Résultats de la gestion et approbation des comptes de l'année 2024 (Procédure accélérée)
Mme la présidente. - L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, rejeté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relative aux résultats de la gestion et portant approbation des comptes de l'année 2024.
Discussion générale
Mme Amélie de Montchalin, ministre chargée des comptes publics . - Ce texte technique et comptable est essentiel, car il traduit la réalité des choses. C'est le devoir de l'exécutif auprès de la représentation nationale, et de l'État auprès des contribuables, de tenir les objectifs fixés en loi de finances par le Parlement et d'en rendre compte.
Redresser les finances publiques est une exigence impérieuse. Pour rester souverain, notre pays doit contenir sa dette.
Ce projet de loi est un préalable au débat budgétaire. Il a été rejeté ces trois dernières années, alors qu'il constitue une étape indispensable pour une gestion politique apaisée. Je regrette son rejet sans débat à l'Assemblée nationale, et par votre commission des finances.
La gestion 2024 a été marquée par de nombreux aléas et une très forte régulation budgétaire en cours d'année - décret d'annulation de crédits en février 2024, surgels à l'été. Sans oublier la loi spéciale.
Nous pouvons tous spéculer sur ce qu'auraient pu ou dû être les décisions en 2024. La commission des finances du Sénat y a travaillé. La dégradation en 2024 a été réelle, les efforts de l'État aussi.
Nous devrons tirer les leçons de ces années mouvementées : inflation, hausse des prix de l'énergie... Nous devons travailler non seulement sur 2026, mais jusqu'à 2029 pour revenir un déficit public inférieur à 3 % du PIB. Il ne peut y avoir de souveraineté durable sans redressement de nos comptes.
La situation des finances publiques est grave : le déficit public est de 5,8 % de PIB, bien au-dessus des 4,4 % prévus en loi de finances. Cet écart supérieur à 0,5 point de PIB a été considéré par le Haut Conseil des finances publiques (HCFP) comme important. Conformément à l'article 62 de la Lolf, le Gouvernement présente dans ce projet de loi les raisons de cet écart et les mesures pour y remédier.
À la suite des crises, notre économie a connu des évolutions structurelles inattendues ; elle reste exposée à de forts aléas extérieurs.
En 2023 et 2024, l'élasticité des recettes a été faible : quand le PIB augmentait de 1 %, elles ne progressaient que de 0,4 % puis de 0,6 %. En revanche, les dépenses ont été inférieures de 7 milliards d'euros par rapport aux crédits votés.
En 2025, nous avons engagé des efforts courageux pour redresser les finances publiques, à la suite du compromis en commission mixte paritaire (CMP). Nous avons réuni le premier comité d'alerte sur les finances publiques en avril. Prochaine réunion, ce 26 juin.
L'objectif de 5,4 % de déficit est ambitieux, mais atteignable, grâce à la diminution de moitié des reports de crédits, à la constitution d'une réserve de précaution de 8,7 milliards d'euros - ainsi que d'une réserve de 1,1 milliard d'euros pour l'Ondam - et à la diminution des dotations au regard des niveaux de trésorerie. La dépense publique ne peut plus être automatique.
La croissance économique pour 2025 a été révisée à 0,7 % et 5 milliards d'euros de crédits ont été annulés ou gelés.
Nous assumons nos responsabilités pour repasser sous la barre des 3 % de déficit en 2029, en tâchant d'anticiper les aléas et en y associant le Parlement.
Nous préparons les premières orientations du budget, en faisant non pas moins, mais mieux, en mettant les bons moyens au bon endroit, en réorganisant les structures publiques - agences, opérateurs, ministères - pour mieux servir les Français. Cela repose sur le consentement à l'impôt de nos concitoyens, ne l'oublions pas. (Applaudissements sur les travées du RDPI ; MM. Vincent Capo-Canellas, Marc Laménie et Mme Élisabeth Doineau applaudissent également.)
M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; MM. Vincent Capo-Canellas et Marc Laménie applaudissent également.) L'exercice budgétaire 2024 est un exemple parfait de mauvaise gestion budgétaire.
Alors que nous avions affiché en 2023 le déficit le plus élevé de toute la Ve République, hors crise, nous avons battu un nouveau record en 2024 avec un déficit de 5,8 % - pour une prévision de 4,4 %. Cet écart, de 41 milliards d'euros, n'est justifié par aucune crise.
Les deux chambres se sont saisies du sujet : mission d'information au Sénat, commission d'enquête à l'Assemblée nationale. Ce n'est plus un dérapage, mais une plongée en eaux profondes.
Trois facteurs d'explication : le dérapage de 2023 sur 2024, que le Gouvernement n'avait pas anticipé ; des prévisions de croissance trop optimistes ; un aveuglement et un manque de volonté politique jusqu'à la dissolution. Il a fallu attendre les gouvernements Barnier puis Bayrou pour que la gravité de la situation soit prise au sérieux.
Le déficit public de l'État atteint 155 milliards d'euros - c'est considérable. Même en supprimant les dépenses pour l'enseignement et l'armée, nous serions toujours en déficit.
Ce qui saute aux yeux, c'est l'extrême lenteur du redressement après la crise du covid, par rapport à la crise de 2008.
Les précédents gouvernements, perfusés au déficit public, ont anesthésié les Français. Ils ont foncé dans le mur en souriant comme le ravi de la crèche. Les auditions des « responsables » de la situation sont éclairantes : « ce n'est pas moi », « tout va bien », « j'ai tout bien fait »...
Depuis 2017, les dépenses de l'État ont augmenté de 10,5 %, quand les recettes diminuaient de plus de 8 %. En 2019, le déficit public était de 3 % ! Depuis, les recettes de l'État se sont effondrées et les dépenses ont explosé. Nul besoin d'avoir fait HEC pour comprendre que l'on va dans le mur. L'État n'a pas adapté ses dépenses aux recettes : il dépense 1,50 euro pour 1 euro de recettes. Cherchez l'erreur...
Les recettes ont été surestimées en loi de finances initiale pour 2024, sans que le Gouvernement étaye ses prévisions. (Mme Amélie de Montchalin proteste.) L'impôt sur les sociétés a produit 57 milliards d'euros au lieu des 72 milliards attendus.
