Mercredi 21 juin 2023

- Présidence de Mme Catherine Deroche, présidente -

La réunion est ouverte à 9 h05.

Rapport sur l'application des lois de financement de la sécurité sociale (Ralfss) - Audition de Mme Véronique Hamayon, présidente de la sixième chambre, MM. Nicolas Fourrier et Jean-Luc Fulachier, conseillers maîtres, et Thibault Perrin, conseiller référendaire à la Cour des comptes

Mme Catherine Deroche, présidente. - Mes chers collègues, nous recevons ce matin Mme Véronique Hamayon, présidente de la sixième chambre, MM. Nicolas Fourrier et Jean-Luc Fulachier, conseillers maîtres, et Thibault Perrin, conseiller référendaire à la Cour des comptes, afin qu'ils nous présentent le rapport de la Cour sur l'application des lois de financement de la sécurité sociale (Ralfss).

J'indique que cette audition fait l'objet d'une captation vidéo retransmise en direct sur le site du Sénat, qui sera ensuite disponible en vidéo à la demande.

Nous entendons chaque année la Cour des comptes, afin qu'elle nous présente son rapport. L'audition de ce matin revêt toutefois un caractère particulier, puisque c'est la première fois que s'appliquent les nouvelles dispositions organiques aux termes desquelles « chaque année, la Cour des comptes établit un rapport sur l'application des lois de financement de la sécurité sociale conjoint au dépôt du projet de loi d'approbation des comptes de la sécurité sociale ». Vous pourrez d'ailleurs nous préciser, le cas échéant, les conséquences que ce nouveau calendrier a pu avoir sur vos travaux.

C'est donc afin d'aider la commission à former son jugement sur le projet de loi d'approbation des comptes de la sécurité sociale que nous vous entendons, jugement qui fera désormais l'objet d'un vote, la semaine prochaine en commission, et le 3 juillet en séance publique.

À cet égard, même si cela dépasse le simple cadre de votre rapport, nous ne pouvons qu'être interpellés par le refus de la Cour des comptes, cette année encore, de certifier les comptes de l'une des branches de la sécurité sociale.

Madame la présidente, je vous laisse sans plus attendre nous présenter le Ralfss. La rapporteure générale, les rapporteurs des différentes branches de la sécurité sociale et les commissaires qui le souhaiteront pourront ensuite vous interroger.

Mme Véronique Hamayon, présidente de la sixième chambre de la Cour des comptes. - Madame la présidente, madame la rapporteure générale, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie de votre invitation, qui me donne l'occasion de vous présenter le rapport sur la certification des comptes de la sécurité sociale, ainsi que le rapport sur l'application des lois de financement de la sécurité sociale. Je suis accompagnée ce matin de M. Jean-Luc Fulachier, président de la première section de la sixième chambre, de M. Nicolas Fourrier, notre rapporteur général, ainsi que de M. Thibault Perrin, rapporteur général adjoint.

Le rapport est établi, comme chaque année, dans le cadre de la mission constitutionnelle de la Cour des comptes d'assistance au Parlement. Cela étant, il s'agit d'une grande première, car ce rapport accompagne désormais le projet de loi d'approbation des comptes de la sécurité sociale, équivalent de la loi de règlement pour l'État, qui a été présenté pour la première fois cette année, et qui sera discuté au Parlement dans le courant du mois de juin. Il n'accompagne donc plus le projet de loi de financement de la sécurité sociale au mois de septembre, comme c'était le cas précédemment.

Il s'agit d'une avancée importante en termes de gouvernance des finances sociales que la Cour a elle-même souhaitée. Nous nous réjouissons que le Parlement ait à connaître spécifiquement de l'exécution des recettes et des dépenses sociales, exercice indispensable à l'évaluation et au bilan des politiques publiques conduites par la sécurité sociale.

Ce rapport reste un exercice annuel traditionnel pour la Cour. Il intervient toutefois dans un contexte un peu particulier marqué, d'une part, par la déclaration de l'Organisation mondiale de la santé sur la fin de l'urgence sanitaire liée à la pandémie de la covid-19 et, d'autre part, par l'affaiblissement sensible de la croissance en raison du choc d'inflation et des conséquences de l'invasion russe de l'Ukraine et, plus généralement, par une très forte incertitude sur l'évolution des paramètres macroéconomiques.

La première partie du Ralfss présente une analyse des comptes de la sécurité sociale pour l'exercice 2022 et leurs perspectives d'évolution pour les années à venir.

Ceux-ci resteront durablement dégradés malgré une amélioration temporaire en 2023 : un effort de redressement durable des finances de la sécurité sociale nous semble donc nécessaire. À défaut, nous n'aurions aucune marge de manoeuvre pour investir dans l'avenir. Nous devrons également faire face aux coûts associés à l'augmentation rapide, ces prochaines années, du nombre de personnes âgées dépendantes, dont les conditions de vie doivent rester dignes. Il est enfin nécessaire de ne pas transférer aux générations futures le financement de nos dépenses courantes. Cette responsabilité collective, ce contrat entre générations nous oblige.

Nous devons donc être très attentifs à la qualité de la dépense sociale, comme d'ailleurs, à la qualité de toute dépense publique.

Le Ralfss que je vous présente aujourd'hui esquisse des pistes pour améliorer l'utilité, la valeur ajoutée, l'efficacité des dépenses de sécurité sociale, bref, le service rendu à nos concitoyens. Il fournit plusieurs illustrations de ce qui pourrait être perfectionné, en dressant un bilan des mesures ou des réformes prévues par les récentes lois de financement de la sécurité sociale que vous avez adoptées - c'est l'objet de la deuxième partie du rapport.

Nous nous intéressons également à des domaines ou des sujets qui n'ont pas, à notre sens, bénéficié d'une attention suffisante ces dernières années ; tels sont les sujets traités dans la troisième partie du rapport.

Ces deux préoccupations, financière et qualitative, sont encore cette année au coeur de notre rapport. Plutôt que d'en détailler successivement les différents chapitres, je voudrais en souligner les cinq principaux enjeux.

Le premier enjeu a trait aux conditions de certification des comptes des caisses et des branches du régime général par la Cour des comptes, le deuxième à la situation financière actuelle et future de la sécurité sociale, le troisième à la réforme de notre système de santé, le quatrième à l'amélioration des services rendus aux usagers ou aux assurés sociaux, le cinquième, enfin, à la lutte contre la fraude.

Concernant les comptes de la sécurité sociale et leur certification, nous souhaitons attirer l'attention sur quatre points.

Tout d'abord, la comparabilité des produits et du résultat entre les exercices 2022 et 2021 n'est pas assurée. En effet, certains produits de prélèvements sociaux auxquels sont assujettis les travailleurs indépendants, qui auraient dû être comptabilisés en 2020, l'ont été en 2021.

Lors de l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2023, le Parlement, contre l'avis du Gouvernement, a pris en compte la correction demandée par la Cour et a en conséquence approuvé, pour 2021, des recettes s'élevant à 5 milliards d'euros, montant inférieur à celui qui ressortait des comptes approuvés par les branches du régime général. Les organismes nationaux du régime général et leur tutelle ont toutefois refusé d'établir les comptes pro forma de l'exercice 2021 que la Cour avait demandés.

Seule une information ponctuelle a été apportée dans l'annexe aux comptes. Il y a donc un écart de 5 milliards d'euros entre les comptes de l'exercice 2021 tels qu'ils ont été approuvés par les caisses nationales de sécurité sociale et les tableaux d'équilibre approuvés par le Parlement.

Ensuite, nous avons refusé de certifier les comptes de la branche famille pour 2022 en raison des insuffisances du contrôle interne de la branche. En effet, les erreurs qui affectent les prestations neuf mois après leur mise en paiement représentent près d'un quart des montants versés au titre de la prime d'activité, près d'un sixième des montants versés au titre du RSA, et près d'un huitième des montants versés au titre des aides au logement.

De surcroît, l'indicateur de risque financier résiduel à vingt-quatre mois montre que les rappels et les indus, qui ne seront jamais corrigés, représentent 5,8 milliards d'euros. Ce montant a doublé en quatre ans seulement. La Caisse nationale des allocations familiales (Cnaf) met en oeuvre des contrôles insuffisants et ne s'est pas dotée d'une stratégie de redressement à court terme.

L'ensemble de ces éléments nous a poussés à refuser de certifier les comptes de la branche - je précise que ce n'est pas la première fois que la Cour refuse de certifier les comptes d'une branche de la sécurité sociale.

Par ailleurs, la Cour réitère ses critiques sur l'absence de combinaison des comptes de la branche vieillesse avec ceux du Fonds de solidarité vieillesse (FSV), ainsi que sur l'absence d'engagements hors bilan pour les retraites futures, comme le fait par exemple l'État pour ses comptes.

Enfin, la gestion de l'indemnité inflation exceptionnelle, qui a été versée à 38 millions de foyers pour un montant de 100 euros par bénéficiaire, par les organismes de sécurité sociale a provoqué 1,7 million de doublons. La récupération des indus est très incertaine, voire quasi impossible, comme nous l'ont confirmé à la fois le ministère des finances et l'ensemble des caisses de sécurité sociale et leur tutelle. La difficulté à récupérer ces indus est en effet presque consubstantielle à la manière dont a été créée et mise en place l'indemnité inflation.

L'ensemble des travaux de certification des comptes de la sécurité sociale ont contribué à alimenter la première partie du Ralfss.

Le déficit des régimes obligatoires de base de la sécurité sociale s'établit à un niveau très élevé - 19,6 milliards d'euros - en 2022. Il devrait s'améliorer significativement en 2023 et atteindre 8,2 milliards d'euros, sous l'effet à la fois du reflux de la crise sanitaire et de la forte progression de la masse salariale qui constitue, comme vous le savez, l'assiette principale des recettes de la sécurité sociale.

Cette tendance favorable devrait toutefois s'interrompre dès 2024. Le déficit de la sécurité sociale devrait recommencer à augmenter. En effet, si la réforme des retraites promulguée en avril 2023 doit avoir des effets positifs sur le solde de la branche vieillesse, il est avéré qu'elle ne devrait pas permettre à elle seule de rétablir l'équilibre des comptes à l'horizon 2030.

Le régime général, et plus encore le régime géré par la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales (CNRACL), resteraient structurellement déficitaires.

Dans ces conditions, la question du financement des déficits sociaux se posera dès l'exercice 2024. L'Agence centrale des organismes de sécurité sociale (Acoss) ne sera pas en mesure de prendre en charge ces déficits, et la Caisse d'amortissement de la dette sociale (Cades) ne pourrait le faire qu'au prix d'une nouvelle prolongation de son existence au-delà de 2033. Si une telle décision était prise, la contrepartie devrait en être, nous semble-t-il, la mise en place d'un programme de réformes.

Le respect de la trajectoire des dépenses prévue suppose en outre que l'objectif national de dépenses d'assurance maladie, l'Ondam, soit respecté. Or les dépenses d'assurance maladie progressent à vive allure depuis 2021 en raison, non seulement des charges exceptionnelles liées à la crise sanitaire et des mesures salariales décidées dans le cadre du Ségur de la santé, mais aussi d'une croissance forte de la dépense, notamment pour ce qui concerne les indemnités journalières et les produits de santé.

L'Ondam pour 2023 et les prévisions pour les années ultérieures marquent la volonté des pouvoirs publics de donner un coup d'arrêt à cette progression. L'hypothèse d'évolution de l'Ondam est ainsi particulièrement volontariste, puisqu'elle est inférieure aux prévisions en termes d'inflation pour 2023 et 2024.

Toutefois, il ne suffit pas de fixer un objectif pour que ce dernier soit atteint. Nous recommandons par conséquent qu'un certain nombre de mesures correctrices soient prises en cas de dérapage, quelle qu'en soit la cause, et que plusieurs dispositifs de régulation soient mis en oeuvre pour l'ensemble des secteurs qui n'en disposent pas encore, notamment pour ce qui est des soins de ville et des indemnités journalières.

L'évolution des déficits et de la dette de l'hôpital public, qui n'entrent pas dans le champ de l'Ondam, constitue en outre une source de fragilité particulière.

La loi organique du 14 mars 2022 relative aux lois de financement de la sécurité sociale a créé une nouvelle annexe aux projets de loi de financement de la sécurité sociale, qui doit permettre de s'assurer que les recettes des hôpitaux sont suffisantes pour qu'ils puissent investir dans leur modernisation, sans que leur dette augmente.

Pour permettre un réel suivi de la situation financière des établissements de santé, nous recommandons d'accélérer le versement des dotations de fin d'exercice aux hôpitaux publics - actuellement, elles sont versées à la mi-mars de l'année suivante - et de finaliser plus rapidement le calendrier d'établissement de leurs comptes - actuellement, il est bouclé en juillet de l'année suivante. Il faut aussi homogénéiser les informations financières entre chaque catégorie d'établissements, hôpitaux publics et cliniques privées à but lucratif ou non.

J'en viens maintenant au troisième enjeu central pour l'avenir de l'assurance maladie, celui de l'efficience de notre système de santé et, notamment, des soins de ville. Ce chantier doit être envisagé avec beaucoup de clarté, de détermination et, surtout, de constance.

Nous l'illustrons au travers de trois exemples portant sur les expérimentations engagées au titre de l'article 51 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2018, qui concernent la situation des services d'aide médicale urgente (Samu), celle des services mobiles d'urgence et de réanimation (Smur) et, enfin, les actions dites de « maîtrise médicalisée » des dépenses de santé.

Tout d'abord, nous avons examiné le cadre dans lequel les quelque 120 expérimentations ont été engagées depuis 2018 pour tester de nouveaux modes de tarification et d'organisation des soins.

La Cour est pleinement consciente que la réforme de notre système de santé n'est pas chose simple. L'expérimentation est utile pour mieux adapter la réforme aux besoins, mais aussi pour démontrer par l'exemple, en permettant aux professionnels de santé de s'approprier de nouveaux modes de travail plus collaboratifs et coordonnés.

Nous constatons cependant que, jusqu'ici, rien n'a été fait pour préparer la généralisation de ces expérimentations. La Cour rappelle par conséquent que, lorsque les doutes sont levés sur l'utilité de certaines évolutions, il est impératif de mettre en oeuvre les dispositifs dès que possible. La technique de l'expérimentation ne doit en effet pas devenir un moyen dilatoire pour repousser l'engagement de réformes utiles à nos concitoyens, qui contribuent à offrir des soins plus efficaces, de meilleure qualité et plus économes des ressources de l'assurance maladie.

Nous avons également souhaité examiner la situation de la régulation médicale autour des Samu, des Smur, et du nouveau concept de service d'accès aux soins (SAS), qui est censée apporter une solution aux demandes de soins restées sans réponse de la part de la médecine de ville.

Nous constatons que, depuis 2014, le nombre d'appels reçus par les Samu a augmenté de 22 %. Du fait d'un rattrapage que nous estimons nécessaire et en raison de la création des SAS, le coût total des dispositifs concourant au fonctionnement de la régulation médicale a augmenté de 46 % entre 2016 et 2022, hausse qui pourrait même atteindre 62 % en 2023.

S'il est normal que les Samu bénéficient d'un rattrapage de moyens, le succès des investissements dans les services d'accès aux soins dépendra de la capacité de la médecine libérale à se mobiliser et à s'organiser, afin que toute personne ayant besoin d'être examinée par un médecin généraliste en ville puisse bénéficier d'une consultation dans les quarante-huit heures. La Cour sera très attentive à ce que cet objectif soit mesuré et atteint.

Enfin, la Cour aura l'occasion, dans le cadre de l'exercice de revue des dépenses publiques, de revenir, fin juin ou début juillet, sur la question de l'efficience des soins de ville, qui représentent, comme vous le savez, le premier poste de dépenses de l'assurance maladie, soit environ 45 % de l'objectif national.

En attendant, nous avons porté un regard critique sur les économies figurant chaque année en annexe du projet de loi de financement de la sécurité sociale au titre de ce qui est appelé communément la « maîtrise médicalisée ».

Nous avons démontré le caractère artificiel des économies présentées. Notre démonstration n'est contestée ni par l'administration ni par l'assurance maladie.

En outre, force est de constater que les actions conduites jusqu'ici par l'assurance maladie pour rendre plus efficientes les dépenses de prescriptions des médecins de ville n'ont pas été efficaces, à en juger par la consommation de médicaments génériques. La France reste en effet dans une situation moins favorable que celle de ses voisins, notamment l'Allemagne, puisque la consommation de génériques est deux fois plus faible en France qu'en Allemagne.

J'en arrive maintenant au quatrième enjeu, celui de la qualité du service rendu aux usagers. Nous prenons quatre exemples, qui montrent à des degrés divers l'importance des efforts à consentir pour justifier de l'usage pertinent des sommes considérables que nous consacrons à notre système de sécurité sociale.

Tout d'abord, nous nous sommes intéressés à l'objectif de parité entre les hommes et les femmes en ce qui concerne les pensions qui leur sont servies.

Prévu par le code de la sécurité sociale, cet objectif est loin d'être atteint : les femmes percevaient en 2020 une pension de retraite dont le montant est inférieur de 28 % en moyenne à celui des hommes. L'écart de pension, hors réversion, est plus important encore, puisqu'il s'élève à 40 %.

Sans les dispositifs de solidarité, la pension moyenne de droit direct des femmes serait inférieure de 50 % à celle des hommes. Ces écarts importants ne seront pas substantiellement modifiés par la réforme des retraites.

