise, a bénéficié principalement à l'Inde, à l'Éthiopie, à la République démocratique du Congo et au Kenya.

La mission est dotée par le présent projet de loi de finances de plus de 4 milliards d'euros en autorisations d'engagement et de près de 3 milliards en crédits de paiement. Le programme 110, « Aide économique et financière au développement », constitue le support de l'APD portée par le ministère de l'économie et des finances.

L'action n° 1, « Aide économique et financière multilatérale », concerne la participation de la France aux banques multilatérales de développement. La hausse considérable de ses autorisations d'engagement (plus d'1,5 milliard d'euros) s'explique essentiellement par la reconstitution des fonds de l'Association internationale de développement (AID), guichet concessionnel de la Banque mondiale, et du Fonds africain de développement (FAD), guichet concessionnel de la Banque africaine de développement. Leurs modalités de reconstitution conduiront à minorer le montant des crédits de paiement inscrits, cette année pour le FAD, l'an prochain pour l'AID.

Les versements de crédits de paiement au FAD étaient traditionnellement répartis de façon égale entre les trois années de reconstitution du fonds ; en 2014, le premier versement sera égal à un peu plus du quart au lieu du tiers, de sorte que les deux versements ultérieurs seront plus importants. Une partie de la reconstitution de l'AID se fera sous forme de prêt, ce qui lissera sur une longue période le versement des crédits de paiement.

L'action n° 2, « Aide économique et financière bilatérale », recouvre notamment la rémunération de l'Agence française de développement (AFD) pour les opérations menées pour le compte de l'État, la rémunération de Natixis pour la gestion de la Réserve pays émergents (RPE), la bonification des prêts accordés par l'AFD ou encore les crédits du Fonds d'études et d'aide au secteur privé (Fasep). La diminution de ses autorisations d'engagement s'explique principalement par une ponction de 100 millions d'euros au titre de la contribution de la France au Fonds pour les technologies propres.

L'action n° 3, « Traitement de la dette des pays pauvres », voit ses autorisations d'engagement augmenter de près de 400 millions d'euros. Ces crédits correspondent aux annulations de la dette des pays subsahariens envers la France qui ont été décidées dans le cadre du Club de Paris ou de l'initiative en faveur des pays pauvres très endettés.

Le programme 110 présente un décalage important entre l'ouverture des autorisations d'engagement et la consommation des crédits de paiement correspondants. Pour 2014, seuls 10 % des CP concernent des autorisations d'engagement ouvertes cette année, tandis que plus de 40 % seront consommés après 2016.

Le programme 209, « Solidarité à l'égard des pays en développement », constitue le support de l'APD mise en oeuvre par le ministère des Affaires étrangères.

L'action n° 2, « Coopération bilatérale », regroupe l'ensemble de la coopération bilatérale dans les domaines des droits fondamentaux de la personne humaine, de l'accès aux soins, à l'éducation, aux structures de base et aux ressources naturelles. On y trouve notamment la rémunération de l'AFD pour les dons projets, les contrats de développement et de désendettement (C2D), ainsi que les crédits et les dons projets de l'AFD, du Fonds de solidarité prioritaire et ceux transitant à travers les ONG. Ses principales évolutions résultent d'une diminution des C2D et d'une hausse des autorisations d'engagement pour subventions aux ONG, conformément à l'engagement du président de la République en faveur de ces dernières.

L'action n° 5, « Coopération multilatérale », retrace les contributions aux fonds multilatéraux de développement. On y trouve les contributions volontaires au système des Nations unies. La diminution de ses autorisations d'engagement s'explique par la baisse des crédits budgétaires affectés au Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme. La contribution de la France reste cependant inchangée à hauteur de 360 millions d'euros, la différence étant compensée par le produit de la taxe de solidarité sur les billets d'avion et de la TTF. Une ressource fiscale affectée se substitue donc à des crédits budgétaires.

En légère hausse, l'action n° 7, « Coopération communautaire », ne comporte que la contribution française au Fonds européen de développement (FED). Enfin, l'action n° 9, « Actions de co-développement », finance les engagements contractés dans le cadre de l'ancien programme 301, supprimé l'an dernier.

Mme Fabienne Keller, rapporteure spéciale. - Le compte spécial « Prêts à des États étrangers » retrace les opérations de prêts pratiqués par l'État en faveur de l'APD et, depuis mai 2010, dans le cadre du soutien financier européen à la Grèce. Bien que son solde doive être négatif à hauteur de 793 millions d'euros à l'issue de l'exercice 2014, il n'a pas vocation à être structurellement déficitaire : il dépend du rythme de versement et de remboursement des prêts mais, à terme, les remboursements des États partenaires devront couvrir les décaissements.

La première section retrace les prêts accordés dans le cadre de la RPE. Servant à financer des projets faisant appel à des biens et services d'origine française, ces crédits sont un outil fondamental pour la présence industrielle française. Aussi regrettons-nous qu'ils baissent de 20 millions d'euros.

La deuxième section retrace les opérations de traitement de dettes consentis par notre pays dans le cadre du Club de Paris ou sur une base bilatérale, ainsi que le refinancement des dettes. L'augmentation de 500 millions d'euros correspond au traitement de la dette du Zimbabwe, du Soudan et de la Somalie.

La troisième section retrace le versement et le remboursement des prêts de long terme octroyés à l'AFD, qui constituent des quasi fonds propres.

Je rappelle que l'AFD est soumise au respect des normes réglementaires de Bâle III, ainsi qu'aux ratios prudentiels qui s'appliquent à tout établissement bancaire : le ratio grand risque, par exemple, l'empêche d'engager plus de 25 % de ses fonds propres pour un même emprunteur ou garant. Ses capacités d'action peuvent en être fortement contraintes. Ainsi au Maroc, où je me suis rendue en avril dernier dans le cadre du contrôle budgétaire, la limite de ces 25 % est déjà atteinte : cela limite la signature de nouvelles conventions de prêts aux remboursements en capital (50 millions d'euros en 2013). Dès 2015, l'AFD ne respectera plus la limite des grands risques dans cinq pays pour les expositions souveraines (Maroc, Tunisie, Vietnam, Brésil, Chine et Kenya), et dans trois pays pour les expositions non souveraines (Afrique du Sud, Turquie et Maroc). Il est nécessaire d'agir sur ses fonds propres pour lui redonner toutes ses marges de manoeuvre.

Enfin, la quatrième section, qui retrace les prêts consentis aux États membres de l'Union européenne dont la monnaie est l'euro, est mise en sommeil : aucun mouvement n'est prévu avant le premier remboursement qui devrait avoir lieu en 2020.

Au total, les engagements de la France sont en recul. À force de ne pas s'occuper du Sud, il revient tôt ou tard vers le Nord... je propose à titre personnel de ne pas voter les crédits de cette mission.

M. Yvon Collin, rapporteur spécial. - Compte tenu des observations qui vous ont été présentées, je vous propose, pour ma part, d'adopter les crédits de la mission « Aide publique au développement » et du compte de concours financiers « Prêts à des États étrangers ».

M. François Marc, rapporteur général. - Le dossier est sensible, et je partage les inquiétudes des rapporteurs spéciaux à propos de la baisse de la part de l'APD dans le RNB. En dépit d'un contexte déprimé, la France préserve sa démarche d'aide autant que faire se peut. J'irai plutôt dans le sens d'Yvon Collin que dans celui de Fabienne Keller.

L'action n° 3 du programme n° 110, qui porte sur le traitement de la dette des pays pauvres, prévoit une hausse sensible des crédits de paiement. Cela s'explique-t-il par des raisons mécaniques ou objectives ?

M. Roger Karoutchi. - A la fin des Trente Glorieuses, l'APD devait atteindre 1 % du RNB, puis la situation économique des grands pays a abaissé cette exigence jusqu'à 0,7 %. L'aide de pays pétroliers comme les Émirats arabes unis, dont vous avez rappelé l'augmentation, n'obéit pas aux mêmes conditions que les nôtres et ne vise pas les mêmes objectifs. Est-ce vraiment de l'APD ?

Il y a deux ou trois ans, j'avais eu, auprès de l'OCDE, à m'intéresser à la réforme de l'AFD. Celle-ci admettait elle-même que sa forme juridique et institutionnelle posait des difficultés. Je ne vois rien arriver ; c'est regrettable. Il est vrai que l'étude qu'elle avait menée sur l'utilisation de l'aide publique dans certains pays n'avait pas plu à tout le monde. Où en est-on ?

M. Joël Bourdin. - Des études ont-elles été effectuées sur l'efficacité des engagements de l'AFD ? Je suis très sensible à ce qu'a dit Fabienne Keller des contraintes de type Bâle III qui pèsent sur l'action de l'agence. Quelles autres pistes qu'une augmentation de ses fonds propres sont-elles ouvertes ?

M. Jean-Vincent Placé. - A la différence de la rapporteure spéciale, je juge ce budget...

Mme Fabienne Keller, rapporteure spéciale. - ...parfait ?

M. Jean-Vincent Placé. - Non, puisqu'il est loin des 0,7 %, difficiles à atteindre du fait de la rigueur et de l'austérité. Je m'interroge sur la raison qui vous fait appeler, Madame Keller, à voter contre ces crédits. On aurait pourtant pu penser que vous en souhaitiez la baisse - mais vous pouvez avoir plus de générosité sur ce sujet que de cohérence...

La France a une mission. L'AFD a au moins connu une réforme dans ses priorités. Désormais, elle est plus tournée vers les questions sociales, environnementales, énergétiques et de santé. Il est d'ailleurs permis de s'interroger sur le fait que le précédent directeur général, nommé par l'ancien gouvernement, ait pu subventionner la production d'énergie fossile dans le Caucase...

S'agissant des chiffres que vous nous avez exposés, je suis réellement surpris de voir figurer, parmi les pays récipiendaires de l'APD bilatérale, le Brésil au deuxième rang, et la Chine au quatrième...

M. Philippe Marini, président. - ... qui en attend certainement l'évolution avec anxiété ! Est-il légitime d'accorder à ces pays des crédits bonifiés par le budget de l'État ?

M. Éric Bocquet. - J'aimerais des informations plus précises sur les prêts bilatéraux consentis aux pays membres de l'Union européenne avant que cette pratique ne soit abandonnée au profit du mécanisme européen de stabilité financière. Quels sont ces pays ? Je pense à l'Espagne, la Grèce, le Portugal et l'Irlande qui sont particulièrement en difficulté. Quel est l'encours global de ces prêts ? Le remboursement de la dette grecque, qui est attendu à partir de 2020, repose-t-il sur une échéance contractuelle ? Peut-il évoluer ?

M. Yvon Collin, rapporteur spécial. - Je m'associe aux propos de François Marc sur la pertinence générale de cette politique, et me réjouis que la France maintienne globalement son niveau d'engagement, même si l'objectif général des 0,7 % n'est pas atteint, et même si notre aide est en deçà, par exemple, de celle du Royaume-Uni. Il serait très préjudiciable pour la France de se désengager de ces politiques que je crois être du gagnant-gagnant.

Le traitement de la dette des pays pauvres est soumis à un calendrier extérieur à la mission et dépend des décisions prises dans le cadre du Club de Paris ou d'institutions multilatérales. Une partie des décalages constatés par le rapporteur général est expliquée par le rythme, très variable, de décaissement des crédits de paiement. Les remboursements peuvent être différés : par exemple, un prêt pour 25 ans ne commencera à être amorti qu'après 10 ans.

Pour répondre à Roger Karoutchi, les dépenses des Emirats arabes unis ne sont peut-être pas vraiment de l'APD. Mais nous comptabilisons également des dépenses contestables, qu'il s'agisse de Wallis et Futuna, des réfugiés ou des étudiants... Reconnaissons également que tous les pays font de même.

Lors de notre déplacement à Londres, nous avons dû répondre à de nombreuses questions qui traduisent l'intérêt des Britanniques pour l'AFD, ce bras séculier de notre aide au développement. Si l'outil est perfectible, les aides ont été réorientées en faveur des énergies renouvelables et du développement durable. Nous ne pouvons que nous féliciter de cette réorientation. Après les assises du développement à l'automne dernier et le rapport de la Cour des comptes, la réflexion se poursuit ; nous aurons une loi de programmation en 2014. La question de la gouvernance de l'AFD et de la multiplicité des intervenants reste en suspens mais n'exclut nullement une évaluation de ses résultats. En notre qualité de membres du conseil d'administration, nous intervenons régulièrement en ce sens et nous menons également des contrôles en tant que rapporteurs spéciaux. Mais il faut reconnaitre que nos amis Anglais ont mis en place des outils ambitieux dont nous pourrions peut-être nous inspirer.

La section des prêts consentis aux Etats de l'Union européenne ne concerne en réalité que le plan de restructuration de la dette grecque : sur 16,8 milliards engagés, seulement 11,4 milliards ont été versés, le Fonds européen de stabilité financière ayant ensuite pris le relais.

La question de l'engagement de l'AFD dans des pays émergents comme la Chine ou le Brésil est récurrente. Je l'ai constaté en Chine sur pièces et sur place, l'agence locale de l'AFD, entièrement autofinancée, n'y intervient pas par des taux bonifiés. Les chiffres sont clairs, le coût de ses interventions est nul. En revanche, elle constitue un agent puissant de pénétration du marché chinois, comme lorsqu'un réseau de développement de chaleur pour 80 000 habitants est réalisé avec des produits français. Il serait dommageable qu'elle ne soit pas présente aux côtés de notre ambassadeur. Je pense d'ailleurs que le ministre partage ce point de vue.

Mme Fabienne Keller, rapporteure spéciale. - Pour répondre au rapporteur général, je précise que l'action n° 3 du programme 110 concerne des annulations de dette tandis que le compte spécial retrace des traitements de dette.

Le ministre, qui voulait transformer tous les prêts en subventions, a été obligé de reconnaître que cet outil était moins coûteux en termes budgétaires ; il a également renoncé à l'objectif des 0,7 % et laissé grignoter l'aide de la France au développement. C'est pourtant quand la ressource financière est rare, qu'il faut privilégier le long terme sur le court terme.

Oui, nous avons mené des contrôles sur l'aide publique au développement, qu'il s'agisse d'infrastructures en Tunisie ou d'énergie au Maroc. De grande qualité, les équipes de l'Agence constituent une référence pour les Allemands ou les Britanniques ; elles assurent souvent un rôle de chef de file au niveau européen, suivant un système assez bien organisé.

Si vous avez raison de souligner la nécessité de renforcer les fonds propres de l'AFD pour respecter les normes de Bâle III, je confirme que les prêts consentis au Brésil ou à la Chine ne représentent aucune charge pour l'AFD. Ils consomment certes une partie des fonds propres, mais ils contribuent à nos bonnes relations industrielles en facilitant des montages financiers.

À l'issue de ce débat, la commission décide de proposer au Sénat l'adoption, sans modification, des crédits de la mission « Aide publique au développement », ainsi que du compte de concours financiers « Prêts à des États étrangers ».

Loi de finances pour 2014 - Examen du rapport de M. Claude Belot, rapporteur spécial, sur la mission « Médias, livre et industries culturelles » et sur le compte de concours financiers « Avances à l'audiovisuel public »

La commission procède alors à l'examen du rapport de M. Claude Belot, rapporteur spécial, sur la mission « Médias, livre et industries culturelles » et sur le compte de concours financiers « Avances à l'audiovisuel public ».

M. Philippe Marini, président. - Nous avons le plaisir d'accueillir Joëlle Garriaud-Maylam, rapporteure pour avis au nom de la commission des affaires étrangères.

M. Claude Belot, rapporteur spécial. - Ayons d'abord une pensée pour les deux journalistes assassinés il y a quelques jours. Ils travailleraient pour RFI, cette entreprise superbe qui honore notre pays.

La mission « Médias, livre et industries culturelles » est composée d'un empilement d'entreprises aux missions diverses, financées par des ressources propres, dédiées comme la redevance, ou au moyen de crédits budgétaires. Un bon budget n'est pas forcément un budget en hausse. Par les temps qui courent, c'est plutôt l'inverse.

Nous nous sommes livrés avec la Cour des comptes à un important travail sur les aides à la presse, dont il ressort que notre presse est la plus aidée des grands pays industrialisés, et simultanément celle qui accuse le plus mauvais état. Elle ne sait pas se moderniser. La volonté d'augmenter les aides qui lui sont allouées, exprimée à l'occasion des états généraux de la presse en 2008-2009, n'avait pas eu grands résultats.

M. Yvon Collin. - C'est vrai !

M. Claude Belot, rapporteur spécial. - Un tableau récapitulatif des aides à la presse figure en page 20 de la note de présentation qui vous a été remise. Les aides à la diffusion, augmentées à l'issue des états généraux, baissent de 33 %. Contrairement à celles au transport postal, les aides au portage, qui fonctionnent correctement, sont maintenues. D'une manière générale, la diminution de ces aides va faire très mal, surtout à la presse spécialisée, essentiellement transportée par voie postale ou ferroviaire. J'ai reçu les représentants du secteur, qui s'interrogent.

Les aides au pluralisme, qui servent souvent d'alibi à l'action publique en faveur de la presse, ne représentent que 3 % à 4 % de l'ensemble des aides. Enfin, les crédits consacrés à la modernisation de la presse sont en baisse. La Cour des comptes a révélé que les soutiens prodigués dans ce domaine ont été détournés ; je pourrais vous citer de nombreux exemples. En toute hypothèse, les résultats n'ont pas été au rendez-vous et les concentrations escomptées n'ont pas eu lieu.

La presse en ligne va remplacer la presse écrite. Le mouvement est déjà en marche aux États-Unis ou au Royaume-Uni. Des quotidiens papiers, et non des moindres, disparaissent. Or la TVA va passer à 20 % sur la presse numérique, contre 2,1 % pour la presse écrite. Ce n'est certes pas le moment, mais l'harmonisation de ces taux - pas à la hausse - est une exigence de cohérence. L'histoire va vite : n'attendons pas que les titres meurent. Les projections faites jusqu'en 2015 confirment ces tendances, lourdes de conséquences.

La dotation de l'Agence France presse (AFP), qui a été légèrement augmentée, s'élève à 123 millions d'euros. C'est une superbe entreprise, la troisième agence de presse dans le monde, et la première en matière de photographie. Il faut néanmoins - je le dis depuis des années - y mettre de l'ordre, car elle n'a pas de statut et fait en définitive ce qu'elle veut.

Un mot sur le programme « Livre et industries culturelles » : pour éviter toute dérive financière, le chantier de rénovation du quadrilatère Richelieu, site historique de la Bibliothèque nationale de France (BnF) devra être suivi avec attention.

La création de la Hadopi résultait des plaintes, légitimes, des producteurs de contenus audiovisuels relatives au piratage. Il fallait créer une instance de contrôle pour dissuader les internautes de ces pratiques. Le système retenu rendait les usagers soupçonnés de piratage, après deux avertissements, passibles de poursuites pénales. À ce jour, peu l'ont été : l'opération de dissuasion a été relativement réussie. Le nouveau Gouvernement a toutefois considéré que ce système portait atteinte aux libertés individuelles. Cela peut se concevoir. Il a chargé Pierre Lescure, grand homme de l'audiovisuel, ancien patron de Canal plus, de réfléchir à la question ; son rapport préconise de supprimer la Hadopi en transférant ses compétences au Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA), de mieux protéger les intérêts de la production audiovisuelle, mais aussi de créer une taxe sur les smartphones. Cette dernière idée a bien sûr été enterrée - vous connaissez l'enthousiasme actuel pour les nouvelles taxes.... Mais il n'en faut pas moins aller au bout de la logique, et supprimer la Hadopi si on ne lui donne pas les moyens de fonctionner correctement. Ses personnels, désoeuvrés, sont démotivés. De grâce, cessons de dépenser de l'argent public inutilement !

Tous les organes de l'action audiovisuelle extérieure de la France ont été regroupés au sein de France Médias Monde, sous le Gouvernement précédent. C'est cohérent. Ce n'est pas un bouleversement. Le contrat d'objectifs et de moyens de la holding est en voie d'achèvement : compte tenu du bal des egos qui se tenait à France 24, avant l'arrivée de Marie-Christine Saragosse, ce n'était pas gagné d'avance !

Les avances à l'audiovisuel public s'élèvent à 3,6 milliards d'euros, en hausse de 3 % par rapport à 2013. Cette évolution de la contribution à l'audiovisuel public, ancienne redevance, s'explique par son augmentation de deux euros l'année dernière, et par l'actualisation programmée en loi de finances qui correspond à la prévision d'inflation. Mais la redevance n'a plus le dynamisme d'antan, car l'usage de l'ordinateur se répand au détriment de celui du poste de télévision. Une partie de ces avances est redistribuée à Arte France, qui marche convenablement, conquiert des parts de marché, mais dont les crédits seront diminués de 0,8 % ; et une autre partie à Radio France, qui fait du bon travail et a engagé la baisse de ses dépenses. L'année 2014 sera celle de la fin de la rénovation de la Maison de la radio.

M. Philippe Marini, président. - Je n'imaginais pas que l'on y parviendrait.

M. Claude Belot, rapporteur spécial. - Moi non plus. C'est une aventure de quinze ans. Quant à l'Institut national de l'audiovisuel (Ina), il y a là une affaire qui m'interpelle. Grâce à son équipe jeune, compétente et pêchue, cette entreprise marche bien, dispose de recettes propres importantes et se situe sur un marché mondial puisqu'elle dispose de l'intégralité des contenus de la télévision publique française depuis ses origines. Mieux que cela : elle avait un projet, celui de regrouper ses cinq installations actuelles sur un site unique en Seine-et-Marne, en vue duquel elle accumulait chaque année un peu d'argent.

M. Philippe Marini, président. - Voilà qui tombe bien...

M. Claude Belot, rapporteur spécial. - Le Gouvernement veut le lui confisquer !

M. Philippe Marini, président. - C'est l'argent de l'État.

M. Claude Belot, rapporteur spécial. - C'est notre argent à tous, mais c'est aussi le produit de leur travail. Résultat : le projet auquel les personnels avaient adhéré n'existe plus. Comment encourager l'innovation, la vision, la création de projet dans ces circonstances ? C'est décourageant.

Avec France Télévisions, on aborde les sujets difficiles. L'entreprise a deux sources principales de recettes : les dotations publiques, en particulier la redevance audiovisuelle, et la publicité avant vingt heures, alors que les trois quarts des recettes publicitaires se font après vingt heures. Contrairement à ce qui se dit parfois, les audiences, qui ne sont pas mauvaises, ne sont pour rien dans la faiblesse de ce poste de recettes. Celle-ci tient essentiellement à ces horaires restreints et au marché de la publicité, dont même les chaînes privées déplorent l'atonie.

Il y a quatre ans, le Gouvernement a annoncé que la suppression de la publicité serait compensée par des crédits budgétaires. Un contrat d'objectifs et de moyens a été signé. Mais l'État ne tiendra pas ses engagements en 2014, ni en 2015. Il faut donc ajuster les dépenses. Un avenant au contrat précité a été signé pour la période 2013-2015, et prévoit notamment une réduction de 650 équivalents temps plein à l'horizon 2015. Il faudra veiller à ce que France 3, qui concentre l'essentiel des troupes, ne soit pas seule à payer les pots cassés.

À titre personnel, je ne voterai pas ce budget et m'en remets à la sagesse de la commission. Je ne conteste pas les diminutions de crédits, qui ont leur logique, mais l'indécision relative à la Hadopi ainsi qu'à l'Ina : la forme plus que le fond.

M. Philippe Marini, président. - Merci pour cet examen très approfondi et les convictions fortes que vous avez exprimées.

M. François Marc, rapporteur général. - La connaissance historique de Claude Belot nous est précieuse.

M. Claude Belot, rapporteur spécial. - Dix-huit ans d'expérience !

M. François Marc, rapporteur général. - David Assouline, rapporteur de la commission de la culture, nous prie d'excuser son absence. Selon lui, la maquette qui nous est soumise est la moins mauvaise possible. Il estime par conséquent souhaitable de la défendre. Le Gouvernement sollicite en effet tous les acteurs pour redresser nos comptes publics. Une dépêche de ce matin titrait que l'État mettait France Télévisions à la diète...

M. Francis Delattre. - C'est une diète légère.

M. François Marc, rapporteur général. - Tout de même. Je souhaite également que France 3 soit préservée. Paris a toujours tendance à protéger son pré carré.

M. Philippe Marini, président. - En effet.

M. François Marc, rapporteur général. - Or France 3 a un rôle majeur dans notre pays. Il est essentiel que les gens soient bien informés, et de manière objective.

M. Philippe Marini, président. - Objective, vraiment ?

M. François Marc, rapporteur général. - Oui. Je me réjouis que les aides au pluralisme soient globalement préservées.

M. Francis Delattre. - Mais les résultats obtenus poussent à s'interroger... Le pluralisme est pourtant une exigence constitutionnelle.

M. François Marc, rapporteur général. - Je préconise donc l'adoption des crédits de la mission. Il faut accompagner les efforts du Gouvernement pour réduire nos déficits. Nous en avions collectivement fait le voeu l'an passé.

M. Vincent Delahaye. - C'est vrai.

M. François Marc, rapporteur général. - Sur la Hadopi, je partage le souhait de notre rapporteur spécial : il faut sortir de cette situation le plus vite possible.

M. Philippe Marini, président. - Mme Garriaud-Maylam se réjouit-elle de la rigueur ou y voit-elle une menace ?

Mme Joëlle Garriaud-Maylam, rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. - Je m'en réjouis. En tant que co-rapporteure de la commission des affaires étrangères pour l'action audiovisuelle extérieure de la France, je n'ai guère d'observations particulières à faire. Je tiens simplement à féliciter Claude Belot pour son excellent travail.

M. Philippe Marini, président. - Soyez remerciée de votre participation à nos travaux. J'y vois le signe de la bonne coopération entre nos commissions.

M. Vincent Delahaye. - Ce rapport est en effet excellent. Une précision sur les aides au transport postal : leur diminution annoncée de 100 millions d'euros est-elle vraie ou fausse, dès lors que ces crédits sont transférés sur le programme 134 ?

Les crédits de l'AFP augmentent de 3 % : ce n'est pas de la rigueur. Cela témoigne plutôt d'une forte priorité. Certes, c'est une excellente entreprise, mais - chose invraisemblable - elle n'a pas de statut et ne veut pas se réformer. Pour combien de temps encore ?

Je m'inquiète également de la hausse des autorisations d'engagement du programme « Livre et industries culturelles ». Certes, les crédits ne seront pas dépensés cette année, mais des engagements seront pris. J'avais déjà émis des doutes sur le déménagement du ministère de l'écologie à la Défense et, quoique ne connaissant pas bien le dossier du quadrilatère Richelieu ou de la BnF, j'estime qu'il y a là matière à faire des économies.

Les recettes de l'audiovisuel public augmentent de 3 % mais les dotations diminuent : comment expliquer ce décalage ? Et avons-nous vraiment besoin de neuf chaînes de télévision publiques ? Quant à la Hadopi, allons au bout de la logique : déposons un amendement visant à la supprimer.

M. Francis Delattre. - Vous soulignez dans votre rapport que l'aide au transport postal diminuera fortement en 2014. La Poste va-t-elle accepter, eu égard à son statut, de poursuivre ses efforts ?

Un mot sur les aides au pluralisme. La liste des titres aidés en fait apparaître une dizaine qui sont relatifs aux programmes télévisés. Télépoche reçoit ainsi 5 millions d'euros d'argent public : quel en est l'intérêt ? Dans le même temps, la presse scientifique et technique ne reçoit quasiment rien. Le résultat est désastreux : la presse consacre des pages entières aux détails croustillants de notre vie politique, mais il n'y a rien sur les sujets sérieux comme les organismes génétiquement modifiés (OGM) par exemple. Il serait bon de faire évoluer les choses en la matière.

S'agissant de la taxe sur les smartphones, je suggère au rapporteur général de conseiller le Gouvernement...

La page 40 de la note de présentation relève que le crédit d'impôt compétitivité emploi (CICE) sera neutralisé pour Radio France pour 4,5 millions d'euros. Cela annonce-t-il une réforme du CICE ?

Monsieur le rapporteur général, quand le groupe socialiste était dans l'opposition, au Sénat comme à l'Assemblée nationale, il avait un vrai projet de réforme du secteur des médias, et j'ai pu faire des propositions qui s'en inspirent partiellement. Que les grands groupes médiatiques dépendent à ce point de la commande publique est une anomalie démocratique. Vous aviez raison de le dénoncer à l'époque. Les grands médias ne respectent pas l'exigence de neutralité qui devrait être la leur, surtout en période de campagne électorale. C'était vrai en 2007 à l'égard de Nicolas Sarkozy, comme en 2012 à l'égard de François Hollande.

M. François Marc, rapporteur général. - En ce moment, je ne vois guère de médias qui soutiennent François Hollande !

M. Francis Delattre. - Vivre de la commande publique prive de libre arbitre. Ces groupes sont tenus par leurs intérêts et perclus de conflits d'intérêts. Aucune entreprise régionale n'a jamais réussi à tisser de partenariat avec ces groupes nationaux - nous devrions y réfléchir. Si vous repreniez votre texte, je le soutiendrais. Mais il est toujours difficile d'être aussi courageux dans la majorité qu'on l'a été dans l'opposition.

M. Philippe Marini, président. - L'opposition procure un certain confort, que l'on regrette parfois...

M. Yvon Collin. - Je remercie à mon tour le rapporteur spécial pour la qualité de son travail. Les aides à la presse représentent près de 7,5 % du chiffre d'affaires du secteur, pour un résultat qui, à l'issue de sa présentation par la Cour des comptes, nous avait édifiés. Le rapporteur spécial souhaite que le débat budgétaire soit l'occasion de trouver le niveau et la forme adéquats de soutien public à la presse. Nous partageons son voeu car l'État n'en a clairement pas pour son argent. Je rejoins Francis Delattre sur le pluralisme. De plus, l'allocation des aides est opaque.

Je suivrai le rapporteur général en soutenant le budget de cette mission, mais en période d'argent public rare, il faut rester vigilant. Le secteur doit se moderniser effectivement, et de sa propre initiative : ce n'est pas aux pouvoirs publics de s'en charger.

M. Claude Belot, rapporteur spécial. - Je partage l'analyse du rapporteur général sur certains points, notamment sur Hadopi.

Monsieur Delahaye, nous déplorons tous la situation de l'AFP, qui est un « ovni » dans le paysage institutionnel français. L'entreprise fonctionne et personne n'a encore eu le courage d'y toucher. Son équilibre financier est assuré par des recettes qui viennent de ses postes du monde entier, surtout d'Amérique et d'Asie - celui de Paris étant déficitaire. J'ai pourtant constaté, notamment à l'occasion d'un contrôle sur pièce et sur place à Hong Kong, le prestige de cette entreprise jalousée dans de nombreux pays.

Rien n'indique que le chantier du quadrilatère Richelieu soit semblable à celui de la Maison de la Radio - il a fallu se débarrasser de l'architecte -, mais restons vigilants.

Au cours de l'audition pour suite à donner à l'enquête de la Cour des comptes sur les aides à la presse demandée par notre commission des finances, le numéro deux de La Poste nous a confié que l'aide au transport qu'il recevait était pour lui destinée à soutenir la distribution en milieu rural, dont il se passerait en l'absence d'aide. D'où le transfert de ces crédits sur la mission « Economie » au titre de sa mission de service public. La Poste s'accroche à son contrat d'objectifs et de moyens, valable jusqu'en 2016, en conditionnant le maintien du service en zone rurale à la pérennité de l'aide. En 2012, La Poste était bénéficiaire de 600 millions d'euros, et en touchait 450 au titre de l'aide au transport.

Mais les aides au transport postal diminueront bien de 100 millions d'euros l'année prochaine. Bien qu'elles ne soient plus rattachés au programme 180 « Presse » de la mission « Médias, livre et industries culturelles », j'ai souhaité, dans un souci de transparence, présenter leur évolution afin de vous donner une analyse de la trajectoire de l'ensemble des aides directes à la presse écrite.

Yvon Collin a raison : la presse n'a pas su se moderniser. La situation n'est pas satisfaisante. Elle a conservé le même logiciel technique en vigueur depuis quarante ans, et souffre de la même absence de pluralisme. Suivant les régions, quelques familles ou quelques grands groupes quadrillent le territoire. Soutenir financièrement une modernisation qui n'a pas lieu n'est pas de bonne méthode.

M. Philippe Marini, président. - Le rapport de Claude Belot ne sera peut-être pas présenté en séance publique, mais nous veillerons à le diffuser largement.

À l'issue de ce débat, la commission décide de proposer au Sénat l'adoption, sans modification, des crédits de la mission « Médias, livre et industries culturelles », ainsi que ceux du compte de concours financiers « Avances à l'audiovisuel public ».

Loi de finances pour 2014 - Examen du rapport de MM. Marc Massion et Jean Arthuis, rapporteurs spéciaux, sur la participation de la France au budget de l'Union européenne (article 41)

La commission procède ensuite à l'examen du rapport de MM. Marc Massion et Jean Arthuis, rapporteurs spéciaux, sur la participation de la France au budget de l'Union européenne (article 41).

M. Philippe Marini, président. - Le rapport relatif à la participation de la France au budget européen aurait dû nous être présenté par Marc Massion et Jean Arthuis, mais ce dernier est retenu au mariage des deux formations du centre.

- Présidence de Mme Michèle André, vice-présidente -

M. Marc Massion, rapporteur spécial. - Je lui ai fait la même remarque, qu'il a tenu à rectifier : c'est un rassemblement, non un mariage.

La contribution française au budget communautaire prend la forme d'un prélèvement sur les recettes de l'État. L'article 41 du projet de loi de finances pour 2014 l'évalue à 20,14 milliards d'euros, soit une augmentation de 2,7 %, ou 540 millions d'euros, par rapport à 2013. L'année dernière et celle d'avant, la hausse s'élevait à 720 millions d'euros.

En juin dernier, à l'occasion d'un point d'étape sur les enjeux et les perspectives budgétaires de l'Union européenne, Jean Arthuis et moi-même avions mis l'accent sur trois aspects : les dépenses administratives de l'Union européenne, les ressources propres du budget communautaire et la gouvernance économique, financière et budgétaire de la zone euro. Mon intervention ne revient pas sur ces éléments qui font, de plus, l'objet d'une reprise dans la note de présentation qui vous a été communiquée.

Le cadre financier pluriannuel 2014-2020, largement issu d'un accord adopté au terme de longues négociations par le Conseil européen les 7 et 8 février 2013, fixe les plafonds suivants : 1 082,55 milliards d'euros en crédits d'engagement (CE) et 1 023,95 milliards d'euros en crédits de paiement (CP). Ces 58,6 milliards d'euros d'écart s'ajoutent au stock déjà préoccupant de restes à liquider (RAL), ces engagements pris par l'Union européenne mais non encore couverts par des paiements. Ce stock est estimé à 225 milliards d'euros fin 2013 et continuera d'augmenter l'année prochaine.

Le nouveau cadre pluriannuel s'inscrit dans une certaine continuité à l'égard du précédent. Seules trois rubriques connaissent des variations importantes : il s'agit des rubriques 1a « Compétitivité pour la croissance et l'emploi », qui croît de 58 % ; 3 « Sécurité et citoyenneté », en augmentation de 45 % ; et 5 « Administration », en hausse de 25 %.

Les négociations entre le Conseil et le Parlement européen ont très peu porté sur les montants des rubriques ou sur la structure des dépenses. Elles se sont concentrées sur la flexibilité entre les années et les rubriques : la marge globale pour les paiements, la marge globale en faveur de la croissance et de l'emploi, la flexibilité pour faire face au chômage des jeunes et renforcer la recherche et, enfin, la marge pour imprévus ont été créées à cette fin.

Je me félicite de la création, dans le cadre financier pluriannuel 2014-2020, du Fonds européen d'aide aux plus démunis (FEAD), appelé à succéder au Programme européen d'aide alimentaire aux plus démunis (PEAD). Ce fonds fera désormais partie de la politique de cohésion, alors que le PEAD relevait de la PAC. Sa dotation s'élevait à 500 millions d'euros par an depuis 2009, celle du FEAD sera portée à un niveau maximal de 557 millions d'euros par an, soit une enveloppe totale sur 2014-2020 de 2,8 milliards d'euros que les États membres pourront compléter à hauteur de 1,1 milliard d'euros. En 2013, quatre associations distribuent les produits financés par le PEAD : la Fédération française des banques alimentaires, les Restos du coeur, le Secours populaire et la Croix-Rouge française.