Les dépenses de masse salariale, hors de contrôle, bondissent de 6,6 milliards d'euros en 2024 sous l'effet de mesures catégorielles inconscientes et de la hausse des effectifs de la fonction publique : plus 6 700 ETP, alors même que la loi de programmation des finances publiques appelait à la stabilité des effectifs. Quelle incohérence !
Pourtant, aucune mesure de redressement n'a été prise. On se gargarise du décret d'annulation de février, d'un montant effectivement historique, mais le mois suivant, 16 milliards d'euros de crédits reportés viennent plus que compenser ces annulations. Surtout, le Gouvernement a failli en ne présentant pas de projet de loi de finances rectificative (PLFR) en cours d'année.
Tâchons au moins de tirer des leçons de cet exercice 2024 calamiteux : les prévisions de croissance doivent être raisonnables et s'appuyer sur les prévisions des économistes ; les recettes fiscales ne doivent pas être calculées sur la base d'élasticités déraisonnables ; il faut mettre fin aux reports de crédits - je salue les efforts du Gouvernement Bayrou ; il ne faut pas faire l'économie d'un PLFR si la situation le justifie ; enfin, le Gouvernement doit travailler en toute transparence avec le Parlement et les Français, or nous n'y sommes pas.
Les Français ont besoin de comprendre les raisons de cette dégradation historique : pourquoi et à cause de qui en sommes-nous arrivés là ?
Le titre de l'exposé des motifs de ce projet de loi résonne comme une provocation : « un résultat s'inscrivant dans une trajectoire de redressement des comptes publics et s'appuyant sur un pilotage renforcé de la dépense. » Nous parlons de 2024... Encore le ravi de la crèche !
Voilà pourquoi la commission des finances du Sénat propose de rejeter ce projet de loi. J'espère que l'exécution 2025 verra une gestion plus rigoureuse et plus sereine. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, INDEP et du RDSE)
M. Vincent Capo-Canellas . - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Nous sommes à un moment critique de l'évolution du monde, où la capacité d'action de la France et de l'Europe est interrogée.
L'année 2024 a connu une succession baroque d'événements politiques - dissolution, gouvernement intérimaire, censure. Je déplore l'absence de PLFR, alors que les recettes n'étaient pas au rendez-vous. Il y a eu des mesures de gestion en février dernier, mais le Parlement aurait dû en débattre.
Plutôt que de dissoudre, il aurait mieux valu chercher un compromis politique. Il aurait aussi fallu présenter un PLFR, même s'il n'est pas certain qu'il aurait été adopté.
Résultat : une année 2024 catastrophique. L'ampleur du dérapage a été documentée par la commission des finances. Le déficit public, à 5,8 %, est loin des 4,4 % du PIB prévus en loi de finances initiale. Les restes à payer ont doublé depuis 2018. La dissolution et la censure ont aussi coûté cher.
Le groupe UC ne votera pas ce projet de loi et s'y opposera dans sa grande majorité.
D'autres inquiétudes pointent : résultats du conclave sur les retraites, évolution du cours du pétrole...
La leçon pour 2025, c'est qu'il faut veiller à la stabilité et que tous les partis politiques de gouvernement doivent faire des compromis. Il faut rétablir nos comptes et préserver la croissance ; c'est en marchant sur ces deux jambes que nous sortirons des difficultés. Cela suppose de faire des choix dans les politiques publiques, comme nous avons l'habitude de le faire dans les collectivités territoriales.
Au-delà, se posent des questions de fond : le décrochage de l'Europe sur l'innovation et l'investissement, le poids des charges salariales. Des industriels au salon du Bourget m'ont fait part de leur tentation d'investir ailleurs. (Applaudissements sur les travées du groupe UC)
M. Pascal Savoldelli . - Ce projet de loi engage une conception de la démocratie parlementaire. Les faits sont têtus : le déficit public est en décalage de 1,4 point par rapport à la prévision. S'est-on trompé lourdement ou a-t-on trompé volontairement ? Une collectivité territoriale aurait été mise sous tutelle du préfet pour un tel écart.
C'est l'échec de la théorie du ruissellement qui prétendait que les cadeaux au capital allaient se transformer en emplois, croissance et équilibre budgétaire ; on attend toujours... (M. Bernard Jomier s'exclame.)
Face à ces résultats - 155,9 milliards d'euros de déficit, plus de 2 600 milliards de dettes - , le Gouvernement aurait pu choisir la vérité et le débat. Il a préféré l'évitement et une gestion solitaire : pas de collectif budgétaire, pas de débat parlementaire, 13,7 milliards d'euros de crédits annulés, le rabot plutôt que la boussole.
Le déficit ne vient pas de la dépense mais des renoncements fiscaux depuis 2017 : suppression de l'ISF, de la taxe d'habitation y compris sur les plus aisés, et de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE), baisse de l'impôt sur les sociétés et de la fiscalité sur le capital avec le prélèvement forfaitaire unique. Le tout pour 62 milliards d'euros par an, soit 310 milliards d'euros depuis 2018 !
Avec quels résultats ? L'emploi industriel recule, le nombre de travailleurs précaires a doublé, la France est le pays le plus inégalitaire d'Europe.
Madame la ministre, vous avez souvent parlé du coût de la censure. Mais quid du coût de l'illusion ? Et de celui du renoncement, avec le rejet de la taxe Zucman au Sénat ? (Mme Amélie de Montchalin proteste.)
Depuis 2013, les crédits de la mission « Remboursements et dégrèvements » ont augmenté de 70 %. Les restitutions atteignent 30,4 % des rentrées fiscales : un record !
Vous avez construit un budget hors sol et contourné le Parlement pour en masquer les failles. Même chose en 2025 : pour justifier l'austérité imposée aux collectivités territoriales, vous avez prétendu un dérapage de 17 milliards d'euros, en réalité deux fois moindre. Cette exagération a préparé le terrain aux coupes.
Côté recettes, vos 17,4 milliards d'euros reposent en grande partie sur du sable : contribution sur les hauts revenus, 1,4 milliard d'euros au lieu des 4 milliards attendus ; surtaxe sur les bénéfices, 8 milliards au lieu de 12... Et ces dispositifs ne seront pas reconduits.