Environ 50 milliards d'euros sont dépensés chaque année dans le cadre de mécanismes complexes liés aux droits familiaux de retraite et aux dispositifs de réversion. Nous sommes convaincus que la remise à plat de ces mécanismes permettrait de les rendre plus efficaces, à moindre coût pour la collectivité.

Nous avons également examiné les règles et la gestion de l'indemnisation des congés maternité et paternité.

Nous constatons les limites des politiques d'alignement des règles applicables aux non-salariés sur celles qui sont applicables aux assurés salariés. En effet, même avec des droits désormais quasiment identiques, les indépendantes et les exploitantes agricoles prennent moins de jours de congé maternité que les salariées.

Par ailleurs, nous observons que la gestion des indemnités par les caisses de sécurité sociale est d'une qualité très insuffisante. Les délais de versement sont anormalement longs, ce qui pénalise les assurés concernés.

Le caractère perfectible de la gestion de la sécurité sociale apparaît aussi à travers les litiges qui opposent les assurés et les organismes gestionnaires de la sécurité sociale.

Chaque année, les assurés sociaux déposent près de 70 000 recours devant les tribunaux. Plus de 100 000 dossiers sont auparavant soumis aux instances précontentieuses des caisses de sécurité sociale. Il serait souhaitable de favoriser l'intervention des médiateurs pour éviter que les tribunaux soient saisis.

Un certain nombre de simplifications sont aussi à apporter pour que les assurés ne soient pas contraints, dans certains cas, de saisir deux juges différents pour les mêmes motifs - nous pensons en particulier à la carte mobilité inclusion, qui peut relever du tribunal administratif ou du tribunal judiciaire.

Nous avons enfin souhaité mettre un coup de projecteur sur le régime social des marins et les difficultés majeures qu'il rencontre depuis plusieurs années. Les conditions d'une gestion efficace de la sécurité sociale ne sont pas garanties. C'est pourquoi une évolution en profondeur de ce régime est indispensable.

Pour finir, j'en viens maintenant au cinquième et dernier enjeu, celui de la lutte contre les fraudes aux prestations sociales. Ce sujet ne laisse personne indifférent et est au coeur du plan de lutte contre les fraudes aux finances publiques dévoilé début mai par le Gouvernement.

Au-delà des dommages financiers considérables qu'elle entraîne, la fraude aux prestations sociales constitue une atteinte au principe de solidarité et, donc, au pacte républicain qui fonde la sécurité sociale depuis 1945. La lutte contre la fraude est donc un impératif, non seulement d'efficacité économique, mais aussi de justice sociale.

Nous avons une idée de plus en plus précise du coût de la fraude aux prestations sociales : nous l'évaluons entre 6 milliards et 8 milliards d'euros. C'est beaucoup trop. Encore cette fourchette ne tient-elle pas compte des erreurs fautives des assurés dont l'intention frauduleuse ne peut être prouvée.

Nous avons constaté que l'administration et les caisses de sécurité sociale avaient une véritable volonté d'agir. Si nous avons effectivement observé des progrès, trop peu de moyens sont cependant consacrés au contrôle. La coopération entre les administrations pour échanger les données ne progresse pas assez vite. Les fraudeurs ne sont pas sanctionnés de façon suffisamment ferme ni systématique. La lutte contre la fraude doit donc devenir une priorité de tout premier plan, qui oblige responsables et gestionnaires de la sécurité sociale, mais aussi l'ensemble des assurés sociaux.

Je vous remercie pour votre attention et me tiens, avec les magistrats qui m'accompagnent, à votre disposition pour répondre à vos questions.

Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale. - Je souhaite tout d'abord vous exprimer toute ma gratitude, madame la présidente, ainsi qu'à l'ensemble des personnes qui vous entourent aujourd'hui et aux magistrats qui travaillent avec vous au quotidien.

J'invite ceux qui ne l'auraient pas encore fait à lire votre rapport en détail, car il représente une mine d'informations, en particulier pour tout ce qui concerne la fraude sociale, au sujet de laquelle il met un terme à quelques fausses idées tenaces. En effet, comme vous l'avez dit, il convient de sanctionner les fraudeurs, mais il faut aussi se rendre à l'évidence : de nombreuses légendes, qu'il faut absolument combattre, circulent.

La Cour des comptes a refusé de certifier les comptes de la Cnaf et de la branche famille pour 2022, en raison de l'augmentation de la proportion de paiements erronés. La mission d'évaluation et de contrôle de la sécurité sociale (Mecss) a entendu hier en audition le directeur de la Cnaf - il ne semblait d'ailleurs pas étonné de votre refus de certifier les comptes - et avons obtenu quelques explications de sa part.

Les assurances obtenues depuis lors, comme le plan de lutte contre la fraude sociale annoncé par le ministre délégué chargé des comptes publics le 30 mai 2023, sont-elles susceptibles, selon vous, d'empêcher un nouveau refus de certification des comptes en 2023 ?

Pour ce qui est des comptes de l'exercice 2021, la Cour des comptes a refusé de certifier ceux qui correspondent à l'activité de recouvrement : vous en avez parlé, environ 5 milliards d'euros ont été imputés sur l'exercice 2021 au lieu de l'exercice 2020, ce qui a amené le Parlement, sur l'initiative du Sénat, à corriger le tableau d'équilibre pour 2021 lors de l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2023.

La Cour indique, dans son rapport de certification des comptes de l'année 2022, qu'elle a demandé aux caisses d'établir des comptes pro forma de l'exercice 2021 prenant en compte cette correction, ce que les caisses ont refusé de faire. On peut trouver surprenant que les caisses persistent à retenir des montants que la Cour et le Parlement ont considérés comme erronés. Comment l'expliquez-vous ?

La recommandation n° 2 du Ralfss pour 2023 consiste à « renforcer la traçabilité » et à « revoir les modalités d'établissement, de validation, de formalisation et d'explication des retraitements opérés pour la production des tableaux d'équilibre, afin de permettre à la Cour de communiquer au Parlement ses avis sur leur cohérence au moment du dépôt du projet de loi d'approbation des comptes de la sécurité sociale ».

Pouvez-vous nous rappeler les principaux retraitements opérés pour passer des comptes des différentes branches soumis à la certification de la Cour aux tableaux d'équilibre figurant dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale et, désormais, le projet de loi d'approbation des comptes de la sécurité sociale ? Pouvez-vous également nous indiquer, pour ce qui concerne les retraitements, les principales informations dont vous disposez et celles qui vous manquent ?

La recommandation n° 3 du Ralfss consiste, notamment pour permettre à la Cour de produire dans de bonnes conditions ses avis sur les tableaux d'équilibre et le tableau patrimonial du projet de loi d'approbation des comptes de la sécurité sociale, à avancer de quinze jours la date de production des comptes et à réunir la Commission des comptes de la sécurité sociale la première quinzaine de mai. Pourriez-vous nous dire où en sont vos échanges avec le Gouvernement à ce sujet ?

Enfin, si le chapitre du Ralfss sur la lutte contre la fraude aux prestations n'indique pas de chiffrage global, il est possible, en retenant son extrapolation pour l'assurance maladie, de parvenir à une évaluation comprise entre 6 milliards et 8 milliards d'euros. C'est la fourchette indiquée par le Premier président de la Cour des comptes lors de sa présentation du rapport à la presse en mai dernier, que vous venez de nous confirmer.

Cette estimation vous semble-t-elle pouvoir significativement évoluer, à la suite notamment de la finalisation des estimations de la Caisse nationale de l'assurance maladie (Cnam) ou d'estimations plus fines réalisées sur les retraites ?

Mme Véronique Hamayon. - Madame la rapporteur générale, votre première question porte sur le refus de certification des comptes de la branche famille.

Je précise que nous avons déjà refusé de certifier les comptes de cette branche en 2011 : il ne s'agit donc pas d'une première, si j'ose dire. À l'époque, les résultats de ce refus s'étaient fait sentir, puisque nous avions assisté à une remise en ordre assez rapide de la gestion et des comptes de la branche famille, avec notamment une amélioration de la précision des indicateurs de risque résiduel.

La branche famille est même devenue, durant un certain nombre d'années, le bon élève de la classe au sein de la sécurité sociale, avant que ses comptes ne se dégradent à nouveau. Nous avions déjà alerté l'année dernière, au moment de la certification des comptes de la branche, sur le risque de dérapage financier et de dégradation des indicateurs de risque résiduel, mais nous n'avons pas été entendus.

Cette année, trois éléments nous ont conduits à ne pas certifier les comptes de la branche famille.

Tout d'abord, nous avons constaté une hausse des liquidations erronées, pour un montant extrêmement élevé de 5,8 milliards d'euros - il s'agit d'erreurs qui n'ont pas été corrigées au bout de vingt-quatre mois et qui ne seront jamais récupérées. Par ailleurs, la branche famille a maintenu ses contrôles à un niveau inférieur à ce qu'il était en 2019. Enfin, il n'y a aucune perspective d'amélioration de la qualité des liquidations à court terme : la branche ne nous a pas présenté de plan permettant de remédier à ces mauvais résultats, si bien que nous n'avons pas perçu de sa part une prise de conscience suffisante, qui laisserait supposer un retour à la normale.

Je rappelle simplement, pour lever toute ambiguïté, que les erreurs que nous constatons - les 5,8 milliards d'euros - portent à la fois sur des indus et des rappels, les indus constituant 80 % du total, quand les rappels, c'est-à-dire les prestations qui auraient dû être versées et qui ne l'ont pas été, en représentent environ 20 %.

S'agissant de l'écart entre les tableaux d'équilibre et les comptes, je me garderai bien de répondre à la place des caisses de sécurité sociale, tout simplement parce que je serais bien en peine de vous donner les raisons pour lesquelles elles ont refusé d'établir des comptes pro forma.

Je vous confirme que nous avons informé les caisses de l'existence de cet écart, qui rend les choses inexplicables, et sur le fait que ce dernier a été entériné par le Parlement, lequel a selon nous le dernier mot. Tel n'est cependant pas l'avis des caisses de sécurité sociale.

L'Acoss, tout comme la direction de la sécurité sociale (DSS), a tendance à considérer qu'il s'agit d'un problème de normes comptables. En réalité, le problème est plus grave. Je me permets donc solennellement d'attirer votre attention sur le fait que les choses ont changé, puisqu'il appartient dorénavant au Parlement, ce que vous savez au premier chef, d'approuver les comptes de la sécurité sociale.

Nous avons, pour notre part, alerté l'administration et les caisses de sécurité sociale sur cette évolution fondamentale, qui vaudra pour l'avenir.

Si une différence entre les tableaux d'équilibre et les comptes de la sécurité sociale devait à nouveau être constatée, la question, nous semble-t-il, ne pourrait plus être traitée par-dessus la jambe - pardonnez-moi d'être un peu triviale -, dès lors qu'il revient bien au Parlement d'approuver in fine ces comptes au travers d'une loi d'approbation. Il conviendra d'être extrêmement vigilant à l'avenir sur ces questions, qui ne sont pas uniquement d'ordre comptable.

S'agissant du retraitement des tableaux d'équilibre par rapport aux comptes, permettez-moi une remarque liminaire. La Cour certifie les comptes du régime général, tandis que les tableaux d'équilibre portent sur l'ensemble des régimes de base de la sécurité sociale : il est donc question de périmètres différents.

Pour la plupart des régimes de base, les niveaux des charges et produits sont retracés dans des tableaux centralisés de données comptables. Mais pour certains régimes, comme celui des fonctionnaires, ce plan comptable unique n'existe pas. Il n'y a pas de tableau centralisé des données comptables et, de ce fait, il est nécessaire d'agréger des données qui ne sont pas présentées de la même manière.

Tout ce travail est réalisé par la DSS, dont la mission consiste à agréger, dans un format comparable, des données qui proviennent de sources distinctes, et qui se présentent selon des formats disparates. La DSS effectue ensuite des contractions, notamment pour éliminer tout risque de double écriture et aboutir à une lecture consolidée des comptes. Tous ces processus sont nécessaires pour passer des comptes « bruts » aux tableaux d'équilibre.

Vous vous êtes interrogée sur le resserrement du calendrier causé par l'examen du nouveau projet de loi d'approbation des comptes de la sécurité sociale. La Cour des comptes est dans une situation inconfortable, puisqu'elle n'obtient les comptes de la sécurité sociale que le 15 avril et qu'elle dispose désormais de moins d'un mois pour les certifier. Je vous rassure cependant sur le fait que les travaux de certification pour les comptes de l'exercice 2023, qui seront présentés en 2024, ont en réalité déjà débuté. Nos équipes ont déjà commencé à travailler avec l'ensemble des caisses pour mettre au point les plans de contrôle.

Pour être totalement complète, je signale que les comptes sont arrêtés le 15 mars, mais la Cour n'obtient l'ensemble des pièces annexes, qui sont indispensables à la lecture et à la compréhension des comptes finaux, que le 15 avril : c'est ce délai d'un mois que nous aimerions réduire, de sorte à pouvoir travailler de manière plus sereine.

Nous avons fait part à la DSS de notre souhait de voir ce calendrier se desserrer, mais elle ne le veut pas. Si le calendrier est maintenu en l'état, nous ne sommes pas à l'abri, l'année prochaine ou dans les années à venir, de la survenue de graves difficultés.

Concernant la lutte contre la fraude, nous avons fondé notre évaluation sur une approche un peu sommaire, qui consiste à déduire, par une simple règle de trois, à partir des résultats produits par la Cnam sur un périmètre correspondant à peu près à 29 % de ses prestations, des résultats qui concerneraient l'ensemble des prestations de la Cnam.

Nous sommes parvenus à la conclusion que le montant des fraudes aux prestations sociales, c'est-à-dire le montant que je viens d'évoquer auquel il faut ajouter le montant des autres fraudes évalué par les équipes de certification sur le fondement des indicateurs de risque financier résiduel applicables aux autres branches, se situe dans une fourchette de 6 milliards à 8 milliards d'euros.

Une fois que la Cnam aura réalisé avec précision ce travail d'évaluation de la fraude sur l'ensemble du périmètre de ses prestations - la fraude aux prestations d'assurance maladie représente presque la moitié de ces 6 milliards à 8 milliards d'euros -, nous aurons une idée plus exacte de l'ampleur de la fraude. Il est très difficile aujourd'hui de savoir s'il s'agira d'une bonne ou d'une mauvaise surprise.

Nous restons persuadés que les moyens dévolus à la lutte contre la fraude sont insuffisants, non seulement les moyens humains, qui pourraient être redéployés pour renforcer les équipes de contrôle, mais également - et c'est très important - les moyens informatiques. Les systèmes d'information, notamment ceux de la Cnam, n'embarquent pas suffisamment de « systèmes autobloquants », qui permettraient pourtant de déceler, avant même que les prestations ne soient servies, un certain nombre d'incohérences. Nous attendons beaucoup du nouveau système d'information de la Cnam, METEORe, qui devrait prévoir un certain nombre de contrôles a priori.

Il est également difficile de savoir si le plan gouvernemental contre les fraudes sera suffisant. Ce que nous constatons, c'est qu'il va dans le bon sens, ce dont nous ne pouvons que nous réjouir. Il existe une véritable prise de conscience de la part de l'ensemble des caisses d'assurance maladie et de l'administration, ainsi qu'une volonté manifeste des pouvoirs publics de renforcer les moyens de lutte contre la fraude.

Je ne vous apprends rien en disant que le problème en matière de fraude est que les fraudeurs ont toujours une longueur d'avance sur ceux qui les traquent, et qu'ils déjouent souvent les moyens mis en place pour les identifier, car ils s'adaptent en permanence. Cette lutte est difficile à mener, car elle demande beaucoup d'agilité et de réactivité de notre part.

Mme Corinne Imbert, rapporteure pour la branche maladie. - Le déficit de la branche maladie s'élevait à 21 milliards d'euros en 2022, montant qui excède le déficit total de la sécurité sociale.

Ma première remarque concerne l'Ondam. Au sujet de cet objectif national, la Cour des comptes semble tenir un discours alarmiste que le Comité d'alerte sur l'évolution des dépenses d'assurance maladie peine lui-même à avoir ; espérons qu'il vous entende.

Il est actuellement prévu que la progression de l'Ondam sera inférieure à la dynamique de l'inflation. Si la hausse qui est anticipée est plus forte que l'inflation en 2025, l'écart est réduit par rapport à ce qui prévalait avant la crise.

La Cour appelle dans son rapport à « conforter l'Ondam comme outil de pilotage des dépenses » et à « infléchir les dépenses de manière volontariste ». De manière concrète, quelles mesures correctives préconisez-vous, et selon quel calendrier ?

Je m'interroge aussi sur les efforts que vous considérez comme urgents, alors que les hôpitaux sont en déficit, qu'ils n'ont pas retrouvé leur niveau d'activité de 2019, et que, pour la médecine de ville, l'échec de la convention médicale est notamment dû aux revendications d'honoraires, qui vont au-delà des capacités financières de l'assurance maladie.

Je souhaiterais aussi dire un mot de la garantie de financement des établissements de santé. La Cour constate dans son rapport le poids inédit de cette garantie, qui atteindrait 2,8 milliards d'euros en 2022, contre 1,9 milliard d'euros en 2021 et 2,5 milliards d'euros en 2020. Quel bilan qualitatif la Cour tire-t-elle de ce dispositif ? A-t-elle analysé son impact sur la situation financière des établissements ? Quelles conclusions tire-t-elle de cet exercice 2022 extrêmement fragile ?