J'en arrive à la négociation budgétaire pour l'année 2014, qui est toujours en cours. L'avant-projet de budget présenté par la Commission européenne au printemps propose une baisse de 6 % des CE par rapport à 2013, soit 142 milliards d'euros. Seuls les crédits de la rubrique 1a « Compétitivité » y progressent de 3,3 %, le financement de la politique de cohésion diminuant de 13,5 %, et les rubriques 3 « Citoyenneté, liberté, justice » et 4 « L'Union européenne, acteur mondial », respectivement, de 9,4 % et 12,5 %. Les CP y affichent, quant à eux, une hausse de 2,1 % pour atteindre 136 milliards d'euros.

Le projet de budget adopté par le Conseil en septembre 2013 se veut plus rigoureux : 310 millions d'euros sont retranchés en CE, ce qui conduirait à une baisse de 6,2 % par rapport à 2013, et 1,06 milliard d'euros en CP, ramenant la hausse pour 2014 à 1,3 % par rapport à 2013. Le 23 octobre 2013, le Parlement européen a voté en séance plénière un budget très proche des propositions de la Commission : baisse de 5,5 % des CE et hausse de 2,2 % des CP.

La proposition d'augmentation des crédits formulée par nos collègues députés européens rendra difficiles les négociations entre les deux branches de l'autorité budgétaire lors de la phase de conciliation, censée aboutir dans le courant du mois de novembre.

Le projet de loi de finances pour 2014 évalue le prélèvement sur recettes au profit du budget de l'Union européenne à 20,14 milliards d'euros, soit une hausse de 2,7 % en un an. En vingt ans, ce montant a été multiplié par cinq. Nous savons d'expérience qu'au terme de l'exécution 2014, des ouvertures nouvelles en crédits de paiement seront intervenues et que le prélèvement effectif ne sera pas celui inscrit en loi de finances.

Le prélèvement a en effet été surestimé de plus de 1,5 milliard d'euros en 2007, sous-estimé de 300 millions d'euros en 2008, sous-estimé à nouveau d'un milliard d'euros en 2009, surestimé de 556 millions d'euros en 2010, légèrement surestimé en 2011 - à hauteur de 5 millions d'euros - puis sous-estimé en 2012 de plus de 170 millions d'euros. En 2013, la sous-estimation du prélèvement s'élèverait à 1,8 milliard d'euros au terme de l'exécution. Le phénomène des restes à liquider explique l'essentiel de ces récents écarts en exécution et laisse planer l'aléa de budgets rectificatifs d'envergure à partir de l'année prochaine. Nous interrogerons le Gouvernement sur l'impact précis des restes à liquider sur notre contribution nationale et sur les mesures qui seront prises pour résoudre ce problème. L'estimation du prélèvement soumise au vote du Parlement doit être plus précise et plus fiable.

J'en viens à la question de notre solde net. La France devrait demeurer en 2014 le deuxième contributeur au budget communautaire derrière l'Allemagne et devant l'Italie, le Royaume-Uni et l'Espagne, avec une contribution équivalant à 16,7 % du total des ressources de l'Union européenne. Mais avec un peu plus de 11 % des dépenses communautaires, elle n'est plus que troisième pays bénéficiaire, derrière l'Espagne et la Pologne. Notre situation se dégrade chaque année et demeure fragile puisque les trois quarts des crédits européens qui nous sont destinés sont des dépenses agricoles.

Notre solde net ne cesse de se dégrader et a été multiplié par dix-huit en douze ans. Il a dépassé en 2011 la barre des 7 milliards d'euros par an. Certes, le solde net ne retrace qu'imparfaitement les gains économiques et en aucune façon les gains politiques de la participation à l'Union européenne, mais cette situation n'en est pas moins préoccupante.

Je recommande toutefois à la commission d'adopter sans modification l'article 41 du projet de loi de finances pour 2014. Jean Arthuis rappelle pour sa part que le vote est sans effet puisque la contribution de chaque État membre de l'Union européenne est fixée par les traités. Au surplus, il souligne que la contribution effective excède régulièrement le montant inscrit en loi de finances. L'exécution 2013 en apporte à nouveau la démonstration. En conséquence, il préconise l'abstention sur l'article 41 du projet de loi de finances pour 2014.

M. François Marc, rapporteur général. - Effectivement, notre vote n'est pas déterminant, puisque les traités définissent notre contribution au budget communautaire. Mais nous sortons d'une période de négociations compliquées, notamment sur la politique régionale et les politiques structurelles, ou encore la PAC, à propos de laquelle la France a défendu honorablement ses positions. Nous avons besoin de grandes politiques d'avenir, en matière de technologies, d'infrastructures et de grands travaux. Sur tous ces chantiers, l'Europe doit être plus dynamique. Le budget européen n'a pas eu l'effet de levier escompté, elle n'a pas été, jusqu'ici, le catalyseur des initiatives conjointes. Plus généralement, je rejoins les analyses du rapporteur spécial.

M. Francis Delattre. - Je voterai l'article 41. L'Europe est un sujet central. Il faut, en effet, mutualiser les efforts dans les grands secteurs d'avenir. En vérité, le budget européen est un « budget croupion ». Sa faiblesse ne permet de soutenir que des actions ponctuelles. Pourtant, l'Europe constitue une chance pour nous dans la mondialisation. Enfin, je me demande si le chèque britannique est reconduit.

M. Marc Massion, rapporteur spécial. - Oui, la correction britannique est conservée dans le cadre 2014-2020.

M. Francis Delattre. - C'est scandaleux. À combien s'élève-t-il ?

M. Marc Massion, rapporteur spécial. - Le rabais britannique est de l'ordre de 5,5 milliards d'euros. Mais ce n'est pas le seul : le Danemark, la Suède, les Pays-Bas, ou encore l'Autriche bénéficient de rabais spécifiques sur leurs contributions au budget européen. Il n'en reste pas moins que l'Europe doit exister davantage politiquement, économiquement et diplomatiquement.

Mme Michèle André, présidente. - Merci, nous témoignons ainsi d'une belle espérance en faveur de l'Europe.

À l'issue de ce débat, la commission décide de proposer au Sénat l'adoption, sans modification, de l'article 41 du projet de loi de finances pour 2014.

- Présidence de M. Philippe Marini, président -

Bilan du Pacte national pour la croissance, la compétitivité et l'emploi - Audition de M. Pierre Moscovici, ministre de l'économie et des finances

Enfin, la commission procède à l'audition de M. Pierre Moscovici, ministre de l'économie et des finances, sur le bilan du Pacte national pour la croissance, la compétitivité et l'emploi.

M. Philippe Marini, président. - Il y a un an, une série de mesures dites « Pacte national pour la croissance, la compétitivité et l'emploi » nous étaient présentées, avec huit leviers d'action et trente-cinq mesures, dont la plus significative était le crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE), annoncé par Louis Gallois, repris par le Gouvernement et adopté à l'occasion du collectif budgétaire fin 2012.

La Banque publique d'investissement, dite Bpifrance, a ensuite été créée, puis un nouveau programme d'investissements d'avenir (PIA) a été annoncé cet été. Soit dit en passant, il serait sans doute utile que vous nous parliez de son financement. En effet, 12 milliards d'euros d'investissements supplémentaires, c'est bien - et certains y verront un satisfecit à l'égard de la méthode qui avait été utilisée par le Gouvernement de François Fillon - mais même s'il ne s'agit pas d'une dépense susceptible d'affecter significativement le solde public dit maastrichien, c'est l'emprunt qui assure le financement des engagements qui sont ou seront pris. Le Premier ministre a évoqué des recettes de privatisation : pourriez-vous nous en dire un peu plus ?

Je reviens aux suites données au CICE, sans doute ce que le Premier ministre a appelé hier une « nouvelle donne pour l'innovation », annonce dont vous aurez à coeur de faire ressortir la cohérence devant notre commission des finances.

Pour terminer cette présentation, je rappellerais que nous vivons une conjoncture économique dans laquelle les tensions les plus vives sur l'euro semblent être apaisées. Il n'en reste pas moins que, par rapport à des pays situés hors zone euro et à l'exception de l'Allemagne, nous devons constater que la plupart des pays de la zone euro connaisse une situation économique et d'emploi décevante.

Au regard de cette conjoncture, que peut-on dire des mesures annoncées l'an dernier - et de celles annoncées depuis lors - pour nous permettre d'engager cette session budgétaire dans des conditions un peu plus confiantes en ce qui concerne la compétitivité de nos entreprises ?

Comme vous le voyez, monsieur le ministre, la commission des finances est au complet, ce qui témoigne de ses incertitudes et de son besoin d'information.

M. Pierre Moscovici, ministre de l'économie et des finances. - Merci pour votre accueil. Cette audition tombe le jour même du premier anniversaire de la remise du rapport Gallois au Premier ministre, rapport suivi dès le lendemain par l'annonce par le Gouvernement du Pacte pour la croissance, la compétitivité et l'emploi qui reprenait la quasi-totalité des propositions de Louis Gallois. Avec Arnaud Montebourg, Fleur Pellerin et Geneviève Fioraso, j'accompagnais hier le Premier ministre à Saint-Étienne pour fêter cet anniversaire.

Vous avez évoqué, monsieur le Président, la situation économique en Europe. D'après la Commission européenne, huit pays de la zone euro seront en récession cette année et seulement deux l'année prochaine. Les prévisions de croissance de la France sont validées : 0,2 %, au lieu des 0,1 % que nous avions annoncés. Avant l'été, la même Commission européenne prévoyait - 0,1 % pour notre pays et les économistes - 0,3 %. Certes, notre croissance a été heurtée : après un bon deuxième trimestre, le troisième l'a moins été tandis que l'activité repart au dernier trimestre, notamment le marché de l'automobile, avec Renault, mais aussi PSA qui tirent leur épingle du jeu. Le Commission européenne prévoit, comme le Gouvernement, 0,9 % de croissance pour 2014 et 1,7 % en 2015, ce qui permettra d'inverser durablement la courbe du chômage. Ces chiffres valident une stratégie européenne et nationale. Il y a encore un an, certains se demandaient si l'euro allait survivre, si la Grèce et Chypre allaient sortir de la zone euro. Les décisions prises par plusieurs États européens ont permis d'apaiser les tensions et la Banque centrale européenne a garanti la pérennité de l'euro, notamment lorsque son président, Mario Draghi, a dit qu'elle sauverait l'euro quoi qu'il arrive.

En 2013, la France a fait mieux que la zone euro ; elle devrait retrouver en 2014, mais surtout en 2015, une croissance plus soutenue. Vous avez évoqué des pays hors zone euro : la Grande-Bretagne connait effectivement des taux de croissance spectaculaires, mais elle part d'un point beaucoup plus bas que la France.

Nous réduisons notre déficit de manière constante : en 2011, il était de 5,3 % et il eut été à nouveau du même montant en 2012 si nous n'avions pas pris les mesures d'ajustement nécessaires, ce qui nous a permis de le ramener à 4,8 %. En 2013, le déficit sera de 4,1 % et l'année prochaine, dans une fourchette comprise entre 3,6 % et 3,8 %. En 2015, nous serons en-dessous de 3 %. Si la Commission européenne estime à cette date notre déficit à 3,7 %, c'est qu'elle ne tient pas compte des mesures d'ajustement supplémentaires prévues pour 2015.

J'en arrive au Pacte de compétitivité, qui est l'acte économique fondateur de notre politique économique. Le Pacte part du constat de la perte de compétitivité de la France, qu'évoquait déjà François Hollande lorsqu'il était candidat. En juin 2012, lors du débat d'orientation sur les finances publiques, j'avais dit nos inquiétudes à ce sujet. Partant du rapport Gallois, nous avons défini des voies d'action pour redresser la compétitivité française. Je suis persuadé qu'il est possible de renforcer notre tissu productif grâce à une insertion harmonieuse dans les échanges mondiaux grâce à une compétitivité positive et pérenne basée non pas sur l'écrasement des salaires et le moins disant social mais sur l'investissement, l'innovation et la productivité.

Je participais hier soir à un débat à la commission des affaires économiques de l'Assemblée nationale, en présence de Louis Gallois. Il nous disait qu'il faut miser sur l'innovation et la montée en gamme et non sur l'austérité. Je fais mienne cette formule.

Depuis un an, le cadre fiscal est favorable à l'investissement et à l'innovation des entreprises, le marché du travail a été réformé, la règlementation a été améliorée et le financement de l'économie répond aux besoins des entreprises en matière d'endettement et de fonds propres. Hier, le Premier ministre a rappelé que le Gouvernement ne faisait pas de cadeaux aux patrons mais qu'il faisait en sorte que les entreprises puissent investir pour embaucher, le but étant d'accroître la productivité globale de l'économie qui a ralenti durant la dernière décennie. Cette politique de l'offre n'est pas exclusive d'une action sur la demande et le pouvoir d'achat, qui s'est d'ailleurs renforcé du fait d'une très faible inflation dans la zone euro. Cette politique permet de réduire les coûts du travail, grâce au CICE, et les coûts de recherche et développement (R&D), grâce à la consolidation et à l'extension du crédit d'impôt recherche.

Pour financer l'économie, l'épargne des entreprises a été réorientée, Bpifrance a été créée et le PEA-PME vous sera proposé à l'occasion du budget pour 2014. Ces politiques s'inscrivent dans la durée afin que les entreprises puissent en tenir compte. La rénovation des structures économiques de notre pays est de grande ampleur et conforte notre modèle social. Louis Gallois avait demandé la sanctuarisation de certains dispositifs fiscaux, dont le crédit d'impôt recherche (CIR).

Le Pacte de compétitivité est donc un choix politique, qu'aucun précédent Gouvernement n'avait osé. La compétitivité des entreprises, c'est l'intérêt de la France, l'intérêt de sa jeunesse.

La très grande majorité des 35 mesures du Pacte a été mise en oeuvre. Le CICE est la mesure phare et son utilisation est totalement transparente. Un comité de suivi partenarial permet d'informer la représentation nationale. Son rapport préliminaire montre que la montée en puissance du dispositif a été rapide : le taux de recours devrait être de 97 % l'an prochain et les entreprises s'approprient le dispositif, n'en déplaise à ceux qui estimaient le CICE trop complexe. Les premiers travaux d'évaluation confirment qu'une part importante du CICE bénéficie à l'industrie : un débat sur le positionnement du curseur avait eu lieu et nous avions choisi une voie moyenne, en le fixant à 2,5 SMIC. Le dispositif bénéficie à hauteur de 20 % à l'industrie. En outre, l'effet de second tour est loin d'être négligeable : le CICE bénéficie à l'ensemble de l'économie grâce à la baisse du prix des consommations intermédiaires. Aujourd'hui, services et industrie sont étroitement liés. Il serait absurde de les opposer.

Le montant des préfinancements de Bpifrance progresse avec constance. Fin septembre, plus de 10 000 dossiers de préfinancement ont été traités pour un montant de 920 millions d'euros, et la majorité des dossiers provenait de petites entreprises. Ne confondons pas CICE et préfinancements : ces derniers s'adressent aux entreprises qui ont besoin de trésorerie pour bénéficier du CICE. Selon l'Insee, le CICE a permis de créer ou de prévenir la destruction d'environ 30 000 emplois.

Enfin, le rapport du comité de suivi souligne qu'à la suite des consignes qui ont été données, les abus des entreprises donneuses d'ordre sont en passe de disparaître.

Le Pacte porte aussi sur le financement des entreprises : j'ai oeuvré à une mobilisation massive de financements et je garde un bon souvenir des débats que nous avons eus au Sénat tant sur la création de Bpifrance que sur la réforme bancaire.

Bpifrance a accompagné près de 60 000 entreprises durant les neuf premiers mois de l'année ; 1,5 milliard d'euros de trésorerie a été injecté dans l'économie, grâce au préfinancement du CICE, du CIR et du dispositif de trésorerie offert par Bpifrance. Ce fut une bouffée d'oxygène pour nos entreprises, surtout pour les PME. L'encours de crédit aux sociétés françaises non financières est aujourd'hui quasiment stable alors qu'il se contracte dans la zone euro, ce qui témoigne de la relative bonne santé de notre économie. Enfin, nos entreprises se financent à des niveaux historiquement bas, inférieurs à la zone euro. La France n'a pas décroché, n'en déplaise aux Cassandre.

Grâce au Gouvernement, les entreprises ont accès à des sources de financement autres que bancaires. Cette évolution est inéluctable : le système va devenir plus désintermédié. Les entreprises vont devoir sortir de leur relation unilatérale avec les banques. C'est pourquoi nous avons réformé le code des assurances et nous vous proposerons la réforme de l'assurance vie lors du collectif budgétaire.

Concernant l'innovation, nous approfondissons les mesures du Pacte de compétitivité : le projet de loi de finances sera l'occasion de lancer un nouveau plan d'investissements d'avenir (PIA), doté de 12 milliards d'euros. Ce plan sera financé par un versement du budget de l'État vers le compte des opérateurs du Trésor en 2014, ce qui ne modifiera pas le besoin de financement car les décaissements seront étalés dans le temps par la montée en puissance des appels à projet du PIA-II fin 2014. Ce plan sera également financé par une gestion active et responsable du patrimoine de l'État, notamment grâce à des cessions de participation. Le solde sera intégré aux besoins de financement de l'État. L'impact sur les finances publiques sera donc limité grâce à des modes de financement vertueux. Des avances remboursables donneront lieu à des retours financiers qui diminueront le déficit maastrichien. Enfin, des dotations non consommables ont un faible impact. Au total, les subventions seront limitées à 32 % du programme total, soit 4,7 milliards d'euros sur la dette et de 3,8 milliards d'euros sur le déficit.

Avec Daniel Raoul, j'ai lancé à Angers le statut de jeune entreprise innovante (JEI) : les exonérations sont dégressives, maintenues pendant huit ans et le dispositif est étendu aux dépenses d'innovation, ce qui permet de s'approcher du marché, élément essentiel pour les JEI.

Le plan innovation, élaboré par Geneviève Fioraso et Fleur Pellerin, a été présenté hier par le Premier ministre et il comprend quatre objectifs : promouvoir l'innovation pour tous, encourager l'innovation ouverte, mobiliser l'innovation pour la croissance, évaluer les politiques d'innovation publique. L'État continuera à financer l'innovation : le fonds national de l'innovation sera doté de 240 millions d'euros et il financera l'innovation sous toutes ses formes. De plus, 1,1 milliard d'euros sera mobilisé par des fonds de capital-risque spécifiquement dédiés aux entreprises innovantes et de croissance.

Ce Pacte de compétitivité est complet et il commence à porter ses fruits. Rétablir la compétitivité est une entreprise de longue haleine qui va mobiliser le Gouvernement et la représentation nationale dans la durée. Ce Pacte est notre meilleure chance pour l'économie, l'emploi et l'investissement.

M. François Marc, rapporteur général. - Je vous remercie pour cet exposé exhaustif.

Il y a un an, nous avons auditionné Louis Gallois qui nous a présenté son rapport fort intéressant. Le préfinancement du CICE est un succès : l'objectif de Bpifrance était d'atteindre 800 millions d'euros et elle dépasse un milliard d'euros avec 11 200 dossiers traités fin octobre.

Le rapport du comité de suivi porte en partie sur la sectorisation du CICE : faut-il aider davantage l'industrie et les entreprises exportatrices ? Au-delà des chiffres bruts, il faut tenir compte des effets de second tour. Or, l'industrie bénéficie de prestations émanant de sociétés de service en amont. À supposer que l'on veuille recentrer le CICE, le droit européen le permettrait-il ?

Sur huit des dix dernières années, la France se situe devant l'Allemagne en matière d'investissements étrangers, en stock comme en flux. Les investisseurs internationaux estiment donc que la France reste attractive. Les flux d'investissements s'élèvent à 20 milliards d'euros en 2012, en baisse de 8 milliards d'euros par rapport à 2011, mais à 5 milliards d'euros en Allemagne, en baisse de 30 milliards d'euros.

L'Allemagne pourrait instaurer un salaire minimum d'un montant de 8,5 euros par heure, ce qui pourrait avoir des conséquences sur le différentiel de compétitivité entre nos deux pays. Quelle est votre appréciation sur ce point ? Quelles seraient, à première vue, les conséquences de cette mesure sur la compétitivité ? Plus largement, commet pourrait-elle rétroagir sur le débat sur le SMIC européen ?

La décision n° 32 accompagne le développement des PME innovantes, en mobilisant l'achat public. De nouvelles mesures ont été annoncées hier. En quoi ces dispositifs et ces financements spécifiques de corporate venture répondront-ils aux attentes des PME ?

La BPI dispose de 500 millions d'euros pour garantir les crédits de trésorerie des entreprises : ce produit a été plébiscité par les entreprises. Faut-il en déduire que les banques commerciales deviennent plus frileuses ou que la santé des entreprises françaises se dégrade ? La fédération bancaire française nous a dit mardi dernier que la capacité d'intermédiation bancaire était en recul et qu'il fallait s'attendre à des effets pervers à cause de la règlementation européenne.

Les assises de la fiscalité des entreprises se tiendront en 2014. Pourriez-vous préciser de quelle façon le Parlement sera associé à cet important travail ?

M. Philippe Marini, président. - Dans son dernier avis public, le Haut Conseil des finances publiques a estimé que le CICE ne permettrait pas de créer 90 000 emplois, rappelant que les effets d'un crédit d'impôt ne sont pas équivalents à ceux d'un allègement de charges. Que pensez-vous de cette analyse ? Le Gouvernement va-t-il modifier le CICE, pour le transformer en un allègement de charges ?

M. Pierre Moscovici. - Le comité de suivi a démontré que l'industrie et le commerce bénéficiaient tous deux du CICE dont l'objectif est de soutenir à la fois la compétitivité des entreprises et l'emploi. À l'époque, nous nous sommes demandés s'il fallait aller jusqu'à 3,5 SMIC, ce qui aurait eu un effet sur l'industrie, ou descendre à 1,5 SMIC, ce qui aurait avantagé l'emploi. Nous avons voulu viser à la fois l'industrie et les services en fixant le curseur à 2,5 SMIC. Si nous avons besoin d'une industrie forte, n'opposons pas industrie aux services, car nous avons besoin de ces derniers. Aujourd'hui, les industries bénéficient de 20 % du CICE, alors qu'elles ne représentent que 13 % de la valeur ajoutée totale de l'économie. Les entreprises exportatrices perçoivent les deux-tiers du CICE, et si les grandes entreprises exportatrices n'en perçoivent que 10 %, c'est parce que ce chiffre correspond à leur part dans l'emploi marchand total. N'oublions pas non plus les effets de second tour : les entreprises les plus exposées à la concurrence internationale bénéficient indirectement des baisses des prix dans les secteurs les moins exposés. Enfin, le CICE donne un coup de pouce aux entreprises non exportatrices, ce qui leur permet d'accéder à l'international.

Si le CICE ne doit pas être capté par la grande distribution, je n'envisage pas pour autant de taxer spécifiquement ce secteur. En revanche, nous nous employons à ce que les relations commerciales de la grande distribution avec ses fournisseurs fonctionnent correctement. Je sais que la guerre des prix se poursuit et que des PME agroalimentaires souffrent. Les négociations vont donc se poursuivre pour aboutir à un meilleur équilibre. L'un des objectifs de la loi Hamon est d'ailleurs de fixer des règles du jeu plus claires et de sanctionner plus durement les dérives.

Le pacte de coalition en Allemagne sera signé sans doute d'ici un mois : le SPD voulant instaurer un salaire minimum, les inégalités seront réduites et la demande intérieure sera soutenue. Grace à cette avancée, l'Allemagne pourrait contribuer à réduire les déséquilibres dans la zone euro. Il faut une croissance plus coopérative en Europe entre les pays en situation d'excédents et les autres.

Le préfinancement du CICE a mieux fonctionné qu'attendu. Si Bpifrance a tenu ses objectifs, la mobilisation des banques privées a été plus tardive. Elles devront monter en puissance l'an prochain.

Beaucoup a été fait en faveur des PME innovantes, notamment en matière d'achats publics. Concernant le plan innovation annoncé hier par le Premier ministre, l'objectif est de renforcer le financement des PME de croissance en mobilisant 1,1 milliard d'euros de fonds publics, grâce à deux fonds spécifiques, l'un sur les écotechnologies et l'autre sur le capital développement. Le but est d'amener ces PME à devenir des entreprises de taille intermédiaire (ETI) exportatrices et innovantes. Nous souffrons d'un déficit en ce domaine.

De nouvelles mesures seront proposées lors du collectif budgétaire pour inciter les grandes entreprises à investir dans les PME qui réalisent 15 % de R&D. Nous souhaitons que le financement des start up augmente de plus de 30 %.

Les assises de la fiscalité devront moderniser la fiscalité des entreprises. Ces assises s'inspireront de celles de l'entreprenariat : il y aura des groupes thématiques présidés par des personnalités qualifiées proches du milieu de l'entreprise. Il faudra impliquer les parlementaires - en premier lieu les présidents et les rapporteurs généraux des commissions des finances de l'Assemblée nationale et du Sénat - dans les groupes de travail et au sein d'un comité de pilotage et de coordination. Ces assises débuteront à la fin de l'année et se dérouleront jusqu'au printemps prochain, afin d'anticiper sur le projet de loi de finances pour 2015.

Je respecte les travaux du Haut Conseil des finances publiques, mais sa tâche principale est de se prononcer sur la trajectoire des finances publiques. Le comité de suivi a dit que ce dispositif avait permis de créer ou d'éviter la destruction de 30 000 emplois. Nous atteindrons donc les 90 000 emplois initialement fixés.

Enfin, le CICE ne sera pas modifié, car il est essentiel que les entreprises sachent à quoi s'en tenir pour les prochaines années. Elles veulent de la lisibilité et de la stabilité, afin de pouvoir investir, de stimuler la croissance et de muscler l'embauche.

M. Éric Doligé. - Avant d'entrer dans cette salle, j'étais pessimiste. Grâce à vous, je ne le suis plus ! Pourtant, un quotidien du soir titre aujourd'hui même : « La France frappée par plus de mille plans sociaux en un an ». Dans mon territoire, les fermetures d'entreprises se multiplient. Lorsque je m'en inquiète, on tente de me rassurer en me disant qu'un délégué au redressement productif veille, et une personne chargée des investissements de plus de trois millions d'euros vient également d'être nommée. Est-il normal que les collectivités soient laissées à l'écart et que tout se traite à Bercy ? Il arrive même que les préfets ne soient pas au courant !

Les entreprises réclament de la stabilité fiscale. Comment s'inscrire dans la durée à cet égard, tant au niveau national que local ?

Vous évoquez la mobilisation des achats publics ; encore faudrait-il que les collectivités territoriales aient les moyens de passer des marchés... Pour l'instant, elles réduisent plutôt leurs investissements.

Les investissements étrangers en France représentent, selon François Marc, 20 milliards d'euros : concernent-ils uniquement l'industrie ou tiennent-ils compte aussi des achats d'immeuble ou du PSG ?

Il y a un écart entre votre discours très volontariste et la réalité. Dans ma région, je n'ai mémoire d'aucun redressement d'entreprise depuis longtemps et aucun responsable de l'État n'est venu assister à l'implantation d'une nouvelle entreprise depuis vingt ans. Je suis surpris de cette nouvelle méthode qui laisse de côté les collectivités territoriales. Si l'on veut avancer, il faut le faire ensemble. J'espère que vos réponses nous remonteront le moral.

M. Edmond Hervé. - Je soutiens totalement votre position. Dans l'agroalimentaire, nous connaissons les voies à suivre pour sortir de la crise : il faut augmenter la valeur ajoutée, ce que beaucoup d'entreprises n'ont pas su faire ; il faut reconstruire des filières, sinon la porte est ouverte à une concurrence effrénée ; il faut enfin tenir compte de tous les acteurs et non seulement des grandes centrales commerciales : l'Allemagne est le pays où le commerce de proximité est le plus développé. Il convient aussi d'identifier en amont les entreprises susceptibles de se développer ou celles pour lesquelles il conviendra de veiller à la succession de l'équipe de direction en cas de transition. Les établissements consulaires ont un rôle à jouer à cet égard. En outre, il est important que les entreprises utilisent les résultats des centres de recherche et d'innovation. Plus les assimilations sont rapides plus le processus est efficace.

L'Allemagne ou les pays nordiques ont basculé une partie de leur fiscalité des entreprises vers les ménages. Où en est-on du rapprochement de la CSG et de l'impôt sur le revenu, qui figurait parmi les engagements du Président de la République ?

Enfin, n'oublions pas les collectivités territoriales, qui représentent 12 à 15 % du PIB. Elles constituent un relais de croissance exceptionnel.

M. Yannick Botrel. - Le déséquilibre dans les relations commerciales entre la grande distribution et l'industrie n'est pas sans lien avec la difficulté des industries agroalimentaires. Il s'agit d'un sujet récurrent. Nous avons été nombreux à le dénoncer lors de la loi de modernisation de l'agriculture, mais en dépit des intentions, on ne constate aucun rééquilibrage probant, malgré la mise en place d'un Observatoire des prix et des marges. En fait, la véritable cause, c'est que la France ne compte que cinq ou six centrales d'achat, contre une centaine en Allemagne. Les fournisseurs ne peuvent résister face à la menace d'un déréférencement. Il semblerait même que les centrales aient trouvé la parade à la suppression des marges arrière. Comment remédier à ce déséquilibre ?

M. Jean Arthuis. - J'ai déposé un amendement lors de l'examen du texte sur la fraude fiscale. Le ministre du budget m'avait assuré qu'il lui donnerait un avis favorable dans le cadre du projet de loi de finances ou du projet de loi de finances rectificative : il s'agit de lutter contre les opérations qui permettent à la grande distribution de percevoir des marges arrière grâce à des officines situées en Suisse ou en Belgique.

Ne serait-il pas souhaitable de fusionner le projet de loi de finances et le projet de loi de financement de la sécurité sociale afin de disposer d'une meilleure vision de l'ensemble des finances publiques et des prélèvements obligatoires ? Le niveau de ces derniers crée un risque de délocalisation de l'élevage et de certaines industries agroalimentaires dans l'ouest de la France. En Bretagne, sous couvert de prestations de service internationales, des ouvriers d'Europe de l'Est travaillent dans le bâtiment ou sur des chantiers de travaux publics, mais aussi dans l'agroalimentaire : dans un abattoir de porc à Evron, en Mayenne, le coût horaire d'un ouvrier est supérieur de dix euros à celui d'un ouvrier allemand. Ne faut-il pas cesser de taxer la production, notamment sous forme de charges sociales ? Taxer la production, en effet, c'est encourager la délocalisation ! Pourquoi ne pas substituer à un impôt qui pèse sur la production un impôt sur les produits qui serait neutre quant au lieu de fabrication ?

M. Philippe Marini, président. - La fédération bancaire française craint que l'entrée en vigueur des nouvelles normes européennes et internationales, en matière de solvabilité et de liquidité des banques, n'entraîne une évolution progressive, mais irréversible, du mode de financement de l'économie française, avec une baisse de l'intermédiation bancaire au bénéfice du financement direct des entreprises par le marché. Cette analyse semble implacable. Quelle est la cohérence de la politique fiscale avec cette évolution de fond ? L'imposition des dividendes augmente, le régime fiscal de l'assurance-vie est en cours de réexamen, tandis que la taxe sur les transactions financières s'applique sur les transactions portant sur des actions et non sur d'autres produits financiers. Ne risque-ton pas de créer un biais de compétitivité en défaveur de notre industrie ? Enfin, si nous sommes appelés à participer aux assises portant sur la fiscalité des entreprises, nous ne nous déroberons pas.

M. Pierre Moscovici. - Vous y serez associés ! Aussi bien le groupe de travail que le groupe de pilotage compteront des parlementaires, à commencer par les présidents et les rapporteurs généraux des commissions des finances. Le calendrier est en cours de discussion avec les acteurs concernés car on ne peut réformer la fiscalité des entreprises malgré elles.

Je ne suis pas un béni-oui-oui ni un adepte de la méthode Coué. La dérision n'est pas de mise. Il s'agit de sujets sérieux et graves. Tous les élus se battent comme je l'ai fait lorsque j'étais président d'une agglomération frappée par la crise de l'automobile. Je ne cherche pas à insuffler un optimisme béat. Nous avons déployé un éventail de mesures sans précédent qui portent leur fruit. Mais je n'ai pas de baguette magique et les difficultés n'ont pas disparues pour autant. Avec Arnaud Montebourg nous nous efforçons d'apporter des réponses aux plans sociaux, dus à la crise ou à des mutations économiques. J'ai déposé un projet de loi d'habilitation pour simplifier, par voie d'ordonnances, la vie des entreprises : je souhaite réformer le droit des faillites pour augmenter les procédures amiables et limiter les redressements judiciaires, d'une part, et améliorer la situation des créanciers pour inciter les banques à consentir des financements nouveaux en accompagnement des restructurations, d'autre part. Le Gouvernement débloque des crédits. Les commissaires au redressement productif, sous l'autorité de leur ministre, ont vocation à travailler en coordination avec les collectivités territoriales.

En même temps, le Pacte pour la croissance, la compétitivité et l'emploi a une vocation offensive. Les économistes saluent le rattrapage en matière d'innovation. L'allègement des charges ou le crédit d'impôt ont des effets anticipés. J'assume la paternité du CICE. Cette mesure était nécessaire. Elle doit s'inscrire dans la durée. Si évolution il y a, elle devra l'améliorer non le remettre en cause.

La fusion de la CSG et de l'impôt sur le revenu aurait pour objet d'accroître la progressivité de l'imposition. La progressivité de l'impôt sur le revenu a déjà été renforcée à travers la réforme de l'ISF ou en soumettant les dividendes au barème de l'impôt sur le revenu. Sans doute conviendra-t-il, dans un second temps, de réfléchir à une meilleure harmonisation de la fiscalité des revenus du capital et du travail. Nous reprendrons les réformes dès que la croissance sera revenue. Mais il est aussi nécessaire faire une pause. Les citoyens sont inquiets. Dans l'immédiat, ils veulent de la stabilité.

Je partage votre diagnostic sur l'agroalimentaire : nous devons renforcer les filières, en évitant qu'elles ne soient victimes de la guerre des prix provoquée par la grande distribution. La France compte sept centrales d'achat mais 12 000 fournisseurs. Ce déséquilibre étant systémique, il appartient à l'État d'intervenir. Ainsi, récemment, nous avons gagné trois procès, en appel et en cassation, et les enseignes ont été condamnées pour déséquilibre significatif du fait de conditions imposées à leurs fournisseurs. Il faut aller plus loin. Comme les anglo-saxons qui ont recours au name and shame, nous devons pointer du doigt ces pratiques pour mieux les dénoncer. La loi Hamon renforce les sanctions, avec la création de sanctions administratives en cas de pratiques abusives, et rééquilibre les négociations qui s'engageront sur la base du tarif des fournisseurs.

Monsieur Arthuis, le Gouvernement s'est engagé à réfléchir, avec vous, à une réécriture de votre amendement qui vise à lutter contre l'optimisation fiscale liée aux marges arrière afin de mieux l'articuler avec le droit européen. Il trouvera sa place dans une loi de finances d'ici la fin de l'année. Le ministère du budget y travaillera avec vous.

Lors de leur élaboration, le projet de loi de finances et le projet de loi de financement de la sécurité sociale font déjà l'objet d'une coordination accrue. De même, leur présentation souligne leur articulation : l'article liminaire de la loi de finances, nouveauté prévue par la loi organique, présente des données relatives à l'ensemble des administrations publiques ; le rapport économique, social et financier comprend une synthèse des éléments relatifs aux prélèvements obligatoires et de nos engagements européens. Je salue d'ailleurs le travail colossal accompli par les services de Bercy.

Comme vous, nous souhaitons moins taxer les facteurs de production...

M. Jean Arthuis. - Très bien !

M. Pierre Moscovici. - Tel était le but de la taxe sur l'excédent brut d'exploitation. Mais le projet n'était pas mûr. Les assises de la fiscalité sur les entreprises poursuivront le même objectif.