Nous ne voulons pas avaliser votre aveuglement. L'Assemblée nationale a rejeté ce texte, le Sénat s'apprête à le faire : ce sera un événement politique. Nous voterons contre. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K et sur quelques travées du groupe SER)
Mme Ghislaine Senée . - Après huit ans d'un gouvernement prétendument bon gestionnaire, comment en sommes-nous arrivés à une situation aussi catastrophique : 5,8 % de déficit public, 113 % de dette, 23 milliards d'euros de recettes manquantes ?
L'année 2024 marque la faillite sans appel d'un système qui repose sur le « toujours moins d'impôts » et sur des coupes budgétaires aux effets récessifs.
Nous assistons à un double renoncement.
Premièrement, l'absence de réponse face au dérèglement climatique. Les experts s'épuisent à le répéter : l'urgence est de préparer un avenir viable. Pourtant, 4,2 milliards d'euros de dépenses favorables à l'environnement ont été annulés en 2024. Les gouvernements Macron portent une lourde responsabilité.
Deuxièmement, le choix politique assumé de l'amplification des inégalités. Le président Macron voulait plus de millionnaires, engagement tenu. La France est montée sur la troisième marche du podium mondial : cocorico ! La fortune des 500 Français les plus riches est passée de 570 à 1 225 milliards d'euros. L'enrichissement à folle vitesse et l'évitement de l'impôt sont consacrés.
Alors que le coût des dépenses fiscales est passé de 90 à 95 milliards en 2024, les dépenses pour le climat ou les personnes les plus éloignées de l'emploi sont sacrifiées. Et le détournement de la TVA à des fins de compensation appauvrit l'État. Vous aurez décidément tout fait pour nous emmener dans le mur.
Pourtant, il existe un autre chemin budgétaire. Car des recettes, il y en a ! Près de 100 milliards d'euros de dividendes ont été versés en 2024. Faisons contribuer chacun selon ses facultés, conformément à l'article 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, et investissons dans les services publics - santé, école, recherche.
Le GEST votera contre ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées du GEST et sur quelques travées du groupe SER)
Mme Isabelle Briquet . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Le projet de loi n'est pas un simple texte comptable. Il est l'aveu d'une gestion désastreuse des finances publiques et de l'incapacité du Gouvernement à respecter ses engagements pris devant la représentation nationale.
Le groupe SER votera contre, non par esprit d'opposition systématique, mais pour dénoncer une politique budgétaire erratique, un désarmement fiscal de l'État qui nous conduit dans l'impasse et le refus constant du Gouvernement d'accepter nos propositions. Nous dénonçons aussi des prévisions de recettes trop optimistes et des sous-évaluations de dépenses.
Les chiffres du déficit et de la dette révèlent l'ampleur du dérapage. En 2019, la dette représentait 98 % du PIB : soit plus de quinze points de PIB en cinq ans ! Certes, les crises sanitaire et énergétique expliquent en partie la situation, mais ces chiffres révèlent aussi l'incapacité du Gouvernement à redresser la barre.
Dès la fin de l'année 2023, l'administration fiscale savait que l'impôt sur les sociétés reculait, que la TVA ralentissait, que l'impôt sur le revenu stagnait, mais les ministres Bruno Le Maire et Thomas Cazenave n'en dirent rien au Parlement.
Ce n'était pas un accident, mais une stratégie d'inaction, un calcul politique pour éviter un débat sur un projet de loi de finances rectificative et une motion de censure. Qu'a fait le Gouvernement à la place ? Il a annulé 10 milliards d'euros par décret, sans débat. Et toutes nos propositions de recettes nouvelles ont été systématiquement refusées.
Résultat : l'asphyxie des services publics, des transferts de charges vers les collectivités territoriales. Désarmées fiscalement, rendues dépendantes de dotations, ces dernières n'ont plus les moyens d'assurer les services publics qui leur incombent. Des piscines, des bibliothèques ferment. Les départements ne peuvent plus répondre aux besoins des plus fragiles. Les régions ne peuvent plus investir dans la mobilité. Les services publics nationaux souffrent également.
Et que dire de la transition écologique ? La France est en retard. Agriculture durable, transports du quotidien, rénovation thermique, ces chantiers nécessitent des investissements massifs. Or que fait-on ? On annonce des milliards, avant de les reporter. Résultat de ce stop and go : l'illisibilité, pour les collectivités comme pour les entreprises.
Notre groupe refuse cette logique d'austérité qui ne dit pas son nom.
Nous ne nions pas la nécessité de mieux calibrer les politiques publiques, mais refusons de faire du débat budgétaire un exercice arithmétique déconnecté du réel. Analyser les dépenses sans s'interroger sur les recettes, scruter le moindre euro versé aux hôpitaux et aux écoles en ignorant les milliards des niches fiscales, est une erreur.
Le coût des dépenses fiscales s'élève à 160 milliards d'euros par an. Combien de niches sont réellement utiles ? Combien bénéficient aux plus modestes ou à la transition écologique ? Il faut tout remettre à plat. Ne tolérons pas que des milliards échappent au débat parlementaire.
La France est l'un des pays européens où la part des dépenses fiscales rapportée au PIB est la plus élevée. C'est aussi l'un des rares pays à ne pas les assortir d'un objectif ni d'un calendrier d'évaluation.
Le taux de prélèvement effectif sur les revenus du capital est inférieur à celui sur les revenus du travail. C'est une anomalie.
Depuis 2018, avec l'instauration de la flat tax et la suppression de l'ISF, les plus hauts patrimoines ont vu leur contribution se réduire, sans que ces mesures produisent les effets escomptés. L'impact de ces baisses d'impôt a été largement surévalué. Nous avons réduit nos recettes sans obtenir en contrepartie les gains de croissance annoncés.
Dans le même temps, la charge fiscale reste lourde sur les classes moyennes, les jeunes actifs, les plus modestes. Ce n'est pas tenable.
Pourtant, le Gouvernement refuse toujours une contribution pour les plus hauts patrimoines - voyez le refus du Gouvernement de soutenir la taxe Zucman.