De manière plus prospective, l'analyse de l'exercice 2022 laisse imaginer une situation extrêmement délicate en 2023, compte tenu notamment du remplacement partiel de la garantie de financement par la « sécurisation modulée à l'activité ». Disposez-vous déjà d'éléments d'analyse pour l'exercice 2023 et d'informations sur l'écart de ressources qui pourrait résulter de ce nouveau dispositif moins ambitieux ? La Cour a-t-elle mené des travaux concernant l'évolution du modèle de financement post-tarification à l'activité (T2A) ?

Permettez-moi d'aborder également la question des investissements hospitaliers. La Cour constate que les besoins d'investissement des établissements de santé sont réels. Le Ségur de la santé, qui était nécessaire, est d'ailleurs davantage un rattrapage qu'un effort suffisant de modernisation. Or cet effort est lui-même obéré par l'inflation. La Cour assure-t-elle un suivi du volet « investissements » du Ségur ? Quel regard porte-t-elle sur l'évolution des capacités d'autofinancement des établissements et leur capacité à accompagner les investissements indispensables à la modernisation de notre système de santé ?

Par ailleurs, vous évoquez dans votre rapport la nécessité de mieux piloter les dépenses de soins de ville. Vous proposez notamment de développer les rémunérations forfaitaires des professionnels de santé. Pourriez-vous rappeler les principales raisons pour lesquelles la part de ces rémunérations doit, selon vous, être renforcée ? Après l'échec des négociations lors de la dernière convention médicale, les professions de santé vous paraissent-elles prêtes à accepter cette évolution ?

Vous soulignez aussi dans votre rapport que les expérimentations prévues par l'article 51 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2018 sont trop nombreuses et insuffisamment évaluées. Quelles priorités faudrait-il fixer pour faciliter le tri des projets ? Quelles sont vos principales propositions pour rendre le dispositif plus efficace et accélérer la généralisation des expérimentations concluantes ?

Enfin, j'ajouterai un dernier mot sur la Cades, dont l'existence a été prolongée jusqu'en 2033. Il ne resterait à la Caisse que 8,8 milliards d'euros pour amortir le déficit de l'exercice 2023, déficit prévisionnel évalué à 8,2 milliards d'euros : les marges de manoeuvre sont donc très minces... Qu'en pensez-vous ?

Mme Véronique Hamayon. - En ce qui concerne le pilotage de l'Ondam, j'ai évoqué de manière allusive tout à l'heure le fait que le Premier président de la Cour des comptes rendra publiques, au mois de juillet prochain, des notes thématiques structurelles, qui contribueront à la réflexion de l'exécutif sur la revue des dépenses publiques.

L'une de ces notes thématiques, réalisée par la sixième chambre, sera consacrée aux dépenses de soins de ville. Sans déflorer totalement le sujet, je vous livre ici quelques réflexions.

Le défi à relever consiste évidemment à parvenir à une meilleure organisation des soins, au niveau local notamment, entre l'hôpital public, les cliniques privées et la médecine de ville. Les parcours de soins doivent désormais être effectifs. Pour ce faire, il faut que les communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS) fonctionnent correctement, que le dispositif des maisons de santé ou des centres de santé ne tarde plus à se mettre en place, en tout cas dans un certain nombre de territoires.

J'ai abordé tout à l'heure la question de la réponse aux besoins urgents de soins, en parlant des Samu, des Smur, et des SAS. Là encore, une bonne articulation entre ces services, la médecine de ville et les services hospitaliers de réanimation est indispensable ; c'est toute la chaîne des soins d'urgence qu'il faut repenser. Cette problématique fait l'objet d'un effort continu des pouvoirs publics : la « boîte à outils » s'enrichit année après année. La difficulté essentielle tient encore une fois au manque d'articulation entre les différents outils.

Permettez-moi d'évoquer plus particulièrement les grands postes de dépenses de l'Ondam. Pour ce qui est des soins de ville, environ 40 % des dépenses résultent des rémunérations des personnels médicaux et paramédicaux ; environ 30 % correspondent à des dépenses liées aux produits de santé, médicaments et dispositifs médicaux ; enfin, les indemnités journalières constituent le troisième poste de dépenses par ordre d'importance.

À cet égard, nous constatons qu'il n'existe pas de mécanisme de régulation financière infra-annuelle et qu'à l'exception du médicament les modalités de régulation pluriannuelles, que sont les négociations conventionnelles, ne sont pas utilisées de manière aussi efficace qu'elles le devraient. Un certain nombre de ces conventions prévoient l'application de dispositifs en cas de nécessité, auxquels les pouvoirs publics n'ont jamais, ou très peu, eu recours ; je pense à la possibilité de décaler la mise en oeuvre de la convention médicale au cas où le Comité d'alerte sur l'évolution des dépenses d'assurance maladie tire la sonnette d'alarme. Il existe donc toute une série d'outils au sein des conventions qui sont potentiellement efficaces, mais qui n'ont jamais été utilisés.

Je note qu'il existe un mécanisme qui fonctionne bien, mais qui n'est malheureusement pas suivi suffisamment dans le temps, le mécanisme applicable aux actes de biologie médicale : il s'agit d'une régulation prix-volume qui a fait ses preuves, mais qui a été abandonnée pendant la crise de la covid-19, et qui n'est plus suffisamment exploitée aujourd'hui.

La régulation des produits de santé - des médicaments en tout cas -, grâce aux deux outils que sont les mesures de sauvegarde et les remises, qui sont comme des « cordes de rappel » en quelque sorte, est relativement efficace. Je dis « relativement », parce que le prix des médicaments a tout de même augmenté assez rapidement en 2022, en hausse de 4 % environ, alors que l'Ondam évaluait cette hausse à 2,7 %.

Du reste, le niveau des dépenses de médicaments risque de s'orienter à la hausse si la renationalisation de la production de médicaments en France, qui correspond à la volonté actuelle des pouvoirs publics, se concrétise.

Je souhaite ajouter un mot sur la régulation de l'Ondam. Un certain nombre de dispositifs, qui ne sont pas seulement des outils de pilotage de la dépense, car ils ont un impact sur les dépenses de santé, sont indispensables.

Je pense à la mise en oeuvre du numérique en santé avec la prescription électronique ou le dossier médical partagé (DMP), devenu l'espace numérique en santé.

Même si cela fait vingt ans que les pouvoirs publics y travaillent, ces dispositifs ne sont toujours pas efficaces aujourd'hui. Notre pays enregistre de ce fait un retard considérable en la matière, tout comme en matière de télésanté, par rapport aux autres grands pays européens. Or tous ces outils, qui doivent améliorer l'efficacité et la qualité des soins, sont des sources potentielles d'économies, même indirectes.

Il faut aussi parler de la révision des nomenclatures, obsolètes aujourd'hui et dont on pourrait attendre in fine des économies, ou encore du renforcement de la prévention.

Pour ce qui concerne le volet hospitalier, je vais laisser la parole à Nicolas Fourrier, qui est à la fois le rapporteur général du Ralfss et l'auteur d'un rapport, qui paraîtra en septembre, sur la situation financière des hôpitaux.

M. Nicolas Fourrier, conseiller maître de la Cour des comptes. - Vous avez soulevé trois problèmes concernant la garantie de financement, dont la Cour donne une image nuancée.

Nous pensons en effet qu'en 2020 elle a été utile, compte tenu de la très forte baisse de l'activité hospitalière, notamment due aux déprogrammations demandées par la direction générale de l'offre de soins (DGOS), afin de libérer des places pour les malades de la covid-19. À cette époque, il a fallu maintenir un niveau de ressources suffisant pour l'ensemble des établissements hospitaliers.

Elle l'a également été en 2021 en raison des perturbations importantes causées par la pandémie.

Nous constatons que le ministère de la santé éprouve une certaine difficulté à sortir du mécanisme de la garantie de financement. Ainsi, la sécurisation modulée à l'activité (SMA), mise en place pour 2023, est un dispositif de financement, qui garantit 70 % du financement des établissements, et qui s'inscrit donc dans la même logique.

Or tous les entretiens que nous avons menés dans les hôpitaux, avec les différentes fédérations, nous ont confortés dans l'idée que la T2A continuait de faire l'objet d'un attachement extrêmement fort, attachement que la Cour des comptes partage. La T2A a certes des défauts et peut être critiquée - elle est notamment beaucoup trop complexe et le lien entre coûts et tarifs pourrait être plus précis -, mais elle présente des avantages extrêmement importants, comme le fait de lier la rémunération des établissements à leur activité.

Les systèmes qui préexistaient à la T2A, comme la dotation globale, qui a fait en quelque sorte son grand retour au travers de la garantie de financement, ne permettent pas de prendre en compte la vie de l'hôpital. Dans la perspective de futures réformes, il est important de garder à l'esprit la dimension prépondérante que revêt la tarification à l'activité.

Pour autant, la Cour des comptes n'est pas partie prenante de cette réforme de par son statut et ne participe donc pas aux réflexions en cours au sein des administrations et du Gouvernement.

Concernant le Ségur de l'investissement, je vous confirme que nous assurons un suivi des mesures prises, lesquelles feront l'objet d'une part très importante du rapport que nous allons publier sur la situation financière des hôpitaux.

Il semble que de trop nombreux projets aient été validés au vu du montant global de l'enveloppe, qui s'élevait pourtant à 9 milliards d'euros. Avec l'inflation et la hausse des coûts de la construction, on constate que le taux d'aide moyen par projet est sans doute trop bas au regard des capacités financières des établissements.

Il faudra apporter des réponses rapidement à cette situation. À enveloppe constante, la solution pourrait consister à abandonner un certain nombre de projets, à redimensionner et à reprogrammer certains autres. Un travail important reste donc à réaliser.

Mme Véronique Hamayon. - J'ajoute que la Cour publiera en juillet un rapport sur la T2A. En septembre, la Cour mettra donc à la disposition du public trois rapports relatifs à l'hôpital : celui sur la T2A donc, celui sur la situation financière des hôpitaux et un troisième sur la concurrence et la complémentarité entre les établissements publics et privés de santé.

Madame la rapporteure, vous nous avez posé une question sur le mode de rémunération des médecins libéraux. Nous appelons effectivement à augmenter la part forfaitaire de la rémunération, en lien notamment avec des obligations de service public.

Aujourd'hui, le paiement à l'acte représente plus de 80 % de la rémunération des médecins libéraux, ce qui entraîne un certain nombre d'effets pervers : un effet inflationniste, qui a été largement démontré, l'insuffisance des actions de prévention, que rien dans le système actuel ne contribue à promouvoir, ainsi qu'une diminution de la durée des consultations.

Nous observons en outre que l'objectif d'accroître la part de la rémunération forfaitaire, qui a été fixé dans la convention médicale de 2016, n'a pas été atteint. Nous pensons que cette forfaitisation est souhaitable et qu'elle pourrait prendre plusieurs formes, par épisode de soins, par professionnel ou par patient. En tout état de cause, une forfaitisation accrue de la rémunération de la prise en charge des patients atteints de pathologies chroniques nous semble une priorité.

Cette observation me conduit à évoquer les expérimentations prévues à l'article 51 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2018. Trois d'entre elles nous paraissent particulièrement structurantes : l'expérimentation du paiement à l'épisode de soins - pour trois types d'interventions chirurgicales - qui nous semble prometteuse ; celle du paiement en équipe d'un ensemble de professionnels de santé ; celle, enfin, de l'intéressement de groupements de professionnels à la performance de la qualité des soins, à la satisfaction des patients et à la maîtrise des dépenses.

Nous suivrons les résultats de ces trois expérimentations, qui s'achèveront dans un an environ, à la mi-2024, avec une attention toute particulière. Si les résultats sont au rendez-vous, nous demanderons à ce qu'elles soient généralisées dans les meilleurs délais.

Enfin, s'agissant de la Cades, vous avez très bien résumé la problématique des 8,2 milliards d'euros à amortir. La Cour considère qu'il est inévitable de prolonger la durée de vie de la Cades dans les meilleurs délais, de sorte qu'elle soit en capacité de reprendre les déficits.

Mme Catherine Deroche, présidente. - À ce rythme-là, nous risquons une Cades à perpétuité !

M. René-Paul Savary, rapporteur pour la branche vieillesse. - Madame la présidente, j'aurai moins des questions à vous poser que des remarques à formuler.

Tout d'abord, votre analyse sur la rémunération des médecins généralistes me laisse dubitatif, au vu du manque de médecins dans notre pays. S'il faut inciter les jeunes à embrasser cette vocation, je ne suis pas sûr que ce type de mesure y contribue.

Vous avez employé une expression qui m'a bien plu en évoquant les mesures de sauvegarde, celle de « corde de rappel ». En effet, en 2023, quand le montant de la clause de sauvegarde dépassera de 1 milliard d'euros les prévisions, il ne s'agira plus, selon moi, d'une corde de rappel, mais d'une taxation des médicaments. Il convient de rester vigilant à ce sujet et de maintenir le principe de la clause de sauvegarde, sans que le dispositif devienne prohibitif, sauf à décourager un certain nombre de laboratoires d'investir en France pour produire des médicaments.

Vous nous avez dit que la réforme des retraites ne comblerait pas le déficit de la branche. Vous avez raison. Cela s'explique, pour une large part, par les mesures d'accompagnement que le Parlement a adoptées - les mesures relatives aux carrières longues, la revalorisation des petites retraites à travers celle du minimum contributif (Mico) ou bien encore des dispositifs comme la revalorisation des pensions des femmes.

De ce fait, la réforme des retraites contribue à limiter la différence de traitement entre les femmes et les hommes, contrairement à ce que vous avez affirmé.

Il manque également dans votre analyse la prise en compte des retraites complémentaires. Compte tenu de l'allongement de la durée de cotisation et du décalage de l'âge de départ à la retraite, les régimes de retraite complémentaire seront davantage bénéficiaires, notamment l'Agirc-Arrco, association à laquelle sont affiliées une majorité de personnes retraitées. Je pense que la Cour devrait se montrer plus prudente dans son analyse et ses commentaires, et veiller à étudier le système dans sa globalité.

M. Olivier Henno, rapporteur pour la branche famille. - Madame la présidente, je tiens tout d'abord à vous remercier pour la qualité de votre rapport, ainsi que pour vos propos qui éclairent la représentation nationale.

En guise d'observation liminaire, je vous ferai remarquer que la petite phrase de notre présidente sur la « Cades à perpétuité » est à la fois juste et inquiétante : le transfert de nos dépenses sociales aux générations futures n'est pas un gage de responsabilité.

Je constate avec dépit que le niveau de nos dépenses sociales est élevé, ce qui conduit à une dégradation de nos comptes, et que, malgré tout, on continue de se plaindre de l'insuffisance des moyens consacrés à notre sécurité sociale. Au lendemain du « quoi qu'il en coûte » et d'une grande loi Santé, l'heure de la remise à plat devrait donc bientôt sonner, car nous ne pouvons pas continuer ainsi.

Pour en revenir à la branche dont je suis le rapporteur, je trouve que le refus de certification sonne comme une évidence. Au vu des 5 milliards d'euros d'indus et de rappels comptabilisés pour 2022, la baisse du nombre de contrôles réalisés par les Caf et l'absence de plan de redressement prévu à court ou moyen terme me laissent sans voix. Il ne serait pas illégitime que les pouvoirs publics tapent du poing sur la table et que le Gouvernement donne davantage de directives à la Cnaf.

J'en viens à quelques points plus techniques.

Dans son rapport, la Cour des comptes traite des indemnités journalières versées après la naissance de l'enfant. Le Sénat s'était opposé à cette mesure, comme vous le savez. Or vous pointez la nature « conventionnelle » de la distinction entre congé prénatal et postnatal, et vous recommandez de clarifier le financement du congé maternité en le confiant intégralement à la branche famille.

Nous pouvons vous suivre sur le premier point, mais non sur la conclusion que vous en tirez. Vous reconnaissez vous-même qu'une meilleure connaissance des dépenses liées au congé maternité serait un instrument de prévention et de suivi de la santé périnatale, et vous préconisez d'améliorer les dispositifs de suivi de la santé des femmes.

Pourquoi estimez-vous que la Cnaf a davantage vocation à financer le congé maternité que la Cnam ?

Vous dressez également un bilan peu satisfaisant de la gestion des congés maternité et paternité. Le Sénat a supprimé, lors de l'examen du dernier projet de loi de financement de la sécurité sociale, le versement obligatoire des indemnités journalières par les employeurs pour le compte des caisses primaires d'assurance maladie. Cette disposition n'avait pas d'incidence sur les comptes de la sécurité sociale, ce que le Conseil constitutionnel a d'ailleurs confirmé, et permettait de transférer une charge de trésorerie excessive aux employeurs. Vous confirmez que ces derniers doivent attendre plus de quarante-deux jours pour obtenir le remboursement.

Si vous qualifiez de « prometteuse » la subrogation obligatoire, vous n'en faites toutefois pas une recommandation. Est-ce parce que vous estimez, comme nous l'avons fait, que la gestion des congés maternité et paternité par les caisses primaires d'assurance maladie ne permet pas cette réforme ? La généralisation du transfert d'informations par les employeurs via la déclaration sociale nominative ne serait-elle pas suffisante pour éviter les ruptures de ressources ?

Mme Véronique Hamayon. - J'abonde dans le sens de René-Paul Savary : en effet, l'impact de la réforme des retraites est positif pour l'Agirc-Arrco - + 3,7 milliards d'euros -, ainsi que pour l'État - +1 milliard d'euros. Nous n'avons jamais dit le contraire ; nous nous sommes simplement concentrés sur le régime général, puisque telle est notre mission au titre de la certification des comptes de la sécurité sociale.