Il n'y a aucune contradiction entre le financement des entreprises et notre politique fiscale. Ainsi la réforme de l'assurance vie vise à réorienter l'épargne vers le financement des fonds propres des entreprises, tout comme le PEA-PME. Nous avons besoin d'un système bancaire solide et mieux régulé. Tel était l'objet de la loi bancaire. Mais nous devons aussi disposer d'un système bancaire compétitif : c'est pourquoi nous avons décentralisé, avec la Caisse des dépôts, 30 milliards d'euros vers le système bancaire pour résoudre les problèmes de liquidité et l'aider à financer les petites et moyennes entreprises. Nous devons adapter les produits d'épargne au financement des entreprises, en assurant à la fois un gain aux assurés et un rendement suffisant aux assureurs. Notre réforme de l'assurance vie est consensuelle ; elle s'appuie sur un rapport parlementaire et sur la concertation avec tous les acteurs. L'évolution vers la désintermédiation n'est pas simplement due à des raisons prudentielles. Les entreprises elles-mêmes souhaitent diversifier leurs modes de financement. Nous devons accompagner le mouvement, même si la part du financement de marché ne sera jamais prépondérante en France.

Donner de l'air à l'économie ne se résume pas à la politique fiscale. J'ai réformé, par exemple, le code des assurances pour permettre aux assureurs d'acheter davantage de dette des entreprises françaises plutôt que de la dette souveraine : cette mesure dégagera 5 à 10 milliards d'euros nouveaux pour les entreprises. Ainsi elles créeront des emplois et nous diminuerons le chômage. Tel est le sens de notre politique de renforcement de la compétitivité et de l'offre productive française.

M. Philippe Marini, président. - Je vous remercie.

Mercredi 6 novembre 2013

- Présidence de M. Philippe Marini, président -

Ville et la cohésion urbaine - Demande de saisine et désignation d'un rapporteur pour avis

Tout d'abord, la commission demande à se saisir pour avis et désigne un rapporteur pour avis sur le projet de loi n° 1337 (AN - XIVème législature) de programmation pour la ville et la cohésion urbaine.

La commission demande à se saisir pour avis du projet de loi de programmation pour la ville et la cohésion urbaine, sous réserve de son adoption par l'Assemblée nationale et de sa transmission, et nomme M. Jean Germain, rapporteur pour avis.

Loi de finances pour 2014 - Examen des principaux éléments de l'équilibre- Tome I du rapport général

Puis la commission procède à l'examen des principaux éléments de l'équilibre sur le projet de loi de finances pour 2014 - Tome I du rapport général de M. François Marc, rapporteur général.

M. Philippe Marini, président. - À l'occasion de la présentation ce matin du projet de loi de finances (PLF) et du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS), nous disposerons d'une vision de l'équilibre général de l'ensemble des finances publiques. La fusion du PLF et du PLFSS serait souhaitable. Voter deux lois financières chaque année constitue, en effet, une particularité française. Naturellement, certains d'entre nous se persuaderont que les perspectives financières sont clémentes, et d'autres que la situation est exécrable. Je souhaite que nous puissions nous écouter les uns et les autres dans une logique de respect réciproque.

M. François Marc, rapporteur général. - Nous entamons en effet un marathon budgétaire, qui pourrait toutefois être écourté si certains d'entre nous faisaient le choix d'un retour sur leurs terres, ce que je ne souhaite pas. Pour vous mettre en appétit, il est intéressant de s'arrêter sur l'exercice 2014 dans la trajectoire des finances publiques.

Pour la première fois, les prévisions macroéconomiques sur lesquelles reposent les projets de lois de finances et de financement de la sécurité sociale ont été soumises au Haut Conseil des finances publiques (HCFP). Dans son avis du 20 septembre 2013, le HCFP considère que, pour 2014, « les prévisions de croissance sont plausibles ». Par ailleurs, lors de son audition par notre commission le 9 octobre dernier, Didier Migaud a qualifié la prévision pour 2013 de « prudente » et celle pour 2014 de « crédible et réaliste ».

Le Gouvernement retient une hypothèse de croissance de 0,1 % en 2013 et de 0,9 % en 2014. Une légère progression du PIB en 2013 semble désormais acquise ; la prévision de croissance de 0,1 % est partagée par l'ensemble des organismes de prévision. L'OCDE, le FMI et la Commission européenne anticipent même une croissance supérieure. L'hypothèse de croissance retenue pour 2014, soit 0,9 %, est également retenue par la Commission européenne dans ses prévisions d'automne, publiées hier. Elle est, en outre, très proche de celle du Consensus Forecasts d'octobre 2013. Le FMI, quant à lui, se montre plus optimiste en prévoyant une croissance de 1 %. Cette présentation révèle un changement avec les pratiques antérieures consistant à surévaluer les hypothèses macroéconomiques, ce qui permettait de minorer les efforts à réaliser et figurait parmi les critiques les plus récurrentes du Conseil de l'Union européenne.

Pour la première fois, la Commission européenne va examiner les projets de plans budgétaires des Etats membres de la zone euro. Il s'agit d'une nouvelle procédure instituée par le « two-pack », qui est entré en vigueur le 30 mai 2013 et établit un encadrement renforcé des politiques budgétaires au sein de la zone euro. Si la Commission européenne décèle un manquement particulièrement grave aux obligations découlant du pacte de stabilité et de croissance, elle demande qu'un projet de plan budgétaire révisé lui soit soumis dès que possible. Toutefois, cela ne contraindrait pas l'Etat concerné à revoir intégralement son projet de budget : il s'agit seulement d'alerter les Etats dont le projet de budget ne permettrait pas de respecter les règles budgétaires européennes et d'éclairer les travaux des parlements nationaux. La Commission doit rendre ses avis sur les projets de plans budgétaires le 15 novembre prochain.

On notera que le commissaire européen chargé des affaires économiques et monétaires, Olli Rehn, a d'ores et déjà salué « la responsabilité et la prudence » du projet de loi de finances pour 2014 de la France et on peut imaginer que l'avis qui sera rendu d'ici le 15 novembre ne devrait pas être fondamentalement différent.

M. Philippe Marini, président. - Nous sommes entre gens convenables...

M. François Marc, rapporteur général. - J'en viens maintenant à l'analyse de l'article liminaire du projet de loi de finances pour 2014. La loi organique relative à la gouvernance et à la programmation des finances publiques prévoit, en effet, que la loi de finances comporte désormais un tel article, qui permet de disposer d'une vision synthétique de l'évolution du solde structurel. Il s'agit ainsi de s'assurer que les mesures prévues dans le cadre des projets de lois de finances et de financement de la sécurité sociale permettent au solde structurel de suivre la trajectoire définie par la loi de programmation des finances publiques pour les années 2012 à 2017.

Il apparaît que le solde structurel devrait s'élever à - 2,6 points de PIB en 2013 et à - 1,7 point de PIB en 2014. Lors de l'audition du 9 octobre 2013, le président du Haut Conseil des finances publiques (HCFP) a constaté que « le déficit structurel prévu tant pour 2013 que pour 2014 est significativement supérieur à celui de la loi de programmation des finances publiques » ; en effet, l'écart s'élèverait à 1 point de PIB en 2013 et à 0,6 point de PIB en 2014.

M. Vincent Delahaye. - Quelles sont les mesures exceptionnelles qui impactent le solde ?

M. François Marc, rapporteur général. - Il s'agit en particulier du coût des contentieux fiscaux.

Si l'écart de la course du solde structurel par rapport à la trajectoire de la loi de programmation des finances publiques (LPFP) est indéniable, il doit être examiné à l'aune d'une conjoncture économique beaucoup plus dégradée que prévu. A titre de rappel, l'écart constaté entre le solde structurel et l'objectif de la LPFP en 2012 a principalement résulté d'une révision du déficit structurel pour 2011. Nous héritons là d'un dérapage depuis 2011 qui conduit à une accumulation d'écarts substantiels représentant, au total, un point de différentiel. L'écart a continué à se creuser en 2013, mais principalement en raison du fort ralentissement de l'activité économique. Un examen attentif de l'exercice permet de mettre en évidence le fait que le Gouvernement a, pour l'essentiel, respecté les objectifs d'effort sur lesquels il s'était engagé.

L'effort structurel consenti en 2013 s'élèverait à 1,7 point de PIB, soit un niveau proche de la cible retenue en LPFP (1,9 point de PIB) ; pour autant, le solde structurel ne devrait être réduit que de 1,3 point de PIB, compte tenu d'élasticités des prélèvements obligatoires plus faibles que prévu. On touche là du doigt une réalité qui a un impact tout à fait négatif sur l'exercice 2013. L'effort structurel en recettes atteindrait 1,5 point de PIB, contre un objectif de 1,6 point dans la loi de finances pour 2013.

Toutefois, l'accroissement des recettes serait limité par une faible évolution spontanée des prélèvements obligatoires : leur élasticité serait seulement de 0,5, contre une moyenne de long terme proche de l'unité. Je rappelle ce qu'est l'élasticité des recettes fiscales à l'évolution du PIB : une élasticité de 2 signifie qu'une progression de 1 % du PIB en valeur entraîne une augmentation de 2 % des recettes fiscales. La faiblesse de l'élasticité résulterait principalement du rendement peu élevé de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) et de l'impôt sur les sociétés, ainsi que du moindre dynamisme de la masse salariale, sur laquelle est assise la majeure partie des prélèvements sociaux. Cette faible élasticité aurait contribué négativement à l'évolution des recettes, à hauteur de 0,4 point de PIB.

L'effort structurel projeté au titre de l'année 2013 repose également sur un effort en dépenses de 0,2 point de PIB - contre une cible de 0,3 point dans la loi de finances pour 2013. L'effort initialement programmé était fondé sur un objectif de croissance de la dépense publique en volume de 0,9 % ; toutefois, cette dernière devrait finalement atteindre 1,7 %. Cette progression plus rapide que prévu de la dépense publique serait essentiellement liée à des facteurs non maîtrisables. Tout d'abord, l'inflation ne devrait progresser que de 0,8 % en 2013, alors que les dépenses indexées - à l'instar d'un certain nombre de prestations sociales - ont été revalorisées sur la base d'un taux de 1,3 % en avril dernier. Cela a conduit, mécaniquement, à accroître l'augmentation des dépenses concernées en volume. Par ailleurs, plusieurs dépenses non prévues devraient survenir au cours de l'exercice, notamment le vote du deuxième budget rectificatif de l'Union européenne, qui entraînerait une hausse des dépenses de 1,8 milliard d'euros. En tout état de cause, les dépenses maîtrisables seraient bien tenues : la norme « zéro valeur » qui s'applique aux dépenses de l'État hors dette et pensions serait respectée, l'objectif national des dépenses d'assurance maladie (ONDAM) serait sous-exécuté et la charge de la dette serait inférieure à la prévision de la loi de finances initiale pour 2013 d'un montant de 1,9 milliard d'euros en raison de conditions de financement particulièrement favorables.

L'effort structurel prévu pour 2014 est supérieur à la programmation, mais ne comble pas intégralement l'écart avec la trajectoire pluriannuelle de solde structurel. En effet, le Gouvernement a fait le choix de lisser l'effort - et donc l'ajustement structurel - sur la période 2014-2017, afin de concilier poursuite de la consolidation des finances publiques et croissance économique. La conciliation de ces deux objectifs a constitué un souci constant du Gouvernement. Les ajustements successifs de la trajectoire de solde structurel au cours des derniers mois n'ont fait que tirer les conséquences des évolutions de la conjoncture tout au long de l'année 2013, qui ont conduit à répartir la réduction du déficit structurel sur l'ensemble de la période 2014-2017. Cette nouvelle trajectoire pluriannuelle des finances publiques est rendue possible par la prolongation accordée en juin dernier par le Conseil de l'Union européenne, jusqu'à 2015, du délai dont dispose la France pour corriger son déficit excessif, compte tenu de la détérioration de la situation économique.

En tout état de cause, les efforts prévus par le Gouvernement dans le cadre de cette nouvelle trajectoire permettraient, d'une part, d'atteindre l'équilibre structurel en 2016, respectant ainsi l'objectif de moyen terme (OMT) sur lequel la France s'est engagée auprès de ses partenaires européens en application du TSCG et, d'autre part, de mettre fin au déficit excessif en 2015, conformément à la trajectoire recommandée par le Conseil de l'Union européenne.

La Commission européenne a publié, hier, ses traditionnelles prévisions d'automne. Ainsi que je l'ai d'ores et déjà indiqué, celles-ci viennent conforter les hypothèses macroéconomiques retenues par le Gouvernement dans le présent projet de loi de finances. Comme la presse s'en est largement fait écho, la Commission prévoit que le déficit effectif de la France serait de 3,7 % du PIB en 2015 (et pas de 3 % du PIB comme nous l'anticipions), ce qui pourrait laisser croire que notre pays ne respecterait pas les recommandations du Conseil de l'Union européenne formulées dans le cadre de la procédure de déficit excessif.

Toutefois, il est impératif de revenir sur la méthode selon laquelle est construite cette projection. En effet, ainsi que l'indique très clairement le document de la Commission, les projections relatives à l'année 2015 sont réalisées à partir d'une hypothèse de politique inchangée. En bref, faute de mesures en économies et en recettes déjà votées pour cette année, elle fait comme si la France ne réalisait aucun effort supplémentaire en 2015 ; cela ne signifie pas qu'elle estime que la France n'adoptera pas de telles mesures. D'ailleurs, on observe la même divergence, pour l'année 2015, pour plusieurs pays qui n'ont pas déjà adopté des réformes structurelles entraînant des économies certaines à cet horizon, comme l'Espagne et l'Italie notamment. S'agissant des années 2013 et 2014, le commissaire européen chargé des affaires économiques et monétaires, Olli Rehn, a indiqué qu'il se concentrerait sur l'ajustement structurel et non le déficit effectif pour juger des efforts budgétaires réalisés par la France. A cet égard, les économistes de la Commission européenne précisent que leurs prévisions sont cohérentes avec une amélioration cumulée du déficit structurel de 1,75 % sur 2013 et 2014.

L'effort structurel prévu pour 2014 par le présent projet de loi de finances s'élève à 0,9 point de PIB, supérieur de 0,4 point de PIB à la prévision de la loi de programmation des finances publiques. Cela permettrait de réduire en partie l'écart du solde structurel par rapport à la programmation : il s'élèverait à - 1,7 % du PIB, contre une cible initiale de - 1,1 % du PIB (soit un écart de 0,6 point de PIB, contre 1 point en 2013). Le déficit effectif, quant à lui, se réduirait de 0,5 point par rapport à 2013 pour atteindre 3,6 % du PIB. L'effort structurel consenti en 2014 comprend un effort structurel en recettes s'élevant à 0,15 point de PIB et un effort structurel en dépenses à hauteur de 0,75 point de PIB, soit 80 % du total.

S'agissant des recettes, l'effort structurel prendrait la forme de mesures nouvelles d'un montant de 2,7 milliards d'euros, dont 1,8 milliard d'euros au titre de la lutte contre la fraude. Au total, les projets de lois de finances et de financement de la sécurité sociale pour 2014 portent des mesures nouvelles dont l'impact est évalué à 8,2 milliards d'euros en 2014. Toutefois, celles-ci sont contrebalancées par les moindres recettes provoquées par les mesures adoptées antérieurement, dont le coût net du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE). A l'inverse, des recettes supplémentaires sont à attendre des mesures adoptées dans le cadre du projet de loi de finances rectificative de juillet 2012 et de la réforme des régimes de retraite. Dans ces conditions, le taux de prélèvements obligatoires serait quasiment stabilisé en 2014, passant de 46 % du PIB en 2013 à 46,1 % du PIB en 2014.

Pour la première fois de la période de programmation, l'effort structurel porterait principalement sur les dépenses : l'effort en dépenses serait de 0,75 point de PIB, soit 80 % de l'effort total. La croissance de la dépense publique en volume passerait ainsi de 1,7 % en 2013 à 0,4 % en 2014, soit une économie de 15 milliards d'euros répartie sur l'ensemble des administrations publiques. L'Etat réaliserait une économie de 8,5 milliards d'euros par rapport à la progression tendancielle de ses dépenses, à laquelle viendrait s'ajouter une économie de 0,5 milliard d'euros sur la charge de la dette liée aux intérêts évités grâce à la réduction du déficit budgétaire depuis 2012. Les dépenses des administrations publiques locales, quant à elles, augmenteraient de 1,2 % en valeur. S'agissant des dépenses des administrations de sécurité sociale en 2014, je laisse le soin à Jean-Pierre Caffet de nous en exposer le détail tout à l'heure, dans la présentation de son avis sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale.

La nouvelle trajectoire pluriannuelle des finances publiques arrêtée dans le cadre du présent projet de loi de finances repose sur la réalisation d'un effort en dépenses sans précédent sur la période 2014-2017. Alors que sur cette même période, la loi de programmation des finances publiques (LPFP) prévoyait une croissance moyenne en volume des dépenses publiques de 0,5 % par an, l'objectif est désormais une croissance annuelle moyenne de 0,25 %. En d'autres termes, le taux moyen d'évolution initialement inscrit dans la LPFP a été divisé par deux. Ainsi, la dépense publique devrait augmenter de seulement 0,2 % par an entre 2015 et 2017. Cela permettrait une forte réduction du ratio de dépenses publiques sur PIB, qui passerait de 56,6 % du PIB en 2012 à 54 % en 2017.

Il est absolument essentiel que les objectifs de maîtrise de la dépense publique soient respectés, sauf à compromettre la trajectoire de consolidation budgétaire et l'atteinte de notre objectif d'équilibre structurel. Afin de mettre en évidence la sensibilité de la trajectoire des finances publiques au respect de l'effort en dépenses programmé, des projections ont été réalisées à partir de deux scénarii : un scénario dans lequel la croissance des dépenses en volume serait de 1,6 % au cours de la période 2014-2017, ce qui correspond à la moyenne constatée entre 2007 et 2012 et un scénario dans lequel la croissance des dépenses en volume serait de 1 % entre 2014 et 2017 - soit une progression intermédiaire entre la moyenne 2007-2012 et la prévision du Gouvernement. Par ailleurs, la trajectoire de l'effort en recettes est supposée rester celle retenue par le Gouvernement.

Les projections font apparaître que le non-respect des objectifs d'évolution de la dépense publique en volume fixés par le Gouvernement dégraderait fortement la trajectoire des soldes structurels et effectifs et de la dette publique. Une progression de la dépense publique de 1,6 % par an en volume entre 2014 et 2017 conduirait en effet à un solde structurel de - 2,8 % du PIB en 2017 (soit un niveau plus dégradé que celui de 2014) et à une dette publique de 98 % du PIB. Le déficit effectif resterait, quant à lui, au-dessus de 4 % du PIB tout au long de la période. Si la progression était de 1 % par an en volume au cours de la même période, le solde structurel serait toujours sensiblement supérieur à l'objectif de moyen terme (OMT) en 2017 atteignant - 1,5 % du PIB. Quant au déficit effectif, il ne reviendrait en-dessous du seuil de 3 % du PIB qu'à l'horizon 2017. Il s'agit de deux scénarii inacceptables pour nos partenaires européens.

Ces projections nous renvoient à celles réalisées par la Commission européenne pour 2015 puisqu'elles montrent, elles aussi, l'impact une réduction, voire d'une absence d'effort sur les dépenses. Elles soulignent l'absolue nécessité de respecter les objectifs de dépenses arrêtés. Le niveau des économies qui doivent être réalisées à cette fin - environ 17,5 milliards d'euros en 2015 par rapport au tendanciel après les 15 milliards d'euros prévus en 2014 - implique que soient engagées des réformes ambitieuses. Il faudra donc que la modernisation de l'action publique (MAP) identifie les leviers d'une transformation en profondeur des administrations publiques. C'est à cette seule condition que la trajectoire pluriannuelle des finances publiques sera respectée.

Par ailleurs, nous avons mesuré la sensibilité de la trajectoire de solde effectif et de dette publique à la conjoncture économique, en retenant deux scénarii conventionnels - dans lesquels la croissance du PIB est supposée supérieure d'un demi-point à la prévision du Gouvernement dans un cas et inférieure d'un demi-point dans l'autre sur la période 2014-2017. Je précise que les projections réalisées ne sont pas des prévisions alternatives et qu'elles reposent sur l'hypothèse que seules les recettes sont sensibles aux variations conjoncturelles.

Il apparaît que la trajectoire de l'ajustement structurel retenue par le Gouvernement ne permettrait pas, en cas de croissance du PIB inférieure d'un demi point aux prévisions, de faire revenir le déficit effectif en deçà de 3 % du PIB en 2015 conformément aux recommandations formulées par le Conseil de l'Union européenne. En effet, le déficit effectif ne passerait sous le seuil de 3 % du PIB qu'en 2016. En outre, le taux d'endettement ne commencerait à se réduire qu'en 2016, avec un an de retard par rapport à la programmation. A l'inverse, une croissance supérieure d'un demi-point aux prévisions - qui correspondrait peu ou prou à un scénario de rattrapage plus rapide du PIB potentiel par le PIB réel - permettrait d'atteindre pratiquement l'équilibre effectif en 2017 (- 0,2 point de PIB). Par ailleurs, la dette publique serait inférieure à la prévision de près de 4 points de PIB en fin de programmation. Nous pouvons donc avoir également un regard un peu plus optimiste.

Selon les prévisions de la Commission européenne, le déficit effectif de l'ensemble de la zone euro s'élèverait à 2,9 % du PIB en 2013 et à 2,8 % du PIB en 2014. Le déficit structurel serait de 1,4 % du PIB en 2013 et de 1,5 % du PIB en 2014. Enfin, concernant l'évolution de la dette publique, celle-ci atteindrait 95,5 % du PIB en 2013 et 96 % du PIB en 2014. La trajectoire de solde structurel de la France apparaît en ligne avec celle de la zone euro. Il faut bien sûr garder à l'esprit que ces trajectoires relèvent avant tout d'un exercice de programmation et peuvent évoluer afin de tenir compte, notamment, des évolutions de la conjoncture économique.

En tout état de cause, les données collectées font clairement apparaître une convergence des trajectoires de soldes effectifs et structurels des principaux Etats membres de la zone euro. Cela tend à démontrer l'effectivité des règles budgétaires européennes instituées au cours de la période récente ; cela explique aussi, compte tenu des effets du multiplicateur budgétaire, le profil de la croissance de la zone euro.

La comparaison des trajectoires de solde structurel avec les principaux pays de la zone euro fait apparaître que nous partons, avec l'Espagne, d'un point de départ assez dégradé en 2012 par rapport aux autres pays, ce qui nous oblige à accomplir, comme elle, un ajustement plus conséquent.

S'agissant du solde effectif et non plus structurel, on constate une très nette convergence des soldes effectifs vers un équilibre en 2017 pour les cinq principales économies de la zone euro (Allemagne, France, Italie, Espagne et Pays-Bas). Un effort considérable doit être accompli par l'Espagne, alors que la situation de la France est proche de celle des Pays-Bas.

Les efforts accomplis permettraient une diminution, au moins en fin de période, de la part des dettes publiques dans le PIB pour les cinq principales économies de la zone euro.

Les principales caractéristiques de la consolidation des finances publiques en France montrent que la trajectoire pluriannuelle des finances publiques retenue par le Gouvernement laisse entrevoir, à l'horizon 2017, une réduction de la dette publique et de la dépense publique ainsi qu'une diminution des prélèvements obligatoires, exprimées en part de PIB.

J'en viens à présent à la deuxième partie de mon exposé : le budget de l'Etat en 2014 et ses principales caractéristiques.

A périmètre courant, les recettes fiscales nettes de l'Etat (soit 284,7 milliards d'euros dans le PLF 2014) diminuent de 3,2 milliards d'euros par rapport à l'évaluation actuelle de ces recettes en 2013. Cette évolution s'explique principalement par l'effet des mesures antérieures au projet de loi de finances, qui réduisent de 11 milliards d'euros les recettes attendues, dont 9,8 milliards d'euros pour le seul CICE. Les mesures nouvelles sont relativement limitées, puisqu'elles ne représentent que 2,3 milliards d'euros. Les recettes d'impôt sur les sociétés croîtraient spontanément de 6,9 % en 2014 et seraient notamment portées par le rétablissement des marges des sociétés. Quant aux recettes de l'impôt sur le revenu, elles augmenteraient spontanément de + 3,7 % ; cette évolution serait portée notamment par la consolidation des marchés financiers et la stabilisation du marché de l'immobilier.

L'évolution des dépenses de l'Etat doit s'analyser au regard des deux normes de dépenses. La norme « zéro volume », la plus large, prévoit que les dépenses ne doivent pas progresser plus rapidement que l'inflation ; en 2014, il est même prévu une baisse de ces dépenses de 1,4 milliard d'euros. La norme « zéro valeur » exclut les dépenses de pensions et la charge de la dette, sur lesquelles le Gouvernement n'a qu'une marge de manoeuvre limitée ; elle diminue également de 1,4 milliard d'euros. Nous allons donc au-delà des deux normes puisque les crédits diminuent sur les deux périmètres, hors investissements d'avenir. Les crédits du deuxième programme d'investissements (12 milliards d'euros) ne sont en effet pas comptabilisés, dès lors qu'il s'agit de dépenses exceptionnelles et par nature, non pérennes. Si ces crédits étaient comptabilisés dans la norme, ils rendraient en pratique impossible son respect en 2014, puis desserreraient totalement la contrainte l'année suivante ; telle n'est pas la philosophie de la norme de dépense.

La répartition des 9 milliards d'économies par rapport à leur évolution tendancielle fait apparaître une participation des opérateurs, des collectivités territoriales et de la contribution française au budget de l'Union européenne.

S'agissant de la contribution des collectivités territoriales, elle s'inscrit dans une concertation avec les acteurs locaux qui a débouché sur un « pacte de confiance et de responsabilité » adopté lors de la conférence des finances publiques locales, le 16 juillet 2013. La situation financière particulièrement dégradée des départements a par ailleurs été prise en compte, et des recettes nouvelles contribueront au financement des allocations de solidarité : des frais de gestion à hauteur de 830 millions d'euros leur sont transférés, qui seront répartis de manière péréquée ; d'autre part, les départements auront la possibilité d'augmenter le taux des droits de mutation à titre onéreux (DMTO). Pour leur part, les régions bénéficient d'une substitution de ressources fiscales relativement dynamiques à des dotations, pour un montant total d'environ 900 millions d'euros. C'est donc sur le bloc communal que reposera l'essentiel de l'ajustement.

Par ailleurs, la péréquation horizontale comme verticale continue de monter en puissance. S'agissant de la péréquation horizontale, les ressources du fonds national de péréquation des ressources intercommunales et communales (FPIC) passent de 360 millions d'euros en 2013 à 570 millions d'euros en 2014, et celles du Fonds de solidarité des communes de la région Ile-de-France (FSRIF) augmentent de 230 millions d'euros en 2013 à 250 millions d'euros en 2014. Pour ce qui est de la péréquation verticale, toutes les dotations à vocation péréquatrice sont augmentées, à un rythme toutefois moins élevé qu'en 2013.

J'en viens à présent à la question des emplois et de la masse salariale.

Les créations d'emplois dans l'éducation nationale, la justice et la sécurité sont plus que gagées par des suppressions d'emplois dans les autres ministères. On observe en effet un schéma d'emplois légèrement négatif, c'est-à-dire 3 280 suppressions de postes de plus que les créations ; si l'on tient compte de 1 771 créations de postes pour les opérateurs, le solde reste négatif à hauteur de 1 509 ETP. En effet, l'objectif de stabilisation des emplois porte sur l'ensemble du quinquennat, et doit prendre en compte les créations d'emplois décidées dans le « collectif » de juillet 2012. Des suppressions nettes d'emplois doivent donc être encore effectuées pour « absorber » ces créations initiales.

Hors pensions, la masse salariale de l'Etat s'élève à 81,4 milliards d'euros dans le projet de loi de finances pour 2014. Sa progression d'une année sur l'autre est de l'ordre de 0,4 %. On rappellera que le Gouvernement a pris l'engagement, dans la loi de programmation des finances publiques, de ne pas faire progresser les dépenses de rémunération de plus de 1 % sur la période 2012-2015. Cet engagement semble être en voie d'être tenu. Au-delà du gel de la valeur du point, cette maîtrise de la masse salariale repose principalement sur une nette décélération des mesures catégorielles. Celles-ci s'établiront en effet à 274 millions d'euros en 2014, soit le plus faible montant depuis 1995 et moins de la moitié de l'enveloppe versée en 2011.

Le projet de loi de finances prévoit que la charge des intérêts de la dette atteindra 46,7 milliards d'euros, soit une diminution de 0,2 milliard d'euros par rapport à la LFI 2013, mais une hausse de 1,7 milliard d'euros par rapport au révisé 2013. Cela traduit l'existence d'un niveau de taux d'intérêt systématiquement inférieur aux prévisions au cours des dernières années, ce qui desserre quelque peu la contrainte sur les finances publiques.

La charge de la dette a progressé ces dernières années de manière moins dynamique que son encours. Nous pouvons nous demander si cette situation va perdurer. En valeur actualisée, l'encours de dette nominale passerait de 1 459 milliards d'euros fin 2013 à 1 531,4 milliards d'euros fin 2014. Un relèvement significatif des taux d'intérêt constitue donc une « épée de Damoclès » pour nos finances publiques. A titre d'illustration, on rappellera qu'une augmentation uniforme de 100 points de base des taux d'intérêt entraîne, à terme, une hausse de la charge d'intérêt de plus de 15 milliards d'euros.

Le besoin de financement de l'Etat s'élèverait à 177 milliards d'euros, dont 174 milliards d'euros d'émissions. La France resterait le deuxième émetteur de la zone euro après l'Italie, dont le seul refinancement de la dette conduit à émettre 194 milliards d'euros de dette. Pour ce qui est des émissions de nouvelle dette au sein de la zone euro, c'est-à-dire l'argent nécessaire pour couvrir le déficit budgétaire, la France en représenterait environ le tiers - 70 milliards sur un total évaluée à 215 milliards pour l'ensemble de la zone euro.

M. Philippe Marini, président. - Permettez-moi de lancer la discussion par quelques questions.

Lorsque vous évoquez un taux de croissance de + 0,1 %, n'existe-t-il pas une marge d'erreur statistique susceptible d'être appréciée de différentes façons ? Pour le dire autrement, entre - 0,1 % et + 0,1 %, sommes-nous vraiment capables, du point de vue de la méthodologie statistique, de faire la différence ? Mais, sur le plan psychologique, il est bien préférable d'annoncer + 0,1 %...

Vous indiquez que le déficit structurel est significativement supérieur à la prévision pluriannuelle. Pouvez-vous nous rappeler le jeu des dispositions issues des règles européennes au cas où le Haut Conseil des finances publiques serait amené à constater un décalage significatif par rapport à la trajectoire ? Que peut-il se passer ? Quelle serait la procédure ?

Je constate un écart entre les prévisions du Gouvernement et celle de la Commission européenne. À la fin 2014, le déficit effectif s'établit à 3,6 % selon le Gouvernement et à 3,8 % selon la Commission européenne et, pour 2015, les pourcentages sont respectivement de 2,8 % et 3,7 %.

Vous nous dites, très justement, que la Commission européenne porte son appréciation « toutes choses égales par ailleurs », donc en considérant qu'il n'y aurait pas de mesures correctrices ou, du moins, que les mesures correctrices appropriées ne sont pas annoncées. La Commission européenne a-t-elle, selon vous, raison sur le plan méthodologique ? Le Gouvernement n'a-t-il pas tout dit ? Se serait-il abstenu d'annoncer les mesures qu'il sait devoir prendre pour procéder à des économies plus importantes ou plus efficaces afin de parvenir aux soldes effectifs de 2014 et 2015 ? Quelles peuvent être ces mesures supplémentaires ?

J'aimerais également soulever un point méthodologique - et cela n'a pas de caractère critique - sur la notion de solde stabilisant, c'est-à-dire celui qu'il faut atteindre pour que le ratio dette sur PIB commence à décroître. Il est fonction de la croissance. Nous étions habitués à le fixer autour de 3 %. Je crois comprendre qu'il serait aujourd'hui sensiblement plus bas. Or, il apparaît que la dette publique diminuerait en pourcentage du PIB à partir de soldes sensiblement supérieurs. Il faudrait y voir plus clair.

Enfin, vous évoquez la norme de dépense. Deux dépenses réelles ne semblent pas comprises dans les dépenses totales de l'État. La première, pour un montant de 830 millions d'euros en 2014, représente une compensation attribuée par l'État aux départements, c'est-à-dire un transfert de l'équivalent des frais d'assiette et de recouvrement des impôts locaux. La seconde est une opération similaire au bénéfice des régions : il s'agit d'une transformation de la dotation globale de décentralisation qui, elle, figurait bien en 2013 dans la norme de dépense. En revanche, sa transformation en un panier de recettes fiscales, pour un même montant de 900 millions d'euros, transféré aux régions, ne serait pas dans la norme de dépense.

Je constate que les habitudes des administrations financières qui s'efforcent, chaque année, de faire un peu « d'habillage » ne sont pas complétement abandonnées. Ce qui peut nous rassurer puisque nous avons toujours connu ce type de pratiques...

En conclusion, les données sur le financement de l'État et de la dette me semblent pouvoir être appelées « celles du meilleur ami » puisque, finalement, le meilleur soutien de la politique budgétaire de ce Gouvernement, ce sont bien les marchés financiers. Ce monde odieux de la finance nous permet d'émettre plus de dettes pour un montant de charges financières maîtrisées, voire en légère décroissance !

M. François Marc, rapporteur général. - Je n'adhère pas à l'idée selon laquelle + 0,1 % ne serait pas significatif, compte tenu de la marge d'erreur. Je constate en effet que certaines prévisions estiment que la croissance française serait de 0,2 % en 2013. L'annonce de 0,1 % ne reflète donc pas un optimisme béat ou une volonté « d'habillage ». C'est une réalité : la France serait sortie de la récession. Telle est l'appréciation des conjoncturistes.

S'agissant des mécanismes de correction, vous posez une question tout à fait légitime. Pour le mécanisme automatique de correction, il est vraisemblable qu'il puisse être déclenché au printemps prochain lors de l'examen du projet de loi de règlement, mais nous devons prendre en compte plusieurs éléments.

Tout d'abord, le mécanisme de correction contraint le Gouvernement à présenter des mesures de correction mais cela ne veut pas dire qu'il faut corriger intégralement et de façon instantanée l'écart constaté.

M. Philippe Marini, président. - Il suffit de faire un discours...

M. François Marc, rapporteur général. - Il suffit de placer la France dans une trajectoire de correction de l'écart. Il ne suffit pas, comme à l'école maternelle, de répondre instantanément à la demande de la maîtresse d'écrire différemment le budget.

Mme Michèle André. - Très bien !

M. François Marc, rapporteur général. - La nouvelle trajectoire pluriannuelle des finances publiques permettra de combler l'écart par rapport à la programmation dans un délai de deux ans. D'ores et déjà, par la correction de trajectoire que nous avons inscrite en arrière-plan de ce projet de loi de finances pour 2014, nous avons, par anticipation, apporté des éléments de réponse. Au printemps prochain, nous pourrons annoncer de quelle façon les efforts qui sont envisagés vont pouvoir se réaliser. Et je pense que l'Union européenne ne pourra que donner acte à la France de sa volonté de se sortir de la difficulté dès lors que cet écart serait effectivement pointé.

Au surplus, une nouvelle loi de programmation des finances publiques sera adoptée à la fin de l'année 2014, ce qui permettra, de façon plus officielle encore, de mieux affirmer notre trajectoire en ayant corrigé et chiffré les étapes aboutissant à une situation assainie en 2017.

En ce qui concerne les appréciations portées hier par la Commission européenne, vous vous demandez si la France n'est pas mise en défaut pour n'avoir pas annoncé ce qu'il faudrait faire. En réalité, la Commission européenne pointe uniquement les mesures qui ont été votées. Par exemple, le projet de loi de réforme des retraites, en cours d'examen par le Parlement, n'a pas encore été voté, il n'est donc pas pris en compte. Il en va de même pour toutes les dispositions de nature structurelle ou les mesures non encore votées, comme, par exemple, celles consistant à réaliser 17 milliards d'euros d'économies en 2015.

S'agissant du solde stabilisant, il faut savoir qu'il se dégrade mécaniquement avec l'accroissement de la dette. Il serait donc supérieur à 3 % du PIB en 2015, lorsque la part de la dette publique dans le PIB commencera à diminuer.

Enfin, je conçois que l'on puisse s'interroger sur le traitement de certaines dispositions du PLF au regard de la norme de dépense. Bien sûr, le Gouvernement doit respecter les règles qu'il s'est lui-même fixé. En tout état de cause, les mesures que vous citez ne sont pas de nature à remettre en cause l'économie générale du projet du Gouvernement.