Début 2025, les socialistes ont choisi de ne pas censurer le Gouvernement, au nom de la stabilité des institutions et de l'intérêt supérieur du pays. Nous attendions non une récompense, mais un changement de méthode. Notre attitude responsable ne nous oblige toutefois pas à une complaisance aveugle. (Applaudissements sur les travées du groupe SER ; Mme Cathy Apourceau-Poly et M. Christian Bilhac applaudissent également.)
M. Marc Laménie . - Comme tous les résultats comptables, ce document est une mine d'or. Ce sont des documents de qualité, très denses - 1 450 pages pour la première partie du PLF 2024 !
Nous le savons, nous pouvons faire dire aux chiffres ce que nous voulons. Par rapport à 2023, le déficit a baissé de 10 %, les dépenses ont diminué et les recettes augmenté. Le montant des recettes fiscales nettes s'élève à 325 milliards d'euros, contre 435 milliards d'euros pour les dépenses nettes. La vérité, c'est que les comptes ont été moins mauvais en 2024 qu'en 2023.
Les hypothèses de départ étaient en décalage avec la réalité, tant pour les recettes que pour les dépenses. Ainsi, le produit de l'impôt sur les sociétés est en décalage de 14,6 milliards d'euros par rapport aux prévisions - c'est plus que le budget de la justice...
Nous cherchons à pressurer nos concitoyens pour en tirer plus d'impôts, espérant rendre notre population plus heureuse, mais nous recevons toujours moins qu'escompté. Pourtant, de bons économistes, comme l'Américain Arthur Laffer et, bien avant lui, le Français Jean-Baptiste Say nous l'avaient dit : trop d'impôt tue l'impôt. Les faits leur donnent raison.
Mais depuis 1981, la plupart des politiques ont préféré lire un autre économiste du XIXe siècle, Karl Marx, qui appelait à s'en prendre au grand méchant capital. Il a eu malheureusement plus de succès en France que Jean-Baptiste Say.
Les dépenses sont aussi en décalage complet avec la loi de finances initiale, supérieures de 9,8 milliards d'euros par rapport aux crédits votés à l'automne 2023. Si l'exécution budgétaire avait été fidèle aux montants votés, nous aurions pu acheter 80 Rafale... Nous devons réduire nos dépenses, non par dogmatisme, mais par nécessité, tout en renforçant les politiques régaliennes.
La conséquence de tout cela, c'est la dette, qui repart à la hausse, à 113 % du PIB en 2024, contre 110 % en 2023.
Nous devons examiner le prochain projet de loi de finances avec sérieux, sans dogmatisme. Des solutions existent pour que les prochains projets de loi d'approbation des comptes soient plus réjouissants à adopter : il faut baisser les dépenses, puis baisser les impôts.
Le groupe Les Indépendants s'abstiendra. (MM. Vincent Capo-Canellas et Christian Bilhac applaudissent.)
M. Jean-Baptiste Blanc . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Vincent Capo-Canellas applaudit également.) En 1830, le baron Louis, partisan d'un redressement des finances publiques françaises, déclarait : « Faites-moi de bonnes politiques, je vous ferai de bonnes finances. »
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Originaire de Toul !
M. Jean-Baptiste Blanc. - Nous n'avons ni les unes ni les autres.
L'année 2024 confirme le dérapage extraordinaire de nos comptes publics, en raison de la mauvaise gestion d'un Gouvernement qui n'a pas voulu, ou pas su - nous ne saurons jamais - prendre ses responsabilités. Après des erreurs de prévision, il a opéré un léger resserrage de boulons, mais le tout sans méthode et surtout sans le Parlement.
Le Gouvernement n'a pris aucune mesure significative sur les dépenses des administrations de sécurité sociale ni sur celles des collectivités territoriales. De l'attentisme, des mesurettes, aucune projection sur le long terme, aucune réforme de structure. Pour quelle raison ? Nous ne le savons toujours pas. Pourquoi pas de projet de loi de finances rectificative ? Nous ne le savons pas non plus.
Le programme 177 « Hébergement, parcours vers le logement et insertion des personnes vulnérables » a été, une nouvelle fois, sous-budgété. Il mériterait d'être rendu plus sincère via une révision du mode de calcul des aides. Le programme « Urbanisme, territoires et amélioration de l'habitat » a connu de nombreuses annulations en cours d'année, notamment concernant la rénovation énergétique des logements. Idem pour le programme « Politique de la ville ». L'État s'est progressivement désinvesti, avec un taux d'exécution de seulement 81,9 %. Quelle sera la participation de l'État au nouveau programme national de renouvellement urbain (NPNRU) ? Ne faisons pas de ces programmes cruciaux des variables d'ajustement.
Madame la ministre, vous souhaitez retrouver une souveraineté durable et changer de méthode. Dont acte. En attendant, comment ne pas voter contre ce projet de loi ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Vincent Capo-Canellas applaudit également.)
M. Stéphane Fouassin . - (Applaudissements sur les travées du RDPI) Comme chaque année, nous réglons nos comptes : ceux de 2024, mais aussi de 2021, 2022 et 2023. Inlassablement, la même question : les comptes de la France vont-ils mieux ? Chaque année, nous répondons non.
Les chiffres du déficit et de la dette imposent lucidité et détermination. Mais il serait injuste de ne pas souligner l'effort réel de l'exécutif pour contenir les dépenses, dans un contexte économique complexe. Madame la ministre, vous l'avez rappelé devant l'Assemblée nationale : la situation s'est dégradée, mais l'État n'a pas baissé les bras.
Certes, la pente est raide, mais les sentiers escarpés peuvent mener à des sommets qui valent la peine - c'est un Réunionnais qui vous le dit ! L'objectif d'un déficit à 3 % en 2029 doit rester notre boussole : il y va de notre crédibilité et de notre souveraineté.
Car tout n'est pas négatif : le solde budgétaire s'améliore. Les dépenses environnementales progressent, à 54,6 milliards d'euros, un effort essentiel pour préparer l'avenir. La croissance de 1,1 %, modeste mais réelle, garantit la continuité de nos services publics.
Néanmoins, il serait irresponsable de se contenter de ces avancées. Écoutons la Cour des comptes, sur l'encadrement des reports de crédits ou encore l'apurement des autorisations d'engagement obsolètes.