Pour ce qui est de la branche famille, nous n'avons pas attendu l'année 2023 pour formuler un certain nombre de recommandations sur la nécessaire mise en cohérence du financement des congés maternité et paternité. Déjà, en 2022, nous recommandions que ces deux congés soient gérés par la même branche, ce qui n'était pas le cas puisqu'en 2022 les dépenses liées au congé paternité étaient supportées par la branche famille, quand celles qui étaient liées au congé maternité étaient supportées dans leur intégralité par la branche maladie. Un effort de regroupement a donc déjà été fait, et nous souhaiterions que cet effort de cohérence se poursuive jusqu'à son terme.

Nous ne nous prononçons pas nécessairement sur le choix à opérer entre la branche famille et la branche maladie. Il serait certainement assez logique que la branche famille, qui traite déjà de la quasi-totalité de ces prestations, les gère dans leur ensemble. Seuls les congés pathologiques, liés à la maternité, resteraient de la compétence de la branche maladie.

Le message que nous envoyons est clair : il faut assurer de la cohérence dans les financements et en faciliter le pilotage.

Monsieur Henno, comme vous l'avez souligné, la charge de trésorerie relative à la subrogation des indemnités journalières maternité et paternité peut être importante, notamment pour les toutes petites entreprises. Cela étant, le retard de versement de ces indemnités pèse sur les foyers, notamment les foyers les plus modestes, qui sont privés de ce droit pendant quarante-deux jours en moyenne. C'est pour éviter de telles ruptures de ressources chez les ménages les plus fragiles, qui sont encore trop fréquentes, que la Cour considère que la subrogation obligatoire est prometteuse.

Nous rappelons que le caractère obligatoire de la subrogation permettrait de répondre à la pratique irrégulière, qui consiste, pour certains employeurs, à subordonner le versement des indemnités dues à leurs employés au fait qu'eux-mêmes aient perçu un remboursement de la sécurité sociale. C'est donc aussi pour répondre à cette pratique illégale que nous faisons cette suggestion. Il ne s'agit pas d'une recommandation à proprement parler, parce que, lors du délibéré sur ce rapport, une mesure analogue figurait dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale présenté par le Gouvernement.

Dernier point, nous attendons en effet beaucoup de la DSN, qui devrait a minima améliorer les temps de transmission et la qualité des informations financières nécessaires au calcul des indemnités journalières.

M. Philippe Mouiller, rapporteur pour la branche autonomie. - Le solde de la branche autonomie en 2022 est finalement beaucoup plus favorable qu'annoncé il y a six mois : alors que la LFSS pour 2023 prévoyait un déficit d'environ 0,5 milliard d'euros, la branche est finalement excédentaire de 0,2 milliard. Cette écart est dû à la fois à des recettes nettement plus élevées et à une progression plus modérée qu'attendu des dépenses. Comment expliquez-vous ce moindre niveau de dépenses par rapport aux prévisions retenues dans la LFSS pour 2023 ? En définitive, quel a été l'impact des revalorisations salariales dans le secteur médico-social sur les dépenses de la branche autonomie en 2022 ? Dans quelle mesure la dynamique des recettes est-elle liée à l'inflation ? Dans ce contexte, faut-il s'inquiéter que les dépenses n'aient pas été plus élevées, étant donné les besoins de la branche ?

Mme Véronique Hamayon. - En effet, la branche autonomie a des résultats meilleurs que ceux qui étaient attendus. L'augmentation des recettes concerne l'ensemble des branches de la sécurité sociale et est liée à l'inflation. L'inflation a un impact sur la masse salariale et 1 % d'augmentation de la masse salariale rapporte 2,2 milliards d'euros de recettes en plus pour la sécurité sociale. La branche autonomie n'échappe pas à cette règle, avec une dynamique de recettes plus importante que prévu.

Les dépenses ne sont que très légèrement inférieures aux prévisions et l'écart s'explique essentiellement par cette dynamique des recettes, liée à l'augmentation de l'assiette des cotisations.

Mme Cathy Apourceau-Poly. - Le rapport de la Cour des comptes met en avant la situation de plus en plus préoccupante de la CNRACL, le régime spécial couvrant les risques retraites et invalidité des agents de la fonction publique territoriale et hospitalière. Le déficit de ce régime, qui tend à devenir structurel, est appelé à s'aggraver pour atteindre 6,6 milliards d'euros en 2030. La loi de financement de la sécurité sociale pour 2023 a autorisé un emprunt de 7,5 milliards d'euros pour assurer la pérennité des paiements et des prestations. Avec la hausse des taux d'intérêt, nous savons que cette solution sera coûteuse. Quelles solutions préconisez-vous pour garantir les comptes de cette caisse ?

Vous préconisez la réalisation d'économies via la maîtrise des dépenses de médicaments, mais vous n'avez rien dit sur l'utilisation des 6 milliards d'euros du crédit impôt recherche. Avez-vous proposé au Gouvernement d'augmenter le reste à charge des ménages en doublant la franchise sur les médicaments ?

Enfin, ma dernière question porte sur les retraites et plus précisément sur l'écart des montants des pensions entre les hommes et les femmes ; vous préconisez dans votre rapport de faire des économies sur les pensions de réversion, mais quelle vision de l'égalité ! Ne pensez-vous pas que l'égalité salariale pourrait être une source de revenu supplémentaire, qu'il faudrait favoriser ?

Mme Victoire Jasmin. - Ma première question porte sur l'augmentation de 22 % des appels au Samu. Avez-vous des éléments plus fins pour en comprendre les raisons ? Est-ce dû à un manque de médecins ?

Par ailleurs, les travailleurs indépendants, les agriculteurs et leurs conjoints sont pénalisés par le non-recours aux droits et aux soins. Avez des éléments permettant d'en comprendre les raisons ?

M. Daniel Chasseing. - Concernant le Samu, vous avez parlé d'une hausse de 62 % des appels depuis 2014. Cela est dû, je crois, au médecin régulateur du SAS, qui intervient en plus du médecin régulateur du Samu. L'organisation des soins non programmés (SNP) avec les médecins libéraux et les maisons de santé des communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS) ne vous semble-t-elle pas pertinente ?

Au sujet de l'Ondam, est-ce que vos estimations de déficit tiennent compte de ce que le Président de la République a dit concernant l'augmentation du nombre d'emplois pour les personnes dépendantes, très attendue dans les Ehpad ? Je souligne, d'ailleurs, que les projets qui touchent aux hôpitaux connaissent une hausse des coûts de l'ordre de 30 % en raison de l'inflation.

Enfin, concernant la vieillesse, René-Paul Savary a précisé que le Sénat avait ajouté des clauses pour les femmes, les carrières longues et les petites retraites. Quel sera selon vous le déficit dans les années 2030-2040 ?

Mme Annick Jacquemet. - Le Gouvernement entend lancer le grand chantier du dispositif de solidarité à la source, qui doit permettre de lutter contre le non-recours tout en limitant les risques de fraude. Avez-vous une estimation, soit des économies, soit des dépenses supplémentaires, qui peuvent en être attendues ?

Vous avez évoqué les retards dans la publication de certains décrets d'application : avez-vous des explications de la part des ministères concernés et quelles solutions préconisez-vous ?

M. Jean-Marie Vanlerenberghe. - La fraude aux prestations de la Cnam, bien que son estimation soit imparfaite - la Cnam n'a fourni que des données partielles, portant sur 29 % seulement du total des prestations -, pourrait représenter entre 4 milliards et 5 milliards d'euros. Confirmez-vous ces chiffres ? Les retards dans les contrôles de la Cnam s'expliquent certainement par un manque de méthode. Vous rappelez, à juste titre, que certaines caisses travaillent à des améliorations, notamment les CAF, mais on peut s'étonner que les redressements ne soient toujours pas à la hauteur : selon les estimations, les fraudes sont toujours de l'ordre de 3 milliards d'euros, sans amélioration visible. Il y a très certainement aussi un problème de méthode mais aussi de moyens. Vous dites en effet qu'il manque des contrôleurs, mais nous ne cessons de répéter que le recrutement de contrôleurs est une dépense d'investissement au vu des recettes qui peuvent en résulter.

Par ailleurs, vous ne parlez pas des fraudes aux cotisations, évaluées à environ 8 milliards d'euros. Confirmez-vous ce montant ? Si nous additionnons fraudes aux prestations (entre 6 et 8 milliards d'euros) et fraudes aux cotisations, nous arrivons à un montant compris entre 14 milliards et 16 milliards d'euros. C'est énorme ! Nous sommes certes loin des estimations fantaisistes de certains, qui arrivaient à des montants de 40 milliards ou 50 milliards d'euros, mais il y a certainement un peu plus de 10 milliards d'euros à récupérer.

Enfin, vous soulignez les progrès réalisés dans la sécurisation des inscriptions à la sécurité sociale des personnes nées à l'étranger ; nous avions fait sur ce sujet une évaluation des recommandations que vous aviez validées. Cela avance dans le bon sens même si nous sommes encore une fois loin des fantasmes de 14 milliards d'euros ; pour mémoire, notre rapport évaluait le montant de la fraude à 140 millions d'euros.

M. Alain Milon. - Si je comprends bien, la T2A n'intervient qu'à hauteur de 60 % dans les budgets des hôpitaux. Si beaucoup la critiquent, c'est bien la T2A qui a sauvé les hôpitaux, à l'évidence. La preuve, des systèmes qui ne sont pas encore financés par la T2A la réclament ; c'est le cas de la psychiatrie et du système privé. J'ai hâte de lire votre rapport sur le sujet.

Vous dites que la T2A est complexe. L'est-elle par nature ou bien est-ce l'utilisation qui en est faite qui l'a rendue complexe ? En effet, si l'on considère l'évolution des tarifs aux États-Unis en quarante ans de T2A, et l'évolution des tarifs en France en vingt ans de T2A, on s'aperçoit qu'il y a deux fois plus de tarifs en France qu'aux États-Unis. Cela nous amène à penser que c'est plutôt son utilisation qui a rendu la T2A complexe. Quel est votre avis sur ce sujet ?

Concernant les investissements immobiliers, considérez-vous comme normal qu'un organisme qui n'est pas propriétaire rembourse les emprunts à place de ce dernier ? L'État est propriétaire des bâtiments, mais c'est l'assurance maladie qui rembourse les emprunts immobiliers...

Mme Véronique Hamayon. - Pour ce qui regarde la CNRACL, nous ne pouvons que confirmer, en effet, ce qui figure dans le rapport. Nous anticipons bien, si aucun des paramètres du régime n'a changé, un déficit de 6,6 milliards d'euros à l'horizon de 2030. L'augmentation du taux de cotisations patronales, récemment décidée, ne suffira pas à couvrir les déficits. Bien sûr, ce n'est pas à la Cour des comptes de se prononcer sur le choix des leviers, notamment entre le montant des pensions et l'augmentation des cotisations patronales ou salariales.

Je précise que la Cour des comptes n'a pas soufflé au Gouvernement l'idée d'une augmentation de la franchise sur les médicaments à la charge des assurés sociaux, si tel est le sens de la question posée.

Par ailleurs, je ne voudrais pas que l'on croie que la Cour des comptes, en particulier la présidente de sa sixième chambre, suggère de faire des économies sur les pensions de réversion. Au contraire, nous préconisons de combler les écarts que nous observons entre les hommes et les femmes, grâce à des mécanismes de solidarité ou de réversion. Vous avez raison de rappeler que c'est en s'attaquant au problème des inégalités de salaires entre les hommes et les femmes, autrement dit en amont, que nous pourrons résoudre cette question.

La hausse des appels au Samu est-elle liée au manque de médecins ? Je rappelle que, depuis cinq ou six ans, nous constatons une augmentation des effectifs du personnel de santé et des médecins, les médecins généralistes faisant seuls exception. Je dirais que la réponse est à chercher du côté du comportement des patients et des assurés sociaux que nous sommes tous ; je pense au fait d'appeler le Samu ou se rendre directement aux urgences, sans que l'état de santé relève du Samu ou d'un Smur. Sur l'ensemble des appels reçus, seuls 5 % se traduisent effectivement par un transport médicalisé d'urgence vers l'hôpital le plus proche. L'objectif du SAS est de traiter ces appels en amont pour les empêcher de se déverser sur le Samu et les rediriger vers la médecine de ville dans les quarante-huit heures, ce qui est plus ou moins facile selon les territoires. Laissons à ce dispositif le temps de se mettre en place et la Cour des comptes sera attentive aux résultats de ces services d'accès aux soins.

Nous constatons bien des inégalités dans les modes de prestations, par exemple entre les salariés et les non-salariés, mais il est vrai que nous n'avons pas creusé la question de la retraite des conjoints d'agriculteur.

Nous n'avons pas les chiffres des déficits en 2040 ; nous avons ceux de 2030, qui figurent dans le rapport. Bien entendu, ils reposent sur un modèle inchangé, c'est-à-dire toutes choses égales par ailleurs. Les hypothèses du Gouvernement ne nous semblent certes pas hors d'atteinte mais nous les jugeons optimistes par rapport au consensus de l'OCDE, de la Commission européenne et du Fonds monétaire international (FMI). Il faudra donc être vigilant, car le déficit de 2030 pourrait être supérieur.

Concernant la solidarité à la source, nous espérons qu'elle permettra de réaliser des économies. Elle conduira d'abord à une plus grande pertinence dans l'allocation des prestations. Elle évitera ensuite aux ménages de manquer un dispositif auquel ils ont droit. Ce surcroît de dépenses, qui correspond aux prestations versées aux personnes qui, jusqu'à présent, n'y faisaient pas appel, sera largement compensé, puisque nous gagnerons nettement en temps de gestion.

À propos des retards qui touchent certains textes d'application, nous n'avons pas d'explication. Nous avons transmis le message à l'Assemblée nationale et maintenant au Sénat, en espérant que cela aura quelques effets.

Nous confirmons les chiffres de la fraude aux prestations - de 6 milliards à 8 milliards d'euros - et ceux de la fraude aux cotisations - environ 8 milliards d'euros - donc le chiffre que vous avancez d'un total compris entre 12 milliards et 16 milliards d'euros est valide, mais, à ce stade, nous n'avons pas réintroduit la question de la fraude aux cotisations ; nous y reviendrons. Il y a certainement un problème de méthode, même s'il faut souligner les progrès qui ont été faits : les caisses se dotent d'outils informatiques permettant d'identifier les profils a priori des fraudeurs, de façon à diriger leurs contrôles essentiellement sur ces profils, en s'appuyant sur le data mining, par exemple. Ces outils, qui renforcent les contrôles a priori, sont autant de moyens qui peuvent alors être redéployés vers les contrôles a posteriori, qui restent absolument indispensables : consultation des dossiers médicaux par des médecins assermentés, contrôles de terrain, etc.

Quant à la T2A, elle ne représente, en effet, que 60 % à 70 % des recettes des hôpitaux, mais c'est une part évidemment essentielle. La T2A est-elle consubstantiellement complexe ou bien est-ce son utilisation qui l'a rendue complexe ? Un peu des deux, sans doute. Il est vrai, néanmoins, que nous avons fait jouer à cet outil de tarification un rôle de codage et donc de connaissance de l'activité médicale hospitalière. Si la T2A venait à disparaître, nous perdrions ce système d'information hospitalier à nul autre pareil, qui nous permet d'avoir une vision panoramique de ce qui se passe en France de manière extrêmement détaillée, une vision de la santé publique et des politiques épidémiologique fondées sur cette information extrêmement riche.

Enfin, la question des investissements immobiliers étant une question politique, la Cour des comptes n'a pas à se prononcer.

Mme Catherine Deroche, présidente. - Je vous remercie, madame, messieurs, de vos réponses et ces informations. Nous attendons avec impatience vos rapports, en particulier ceux qui complètent les travaux de la commission des affaires sociales et de la commission d'enquête sur l'hôpital et les préconisations qui en sont émanées.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

Prestation partagée d'éducation de l'enfant (PreParE) - Examen du rapport d'information de la Mecss

Mme Catherine Deroche, présidente. - Mes chers collègues, nous allons maintenant entendre la communication d'Olivier Henno et Annie Le Houerou faisant suite à la mission d'information qu'ils ont conduite au nom de la mission d'évaluation et de contrôle de la sécurité sociale (Mecss) sur la prestation partagée d'éducation de l'enfant, la PreParE. Je vous rappelle que les travaux de nos collègues s'inscrivent dans le programme des contrôles de la Mecss pour la session 2022-2023, dont le bureau de la commission a pris acte à la fin de l'année dernière.

M. Olivier Henno, rapporteur. - Nous remercions tout d'abord le président René-Paul Savary de nous avoir confié la rédaction de ce rapport. Je remercie également Annie Le Houerou ; nous n'étions pas d'accord sur tout, mais nous avons su dépasser nos désaccords et même nous en enrichir.

La prestation partagée d'éducation de l'enfant, ou PreParE, indemnise les parents qui interrompent partiellement ou totalement leur emploi pour s'occuper de leur enfant de moins de 3 ans. Depuis sa naissance en 2014, à travers la transformation du complément de libre choix d'activité (CLCA), cette prestation a fait l'objet de nombreux rapports institutionnels : Conseil de la famille, inspection générale des affaires sociales, Commission des 1 000 premiers jours, Cour des comptes... Pourquoi dès lors se saisir une nouvelle fois du sujet dans le cadre de la mission d'évaluation et de contrôle de la sécurité sociale (Mecss) ? Tous ces rapports ont dressé un bilan peu élogieux de la prestation telle qu'elle fonctionne actuellement et, pourtant, jamais le législateur n'a été saisi d'un projet de réforme. Elle a visiblement été oubliée, jusqu'à présent, par le Gouvernement. Il fallait donc bien que notre commission se saisisse du sujet et dessine des perspectives pour les congés parentaux.