M. Albéric de Montgolfier. - J'ai deux questions à poser au rapporteur général que je remercie de sa présentation. Premièrement, nous n'avons pas la même conception du mot « économies ». C'est un problème sémantique car, quand on nous dit qu'il y a 8,5 milliards d'euros d'économies dans le budget de l'État, cela devrait se traduire par une baisse des crédits du budget de l'État. Or, on nous parle de moindre progression de l'augmentation naturelle des dépenses. En réalité, les dépenses de l'État, comparées entre le PLF 2013 et le PLF 2014, ne présentent qu'un milliard d'euros d'économies. J'en conclus que les seules économies faites par l'État correspondent au 1,5 milliard d'euros retiré aux collectivités locales, par la baisse de la DGF et que par ailleurs les dépenses progressent.

Comment expliquer la progression du nombre d'emplois des opérateurs de l'État et comment ne peut-on pas mieux contrôler cette évolution inquiétante des effectifs ?

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. - Je ne poserai pas de question ; quand je vois la manière dont on répond à nos questions, je n'y trouve pas mon compte, c'est pourquoi je m'en tiendrai à des observations.

Je signale que le rapport de la Commission européenne fait apparaître des contrastes importants entre États membres, avec une reprise française qui serait tirée par la consommation intérieure du fait de la baisse du taux d'épargne des ménages. L'investissement des entreprises resterait peu dynamique, la priorité allant à la restauration de leurs marges. En revanche, la croissance sera dynamique en Allemagne en 2014, ainsi qu'en Italie et en Espagne grâce aux bons chiffres du commerce extérieur. Dans le noyau dur de l'Europe, la France est à la traîne. Tout se passe comme s'il y avait une impuissance de la puissance publique. Je ne pense pas qu'on puisse parler de réalisme quant à la politique du Gouvernement, mais d'incapacité à redresser la situation.

M. Vincent Delahaye. - J'ai l'impression que l'on nous abreuve de chiffres et de notions techniques, d'écart structurel ou conjoncturel qui conduisent au final à présenter au citoyen un budget virtuel. Il faut en revenir aux hypothèses de croissance potentielle retenues pour définir le déficit structurel dont on voit que la courbe a tendance à baisser alors que celle du déficit conjoncturel augmente. Sur les économies en dépenses, j'ai l'impression que c'est la période 2007-2012 qui est prise comme référence des économies réalisées en considérant que la croissance a été spontanée durant ces années. Pourquoi ne faisons-nous pas la même chose pour les collectivités locales car, si cette croissance spontanée avait été de 1,6 % comme pour l'État, on aurait pu considérer que, avec 0,4 %, les collectivités ont fait des économies.

Je ne comprends pas non plus le niveau prévu d'économies, en milliards d'euros, alors qu'il avait été annoncé 1,5 milliard d'euros en net.

Le solde de 2013 sera-t-il bien de 4,1 % ? Le chiffre de 4,3 % circule et une différence de 0,2 point de PIB n'est pas anodine. Car une partie de l'effort prévu pour 2014 est repoussée à 2015. L'écart avec la loi de programmation atteint 50 %. Dans une entreprise, un directeur financier affichant de tels résultats serait directement remercié !

Il faudra avoir le courage d'engager des réformes structurelles pour réduire la dépense publique car, pour l'instant, notre planche de salut repose sur les marchés qui nous font encore confiance. Mais combien de temps cela durera-t-il ?

M. Jean-Paul Émorine. - Je demande que la commission des finances prenne en considération les comparaisons faites par l'OCDE dans lesquelles nous voyons que la France est en deuxième position sur le taux de prélèvements obligatoires avec 46 % du PIB jusqu'en 2015 et 2016. Le Gouvernement ne joue pas son rôle sur le ratio de la dépense publique qui représente 56 % à 57 % du PIB. Par rapport à l'Allemagne, dont le taux de prélèvements obligatoires est de 35 % à 36 % et le taux de dépense publique de 46 %, la différence se matérialise par plus de 200 milliards de dépenses publiques de plus pour la France. Ce n'est pas en créant des postes de fonctionnaires que nous allons réduire notre handicap de compétitivité engendré par notre niveau de prélèvements sur les entreprises.

Par ailleurs, les recettes de TVA prévues initialement à 141 milliards d'euros pour 2013 seront inférieures de 11 milliards. Or cette perte de recettes est également attendue pour 2014 et cela doit nous alerter sur le fait que la marge de manoeuvre doit donc porter sur le ratio de dépenses publiques du PIB, dans toutes les administrations publiques, et non sur l'augmentation des recettes.

M. Philippe Marini, président. - Ce propos rejoint la préoccupation de Vincent Delahaye sur l'analyse de l'écart entre le ratio dépenses publiques sur PIB et prélèvements obligatoires sur PIB et nécessite une explication méthodologique.

M. Éric Bocquet. - Mon interrogation, non malveillante, porte sur le réalisme des hypothèses macroéconomiques. L'avis du Haut Conseil des finances publiques du 20 septembre dernier précise que, sauf à modifier la loi de programmation, le mécanisme de correction sera déclenché mi-2014, appelant des efforts supplémentaires pour atteindre l'équilibre structurel en 2016. Ensuite, le ministre de l'économie et des finances indiquait que les règles européennes avaient été intégrées dans le budget et qu'il n'est donc pas nécessaire de le changer. Ces deux discours sont contradictoires. Qui faut-il écouter ?

M. Philippe Marini, président. - Je partage personnellement ces interrogations.

M. Serge Dassault. - On dit que le pire n'est jamais sûr, or ce budget démontre le contraire car il ne présente aucune certitude sur les recettes. Il aurait fallu déposer un projet de loi de finances rectificative ! Quand on fait des prévisions, il faut envisager le pire. Or qu'observe-t-on ? Des faillites d'entreprises, des licenciements, des départs continus à l'étranger de créateurs d'entreprises et de jeunes diplômés. Vous faites état de diminutions de dépenses de personnels, mais vous embauchez plus de 8 000 fonctionnaires pour l'éducation nationale. On ne réduira jamais la dette sans faire d'économies. Cela signifie que nous devons arriver à un stade où les dépenses sont inférieures aux recettes. Nous devrions plafonner, comme le font les Etats-Unis, le niveau de la dette.

Enfin, je répète depuis 10 ans que vous disposez d'un potentiel de 20 milliards d'euros de recettes si vous supprimez les 35 heures. En passant à 39 heures, nous améliorerions la compétitivité des entreprises et disposerions de recettes supplémentaires.

M. Jean Germain. - Je remercie le rapporteur général de son exposé, précis et le plus objectif possible, répondant aux questions que nous nous posons sur la dette, tant en volume qu'en charge de la dette, avec des prévisions de diminution des dépenses publiques.

Comparaison n'est pas raison. Je me souviens que le 16 novembre 2011, François Baroin et Valérie Pécresse déclaraient que, pour la première fois depuis 1945, hors charge de la dette et hors pensions, les dépenses budgétaires diminuaient de 200 millions d'euros. Or, le Gouvernement actuel les diminue de plus d'un milliard d'euros. Comment ce qui était qualifié d'extraordinaire, pour 200 millions d'euros, en 2011, devient, du point de vue de l'opposition, négligeable pour plus d'un milliard d'euros ? Ce sont ces raccourcis de la politique qui font beaucoup de mal au pays.

Par ailleurs, le grand choc pour les collectivités territoriales a été l'annonce inopinée de la suppression de la taxe professionnelle par le Président de la République de l'époque. Cela a déséquilibré l'ensemble des collectivités : régions, départements, établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) et communes. Qui l'a fait ? Comment cela a été discuté et combien cela a-t-il coûté ? Il faut que chacun assume sa part de responsabilité.

M. Éric Doligé. - Je souhaite aborder trois sujets. Tout d'abord, je relève que selon le ministre délégué chargé des transports, de la mer et de la pêche, Frédéric Cuvillier, la suspension de l'écotaxe engendre un manque à gagner de 750 millions d'euros pour l'Etat et de 500 millions d'euros pour les collectivités territoriales. Une réflexion est conduite avec le ministre du budget pour savoir comment compenser cette perte de recettes. Comment va se répartir sa prise en charge entre l'Etat, les collectivités territoriales et l'agence de financement des infrastructures de transport de France (AFITF) ? Ensuite, la ministre déléguée à la décentralisation, Anne-Marie Escoffier, a affirmé que la poursuite de la baisse des dotations de l'Etat aux collectivités territoriales au-delà de 2015 est probable. Qu'en est-il d'après les informations recueillies par le rapporteur général ? Enfin, comment sera assurée la transition du taux des droits de mutation à titre onéreux (DMTO) ? Le passage de 3,8 % à 4,5 % sera-t-il optionnel ? Le Gouvernement envisage-t-il d'amender cette réforme ? Et sera-t-il possible à terme d'en revenir au plafond actuel de 3,8 % ? À cette série de trois questions, j'ajoute une information. En effet, je tiens à porter à la connaissance de mes collègues la réponse qui m'a été fournie hier en aparté par le ministre de l'économie et des finances, Pierre Moscovici, à la suite de ma question sur la répartition sectorielle des investissements directs à l'étranger (IDE) sur notre territoire. Contrairement à ce qu'il serait légitime d'espérer, il ne s'agit pas de l'industrie mais essentiellement du secteur immobilier.

M. Jean Arthuis. - Je félicite le rapporteur général pour son éclairage. Cependant, les majorités changent mais les mêmes égarements sont constatés : le Gouvernement témoigne ainsi d'une certaine sérénité et invite à avoir confiance dans l'avenir. Il est vrai que l'utilisation du solde structurel facilite une telle approche. Sa perspective contraste avec celle des Français qui ont les nerfs à vif, ainsi qu'avec nos mille plans sociaux. Pour ma part, je ne vois pas où se trouve le potentiel permettant d'inverser la courbe du chômage. Par ailleurs, je me demande quel serait l'état de notre dette et de notre déficit en l'absence de nos engagements européens. Sans l'Europe, à quelle situation ferions-nous face ? En effet, les marchés financiers se caractérisent par la même intempérance que les gouvernements. Ils ont donc, eux aussi, laissé filer les déficits publics par bêtise et par aveuglement. La confiance mutuelle qui unit les gouvernements aux marchés financiers ne nous rend pas service. Dans la période récente, les taux d'intérêt ont continué à baisser en dépit de nos déficits et de nos endettements publics. Aujourd'hui et à cet égard, les investissements d'avenir sont encore l'occasion de ne pas inscrire des dépenses publiques au budget de l'Etat. Je m'interroge également sur le crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE) au regard du principe de sincérité des comptes publics. La créance de 10 milliards d'euros des entreprises sur l'Etat en 2013 n'apparaît pas dans nos comptes. À la fin 2014, il s'agira de 20 milliards d'euros, soit un point de PIB. Nous avons besoin d'engager les réformes structurelles qui s'imposent alors que, pour l'instant, nous ne faisons que gagner du temps.

M. Francis Delattre. - Je souhaite prolonger les propos de Jean Arthuis en prenant pour exemple la Réserve fédérale américaine. La politique monétaire des Etats-Unis consiste ainsi à faire marcher la planche à billets, ce qui est facteur d'une financiarisation de l'économie. Au moment où les Français voient que la maison brûle, la majorité nous présente un numéro de « tout va très bien madame la marquise ». Ainsi, en matière de compétitivité, le ministre de l'économie et des finances, Pierre Moscovici, nous assure que les recommandations du rapport Gallois sont quasiment toutes mises en oeuvre. Or, à ma connaissance, seuls 880 millions d'euros ont été engagés au titre du CICE alors que 10 milliards d'euros étaient prévus sur 2013. D'après le Haut Conseil des finances publiques (HCFP), ce dispositif est sous-estimé. Pour moi, ce dernier est également trop compliqué. Par ailleurs, il faut agir en faveur des marges des entreprises, qui se sont détériorées depuis dix-huit mois. Au moins, l'ancienne majorité avait réduit les charges sociales et les taux de TVA, certes trop tardivement pour ces derniers. En outre, le budget des retraites civiles, soit 42 milliards d'euros, reposait jusqu'à maintenant sur un financement à parts égales entre les cotisations et la dotation de l'Etat. Le fait que cette dernière soit appelée à en représenter 75 % doit nous interpeler.

M. Philippe Dallier. - Tout a été dit du côté du réquisitoire contre la majorité actuelle, je n'en rajouterai donc pas, afin de ne pas accabler le rapporteur général. Ma question porte sur les intentions de notre commission à l'égard des finances locales. Nous voyons que les dotations baissent de 1,5 milliard d'euros en 2014 et vont être réparties différemment. Ainsi, les communes subiront une contraction de leurs dotations proportionnelle à l'évolution de leurs recettes réelles de fonctionnement. Ce mécanisme ne prend pas en compte l'effort fiscal des collectivités : une commune caractérisée par une fiscalité lourde sera pénalisée. En outre, notre commission compte-t-elle aborder à nouveau les problématiques de péréquation ? Déposerons-nous des amendements au sujet des dotations versées aux collectivités territoriales, notamment en matière de péréquation ?

M. Philippe Marini, président. - De tels amendements n'impactent pas l'équilibre de la loi de finances et peuvent donc être préparés pour la deuxième partie du projet de loi de finances.

M. Philippe Dominati. - Francis Delattre a relevé les problèmes rencontrés par les entreprises : cet aspect est insuffisamment traité dans le budget proposé par le Gouvernement. J'en arrive à ma question : les hypothèses sur lesquelles repose le projet de loi de finances utilisent de plus en plus une inconnue, à savoir les recettes tirées de la lutte contre la fraude et l'optimisation fiscale. On parle d'un montant compris entre 1,4 milliard d'euros et 2 milliards d'euros. Comment évaluer avec précision le montant de ces recettes ?

M. Edmond Hervé. - Je remercie le rapporteur général pour sa présentation. Pour ma part, j'ai toujours tenu à ne jamais différencier mon discours selon que je suis dans l'opposition ou dans la majorité. J'attire l'attention sur les limites des comparaisons internationales en matière de taux de prélèvements obligatoires (PO). Affirmer que les PO sont trop élevés en France implique de dire quelles conséquences on en tire, y compris pour l'éducation, la santé ou la justice, dont je rapporte les crédits, ce qui me conduit à exiger d'être précis. Entre 2006 et 2012, le nombre de postes dans l'administration centrale des ministères aurait diminué mais ces économies auraient eu pour contrepartie une augmentation des effectifs dans les collectivités territoriales et chez les opérateurs. Il est facile de critiquer notre taux de PO mais il est moins facile de dire où chercher des économies. Dans une vision libérale, l'opposition cherche à transférer aux associations et aux entreprises des missions publiques, à l'instar des politiques de sécurité. J'estime que cette façon de contourner la difficulté est hypocrite. De même, les partenariats public-privé (PPP) vont à l'encontre du principe d'annualité budgétaire et de nos prérogatives de contrôle parlementaire. L'écotaxe en constitue un exemple, je m'interroge d'ailleurs sur le montage du dispositif. Selon moi, la dépense publique forme un tout solidaire et on ne peut plus distinguer entre les dépenses de l'Etat et celles des collectivités territoriales. Dans le pacte de solidarité et de responsabilité entre ces derniers, le principal enjeu est la question fiscale. Par ailleurs, j'estime que la fusion entre l'impôt sur le revenu (IR) et la contribution sociale généralisée (CSG) est devenue une absolue nécessité. Enfin, l'état actuel des valeurs locatives démontre l'injustice fiscale qui frappe les collectivités territoriales. Leur révision est urgente.

M. Philippe Marini, président. - S'agissant des partenariats public-privé (PPP), je rappelle que la commission des finances s'était montrée très critique et en retrait au cours de l'examen des textes instituant ces dispositifs juridiques. Nous avions considéré que les PPP se soutiennent en cas de recettes d'exploitation permettant d'assumer le service des emprunts ; car un PPP est un emprunt qui ne dit pas son nom et qui met à mal le principe d'annualité budgétaire. C'est une facilité que l'on se donne, qui peut se concevoir quand un ouvrage est concédé et engendre ses propres recettes ; en revanche, lorsqu'il porte sur des bâtiments administratifs, c'est une fiction et une facilité. Telle est la ligne que nous avions défendue à l'époque avec le président Arthuis.

M. Jean-Vincent Placé. - Sur la taxe poids lourds, puisque mes collègues de l'opposition ont évoqué le sujet, je me permettrais de dire que le niveau de la redevance allouée à Ecomouv', à hauteur de 21,7 % du produit de la taxe, me paraît invraisemblable et sans précédent. Par exemple, dans le cadre des dispositifs de taxes poids lourds allemand et autrichien, ce niveau est respectivement de 15 % et 10 %, ce qui est déjà élevé. Comment le Gouvernement de l'époque a-t-il pu signer un tel contrat ? La commission d'enquête demandée par nos collègues du groupe socialiste sera utile pour faire la lumière sur ces questions. Pour ma part, j'estime que cette taxe a vocation être nationalisée, et qu'il faut renégocier le contrat avec Ecomouv'.

J'en viens maintenant à la présentation du rapporteur général : y-a-t-il une prise en compte, dans votre analyse de la sensibilité du solde effectif et de la dette publique à la conjoncture, de l'aspect dépenses ? En effet, quand on a peu de croissance, on a un peu plus de dépenses sociales, ce sont les stabilisateurs automatiques. J'ai l'impression que votre analyse ne prend en compte que l'aspect recettes.

M. Yann Gaillard. - Je remercie le rapporteur général, qui a su présenter ce budget déplorable avec une grande loyauté et une grande élégance.

M. François Marc, rapporteur général. - En réponse aux questions d'un certain nombre de mes collègues sur le fait de savoir si l'on peut considérer qu'il y a une réelle baisse des dépenses alors que l'on raisonne par rapport à leur évolution tendancielle, je rappelle que le précédent gouvernement raisonnait de la même façon, notamment pour présenter les économies associées à la révision générale des politiques publiques (RGPP). La Commission européenne se réfère aussi à cette notion quand elle mesure les efforts consentis par les Etats membres.

À Vincent Delahaye, je rappellerai que la RGPP était présentée comme une mesure très efficace, ce qui n'a pas empêché les dépenses publiques d'augmenter de 1,6 % par an en moyenne entre 2007 et 2012, en raison notamment d'un certain nombre d'évolutions automatiques des dépenses calées sur des indicateurs. Dans ce contexte, les 9 milliards d'économies prévues en 2014 relèvent d'un effort conséquent.

Sur le mécanisme de correction automatique, je rappelle que le traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance (TSCG) en Europe impose aux Etats membres d'instituer un mécanisme de correction qui se déclenche automatiquement si des écarts importants sont constatés par rapport à l'objectif affiché à moyen terme sur la trajectoire d'ajustement. Le Gouvernement a intégré dans le projet de loi de finances pour 2014 et dans la trajectoire qui y est associée jusqu'en 2017 les corrections nécessaires. Dès lors, si la Commission européenne adresse au printemps une notification à la France, le Gouvernement n'aura pas besoin de recourir immédiatement à une loi de finances rectificative ; il pourra présenter l'effet de plusieurs mesures s'inscrivant dans la nouvelle trajectoire qui sera arrêtée cet automne.

S'agissant des emplois des opérateurs, le chiffre évoqué par Albéric de Montgolfier correspond aux priorités du Gouvernement : la création de 2 000 postes pour Pôle Emploi et de 1 000 postes pour les universités. Hormis ces priorités, le solde d'emplois des opérateurs est négatif. Par ailleurs, l'équilibre global entre créations et suppressions de postes s'apprécie sur le périmètre de l'État et des opérateurs. Le solde de ce périmètre est négatif : 1 509 postes sont supprimés dans le budget 2014.

En ce qui concerne le nombre de fonctionnaires et la masse salariale, j'entends bien les propos de Jean-Paul Emorine qui nous dit qu'il faut adopter un raisonnement global et prendre en compte les emplois des collectivités territoriales dans l'évolution de l'emploi public ; cela dit, comment procéder pour réduire les fonctionnaires territoriaux tout en répondant aux besoins croissants de la population, lorsque l'on est en charge d'un exécutif local ? Une chose est de dire qu'il faut une intégration de l'ensemble des emplois publics dans le raisonnement, une autre est de mettre en oeuvre ces mesures sur le terrain.

En ce qui concerne la dégradation du déficit par rapport à la loi de finances initiale pour 2013, la révision de la prévision de 3,7 % à 4,1 % du PIB à l'occasion de la présentation du projet de loi de finances pour 2014 a pour origine un manque à gagner de l'ordre de 8 milliards d'euros par rapport aux prévisions de la loi de finances initiale pour 2013, qui pèse lourdement dans la construction du budget 2014 sur les reconductions que l'on peut faire l'année suivante.

Sur la notion d'évolution tendancielle, il faut rappeler que celle-ci correspond notamment à l'impact de l'inflation sur les prestations sociales, les exonérations de cotisations sociales, les contrats aidés, les crédits de paiement des programmes d'investissement pluriannuels, l'évolution de la masse salariale, ainsi que sur la progression des recettes versées au profit de l'Union européenne.

Sur le taux de prélèvements obligatoires, si l'on veut le réduire, il faut de la croissance. Les dépenses publiques baisseront dès 2015. J'attire votre attention sur le fait que le taux de dépenses publiques rapporté au PIB était de 52,6 % en 2007 et de 55,9 % en 2011. C'est cette dérive que le Gouvernement actuel s'emploie à corriger, mais elle est difficile à endiguer.

Le montant des recettes de TVA intègre une baisse de 3 milliards d'euros en raison d'un transfert à la sécurité sociale. Mais il est vrai que cet impôt est relativement peu dynamique en période de croissance atone.

Serge Dassault a regretté l'absence d'un collectif budgétaire en cours d'année, mais je porte à son attention sur le fait que la mise en réserve des crédits a permis d'éviter jusqu'à présent le dépôt d'une loi de finances rectificative, en dehors du traditionnel collectif de fin d'année qui sera déposé prochainement.

En ce qui concerne la taxe poids lourds, l'AFITF perdra 700 à 800 millions d'euros et les départements 160 millions d'euros. La question des compensations n'est pas encore tranchée, à supposer que la recette ne vienne pas, ce qui n'est pas certain puisque la taxe est suspendue. Le Gouvernement considère que ce sont des économies supplémentaires qui viendront financer le manque à gagner, en attendant que la situation soit définitivement tranchée. Je ne reviens pas sur Ecomouv' et les autres aspects du sujet. Je voudrais cependant rappeler que la taxe poids lourds a été adoptée fin 2008, dans le cadre de la loi de finances initiale pour 2009. J'avais voté contre, comme mes collègues socialistes bretons, avec lesquels nous avions à l'époque attiré l'attention du Gouvernement sur les distorsions de concurrence que le dispositif était susceptible d'induire. Nous avions en conséquence présenté trois amendements visant à moduler la taxe en fonction des territoires et des secteurs, mais ils n'avaient pas été pris en compte. Cette taxe n'a pas été votée à l'unanimité au Sénat, comme je l'entends parfois.

S'agissant des collectivités territoriales, le Gouvernement s'est engagé à réformer la dotation globale de fonctionnement (DGF) en 2014. Nous engagerons donc début 2014 une réflexion au sein de la commission des finances sur la réforme de la DGF, dans le cadre d'un groupe de travail. Sur les valeurs locatives et la péréquation, les travaux se poursuivent.

En ce qui concerne le crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE), Jean Arthuis estime que ce dispositif constitue une anomalie d'un point de vue comptable ; je souligne cependant qu'une moindre recette d'impôt sur les sociétés à ce titre sera bien constatée dans les comptes de l'Etat en 2014. Je rappelle par ailleurs à Francis Delattre que 2013 constitue une année de préfinancement du CICE.

Enfin, s'agissant de la fraude et de l'optimisation fiscales, de nombreux dispositifs ont été adoptés depuis 2011, et les recettes ont sensiblement augmenté dès 2012. L'article 14 du projet de loi de finances pour 2014 porte sur la lutte contre l'optimisation fiscale au titre des produits hybrides et de l'endettement artificiel. Certains de nos collègues ont également fait part de leurs propositions pour lutter contre certaines pratiques : Jean Arthuis sur les marges arrière de la grande distribution, Éric Bocquet sur la notion d'abus de droit. Il y a des recettes importantes à la clef, mais le chantier demeure important.

La commission donne acte au rapporteur général de sa communication.

Loi de financement de la sécurité sociale pour 2014 - Examen du rapport pour avis de M. Jean-Pierre Caffet, rapporteur pour avis

La commission procède ensuite à l'examen du rapport pour avis de M. Jean-Pierre Caffet, rapporteur pour avis sur le projet de loi n° 127 (2013-2014), adopté par l'Assemblée nationale, de financement de la sécurité sociale pour 2014.

M. Jean-Pierre Caffet, rapporteur pour avis. - Mes chers collègues, je souhaiterais débuter mon propos par une remarque liminaire. La réalisation de ce rapport pour avis sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2014 s'est faite dans des conditions difficiles en raison, d'une part, de la proximité de ce texte avec le projet de loi portant réforme des retraites sur lequel votre rapporteur pour avis était mobilisé et, d'autre part, parce que le PLFSS pour 2014 prévoit un grand nombre de transferts, certains entre organismes de sécurité sociale, d'autres entre la sécurité sociale et des organismes hors champ, qui sont extrêmement complexes, parfois peu documentés et qu'il a fallu par conséquent reconstituer pour en comprendre le sens. Par certains aspects, il s'est agi d'un travail de bénédictin.

Pour vous présenter les différentes dispositions de ce PLFSS, je commencerai mon exposé en évoquant la question des déficits de la sécurité sociale. En 2010, le déficit des régimes de base de la sécurité sociale et du Fonds de solidarité vieillesse (FSV) s'est établi à un niveau historique de près de 30 milliards d'euros, soit 1,5 point de PIB. En 2011, le solde des régimes de la sécurité sociale a connu une amélioration significative de 0,4 point de PIB en raison essentiellement de l'amélioration de la conjoncture économique. Je rappelle qu'en 2011, la croissance du PIB a été de 2 % et que la masse salariale privée a progressé de 3,6 %. En 2012 et 2013, la réduction des déficits s'est poursuivie à un rythme inférieur à 2011 compte tenu de moins bons indicateurs économiques.

Je poursuivrai mon propos en présentant les hypothèses macroéconomiques retenues pour le PLFSS pour 2014. Ces hypothèses, présentées précédemment par notre rapporteur général, sont les mêmes que celles utilisées pour les prévisions figurant dans le projet de loi de finances (PLF) pour 2014, avec une croissance du PIB en 2014 de 0,9 %, une inflation de 1,3 % et des prévisions d'évolution de la masse salariale privée en augmentation de 2,2 %.

L'évolution de la masse salariale privée se décompose ainsi : un salaire moyen par tête qui progresse de 2,1 % et des effectifs qui connaissent une hausse moins accentuée de l'ordre de 0,1 % après deux années de contraction de l'emploi, - 0,1 % en 2012 et - 0,6 % en 2013. Pour la période 2015-2017, les hypothèses sont conventionnelles puisqu'on évalue la progression de la masse salariale à 3,5 % en 2015 puis 4 % en 2016 et en 2017. La décomposition de celle-ci n'est en revanche pas encore connue pour ces trois années.

Dans le PLFSS pour 2014, on constate un effort conséquent entre l'évolution tendancielle du solde de la sécurité sociale - c'est-à-dire, hors prise en compte des mesures en recettes et en dépenses - et le solde prévisionnel 2014 obtenu après comptabilisation des mesures de redressement. A ce stade, je tiens à rappeler que la notion d'« économie budgétaire » résulte nécessairement d'évaluations qui prennent en considération les évolutions tendancielles existantes, et ce quel que soit le gouvernement en place. Ainsi, pour le budget de l'Etat, on ne peut s'affranchir du glissement vieillissement technicité (GVT) pour le calcul de la masse salariale. En matière de sécurité sociale, il faut tenir compte, par exemple, de l'évolution historique des dépenses d'assurance maladie qui s'accroissent de 4 % par an en moyenne. En l'absence de mesures de rétablissement des comptes, le déficit du solde des régimes de sécurité sociale se serait situé à 22 milliards d'euros en 2014, soit 1 % du PIB national.

Au total, les mesures prévues par le présent PLFSS, le PLF et le projet de loi portant réforme des retraites représentent un effort de 8,9 milliards d'euros en faveur des comptes de la sécurité sociale.

Par rapport à 2013, le PLFSS pour 2014 prévoit de réduire le déficit de l'ensemble des régimes de base de sécurité sociale de 4 milliards d'euros, soit une amélioration équivalente à 0,2 point de PIB.

En 2014, la sécurité sociale bénéficierait ainsi de près de 5,7 milliards d'euros de ressources supplémentaires et d'environ 3,2 milliards d'économies en dépenses.

En matière de ressources, la hausse des cotisations vieillesse décidée dans le cadre de la réforme des retraites, qui sera prise prochainement par voie réglementaire, devrait représenter un apport de 1,6 milliard d'euros pour le régime général et de près de 1,8 milliard pour l'ensemble des régimes. Annoncée en compensation de cette mesure, la baisse des cotisations patronales famille représentera à l'inverse un impact négatif pour la sécurité sociale de 1,16 milliard d'euros. L'harmonisation de la taxation des prélèvements sociaux sur les produits de placement représenterait un total de 600 millions de recettes nouvelles. Sur ce montant, il n'est prévu d'affecter que 330 millions d'euros à la sécurité sociale car il existe d'autres organismes, hors champ de la sécurité sociale, bénéficiaires du rendement de cette mesure comme la Caisse d'amortissement de la dette sociale (CADES) ou le Fonds national d'aide au logement (FNAL). Le Gouvernement a néanmoins renoncé à une partie de ce dispositif, ce qui entraînera une perte de recettes de 200 millions d'euros sur les 600 millions prévus. Il devrait procéder par voie d'amendement pour réallouer les 400 millions de ressources nouvelles aux organismes de son choix. Je précise que mon exposé ne prend en compte que les dispositifs contenus dans le PLFSS initial.

En matière de recettes nouvelles, il faut également évoquer le transfert additionnel de TVA de l'Etat à hauteur de 3 milliards d'euros. Ce transfert est représentatif du rendement de la réforme du quotient familial, soit 1 milliard d'euros d'impôts supplémentaires qui devraient être in fine affectés à la branche famille, ainsi que de l'assujettissement à l'impôt sur le revenu des contributions patronales aux régimes de prévoyance santé d'entreprise pour 960 millions d'euros et, enfin, de la compensation à la branche famille de la baisse de cotisations patronales prévue afin de neutraliser l'effet de la hausse des cotisations vieillesse sur le coût du travail. La sécurité sociale bénéficiera, en outre, du transfert du produit de la contribution additionnelle de solidarité pour l'autonomie (CASA) au FSV pour un montant estimé à 650 millions d'euros, de l'affectation de réserves dormantes de contribution sociale de solidarité des sociétés (C3S) et d'autres ressources qui proviennent de la mobilisation de trésoreries excédentaires ou de ressources dormantes.

L'intégralité des 5,7 milliards d'euros de recettes nouvelles affectées à la sécurité sociale n'est donc pas le produit de prélèvements obligatoires nouveaux.

En matière de dépenses, l'effort devrait s'établir à hauteur de 3,2 milliards d'euros pour 2014. 2,4 milliards d'euros d'économies seront réalisées au titre de l'objectif national des dépenses d'assurance maladie (ONDAM), fixé à 2,4 % cette année. Afin de montrer l'ampleur de l'effort réalisé, je rappellerai qu'historiquement, les dépenses d'assurance maladie augmentent de 4 % par an même si l'on constate depuis peu de temps une tendance au ralentissement de ces dépenses. 0,52 milliard d'euros d'économies concerneraient la branche vieillesse, en raison notamment du report de l'indexation des pensions du 1er avril au 1er octobre et 60 millions d'euros sur la branche famille. La branche AT-MP devrait en revanche voir ses dépenses s'accroître à hauteur de 120 millions d'euros en raison de l'augmentation de la dotation à destination du Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante (FIVA). Au total, ce sont donc plus de 3 milliards d'économies budgétaires qui figurent dans le présent PLFSS.

Pour la branche maladie, on observe que l'ONDAM est respecté depuis 2011. On note même une sous-exécution de l'ONDAM de 1 milliard d'euros en 2012 et de 500 millions d'euros en 2013. L'essentiel des économies par rapport à la prévision est réalisé au niveau des soins de ville. Pour 2014, l'objectif de progression est fixé à 2,4 % avec une progression de 2,4 % pour les soins de ville, 2,3 % pour les établissements de santé, 3 % pour les établissements et services médico-sociaux. Un sous-objectif de l'ONDAM « Fonds d'intervention régionale » a été institué cette année. Il retracera les dépenses des agences régionales de santé (ARS) et permettra au Parlement de mieux suivre l'utilisation des dotations qui leur sont allouées.

Le montant de 2,4 milliards d'économies prévues pour l'assurance maladie en 2014 résulte de la baisse des tarifs des professionnels libéraux, des actions de maîtrise médicalisée des dépenses, de l'effort réalisé sur le prix des médicaments, sur les dispositifs médicaux, et d'un certain nombre de mesures qui concernent l'hôpital avec notamment la rationalisation de leur politique d'achat. Pour l'essentiel ; les économies réalisées concernent les soins de ville pour 1,8 milliard d'euros et l'hôpital pour 600 millions d'euros.

L'amélioration du solde de la branche vieillesse s'élèverait en 2014 à 2,5 milliards d'euros, en raison notamment de la hausse des cotisations d'assurance vieillesse, du report de la date de revalorisation des pensions et d'effets « transferts » chômage et maladie qui correspondent à des transferts techniques entre les régimes de retraite et le FSV.

Pour la branche AT-MP, il faut se réjouir du retour à un solde excédentaire en 2013 et 2014. Cette situation s'explique par la logique assurantielle du système.

Le solde de la branche famille devrait s'améliorer de 1 milliard d'euros, ce qui correspond au montant de l'affectation du produit de la réforme du plafonnement du quotient familial. Les économies principales sont réalisées dans le secteur des aides à l'enfance et de la prestation d'accueil du jeune enfant (PAJE). A l'inverse, il faut noter deux mesures de dépenses nouvelles en faveur des familles nombreuses, avec la majoration de 50 % du complément familial (CF), et des familles monoparentales avec la majoration de l'allocation de soutien familial (ASF) pour un montant total de 110 millions d'euros.

Je finirai mon exposé par une présentation de la trajectoire pluriannuelle de rééquilibrage des comptes sociaux de 2013 à 2017. La branche vieillesse, en particulier pour le régime général, serait à l'équilibre à l'horizon 2016-2017. Au total, le déficit des différents régimes de base de la sécurité sociale et du FSV diminuerait sensiblement pour s'établir à 5,3 milliards d'euros en 2017.

M. Philippe Marini, président. - Je remercie le rapporteur pour avis d'avoir tracé cette perspective. C'est extrêmement utile puisque l'on s'aperçoit que le déficit de la sécurité sociale, tous régimes confondus, se situait à 30 milliards d'euros en 2010 et devrait atteindre 5 milliards d'euros en 2017. Il faut se réjouir de cette diminution de 25 milliards d'euros du déficit social, d'autant plus que ces efforts seraient réalisés en très peu de temps compte tenu de la rigidité des systèmes. J'ai une question concernant la notion de déficit tendanciel. Vous indiquez, pour le régime général, un déficit tendanciel de près de 18 milliards d'euros. Comment le rapproche-t-on du solde prévisionnel qui s'établirait en 2013, pour le même régime général, à 13,5 milliards d'euros ? S'agissant des ressources nouvelles pour la sécurité sociale en 2014, avez-vous intégré les recettes attendues sur les produits de placement ? L'estimation retenue résulte-t-elle des mesures telles qu'adoptées par l'Assemblée nationale ? Enfin, pourriez-vous m'indiquer si le PLFSS pour 2014 contient les mesures de compensation de la hausse des cotisations patronales vieillesse annoncées lors de la réforme des retraites et qui devraient se traduire par une baisse des cotisations famille pour les entreprises ?

M. Vincent Delahaye. - Aura-t-on prochainement dans le PLFSS une présentation des soldes structurel et conjoncturel ? Les hypothèses retenues dans le scénario économique 2013-2017 me paraissent optimistes. Vous semble-t-il crédible que la masse salariale privée augmente autant à partir de 2014 et surtout de 4 % en 2016 et 2017 ? A-t-on connu récemment de telles augmentations de la masse salariale, de l'ordre de 4 % ?