Ne cédons pas à la tentation d'un rejet de principe de ce texte : ce serait céder à un réflexe politicien, qui affaiblit notre parole budgétaire et compromet notre crédibilité face à nos partenaires et aux marchés.
Ce texte n'est pas un exercice technique, mais politique : celui de la transparence. En l'adoptant, nous ne validons pas une orientation ou une politique, nous reconnaissons simplement la réalité des comptes 2024.
Oui, la situation est préoccupante. Mais nous débattrons des choix et des réformes nécessaires lors du projet de loi de finances.
Montrons que notre démocratie est capable de regarder ses comptes en face. Nous devons rompre avec l'instabilité et l'ambiguïté, tracer une voie claire, responsable et durable. Cela suppose du courage politique. Fidèle à sa ligne, le RDPI votera l'approbation de ce texte. (Applaudissements sur les travées du RDPI)
M. Christian Bilhac . - Madame la ministre, en 2020, vous déclariez que « l'État de demain est un État honnête et transparent sur ses résultats ». Au vu des résultats de l'exercice 2024, l'honnêteté et la transparence m'obligent à vous décerner le bonnet d'âne ! L'exécution du budget 2024 brille par la médiocrité : reports, gels, surgels, coups de rabot, c'est le degré zéro de la gestion budgétaire.
Cela n'a pas suffi à éviter la bérézina. Les dépenses publiques ont augmenté de 63 milliards, plus que les recettes, et plus vite que l'activité économique. À l'inverse, les recettes ont été peu dynamiques et inférieures à la croissance. Résultat : la dette atteint 113 points de PIB. En 2024, la France est le pays européen avec le déficit le plus important.
Côté recettes, les résultats sont mauvais. En 2024, les recettes fiscales continuent d'être très inférieures aux prévisions, comme c'est le cas depuis 2020 ; cet écart atteint 22,8 milliards en 2024.
Les erreurs de prévision nous coûtent cher. Depuis 2023, le Sénat implore le Gouvernement d'améliorer ses méthodes. Votre prédécesseur a installé un comité scientifique. Sur la base de son rapport, vous avez présenté un plan d'action le 4 mars dernier : le Sénat y sera attentif.
Côté dépenses, la loi de finances pour 2024 privilégiait l'inertie et le statu quo, à rebours de ce qu'exige la situation. Elle ne contenait aucune réforme structurelle et manquait d'ambition. Pourtant, les revues de dépenses auraient dû inspirer le Gouvernement.
Ce manque de vision est la conséquence de l'instabilité politique. Pour contenir le déficit, on ressort de la boîte à outils ce bon vieux rabot. Notre action publique mérite mieux que des tableaux Excel.
Je ne voterai donc pas ce texte, comme la majorité des membres du RDSE. La politique de rabot est incompatible avec une stratégie budgétaire pluriannuelle fondée sur la croissance et la justice fiscale.
Le RDSE appelle le Gouvernement à changer de logiciel budgétaire et à prendre de vraies mesures de croissance et de justice sociale. (Applaudissements sur les travées du RDSE)
M. Vincent Delahaye . - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Je regrette que nous ne passions pas plus de temps sur la réalité des comptes, alors que nous en passons tant sur le virtuel, lors du budget...
Le Printemps de l'évaluation, sur lequel vous communiquiez tant, a fait long feu. Dommage.
Vous regrettez que nous ne votions pas ces comptes, madame la ministre. Mais comment pourrions-nous le faire ? La Cour des comptes a émis seize réserves, dont cinq fondamentales !
Soyez rassurée : que le Parlement vote contre n'entraîne aucune conséquence. Ce n'est que si la Cour des comptes ne certifiait pas les comptes qu'il se passerait peut-être quelque chose. On verrait alors que ce ne sont pas les élus qui décident, mais l'administration. Je le déplore.
Personne n'est responsable : en 2024, nous avons eu quatre Premiers ministres ! La dégradation est progressive. Quand on compare - ce qui n'est pas aisé, faute d'informations de Bercy sur ce qui relève de l'exceptionnel et de l'ordinaire - on s'aperçoit qu'entre 2019 et 2024, la dépense publique a augmenté de 10 %. Ce n'est pas grand-chose, presque de l'austérité, diront certains ; mais c'est tout de même 45 milliards d'euros ! Pendant ce temps, les recettes ont baissé de 10 %. Résultat, on creuse le trou.
Le déficit s'élève à 155 milliards d'euros. Plus parlant que des points de PIB, cela signifie que 35 % de nos dépenses ne sont pas couvertes par nos recettes. Imaginez un ménage qui gagne 2 000 euros et en dépense 3 000 chaque mois ! Cela ne durerait pas longtemps. Quant aux 3 400 milliards d'euros de dette, c'est plus de dix ans d'impôts - TVA comprise. Ces ordres de grandeur montrent le chemin d'effort à suivre.
En 2024, on s'est complètement trompé sur les recettes. Madame la ministre, j'espère que vous serez encore là lors du prochain budget, et que nous aurons des informations détaillées. Les prévisions de recettes ne doivent pas dépendre de modèles, mais être assumées politiquement.
Nous voterons contre ce texte. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et INDEP.)
M. Stéphane Sautarel . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) L'année 2004 est l'annus horribilis : solde public dégradé de 20 milliards d'euros, déficit à 5,8 %, dette en hausse de 200 milliards, pour atteindre 113 % du PIB.
Les recettes diminuent de 22,5 milliards d'euros. Si les dépenses ont été freinées de 7 milliards d'euros par rapport aux prévisions, cela tient à de la fin du bouclier tarifaire sur l'énergie - c'est donc conjoncturel.
L'État a émis pour 285 milliards d'euros de dette. La trajectoire de la charge de la dette est explosive. Nous atteindrons les 100 milliards de remboursements d'intérêts de la dette en 2028 - si son coût n'augmente pas d'ici là. C'est vertigineux. En 2028, notre pays brûlera un tiers de ce qu'il prélève sur les Français pour rembourser les intérêts de sa dette !