Permettez-moi de rappeler brièvement les paramètres de cette prestation, qui ne doit pas être confondue avec le congé parental d'éducation. Ce dernier permet au salarié ayant une année d'ancienneté dans l'entreprise de suspendre son contrat de travail pendant une durée maximale d'un an, renouvelable trois fois, pour élever un enfant de moins de 3 ans.

La branche famille de la sécurité sociale accorde par ailleurs une prestation aux parents d'enfants de moins de 3 ans à temps partiel ou cessant totalement leur activité. Ni les durées de versement ni les conditions d'octroi, plus restrictives, de la PreParE ne sont alignées sur celles du congé parental. De 8 % à 17 % des bénéficiaires d'un congé parental d'éducation ne perçoivent donc pas la PreParE.

Le montant de la prestation dépend de la quotité d'activité professionnelle : 430 euros pour une interruption totale de travail, 278 euros pour un temps de travail inférieur ou égal à un mi-temps et 160 euros pour un temps de travail entre 50 % et 80 %.

Les durées de versement ont évolué avec la loi du 4 août 2014 pour l'égalité réelle entre les femmes et les hommes, l'ambition étant de réduire l'éloignement des femmes de l'emploi et d'inciter au partage du congé parental au sein du couple. En instaurant la PreParE en lieu et place du complément de libre choix d'activité (CLCA), la réforme de 2014 a ainsi pénalisé les familles dont le second parent ne recourait pas à la PreParE. Pour les familles ayant un seul enfant, la durée du congé indemnisé a été étendue de six mois à un an, sous réserve que six mois soient pris par le second parent. Pour les familles de deux enfants ou plus, la durée maximale de versement de la prestation au même parent est limitée à deux années contre trois ans sous le régime du CLCA. Les trois années ne peuvent être atteintes que si chaque parent recourt à la prestation.

La PreParE a perdu 54 % de ses bénéficiaires entre 2014 et 2021. Cette tendance à la baisse préexistait certes à l'instauration de la PreParE mais la réforme de 2014 a amplifié le désintérêt des familles pour la prestation. La réforme a, au contraire, provoqué un report vers les autres modes de garde formels - crèches, assistantes maternelles, garde à domicile - mais aussi vers de modes de garde informels - famille, voisins.

Plusieurs raisons peuvent être avancées pour expliquer cette chute de bénéficiaires. Premièrement, le partage - pourtant espéré - entre parents de la prestation ne s'est pas produit, comme vous le verrez. Dès lors, 88 % des bénéficiaires de la PreParE sortent du dispositif après les 2 ans de l'enfant.

Deuxièmement, certaines mères attachées à la continuité du mode de garde ont préféré renoncer complètement à la prestation.

Troisièmement, d'autres mères se sont détournées d'un dispositif qui ne permettait pas une indemnisation suffisante de leur interruption d'activité : en 2023, cette prestation ne représente qu'un tiers du Smic.

En conséquence, en 2022, les dépenses annuelles liées à la PreParE pour la branche famille étaient inférieures de 1,2 milliard d'euros par rapport à 2014, soit une chute de 61 %. Un report sur les dépenses liées aux autres modes de garde a certainement été induit en partie.

Le premier objectif de la réforme de 2014, consistant à mieux répartir les responsabilités parentales au sein du couple, n'a donc pas été une grande réussite. Le nombre de pères bénéficiaires a décru, passant de 19 000 en 2014 à 15 000 en 2020. Seules 2,5 % des familles bénéficiaires partagent la prestation. L'absence d'engagement des pères tient en grande partie au faible montant de la prestation, qui ne parvient pas à déjouer les arbitrages économiques défavorables aux femmes au sein des ménages : dans 67 % des cas, le bénéficiaire de la PreParE percevait un revenu d'activité inférieur à celui de son conjoint ou de sa conjointe. En outre, des stéréotypes de genre peuvent encore expliquer le renoncement des hommes au bénéfice de la prestation.

Mme Annie Le Houerou, rapporteure. - En revanche, le second objectif, consistant à inciter les mères à garder un lien avec l'emploi, est plus satisfait. Une étude récente publiée par France Stratégie et le Conseil de la famille montre que la réduction de la durée d'indemnisation du congé parental a augmenté la probabilité pour les mères non seulement de reprendre une activité professionnelle lors de la troisième année mais encore d'être en emploi trois ans après la sortie de la prestation. Autrement dit, la réforme de 2014 a agi positivement sur l'emploi des femmes à moyen terme. Les chiffres de la direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (Drees) étayent ce résultat : la proportion de mères de jeunes enfants ayant déjà travaillé occupant un emploi à temps complet est plus élevée de neuf points de pourcentage en 2018 qu'en 2014.

De même, le revenu des mères a globalement augmenté grâce à la reprise précoce d'un emploi mais aussi, il faut le dire, à un glissement de certaines d'entre elles vers le chômage. La réforme a en effet eu des effets disparates selon les profils socio-économiques des bénéficiaires et la Drees signale ainsi que « les mères les plus exposées à la pauvreté ne travaillent pas plus souvent à temps complet en 2018 qu'en 2014 ».

Sans atteindre les objectifs qu'elle s'était fixés, la réforme de 2014 a tout de même eu des effets plus nuancés que ce que les tout premiers rapports d'évaluation ont pu laisser entendre. Il n'en demeure pas moins que les voies d'amélioration de la PreParE sont nombreuses. En nous appuyant sur les propositions qui ont été versées au débat depuis quelques années, nous recommandons de réformer la prestation en deux temps. La première réforme est paramétrique et devrait être engagée sans plus attendre. La seconde, plus structurelle, devra nécessairement être entreprise lors d'une réflexion globale sur les modes d'accueil de la petite enfance.

La PreParE est une prestation complexe, peu lisible pour les familles et verrouillée à de nombreux égards. Nombre de ses règles ne nous semblent plus aller de soi et nécessiteraient d'être assouplies, voire, pour certaines, supprimées.

Seuls les parents ayant cotisé huit trimestres au cours d'une période de référence variant selon le nombre d'enfants sont éligibles à l'allocation. Or les périodes de formation professionnelle rémunérée et les périodes de chômage ne sont présumées satisfaire cette condition d'activité antérieure que pour les parents de plus de deux enfants. Nous proposons d'étendre cette reconnaissance aux parents d'un seul enfant.

En outre, ces conditions d'activité antérieure pour l'octroi de la prestation sont exigées y compris lorsque la prestation est accordée à taux partiel et que les parents maintiennent, par définition, une activité professionnelle. Nous estimons que cette situation ne se justifie pas et qu'il convient de supprimer toute condition d'éligibilité pour la prestation à taux réduit. Cet assouplissement est d'autant plus cohérent que le temps partiel est bien moins pénalisant pour l'emploi des parents. À la sortie d'une PreParE à taux partiel, 90 % des parents exercent une activité professionnelle contre seulement 57 % des parents ayant opté pour une PreParE à temps plein.

À cette même fin - ne pas décourager l'activité partielle -, nous souhaitons déplafonner le montant reçu de PreParE lorsque les deux parents travaillent à temps partiel. Aujourd'hui, la somme perçue par le couple ne peut être supérieure au montant à taux plein de la PreParE, soit 430 euros, ce qui représente une perte de 126 euros pour deux parents à mi-temps. Nous proposons également de revoir les quotités maximales d'activité professionnelle pour être éligible à la prestation. En l'état, deux parents réduisant chacun de 10 % leur activité ne peuvent recevoir une prestation à taux réduit.

J'en viens maintenant au défaut principal de la prestation sous sa forme actuelle : le trop faible niveau de son montant assure un remplacement insuffisant des revenus d'activité des parents. L'indemnisation, aujourd'hui fixée à 430 euros, a diminué de 38 % depuis 1994 par rapport aux salaires... Afin de redonner aux familles une réelle liberté de choix du mode de garde, d'inciter les pères à recourir à la prestation et d'éviter la paupérisation des bénéficiaires, nous proposons de revaloriser le montant de la PreParE de 41 % pour le porter à 607 euros, soit le montant du revenu de solidarité active (RSA). À comportement constant des familles, les dépenses de PreParE majorées de 41 % représenteraient un coût annuel de 300 millions d'euros pour la branche famille.

À terme, nous jugeons nécessaire de remplacer le principe d'une indemnisation forfaitaire par une logique de prestation proportionnelle au revenu, mais cette réforme, complexe à mener pour les caisses d'allocations familiales, ne peut se faire dans l'immédiat.

Enfin, nous pensons que les efforts sur la formation professionnelle des bénéficiaires de la prestation doivent être accentués. Pour cela, il convient de rendre effectives les dispositions de la loi du 24 décembre 2021 permettant aux allocataires sans emploi de bénéficier d'une formation débutant un an avant l'extinction de leur droit à la PreParE. De même, il convient de lever l'obstacle juridique qui interdit aux bénéficiaires de la PreParE qui souhaiteraient préparer leur reprise d'emploi de cumuler une formation professionnelle rémunérée avec une PreParE à taux plein.

Voilà, mes chers collègues, les quelques axes d'amélioration qui, pour celles qui relèvent du domaine de la loi, pourraient nous être soumis dans le prochain projet de loi de financement de la sécurité sociale.

À plus long terme, nous pensons qu'une réforme d'ampleur est indispensable. Celle-ci pourrait suivre le modèle qui semble aujourd'hui faire consensus. Il ressort des nombreux rapports institutionnels qui nous ont précédés, mais aussi de nos auditions, que la formule d'un congé plus court mais mieux rémunéré présente de nombreux avantages.

M. Olivier Henno, rapporteur. - Dans le scénario de réforme que nous proposons, l'indemnisation des congés parentaux aurait une durée d'une année, quel que soit le nombre d'enfants à charge. Cette durée se composerait de quatre mois non transférables, attribués à chaque parent, et de quatre mois à répartir librement au sein du couple. Cette solution maintiendrait une incitation à partager la prestation entre les deux parents sans restreindre excessivement la durée de versement si un seul parent en bénéficie.

En effet, cumulé aux congés maternité et paternité, le congé parental indemnisé permettrait, dans tous les cas, d'atteindre le premier anniversaire de l'enfant. Or favoriser la garde parentale la première année est conforme tant aux préconisations scientifiques, qui insistent sur l'intérêt de la présence des parents dans les tout premiers mois de l'enfant, qu'aux aspirations des familles. Au moins 45 % d'entre elles trouvent préférable qu'un parent garde l'enfant jusqu'à ses 12 mois.

Notre scénario de réforme aurait pour objectif de redonner aux familles une réelle liberté de choix du mode de garde. Pour ce faire, il convient d'améliorer l'indemnisation du congé pour que les parents n'y renoncent pas en raison d'arbitrages économiques. La prestation serait ainsi rémunérée par des indemnités journalières permettant d'assurer un taux de remplacement équivalent à 60 % du salaire antérieur net, dans la limite du plafond de la sécurité sociale.

Enfin, la réduction de deux ans à huit mois de la durée de prestation au titre d'un seul parent permettrait de réduire l'éloignement à l'emploi et l'effet de la parentalité sur les carrières.

Le coût de cette réforme dépend du comportement des familles mais il serait, de toute évidence, assez important. Comme la prestation regagnerait en attractivité, il est tout à fait possible que les dépenses liées à la PreParE retrouvent un niveau équivalent aux années antérieures à 2014 et se traduisent par une hausse de plus de 1 milliard d'euros par rapport aux dépenses de 2022.

Toutefois, cette réforme ne serait pas sans incidence sur les autres modes de garde : elle réduirait la demande pour les accueils d'enfants de moins de 1 an mais s'accompagnerait d'un besoin supplémentaire pour l'accueil des enfants, de leur premier anniversaire jusqu'à leur scolarisation. Il convient donc qu'une offre fournie en modes de garde formels soit accessible aux parents : cette condition préalable n'est pas aujourd'hui satisfaite par le secteur de la petite enfance. L'objectif de création de 30 000 places en établissement d'accueil du jeune enfant (EAJE) n'a pas été atteint sous la précédente législature. La capacité théorique dans les modes d'accueil formels a même décru de 2014 à 2020 et la pénurie de professionnels vient réduire encore davantage l'offre disponible.

Mme Annie Le Houerou, rapporteure. - Mes chers collègues, notre rapport propose donc des pistes concrètes d'amélioration d'une prestation laissée en pilotage automatique depuis neuf ans. En identifiant les défaillances du dispositif actuel, à commencer par un montant dérisoire, nous pouvons réformer une allocation pour réellement répondre aux besoins des familles. Nous verrons si le Gouvernement, dans le cadre du service public de la petite enfance, saura entendre nos recommandations.

Nous vous remercions pour votre attention.

Mme Catherine Procaccia. - Je vous remercie de votre travail. J'ai participé à ces débats en 2014 ; les intentions étaient positives mais je n'y croyais pas. J'avais l'impression très nette qu'il s'agissait, en premier lieu, de faire des économies. Aussi, quand vous évoquez les montants qui ne sont plus alloués, je comprends que c'était bien la politique familiale qui était en cause.

Votre proposition de réduire à un an la durée du congé tout en proposant une meilleure indemnisation est difficile à appliquer, surtout en milieu urbain dense où, pour l'enfant âgé de 1 an, il n'y a plus de mode de garde disponible, que ce soit en crèche ou chez une assistante maternelle.

Le Val-de-Marne est l'un des rares départements à avoir ses propres crèches ; il en compte 80 mais il ne parvient pas à les remplir faute de personnel. La loi ne résoudra pas ce problème. Il s'agit surtout de rendre les métiers de la petite enfance plus attractifs. Merci donc pour ce travail : il est très bon sur le fond, mais il conforte mes inquiétudes sur ce sujet.

Mme Michelle Meunier. - Ce travail permettra de compléter utilement ce qui est en préparation pour le service public de la petite enfance. En 2014, j'étais la rapporteure de ce projet et j'entendais déjà les réticences concernant les faibles taux d'indemnisation par rapport aux salaires.

Réduire le congé à un an ne me paraît pas judicieux du point de vue du bien-être de l'enfant, parce que c'est l'âge auquel il a développé un attachement très fort à sa mère, à son père, au parent qui lui donne du soin.

Je pense qu'il faut reprendre ce travail de conciliation entre la vie personnelle et la vie familiale ; il faut redonner de l'espérance aux couples qui souhaitent avoir des enfants : cela passe par une revalorisation des aides accordées et par l'accompagnement.

Mme Pascale Gruny. - Votre travail est important, notamment parce que vous avez pensé, d'une part, aux femmes et à la manière de préserver l'emploi, via la formation, et, d'autre part, à l'indemnisation, qui est ridicule et n'offre pas de réel choix dans la mesure où ce sont les femmes qui s'arrêtent le plus souvent puisque leur rémunération est inférieure à celle de leur conjoint. Je souligne également que l'article 10 du projet de loi pour le plein emploi ne révolutionne pas les choses. Les plans Crèches qui se succèdent sont toujours aussi peu efficaces et les assistantes maternelles, indispensables dans les communes rurales, perçoivent des rémunérations trop faibles...

Mme Colette Mélot. - En effet, les crèches peinent à recruter : 49 % des structures manquent de bras, il manque 10 000 agents et l'on estime que 120 000 assistantes maternelles partiront à la retraite en 2030. Si rien n'est fait, nous serons dans une situation compliquée. Les conditions de travail sont dures et les jeunes ne sont plus intéressés par les métiers de la petite enfance : espérons que le nouveau service public de la petite enfance prendra ce problème à bras-le-corps, parce que les parents ont besoin de crèche, notamment dans les villes.

M. René-Paul Savary. - Quand vous parlez d'un congé d'un an, voulez-vous dire un an par enfant ? En effet, cela favorise l'allaitement qui, s'il a lieu sur le temps long, est bénéfique au développement de l'enfant. À cet égard, cette prestation est vraiment importante.

Mme Catherine Deroche, présidente. - Il faudrait que les entreprises se montrent plus tolérantes pour que les femmes souhaitant allaiter après la reprise du travail puissent le faire.

M. Olivier Henno, rapporteur. - Monsieur Savary, à chaque naissance, il y a effectivement une recharge des droits.

Les auditions que nous avons menées nous ont permis d'identifier un besoin de souplesse et nous avons cherché à y répondre, d'où cette proposition d'un congé mieux rémunéré, même plus court. Dans l'idéal, il faudrait donc réfléchir à la proportionnalité de l'indemnisation au regard du salaire si l'on voulait vraiment résoudre la question des inégalités de traitement entre les hommes et les femmes ; cela nous emmènerait vers des questions budgétaires plus lourdes et donc une réforme plus globale.

C'est vrai, la question du mode de garde d'un enfant se pose pendant trois ans ; c'est donc une source de stress pour les couples qui envisagent de fonder une famille. C'est d'autant plus stressant que s'arrêter pour s'occuper d'un enfant représente un sacrifice pour sa carrière. Sur ce point, notre pays présente un retard par rapport aux pays scandinaves et le monde professionnel doit encore évoluer.