M. Jean-Pierre Caffet, rapporteur pour avis. - Je peux d'ores et déjà vous répondre sur ce point puisqu'en 2011, la masse salariale privée a progressé de 3,6 % par rapport à 2010 pour une croissance du PIB de 2 %.

M. Vincent Delahaye. - Cela suppose tout de même une inversion de la courbe du chômage. Je ne comprends pas non plus la diminution à partir de 2014 de l'écart de production en pourcentage du PIB potentiel qui figure dans votre présentation. Enfin, je trouve regrettable que l'on augmente les impôts des familles ; la baisse du plafonnement du quotient familial représente 1 milliard d'euros supplémentaires à leur charge.

M. Jean-Paul Émorine. - Peut-on disposer d'éléments budgétaires régime par régime ? Par exemple, le régime de la SNCF. Cela serait intéressant d'obtenir des informations sur le montant de la compensation que verse l'Etat au titre des cotisations vieillesse aux différents régimes. La question de la compensation démographique régime par régime est intéressante et mérite d'être soulevée.

M. Edmond Hervé. - Je souhaiterais faire trois observations. Premièrement, 30 % des ressources de la sécurité sociale sont des ressources fiscales. Par conséquent, le lien que le Président Philippe Marini établit entre le projet de loi de finances (PLF) pour 2014 et le PLFSS pour 2014 est évident et tout à fait logique. En deuxième lieu, je suis très content d'observer une évolution dans le corps médical. Il y a quinze ou vingt ans, le corps médical privé ne comptait que sur la rémunération à l'acte. Je suis heureux de constater qu'une certaine distance ait été prise par ce corps médical et que des formes de rémunération forfaitaire soient acceptées aujourd'hui. Je plaide depuis toujours pour la reconnaissance d'un temps médico-social qui présente des avantages sur le plan technique comme financier. Enfin, nous sommes tous soucieux de la maîtrise des dépenses. Je n'ai jamais compris la création des ARS. Nous avions des Directions régionales des affaires sanitaires et sociales (DRASS) qui fonctionnaient très bien. Nous devons être attentifs aux dépenses des ARS, en particulier en ce qui concerne les rémunérations de certains personnels de direction.

M. Pierre Jarlier. - On peut saluer la trajectoire vertueuse de redressement des comptes de la sécurité sociale. J'aimerai poser une question relative aux économies réalisées dans le secteur hospitalier. Je souhaiterais que l'on puisse évoquer la rémunération des hôpitaux au regard de la tarification à l'activité (T2A). On a vu les limites de cet exercice, notamment pour les hôpitaux isolés qui, pour assurer leurs missions de service public, doivent bénéficier d'une autre forme de rémunération. Il semblerait que figure dans le présent PLFSS une nouvelle dotation qui permette une plus juste rémunération pour ces hôpitaux. Pourriez-vous nous en dire plus à ce sujet et plus précisément quel pourrait être le poids de cette dotation au regard de la T2A ? J'ai une seconde question relative aux emplois service. Le montant des recettes issues du remboursement de l'État pour la baisse des charges liées à ces emplois service est-il stabilisé cette année ? Un bilan est-il disponible pour l'année 2013 ?

M. Richard Yung. - À l'article 63 est prévu le transfert de la responsabilité du recouvrement des créances de sécurité sociale entre États du Centre des liaisons européennes et internationales (CLEISS) à la Caisse nationale d'assurance maladie (CNAMTS). Je n'ai pas d'opinion de fond sur l'opportunité de ce transfert. En revanche, je m'inquiète des conséquences de cette mesure pour le CLEISS. Il s'agit en effet d'un petit organisme très utile puisqu'il a notamment pour fonction de fournir des renseignements en matière d'application des règlements de sécurité sociale à l'étranger. Nous ne voudrions pas, nous, représentants des Français de l'étranger qui nous référons souvent au CLEISS, que ce guichet de renseignements disparaisse.

M. Jean-Pierre Caffet, rapporteur pour avis. - En réponse à Philippe Marini, la notion de « tendanciel » est construite par définition sur le principe de la non-comptabilisation des mesures nouvelles. Le déficit tendanciel du régime général ne prend pas en compte, par conséquent, les recettes liées à la hausse des cotisations vieillesse mais intègre les évolutions tendancielles constatées historiquement comme l'évolution des dépenses « maladie ». Pour le régime général, on observe ainsi une amélioration du solde tendanciel 2013 de près de 8 milliards d'euros après mesures.

La taxation des produits de placement devait initialement procurer un gain estimé à 600 millions d'euros. Seuls 330 millions d'euros étaient affectés à la sécurité sociale, le reliquat étant destiné à des organismes comme la CADES, pour 150 millions d'euros, ou le FNAL. L'abandon de la mesure concernant la taxation des PEL, CEL ou PEA annoncé par le Gouvernement entraînerait la diminution du produit de cette mesure qui se situerait dès lors à hauteur de 400 millions d'euros. Il appartient au Gouvernement de déterminer s'il envisage de maintenir l'affectation d'un montant de 330 millions d'euros à la sécurité sociale ou de diminuer le montant du produit de la mesure affecté à chaque bénéficiaire à due proportion. D'après nos informations, cette décision n'est pas encore prise.

La compensation par l'État de la baisse des cotisations patronales famille - qui a été décidée pour neutraliser les effets de la hausse des cotisations patronales vieillesse - s'effectue par l'intermédiaire de l'affectation d'une fraction de TVA au régime général de la sécurité sociale. La CNAF obtient à ce titre 1,16 milliard d'euros dans le cadre du présent PLFSS.

Pour répondre à Vincent Delahaye, je tiens à préciser qu'il est parfaitement possible de calculer les soldes structurel et conjoncturel pour les régimes de base de la sécurité sociale. Le rapporteur général a indiqué précédemment que le solde structurel connaîtrait une amélioration de 0,9 point de PIB par rapport à 2013. Les organismes de sécurité sociale y contribueront entre 0,3 et 0,4 point. En matière d'écarts de production en pourcentage du PIB potentiel, je me permets de préciser qu'il s'agit d'écarts cumulés et que, par conséquent, les prévisions en la matière pour les années à venir reposent essentiellement sur les hypothèses d'évolution du PIB potentiel.

Jean-Paul Émorine, je ne peux malheureusement pas répondre à votre interrogation car elle concerne des régimes hors du champ de la sécurité sociale. Je me permets de vous renvoyer au rapporteur spécial de la mission « Régimes sociaux et de retraite » et du compte d'affectation spéciale « Pensions » dont relève, par exemple, le régime de la SNCF.

M. Jean-Paul Émorine. - Ne peut-on pas disposer néanmoins de données relatives à la compensation démographique versée pour le régime agricole ?

M. Jean-Pierre Caffet, rapporteur pour avis. - Nous pourrons bien évidemment vous communiquer les informations qui concernent la Mutualité sociale agricole (MSA).

Enfin, s'agissant des emplois service, je me permettrai, Pierre Jarlier, de vous communiquer une réponse ultérieurement, car je ne dispose pas de tous les éléments de réponse pour le moment. En ce qui concerne la T2A, nous disposons malheureusement d'informations lacunaires. En 2013, le PLFSS avait supprimé la convergence tarifaire. Une amélioration de cette tarification serait en cours avec la prise en compte notamment de la spécificité des établissements hospitaliers qui seraient isolés. Cette réflexion s'intègre dans la Stratégie nationale de santé et se traduirait cette année par des expérimentations qui pourraient se généraliser si elles s'avéraient concluantes.

M. Philippe Marini, président. - Je remercie Jean-Pierre Caffet, qui préconise que nous donnions un avis favorable au présent projet de loi de financement de la sécurité sociale.

La commission émet un avis favorable à l'adoption du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2014.

Loi de finances pour 2014 - Examen du rapport de MM. Richard Yung et Roland du Luart, rapporteurs spéciaux, sur la mission « Action extérieure de l'Etat » (et communication sur leurs contrôles budgétaires relatifs aux modalités de recrutement et conditions d'exercice des enseignants à l'étranger, et aux projets de regroupement immobilier des représentations diplomatiques)

La commission procède ensuite à l'examen MM. Richard Yung et Roland du Luart, rapporteurs spéciaux, sur la mission « Action extérieure de l'Etat » et entend une communication sur leurs contrôles budgétaires relatifs aux modalités de recrutement et conditions d'exercice des enseignants à l'étranger, et aux projets de regroupement immobilier des représentations diplomatiques.

M. Richard Yung, rapporteur spécial. - 2014 sera une année de réduction de crédits pour de nombreuses missions. La mission « Action extérieure de l'Etat » ne fait pas exception

Le budget global de la mission, de l'ordre de 3 milliards d'euros, est en baisse de 0,7 %, à périmètre constant et en euros courants. Les crédits sont ainsi légèrement inférieurs à l'annuité 2014 prévue par la dernière loi de programmation des finances publiques.

Les emplois diminuent également, d'environ 2 %, avec une perte de 290 équivalents temps plein (ETP) pour un plafond de 14 505 ETP en 2014.

Le ministère des affaires étrangères (MAE) a donc dû faire des choix, qu'on imagine parfois difficiles, en préparant ce budget et ce sont ces arbitrages que je me propose de mettre en lumière pour deux des trois programmes de la mission (tandis que Roland du Luart nous présentera le programme 105 « Action de la France en Europe et dans le monde »).

Tout d'abord, les crédits du programme 151 « Français à l'étranger et affaires consulaires » augmentent de 5 % par rapport à 2013, en net contraste avec les deux autres programmes.

Certes, une partie de l'augmentation est « subie » par le MAE : d'une part, sur ce programme comme ailleurs, les charges de personnel augmentent alors même que les effectifs diminuent, sous l'effet de facteurs inflationnistes propres aux personnels basés à l'étranger ; d'autre part, 2014 sera une année électorale et 6 millions d'euros seront budgétés à ce titre (4 millions pour les élections à l'Assemblée des Français de l'étranger et 2 millions pour les élections européennes).

Mais deux véritables choix du Gouvernement sont à souligner - et même, de mon point de vue à saluer.

Je pense à la préservation des crédits d'aide sociale à destination de nos compatriotes établis hors de France. La ligne budgétaire correspondante (19,8 millions d'euros) est intégralement maintenue dans ce projet de loi de finances.

Je pense surtout à l'aide à la scolarité des élèves français étudiant dans des établissements français du premier ou du second degré situés à l'étranger. Vous vous souvenez probablement des débats que nous avons eus pendant plusieurs années autour de l'ancienne prise en charge des frais de scolarité (PEC) des lycéens. Quand l'actuel Gouvernement a décidé la suppression de la PEC, dans le cadre du collectif budgétaire de l'été 2012, il a promis d'étendre les bourses scolaires à caractère social dans le but de « rattraper » budgétairement la fin de la prise en charge entre 2013 et 2015. Aujourd'hui, je suis heureux de constater que, même dans un contexte budgétaire difficile, le Gouvernement tient son engagement : les crédits affectés aux bourses progresseront ainsi sensiblement, passant de 110,3 millions d'euros à 118,8 millions.

Pour ce qui concerne le programme 185 « Diplomatie culturelle et d'influence », la baisse des crédits s'élève à 3 %.

Cela peut se comprendre, dès lors qu'une large part des crédits est destinée à des opérateurs de l'Etat, lesquels sont désormais invités à participer aux nécessaires efforts financiers à fournir. L'Institut français, Campus France et l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger (AEFE) verront donc chacun leurs crédits diminuer en 2014.

Un simple mot sur l'AEFE, dont les crédits diminueront de 8,5 millions d'euros pour s'établir à 420 millions d'euros : le Gouvernement m'a indiqué que l'essentiel de la baisse sera, en fait, « absorbée » par la stabilisation du taux de cotisation patronale au CAS pensions - alors qu'une augmentation de 1,34 % était initialement programmée. Je prends acte de ces explications. Pour autant, il me semble important de préserver pleinement les moyens d'action de l'AEFE, en cohérence avec la priorité donnée par le Président de la République à l'éducation et à la jeunesse. Un volet de l'amendement que je vous présenterai tout à l'heure a pour objet de marquer symboliquement cette préoccupation.

Ces considérations m'amènent à évoquer mes travaux de contrôle, qui ont justement porté sur les conditions de recrutement et d'emploi des enseignants français à l'étranger.

Le décret du 4 janvier 2002 prévoit deux catégories de fonctionnaires détachés au sein des établissements d'enseignement français à l'étranger :

- d'une part, les personnels expatriés, au nombre de 1 126 au 31 décembre 2012, qui sont recrutés par un contrat d'une durée de trois ans, renouvelable expressément deux fois pour une durée d'un an. Ces postes sont avant tout destinés aux missions d'encadrement, de formation et de contrôle. Une lettre de mission est jointe à leur contrat. Outre leur rémunération indiciaire, les personnels concernés perçoivent une prime d'expatriation ;

- d'autre part, les personnels résidents. Au nombre de 5 372 fin 2012, ils sont censés être « établis dans le pays depuis trois mois au moins à la date d'effet du contrat ». Sont également considérés comme résidents les fonctionnaires qui, pour suivre leur conjoint expatrié, résident dans le pays d'exercice ou de résidence de ce conjoint. Les résidents perçoivent, outre leur rémunération indiciaire, une indemnité spécifique de vie locale (ISVL) en fonction du pays où ils exercent ainsi qu'un avantage familial. Les contrats, d'une durée de trois ans, sont renouvelables tacitement sans limitation dans le temps. Cela est regrettable car des enseignants qui ne rentrent pas ne peuvent faire profiter l'éducation nationale de leur expérience et, comme nous le verrons, cela n'incite pas tous les recteurs à se montrer à autoriser les détachements demandés.

Si, globalement, le système fonctionne correctement (ce que montre l'attractivité de notre réseau d'établissements), mon attention a été attirée sur plusieurs types de problèmes.

Des problèmes d'effectifs : le nombre d'élèves scolarisés à l'étranger, parmi lesquels on compte environ 60 % de non-Français bien utiles pour le financement des établissements et pour l'influence de notre pays, croît. Par exemple, à la rentrée 2011, une progression de 3,8 % du nombre d'élèves a été enregistrée. Or le plafond d'emplois de l'AEFE n'augmente pas, ce qui pourrait, à terme, créer des tensions.

Des problèmes de recrutement : il ressort des auditions que j'ai menées que, quelle que soit la nature des postes visés (expatriés ou résidents), les recteurs, qui ne sont pas partie prenante du processus de sélection, disposent en pratique d'un droit de veto sur le détachement envisagé. Or ces refus deviendraient plus fréquents, notamment dans certaines académies qui connaissent elles-mêmes des tensions en termes d'effectifs, surtout dans les disciplines scientifiques.

Des problèmes liés à la répartition des effectifs : la proportion de personnels détachés dans le corps enseignant est très variable d'un établissement à l'autre, allant de moins de 10 % à plus de 80 %. De plus, la situation actuelle est bien davantage le reflet de situations « historiques » que liée aux réels besoins de chaque établissement. Si les écarts devaient se maintenir ou se creuser, l'image du réseau pourrait en être affectée.

Enfin, des organisations représentatives du personnel soulignent certaines difficultés statutaires, concernant, en particulier, le vide juridique dans lequel les futurs résidents se trouvent pendant les trois mois au cours desquels ils ne peuvent justement pas être considérés comme résidents, ou encore la situation de certains conjoints de résidents qui souhaiteraient eux-mêmes bénéficier de ce statut.

Face à cela, plusieurs types de solutions peuvent être envisagés.

Tout d'abord, il me semblerait équitable que l'AEFE soit pleinement incluse dans la priorité donnée à l'éducation nationale par le Gouvernement. Je vous rappelle, à cet égard, que la première mission que l'article L. 452-2 du code de l'éducation assigne à l'AEFE est « d'assurer, en faveur des enfants français établis hors de France, les missions de service public relatives à l'éducation ». Dès lors il n'y a pas de raison d'exclure l'agence du périmètre de la création de 60 000 emplois dans l'enseignement sur la durée de la législature fixée la loi d'orientation et de programmation pour la refondation de l'école de la République. La création de 100 à 150 postes par an d'ici à 2017 correspondrait à la « quote-part » de l'AEFE au sein du système éducatif et permettrait de répondre aux besoins.

Pour autant, un accroissement des emplois devrait être envisagé dans un cadre pleinement optimisé. A cet égard, il est indispensable d'introduire de la souplesse au sein du système, la direction de l'AEFE devant être capable de répartir les effectifs sous statut en fonction des besoins. Cela n'est pas facile et nécessitera une forte volonté politique.

S'agissant des vetos opposés par certains recteurs à des détachements, je considère qu'ils peuvent se comprendre dès lors qu'un départ sous statut de résident se traduit par un départ éventuellement définitif de la personne détachée. Afin de remédier à cela, une piste pourrait être la limitation du nombre de renouvellement des contrats de résidents, au moins pour les contrats futurs. Accessoirement, une meilleure connaissance mutuelle de deux univers qui s'ignorent trop souvent pourrait passer par des opérations de type « jumelage » entre les établissements d'un pays et une académie.

Enfin, à plus long terme, au sujet des statuts, la piste de l'élaboration d'un statut unique ou au moins d'un rapprochement des statuts pourrait être avancée, d'autant que la différence entre expatriés et résidents est souvent assez artificielle.

A l'issue de cet examen et de cette communication, et avant que Roland du Luart n'évoque le programme 105 « Action de la France en Europe et dans le monde », je vous propose d'adopter les crédits de la mission « Action extérieure de l'Etat », modifiés par un amendement co-signé des deux rapporteurs et que je vous présenterai tout à l'heure de manière plus détaillée.

M. Roland du Luart, rapporteur spécial. - Les crédits du programme 105 diminuent de 1 % à périmètre constant.

Néanmoins, cette diminution a été favorisée par la baisse tout à fait notable des contributions internationales de la France : les crédits alloués au MAE à cet effet seront en retrait de 42,5 millions d'euros par rapport à 2013. Dans ce total, ce sont les opérations de maintien de la paix (OMP) qui évoluent le plus favorablement (- 26,5 millions d'euros) mais l'ensemble des contributions du système des Nations Unies diminueront.

A ce stade, je n'ai pas d'observation particulière à formuler quant à la sincérité de cette ligne, qui est une dépense « de constatation ». Nous devrons néanmoins nous montrer très attentifs sur son exécution, tant il serait dommageable d'en revenir à la pratique passée de sous-budgétisation délibérée des contributions qu'Adrien Gouteyron avait si souvent dénoncée.

En termes de choix opéré par le Gouvernement, la priorité du programme concerne la sécurisation des postes situés à l'étranger.

Cette priorité trouve une traduction concrète dans ce budget, avec une augmentation de plus de 10 millions d'euros de cette ligne, qui passe de 31,1 millions d'euros à 41,8 millions. De plus, hors budget, ces dépenses de sécurisation bénéficieront de l'apport de 10 autres millions d'euros en provenance du compte d'affectation spéciale (CAS) « Gestion du patrimoine immobilier de l'Etat », qui porte le produit des cessions effectuées par le MAE à l'étranger.

Je ne peux, bien sûr, qu'approuver cette orientation, tant les tensions se sont accrues dans certaines parties du monde et tant l'actualité a montré, ces dernières années, que des ambassades ou des consulats pouvaient être la cible d'opérations terroristes.

Quant au fait de solliciter le CAS « Gestion du patrimoine immobilier de l'Etat » à cet effet pour 10 millions d'euros, je n'ai pas d'opposition particulière à formuler, la dépense n'étant pas sans relation avec l'objet du CAS dont je rappelle qu'il finance les acquisitions mais aussi, en grande partie, l'entretien immobilier lourd du MAE à l'étranger.

En revanche, je suis beaucoup plus réservé sur la ponction « exceptionnelle » de 22 millions d'euros que doit subir le CAS au titre du désendettement de l'Etat. Cette dernière dépense apparaît beaucoup plus discutable au vu des réels besoins d'entretien du propriétaire que j'ai pu observer dans de nombreux postes diplomatiques ou consulaires. A cet égard, je voudrais juste rappeler que, jusqu'à fin 2014, les immeubles situés à l'étranger font exception au principe d'affectation de 30 % du produit des cessions au désendettement. Néanmoins, les lois de finances successives ont largement utilisé ce « privilège » du MAE afin de réduire, voire parfois d'annuler purement et simplement, les crédits budgétaires dévolus à l'entretien du propriétaire de ses immeubles de l'étranger. Ainsi, pour 2014, seuls 2,2 millions d'euros seront affectés à cet usage, alors que le besoin annuel est de l'ordre de 12 millions d'euros.

De ce point de vue, la « contribution exceptionnelle » de 2014 constitue une entorse au contrat.

Mais, au-delà de l'enjeu immédiat, la véritable question est celle de l'avenir de ce système après 2014. Pour ma part, je serai très attentif au caractère réaliste de la solution pérenne qui devra être trouvée d'ici un an, tant il serait de courte vue de réaliser des « économies » qui se traduiront, à plus ou moins long terme, par une dévalorisation du patrimoine de l'Etat. Est-il ainsi normal que, faute de réfection de la toiture, il pleuve dans la villa Bonaparte, à Rome, qui abrite notre ambassade près le Saint-Siège ?

À titre beaucoup plus ponctuel, je tiens à me féliciter du déblocage du dossier des locaux des anciennes archives du Quai d'Orsay, vides depuis plusieurs années, dont je vous avais parlé l'année dernière. Selon les informations transmises par le MAE, ce ministère devrait bénéficier d'un financement de 24 millions d'euros sur les 30 millions nécessaires à l'importante opération de réaménagement qui s'impose. Le solde devrait être obtenu, notamment, au moyen de la cession de deux immeubles en France, pour lesquels le MAE devrait bénéficier de la totalité du produit.

Je vais à présent vous faire une brève restitution de mes travaux de contrôle, qui ont porté sur les possibilités d'optimisation du parc immobilier national dans les villes où nous disposons de plusieurs représentations.

Ces travaux m'ont conduit à Rome et à Bruxelles.

Le rapport écrit expose, de manière synthétique, le patrimoine immobilier de l'Etat dans ces deux villes. La richesse et la diversité de ce patrimoine à Rome apparaît bien, entre le palais Farnese, où se situe l'ambassade près la République italienne, où l'Etat dispose d'un bail emphytéotique jusqu'en 2035, à la grande satisfaction des autorités italiennes, la villa Bonaparte, où est logée notre ambassade près le Saint-Siège, dont la République est propriétaire et les locaux de la représentation permanente auprès de l'Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture (OAA, en anglais FAO), dont nous sommes locataires.

Il détaille également le patrimoine bruxellois, assez riche lui aussi puisque la France est représentée à Bruxelles par pas moins de quatre ambassadeurs ou représentants permanents. La chancellerie bilatérale, la résidence de l'ambassadeur et le consulat général forment un ensemble d'un seul tenant dont la République est propriétaire - sans en avoir pourtant la pleine jouissance, la cession de l'immeuble semblant proscrite car il a été légué à la France sous condition qu'elle y situe son ambassade auprès du roi des Belges. La représentation auprès des différentes instances communautaires forme un autre bloc dont la République est également propriétaire. Les deux représentations permanentes y sont logées. S'agissant des résidences des représentants permanents, il s'agit d'appartements loués par la France. La représentation auprès de l'OTAN forme un univers à part, d'ailleurs éclaté. La représentation permanente a ses bureaux au sein même du siège de l'Alliance, alors que l'ambassadeur est logé dans une vaste maison possédée par le MAE mais qui se situe à environ une heure de route de la représentation.

Lors de mes déplacements, j'ai constaté un véritable souci d'optimisation de ces importants parcs immobiliers.

Cela se retrouve tout d'abord dans les organigrammes des représentations. Ainsi, à Bruxelles comme à Rome, un service commun de gestion a été créé. Dans un cas comme dans l'autre, ces services, qui dépendent formellement de l'ambassadeur bilatéral mais servent l'ensemble des représentations, ont compétence dans la gestion de la totalité du parc immobilier de la ville, et même du pays où ils sont implantés. Ils agissent, de ce point de vue, en liaison avec la direction des immeubles et de la logistique du MAE.

Il s'agit d'un point fondamental car seule une telle organisation offre la vision globale qui permet d'entrer dans de réelles démarches d'optimisation et de mutualisation.

En outre, d'importantes opérations ont été menées ou sont en cours. Je me limiterai à l'exemple de la Belgique, où on relève :

- la vente récente des deux consulats généraux à Liège et à Anvers afin de regrouper l'ensemble des services au seul consulat général à Bruxelles ;

- la cession en cours de la résidence du représentant permanent auprès de l'OTAN. Celui-ci sera relogé dans une résidence moins grande et moins onéreuse, par ailleurs plus près du siège de l'OTAN. Mais il pourra, lorsque cela sera nécessaire, utiliser les capacités de réception de la résidence de l'ambassade bilatérale ;

- la fin de la location d'une résidence pour le représentant permanent adjoint auprès de l'Union européenne. Celui-ci peut utiliser les capacités de la représentation permanente elle-même.

Pour autant, des marges de progression demeurent.

D'une part, paradoxalement et sauf exception, les pays dans lesquels sont situés les villes où la France dispose de plusieurs représentations ne font pas l'objet d'un schéma pluriannuel de stratégie immobilière (SPSI). Il me semble au contraire nécessaire que les SPSI du ministère des affaires étrangères concernent prioritairement ces pays, à commencer par l'Italie, où les immeubles dont dispose la France sont d'une particulière importance. Ces schémas devront bien entendu aborder toutes les questions sans tabou afin d'être pleinement efficaces. Pour en revenir à l'exemple de Rome, il conviendra de se demander s'il est bien raisonnable qu'un tiers du Palais Farnese soit occupé par une bibliothèque, celle de l'Ecole française de Rome, alors que certains services sont excentrées ou même que la représentation permanente auprès de l'OAA pourrait aisément y trouver sa place - d'autant que l'Ecole française de Rome a eu récemment les moyens d'acquérir des locaux relativement vastes situés piazza Navona pour plus de 5,5 millions d'euros sans qu'au demeurant on puisse y faire venir des livres. On y loge donc plutôt des chercheurs pour un prix modique. La bibliothèque de cet établissement serait sans doute plus à sa place au sein de la Villa Médicis, endroit de prestige au sein duquel des espaces sont encore disponibles.

D'autre part, j'ai pu constater que, dans certains endroits, notamment à Bruxelles, des projets immobiliers tout à fait pertinents sont arrêtés au milieu du gué. C'est ainsi que la rénovation de la résidence de l'ambassadeur de France en Belgique n'a pas concerné le dernier étage, où l'eau de pluie s'écoule en certains endroits, rendant les lieux impropres à accueillir des personnalités en visite sur place ainsi que leurs collaborateurs. Ce n'est pas de la bonne gestion. En outre, faute de disponibilité d'un budget d'environ 28 000 euros, le consulat général à Bruxelles, qui est l'un des plus importants du monde, n'a pas deux sas séparés pour les entrées et les sorties, ce qui pose d'évidents problèmes en termes d'accueil du public et de sécurité.

Il m'apparaît tout à fait dommageable de ne pas octroyer aux postes concernés les moyens financiers permettant d'achever ce genre d'opérations. Cela renforce mes interrogations sur l'opportunité de ponctionner le CAS « Gestion du patrimoine immobilier de l'Etat » de 22 millions d'euros alors même que les besoins de base du ministère ne peuvent être satisfaits en certains endroits.

Sous le bénéfice de ces observations, à l'issue de cet examen, je ne m'opposerai pas à l'adoption des crédits de la mission « Action extérieure de l'Etat » car le MAE a donné des signaux de rigueur budgétaire. En outre, je soutiendrai l'adoption de l'amendement que Richard Yung nous présentera et que j'ai co-signé car j'approuve son action relative aux ambassadeurs thématiques.

M. François Marc, rapporteur général. - Je n'ai rien à ajouter à la très bonne présentation du budget de cette mission par les rapporteurs spéciaux.

M. Alain Gournac, rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangère, de la défense et des forces armées. - Je suis inquiet pour ce qui concerne la sécurité de nos postes à l'étranger. J'avais ainsi exprimé des craintes s'agissant de notre ambassade à Tripoli, qui a, depuis lors, été la cible d'un grave attentat en avril dernier. Il est du devoir de la France d'assurer la sécurité des personnels qu'elle envoie la représenter partout dans le monde.

M. François Trucy. - Les années passent mais les documents budgétaires restent difficiles à lire... Je voudrais simplement revenir sur le sujet des ambassades européennes. Nous avions imaginé qu'au fil du temps, des représentations de l'Union pourraient parfois se substituer à celles de pays membres. Or ce sujet n'avance visiblement pas. Que peuvent dire les rapporteurs spéciaux là-dessus ?

M. Albéric de Montgolfier. - J'approuve, moi aussi, l'augmentation des crédits destinés à la sécurisation de nos postes.

Sur la question immobilière en général, je me souviens avoir entendu Yves Saint-Geours, directeur général de l'administration et de la modernisation du ministère des affaires étrangères, se réjouir de certaines belles opérations de cession passées lors de son audition par notre commission, le 5 juin dernier. Mais si le produit de ces cessions n'est pas utilisé convenablement, c'est-à-dire à l'achat de nouveaux biens ou à la rénovation de notre parc, je pense que nous menons une politique à courte vue.

M. Joël Bourdin. - Pour revenir sur le sujet des ambassadeurs, j'ai rencontré, lors d'un déplacement à Ouagadougou avec l'Assemblée parlementaire de la francophonie (APF) notre ambassadeur bilatéral, ce qui est normal, mais aussi un représentant de l'Union européenne également francophone et un « ambassadeur délégué pour le Sahel ». Je me demande si cela ne fait pas un peu trop.

Monsieur Yung, vous avez évoqué l'AEFE, mais vous n'avez pas parlé du centre national d'enseignement à distance (CNED), dont les services sont pourtant utilisés par de nombreux jeunes à l'étranger. Il s'agit vraiment d'un bel outil.

M. Vincent Delahaye. - Je prends acte de la réduction des crédits de la mission. Pour autant, nous n'avons pas de vision d'une véritable réforme des implantations par le ministère des affaires étrangères.

Par ailleurs, je rejoins François Trucy dans sa critique des documents budgétaires, que je trouve, moi aussi, difficiles à lire. Ne pourrait-on avoir un tableau dressant la liste des postes et mettant, en face de chacun d'eux, ses emplois, ses moyens immobiliers, son budget, etc. ?

A propos de l'immobilier, là encore, je trouve qu'une réflexion d'ensemble fait défaut. De plus, Monsieur du Luart, je suis surpris du montant des travaux que vous avez annoncés pour la rénovation de l'ancien local des archives du ministère.

M. André Ferrand. - Je rejoins sur de nombreux points les constats formulés par les rapporteurs spéciaux, qu'il s'agisse de l'immobilier à Bruxelles ou des enseignants à l'étranger. Richard Yung a raison d'insister sur les difficultés de recrutement de l'AEFE et sur la nécessité d'assouplir son plafond d'emplois. Il n'y a pas de raisons pour que l'enseignement français à l'étranger n'entre pas dans le plan de création de 60 000 postes au cours du quinquennat. Je m'interroge simplement sur le statut des personnels embauchés dans le réseau de la mission laïque française (MLF), opérateur privé qui oeuvre également en matière d'enseignement hors de France.

D'autre part, quand j'observe que, d'un côté, on augmente de 8,5 millions d'euros les bourses scolaires mais qu'en parallèle, on diminue de la même somme les crédits budgétaires de l'AEFE, je me dis que la hausse des bourses n'est qu'un trompe-l'oeil et que la suppression de la PEC sera financée, en réalité, par les familles.

M. Philippe Dominati. - J'ai apprécié la présentation des rapporteurs. Néanmoins, je suis frustré quand j'entends qu'une partie significative de la baisse des crédits de 2014 viendra de la diminution des contributions internationales. Dès lors, le MAE n'aurait-il pas pu aller plus loin dans ses efforts ?

Pour ma part, je soutiens l'abondement de 22 millions du CAS « Gestion du patrimoine immobilier de l'Etat » au désendettement en me disant que, de toute façon, en cas de nécessité absolue, les crédits d'Etat ne feront pas défaut.

D'ailleurs, quand j'entends Roland du Luart décrire l'état de certains postes, je me demande si, à Bruxelles par exemple, nous ne ferions pas mieux d'avoir une belle ambassade plutôt que trois postes en mauvais état. Comment font nos voisins ?

M. Francis Delattre. - Une seule question, portant sur les représentants spéciaux mandatés par le ministre pour développer nos relations économiques avec certains pays. Comment fonctionne ce système ? Les missions de certains services du MAE ne font-elles pas doublon avec celles d'Ubifrance, au risque que les uns et les autres se marchent sur les pieds ?

M. Philippe Marini, président. - Je relève que, dans la note de présentation, Richard Yung évoque l'hypothèse d'utiliser des directeurs d'Ubifrance comme consuls honoraires.

M. Roland du Luart, rapporteur spécial. - Le problème de fond qui affleure sous les questions d'un grand nombre d'intervenants est celle de l'universalité du réseau. Vous savez que celui-ci est vaste : 163 ambassades bilatérales et 16 représentations permanentes. Le choix du ministre Laurent Fabius est de conserver ce système, quitte à réduire sensiblement le format de certains postes, les « postes de présence diplomatique ». J'avoue avoir moi-même évolué sur cette question : mieux vaut sans doute être présents, fût-ce de manière légère, plutôt qu'être absents.

S'agissant de l'ancien local des archives, la somme de 30 millions d'euros peut impressionner mais les travaux à effectuer sont considérables. De plus, ils nécessitent l'intervention des architectes des bâtiments de France.

Sur le plan immobilier, le conseil de l'immobilier de l'État, au sein duquel je siège en compagnie d'Albéric de Montgolfier, voit passer les dossiers du ministère. Aujourd'hui, l'essentiel des « bijoux de famille » a été vendu, hormis la résidence de notre représentant auprès de l'Organisation des Nations Unies (ONU) à New-York.

Dans les villes où nous disposons de plusieurs postes, mes travaux m'ont montré qu'il est, en pratique, très compliqué de supprimer une ambassade. Nos voisins font d'ailleurs la même chose que nous, le Royaume-Uni ayant désormais, lui aussi, un poste dédié près le Saint-Siège.

Les « ambassadeurs économiques » sont encore relativement nouveaux et je ne connais pas en détail la manière dont ils travaillent.

M. Richard Yung, rapporteur spécial. - Sur le réseau, je compléterai la réponse de Roland du Luart en incluant dans l'inventaire des postes nos 190 consulats ou consulats généraux ainsi que nos quelque 500 consuls honoraires. Je vous renvoie, sur ce sujet, aux conclusions du très bon rapport que la Cour des comptes a récemment publié.

Sur la sécurité, les 20 millions d'euros de cette année représentent déjà un effort conséquent. Il est vrai qu'un tel poste peut constituer un puits sans fond...

M. Roland du Luart, rapporteur spécial. - D'où mon regret réitéré de la ponction de 22 millions d'euros sur le CAS en faveur du désendettement...

M. Richard Yung, rapporteur spécial. - A propos de la mutualisation de nos postes, c'est avant tout la résidence qui est concernée dans une ville où nous avons plusieurs représentations, et non l'ambassade. En revanche, un sujet sur lequel nous n'avançons pas, c'est bien celui de la mutualisation avec nos partenaires européens. Je plaide ainsi vainement depuis plusieurs années pour la création de bureaux communs d'octroi de visas Schengen, ce qui devrait être l'évidence, mais on trouve toujours d'excellentes raisons juridico-économico-diplomatiques pour ne rien faire.

Sur les ambassadeurs thématiques, vous verrez que je ne les choie pas particulièrement. Néanmoins, Monsieur Bourdin, je dois reconnaître que notre représentant sur le Sahel est réellement utile. D'autre part, nous ne pouvons que nous féliciter que le représentant de l'Union européenne à Ouagadougou soit francophone.

S'agissant du CNED, il a fait la preuve de son utilité, notamment auprès des élèves isolés n'ayant pas un établissement français près de chez eux. Mais le centre ne bénéficie pas de crédits de la mission et n'entre donc pas dans mon champ de compétence.

Pour ce qui concerne la MLF, les 562 titulaires de l'éducation nationale qu'elle emploie actuellement n'ont ni un statut d'expatrié ni un statut de résident au sens de ce mot dans le réseau de l'AEFE. Ces agents peuvent être soit détachés auprès de la MLF, qui les affecte ensuite dans les établissements, en particulier pour les postes au siège de la mission ou auprès d'établissements d'entreprises, soit détachés directement auprès des établissements. Cette dernière formule concerne les deux tiers des effectifs.