L'État dit vouloir trouver 40 milliards d'euros d'économies - ce qui semble déjà insurmontable à certains. Or pour financer notre dette, il nous faudra trouver 40 milliards d'euros en sus, soit 80 milliards d'euros - et sans doute plus pour financer l'effort de défense. Cela n'a rien d'impossible. Le total de la dépense publique en 2024 s'élevait à 1 670 milliards ; en 2026, en tendanciel, à 1 750 milliards. La différence est de 80. En 2019, nous étions à 1 350 milliards : la France dépense 300 milliards d'euros de plus, tout cela à crédit.
Notre pays souffre de l'addiction à la dépense publique. Excès d'endettement, niveau de prélèvements obligatoires le plus élevé de l'OCDE, temps de travail le plus faible au monde ou presque : voilà les racines du mal.
Comme en 1958, nous devons faire preuve de courage pour engager un véritable sursaut. Commençons par une année blanche, qui s'applique à tous sans exception. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et INDEP)
M. Jean Pierre Vogel . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; Mme Élisabeth Doineau applaudit également.) La qualité de la reddition des comptes publics est un problème trop souvent éludé. Notre responsabilité de parlementaires est d'exiger la production de comptes réguliers et sincères, respectueux des normes fondamentales de la comptabilité publique. Or ce n'est pas le cas. La Cour des comptes a exprimé des réserves en relevant cinq anomalies significatives et onze postes pour lesquels elle dit manquer d'éléments probants suffisants pour pouvoir se prononcer. Ces réserves ne sont pas des détails : dans le secteur privé, de telles incertitudes conduiraient à un refus de certification, avec de graves conséquences.
L'État, année après année, présente des comptes qui ne répondent pas aux standards qu'il impose aux autres acteurs économiques.
L'article 47-2, alinéa 2 de la Constitution n'est pas respecté. L'approbation des comptes suppose qu'ils soient fiables. Or comment les approuver avec des réserves aussi lourdes ?
Un exemple : les engagements de retraite des agents de l'État atteignent 1 641 milliards d'euros au 31 décembre 2024, or cette dette n'apparaît que dans les annexes. Une forme de dissimulation que nous ne pouvons plus accepter. Dans le privé, de tels engagements doivent être provisionnés et intégrés au passif.
Cessons de présenter des comptes déconnectés et de masquer les véritables déséquilibres. En donnant une image plus sincère, nous soulignerions l'urgence de réformes structurelles. L'État pourrait s'appuyer sur deux colloques qui se sont tenus au Sénat - l'un en février 2024, présidé par Jean Arthuis, intitulé « Reddition de comptes publics et Démocratie », l'autre en juin, sur la certification des comptes des collectivités locales.
Un État doit pouvoir agir sur ses dysfonctionnements par une bonne régulation de son système comptable. Cela réduirait les coûts cachés et réduirait son déficit par une meilleure maîtrise des finances publiques. Le Gouvernement et la représentation nationale doivent s'interroger sur la nécessité d'avoir des comptes réguliers et sincères. Climat, numérique, géopolitique : autant de transitions puissantes dans un contexte de surendettement chronique.
Conformément à la Lolf, l'État doit présenter des comptes consolidés, avec l'agrégation des comptes de la sécurité sociale.
Le vote sur le compte général de l'État est un acte de responsabilité démocratique : je voterai contre, non par posture, mais par rigueur et exigence. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et INDEP)
Mme Amélie de Montchalin, ministre. - Je regrette vivement que ces comptes ne soient pas approuvés. Approuver les comptes, c'est non pas approuver une politique, mais considérer qu'ils sont sincères. On pourrait croire que vous pensez que cette photographie de la réalité qui vous est présentée n'est pas sincère. (M. Vincent Delahaye s'exclame.)
Le Gouvernement agit pour redresser la trajectoire, dans un objectif de souveraineté. Car si nous ne maîtrisons pas notre dette, nous paierons, en 2029, 100 milliards d'euros d'intérêts à nos créanciers.
Monsieur le rapporteur général, vous voudriez que nous travaillions avec le Parlement. Vous l'avez dit, nous devons mieux prévoir. C'est pourquoi nous travaillons avec un cercle de prévisionnistes depuis mars dernier, pour éviter tout soupçon sur les prévisions.
Les reports ont été divisés par deux, début 2025 - nous avons mis un peu d'ordre. Je m'engage à faire aussi bien l'an prochain.
Dépense particulièrement dynamique, la masse salariale a augmenté de 6,7 %, du fait des recrutements et des mesures catégorielles. Je vous communique un chiffre qui n'a pas été divulgué jusqu'à présent : en 2025, nous réduirons la croissance de la masse salariale à 1,5 % au maximum, ce qui correspond au seul glissement vieillesse technicité (GVT). Les mesures catégorielles seront financées par des réductions d'effectifs. Il s'agit de limiter les dépenses à ce qui est finançable. Avec 0,7 % de croissance et 0,7 % d'inflation, nous maintenons la masse salariale à cet étiage.
Monsieur Savoldelli, vous avez fait un bilan de notre action depuis sept ans. J'en ai un autre à vous proposer.
M. Pascal Savoldelli. - Il y a combien de bilans ?
Mme Amélie de Montchalin, ministre. - Baisse du chômage, taux d'emploi record, un million d'apprentis, reste à charge zéro sur les lunettes et prothèses...
M. Pascal Savoldelli. - Ce n'est pas sérieux !
Mme Amélie de Montchalin, ministre. - Le niveau de prélèvements obligatoires est de 42,8 % ; les recettes publiques représentent 53,1 % de notre PIB. Quiconque de sérieux, qui voit la baisse du consentement à l'impôt, ne peut penser raisonnable d'augmenter nos recettes publiques au-delà de 51,3 %. Les recettes publiques, ce sont les prélèvements obligatoires, plus toutes les redevances.
M. Pascal Savoldelli. - Incroyable ! On n'est pas à l'école !
Mme Amélie de Montchalin, ministre. - Vous avez évoqué la taxe Zucman, en disant que nous refusions une taxe de 2 % sur les revenus des milliardaires. Or il s'agit d'une taxe de 2 % sur leur patrimoine : ce n'est pas la même chose. (Protestations à gauche)
M. Pascal Savoldelli. - J'ai parlé des revenus économiques !
Mme Amélie de Montchalin, ministre. - Il y a le flux - le revenu - et le patrimoine. Il faut être clair.