Il est vrai aussi que les métiers de la petite enfance attirent moins. À cela s'ajoute la difficulté pour les communes et leurs élus de mener des projets d'ouvertures de crèches publiques, en raison des coûts d'investissement et de fonctionnement.

Mme Jocelyne Guidez. - Pour moi, ce n'est pas l'investissement qui pose le plus problème mais les charges de fonctionnement qui pèsent lourdement dans les budgets des communes dans un contexte financier difficile pour elles.

Mme Annie Le Houerou, rapporteure. - Le premier objectif de la PreParE et de sa réforme était un meilleur partage de la responsabilité parentale entre les pères et les mères. On constatait, par ailleurs, que les mères enchaînaient plusieurs congés parentaux indemnisés et se retrouvaient très éloignées de l'emploi dix ans après la naissance de leur premier enfant. Le deuxième objectif était donc de faciliter leur retour vers l'emploi. Un troisième objectif était la maîtrise des dépenses publiques dans le contexte des finances publiques dont nous nous souvenons tous. L'absence de partage de la PreparE au sein des ménages et d'engagement des pères - du fait de plusieurs facteurs dont le faible montant de la prestation - a conduit la branche famille à réaliser des économies plus élevées qu'attendues.

Les prestations familiales doivent pouvoir inciter à ce meilleur partage de la parentalité, de la même manière que la loi a permis d'instaurer la parité parmi les élus. Je trouve la comparaison intéressante : sans intervention législative, nous n'aurions pas amélioré la parité en politique. Par ailleurs, pour faire bouger la société, il faut mieux communiquer auprès des pères. L'objectif non tenu de partage des responsabilités au sein des familles est en effet le premier échec de la PreParE.

Les mesures concernant la PreParE ne doivent pas faire oublier les enjeux d'une vraie politique d'accueil du petit enfant, en matière d'investissement, de fonctionnement et d'attractivité des métiers. Rappelons qu'aujourd'hui des crèches ferment, faute de personnel ; l'enjeu est donc moins de créer des places pour les enfants que de recruter des personnes pour s'en occuper.

Enfin, la clé reste l'égalité femme-homme : le couple fait son calcul, et tant que l'égalité salariale n'aura pas été atteinte, le partage de la parentalité telle que nous la souhaitons n'aura pas lieu.

Les recommandations sont adoptées.

La commission adopte le rapport d'information et en autorise la publication.

Proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, visant à lutter contre le dumping social sur le transmanche - Examen des amendements au texte de la commission

Mme Catherine Deroche, présidente. - Nous examinons maintenant les amendements de séance sur la proposition de loi visant à lutter contre le dumping social sur le transmanche.

EXAMEN DES AMENDEMENTS AU TEXTE DE LA COMMISSION

Avant l'article 1er

Mme Catherine Procaccia, rapporteur. - L'amendement n°  22 est irrecevable en application de l'article 45 de la Constitution.

L'amendement n° 22 est déclaré irrecevable en application de l'article 45 de la Constitution.

Article 1er

Mme Catherine Procaccia, rapporteur. - Les amendements nos  3, 25 et 18 prévoient de préciser dans la loi que l'article 1er n'est applicable qu'aux liaisons entre la France et le Royaume-Uni. L'amendement n° 3 du Gouvernement inclut les îles anglo-normandes.

En effet, il est risqué au regard du principe d'égalité, de ne viser qu'un seul pays. Il est préférable que le décret qui déterminera les lignes concernées prenne en compte un ensemble de critères qui ne seront pas exclusivement géographiques, comme les enjeux de sécurité maritime liés à la forte affluence dans le détroit ou la fréquence des liaisons. C'est pourquoi j'émets un avis défavorable. Je m'étonne d'ailleurs de la position du Gouvernement, puisqu'il était défavorable à cette modification à l'Assemblée nationale.

La commission émet un avis défavorable aux amendements nos 3, 25 et 18.

Mme Catherine Procaccia, rapporteur. - L'amendement no  17 modifie substantiellement l'article 1er pour créer deux régimes distincts pour les liaisons entre la France et le Royaume-Uni ou l'Irlande. Pour les armateurs établis en France, il impose le pavillon français, et donc l'application du droit du travail français ; pour les armateurs établis au Royaume-Uni ou en Irlande, il impose que les salariés soient rémunérés au moins au Smic et qu'ils bénéficient des règles de repos et de congés du droit du travail français.

Outre qu'il crée une différence de traitement non justifiée selon le lieu d'établissement de l'armateur, cet amendement est manifestement contraire au droit européen. Avis défavorable.

Les amendements no  19 rectifié, 21 rectifié, 20 rectifié et 5 rectifié ajoutent des obligations issues du droit du travail français aux employeurs du personnel navigant sur le transmanche.

Si l'on ne peut être opposé à leur contenu, ces amendements n'ont pas de lien direct avec le dumping social et excéderaient le champ d'une loi de police. Avis défavorable.

L'amendement n°  26 rectifié revient sur une modification apportée par la commission. Il ne me semble pas utile.

La commission émet un avis défavorable aux amendements nos 17, 19 rectifié, 21 rectifié, 20 rectifié, 5 et 26 rectifié.

Mme Catherine Procaccia, rapporteur. - Alors que l'article 1er prévoit qu'un décret fixera les langues dans lesquelles seront écrits les documents à disposition de l'équipage, l'amendement no  8 prévoit qu'ils soient au moins disponibles en français et en anglais, sous peine de sanction.

Il me semble que le renvoi au décret est suffisant et pertinent pour que les règles soient adaptées aux différentes situations, sans lister dans la loi les langues à utiliser. Par ailleurs, prévoir une sanction pour ce motif pourrait être disproportionné. Avis défavorable.

La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 8.

Mme Catherine Procaccia, rapporteur. - L'amendement no   9 crée une sanction pénale en cas d'atteinte à l'exercice régulier du contrôle de l'application des règles imposées aux employeurs et armateurs. Il nous semble risqué juridiquement, pour plusieurs raisons.

Premièrement, le code du travail prévoit déjà que le fait de faire obstacle à l'accomplissement des devoirs d'un inspecteur du travail est puni d'un an d'emprisonnement et de 37 500 euros d'amende.

Deuxièmement, le code des transports donne déjà des prérogatives pour les contrôles sur les navires, notamment sur les contrôles par l'État du port des navires étrangers ou le principe de libre accès à bord pour procéder aux visites et inspections en matière de sécurité.

Troisièmement, la nature de l'infraction visée dans l'amendement nous paraît imprécise : « l'exercice régulier des fonctions et missions des agents chargés des contrôles » peut couvrir un large champ d'action, qui irait au-delà de l'obstacle à un contrôle sur un navire visé à l'article 1er.

Enfin, la commission a considéré que les sanctions pénales déjà prévues étaient suffisamment dissuasives. Il est risqué de les alourdir et d'ajouter des sanctions spécifiques au trafic transmanche : nous risquons d'excéder le champ d'une loi de police et de nous exposer à une annulation du texte.

Le sous-amendement no  35 du Gouvernement restreint le champ aux seuls agents des affaires maritimes, mais il ne lève pas l'ensemble des difficultés et des risques que je viens d'évoquer. Avis défavorable.

La commission émet un avis défavorable au sous-amendement n° 35.

La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 9.

Mme Catherine Procaccia, rapporteur. - L'amendement no  27 rectifié rétablit la sanction d'interdiction d'accoster dans un port français. Avis défavorable.

La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 27 rectifié.

Mme Catherine Procaccia, rapporteur. - L'amendement no  10 limite les personnes habilitées à constater les infractions aux seules inspections du travail et des affaires maritimes.

Il me semble que cet amendement restreint quelque peu le champ des personnes habilitées à contrôler les infractions aux obligations de droit social prévues à l'article 1er.

Les inspections du travail et des affaires maritimes seront les plus mobilisées pour effectuer ces contrôles - de ce point de vue l'amendement est satisfait -, mais il pourrait être utile que d'autres agents concourent au contrôle et au constat d'éventuelles infractions, qu'ils pourront, par exemple, constater lors d'un contrôle des documents de bord. Avis défavorable.

La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 10.

Mme Catherine Procaccia, rapporteur. - L'amendement no  6 prévoit l'information des organisations syndicales lorsqu'une amende administrative est prononcée. Il semble compliqué de prévoir cette information dans la mesure où les amendes pourront concerner des entreprises étrangères, qui emploient des gens de mer étrangers ; il n'y a donc pas lieu d'informer les syndicats dans ce cas. Avis défavorable. 

La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 6.

La commission émet un avis favorable à l'amendement de coordination n°  4.

Article 1er bis (supprimé)

La commission émet un avis défavorable aux amendements identiques de rétablissement nos  7, 28, 30 et 32.

Article 1er ter (supprimé)

La commission émet un avis défavorable aux amendements identiques de rétablissement nos  29, 31 et 33.

Article 3 (supprimé)

La commission émet un avis défavorable à l'amendement de rétablissement n°  23 rectifié.

Article 4 (supprimé)

La commission émet un avis défavorable à l'amendement de rétablissement n°  24 rectifié.

Intitulé de la proposition de loi

Mme Catherine Procaccia, rapporteur. - Les amendements identiques nos  12 et 34 ainsi que l'amendement n°  11 ont pour objet de modifier l'intitulé de la PPL alors que la commission l'a complété pour rappeler que son objet était également de renforcer la sécurité du transport maritime.

La commission émet un avis défavorable aux amendements identiques nos 12 et 34, de même qu'à l'amendement n° 11.

TABLEAU DES AVIS

Article additionnel avant l'article 1er

Auteur

Objet

Avis de la commission

M. BACCHI

22

Exclusion du registre international français des navires assurant des liaisons entre la France et le Royaume-Uni

Irrecevable au titre de l'art. 45, alinéa 1, de la Constitution

Article 1er
Application du salaire minimum conventionnel au personnel
assurant certaines liaisons maritimes internationales

Le Gouvernement

3

Application de l'article 1er aux seules lignes reìgulieÌres internationales entre la France et le Royaume-Uni ou les i?les anglo-normandes

Défavorable

M. BACCHI

25

Application de l'article 1er aux seules lignes reìgulieÌres internationales entre la France et le Royaume-Uni

Défavorable

M. BACCHI

18

Application de l'article 1er aux seules lignes reìgulieÌres internationales entre la France et le Royaume-Uni

Défavorable

M. BACCHI

17

Obligation de pavillonnement français pour les navires de compagnies établies en France assurant des liaisons vers le Royaume-Uni et l'Irlande et renforcement des obligations sociales pour les compagnies établies à l'étranger effectuant ces liaisons

Défavorable

Mme APOURCEAU-POLY

19 rect.

Application au personnel navigant du droit du travail français pour le paiement du salaire, la durée du travail, les repos compensateurs, les jours fériés, les congés annuels payés et le travail de nuit des jeunes travailleurs

Défavorable

Mme APOURCEAU-POLY

21 rect.

Application au personnel navigant des règles du droit du travail français pour le paiement des salaires et la majoration des heures supplémentaires

Défavorable

Mme APOURCEAU-POLY

20 rect.

Application au personnel navigant des règles du droit du travail français pour la durée du travail, les repos compensateurs, les jours fériés, les congés annuels payés et le travail de nuit des jeunes travailleurs

Défavorable

Mme Mélanie VOGEL

5

Application au personnel navigant des règles du droit du travail français pour l'indemnisation des congés

Défavorable

Mme APOURCEAU-POLY

26 rect.

Précision selon laquelle la règle d'équivalence entre la durée d'embarquement et la durée de repos est fixée dans l'intérêt de la sécurité de la navigation et de la lutte contre les pollutions marines

Défavorable

Mme Mélanie VOGEL

8

Obligation pour les documents mis à disposition de l'équipage d'être au moins écrits en français et en anglais.

Défavorable

Mme Mélanie VOGEL

9

Sanctions pénales en cas d'atteinte aÌ l'exercice reìgulier des fonctions et missions des agents chargeìs des contro?les

Défavorable

Le Gouvernement

35

Restriction aux agents des affaires maritimes des sanctions pénales en cas d'atteinte aÌ l'exercice reìgulier des fonctions et missions des agents chargeìs des contro^les

Défavorable

Mme APOURCEAU-POLY

27 rect.

Rétablissement de la sanction d'interdiction d'accoster dans un port français

Défavorable

Mme Mélanie VOGEL

10

Limitation des personnes habilitées à constater les infractions aux seules inspections du travail et des affaires maritimes

Défavorable

Mme Mélanie VOGEL

6

Information des organisations syndicales lorsqu'une amende administrative est prononcée

Défavorable

Le Gouvernement

4

Coordination

Favorable

Article 1er bis (Supprimé)
Renforcement des sanctions pénales dans le cadre
du dispositif de l'État d'accueil

Mme Mélanie VOGEL

7

Aggravation des sanctions pénales applicables dans le cadre du dispositif de l'État d'accueil

Défavorable

M. GUÉRINI

28

Aggravation des sanctions pénales applicables dans le cadre du dispositif de l'État d'accueil

Défavorable

M. HASSANI

30

Aggravation des sanctions pénales applicables dans le cadre du dispositif de l'État d'accueil

Défavorable

M. CANÉVET

32

Aggravation des sanctions pénales applicables dans le cadre du dispositif de l'État d'accueil

Défavorable

Article 1er ter (Supprimé)
Création d'un régime de sanctions administratives
dans le cadre du dispositif de l'État d'accueil

M. GUÉRINI

29

Création d'un régime de sanctions administratives dans le cadre du régime de l'État d'accueil

Défavorable

M. HASSANI

31

Création d'un régime de sanctions administratives dans le cadre du régime de l'État d'accueil

Défavorable

M. CANÉVET

33

Création d'un régime de sanctions administratives dans le cadre du régime de l'État d'accueil

Défavorable

Article 3 (Supprimé)
Rapport sur le dumping social sur les lignes régulières de ferries
au sein de l'Union européenne

Mme APOURCEAU-POLY

23 rect.

Demande de rapport sur l'état des pratiques relatives au dumping social

Défavorable

Article 4 (Supprimé)
Rapport sur les besoins humains et financiers des services chargés
de l'inspection du travail maritime

Mme APOURCEAU-POLY

24 rect.

Demande de rapport recensant les besoins humains et financiers des services en charge de l'inspection du travail maritime

Défavorable

Intitulé de la proposition de loi

M. HASSANI

12

Suppression de la référence au transmanche dans l'intitulé de la proposition de loi

Défavorable

M. CANÉVET

34

Suppression de la référence au transmanche dans l'intitulé de la proposition de loi

Défavorable

Mme Mélanie VOGEL

11

Suppression de la référence au transmanche dans l'intitulé de la proposition de loi

Défavorable

La réunion est close à 11 h 40.

- Présidence de Mme Catherine Deroche, présidente -

La réunion est ouverte à 13 h 30.

Projet de loi pour le plein emploi - Audition de M. Olivier Dussopt, ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion

Mme Catherine Deroche, présidente. - Monsieur le ministre, le Sénat est saisi du projet de loi pour le plein emploi. Notre commission devrait l'examiner dès mercredi prochain, avant son passage en séance prévu du lundi 10 au jeudi 13 juillet, en clôture de la session extraordinaire.

Le Sénat est la première assemblée saisie sur ce projet de loi tandis que chemine en parallèle à l'Assemblée nationale un autre texte sur le travail, le projet de loi portant transposition de l'accord national interprofessionnel (ANI) relatif au partage de la valeur au sein de l'entreprise, que les députés examineront en séance du 26 au 29 juin. Peut-être pourrez-vous nous préciser les raisons qui ont motivé le Gouvernement à scinder ces textes et à faire ces parcours croisés.

J'en profite pour vous informer, Monsieur le Ministre, que j'ai dit en conférence des présidents, la semaine dernière, qu'il ne me semblerait pas très opportun de commencer la session 2023-2024 du Sénat par l'examen de ce projet de loi sur l'ANI. En effet, cela obligerait la commission à adopter son rapport dès sa réunion constitutive, le 5 octobre, sans travaux préparatoires et sans avoir pu entendre ni ministre ni partenaires sociaux.

M. Olivier Dussopt, ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion. - Merci pour cette invitation à vous présenter ce texte.

Je transmettrai votre message sur la date d'examen du projet de loi sur l'ANI par le Sénat.

Le Gouvernement a souhaité un examen séparé du texte ANI, car il opère une transposition que nous souhaitons intégrale et fidèle, conformément à notre engagement devant les partenaires sociaux. Il nous a semblé préférable, en conséquence, de réserver un texte entier à la transposition de cet accord conclu par les partenaires sociaux. Pour l'examen de ce texte à l'Assemblée nationale, le Gouvernement n'est d'ailleurs favorable qu'aux seuls amendements qui sont conformes à l'accord signé par les sept partenaires sociaux, ceci pour préserver le consensus qui a prévalu lors de cette signature. Ce que vous désignez comme le calendrier croisé, ensuite, tient à l'organisation des travaux parlementaires eux-mêmes, à l'agenda des deux chambres.

À l'origine de ce projet de loi pour le plein emploi, il y a d'abord ce constat positif que, depuis 2017, l'économie française a créé 1,7 million d'emplois ; le taux de chômage est passé de 9,5 % à 7,1 %, et le taux d'emploi n'a jamais été aussi élevé depuis la création de cet indicateur, en 1975 : 68 % pour les 15-64 ans, le taux d'emploi des 15-24 ans n'a jamais été aussi haut depuis 1990 et celui des séniors n'a jamais été aussi élevé. Ensuite, les emplois créés le sont à 52 % en contrat à durée indéterminée (CDI), c'est un record depuis trente ans et c'est un bon signe, à contrepied de l'image d'un développement massif de l'auto-entreprise. Cependant, notre taux de chômage, à 7,1 %, est encore bien supérieur à la moyenne européenne et - ce qui peut paraître paradoxal - les entreprises rencontrent de réelles difficultés à recruter : deux tiers des PME disent avoir rencontré des difficultés de recrutement et 60 % des entreprises industrielles déclarent avoir renoncé à augmenter leur activité faute de ressources humaines.