M. Philippe Marini, président. - J'ai moi-même pu voir les difficultés liées à des co-localisations de postes avec nos partenaires européens. Quand on construit un tel poste sur une parcelle vierge, comme au Koweït avec l'Allemagne, les choses peuvent bien se passer. Mais, au centre culturel de Ramallah, on peut observer les difficultés de gestion au jour le jour, la moquette propre du côté du pays où on a eu le budget et pas de l'autre, etc.

Merci, en tout cas, aux deux rapporteurs spéciaux pour leur présentation et leurs réponses. Avant que nous ne passions passer au vote sur les crédits la mission, Richard Yung pourrait nous présenter l'amendement dont il est le premier signataire et qui porte sur les ambassadeurs thématiques. Cher collègue, vos recommandations de l'année dernière ont-elles été prises en compte par le ministère des affaires étrangères ?

M. Richard Yung, rapporteur spécial. - Pas du tout, Monsieur le président. Je vous rappelle que nous avions souhaité une diminution du nombre d'ambassadeurs thématiques car, d'une part, le nombre de vingt-huit nous est apparu excessif et, d'autre part, les conditions de nomination de la majorité d'entre eux, parfois par simple note de service, nous ont semblé très discutables au regard des dispositions constitutionnelles qui imposent une nomination en Conseil des ministres. Or non seulement le ministère n'a pas fait le ménage mais il continue de créer de nouveaux postes - comme en matière sportive, par exemple.

Certes, mes travaux de l'an dernier ont montré que l'enjeu budgétaire est faible, seuls 750 000 euros étant affectés à ces ambassadeurs d'un genre particulier.

L'amendement est donc proportionné à cet enjeu et propose de réduire de 150 000 euros les crédits du programme « Action de la France en Europe et dans le monde » afin de manifester notre vigilance sur le sujet et afin d'éviter toute dérive future.

La somme correspondante pourra utilement abonder les crédits de l'AEFE, au sein du programme « Diplomatie culturelle et d'influence ».

La commission adopte l'amendement proposé par MM. Richard Yung et Roland du Luart, rapporteurs spéciaux puis décide de proposer au Sénat l'adoption des crédits de la mission « Action extérieure de l'Etat », ainsi modifiés.

- Présidence de M. Marini, président, puis de Mme Frédérique Espagnac, vice-présidente -

Loi de finances pour 2014 - Examen du rapport de M. François Rebsamen, rapporteur spécial, sur la mission « Égalité des territoires, logement et ville » (et articles 64 à 66)

Puis la commission procède à l'examen du rapport de M. François Rebsamen, rapporteur spécial, sur la mission « Égalité des territoires, logement et ville » et les articles 64 à 66.

M. François Rebsamen, rapporteur spécial. - Le budget de la mission « Égalité des territoires, logement et ville » pour 2014 s'élève à 8,256 milliards d'euros pour les autorisations d'engagement et 8,072 milliards d'euros pour les crédits de paiement, soit une augmentation respectivement de 2,4 % et 1 % par rapport à 2013.

Je souhaite, tout d'abord, partager un constat avec vous : le budget qui nous est proposé est à la hauteur de la politique volontariste engagée par le Gouvernement dans ce domaine.

L'essentiel des augmentations de crédits se concentre, en effet, sur les objectifs qu'il a prioritairement fixés pour faciliter l'accès au logement, améliorer l'habitat en favorisant la transition écologique et poursuivre le renouvellement de la politique de la ville destinée à assurer l'égalité des territoires.

Cet engagement se traduit notamment par des réformes législatives (en particulier le projet de loi pour l'accès au logement et un urbanisme rénové) et par le déploiement de moyens. Cela se traduit tout d'abord par le plan de lutte contre la pauvreté et pour l'inclusion sociale adopté le 21 janvier 2013 qui trouve notamment sa concrétisation dans l'augmentation de 9 % des crédits du programme 177 « Prévention de l'exclusion et insertion des personnes défavorisées ». L'enveloppe allouée à ce secteur est ainsi réajustée aux besoins réellement constatés, comme c'est notre cas sur le terrain. Face aux situations d'urgence rencontrées et croissantes, 3 600 places d'hébergement d'urgence supplémentaires doivent être créées et 1 400 places d'hébergement d'urgence sous statut de centre d'hébergement et de réinsertion sociale (CHRS) pérennisées.

La veille sociale, premier contact avec les personnes sans abri, voit également ses crédits augmenter de 3,3 % par rapport à 2013.

Ensuite, le plan d'investissement pour le logement, présenté le 21 mars 2013 par le Président de la République, rappelle que l'objectif reste la construction de 500 000 logements par an, dont 150 000 logements sociaux, ainsi que la rénovation énergétique de 120 000 logements sociaux.

Pour les aides à la pierre prévues au programme 135 « Urbanisme, territoires et amélioration de l'habitat », les autorisations d'engagement restent ainsi fixées à 450 millions d'euros pour 2014 mais les crédits de paiement se limitent à 270 millions d'euros auxquels s'ajouteront 173 millions d'euros de fonds de concours issus du fonds de la Caisse de garantie du logement locatif social (CGLLS).

Selon les chiffres qui m'ont été fournis lors de mes auditions, 100 000 à 120 000 logements sociaux devraient effectivement être financés et programmés en 2013, hors activité de l'Agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU).

Comme vous le savez, le financement du logement locatif social est assuré très majoritairement par des ressources extra budgétaires. Action logement a ainsi souscrit un emprunt d'un milliard d'euros sur le fonds d'épargne de la Caisse des dépôts et consignations le 24 septembre dernier, afin de financer le logement locatif social à hauteur de 950 millions d'euros, conformément à la lettre d'engagement mutuel signé avec l'État.

Au total, 1,4 milliard d'euros seront ainsi consacrés au développement et à l'amélioration du logement social en 2014. Je rappelle à cette occasion, mes chers collègues, que la participation des collectivités territoriales ne doit pas non plus être négligée, beaucoup d'entre elles ayant été amenées à compenser, progressivement ces dernières années, la diminution des aides à la pierre versées par l'État. Par exemple, alors que, en 2000, la ville de Dijon recevait 10 millions d'euros d'aide à la pierre et que la commune n'apportait aucun financement, l'État ne verse aujourd'hui plus qu'un million d'euros d'aide à la pierre et la commune apporte 10 millions d'euros.

D'autres mesures du projet de loi de finances complètent ce dispositif visant à favoriser l'accès aux logements sociaux, en particulier l'application du taux réduit de TVA aux constructions et à la rénovation de logements sociaux ainsi que pour la rénovation thermique et le nouveau régime fiscal applicable à la construction de logement intermédiaire.

L'accès au logement des foyers les plus fragiles est également privilégié, avec la mise en place d'un dispositif spécifique pour les « logements très sociaux », appelés les « super PLAI », et financé par le Fonds national de développement d'une offre de logements locatifs très sociaux.

Les locataires de ces logements très sociaux bénéficieront d'un « coup de pouce » supplémentaire avec le doublement du forfait de charges dans le calcul de leur aide personnalisée au logement (APL), diminuant d'autant leur reste à charge. Nous y reviendrons lors de l'examen de l'article 64 rattaché à la mission et relatif aux aides personnelles au logement.

S'agissant des aides personnelles au logement, qui représentent la quasi-totalité des crédits du programme 109 « Aide à l'accès au logement » et près de 63 % des crédits de la mission, elles sont encore en hausse, compte tenu de la dégradation de la situation des foyers modestes, de l'augmentation du nombre de chômeurs et de la construction de logements locatifs sociaux.

Afin de la contenir, le Gouvernement propose de maintenir leur montant au niveau de 2013, sans appliquer l'indexation sur l'évolution de l'indice de référence des loyers. Cette décision permet une économie de 94 millions d'euros pour l'État qui finance pour partie l'aide personnalisée au logement (APL) et l'allocation de logement à caractère social (ALS). Encore une fois, nous aurons l'occasion d'en reparler lors de l'examen de l'article 64 du projet de loi qui prévoit cette désindexation.

En dépit de cette mesure, les aides prises en charge par le Fonds national d'aide au logement (FNAL) au titre de l'année 2014 s'élèveraient à 13,304 milliards d'euros, avec une subvention d'équilibre versée par l'État en hausse de 173 millions d'euros.

S'agissant de la politique de la ville qui fait l'objet du programme 147, la baisse des crédits constatés de 4,4 % s'explique essentiellement par la réduction des compensations de charges sociales dans les zones franches urbaines (ZFU).

Une partie des économies dégagées est toutefois employée pour la mise en place des « emplois francs », qui font l'objet d'une expérimentation depuis juillet 2013 et pour lesquels le Président de la République a fixé un objectif de 5 000 emplois en 2014. Je vous rappelle que ce dispositif vise à inciter les entreprises du secteur marchand à recruter des jeunes issus de zone urbaine sensible (ZUS). Pour chaque contrat à durée indéterminée à temps complet, l'employeur bénéficie ainsi d'une aide forfaitaire de 5 000 euros.

Le programme « adulte-relais » bénéficie également d'une hausse de ses crédits de 3,5 millions d'euros, avec un redéploiement du dispositif prévu sur les quartiers les plus prioritaires.

Mais surtout, la politique de la ville est en plein renouvellement, avec la fixation de grands axes de réforme par le Comité interministériel de la ville réuni le 19 février 2013 et leur consécration dans le projet de loi de programmation pour la ville et la cohésion urbaine que nous pourrions examiner au début de l'année prochaine.

En dehors de la fixation d'une nouvelle « géographie prioritaire resserrée et unique », cette réforme prévoit notamment un nouveau programme national de rénovation urbaine (PNRU), pour la période 2014-2024, qui se concentrera prioritairement sur les quartiers présentant les « dysfonctionnements urbains les plus importants ». L'ANRU devra engager 5 milliards d'euros pour ce nouveau programme, pour un financement total de 20 milliards d'euros avec les investissements des bailleurs sociaux et des collectivités territoriales.

Le projet de loi prévoit également de repousser à 2015 le terme du premier PNRU.

Le financement de l'ANRU doit donc rester au coeur de nos préoccupations alors que s'ouvre une nouvelle étape de la politique de la ville. La lettre d'engagement mutuel signée entre Action logement et l'État prévoit ainsi pour 2015 une contribution d'Action logement comprise entre 800 millions d'euros et 1,2 milliard d'euros, diminués de la participation des partenaires sociaux au FNAL équivalent à 150 millions d'euros.

Je noterai également que le 17 juillet 2013, le comité interministériel de l'action publique (CIMAP) a entériné la création d'un commissariat général à l'égalité des territoires qui sera mis en place au début de l'année 2014 et regroupera l'Agence nationale pour la cohésion sociale et l'égalité des chances (ACSé), le secrétariat général du Comité interministériel des villes (SG-CIV) ainsi que la Délégation interministérielle à l'aménagement du territoire et à l'attractivité régionale (DATAR) dans un pôle spécifiquement dédié à la politique de la ville. La création de ce commissariat devrait entrainer des modifications dans la maquette budgétaire, comme cela s'est déjà produit en 2013.

Je finirai mon propos par un bref commentaire sur le programme 337 « conduite et pilotage des politiques de l'égalité des territoires, du logement et de la ville ». Ses crédits, consacrés à la gestion des personnels mettant principalement en oeuvre les programmes 135 et 109, s'élèvent à 804,6 millions d'euros, contre 816 millions d'euros en 2013. Le plafond d'autorisations d'emplois est fixé à 13 477 équivalents temps plein travaillés (ETPT), soit une baisse de 717 ETPT comparé à 2013.

Au total, le projet de budget de la mission reflète bien la volonté pour le Gouvernement de faire du logement une de ses priorités d'action. Je vous propose, en conséquence, d'adopter ces crédits.

Je poursuis mon intervention, en vous présentant les trois articles rattachés à la mission « Égalité des territoires, logement et ville ».

L'article 64, tout d'abord, qui prévoit à la fois :

- de maintenir en 2014 le montant des prestations servies au titre de l'aide personnalisée au logement (APL) et de l'allocation de logement à caractère social (ALS) au niveau de 2013 ;

- d'aider davantage les ménages à faibles ressources occupant des logements locatifs très sociaux, en offrant la possibilité d'adapter le forfait de charges compris dans les APL, l'objectif étant de le doubler.

Cet article participe à la maîtrise de la dépense publique tout en poursuivant l'action du Gouvernement en faveur des foyers les plus modestes.

Selon les prévisions du Gouvernement, la non-indexation de l'APL et de l'ALS en 2014 permet de dégager une économie totale de 177 millions d'euros, dont près de 94 millions d'euros pour l'État. Il convient également de préciser que l'article 59 du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2014 prévoit la même mesure de désindexation pour l'allocation de logement à caractère familial (ALF).

Ensuite, l'article 66 tend à réduire le montant du prélèvement exceptionnel sur la participation des employeurs à l'effort de construction (PEEC) au bénéfice du FNAL et à simplifier les modalités de versements du prélèvement.

Ainsi, la PEEC ne verserait plus que 300 millions d'euros en 2014 et 150 millions d'euros en 2015 au FNAL, au titre de sa participation exceptionnelle au financement des aides personnelles au logement, contre 400 millions d'euros actuellement prévu pour les trois années.

Enfin, l'article 66 a pour objet de supprimer l'assistance technique pour raisons de solidarité et d'aménagement du territoire (ATESAT), en conséquence d'une redéfinition de la mission d'assistance technique assurée auprès des petites communes et de leurs groupements.

Les communes et les groupements ayant bénéficié des services de l'ATESAT en 2013 pourraient toutefois continuer d'y recourir pour l'achèvement des opérations en cours qui le nécessiteraient, par signature d'une convention et au plus tard jusqu'au 31 décembre 2015.

Je préconise l'adoption sans modification des articles 65 et 66. En revanche, je souhaiterais que nous réservions notre position sur l'article 64 pour notre réunion du 21 novembre prochain, au cours de laquelle nous confirmerons nos positions et examinerons les modifications apportées au projet de loi de finances par l'Assemblée nationale postérieurement à notre examen des missions en commission.

En effet, le maintien pour 2014 des aides personnelles au logement au niveau de 2013 s'inscrit dans un effort de maîtrise des dépenses publiques louable alors que, mécaniquement, le coût de ces prestations continuent d'augmenter.

En outre, il nous est indiqué que cette décision devrait présenter un impact limité sur le pouvoir d'achat des ménages concernés, compte tenu notamment du niveau relativement faible du taux d'inflation prévu pour 2014.

Toutefois, je regrette la désindexation de ces prestations servies à des foyers modestes pour lesquels le logement constitue généralement un poste de dépenses déjà très lourd à supporter. Je crains que cette mesure n'apporte, par ailleurs, une certaine confusion alors qu'on a, objectivement, un bon budget du logement.

À l'Assemblée nationale, la commission des finances a adopté un amendement tendant à demander la remise d'un rapport, avant le 31 août 2014, « présentant les réformes envisageables pour améliorer l'efficacité sociale des régimes » des trois aides personnelles au logement, à enveloppe budgétaire constante.

La commission des affaires économiques a, quant à elle, adopté un amendement de suppression de la désindexation.

Moi-même, j'aurais préféré une solution de compromis qui préserve les efforts d'économie demandés, en proposant notamment une indexation, non pas au 1er janvier mais, par exemple, au 1er octobre, pour la rentrée des familles et des étudiants. Ainsi, alors que l'impact de la mesure sur le budget 2014 serait limité, les foyers concernés bénéficieraient de l'augmentation des aides personnelles au logement pour le dernier trimestre 2014 et leur assiette serait actualisée pour les années à venir.

Aussi, si vous en êtes d'accord, je vous propose de ne pas trancher cette question aujourd'hui en commission et de la réserver pour notre « réunion balai » du 21 novembre, une fois que l'Assemblée nationale se sera prononcée sur cet article à la fin de cette semaine.

M. Claude Dilain, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques pour le programme 147 « Politique de la ville ». - Bien que je sois rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques pour le programme 147 « Politique de la ville », je souhaite, tout d'abord, m'exprimer sur l'article 64 bien qu'il relève du champ d'intervention de Marie-Noëlle Lienemann, rapporteur pour avis de la même commission pour les programmes relatifs au logement. J'approuve totalement la position du rapporteur spécial de réserver cet article puisque, effectivement, cette désindexation n'est pas un détail. Elle a non seulement un impact financier mais également une valeur symbolique et mérite donc réflexion.

J'approuve également totalement la présentation du rapporteur spécial concernant le programme relatif à la politique de la ville. Je considère qu'il s'agit d'un programme qui illustre une transition, alors que le projet de loi de programmation pour la ville et la cohésion urbaine est en cours d'examen à l'Assemblée nationale pour l'être ensuite au Sénat au tout début de l'année prochaine. Il devrait avoir d'importantes incidences sur les contrats urbains de cohésion sociale, sur la gouvernance et sur l'ANRU.

Ce programme illustre aussi une stabilité puisque la baisse constatée résulte des compensations de charges sociales dans les zones franches urbaines qui sont de moins en moins nombreuses et donc coûtent de moins en moins cher.

En outre, même si cela ne relève pas du budget de la mission, je voulais vous signaler la signature de conventions triennales d'objectifs entre le ministère délégué à la ville et d'autres ministères afin de mobiliser les moyens sur les quartiers les plus prioritaires, ce qui contribue à la politique de la ville. Ainsi en est-il, par exemple, dans le domaine de l'éducation nationale, avec des postes fléchés vers ces quartiers, des sports ou encore des contrats d'avenir. Au-delà de la stabilité apparente du programme 147, des efforts supplémentaires ont donc été déployés en faveur de la politique de la ville. Le nombre de quartiers bénéficiaires va désormais être beaucoup plus resserré car il est actuellement trop élevé, notamment au regard de nos voisins européens, comme l'a souligné la Cour des comptes.

M. Jean-Paul Emorine. - Je voudrais interroger notre rapporteur spécial sur le plan d'investissement pour le logement, le Président de la République ayant rappelé le 21 mars 2013 son objectif, qui était déjà dans son programme présidentiel, de voir construits 500 000 logements par an, dont 150 000 logements sociaux. Dans les années 2000, période au cours de laquelle, comme vous l'avez rappelé, l'État était encore très engagé dans le logement social, se construisaient environ 40 000 logements sociaux par an. Depuis et notamment en 2011, même en période de crise et malgré le changement de financement que vous avez mentionné, 120 000 logements sociaux ce sont construits par an. Combien de logements sociaux ont-ils été construits en 2012 et où en sommes-nous en 2013 ?

S'agissant de l'ATESAT, certes les conventions en cours pourront temporairement être continuées mais je m'étonne de la suppression de cette assistance alors que j'avais un président de conseil général en Saône-et-Loire, désormais ministre du renouvellement productif, qui disait alors se battre pour sauver les services de l'État dans le département. Partageant la philosophie défendue par le rapporteur spécial, je suis surpris qu'un gouvernement de gauche soit à l'initiative de la disparition de l'ATESAT, c'est-à-dire l'assistance technique aux communes. Le contraste avec les procès-verbaux du conseil général de Saône-et-Loire ne peut que me conduire à m'étonner.

M. Francis Delattre. - En prolongement de l'opinion qui vient d'être exprimée, je pense que nous allons finalement connaître un taux de construction assez identique à ce que nous avons déjà connu sous le gouvernement de Lionel Jospin, qui a été celui qui a, en réalité, le moins construit au cours des trente dernières années. Combien de constructions de logements sociaux sont-elles engagées à ce jour pour 2012 et 2013 ?

S'agissant des aides fiscales d'incitation à l'investissement locatif, je pense qu'il faut les limiter car elles « vident » la matière fiscale et ne répondent plus aux besoins, les jeunes ménages souhaitant désormais plutôt devenir propriétaires. Pour les aider, nous serions avisés de mieux les solvabiliser, le maintien de faibles taux d'intérêt bancaires étant finalement le seul moteur de la construction privée aujourd'hui. Les régimes d'incitation fiscale ont eu des rendements assez inégaux, certains programmes immobiliers ayant eu des taux de location assez faibles.

S'agissant des normes, pensez-vous qu'il est vraiment nécessaire que tous les logements d'un ensemble immobilier soient construits en respectant les normes en matière d'accessibilité des personnes handicapées ? Les toilettes étant aujourd'hui quasiment aussi grandes que les chambres, les promoteurs y construisent des placards. Je pense que nous devrions réfléchir à cette réglementation qui est source de renchérissement des coûts et de complexité pour les architectes, sans oublier que les appartements sont souvent plus petits qu'avant pour un même nombre de pièce, notamment en région parisienne. Bien sûr il faut garantir l'accessibilité aux personnes handicapées mais avec l'application d'une proportion, par exemple de 20 %, pour un projet immobilier, je pense que nous pourrions répondre aux besoins.

Concernant la rénovation urbaine, je ne suis pas d'accord avec l'analyse de Claude Dilain, certainement en raison des caractéristiques différentes de nos circonscriptions. Le nombre de quartiers qui sera retenu me paraît beaucoup trop limité, alors qu'actuellement, un grand nombre d'entre eux sont sur le fil du rasoir et que leur situation ne se dégrade pas précisément parce qu'ils bénéficient des dispositifs gérés par l'Agence nationale pour la rénovation urbaine. La solution serait peut-être de disposer d'un système à deux vitesses, adapté à l'intensité de la difficulté de ces quartiers. Il existe pour moi un vrai risque de laisser tomber des projets sur des quartiers qui, sans être les plus difficiles, ont besoin de ces dispositifs. L'intervention de l'ANRU permet souvent de reconnaître les projets et d'y associer les collectivités locales.

M. Philippe Dallier. - Je remercie le rapporteur spécial pour sa présentation et je constate que, finalement, les années se suivent et se ressemblent. À sa place, en tant que rapporteur de cette mission, j'avais plusieurs fois souligné la débudgétisation et le désengagement de l'État dans un certain nombre de domaines relevant du logement. Cela se poursuit et même s'accentue.

S'agissant des aides à la pierre, il a été demandé à Action logement d'emprunter un milliard d'euros qu'il conviendra de rembourser. À un moment donné, l'État devra donc trouver les centaines de millions d'euros nécessaires, dans le contexte des finances publiques qui nous a été présenté ce matin lors de la présentation des grands équilibres du projet de loi de finances pour 2014, sauf à considérer qu'Action logement et la Caisse de garantie du logement locatif social sont une source intarissable, mais nous savons que ce n'est pas le cas. Il suffit de voir, pour cela, les conséquences financières qu'ont eu les prélèvements effectués sur Action logement à destination de l'ANRU. Nous ne faisons que repousser le problème.

Je crains encore une sous-budgétisation des crédits consacrés aux aides personnelles au logement, malgré leur désindexation pour l'année 2014 et encore plus si cette mesure devait être remise en cause. Je crains que les crédits prévus pour 2013 et 2014 ne suffisent pas et que, comme chaque année, la loi de finances rectificative doive abonder la subvention d'équilibre versée par l'État, d'autant que la crise a un effet direct sur le montant de ces aides, les ressources de certains ménages étant diminués. Que pensez-vous de cette sous-budgétisation ?

Enfin, nous sommes dans la période où l'ANRU nécessite d'importantes ressources financières et pourrait rencontrer des difficultés de trésorerie qui m'avaient déjà inquiétées au cours des années passées. La fin de certains programmes exigera de verser les subventions promises et je me demande si la « bosse » de l'ANRU va pouvoir être passée. J'espère que nous n'allons pas encore connaître un rallongement des délais de paiements car j'ai connu cette situation en tant que maire et sur le terrain, lorsque j'étais rapporteur, certaines collectivités ayant pu attendre jusqu'à vingt-quatre mois pour percevoir la subvention demandée. Je me demande si ces retards sont dus à des problèmes de trésorerie ou, ce qui me désespèrerais, à la complexité de la gestion administrative des dossiers au sein de l'agence.

Il serait utile de faire le point sur les besoins financiers de l'ANRU.

M. Pierre Jarlier. - Je tenais tout d'abord à souligner qu'il n'est pas si fréquent de voir un budget en augmentation, ce qui montre que le logement constitue une priorité pour le Gouvernement. Je souhaiterais aborder, pour ma part, l'explosion du coût du contentieux relatif au droit au logement opposable (DALO). Ce risque, susceptible de s'aggraver encore au cours des années, avait d'ailleurs été abordé lors de l'examen du projet de loi instaurant ce dispositif et pour lequel j'avais été rapporteur pour la commission des lois. Nous avions d'ailleurs limité son champ d'application à un type précis de public éligible mais depuis 2012, il a été élargi. Compte tenu de l'augmentation du coût de ces contentieux, correspondant à 5 millions d'euros supplémentaires en 2014, notamment au regard des astreintes journalières versées, disposez-vous de prévisions pour les années à venir ? Cette question est essentielle, car tout est lié : il faudra faire d'autant plus de logements que des personnes sont susceptibles de faire valoir leur droit à bénéficier d'un logement, avec un éventuel engagement de la responsabilité de l'État.

Rejoignant Jean-Paul Emorine, je m'étonne de la suppression brutale de l'ATESAT qui favorise le risque d'une France à deux vitesses. Il est paradoxal de décider une telle mesure qui réduit les moyens des communes et leurs groupements alors qu'il leur est demandé, à raison selon moi, de développer davantage d'ingénierie et de réflexion sur la planification pour améliorer leur efficacité. Tandis que des communes disposent déjà des structures leur permettant de répondre à ces nouvelles exigences, d'autres en sont dépourvues, et ne disposeront pas de l'organisation territoriale et des moyens nécessaires, y compris financiers car cette suppression de l'ATESAT engendre à mon sens un transfert de charges.

Ne pourrait-on, monsieur le rapporteur spécial, trouver une solution moins radicale, peut être avec un nouveau système de conventionnement avec l'Etat, pour que la situation puisse évoluer plus progressivement ?

Mme Michèle André. - Je remercie le rapporteur spécial pour sa présentation et me réjouis particulièrement de l'augmentation des crédits accordés à l'hébergement d'urgence et au logement adapté. Alors que les demandes sont nombreuses en la matière, il est indispensable de mener une réflexion sur le type d'hébergement qui doit être développé, compte tenu du coût important des nuitées d'hôtel. Certains établissements hôteliers vivent d'ailleurs des demandes adressées par les services intégrés d'accueil et d'orientation (SIAO).

Il me semblerait également utile de rappeler à l'administration centrale la nécessité de voir les crédits alloués aux SIAO versés dans des délais convenables. Il serait normal d'avoir reçu les crédits en septembre. Les difficultés de trésorerie provoquées par ces retards peuvent, en effet, conduire à des drames comme à Clermont-Ferrand où une association ne pouvait plus faire face au paiement des nombreuses nuitées d'hôtel. Il n'est pas souhaitable non plus que certaines structures attendent plus que d'autres qui seraient considérées comme dans une situation plus urgente, en fonction des départements.

M. Yvon Collin. - Je souhaite simplement attirer l'attention du rapporteur spécial, qui nous a présenté un rapport de qualité, sur le dispositif Duflot. Je rappelle les effets pervers des dispositifs précédents d'incitation fiscale à l'investissement locatif, le dispositif Scellier en particulier, qui ont surtout attiré les investisseurs pour son aspect fiscal, sans qu'ils deviennent des propriétaires bailleurs attentifs à leur bien. Les propriétaires ne se sont généralement pas intéressé à la construction du logement ni même à leur locataire. J'ai connu dans ma commune l'arrivée massive et brutale de 400 logements, dans des conditions désastreuses, avec des constructions gérées par des sociétés uniquement créées à cet effet, sans que les propriétaires bailleurs ne soient attentifs et actifs comme c'est le cas dans d'autres opérations immobilières. En outre, l'État se prive de recettes importantes.

J'ai bien noté que le dispositif Duflot était davantage encadré et plus exigeant que les dispositifs d'incitation fiscale antérieurs mais il convient de rester vigilant. Je souhaitais toutefois savoir si un rapport avait été produit pour faire état des effets de levier attendus et fournir préalablement une évaluation des dispositifs précédents.

M. François Rebsamen, rapporteur spécial. - Tout d'abord je partage l'analyse de notre collègue Claude Dilain, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques, s'agissant du programme 147 et de la politique de la ville menée par le Gouvernement. Nous aurons l'occasion de discuter de l'ensemble de ces sujets, et notamment de la géographie de la politique de la ville, lors de l'examen du projet de loi de programmation pour la ville et la cohésion urbaine.

S'agissant du nombre de logements construits et pour répondre à Jean-Paul Emorine, tous les gouvernements se sont efforcés de se fixer des objectifs. En 2012, 100 000 logements sociaux ont été financés et les prévisions tablent sur 100 000 à 120 000 en 2013, selon les chiffres qui m'ont été donnés au cours de mes auditions, auxquels s'ajouteraient 20 000 à 30 000 logements dans le cadre de l'ANRU.

Je conviens que nous n'atteignons pas l'objectif de 150 000 logements sociaux par an et que l'année 2012 n'a pas été très bonne pour la construction de logement social, comme souvent pour les années présidentielles, mais la construction est repartie à la hausse.

S'agissant des dépenses fiscales, les dispositifs d'incitation à l'investissement locatif coûtent encore très cher puisque, selon le projet annuel de performances pour 2014, les chiffrages sont les suivants :

- dispositifs Robien classique et Robien recentré : 331 millions d'euros en 2012, 300 millions d'euros en 2013 et 270 millions d'euros en 2014 ;

- dispositif Scellier : 430 millions d'euros en 2012, 600 millions d'euros en 2013 et 660 millions d'euros en 2014 ;

- dispositif Scellier intermédiaire : 215 millions d'euros en 2012, 300 millions d'euros en 2013 et 330 millions d'euros en 2014 ;

- dispositif Borloo populaire : 40 millions d'euros pour 2012 à 2014 ;

- dispositif Perissol : 51 millions d'euros également pour ces trois années ;

- dispositif Besson neuf, qui est un très bon dispositif : 26 millions d'euros en 2012, 18 millions d'euros en 2013 et rien en 2014.

L'ensemble de ces dispositifs d'incitation à l'investissement locatif pourtant éteints représentent, au total, environ 1,36 milliard d'euros, pour des constructions qui ont parfois eu des difficultés à être commercialisées.

Peuvent être ajoutées les dépenses fiscales liées au crédit d'impôt sur le revenu au titre des intérêts d'emprunt supportés par le contribuable pour l'acquisition ou la construction de son habitation principale et qui représente encore 1,175 milliard d'euros tout en continuant de baisser.

Toutes ces mesures créés au fur et à mesure par chaque ministre du logement pour relancer la construction sont nécessairement coûteuses pour le budget de l'État et doivent être assainies au regard de leurs utilités respectives.

Le dispositif Duflot ne représente que 35 millions d'euros de dépenses fiscales pour 2014 et devrait a priori être mieux ciblé.

Concernant les normes, je partage le constat de Francis Delattre et pense qu'une réflexion devrait être menée à ce sujet. À cette occasion, je constate que l'attestation de conformité aux règles d'accessibilité relève toujours de la compétence de l'État alors que les communes délivrent les permis de construire et d'aménager. Les services de l'État réalisent des études déjà conduites par les services de la commune, ce qui me conduit à penser que la réglementation pourrait évoluer afin d'éviter ce doublon.

S'agissant de l'ANRU, la commission des finances du Sénat a demandé à la Cour des comptes, en application de l'article 58-2 de la loi organique relative aux lois de finances, un contrôle de la gestion de l'agence, pour apprécier notamment les modalités de traitement des dossiers et leur suivi. Je pense que le système fonctionne bien mais il est vrai que nous ne faisons que repousser les difficultés de financement du programme national de rénovation urbaine (PNRU). Je rappelle qu'un financement de 5 milliards d'euros est prévu pour le second PNRU.

Je ne dispose pas de prévisions précises sur le coût du contentieux DALO mais je vais en demander. Je crains, en tout état de cause, que la hausse ne se poursuive.

Concernant l'ATESAT, j'ai moi-même hésité sur cette suppression qui permet, toutefois, au ministère de tenir son plafond d'emplois. Je crains que le développement des compétences des départements, qui sont demandeurs, ne favorise la tutelle d'une catégorie de collectivité sur une autre, alors que chacun d'entre vous sait que les relations sont parfois difficiles entre elles, quelles que soient leur couleur politique. J'espère que le dispositif de l'article 66 du projet de loi pourra évoluer.

M. Pierre Jarlier. - Avec la suppression brutale de l'ATESAT, le développement des communes est rendu difficile et je crains également la tutelle des départements. Je ne suis d'ailleurs pas certain du caractère constitutionnel de la mesure. Il va falloir s'assurer que le « bloc communal » s'organise lui-même pour assumer seul ces compétences.

M. François Rebsamen, rapporteur spécial. - Je suis sensible à ce sujet et j'entends vos arguments. Il ne faut pas oublier que les intercommunalités voire les établissements publics en charge des schémas de cohérence territoriale (SCoT), en fonction de leur taille, assument également ce type de compétences auprès de toutes les communes et en toute impartialité. Par exemple, l'établissement du SCoT du dijonnais finance les études d'urbanisme souhaitées par les communes, à l'aide d'un fonds créé à cet effet.

M. Jean-Paul Emorine. - Pour rappel, dans les premières lois de décentralisation, dites lois Defferre, les départements pouvaient développer des services d'assistance technique mais depuis d'autres lois de décentralisation ont été adoptées. Je vois l'intérêt pour les départements de développer cette assistance technique qui peut leur permettre d'avoir un impact politique, d'autant qu'ils ont créé des agences techniques tout en, par ailleurs, réduisant les aides aux communes.

M. François Rebsamen, rapporteur spécial. - Et cela a éveillé votre attention !

M. Jean-Paul Emorine. - Je pense que nous pouvons tous faire la même analyse. J'y vois là un conflit d'intérêt. Par ailleurs, comme le rapporteur spécial, j'estime tout à fait légitime que les groupements de communes se dotent d'un service technique de ce type.

M. François Rebsamen, rapporteur spécial. - Nous partageons le même sentiment en vivant une situation locale identique, même si les forces politiques y sont inversées.

M. Albéric de Montgolfier. - Le rapporteur spécial pense-t-il proposer de déposer un amendement à ce sujet ?

M. François Rebsamen, rapporteur spécial. - Je me suis interrogée sur le fait de proposer également la réserve sur cet article rattaché.

M. Albéric de Montgolfier. - S'agissant du coût des régimes fiscaux d'incitation à l'investissement locatif, ne pourrait-on développer un dispositif « anti-abus » qui permettrait d'éviter que des épargnants, approchés par des promoteurs ou intermédiaires, n'investissent dans des communes où le marché immobilier n'est absolument pas attractif ? L'efficacité de ces dispositifs peut également faire l'objet d'interrogations.

M. François Rebsamen, rapporteur spécial. - À mon sens, plutôt que les dispositifs d'incitation fiscale, il convient de développer des produits permettant une accession très sociale à la propriété, les ménages ayant alors la perspective d'être, à terme, propriétaires du logement qu'ils occupent. Ils ont alors généralement un rapport différent avec leur bien, notamment en termes d'entretien.

M. Francis Delattre. - Cela fait du bien d'entendre un socialiste tenir ces propos !

M. François Rebsamen, rapporteur spécial. - Cela ne remet pas en cause les besoins de logements sociaux classiques, d'ailleurs la ville de Dijon dont je suis maire appartient aux communes qui en construisent le plus afin de combler son retard. Tous les dispositifs sont utiles pour avoir des parcours résidentiels adaptés à l'évolution des ménages. Je rappelle que près de 70 % de la population française est éligible au logement social.

M. Yvon Collin. - Je plaide également depuis de nombreuses années pour l'accession à la propriété des foyers les plus modestes, toujours positive en termes de cohésion sociale.

Concernant l'article 66 rattaché, je pense effectivement souhaitable de réserver notre position jusqu'à la « réunion balai » du 21 novembre prochain.

M. François Rebsamen, rapporteur spécial. - Je vous propose donc d'adopter les crédits de la mission ainsi que l'article 65 rattaché et de réserver les articles 64 et 66.

À l'issue de la réunion, la commission décide de proposer au Sénat l'adoption des crédits de la mission « Égalité des territoires, logement et ville », ainsi que de l'article 65. Elle décide de réserver sa position sur les articles 64 et 66.