M. Jean-Luc Fichet. - Et alors ?
M. Bernard Jomier. - Donc vous acceptez de taxer le patrimoine ?
Mme Amélie de Montchalin, ministre. - Madame Briquet, je suis d'accord avec vous : le travail mené par les parlementaires sur les niches fiscales est essentiel. Nous recevrons chaque groupe parlementaire avant le 11 juillet. Nous sommes à votre écoute.
Merci, monsieur Vogel, pour votre travail sur la reddition des comptes ; monsieur Delahaye, l'inquiétude n'est pas justifiée. La Cour des comptes a effectivement souligné cinq sujets sur lesquels notre manière de rapporter les comptes ne correspond pas à ses attentes. J'ai demandé à mes services d'en faire une priorité. Mais je n'ai pas la main sur le sujet, pas plus que la DGFiP ; ce travail relève du Conseil de normalisation des comptes publics (CNOCP). Le CNOCP, la Cour et les administrations doivent travailler ensemble de bonne foi pour résoudre ce différend. La Cour des comptes ne dit pas qu'il y aurait maquillage ou insincérité : le désaccord porte sur la forme.
En revanche, je suis très inquiète de ce qu'indique la non-certification des comptes de la branche famille, à savoir des milliards d'indus, de retards, de difficultés.
Là, c'est bien un sujet de fond - auquel nous nous attelons, avec le préremplissage des déclarations mensuelles.
Discussion des articles
Article liminaire
M. Vincent Delahaye . - Parler d'article d'équilibre est un peu fort, puisqu'il s'agit d'un déséquilibre...
Madame la ministre, je me réjouis que des instructions aient été données à Bercy, car depuis des années, rien ne change.
Certifier des comptes, c'est juger leur sincérité, mais aussi leur exactitude et la réalité économique derrière les chiffres.
Un exemple : en 2024, l'aide médicale de l'État (AME) a représenté 1,280 milliard d'euros de dépense, mais les comptes retracent 1,120 milliard d'euros - soit 160 millions d'écart, de dette vis-à-vis de la sécurité sociale. La réalité des dépenses n'est pas reflétée dans les comptes. Il faut se rapprocher de l'exactitude avant de pouvoir voter ces comptes.
M. Christian Bilhac . - Madame la ministre, vous nous expliquez que ce vote serait un exercice technique, et non un jugement sur l'exécution budgétaire. J'ai fait moins d'études que vous, mais j'ai appris que la loi de règlement était le corollaire de l'autorisation budgétaire accordée à l'exécutif par les représentants du peuple pour les dépenses et les recettes : on vérifie si l'exécutif a respecté les volontés du peuple. Or ni les recettes ni les dépenses prévues au projet de loi de finances ne sont respectées. Comment voulez-vous que l'on vote pour ?
M. Pascal Savoldelli . - Je réagis au ton employé par la ministre pour nous répondre. Je n'ai pas parlé du revenu fiscal mais du revenu économique, du revenu du patrimoine des plus riches. Que vous soyez contre la taxe Zucman, soit - c'est un choix économique, politique.
Mme Amélie de Montchalin, ministre. - On en reparlera !
M. Pascal Savoldelli. - Vous n'acceptez jamais qu'on dise autre chose que ce que vous voulez entendre !
Sur les prélèvements obligatoires, il faut argumenter, pas seulement asséner. Les remboursements et dégrèvements ont augmenté de 70 %, contre 27,5 % pour les recettes fiscales brutes. C'est factuel. Les restitutions atteignent 30,4 % des rentrées fiscales.
Mme Amélie de Montchalin, ministre. - C'est vrai.
M. Pascal Savoldelli. - Le taux réel est de 42,8 %, non de 45,6 %.
Mme Amélie de Montchalin, ministre. - Je suis d'accord.
M. Pascal Savoldelli. - On peut être en désaccord, mais avoir un dialogue sérieux. Répondez-nous de manière plus politique et moins professorale !
Mme la présidente. - Amendement n°4 de M. Savoldelli et du groupe CRCE-K.
M. Pierre Barros. - Cet amendement supprime l'article liminaire qui fixe le solde public pour 2024 à moins 5,8 % du PIB, alors que la loi de finances initiale anticipait un déficit de 4,4 %.
Les 10 milliards d'euros d'annulation de crédit, présentés comme un ajustement, étaient actés avant même le dépôt du projet de loi de finances, ce qui interroge la sincérité des prévisions transmises au Parlement. Dès février, nous alertions sur leur caractère irréaliste, mais le Gouvernement d'alors les a sciemment maintenues pour rassurer Bruxelles. De tels ajustements en gestion auraient, à eux seuls, justifié une loi de finances rectificative. Il ne s'agissait plus d'un dérapage, mais d'un processus budgétaire qui s'affranchissait du cadre démocratique.
Ce déficit, celui d'un exercice solitaire, est le produit d'un aveuglement fiscal et d'une impasse politique.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Supprimer un article d'un texte que nous allons rejeter n'a pas de sens. Demande de retrait, pour une question de cohérence. D'autant que c'est l'article 37 de la Lolf qui impose cet article liminaire.
Mme Amélie de Montchalin, ministre. - En effet, c'est une obligation constitutionnelle. Je souscris aux arguments du rapporteur général.
Monsieur Savoldelli, si j'ai eu un ton professoral, je m'en excuse. Et je serai ravie de discuter du fond avec vous.
L'amendement n°4 est retiré.
L'article liminaire n'est pas adopté.
Article 1er
Mme la présidente. - Amendement n°5 de M. Savoldelli et du groupe CRCE-K.
M. Pascal Savoldelli. - Pourquoi ces amendements ? Parce que nous ne rejetons pas le texte pour les mêmes raisons que vous. Il faut bien avoir le débat !
Ici, nous demandons la suppression des tableaux d'exécution budgétaire - bref, des soldes et ratios de la dette. Il y a une subvention permanente au capital au nom de la rentabilité, une sorte d'assistanat ultralibéral, mais qui reste dans l'entre-soi, sans ruissellement ni redistribution. Alors que nous sommes saturés de dette, le capital demande que l'État subventionne tout - l'investissement, l'innovation, l'emploi. Soit 200 milliards d'euros d'aides publiques aux entreprises chaque année. La commission d'enquête conduite par Olivier Rietmann et Fabien Gay en tirera des conclusions.