Ces difficultés ont trois causes bien identifiées : l'inadéquation des compétences aux besoins, à laquelle nous essayons de répondre collectivement depuis 2018 avec le plan d'investissement dans les compétences ; les difficultés liées aux règles du marché du travail, auxquelles nous avons apporté de premières réponses par les réformes de 2019 et 2022 ; enfin, les difficultés liées au fonctionnement du service public de l'emploi lui-même, et c'est l'objet du projet de loi que je vous présente aujourd'hui. Ce texte s'appuie sur une concertation approfondie, confiée à un Haut-commissaire à l'emploi et à l'engagement des entreprises, Thibaut Guilluy ; elle s'est déroulée pendant huit mois et a ouvert sur un rapport, qui m'a été remis le 17 avril dernier. Ce rapport pose 10 principes, que le Gouvernement reprend intégralement, et 99 propositions, que nous ne saurions reprendre toutes mais qui sont une source d'inspiration et de débat.

Ce projet de loi compte 11 articles et poursuit trois objectifs - plus un quatrième, qui est porté par mon collègue Jean-Christophe Combe, ministre des solidarités, de l'autonomie et des personnes handicapées.

Premier objectif : améliorer la structure et la gouvernance du service public de l'emploi. C'est le but de la transformation de Pôle emploi en France Travail, avec le statut d'opérateur et un rôle de coordination au service des autres acteurs de l'emploi, avec un système d'information et des référentiels communs. Il ne s'agit donc pas d'une recentralisation, l'opérateur France Travail sera l'animateur technique dans le cadre d'une gouvernance du service public de l'emploi partagée avec les élus locaux. Il y a des interrogations, c'est bien légitime quand il s'agit du service public de l'emploi, et j'entends y répondre. Les initiatives locales, d'abord, seront conservées. Dans bon nombre de territoires, le réseau France Travail fonctionne déjà par une bonne coordination des différents acteurs. Les missions locales continueront d'être les opérateurs auprès des publics jeunes, aucune disposition de ce projet de loi ne modifie leur statut. L'opérateur France Travail aura un rôle d'animation et pas de direction, les opérateurs continueront d'être liés par conventionnement avec l'État et non avec l'opérateur France Travail.

Il y a, ensuite, un aspect très technique, avec les systèmes d'information et ce qu'on appelle parfois les communs numériques. Le système va devenir plus horizontal, pour un meilleur partage de l'information entre acteurs. Cela sera précisé par décret après avis de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL), l'objectif étant de parvenir à un système horizontal pour un partage de l'information, gage d'efficacité et d'un meilleur suivi des allocataires et des demandeurs d'emploi. Chaque opérateur pourra prendre la suite du précédent sans avoir à reconstituer le parcours du demandeur, le but étant ce qu'on appelle parfois un parcours « sans couture ». L'objectif est d'avoir des systèmes d'information communs et d'avoir des méthodes communes pour ce qu'on appelle le référentiel, de façon à ce que les acteurs de l'emploi puissent prendre les mêmes informations à la source, pour une meilleure qualité d'orientation. C'est aujourd'hui un point faible de notre système, les acteurs ayant souvent trop peu de temps pour le diagnostic social et économique.

Nous voulons ouvrir la gouvernance aux collectivités territoriales, en les incluant dans le comité national d'orientation de France Travail, aux côtés de l'État et des partenaires sociaux, mais aussi au niveau des régions et des départements - nous prévoyons d'ailleurs que le président du conseil départemental et le préfet puissent modifier les référentiels pour tenir compte des caractéristiques départementales de l'emploi et de la formation. À l'échelon infra-départemental, le projet de loi ne fixe pas les modalités du co-pilotage du service public de l'emploi, l'idée étant que les collectivités territoriales déterminent elles-mêmes l'échelle pertinente, par exemple le bassin d'emploi ou l'arrondissement, ou encore l'intercommunalité. Dans certains territoires, l'insertion sera mise en avant, et donc le département, dans d'autres ce sera la mobilité ou l'accès au logement ; les sujets sont divers et nous tenons au principe de subsidiarité pour déterminer les modalités du co-pilotage avec l'État.

Je veux souligner trois points sur la gouvernance. Ce texte n'organise en rien la fusion des organismes qui contribuent au service public de l'emploi, nous ne voulons pas d'un « big bang » de ce service public qui passerait par une fusion de Pôle emploi et des missions locales, avec toutes les difficultés que cela poserait - alors que nous avons besoin d'être réactifs. Ensuite, aucune disposition ne revient sur la répartition des compétences entre les collectivités territoriales et l'État, ce n'est pas un texte recentralisateur, il ne touche pas à la répartition des compétences. Enfin, nous avons voulu associer les collectivités territoriales à la définition des orientations du service public de l'emploi, car les freins à l'emploi sont très divers selon les territoires et nous voulons y répondre de la façon la plus adaptée. Mme le rapporteur souligne à raison une difficulté : le fait qu'un même nom, France Travail, désigne un opérateur et le réseau des acteurs de l'emploi, peut être une source de confusion, que l'examen du texte, j'espère, permettra de lever.

Deuxième objectif de ce texte : améliorer l'accompagnement des demandeurs d'emploi, en particulier des plus fragiles d'entre eux. Le constat n'est pas bon pour les allocataires du revenu de solidarité active (RSA) : 42 % des allocataires le sont depuis plus de 7 ans de manière continue ou récurrente, un sur six ne fait l'objet d'aucun suivi social et professionnel et au bout de sept ans, seul un allocataire sur trois retrouve un emploi, souvent précaire. Il nous faut donc réinvestir l'accompagnement, retrouver l'esprit du revenu minimum d'insertion (RMI) de 1988, quand le législateur avait décidé que 20 % des dépenses devaient aller à l'insertion et 80 % à l'allocation. Cette proportion a été laissée de côté en 2004 lors de la nouvelle répartition des compétences. L'État doit réinvestir pour donner plus de moyens aux conseils départementaux pour les politiques d'insertion. J'ai donc proposé qu'une partie des crédits dédiés à France Travail soit fléchée vers les conseils départementaux pour accompagner ces politiques d'insertion, pour un accompagnement plus personnalisé - d'autant que la totalité des allocataires seront inscrits à France Travail, ce qui est une façon de garantir un suivi de l'insertion professionnelle en plus du suivi social.

Nous voulons rénover les modalités de l'accompagnement en généralisant le contrat d'engagement, qui tiendra compte de l'âge du demandeur ou de l'allocataire, de sa situation économique, des freins à l'emploi, de l'offre d'insertion et de formation.

Nous souhaitons que ce contrat permette d'aller jusqu'à 15 à 20 heures d'activité d'insertion et de formation par semaine. Ce n'est évidemment pas du travail gratuit ni du bénévolat obligatoire, il faudra déterminer avec les allocataires le type d'action et de parcours choisi, cela pourra aller du passage du permis de conduire à la recherche d'un logement, en passant par des jobs dating ou des ateliers d'élaboration et de réécriture de CV ou encore des formations. Nous voulons aussi rétablir la logique de responsabilité et de contrepartie qui était celle de la loi de 1988. L'allocation n'est pas conditionnée à la signature du contrat, elle est un droit opposable, mais une fois le contrat signé, si la personne ne respecte pas les engagements qu'elle a pris, il y a une sanction possible, avec la radiation et la suppression de droits. Nous créons une modalité de suspension, où les conseillers sociaux et d'insertion professionnelle proposeront au président du département la suspension de l'allocation, le temps que les engagements soient respectés. C'est une modalité moins forte que la radiation, elle n'est pas irréversible et elle pourra même être sans incidence sur l'allocation perçue dès lors que la personne réagira très rapidement. Nous prévoyons que le président du département puisse prendre la décision s'il le souhaite, et qu'à défaut de réponse sous un mois, Pôle emploi puisse appliquer la suspension. Nous proposons aussi de modifier quelques dispositions techniques concernant la formation, en particulier pour que les bacheliers, jusqu'à bac+2, puissent bénéficier d'une formation au titre du plan d'investissement dans les compétences, alors que ces formations sont actuellement fermées aux bacheliers.

Troisième chantier, que j'aborde très rapidement : ce texte comporte des mesures annoncées par le Président de la République à l'issue de la Conférence nationale du handicap, par exemple le fait que le droit d'orientation en milieu ordinaire soit la règle pour les demandeurs d'emploi en situation de handicap, ou encore le fait que le droit applicable aux travailleurs handicapés accueillis en établissement et service d'aide par le travail (ESAT) soit le même que pour les salariés - sauf le licenciement, parce qu'il faut protéger les travailleurs en ESAT. Nous souhaitons aussi que les bénéficiaires de l'obligation d'emploi, par exemple après l'attribution d'une pension d'invalidité par la sécurité sociale, bénéficient des mêmes droits d'accès aux entreprises adaptées que les personnes titulaires d'une reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé (RQTH). Nous voulons aussi faire en sorte que les expérimentations relatives aux CDD tremplins et aux entreprises adaptées de travail temporaire, soient pérennisées et accompagnées.

Enfin, le quatrième objectif est d'améliorer le service public de la petite enfance, mais je laisserai Jean-Christophe Combe vous en parler lors de l'audition que vous avez prévue avec lui.

Mme Pascale Gruny, rapporteur. - Vous soulignez qu'effectivement, la dénomination identique « France travail » pour l'opérateur Pôle emploi et pour le réseau d'ensemble laisse penser à une hiérarchie, comme si l'opérateur était au-dessus ; c'est un irritant. Quant aux 15 à 20 heures d'activité, pensez-vous qu'il soit possible d'inscrire ce volume d'heures dans la loi ? Mon département expérimente la mesure et il me semble que si la loi n'est pas suffisamment précise sur ce point, quitte à ce qu'il y ait de la souplesse dans l'application, la mesure ne sera pas effective.

Comment concrétiser les droits et les devoirs des demandeurs d'emploi et des allocataires du RSA ? Et comment voyez-vous les choses s'articuler pour le suivi des couples, dès lors que l'inscription du conjoint de l'allocataire sera obligatoire ?

Quid, ensuite, du financement : on parle d'un coût de 2,3 à 2,7 milliards d'euros sur trois ans, comment cette évaluation a-t-elle été faite ? Qui paiera, entre l'État, l'Unedic et les départements ? Quels seront les moyens pérennes pour la mise en oeuvre de la réforme ? Dans mon département, Pôle emploi n'a pas eu de moyens supplémentaires pour l'expérimentation relative à l'accompagnement des allocataires du RSA et c'est le département qui a dû financer les emplois nécessaires, soit 8 emplois en équivalent temps plein (ETP) chez Pôle emploi et 1 ETP pour la mission locale : est-ce bien satisfaisant ?

Enfin, quelle sera la coordination entre les comités institués à différents échelons territoriaux ? Qu'attendez-vous des collectivités territoriales ?

M. Philippe Mouiller, rapporteur. - Je salue le travail de concertation conduit par Thibaut Guilluy  avec les structures du secteur du handicap. Cependant, des inquiétudes demeurent. La première concerne les travailleurs handicapés dans les ESAT, dont le modèle économique est fragile. Un tiers des ESAT n'est pas à l'équilibre ; s'ils ne sont pas soutenus financièrement, ils devront chercher de la productivité, ce qui aura une incidence directe sur les salariés les moins « productifs », ou bien ils devront arrêter leur activité, dès lors que l'orientation prise par ce texte vise le milieu ordinaire du travail. Comment pensez-vous soutenir les ESAT, dans le cadre de quelle mission budgétaire ? Il y a un vrai sujet, celui de la pérennité de ces structures.

Les Cap emploi, ensuite, peuvent jouer un rôle important dans le repérage des opportunités d'emploi pour les travailleurs handicapés ; dès lors qu'ils seront moins visibles dans la nouvelle organisation du service public de l'emploi, comment parviendront-ils à trouver leur place auprès des entreprises ? Il n'y a guère d'inquiétude pour l'accompagnement des travailleurs handicapés, c'est le coeur de métier des Cap emploi, mais comment les choses vont-elles se passer pour cette fonction très utile d'identification au sein des entreprises des possibilités de recrutement de travailleurs handicapés ?

Troisième point, lié à l'inscription automatique à France travail de toute personne en recherche d'emploi. Ne risque-t-on pas de mettre de côté des travailleurs handicapés qui demandent ou qui bénéficient d'une RQTH, mais qui se perçoivent comme très éloignés de l'emploi et qui, de ce fait, risquent de passer à côté d'un accompagnement ? Ne peut-on pas envisager une relation directe entre demande de RQTH et inscription sur la liste des demandeurs d'emploi, sachant que les personnes demandent elles-mêmes la RQTH ?

Enfin, nous examinerons de très près la situation des personnes lourdement handicapées, qui ont été oubliées lors de la réforme de l'obligation d'emploi des travailleurs handicapés (OETH).

M. Olivier Dussopt, ministre. - Le nom de l'opérateur peut être mieux compris, si l'on parvient à bien distinguer ce qui relève du réseau des acteurs de l'emploi et ce qui relève de l'opérateur, sachant que l'opérateur ne décide pas de la politique des autres acteurs : chacun reste dans ses compétences, j'y ai veillé. Je le dis en passant, mais je ne suis pas sûr que le Gouvernement aurait trouvé une majorité au Sénat pour modifier la répartition des compétences entre l'État et les collectivités territoriales...

Peut-on écrire dans la loi une durée de 15 à 20 heures hebdomadaires d'activité ? Cela signifierait que la puissance publique garantisse la possibilité d'une telle activité sur tous les territoires, c'est loin d'être assuré. Nous savons aussi que des allocataires du RSA sont très éloignés de l'emploi, au point qu'une activité immédiate de 15 à 20 heures hebdomadaires serait peu réaliste, et la loi prévoit justement la possibilité de commencer par un accompagnement social sans accompagnement professionnel. Il ne faut pas enfermer l'action en ne laissant pas d'autre choix que l'activité.

Sur la question des conjoints, ensuite, la réforme que je vous propose met à jour des règles actuelles méconnues. Aujourd'hui, le RSA est familialisé, il dépend du foyer fiscal, et quand l'allocataire est en couple, les droits et les devoirs s'appliquent au couple et pas seulement à l'individu. Donc lorsqu'un allocataire du RSA sera automatiquement inscrit à France travail, son conjoint le sera également s'il ne travaille pas, cela relève de la gestion, mais il faut préciser les choses, en tout cas ce suivi est plutôt une bonne nouvelle et une avancée.

Qu'attend-on des collectivités locales, avec cette réforme ? Non pas qu'elles fassent davantage, mais que le service public de l'emploi soit mieux coordonné. C'est le sens de la création des comités France Travail aux différents échelons territoriaux : ils doivent améliorer la coordination - il ne s'agit pas de faire à la place, mais de se coordonner.

S'agissant du financement, le rapport de Thibaut Guilluy estime le besoin cumulé entre 2,2 et 2,7 milliards d'euros, la mobilisation est progressive puisque bien des mesures n'interviendront pas avant 2025, et le besoin pour l'an prochain peut être estimé entre 300 et 500 millions d'euros. Comment les trouver ? Ce que nous envisageons, d'abord, c'est d'augmenter le financement budgétaire de Pôle emploi, demain France Travail. Ensuite, il faut savoir que les quatre cinquièmes de ce financement relèvent du versement par l'Unedic de 11 % de ses recettes, et que la dynamique des recettes de l'Unedic, due aux créations d'emplois, devrait augmenter de 400 millions d'euros cette participation de l'Unedic à Pôle emploi l'an prochain. Je rappelle que l'Unedic, qui était déficitaire depuis une dizaine d'années, d'environ 1,9 milliard d'euros annuels, est devenue excédentaire avec les créations d'emplois de 4 milliards d'euros l'an passé, et l'excédent devrait atteindre 8,7 milliards l'an prochain et entre 10 et 18 milliards d'euros en 2027, selon que le taux de chômage est de 7 % ou de 5 %... Il y a donc des marges budgétaires de ce côté-là.

Sur le handicap, ensuite, il ne s'agit nullement de remettre en cause le modèle des ESAT, mais de faire converger les droits. Cette convergence portera d'ailleurs surtout sur la complémentaire santé obligatoire, ainsi que sur le droit de grève, le droit syndical et la participation aux frais de mobilité. Ensuite, nous avons une obligation morale, sachant que quatre travailleurs en Esat sur cinq n'ont pas de couverture complémentaire, ce qui n'est pas acceptable. Il faut poursuivre le plan de transformation des ESAT mis en place depuis trois ans et prendre en charge, effectivement, des dépenses nouvelles. J'appelle, pour ma part, à un droit au retour : nous voulons faciliter le passage vers le milieu ordinaire, mais il faut aussi sécuriser le retour en cas d'échec, parce que, comme dans toute trajectoire professionnelle, il peut y avoir des échecs. Cap emploi, ensuite, est un opérateur reconnu par Pôle emploi ; le repérage de postes pour l'insertion des travailleurs handicapés et l'une de ses missions et il faut continuer dans ce sens.