Audition de M. Pierre Gattaz, président du MEDEF

La commission procède enfin à l'audition de M. Pierre Gattaz, président du MEDEF.

Présidence de M. Philippe Marini, président, puis de M. Albéric de Montgolfier, vice-président -

M. Philippe Marini, président. - Monsieur Gattaz, depuis que vous avez été élu à la présidence du Medef au début du mois de juillet, vous avez été sur tous les fronts et nous avons eu l'occasion de vous entendre à de nombreuses reprises dans les médias. C'est donc tout naturellement que nous avons souhaité vous auditionner. Vous nous exposerez votre analyse de la situation fiscale, à l'occasion de la préparation du projet de loi de finances pour 2014, alors que le Gouvernement vient d'annoncer la tenue d'Assises de la fiscalité des entreprises.

Nous avons l'impression que deux France se font face et s'éloignent de plus en plus : celle qui parvient à s'insérer dans la compétition mondiale, et celle en difficulté, confrontée au cercle vicieux des restructurations. L'opinion publique est dubitative... Les facteurs de compétitivité et de dynamisme de nos entreprises sont au coeur de la réflexion. Le rapport Gallois ou le Pacte de compétitivité ont un an. Quel bilan en dressez-vous ? Comment aider les entreprises à mieux affronter la concurrence internationale ?

M. Pierre Gattaz, président du Medef. - Le Medef compte 750 000 adhérents : si l'on omet les grandes sociétés du SBF 120, il s'agit essentiellement des petites et moyennes entreprises.

Je l'ai constaté sur le terrain : les entreprises souffrent.

D'abord, parce que les carnets de commande sont peu remplis depuis des mois. Il ne s'agit pas de difficultés passagères. Le moral est au plus bas.

Ensuite, parce que la rentabilité, dont le niveau détermine l'investissement, l'embauche ou l'innovation, est peu élevée. Tous les instituts s'accordent : notre taux de marge, mesuré par l'excédent brut d'exploitation, est le plus faible en Europe à 28 %, contre 40 % en Europe ou 42 % en Allemagne.

Enfin, parce que les patrons sont sceptiques à l'égard de la politique menée. Certes, il y a eu le récent discours du Président de la République valorisant les entreprises, facteurs d'emploi et de compétitivité, mais, dans la pratique, les lois et les décisions qui comportent des marqueurs anti-entreprises se multiplient comme s'il fallait à chaque fois nous donner une gifle pour satisfaire un électorat. C'est insupportable car l'entreprise constitue la solution aux principaux problèmes du pays : chômage, déficit commercial, pouvoir d'achat. Nous sommes solidaires des ménages, leur pouvoir d'achat dépend de l'emploi. Nous devons profiter de la mondialisation et de l'économie de marché. Je suis président de Radiall. J'ai réussi à conserver mes usines et à en créer, à créer aussi 500 emplois depuis vingt ans en jouant à fond la carte de l'internationalisation. L'internationalisation, c'est de créer des usines low cost, en Chine, en Inde, au Mexique. Cela m'a permis d'augmenter nos parts de marché et de réinvestir les profits en France dans l'investissement et la formation.

L'enjeu en France est de parvenir à créer des emplois. Le taux de chômage de 11 %, 25 % pour les jeunes, est inacceptable. Ce sont les entreprises qui créent des emplois durables. La compétitivité hors-coût est importante : la conquête de marchés ; l'innovation ; l'excellence opérationnelle ; la qualité du management, le dialogue social, la motivation et la formation des équipes. Ces facteurs relèvent de la responsabilité des entreprises. Mais elles doivent s'appuyer en amont sur un climat de confiance et une bonne compétitivité coût, fondée principalement sur le coût du travail, la fiscalité, la complexité administrative, le prix de l'énergie et le taux de change.

Tous les instituts s'accordent pour estimer qu'il existe un écart d'imposition de 120 milliards d'euros entre la France et l'Allemagne : une moitié est due à la différence de coût du travail, l'autre à l'écart de fiscalité. Depuis trente ans, notre pays a toujours réglé chaque difficulté en augmentant les impôts ou en créant une nouvelle taxe ou des normes nouvelles, au détriment des entreprises. C'est insupportable ! Comment s'étonner ensuite que notre moteur économique soit asphyxié ? Le chômage augmente, les investissements baissent, le déficit commercial atteint 75 milliards d'euros, les défaillances des entreprises se multiplient. Il y a urgence. Il est nécessaire de transférer les cotisations maladie et famille sur une autre assiette. Il y a dix ans le coût du travail était inférieur de 8 % à celui de l'Allemagne ; il est aujourd'hui supérieur de 10 %. Depuis trente ans, 150 taxes affectées ont été créées, dont la moitié depuis cinq ans. Le résultat d'exploitation est quatre fois moindre qu'en Allemagne. Comment embaucher dans ces conditions ?

Un pays fonctionne comme une entreprise. L'État finance ses fonctions régaliennes grâce au produit des impôts, donc des entreprises. Il faut parier sur elles. Mon propos est humaniste. Dans mon entreprise, j'ai créé de l'emploi. Il redonner de l'oxygène aux entreprises. La contrainte n'est pas suffisante pour réduire le chômage : nous avons des milliers de pages de réglementation sur l'emploi des jeunes, des seniors, des personnes handicapées, quand la Suisse n'en a qu'une soixantaine. Mais les entreprises, telles des abeilles, finissent par aller butiner ailleurs. La ligne Maginot a disparu et notre pays est en compétition avec les autres sur tous les plans. Le crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE) est une bonne mesure mais il n'est qu'un anti-douleur face aux 30 milliards de prélèvements supplémentaires décidés depuis 2011. Que penser quand un huissier rend un fauteuil après avoir saisi la maison ? De plus il faut le financer...

Ayons le courage de baisser les dépenses publiques, comme l'ont fait les Canadiens, les Suédois ou les Allemands. La France est à la croisée des chemins : avec un tel taux de chômage, elle risque l'explosion. Mais si le coût du travail, la fiscalité ou la réglementation s'améliorent, les entreprises peuvent créer un million d'emplois en cinq ans. Il appartient aux entreprises de produire, d'innover et d'exporter. Il appartient aux responsables politiques de redresser les finances publiques. Les remèdes sont connus : développement de la médecine ambulatoire, réforme de la carte hospitalière, réforme de l'État, décentralisation, etc. Il est urgent d'agir. J'ai beaucoup voyagé. Les pays émergents réussissent car ils parient sur l'entreprise, ce qui accroît leur compétitivité et leur attractivité. Les investisseurs étrangers ont une mauvaise image de la France à cause de certains symboles, comme la taxe à 75 %, qui rapporte peu mais se révèle hautement préjudiciable.

Faites le choix de l'entreprise et de l'emploi et le Medef sera un partenaire constructif. Diminuez les dépenses publiques : il faut entendre le ras-le-bol fiscal et cesser la fuite en avant.

M. François Marc, rapporteur général. - Vous exprimez des positions fortes et avez des ambitions pour notre pays. Mais chacun a son idée des changements à réaliser. Les entreprises perçoivent la fiscalité comme un fardeau et ont le sentiment d'être trop sollicitées. Pourtant des efforts ont été faits depuis 2010 : la réforme de la taxe professionnelle représente un allègement d'impôt de plus de 6 milliards d'euros, tandis que le CICE s'élèvera à 20 milliards d'euros en année pleine. Il est faux de dire que nous n'avons pas conscience des réalités. De plus le Gouvernement propose d'organiser des Assises de la fiscalité des entreprises. Quelle est la meilleure fiscalité pour les entreprises ? Quelle évolution d'assiette suggérez-vous ?

Le Gouvernement a annoncé qu'il ne légiférerait pas sur la rémunération des dirigeants des entreprises privées, privilégiant le renforcement du code de bonne conduite élaboré par le Medef et l'Association française des entreprises privées (Afep). Quels sont les principaux points du code révisé ? Comment sera-t-il adopté par les adhérents ?

Les programmes d'investissements d'avenir donnent souvent lieu à des co-financements. Quel jugement portez-vous sur cette modalité de l'action publique ? Quels sont les gains pour le secteur privé ?

Vous avez souligné que l'écart de coût du travail entre la France et l'Allemagne s'est creusé depuis dix ans, soit durant les deux dernières législatures... Avec le CICE, pour la première fois, l'écart se réduit. Certains prétendent que ce dispositif ne bénéficierait pas assez à l'industrie. Faut-il le réorienter vers les entreprises exportatrices ? Quelles actions prônez-vous pour améliorer la compétitivité hors-prix ? Enfin quelles sont vos pistes pour réaliser 100 milliards d'euros d'économies ?

M. Philippe Marini, président. - Vous réclamez à juste titre des actions courageuses et appelez à tailler dans les structures. Nous comprenons ce langage, mais des économies ne seraient-elles pas possibles dans les organismes de représentation des entreprises et dans les secteurs gérés de manière paritaire ? Cela constituerait une utile démonstration.

M. Pierre Gattaz. - Tout n'est pas à jeter dans la politique actuelle. Nous avons soutenu le rapport Gallois, ainsi que la mise en place du CICE, d'un montant de 20 milliards d'euros, dont Louis Gallois estime qu'il réduira de moitié l'écart de coût du travail avec l'Allemagne. Toutefois il ne s'agit que du quart du chemin total !

M. Francis Delattre. - Le chantier n'a pas encore commencé !

M. Pierre Gattaz. - Il est difficile pour un patron, préoccupé par la gestion de son entreprise, de se plonger dans la réglementation qui accompagne le CICE. Le mécanisme est trop difficile d'accès. Simplifions. Conviendrait-il de relever le plafond à 3,5 SMIC ? Peut-être. Mais nous proposons surtout de le sanctuariser et de procéder à un transfert des cotisations famille et maladie pour réduire l'écart avec l'Allemagne. Nous participerons aux Assises de la fiscalité des entreprises. Pour nous il ne doit pas s'agir de raisonner à fiscalité constante mais de parvenir à améliorer la fiscalité de l'entreprise, voire de l'entrepreneur et, surtout, à baisser les dépenses publiques : les deux sont liés.

Dans le cadre de l'accord Afep-Medef, nous avons nommé Denis Ranque à la tête du haut conseil sur la rémunération des dirigeants, créé en octobre, conformément au calendrier fixé. Il comptera sept membres : trois du Medef, trois de l'Afep plus une personnalité extérieure. À l'image d'un conseil de l'ordre, il jouera un rôle de vigie, traquera les dysfonctionnements et les excès, permettra d'avancer en matière de déontologie. Nous sommes le seul pays en Europe à avoir mis en place un tel dispositif qui responsabilise les dirigeants.

Les investissements d'avenir sont importants. Que faisons-nous dans les entreprises en période de crise ? Nous cherchons des relais de croissance, nous motivons nos équipes commerciales, et nous nous efforçons de trouver des clients. Nous optimisons nos structures. Nous réduisons les dépenses de fonctionnement mais préservons les investissements car, selon la formule célèbre, ils représentent les profits de demain et les emplois d'après-demain. L'État doit procéder de même. Il faut motiver les forces vives dans notre pays. Il faut maintenir les investissements d'avenir, dans les équipements ou les infrastructures par exemple, tout en limitant la technocratie, la paperasserie et le formalisme administratif - véritable monstre français.

Le Medef se mobilise pour améliorer la compétitivité hors-prix. Nous créons des commissions ad hoc pour former nos managers, réutiliser les réseaux de l'association pour le progrès du management (APM) ou les réseaux du pacte PME, destiné à faciliter les relations entre les grands groupes et les PME pour conquérir des marchés à l'export. N'oublions pas non plus le crédit impôt recherche, rayon de lumière dans notre univers fiscal peu attractif, que nous vantons à tous les investisseurs étrangers qui hésitent sur le choix du pays dans lequel installer leurs usines. Surtout, ne le cassons pas, les conséquences seraient terribles. Grâce à lui des activités de recherche et développement sont restée en France. En revanche nous sommes très en retard dans les processus d'intégration de la recherche.

Geoffroy Roux de Bézieux, vice-président du Medef. - Nous participerons aux assises de la fiscalité sur les entreprises ; nous réfléchissons aux modalités de cette participation avec le Gouvernement. Certes certaines mesures ont été prises comme la réforme de la taxe professionnelle ou le CICE, mais seule compte, pour les entreprises, la somme globale des prélèvements. Or, à cet égard, la coupe est pleine. L'écart de prélèvements avec l'Allemagne s'élève à 100 milliards d'euros : 50 milliards sur le coût du travail et 50 milliards dus à un écart d'imposition. Parmi les impôts, l'essentiel de l'écart est dû à des taxes sur la production. Si l'impôt sur les sociétés représente dans les deux pays 4,2 % de la valeur ajoutée, les autres taxes représentent, en plus, en France, 5 % de la valeur ajoutée. Dans ce contexte, les Assises ne sauraient se réduire à un jeu de bonneteau consistant à modifier l'assiette de l'impôt sans diminuer les prélèvements. C'est pourquoi nous nous sommes opposés à la taxe sur l'excédent brut d'exploitation. Le taux de pression fiscale n'est plus soutenable. Il doit diminuer, non pour augmenter les dividendes, mais pour augmenter les marges et l'investissement. Nous ne fixons aucune condition préalable mais nous quitterons la table de la négociation si la réflexion s'éloigne de ce but.

La simplification constitue notre deuxième objectif. Les taxes ont un coût de gestion, pour l'État comme pour les entreprises. Les entreprises ont besoin de s'inscrire dans un horizon pluri-annuel. Il faut de la visibilité pour investir. Or, chaque année, le projet de loi de finances réserve son lot de surprises. Il faut sanctuariser certains dispositifs. Le Président de la République a annoncé la sanctuarisation du crédit d'impôt recherche, mais des amendements déposés à l'Assemblée nationale le remettent en cause.

Enfin les relations avec le fisc sont cruciales. Point de poujadisme, l'impôt est nécessaire. Mais nous constatons un durcissement des contrôles fiscaux, ce qui crée un climat néfaste.

M. Pierre Gattaz. - Les pistes d'économies sont connues. Rapport Camdessus, commission Attali, mission de Louis Gallois, rapports du FMI, de l'OCDE, ou de Bruxelles, tout a été écrit. Nous avons créé une commission pour rassembler les meilleures idées. Tout d'abord, le choc de simplification. Nous accueillons favorablement la nomination de Guillaume Poitrinal, aux côtés du député Thierry Mandon, à la présidence du comité de suivi. Comme en Angleterre, nous devrions appliquer, à l'occasion du vote de chaque loi, le principe one in, two out. Il faut supprimer des lois. De plus, notre faiblesse en France, c'est l'exécution. Les autres pays fixent des échéances et exécutent leurs engagements. Il s'agit aussi d'une priorité des entreprises qui recherchent la qualité totale ou l'excellence opérationnelle. C'est pourquoi nous soutenons la mise en place de binômes, associant hauts fonctionnaires et patrons, afin de faire bénéficier l'État de notre expertise et aider les services publics à réduire les gaspillages. Il ne s'agit pas de mener une révolution mais d'améliorer les processus. D'autres pistes sont le développement de la médecine ambulatoire, la suppression d'un échelon territorial comme le département, le non-remplacement d'un fonctionnaire sur deux, etc. Inspirons-nous des exemples de la Suède ou des Pays-Bas.

Sur le paritarisme, vous avez raison, nous devons nettoyer devant notre porte et être exemplaires. Nous avons créé un groupe sur le sujet. Ma doctrine est simple : si un organisme que nous co-gérons enregistre des pertes pendant plus de trois ans, nous devons en sortir. Cessons d'accumuler des dettes qui pèseront sur les générations futures ! Certains organismes sont inutiles. Je compte en discuter avec les partenaires sociaux ; il faut avoir le courage de supprimer ce qui est inutile.

Nous avons créé deux groupes de travail sur les 35 heures, l'un consacré à la sphère publique, l'autre à la sphère privée. Dans le premier cas, son coût estimé s'élève à 25 milliards d'euros, sans compter la désorganisation du secteur hospitalier, dans le second, à 22 milliards. Là encore, il est possible d'avancer sans révolution, mais si nous n'agissons pas le chômage augmentera.

De même les processus de l'administration sont à revoir. Dans une entreprise, leur simple évaluation est source de profits. Il faut faire de même dans le secteur public.

M. Albéric de Montgolfier. - Merci pour votre présentation très claire. Une des réticences à l'égard du CICE ne tient-elle pas au fait qu'il s'agit d'un crédit d'impôt, ce qui implique une négociation avec l'administration fiscale ? Comment expliquer les faibles demandes de créances auprès de la Banque publique d'investissement (BPI) ?

M. Philippe Marini, président. - Nous ne connaissons pas encore les modalités de mise en oeuvre du dispositif de trésorerie ni du mécanisme du crédit d'impôt proprement dit.

M. Éric Doligé. - Le ministre de l'économie et des finances, Pierre Moscovici, nous a tenu, hier, un discours très positif, nous indiquant que le redressement était en bonne voie. J'étais rassuré, mais en rentrant chez moi j'ai appris que Fagor-Brandt déposait son bilan... Dur rappel de la réalité !

Que pensez-vous de l'adéquation de la formation professionnelle aux besoins des entreprises ? Ces dernières se plaignent souvent de ne pas trouver de candidats pour pourvoir certains postes. Ne devraient-elles pas travailler avec les services publics ou les collectivités territoriales ?

Avez-vous chiffré le coût supplémentaire pour les entreprises provoqué par l'excès de normes et de réglementation en France ? Le Gouvernement tient un discours optimiste ; le vôtre l'est beaucoup moins. Le Gouvernement entend-il vos inquiétudes ? Vous avez évoqué le poids des cotisations sociales. J'ai la conviction que le social tue l'économie. Le dynamisme de la dépense sociale est telle que l'économie ne suit pas.

Enfin vous avez mentionné la suppression du département. La pilule est dure à avaler ! Je n'ai pas été trop mal formé puisque j'ai été patron et au Medef avec votre père. Mais j'espère que vous nous inviterez pour que nous puissions venir vous expliquer comment fonctionnent les collectivités territoriales. C'est vrai qu'on en crée en permanence et que les niveaux ont encore été ajoutés récemment, c'est insupportable. Mais évitons les idées reçues : la suppression des départements ne résoudra aucun problème. D'autres pistes d'économies existent.

M. Yvon Collin. - Nous entendons votre réquisitoire. Nous y souscrivons en partie. Vous avez cité des exemples étrangers : la voisine est toujours plus jolie ! Mais tout n'est pas noir malgré tout dans notre pays.

Lorsqu'une entreprise ferme, ce n'est pas toujours la faute du Gouvernement. Ses dirigeants ont pu commettre des erreurs... Quels conseils donneriez-vous à vos mandants pour que les entreprises deviennent plus performantes ?

M. Serge Dassault. - Vous tenez, monsieur le président, un discours identique au mien mais ici, personne ne m'écoute...

Vous n'avez pas parlé de la rigidité de l'emploi qui constitue un repoussoir à l'embauche : les entreprises hésitent à recruter car elles savent qu'elles ne pourront pas licencier si leur activité venait à se réduire. La flexibilité du travail existe partout ailleurs, mais pas en France. Le code du travail doit être modifié.

Les 35 heures coûtent 21 milliards d'euros par an d'allègements de charges. Il faudrait les supprimer pour que l'État puisse disposer de ces crédits, mais il faudrait repasser de 35 à 39 heures, sans modifier les salaires.

Vous dites qu'il faut gérer la France comme une entreprise : le drame, c'est que nos politiques ne savent pas ce qu'est une entreprise. Ils croient qu'il s'agit d'un système d'exploitation : lutte des classes, travailleurs sous-payés et patrons profiteurs... Or, l'entreprise est la clé de la croissance et de l'emploi. C'est une plaisanterie de croire que l'on va réduire le chômage avec les emplois d'avenir ! Tous les gouvernements ont fait la même bêtise, mais en définitive, c'est l'État qui paye et qui est forcé d'emprunter pour les financer.

Comme l'a dit Pierre Gattaz, ne tuons pas l'entreprise avec des impôts stupides. Aujourd'hui, les entrepreneurs s'en vont car ils ne supportent plus le poids invraisemblable des impôts sanction. Il est normal que les chefs d'entreprise aient un salaire élevé : ils valent de l'or et quand ils ne sont pas suffisamment payés, ils vont ailleurs.

Depuis 30 ans, les gouvernements successifs ont emprunté pour des dépenses de fonctionnement : c'est de la cavalerie !

M. Jean Arthuis. - À vous entendre, nous avons des marges de progression en terme de gouvernance publique, mais n'êtes-vous pas, vous aussi, gestionnaires avec la protection sociale, la caisse d'assurance chômage ? Or, vous rencontrez des problèmes identiques aux nôtres...

Le temps est venu de reconnaître que dans une économie largement mondialisée, prélever la ressource sur la production, c'est organiser la délocalisation des activités. Même dans le bâtiment, les travaux publics et l'agroalimentaire on peut faire appel à des salariés de l'Europe de l'Est et payer dans ces pays les charges sociales. Il faut en finir avec les impôts de production pour privilégier la taxation des produits. Bien sûr, il faut réduire les dépenses publiques.

Néanmoins, le Gouvernement a fait tomber deux tabous : il a reconnu qu'il y avait un problème de charges sociales en instituant le CICE. À la fin de l'année, il y aura au moins dix milliards de créances sur l'État constatées dans les comptes des entreprises. De plus, le Gouvernement a reconnu que la hausse de la TVA n'était pas un chemin interdit, ce qui est un véritable bouleversement. Malheureusement, il n'est pas allé au bout de l'exercice. Je fais confiance à notre rapporteur général pour plaider des mesures de simplifications, avec l'abaissement des charges sociales quand le contexte budgétaire le permettra. Les impôts que les entreprises acquittent sont, en définitive, payés par les consommateurs. Certes, des dix-sept pays de la zone euro, c'est en France que les marges sont les plus faibles.

Le Medef doit aussi s'atteler aux budgets de la protection sociale, de la formation professionnelle et de l'Unédic. S'il ne faut pas emprunter pour des dépenses de fonctionnement, comme l'a dit Serge Dassault, on ne peut prétendre que financer des allocations chômage, c'est de l'investissement.

M. Philippe Marini, président. - Vous le constatez : la commission des finances du Sénat est un espace de liberté où il n'y a pas de tabous !

M. André Ferrand. - Vous avez dit que nos grandes entreprises qui exportent sont des porte-avions qui devraient emmener avec elles des flottilles d'entreprises plus petites. C'est ce que font les entrepreneurs allemands avec leurs sous-traitants. Même si certaines de nos grandes entreprises pratiquent le patriotisme économique, ce n'est pas le cas de toutes. Le Medef travaille-t-il à changer les mentalités ?

M. Francis Delattre. - Vous avez peut-être l'impression que nous découvrons le monde de l'entreprise, mais tel n'est pas le cas.

Avez-vous une idée précise des emplois menacés à court et moyen termes dans le secteur marchand ? Sortons-nous de la récession, comme le prétend le Gouvernement ? Les prévisions de croissance à 0,9 % sont-elle crédibles ?

Le Gouvernement a supprimé la TVA sociale qui aurait permis d'injecter 13 à 14 milliards d'euros dans l'économie. Avec le CICE, nous en sommes à un milliard cette année et les 10 milliards d'euros promis pour 2014 ne sont toujours pas financés, sauf peut-être à hauteur de 6 milliards du fait de l'augmentation de la TVA.

Les entreprises qui investissent ne peuvent déduire fiscalement les intérêts de leurs emprunts, ce qui est surprenant quand, a contrario, Bpifrance aide les entreprises à réaliser des investissements. Mais nous sommes les seuls à faire ces remarques et la presse économique ne relaye pas nos propos. Ne serait-il pas temps que le Medef se saisisse de ce problème ?

Enfin, nous regrettons que la TVA sociale ait été supprimée pour des raisons purement idéologiques.

M. Philippe Marini, président. - Comme vous avez évoqué la presse économique, sachez qu'elle assiste à nos travaux.

M. Francis Delattre. - Tant mieux !

M. Philippe Dominati. - Votre analyse économique est partagée par un certain nombre de parlementaires. Malheureusement, aucun représentant de la majorité n'assiste à cette audition. Est-ce le cas ailleurs ? Êtes-vous écoutés au sommet de l'État ?

Quels sont vos objectifs à court et moyen termes ? Quelle est la ligne rouge à ne pas dépasser ? Les mauvaises habitudes en matière de charges ne vont pas disparaître du jour au lendemain, mais nous aimerions connaître vos priorités.

- Présidence de M. Albéric de Montgolfier,vice-président -

M. Albéric de Montgolfier, vice-président. - Je vous prie d'excuser le départ du président Marini, qui doit assister à la Conférence des présidents pour établir le calendrier de la discussion du projet de loi de finances pour 2014.

M. Geoffroy Roux de Bezieux. - Nous aurions préféré une baisse des charges au CICE, car le crédit d'impôt différé n'est pas optimal, surtout pour les PME et les TPE. Le CICE ayant été créé, il n'est pas question de le remettre en cause. Certes, il ne réduira le coût du travail que de 20 milliards d'euros, alors que notre différentiel avec l'Allemagne s'élève à 50 milliards, mais modifier ce dispositif serait un mauvais signal en terme de cohérence, de lisibilité et de stabilité.

Cette année, seul un milliard d'avances a été débloqué par Bpifrance, mais c'est normal car elle a appliqué aux demandes d'avance des critères de banques commerciales reposant sur la notation de la Banque de France. Or, ce sont les entreprises en difficultés et qui ont une mauvaise note Banque de France qui ont demandé ces avances, ce qui explique le faible succès de la mesure.

Le CICE créé un effet de seuil, puisqu'il s'arrête à 2,5 smic. Or, tous les rapports montrent bien que les emplois de demain se situeront soit à des niveaux élevés - ingénieurs, informaticiens, des professionnels du net - qui ne seront pas concernés par le CICE, soit à des niveaux faibles, qui bénéficieront du CICE. Mon entreprise réalise 500 millions d'euros de chiffre d'affaire et ne perçoit que 118 000 euros de CICE, car le salaire moyen y est d'environ 3,5 fois le smic. Il aurait fallu que l'allègement du coût du travail concerne ces deux types d'entreprises.

M. Francis Delattre. - Est-il normal que le premier bénéficiaire du CICE soit la grande distribution ?

M. Geoffroy Roux de Bezieux. - Il est difficile de remettre en cause les critères d'attribution, d'autant plus que ce serait inconstitutionnel. Le CICE bénéficie en effet à la grande distribution, mais aussi La Poste, dont le contexte concurrentiel est modéré. Mais si la base d'attribution devient complexe, le système sera incertain. Le grand mérite du dispositif, c'est sa clarté.

Oui, monsieur Arthuis, nous regrettons la TVA sociale qui reste la meilleure solution pour transférer le coût du travail. Nous espérons que le premier pas du Gouvernement sera suivi d'autres, même s'il ne faudrait pas que les modifications soient trop fréquentes, car elles coûtent beaucoup d'argent aux entreprises qui doivent adapter leur outil informatique.

Ayant présidé l'Unédic entre 2008 et 2010, je confirme que la cogestion est une mauvaise gestion, car elle procède d'un compromis. Nous abordons la réforme de l'assurance chômage en voulant changer les choses. Nous avons mal géré depuis trente ans, mais la nouvelle équipe ne persévèrera pas dans cette voie.

M. Pierre Gattaz. - La formation professionnelle est une priorité : nous avons engagé des négociations afin de simplifier le système, de réduire les coûts. Nous devons répondre aux besoins des entreprises : 400 000 emplois par an ne sont pas pourvus. Nous voudrions qu'au moins un quart des demandes soient pourvues d'ici cinq ans. Créé par Vincent Peillon, le Conseil national éducation-économie, dont je suis membre, permettra de rapprocher ces deux mondes. Enfin, le Medef a récemment fait onze propositions pour que l'apprentissage se développe dans notre pays. Nous voulons cogérer avec les régions et avec l'éducation nationale les métiers de demain.

Le coût de la normalisation ? C'est une folie d'avoir 85 codes et 400 000 normes ! La RT2012 a induit une incroyable complexité dans le bâtiment et les travaux publics : le surcoût de cette règlementation thermique s'élève à 17 %. L'arrêté sur le calcul de l'énergie fait 1 250 pages ! Cet environnement est kafkaïen : je compte sur le choc de simplification pour inverser la tendance. Les Anglo-saxons et l'Europe du Nord connaissent les mêmes problèmes que nous (handicapés, coût de l'énergie...), mais ils fixent des objectifs plutôt que de multiplier les normes et de procéder à des contrôles administratifs.

Le coût de la protection sociale s'amplifie et nous sommes coresponsables de cette dérive. Nous avons créé des groupes de travail pour mieux gérer le paritarisme. Si nous ne faisons rien, le déficit de l'assurance chômage s'élèvera à 40 milliards. Nous devons trouver des solutions intelligentes et humaines pour régler cette question.

Nous devons aider les chefs d'entreprise à exporter. Nous allons essayer de généraliser Acamas, programme national d'aide à la stratégie pour les PME de la mécanique. Les groupes APM (Association progrès du managment) pour la formation des patrons vont se développer. Le projet Stratexio à l'exportation, porté par Jean Claude Volot, est une de nos priorités : exporter plus et mondialiser notre économie.

L'entreprise est un être vivant : elle naît, se développe, vit et meurt. Une entreprise, c'est une adaptation permanente entre deux tapis roulants : les clients et les marchés mais aussi les technologies et les sciences. Malgré des stratégies brillantes, des entreprises déclinent et meurent : regardez Nokia, Alcatel-Lucent... La flexisécurité est au centre de cette adaptation : l'accord national interprofessionnel sur la compétitivité et la sécurisation de l'emploi (ANI-I) a permis d'avancer, mais le patron français a encore peur d'embaucher, tandis que le salarié craint pour son emploi. Pour réduire cette double peur, il faut accroître l'employabilité de nos salariés. Dans ma société, la formation permanente est une de mes priorités, car en cas de difficulté économique, mes salariés pourront retrouver rapidement un emploi. Nos concitoyens doivent accepter l'idée qu'ils auront peut-être plusieurs employeurs au cours de leur carrière. Une fois que l'ANI-I se sera mis en place, pourquoi ne pas envisager un ANI-II ?

Nous avons une part de responsabilité dans la dérive des comptes sociaux, mais nous ne sommes pas seuls autour de la table. Nous ne voulons pas de déficits supplémentaires, car nous sommes des gestionnaires avant tout.

J'ai regretté la suppression de la TVA sociale. La droite comme la gauche doivent en finir avec les mesures politiciennes : l'enjeu, c'est le pays, les entreprises, l'emploi. Parfois en France, des mesures dogmatiques font des dégâts considérables à l'économie. La TVA sociale a été mise en place trop tard par le gouvernement précédent, mais elle permettait de régler le problème posé par la branche famille.

Vous m'avez interrogé sur mes priorités : il faudrait transférer le coût de la famille sur deux ou trois points de TVA et un point de CSG en trois ans, ce qui permettrait de financer les 36 milliards dévolus à la famille. La fiscalité de la consommation en France est la plus faible d'Europe, alors que celle sur le travail est plus élevée et celle sur le capital encore plus. Nous connaissons une sorte de mononucléose de la fiscalité : la plupart des pays européens qui s'en sortent bien ont une fiscalité de la consommation plus élevée, comme les pays du Nord où le coût du travail est moins élevé et le coût du capital encore moins élevé.

M. Philippe Dominati. - Vous voulez des transferts de charge, plutôt qu'une réduction de la fiscalité.

M. Pierre Gattaz. - Certes, mais j'ai été interrogé sur mes priorités à court terme : il faut en revenir en matière de fiscalité à la moyenne européenne.

Ma deuxième priorité, que j'ai exposée au Président de la République, concerne le lancement d'un pacte de confiance : les 80 fédérations professionnelles du Medef et les 120 Medef territoriaux ont tous signé une lettre s'engageant à créer un million d'emplois en cinq ans, à condition que le coût du travail baisse, que la fiscalité diminue de 50 milliards d'euros, que la simplification se traduise dans les faits, que les dépenses publiques diminuent - c'est une nécessité vitale : nous sommes prêts à beaucoup nous investir pour parvenir à cet objectif - et que les freins à l'emploi se desserrent. Dans ce domaine, les effets de seuil - 9 et 49 personnes - sont redoutables. Il y a deux fois et demie plus d'entreprises qui comptent 49 personnes que d'entreprises qui en ont 50 ! Le Cesu devrait être généralisé aux petites structures de moins de cinq personnes, ce qui permettrait de créer des dizaines de milliers d'emplois ; le service à la personne doit se développer, car là aussi des dizaines de milliers d'emplois sont en jeu. Nous voulons aussi réduire à zéro notre déficit commercial qui se monte à 65 milliards. On me dit qu'il en résulterait la création de 650 000 emplois. Même s'il n'y en avait que 100 000 de créés, cela vaut la peine de se fixer un tel objectif. Nous n'avons que 4 500 entreprises de taille intermédiaire (ETI) alors que les Allemands en ont 12 000, les Anglais 10 000 et les italiens 8 000. Pourquoi ? À cause de la fiscalité du patrimoine. Arrêtons avec l'ISF ! Taxons les oeuvres d'art, mais pas la poule aux oeufs d'or, l'entreprise. Là encore, la France n'a rien compris. Depuis trente ans, l'ISF fait des dégâts sur les ETI patrimoniales. J'ai perdu tous mes concurrents patrimoniaux français, alors qu'en Allemagne, ils vont tous très bien et recrutent des apprentis. L'Europe est là pour nous montrer la voie, mais notre pays continue imperturbablement dans une voie sans issue.

Enfin, il faudrait revoir le financement des entreprises. La fiscalité française doit être stratégique, incitative. Toute loi doit être votée à l'aune de la création d'emplois et de la compétitivité. La fiscalité doit être porteuse d'espoirs, d'emplois. Mais elle reste souvent dogmatique et parfois même punitive, tel un épouvantail à investisseurs.

M. Albéric de Montgolfier, vice-président. - Afin de rassurer le président Roux de Bézieux, je précise que La Poste ne va pas bénéficier de l'intégralité de son CICE.

Merci pour vos interventions.

Jeudi 7 novembre 2013

- Présidence de Mme Frédérique Espagnac, vice-présidente -

Rapport public thématique de la Cour des comptes relatif aux finances publiques locales - Audition de M. Jean-Philippe Vachia, président de la 4ème chambre de la Cour des comptes

La commission procède à l'audition de M. Jean-Philippe Vachia, président de la 4ème chambre de la Cour des comptes, sur le rapport public thématique de la Cour des comptes relatif aux finances publiques locales.

Mme Frédérique Espagnac, vice-présidente. - Nous recevons aujourd'hui Jean-Philippe Vachia, président de la quatrième chambre de la Cour des comptes, accompagné de Claude Lion, conseiller référendaire.

M. Jean-Philippe Vachia, président de la quatrième chambre de la Cour des comptes. - C'est un grand honneur pour moi de venir vous présenter ce premier rapport annuel thématique sur les finances locales. L'intérêt de la Cour des comptes pour ces questions n'est pas nouveau. Nous anticipons, avec ce travail, sur une obligation qui s'imposera sans doute bientôt à nous, si j'en crois le projet de loi de décentralisation en cours de discussion.

Pour élaborer ce rapport, nous avons conjugué le national et le local : enquêtes auprès d'administrations centrales et d'associations d'élus, exploitation de la base des 160 000 comptes locaux et des travaux des chambres régionales des comptes (CRC) portant sur 118 collectivités, auxquels s'ajoute une enquête sur des thèmes d'actualité auprès de 70 autres.

Nos appréciations s'inscrivent dans une approche globale des finances publiques, qui sont trop interdépendantes pour que nous puissions apprécier l'évolution des finances locales de façon autonome. Le déficit au sens de Maastricht imputable aux collectivités territoriales est modéré, 3 %, et leur contribution à l'endettement public, de 10 % seulement. Ces éléments doivent être replacés dans le cadre de flux financiers importants entre elles et l'État. Le transfert de recettes aux collectivités affecte nécessairement - toutes choses étant égales par ailleurs - le solde budgétaire de l'État et l'endettement public. Enfin, les contribuables aux impôts locaux et nationaux sont les mêmes.

Les engagements européens de la France, pacte de stabilité et de croissance et traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance (TSCG), ainsi que la loi organique de 2012 relative à la programmation et à la gouvernance des finances publiques prise en application de ce traité, englobent bien les administrations publiques locales.