Voilà nos raisons pour voter contre l'approbation des comptes.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Retrait, sinon avis défavorable.
Mme Amélie de Montchalin, ministre. - Même avis.
L'amendement n°5 n'est pas adopté.
L'article 1er n'est pas adopté, non plus que les articles 2, 3, 4, 5 et 6.
Article 7
Mme la présidente. - Amendement n°1 de M. Savoldelli et du groupe CRCE-K.
M. Pascal Savoldelli. - On nous demande de revenir sur les lois de règlement pour les exercices 2021, 2022, 2023, rejetées par le Parlement. Une démocratie normale en aurait tiré des conclusions ; au lieu de quoi, on continue. Einstein disait : « La folie, c'est de faire toujours la même chose et de s'attendre à un résultat différent ». (Mme Amélie de Montchalin sourit.) Cela vous convient ? C'est assez respectueux, avec une pointe d'insolence. Et réaliste.
L'année 2021, c'était l'assèchement de l'autonomie financière des collectivités territoriales avec la suppression totale de la taxe d'habitation et la fin de la CVAE qui a délié les territoires de la réalité économique.
Merci d'avoir écouté le groupe communiste.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Un de vos prédécesseurs, madame la ministre, s'étonnait, comme vous, que nous rejetions le projet de loi d'approbation, qu'il considérait comme l'équivalent d'un compte administratif.
Mais vous comprenez, au regard de nos propos, qu'il faut avoir un cap et le tenir. J'espère que 2025 amorcera un redressement rigoureux et que ces comptes finiront par être approuvés à nouveau.
Retrait, sinon avis défavorable.
Mme Amélie de Montchalin, ministre. - Il s'agissait de dire que ces comptes n'étaient pas insincères.
Einstein a aussi dit : « Seule une vie vécue pour les autres est une vie qui en vaut la peine ». Nous serons d'accord pour dire que c'est au service des Français que nous devons agir.
Mme Cathy Apourceau-Poly. - Ça, on est bien d'accord !
M. Pascal Savoldelli. - Vous pouvez mieux faire - mais pas forcément redoubler ! (Sourires)
M. Vincent Delahaye. - Nous demander de revenir sur les votes antérieurs au cours de l'approbation des comptes 2024, je n'ai jamais vu ça nulle part. En l'espèce, je ne suis pas le raisonnement du rapporteur général : supprimer cet article ne changerait rien à notre jugement sur les comptes 2024, aussi je voterai l'amendement.
Mme Isabelle Briquet. - Nous voterons cet amendement. Trois, bientôt quatre comptes de résultat n'ont pas été validés : certaines questions se posent !
L'amendement n°1 n'est pas adopté.
L'article 7 n'est pas adopté.
Article 8
Mme la présidente. - Amendement n°2 de M. Savoldelli et du groupe CRCE-K.
M. Pascal Savoldelli. - Défendu.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Retrait, sinon avis défavorable.
Mme Amélie de Montchalin, ministre. - Même avis.
L'amendement n°2 n'est pas adopté.
L'article 8 n'est pas adopté.
Article 9
Mme la présidente. - Amendement n°3 de M. Savoldelli et du groupe CRCE-K.
M. Pascal Savoldelli. - Défendu.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Retrait, sinon avis défavorable.
Mme Amélie de Montchalin, ministre. - Même avis.
L'amendement n°3 n'est pas adopté.
L'article 9 n'est pas adopté.
Mme la présidente. - Si le dernier article de ce projet de loi n'était pas adopté, il n'y aurait plus lieu de voter sur l'ensemble. Selon le règlement du Sénat, le scrutin public est de droit, aussi l'article 10 sera mis aux voix par scrutin public. C'est le moment d'expliquer votre vote sur l'ensemble.
M. Pierre Barros . - Le Gouvernement, droit dans ses bottes, estime avoir toujours raison ; ce sont la Cour des comptes, le Parlement, les collectivités, les corps intermédiaires qui se trompent.
Votre obstination désorganise les finances publiques, fragilise l'administration et contribue au contournement démocratique.
Vous dites tenir les dépenses ? Elles reculent, mais en raison des annulations décidées par décret dès février, hors du cadre parlementaire.
La dégradation des finances publiques est d'abord la conséquence de vos choix fiscaux depuis 2017 : suppression de l'ISF, prélèvement forfaitaire unique, suppression progressive de la CVAE, allégements massifs de cotisation. Soit 310 milliards d'euros de pertes de recettes cumulées. Mais moins d'impôts ne signifie pas plus d'investissements, de croissance et de recettes : en 2024, les recettes de l'État n'ont progressé que de 3,1 milliards d'euros - 23 milliards de moins que les prévisions. La richesse produite ne bénéficie plus aux finances publiques.
Vous reportez la dégradation des recettes sur le bloc communal en annonçant un effort de redressement de 2,2 milliards d'euros cette année. En réalité, il sera de 8 milliards, entre le dispositif de lissage conjoncturel des recettes fiscales des collectivités territoriales (Dilico), le Ségur de la santé, la hausse des cotisations CNRACL et du point d'indice, etc.
Le « dérapage » des collectivités brandi à l'hiver dernier comme un péril imminent de 17 milliards d'euros est ramené à moins de 9 milliards ; l'alerte était donc exagérée. Nous voterons contre ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K)
M. Jean Pierre Vogel . - Le rapport de la Cour des comptes définit une anomalie significative comme « un écart entre le montant, le classement ou la présentation d'un élément dans les comptes audités ou les informations qui y sont fournies à son sujet ; et le montant, le classement, la présentation ou les informations exigés pour cet élément selon les normes comptables applicables. »
Des normes comptables précises existent donc. Inutile de faire travailler tout le monde sur leur redéfinition, il suffit d'appliquer les normes existantes.
L'article 10 est mis aux voix par scrutin public de droit.
Mme la présidente. - Voici le résultat du scrutin n°331 :
Nombre de votants | 341 |
Nombre de suffrages exprimés | 321 |
Pour l'adoption | 20 |
Contre | 301 |
L'article 10 n'est pas adopté.
En conséquence, le projet de loi est définitivement rejeté.