Quant à l'idée d'une inscription sur la liste des demandeurs d'emploi à travers la demande de RQTH à l'initiative de la personne, il faut regarder ce point de plus près. J'en profite pour dire que nous allons prendre un décret pour déplafonner le cumul de l'allocation adulte handicapé (AAH-2) avec l'activité salariée - aujourd'hui limité à 17 h 30 hebdomadaires - ce qui rendra accessibles des contrats aidés qui représentent 25 heures de travail hebdomadaires.

Mme Émilienne Poumirol. - Je m'interroge sur le calendrier de votre réforme : une expérimentation vient de démarrer, on ne connaît donc pas ses résultats, mais déjà vous généralisez, comme ce Gouvernement l'a déjà fait en matière de santé. Est-ce bien raisonnable ?

Je m'interroge aussi sur cette obligation d'inscription à France Travail pour tout allocataire du RSA, y compris pour le conjoint : quel but poursuivez-vous ?

Vous parlez d'un comité d'orientation de France Travail, de décisions prises par décret - c'est donc que nous allons adopter un texte, mais que le ministre va en décider des modalités ?

Même chose sur l'activité possible, jusqu'à 15 à 20 heures hebdomadaires : la mention ne figure pas dans le texte, il faudrait être plus précis.

Enfin, sur le financement, vous évoquez la manne miraculeuse de l'Unedic, mais dans les faits, nous savons tous que les agents de Pôle emploi sont déjà débordés, et que votre réforme va les charger davantage : allez-vous augmenter les moyens de l'opérateur pour faire face au surplus de travail ? Il y a aussi des possibilités de déléguer au privé des tâches du service public de l'emploi (SPE) : n'est-ce pas un glissement vers une privatisation du SPE ?

M. Jean-Marie Vanlerenberghe. - J'ai présidé pendant des années un plan local pour l'insertion et l'emploi (Plie), nous avons créé une maison de l'emploi, une mission locale, une cité des métiers... mais toujours, nous avons buté sur le fait que Pôle emploi se pensait le seul acteur du service public de l'emploi. Chacun comprend que Pôle emploi, comme opérateur sous tutelle de l'État, dispose de prérogatives, mais il y a cette difficulté à intégrer les autres acteurs. Vous avez raison de vouloir créer un véritable réseau, même si l'usage d'un même nom, France Travail, est une source de confusion.

La décentralisation, ensuite, est indispensable, le co-pilotage est essentiel, car les situations varient d'un territoire à l'autre. Il faut associer les opérateurs au niveau infra-départemental.

Il faut s'assurer que l'inscription à la mission locale vaudra inscription à France travail, pour éviter les doublons : est-ce bien le cas ?

Quelle coordination, ensuite, dans la relation aux employeurs ? Car si nous avions réussi sur ce plan dans notre maison de l'emploi, c'est que Pôle emploi avait joué le jeu. Vous savez comme moi que les entreprises préfèrent de loin un interlocuteur unique à un défilé d'opérateurs qui leur parlent chacun de « son » public...

Enfin, quels moyens pour accompagner les départements sur le RSA, sachant que les dépenses d'accompagnement représentent à peine 10 % de l'ensemble, soit la moitié de l'objectif ?

M. Daniel Chasseing. - Accéder au travail, c'est s'émanciper et s'insérer dans la société, pour soi-même mais aussi pour sa famille. Or, parmi les 2 millions d'allocataires du RSA, 61 % le sont depuis plus de 2 ans et 37 % depuis plus de 5 ans. Beaucoup restent parce qu'ils craignent de perdre leur allocation et les droits connexes.

Pour les personnes les plus éloignées de l'emploi, n'est-il pas nécessaire, en plus de l'accompagnement personnalisé, de proposer une découverte de l'entreprise ? Et comment assurer que l'accompagnement soit bien effectif avec le logement, la mobilité, les gardes d'enfants ?

Ensuite, pour réussir, votre réforme a besoin de moyens. Il y a certes la coordination entre acteurs, mais il faut aussi renforcer le soutien aux entreprises adaptées : est-ce bien le cas ?

Enfin, nous avons adopté au Sénat une proposition de loi de Claude Malhuret, autorisant l'allocataire du RSA au chômage de longue durée et qui trouve un emploi, à conserver son allocation pendant les neuf premiers mois de son emploi : n'est-ce pas une mesure utile, en particulier pour les séniors ?

Mme Corinne Féret. - Je m'interroge sur la place et le rôle des régions et des départements dans la gouvernance du service public de l'emploi telle que vous nous la proposez. Vous dites que votre texte ne modifie pas la répartition des compétences, mais vous proposez en fait de « partager », dans ces nouveaux comités, ce qui relève aujourd'hui d'une compétence exclusive de la région ou du département - par exemple la formation, compétence transférée aux régions depuis quatre décennies, ou l'insertion sociale, transférée aux départements. Il faudra aussi que les collectivités signent une charte d'engagements, avant de s'installer à la coprésidence des comités avec l'État ; mais que se passera-t-il si les collectivités territoriales ne signent pas ? L'État assumerait-il seul les compétences en question ?

Sur le financement, ensuite, vous évoquez des moyens supplémentaires en loi de finances et la dynamique des recettes de l'Unedic - il se dit aussi que la ponction sur ces recettes de l'Unedic pourrait passer de 11 % à 15 ou 16 %. Mais vous ne mentionnez pas la dette de l'Unedic, liée à la crise 2008 et à la crise sanitaire, qui dépasse 18 milliards d'euros, c'est considérable. Ce texte doit préciser les orientations sur le financement, les besoins sont considérables, bien au-delà des 2,2 à 2,7 milliards dont vous parlez.

Présidence de M. Philippe Mouiller, vice-président

M. Olivier Dussopt, ministre. - Sur la temporalité de l'expérimentation, nous avons beaucoup travaillé avec l'Association des départements de France (ADF) et c'est à dessein que la loi ne liste pas des activités, pas plus qu'elle ne fixe une durée de 15 à 20 heures - précision qui est d'ordre réglementaire. En fait, l'expérimentation en cours vise à voir ce qui marche le mieux. Je me suis engagé à ce que le financement en soit garanti sur les années 2023-2024, en vue d'une généralisation en 2025, sans avoir été prescriptif jusque-là. C'était une demande des départements, de ne pas fixer une liste précise d'activités, pour ne pas enfermer leur action d'insertion et d'accompagnement. Le rapport de Thibaut Guilluy, page 265, présente une liste d'actions, mais c'est à titre d'illustration et de partage des bonnes pratiques. Il n'y a donc pas de problème de temporalité puisque les expérimentations permettent de préparer la généralisation et d'avoir un temps d'échange préalable. Des décrets interviendront, en particulier sur les systèmes d'information, après avis conforme de la CNIL - c'est le droit, puisque des données personnelles sont concernées.

Ce texte ne confère aucune prérogative nouvelle aux acteurs privés, par exemple les agences d'intérim. Le service public de l'emploi s'appuie déjà sur ces acteurs, il y a des coopérations - par exemple, le ministère du travail a initié il y a 18 mois un partage des données avec certaines agences d'intérim pour réduire les tensions de recrutement et mieux transmettre les offres, c'est utile aux demandeurs d'emplois.

Sur les moyens financiers, il faut tenir compte du fait que, depuis 2017, Pôle emploi a gagné quelque 4 000 postes, à 52 000 ETP, alors que le nombre de demandeurs d'emploi a reculé. L'État verse une subvention de fonctionnement à l'opérateur, elle peut être réévaluée en loi de finances. La participation de l'Unedic doit être rediscutée dans le cadre du renouvellement de la convention tripartite, l'idée d'un passage de 11 % à 17 % n'a pas été émise par le Gouvernement, nous nous contentons de constater que la trajectoire de l'Unedic - un excédent de 8 milliards l'an prochain et la possibilité d'un excédent de 18 milliards en 2027 - donnera à l'opérateur des moyens pour les mesures nouvelles sans contrarier ses objectifs de désendettement. Je sais que les partenaires sociaux demandent que l'État reprenne la dette de l'Unedic, considérant qu'elle est liée à la crise sanitaire. Vous comprendrez que l'ancien ministre du Budget qui vous parle n'est pas sur cette longueur d'ondes...

L'inscription automatique à France Travail sera une opération des plus simples : la personne qui obtiendra l'allocation de RSA, ou le jeune qui s'inscrira à la mission locale, se verra signifier qu'il est inscrit à France Travail. Notre objectif est très simple : garantir un suivi professionnel. Actuellement, 17 % des allocataires n'ont pas de suivi et 45 % ont un suivi seulement professionnel, notre objectif est d'améliorer le suivi pour maximiser le retour à l'emploi.

En 1988, le législateur avait prévu qu'un cinquième des dépenses du RMI irait aux mesures d'accompagnement. Cette part était descendue à 16 % en 1999, l'obligation a été supprimée en 2004 et nous sommes aujourd'hui à 9 % en moyenne, pour des raisons très diverses : ce n'est pas suffisant et nous devons aller plus loin.

Le Gouvernement est sensible à l'accès au droit, nous travaillons sur la solidarité à la source pour que tout ayant droit bénéficie de ses droits. Vous savez que c'est aussi un immense chantier informatique.

Ce texte n'organise pas un nouveau partage des compétences mais une gouvernance partagée. Nous proposons que les collectivités territoriales soient parties prenantes des comités d'orientation pour que l'opérateur, les régions et les départements ne perdent aucune de leurs compétences, j'y veille scrupuleusement. La charte d'engagements vise le partage des données dans les nouveaux systèmes d'information, c'est un outil de travail, pas de subordination - et l'État ne reprendra pas la compétence si la collectivité territoriale ne signe pas cette charte.

M. René-Paul Savary. - Je vous souhaite bonne chance, car je ne crois pas qu'avec cette réforme vous remettiez le système dans le bon sens - et d'abord parce que j'y vois avant tout une recentralisation. Ensuite, rien ne sert d'inscrire à Pôle emploi des personnes qui ont d'abord besoin d'un accompagnement social et qui ne peuvent certainement pas travailler tout de suite ! Nous savons tous que des gens ne peuvent pas travailler immédiatement et avec votre loi de pleine inscription au chômage, je me demande bien comment vous allez parvenir au plein emploi ! Le partage d'information, en revanche, est un bon point, à condition qu'il soit effectif.

Avec votre réforme, le payeur n'est plus le décideur. Alors qu'il y a une répartition claire des compétences, avec des publics identifiés - à la région les publics en formation, au département les publics en insertion sociale, à l'État l'insertion professionnelle - vous mélangez l'ensemble tout en mettant l'État partout, et vous expliquez que vous faites du neuf en inscrivant tous les allocataires du RSA à Pôle emploi. En réalité, vous enfoncez des portes ouvertes. Quand je présidais mon département, la plupart des allocataires étaient inscrits à Pôle emploi, mais ce n'est pas pour autant qu'ils respectaient les devoirs inscrits dans leur contrat, c'est là qu'il faudrait faire quelque chose parce que c'est rendre service à ces personnes que de les obliger à respecter les devoirs qui accompagnent les droits...

Mme Monique Lubin, rapporteur. - Le service public de l'emploi existe déjà, il passe des partenariats avec les collectivités territoriales, avec les opérateurs comme Cap emploi, avec les missions locales... dès lors, quel est l'objectif réel de ce texte ? Vous parlez de contrat d'engagement réciproque, mais cela se fait déjà, il y a déjà des contrats qui prévoient des actions comme la recherche d'un logement : où est la plus-value de votre texte ?

Ensuite, qu'appelez-vous une offre raisonnable d'emploi ? Ce critère n'est-il pas subjectif ? Vous constatez comme moi qu'une partie des allocataires du RSA reste allocataire pendant de très nombreuses années : je sais que je suis minoritaire en le disant, y compris dans ma propre famille politique, mais ces allocataires de très longue durée ne montrent-ils pas qu'il y a des gens qu'on ne pourra pas intégrer dans l'emploi durable ? Dès lors, n'est-on pas en devoir de trouver des sorties autres que dans l'emploi tel que nous le connaissons ?

Quid, ensuite, du non-recours ? Je préside une commission pluridisciplinaire, où nous recevons des allocataires du RSA qui ne remplissent pas leurs devoirs. J'ai en mémoire le cas d'une allocataire qui ne répondait plus, depuis des mois, à toutes les convocations qu'on lui adressait. J'ai fini par aller la voir... et j'ai constaté qu'elle était décédée depuis des mois, sans que personne ne le sache - alors depuis, je refuse qu'on laisse les gens sans réponse. Je crois que nous avons le devoir de proposer d'autres choses que de l'emploi. Et quand tous les allocataires seront inscrits à Pôle emploi, comment identifiera-t-on ceux qui relèvent d'un tel suivi ?

Mme Raymonde Poncet Monge. - Il serait bien qu'après la réforme des retraites, où vous avez beaucoup mis en avant l'argument démographique, vous ayez l'honnêteté de dire l'importance du facteur démographique dans la baisse du chômage, qui ne tient certainement pas qu'à votre politique de l'emploi...

Avec un pilotage par les résultats, comment comptez-vous maîtriser l'effet d'exclusion sociale inhérent à ce type de pilotage ? Comment allez-vous faire, ensuite, avec ce surplus d'inscrits au chômage, si votre objectif est précisément d'atteindre un taux de 5 %, plafond du plein emploi ? Pensez-vous comptabiliser différemment ces nouveaux inscrits ?

Dans la gouvernance que vous visez, quelle sera la place des partenaires sociaux ?

Enfin, le système d'information horizontal que vous voulez mettre en place, consistera-t-il en une plateforme interopérable, ou bien en un système unique, au risque de nier les spécificités des différents opérateurs ?

Mme Annick Jacquemet. - Voulez-vous vraiment faire signer un contrat d'engagement à tous les allocataires du RSA ? Dans le Doubs, nous parvenons à un taux de 65 %, avec beaucoup de travail : comment pensez-vous faire mieux ?

Les missions locales continueraient d'avoir 70 % de financement de l'État mais elles s'inquiètent pour leur gouvernance : seront-elles seulement des prestataires, au gré des conventions qu'elles signeront avec l'État, en perdant leur statut de partenaire sur le territoire ? Comment faire signer des contrats d'engagement à ceux qui sont les plus récalcitrants - ne faut-il pas disposer d'outils plus souples ?

Enfin, la Cour des comptes nous a dit que les systèmes d'information intégrés pouvaient prendre des décennies à se mettre en place : qu'en est-il ici, avez-vous une idée du calendrier ?

M. Olivier Dussopt, ministre. - Je répète que ce texte n'opère pas de centralisation du service public de l'emploi, le binôme entre l'État et la collectivité territoriale concerne l'animation du comité France Travail, chacun reste dans ses compétences. L'État conserve la compétence de la politique de l'emploi, nous ne la régionalisons pas, mais nous associons la région à la définition de la feuille de route, de même que nous associons les départements et les collectivités infra-départementales pour ce qui relève de leurs compétences. Nous associons aussi les partenaires sociaux, aux échelons national et régional - aller plus loin, cela poserait le problème aux partenaires sociaux de disposer partout de représentants.

Le système d'information consistera en une plateforme interopérable, des rapprochements ont déjà eu lieu entre Pôle emploi et Cap emploi.

S'agissant de l'employabilité, le texte précise que pour les allocataires du RSA les plus éloignés de l'emploi, il y a une orientation sociale et non pas professionnelle, avec un point tous les six à douze mois pour mieux accompagner. Il y a donc la possibilité de commencer par un accompagnement seulement social. Il faut aller chercher les publics, l'article 6 reconnait les structures associatives qui font de l'intermédiation, comme Convergence, ou Emmaüs défi, elles sont efficaces. Enfin, lorsqu'on aura atteint le plein emploi et si l'on constate que des allocataires du RSA restent éloignés de l'emploi, nous aurons à réfléchir collectivement à la nature des prestations que nous jugerons nécessaires à leur apporter, en assumant que ces prestations relèvent moins de revenus d'activité ou d'insertion, que de la santé mentale - c'est un débat très difficile, nous n'en sommes pas là.

Le taux de chômage est calculé sur la base du Bureau international du travail (BIT), donc l'augmentation des demandeurs d'emploi en fin de mois (DEFM) n'a pas d'incidence mécanique sur le taux de chômage. En revanche, nous pouvons nous interroger sur les catégories de demandeurs d'emploi, et se poser la question s'il ne faudrait pas que certains demandeurs d'emplois n'aient pas à rechercher activement un emploi, par exemple dans le cas d'une grossesse de sept mois ou un problème de santé lourd.

Ce texte ne change pas la gouvernance des missions locales, le conventionnement avec l'État est maintenu dans sa forme actuelle. Nous avons eu des échanges avec l'Union nationale des missions locales, qui nous a dit que ce projet de loi lui convenait - de même que l'Assemblée des départements de France (ADF).

L'offre raisonnable d'emploi, enfin, est d'usage aujourd'hui, avec le peu de succès que l'on sait - puisque si le code du travail dispose que le refus de deux offres successives entraine la radiation, il y a à peine 200 radiations par an à l'échelle du territoire national... Notre objectif est que dans le contrat d'engagement réciproque, on puisse déterminer entre l'allocataire et les conseillers en insertion professionnelle la nature et le type d'emploi recherché pour que l'offre raisonnable d'emploi soit adaptée au parcours de la personne, plutôt qu'elle ne soit qu'une notion un peu conceptuelle, comme c'est le cas dans son application aujourd'hui.

M. Philippe Mouiller, président. - Merci pour toutes ces précisions.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 14 h 55.