La loi de programmation des finances publiques pour 2012-2017 prévoyait pour les collectivités territoriales une augmentation annuelle moyenne des dépenses de 0,7 % en volume entre 2014 et 2017 et le pacte de stabilité et de croissance, prévoit même une croissance plus limitée entre 2015 et 2017 (0,5 % en volume).

Or en 2012 la réalité est en décalage par rapport à cette trajectoire dès la première année, avec une augmentation d'un peu plus de 1 % en volume. On peut faire les mêmes constats s'agissant de la masse salariale.

Cela met en évidence l'insuffisance des outils de gouvernance des finances publiques locales et la nécessité de poser des règles plus contraignantes d'évolution des recettes et des dépenses. Une instance nationale (il en est prévu une dans le projet de loi) pourrait former un cadre permanent pour associer les collectivités territoriales aux mesures de redressement. Il est nécessaire de préciser les règles d'encadrement du solde, dans un pacte de gouvernance des finances locales inscrit dans la durée. L'État doit être en mesure de garantir le respect de ses engagements européens et de la trajectoire nationale des finances publiques.

Les collectivités ont vocation à participer au redressement des comptes publics. Ce n'est pas une affirmation ex cathedra de la Cour, c'est la traduction logique de la loi de programmation des finances publiques et des engagements européens. Il s'agit moins d'une question de solde que de maîtrise des dépenses, surtout de fonctionnement. En 2012 comme en 2011, celles-ci ont augmenté plus vite que les recettes de fonctionnement, réduisant l'épargne brute. Les prélèvements obligatoires sont déjà élevés, les concours financiers de l'État ont une limite : le seul remède aujourd'hui est la maîtrise des dépenses de fonctionnement.

Elles progressent car il faut satisfaire une demande de services. Elles augmentent également sous l'effet de facteurs exogènes, tels que le poids des normes ou les transferts implicites de charges ; quoi qu'il en soit, elles font peser le risque d'un fort déséquilibre à long terme, il importe donc d'identifier des marges de manoeuvre, sans en rabattre sur la qualité du service.

La masse salariale représente 35 % des charges de fonctionnement des collectivités, 52 % dans les communes. La Cour évalue à 40 % la part de l'augmentation imputable à des décisions nationales, telles que l'augmentation du Smic ou la création d'emplois d'avenir. Le reste dépend des décisions des collectivités. Sur la base des derniers chiffres connus, les effectifs ont cessé d'augmenter depuis 2010 - mais ces données sont approximatives dans la mesure où elles sont publiées par l'administration avec un décalage de deux ans - mais la masse salariale continue de progresser. Des marges de manoeuvre sont à rechercher dans le temps de travail - pas toujours à son maximum - le régime indemnitaire, le rythme d'avancement d'échelons ou de grades et l'organisation au sein du bloc communal, où l'on constate des taux d'administration très disparates. Par exemple, si les communes avaient maintenu leur masse salariale au niveau de 2011, elles auraient fait une économie de 850 millions d'euros.

La mutualisation au sein du bloc communal peut aussi être une source d'économies, si le transfert de services à l'établissement public de coopération intercommunale (EPCI) s'accompagne de la mutualisation des services fonctionnels. Nous n'avons pas pu percevoir un ralentissement de l'augmentation des dépenses qui lui soit imputable. Il faut donc aller plus loin. En application de la loi dite RCT et relative aux relations avec les collectivités territoriales votée en 2010, le président de l'EPCI, à partir de 2015, sera amené à établir un rapport sur les mutualisations de services entre le groupement et les communes membres qui comportera un schéma prévisionnel de mutualisation prévoyant l'impact prévisionnel de celles-ci sur les effectifs. La cour recommande également une évaluation ex port, ce qui exige une comptabilité consolidée des communes membres.

M. François Marc, rapporteur général. - Ce schéma ne saurait être qu'une simple agrégation de données, qui n'aura rien de prescriptif ; sinon, il contredirait le principe de libre administration des collectivités territoriales.

M. Jean-Philippe Vachia. - Le texte est formulé au présent de l'indicatif...

M. Philippe Adnot. - Je n'ai certainement pas voté cela !

M. Jean-Philippe Vachia. - Nous avons choisi, dans ce premier rapport, de nous pencher sur les dépenses de personnel. Toutefois il existe d'autres pistes d'économies...

Les mécanismes de solidarité entre collectivités doivent être renforcés. La péréquation verticale étant sous contrainte, la seule solution possible réside dans une péréquation horizontale, y compris entre catégories de collectivités. La réforme de 2010 remplaçant la taxe professionnelle par une autre fiscalité économique a engendré de grandes différences en termes de pouvoir fiscal : le bloc communal a conservé des marges de manoeuvre, le département et la région n'en ont plus guère. Nous n'avons pas encore atteint la stabilité fiscale. À terme, des difficultés apparaîtront chez les perdants de la réforme.

La Cour prend en considération les efforts des collectivités pour financer des services de proximité, contribuer au développement économique local, investir dans les infrastructures, mettre en oeuvre des politiques sociales et d'une manière générale exercer la plénitude de leurs compétences. Mais le nouvel acte de la décentralisation doit prendre en compte explicitement l'objectif de rationalisation et d'efficience. La clarification des compétences et la coordination des acteurs est une condition essentielle de l'assainissement des finances publiques. Une meilleure maîtrise des charges de fonctionnement, une meilleure qualité de l'information financière sont indispensables. Le rapport a une vocation pédagogique : éclairer les débats à venir.

M. Claude Lion, conseiller référendaire à la Cour des comptes. - La disposition de la loi de 2010 évoquée tout à l'heure figure à l'article L5211-39-1 du code général des collectivités territoriales (CGCT) : « Afin d'assurer une meilleure organisation des services, dans l'année qui suit chaque renouvellement général des conseils municipaux, le président de l'établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre établit un rapport relatif aux mutualisations de services entre les services de l'établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre et ceux des communes membres. Ce rapport comporte un projet de schéma de mutualisation des services à mettre en oeuvre pendant la durée du mandat. Le projet de schéma prévoit notamment l'impact prévisionnel de la mutualisation sur les effectifs de l'établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre et des communes concernées et sur leurs dépenses de fonctionnement. »

M. Philippe Adnot. - Jamais je n'ai voté pareille disposition !

M. François Marc, rapporteur général. - Comment faire participer les collectivités à l'effort de maîtrise des dépenses publiques, tout en tenant compte du fait qu'elles représentent 71 % de l'investissement public civil ? La Cour serait-elle favorable à la création d'une loi de finances des collectivités territoriales ? Est-ce que cette proposition aurait du sens ?

MM. François Trucy et Philippe Dallier. - Oh !

M. François Marc, rapporteur général. - Vous avez beaucoup parlé de mutualisation du personnel. Certains parmi nous, vous le constatez, se demandent comment le Sénat a pu voter l'obligation de mettre en place un schéma prévisionnel de mutualisation... Ce que je comprends, c'est qu'il s'agit d'un document purement indicatif, un exercice à destination des communes membres, pour les aider à rechercher des voies d'amélioration. Si vous souhaitez mettre en oeuvre des incitations financières à la mutualisation, comment les articuler avec la répartition des dotations ? Début 2014, nous mettrons en place un groupe de travail sur la dotation globale de fonctionnement (DGF), pour étudier des ajustements, voire une refonte, car certains n'en comprennent plus les paramètres. Quelle est votre position sur cette question ?

Dès 2005, la Cour des comptes avait appelé à la rationalisation des intercommunalités, constatant que la mutualisation des moyens n'avait pas apporté les économies d'échelles attendues, et soulignant le risque de dérive causée par des doublons. Huit ans après, quel bilan en faites-vous ? Y a-t-il eu des avancées ? Enfin, que pensez-vous de la recomposition de l'offre de financement des collectivités, avec la création de la Société de financement local (Sfil) et de la Caisse française de financement local (Caffil) ? Cela a-t-il suffi pour restaurer des moyens adéquats ? Les obstacles à la réalisation des projets locaux sont-ils levés ?

M. Jean-Philippe Vachia. - La contribution au déficit public des collectivités locales est égale à leur besoin de financement pour leurs investissements : ce déficit est donc d'une nature bien différente de celui de la sécurité sociale. On constate une chute continue de l'investissement des départements, une stagnation dans les régions, et une poursuite modérée dans le bloc communal, car la capacité à dégager un autofinancement varie entre les différents niveaux. La contribution des collectivités à la maîtrise des finances publiques ne doit pas les conduire à grever leur capacité d'investissement.

M. Philippe Dallier. - C'est pourtant ce qui se passe !

M. Jean-Philippe Vachia. - C'est pourquoi nous insistons sur les dépenses de fonctionnement. La capacité de désendettement et l'autofinancement des collectivités en dépendent fortement, et la situation peut vite déraper. Or elle est aujourd'hui fragile, même s'il n'a pas lieu de sonner le tocsin. L'investissement public local n'est pas forcément dans tous les cas une dépense saine et positive. Nous recommandons une appréciation ex ante de la rentabilité économique et sociale, à distinguer de la rentabilité commerciale bien sûr. Les coûts de fonctionnement ne sont pas toujours bien cernés. Au contraire, les investissements de renouvellement sont bons par nature ; mais ils nécessitent une meilleure connaissance des immobilisations qui forment le patrimoine des collectivités.

Deux associations d'élus ont évoqué la possibilité d'une loi de finances des collectivités territoriales. Pourquoi pas ? La loi de programmation des finances publiques et les engagements pris à Bruxelles sont aujourd'hui traduits dans la réalité par des baisses de dotations et par la règle d'or, très saine, mais insuffisante. Il manque une courroie de transmission. Une loi de gouvernance des finances locales ne serait pas inutile. Il s'agirait précisément de maîtriser les dépenses de fonctionnement, à périmètre constant, et de neutraliser les transferts de charges.

Je connais bien le travail de la Cour sur la mutualisation dans les intercommunalités, pour l'avoir piloté. Il y a eu des progrès depuis : en 2005, nous constations que les répartitions de compétences étaient souvent floues, que les services n'étaient pas forcément transférés avec les compétences et que la qualification de l'intérêt communautaire n'était pas toujours claire. Nous citons des bonnes pratiques dans le présent rapport. Un bémol cependant : on n'observe pas encore une modération générale de la progression des dépenses consolidées. Du reste, comment, sans les outils comptables appropriés, avoir une vision juste ? Nous constatons une augmentation normale des dépenses des EPCI, mais il manque un instrument pour en mesurer la contrepartie au niveau des communes. Le projet de loi de décentralisation esquisse un coefficient de mutualisation ; je ne veux pas entrer dans le détail, mais dans l'esprit, c'est tout à fait cela. Pour progresser, il faut mettre en place des services fonctionnels communs. Le partage de services avec des mises à disposition ascendante, c'est bien ; mais à terme, il faudra regrouper le personnel au niveau intercommunal, quitte à avoir des mises à disposition descendantes.

Nous consacrons un chapitre au crédit aux collectivités ; la situation, inquiétante en 2011, s'est passablement rétablie en 2012. Au-delà du plan de sauvetage de Dexia, l'apparition de la Sfil et de la Caffil, avec la Banque postale et la future agence de financement des collectivités, marque une recomposition de l'offre de crédit aux collectivités territoriales. La tendance est à des taux de marge plus importants, et à des financements par tour de table plutôt que par contrat exclusif avec une banque. Pour l'avenir, la situation ne suscite pas d'inquiétude. Reste un stock de 6 à 7 milliards d'euros d'emprunts très toxiques. L'avis du Conseil de normalisation des comptes publics (CNoCP) sur l'obligation de provisionnement n'est pas encore entré en vigueur ; mais il n'y a pas de solution miracle. On peut toujours espérer que la banque nationale suisse change de politique monétaire ! Et l'on peut imaginer un partage des coûts de sortie avec les banques.

M. François Marc, rapporteur général. - Une précision : le coefficient de mutualisation que vous évoquez sera-t-il accompagné d'une carotte financière ? La solution ne réside-t-elle pas dans une distribution de la DGF au niveau intercommunal ?

M. Jean Germain, rapporteur spécial de la mission « Relations avec les collectivités territoriales ». - Je vous remercie pour un rapport beaucoup plus acceptable que ce qu'en a dit la presse. Lire dans les journaux que la Cour des comptes « épingle la gestion des élus locaux », présentés comme des incapables, n'est guère agréable. Nombre d'élus locaux, de toutes tendances, ont été choqués. Ils se sont sentis poignardés. D'autant qu'ils abordent une année d'élection municipale... La Cour a peut-être un problème de communication. Elle devrait y veiller pour l'avenir.

Chacun en est d'accord, les collectivités doivent participer à l'effort de maîtrise des finances publiques ; mais l'État doit les aider à savoir ce qu'elles ont à faire. On ne peut pas donner la compétence générale à tout le monde et s'étonner des doublons ! La Cour pourrait utilement développer ce point, car après le vote du premier texte de décentralisation, on n'en sait guère plus qu'avant sur le partage des compétences. Lorsqu'une entreprise ferme, licenciant 800 salariés, le préfet de région et le préfet de département convoquent toutes les collectivités. Difficile de répondre que l'on n'a pas à s'occuper de la question ! Si la répartition des compétences n'est pas précisée, on n'en sortira pas. Vous dites que le bloc communal se porte un peu mieux que les autres catégories de collectivités. Oui, la commune, c'est le lieu de la stabilité. Raison de plus pour ne pas y toucher ! Or, si l'on suit vos suggestions, bientôt les trois niveaux fonctionneront mal !

Je suis d'accord avec votre analyse à propos de la mutualisation du personnel. Je suis moins optimiste sur les résultats, qui n'apparaîtront qu'à long terme et à condition que la clause de compétence générale soit remise en cause. J'ai été moi aussi choqué par le texte que vous avez cité : cet article L. 5211-39-1 sera d'application bien compliquée ! Les majorités sont diverses au sein des EPCI, qui ne sont pas des collectivités mais des établissements publics, et n'ont pas le droit d'imposer quoi que ce soit. Je ne doute pas qu'une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) interviendra ou que la loi sera modifiée d'ici 2015.

J'en profite pour indiquer que le nouveau mode d'élection des conseillers communautaires peut nous mettre en porte à faux car actuellement certaines décisions doivent être prises à l'unanimité, notamment en matière financière. Et lorsque toutes les tendances politiques seront représentées, il faudra bien du courage aux membres des conseils communautaires : ce sera pire que l'Europe. Il suffira d'un élu du Front national, qui s'oppose à tout, pour bloquer le fonctionnement commun. Il faudra donc sans doute revoir le mode de prise des décisions en matière financière.

Il faudra évaluer les effets de la mutualisation : par exemple, pour l'eau et l'assainissement, comparer le coût final dans le cadre d'une régie et dans celui d'une délégation - comparaison qui n'est pas toujours au bénéfice de la première.

M. Philippe Dallier. - Il y a des surprises !

M. Jean Germain, rapporteur spécial. - Et puis, ce ne se sont pas les élus locaux qui décident de l'augmentation du point d'indice. Les discussions sont menées par le ministère, avec les syndicats nationaux des personnels territoriaux, pour déterminer l'évolution du régime indemnitaire de tels ou tels techniciens.

Comme le dit notre collègue Jean-Pierre Chevènement, il vaut mieux être gouverné plutôt que « gouvernancé », même au niveau communal, surtout quand on sait où le « gouvernançage » nous a mené avec les fameuses autorités indépendantes. Voyez Dexia : ce ne sont pas les exécutifs locaux qui ont voulu souscrire des emprunts structurés, ce sont les successeurs du Crédit local de France, ces banquiers issus de la fine fleur de l'administration française, d'anciens inspecteurs généraux des finances, qui les ont proposés. Les clauses en sont bien compliquées, et les juges découvrent que le devoir d'information n'a pas été respecté. Ne faisons pas retomber la faute sur les élus locaux, une grande majorité d'entre eux a été trompée et j'espère que justice leur sera rendue un jour, au niveau national ou européen.

Votre rapport contient d'intéressantes propositions sur la comptabilité. Le régime des amortissements et le fonctionnement du fonds de compensation de la taxe sur la valeur ajoutée (FCTVA), qui est un instrument de régulation budgétaire, ne favorisent pas l'investissement actuellement. Il faudra y travailler.

Nul besoin d'un Haut conseil pour savoir que les taxes foncières et d'habitation sont bien plus élevées en province qu'à Paris. Ne cherchez pas les privilèges à Tours. Nous, misérables vermisseaux de province, sommes critiqués quand nous augmentons les impôts locaux pour faire fonctionner les écoles, les crèches ou encore le ramassage des ordures ménagères. Mais nos communes n'accueillent pas hélas, comme Paris, les sièges de grandes entreprises. Les perdants de la réforme, nous les connaissons, nous pouvons vous en fournir la liste.

Personne ne doit se substituer aux élus du suffrage universel direct en matière d'investissements. Comment estimer la rentabilité d'un équipement culturel ? La construction d'un théâtre ou d'une grande salle de musique est bien préférable à celle de stades de football pour l'Europa League, que nous impose l'État.

M. Pierre Jarlier, rapporteur spécial de la mission « Relations avec les collectivités territoriales ». - Voilà hélas un rendez-vous manqué. Le rapport montre combien les collectivités sont vertueuses - seulement 10 % de la dette publique, des budgets à l'équilibre, une situation du bloc communal encore satisfaisante. La présentation qui a été faite dans les médias a été bien différente. On a beaucoup entendu de critiques sur l'évolution des dépenses de personnel. Peut-être aurait-il fallu isoler les effets directs des normes, des transferts de charges, des nouvelles attentes de services, pour voir quelle part du dérapage est vraiment due aux collectivités : sans doute beaucoup moins qu'on l'a affirmé.

Le rapport examine le bloc local dans son ensemble, alors qu'il est extrêmement disparate. Peut-on comparer Paris et la région parisienne au Massif central ou à une zone périurbaine excentrée ? À l'avenir, l'approche devra être plus fine, car certains territoires souffrent, d'autres non.

Les effets de la péréquation issue de la réforme de 2010 ne sont pas encore entièrement perceptibles, avez-vous dit. Les perdants vont subir une double peine, ou plutôt une longue peine, incompressible, car les conséquences se feront sentir longtemps. Il faudra les aider grâce à des mécanismes de péréquation. Quels critères retenir pour la péréquation ? Comment définir la réelle richesse d'une collectivité ? Nous avons intégré dans les critères de mesure de richesse des collectivités les dotations de compensation de la réforme de la taxe professionnelle, ce qui fait paraître un peu plus riches les plus démunis. Tout le monde souhaite la péréquation mais la guerre est ouverte sur les critères, potentiel fiscal, financier, financier corrigé... Enfin, comment apprécier la réduction des écarts de richesse entre les collectivités ?

Les collectivités locales sont bien sûr d'accord pour participer à l'effort de redressement, mais celui-ci doit être équitablement réparti, en fonction des capacités contributives de chacune.

Jean Germain veut à bon droit une clarification des compétences, il s'inquiète de la situation à venir, après les élections communales. Jusqu'à présent, les EPCI, malgré les divergences politiques, travaillaient dans le consensus : les règles d'unanimité n'étaient pas un handicap. Si demain, un seul élu est hostile à l'intercommunalité, il empêchera de substantielles économies. Nous devrons faire évoluer des règles qui, en l'état, conduisent à des blocages. Sans clarification des compétences, JeanGermain a raison, il sera bien difficile de faire des économies.

M. Edmond Hervé. - Considérons la lettre, mais aussi l'esprit de ce rapport. Dans la conjoncture actuelle, attention à ne pas dresser les institutions les unes contre les autres. Quelles que soient nos divergences, tous nous estimons indispensable la solidarité entre l'État, les collectivités territoriales et la sécurité sociale. Lorsque l'on s'interroge sur une loi de finances pour les collectivités, il faut se méfier, car tout le monde ne comprend pas l'ironie diplomatique, un mode d'expression typique des Bretons. Une telle loi n'a de sens, en tout cas, qu'intégrée dans un ensemble où la solidarité avec l'État, garant du pacte républicain, est assurée. Le budget consacré aux collectivités est le deuxième ou le troisième plus important de l'État. Le dialogue est indispensable. Le grand changement depuis vingt ans, c'est la reconnaissance que les collectivités territoriales représentent elles aussi l'intérêt général. Voilà la grande révolution, le fondement de la décentralisation. Toutes les politiques publiques doivent être partenariales. Nous n'y échapperons pas. Je suis donc très attaché au pacte de responsabilité et de solidarité voulu par François Hollande. Il devra être rendu public et débattu, avant d'être voté.

S'agissant des dépenses de personnel, il est inacceptable d'opposer une prétendue rigueur parisienne et un supposé laisser-aller local. Nous avons connu à mainte reprise des grèves très dures dans nos collectivités territoriales ou dans les hôpitaux, elles n'entamaient pas la détermination des exécutifs. En revanche est-il normal qu'un jeune, Bac + 6 ou 7, recruté comme attaché par concours soit payé moins de 2 000 euros par mois ? Il y a de quoi désespérer, d'autant que les agents ne comptent pas leurs heures, et s'il faut animer une réunion le soir, ils n'hésitent pas, heures sup' ou non ! Ceux qui travaillent dans les centres communaux d'action sociale ou dans les offices HLM sont confrontés à une violence quotidienne, usante. Alors, prudence quand on fustige la progression de la masse salariale.

L'augmentation des effectifs est également liée à l'intercommunalité et elle révèle une évolution très positive. Ainsi, la mutualisation du ramassage des ordures ménagères a souvent exigé un personnel plus nombreux, car toutes les communes membres n'étaient pas à l'origine au même niveau. Dans les plus petites, souvent, un paysan passait avec son tracteur...

La révision générale des politiques publiques (RGPP) a été une chance pour les départements : les services déconcentrés de l'État s'appauvrissant, les départements ont été amenés à créer des services d'urbanisme, de conseil et d'expertise. Ils ont là un avenir comme experts des collectivités et intercommunalités. Là encore, un personnel étoffé est une chance.

Nous rencontrons certes des difficultés avec les pompiers, jadis personnel communal, puis intercommunal, maintenant rattaché au département. Leur statut varie considérablement selon les territoires. Mais partout les pompiers ont une grande capacité de pression sur leur employeur, grâce à leur popularité dans l'opinion publique.

Le temps fiscal en France est très long. La dernière grande réforme fut la contribution sociale généralisée (CSG). Concernant les valeurs locatives, je vous suggère, monsieur le président, de comparer la taxe d'habitation que vous payez à Paris avec celle que nous percevons à Tours ou à Rennes. Ces différences ne sont pas acceptables : ayons le courage de nous atteler à cette réforme. Si rien n'est fait, la fiscalité locale disparaîtra, ne resteront que des dotations. Je ne suis pas favorable à une telle évolution.

Un fossé se creuse, monsieur le président, entre votre institution et les instances locales. Pour ma part, je ne fais pas de complexe face aux hauts fonctionnaires. Je me félicite chaque jour de ne pas avoir écouté leurs avis lorsque j'avais à prendre pour ma ville de grandes décisions.

M. François Trucy. - Je me fais beaucoup de souci pour notre rapporteur général : je lui suggère de ne pas évoquer une loi de finances des collectivités locales lors du Congrès des maires et à l'approche des élections municipales. Prudence !

Ce rapport est très important et notre commission devra en exploiter les enseignements. Elle n'a jamais cherché à être populaire, ce qui tombe bien car elle va devoir énoncer des vérités qui dérangent.

Trop souvent, nous nous comparons à nos voisins, mais il est difficile de comparer ce qui ne peut l'être : les Länder n'ont rien à voir avec nos régions !

La Cour des comptes a-t-elle examiné les avantages et les inconvénients des régies directes et des délégations ? Les maires sont bien embarrassés lorsqu'ils doivent choisir.

M. Philippe Dallier. - Vous ne voulez pas sonner le tocsin, avez-vous dit, mais n'êtes-vous cependant pas un peu optimiste au sujet du bloc communal ? Jusqu'en 2012, les conséquences de la réforme n'ont pas été trop graves, même si les dépenses de fonctionnement augmentaient plus vite que les recettes. Cet effet de ciseaux va s'accélérer, avec la baisse des dotations, des droits de mutation (en deux ans, 40 % de moins dans certains territoires), la montée en charge de la péréquation, qui va pénaliser les contributeurs, et le coût de la réforme des rythmes scolaires. Je vais perdre en trois ans la moitié de l'autofinancement que j'ai mis quinze ans à constituer. Comment faire face à cette évolution ? Augmenter les impôts ? Certes non. Accroître les dettes ? Je ne le veux pas. La seule solution est de réduire les investissements. Les communes bénéficiaires de la péréquation sont les plus pauvres : elles consacreront ces crédits plutôt aux dépenses de fonctionnement qu'à l'investissement. Le choc du sous-investissement des collectivités locales est devant nous. Mon analyse est-elle trop pessimiste ?

Certains journalistes s'inspirent d'une fameuse citation de Pierre Lazareff. Pour faire de l'audience, il faut grossir le trait. Autrement dit, les erreurs n'en sont pas toujours !

Le site « contribuables.org » classe les maires en fonction de leurs dépenses. Maire depuis 1995, j'ai divisé la dette par trois, triplé l'autofinancement sans toucher aux impôts. Sur ce site, il est dit que la santé financière de la commune est excellente, mais aussi que les dépenses augmentent de 15 % par an depuis 2008 - car fonctionnement et investissement sont additionnés ! Les prélèvements annuels augmentent de 1,8 % depuis 2008 tandis que la dette diminue de 5,4 % par an. Or, j'obtiens comme note globale... zéro sur vingt ! Je suis un maire dépensier car j'ai dégagé une capacité d'autofinancement ! Ici, nous en rions, parce que nous savons lire les budgets locaux. Mais combien, parmi nos concitoyens, se plongent dans les annexes budgétaires ? Proposons un modèle pour noter réellement les collectivités locales afin de contrer ce genre d'entreprise. Il ne faut pas laisser de tels sites prospérer.

Dans un rapport sur l'intercommunalité que j'avais rendu en 2006 au nom de l'Observatoire de la décentralisation, j'écrivais, comme vous le faites dans votre rapport, qu'il était très difficile de comparer les groupements, car les compétences transférées varient. Je plaidais pour la création d'un coefficient d'intégration fonctionnelle, car le coefficient d'intégration fiscale ne signifie pas grand-chose. Le péché originel, c'est d'avoir, pour inciter les maires à rejoindre des intercommunalités, donné des primes financières aux groupements quel que soit l'effort réel d'intégration et sans rien retirer de leurs dotations aux communes.

Il faudrait évoquer aussi le coefficient de rigidité des dépenses, qui n'inclut que les dépenses de personnel, sans prendre en compte le périmètre - ce qui est délégué et ce qui est fait en interne. Nous devons progresser sur tous ces sujets, il y a là un enjeu de démocratie.

M. François Marc, rapporteur général. - Je remercie François Trucy de sa délicate attention. Il craint que je ne m'expose trop lors du Congrès des maires. Tout le monde a bien compris que ma question était une provocation : je reprends sans la soutenir une suggestion de certaines associations d'élus, et non des moindres, reprise par Alain Lambert qui est chargé d'une mission importante, de modernisation de l'action publique.

M. Edmond Hervé. - Il y a l'ironie corrézienne et l'ironie finistérienne.

M. Jean-Philippe Vachia. - Certes, Edmond Hervé, je suis parisien mais certains membres de ma famille habitent en banlieue ou en province. Il m'est arrivé de me pencher sur nos impôts locaux respectifs. Rassurez-vous, je ne suis pas un haut fonctionnaire hors-sol.

Jean Germain et Pierre Jarlier m'ont interrogé sur la publicité donnée à ce rapport. Nous avons été déçus du traitement journalistique qui en a été fait, car nous n'avons nullement cloué au pilori la gestion des élus locaux, seulement exposé clairement la problématique des finances locales. Et notre communication n'a pas été différente de ce qu'elle est pour les autres rapports. Celui-ci a vocation à être pérennisé, c'est ce que devrait prochainement décider le Parlement. À l'avenir, j'espère que le débat portera sur le contenu réel.

Globalement, la gestion des élus locaux n'est pas mauvaise ; grâce à la règle d'or, les grands équilibres sont préservés, mais les chambres régionales des comptes constatent certaines dérives. En outre, dès lors que l'État a pris des engagements européens sur l'évolution des grands équilibres, il est normal de veiller à la cohérence, y compris des dépenses locales.

Sur les dépenses de personnel, nous avons bien montré, précisément, que tout n'est pas la faute des élus locaux. La politique nationale de l'emploi public explique en partie les dérapages, et la hausse du Smic s'impose aussi aux employeurs publics. Or, avec 70 % d'agents en catégorie C, les collectivités subissent de plein fouet chaque augmentation du Smic ; la fonction publique d'État, elle, compte moins de 35 % d'agents en catégorie C.

C'est au Parlement de se prononcer sur la clause de compétence générale.

M. Jean Germain, rapporteur spécial. - Pas seulement au Parlement. C'est un choix majeur.

M. Jean-Philippe Vachia. - Sur la mutualisation, je suis d'accord avec Edmond Hervé : il a fallu mettre à niveau les services techniques. Nous sommes à présent dans une nouvelle phase, l'enjeu est d'organiser les services fonctionnels au niveau de l'intercommunalité. Oui la mutualisation est un processus long.

Un coefficient de mutualisation pourrait être utilisé pour moduler la DGF. Une dotation de fonctionnement intercommunale redistribuée a effectivement du sens, monsieur le rapporteur général. Reste à trouver un mode de calcul, à éviter de compter deux fois les mêmes choses et d'en oublier d'autres, à distinguer entre mutualisation véritable et empilement.

M. François Marc, rapporteur général. - La DGF intercommunale serait-elle pour vous une bonne base de travail ?

M. Jean-Philippe Vachia. - Nous ne nous prononçons pas sur ce point.

Des travaux sont en cours sur les régies et les délégations.

François Trucy m'a interrogé sur les comparaisons internationales : nous en avons fait en matière de gouvernance des finances locales. Nous ne regardons pas seulement les Länder allemands, mais aussi les Kreise et les communes - collectivités qui sont sous la tutelle, que dis-je, la férule des Länder - ou encore, en Angleterre, les local authorities.

J'en viens aux emprunts structurés. La faute aux banquiers ? Oui et non. Ils auraient certes dû s'abstenir de proposer ce type de produits, mais les responsables locaux ont-ils vraiment cru qu'ils pouvaient payer des taux d'intérêt dérisoires pendant quelques années sans prendre de risque pour l'avenir ?

M. Jean Arthuis. - Le père Noël n'existe pas.

M. Jean-Philippe Vachia. - Acceptant ce type de prêts, les élus se mettaient entièrement entre les mains de leur banquier. Tout attaché d'administration est capable de procéder à une évaluation et une simulation de ce type de risque. Pour l'avenir, nous suggérons, sur des prêts comparables, un provisionnement à hauteur des taux de marché, durant la première période, la plus légère pour l'emprunteur ; ce, afin de ne pas reporter sur les successeurs une charge excessive. Le système est pervers et je pense que les torts sont partagés. Du reste, toutes les collectivités n'ont pas eu recours à ce genre de prêts !

M. Jean Germain, rapporteur spécial. - Il ne faudrait tout de même pas exonérer les banquiers de leurs responsabilités. Bientôt on affirmera que la crise financière n'est pas non plus de leur faute ! Dans certains cas, les taux proposés n'étaient pas si faibles, mais les banquiers recommandaient chaudement leur produit. Ils ont manifestement manqué à leur obligation de conseil.

M. Jean-Philippe Vachia. - J'incite les collectivités à prendre plusieurs conseils plutôt que de se fier uniquement à leur banquier.

M. Jean Arthuis. - Ah, l'aveuglement des marchés financiers !

M. Jean Germain, rapporteur spécial. - Il a bel et bien existé.

M. Jean-Philippe Vachia. - Je suis d'accord avec Pierre Jarlier sur la difficulté à calculer les différences de richesse entre collectivités. L'instrument de mesure actuel ne donne pas satisfaction. Nous reviendrons sur la péréquation dans le prochain rapport.

M. Pierre Jarlier, rapporteur spécial. - Bonne nouvelle.

M. Jean-Philippe Vachia. - Nous examinerons les objectifs de la péréquation, l'ampleur de celle-ci, les critères appliqués, variables d'un dispositif à l'autre. À chaque loi de finances, le Parlement affine, ajoute, pondère - pour de très bonnes raisons, mais la cohérence d'ensemble en pâtit. Certes, il faut à la fois prendre en compte la richesse et les charges, mais apprécier aussi la réduction des écarts de richesse, comme vous le proposez. Le travail est en cours.

M. Pierre Jarlier, rapporteur spécial. - Très bien.

M. Jean-Philippe Vachia. - Philippe Dallier me demande si nous n'avons pas été trop optimistes, Edmond Hervé nous reproche trop de sévérité. Nous avons simplement essayé de faire une analyse de risques pour 2013 et 2014, même si la Cour des comptes n'est pas un organisme de prévision économique. Or il nous apparaît évident que pour respecter les grands équilibres et préserver les investissements, les dépenses de fonctionnement doivent être mieux encadrées.

Vous parlez du site « contribuables.org » : je profite de l'occasion pour préciser que nous n'avons rien à voir dans ces excès.

Quelques mots du serpent de mer des valeurs locatives : chaque année, l'assiette est réévaluée, mais avec des distorsions qui vont s'aggravant. Combien de temps cela continuera-t-il ?

Cette question renvoie à la mesure des écarts de richesse et nous sommes frappés par les différences grandissantes entre les collectivités. Jusqu'à la fin des années 2000, la DGF progressait plus que le PIB, ce qui atténuait les difficultés ici et là. En outre, la marge de manoeuvre fiscale, avec l'ancienne taxe professionnelle, était plus grande. Les écarts sont aujourd'hui plus visibles, également, du fait du resserrement des crédits publics. Nous ne souhaitons pas que la fiscalité locale disparaisse au profit de concours financiers de l'État, mais l'évolution va nécessairement vers plus de péréquation, donc plus de ressources redistribuées entre les collectivités et moins de marges fiscales.

M. Jean Arthuis. - Quelle est la fiabilité de l'information budgétaire et financière des collectivités territoriale, mais aussi des hôpitaux et de la protection sociale ?

Une reddition des comptes plus lisible serait également une amélioration, utile pour les gestionnaires locaux comme pour les contribuables. Elle devrait inclure à mon sens une situation patrimoniale de la collectivité. Un contrôle de la chambre régionale des comptes tous les quatre ou cinq ans ne suffit pas. Il faut une certification annuelle de la sincérité des comptes publics, y compris pour les communes. Si nous voulons que la gestion s'améliore, que les décisions soient prises en toute lucidité, les gestionnaires doivent disposer d'instruments leur donnant une image fidèle de la situation au jour le jour.

M. Jean-Philippe Vachia. - Je partage votre appréciation sur l'insuffisante qualité des informations financières.

M. Jean Arthuis. - Les baux emphytéotiques, les partenariats public-privé, sont autant d'échappatoires...

M. Jean-Philippe Vachia. - Nous préconisons la création d'un compte financier unique, comprenant un état d'exécution budgétaire, un compte de résultat, un bilan et une véritable annexe, comme pour le budget de l'État. Il faudrait fusionner compte de gestion et compte administratif - actuellement illisibles - pour en faire un document d'une trentaine de pages, donnant une véritable information financière. Les parties prenantes - Bercy, le ministère de l'intérieur, les collectivités - en acceptent l'idée. Les collectivités locales, dans les années quatre-vingt-dix, avaient pris de l'avance sur l'État, mais celui-ci a nettement repris l'avantage grâce à la loi organique relative aux lois de finances (LOLF) et la nouvelle certification des comptes de l'État, dont les résultats sont remarquables en termes de qualité comptable.

Nous souhaiterions également une certification des comptes des grandes collectivités, avec une expérimentation, à mener sous la houlette de la Cour des comptes. L'obligation de certification est une extraordinaire incitation à améliorer l'information financière locale. Ce chantier est fondamental. Si l'on veut progresser vers la consolidation des comptes et l'agrégation des risques, y compris ceux du hors-bilan, partenariats publics privés (PPP) et autres, il y a beaucoup à faire. Aujourd'hui, on connaît au centime près des risques minimes mais ceux qui peuvent ruiner la santé d'une collectivité pendant des décennies demeurent invisibles. Nous devons mettre un terme à cette incohérence.

Mme Frédérique Espagnac, vice-présidente. - Merci pour votre contribution.