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Table des matières
Hommage à Joël Bourdin, Gisèle Printz et Daniel Hoeffel, anciens sénateurs
M. Vincent Jeanbrun, ministre de la ville et du logement
Effort budgétaire imposé aux collectivités territoriales
Mme Françoise Gatel, ministre de l'aménagement du territoire et de la décentralisation
M. David Amiel, ministre délégué chargé de la fonction publique et de la réforme de l'État
Fragilisation du monde associatif
Mme Marina Ferrari, ministre des sports, de la jeunesse et de la vie associative
M. Mathieu Lefèvre, ministre délégué chargé de la transition écologique
M. Sébastien Lecornu, Premier ministre
M. Sébastien Lecornu, Premier ministre
Difficultés de la médecine du travail
Mme Stéphanie Rist, ministre de la santé, des familles, de l'autonomie et des personnes handicapées
Calendrier d'examen de la proposition de loi Trace
Mme Françoise Gatel, ministre de l'aménagement du territoire et de la décentralisation
M. David Amiel, ministre délégué chargé de la fonction publique et de la réforme de l'État
Projet de loi sur la simplification de la vie économique
M. Philippe Baptiste, ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'espace
M. David Amiel, ministre délégué chargé de la fonction publique et de la réforme de l'État
Prévention et lutte contre les épizooties
Mme Stéphanie Rist, ministre de la santé, des familles, de l'autonomie et des personnes handicapées
Psychologues dans les établissements scolaires
M. Edouard Geffray, ministre de l'éducation nationale
Définition pénale du viol et des agressions sexuelles (Conclusions de la CMP)
Mme Elsa Schalck, rapporteure pour le Sénat de la CMP
Mme Marie-Pierre Vedrenne, ministre déléguée auprès du ministre de l'intérieur
Mme Marie-Pierre de La Gontrie
Mme Muriel Jourda, présidente de la commission des lois
Mise au point au sujet d'un vote
Conventions internationales (Procédure simplifiée)
Accords France - Finlande et France - Suède (Procédure accélérée)
Mme Vanina Paoli-Gagin, rapporteur de la commission des finances
Renforcer la lutte contre la fraude bancaire
Mme Anne Le Hénanff, ministre déléguée chargée de l'intelligence artificielle et du numérique
Mme Nathalie Goulet, rapporteur de la commission des finances
Mme Corinne Narassiguin, rapporteure pour le Sénat de la CMP
Mme Naïma Moutchou, ministre des outre-mer
Ordre du jour du jeudi 30 octobre 2025
SÉANCE
du mercredi 29 octobre 2025
8e séance de la session ordinaire 2025-2026
Présidence de M. Gérard Larcher
La séance est ouverte à 15 heures.
Hommage à Joël Bourdin, Gisèle Printz et Daniel Hoeffel, anciens sénateurs
M. le président. - (Mmes et MM. les sénateurs et membres du Gouvernement se lèvent.) J'ai le regret de vous faire part du décès de nos anciens collègues Joël Bourdin, sénateur de l'Eure, Gisèle Printz, sénatrice de la Moselle, et Daniel Hoeffel, sénateur du Bas-Rhin.
Professeur d'économie, élève de l'ancien Premier ministre Raymond Barre, Joël Bourdin fut recteur de l'académie de Rouen. Maire de Bernay en 1983, fonction qu'il occupera pendant près de vingt ans, il fut conseiller général de l'Eure et vice-président de cette assemblée.
Sénateur de l'Eure de 1989 à 2014, il siégea au sein des groupes des Républicains Indépendants, puis UMP. Joël Bourdin fut membre de la commission des affaires culturelles, puis de la commission des finances dont il deviendra vice-président en 2004. Il sera aussi président de la délégation sénatoriale à la prospective.
Son dévouement et son soutien inconditionnel aux plus vulnérables laisseront une empreinte dans notre assemblée.
Militante associative puis syndicale, avant de s'engager en politique au sein du Parti socialiste, Gisèle Printz fut conseillère générale de la Moselle. Son engagement en faveur de la cause des femmes marquera l'ensemble de sa carrière ; nous nous en souviendrons ce soir, à l'occasion d'une réunion un peu particulière.
Sénatrice de la Moselle de 1996 à 2014, elle fut membre de la commission des affaires sociales et de la délégation aux droits des femmes dont elle sera vice-présidente.
Grand serviteur de l'État, Daniel Hoeffel fut secrétaire d'État auprès du ministre de la santé et de la famille, ministre des transports et ministre chargé de l'aménagement du territoire et des collectivités locales.
Figure emblématique de la vie politique alsacienne, président du conseil général du Bas-Rhin, Daniel Hoeffel fit son entrée au Sénat en 1977. Il fut membre du groupe Union centriste des démocrates de progrès, puis du groupe Union centriste, qu'il présida. Membre éminent de la commission des lois, il fut un ardent défenseur de la décentralisation.
Il fut vice-président du Sénat de 2001 à 2004. Écouté et respecté de tous ses collègues, il marqua profondément notre assemblée de sa rigueur et de sa droiture.
Au nom du Sénat, je veux présenter nos condoléances les plus attristées aux familles de nos collègues disparus. En leur mémoire, je vous propose d'observer un moment de recueillement. Demain, aura lieu l'action de grâce pour Daniel Hoeffel en l'église Saint-Thomas de Strasbourg, où Claude Kern représentera le Sénat. (Mmes et MM. les sénateurs et membres du Gouvernement observent un instant de recueillement.)
Questions d'actualité
M. le président. - L'ordre du jour appelle les questions d'actualité au Gouvernement.
Je vous rappelle que la séance est retransmise en direct sur Public Sénat et sur notre site internet.
Chacun sera attentif au respect des uns et des autres et du temps de parole, ainsi que l'a rappelé la conférence des présidents la semaine dernière : deux minutes par orateur, à l'exception de M. le Premier ministre, qui n'abusera pas de son privilège. (Sourires)
Politique de la ville
M. Franck Montaugé . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Le 27 octobre 2005, Zyed Benna, 17 ans, et Bouna Traoré, 15 ans, perdaient la vie dans un transformateur électrique de leur cité. (Murmures d'agacement sur quelques travées du groupe Les Républicains) Nous pensons à eux et à leur famille. Ce drame fut source d'affrontements entre les habitants du quartier et la police. L'histoire se répète en 2023, avec onze jours d'émeutes et de lourds dégâts dans de nombreuses communes.
Les faits ne se résument pas à la question sécuritaire : Zyed et Bouna n'avaient rien fait de répréhensible.
L'Agence nationale pour la rénovation urbaine (Anru) nous alerte depuis des mois sur le manque de crédits. Il faut davantage soutenir les acteurs, souvent associatifs, qui agissent dans ces quartiers. D'un quartier prioritaire de la politique de la ville à l'autre, l'action menée depuis 2017 n'est pas à la hauteur des attentes. Sur quels points entendez-vous agir en priorité pour que les habitants de ces quartiers se sentent membres à part entière de la communauté nationale ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER et du GEST)
M. Vincent Jeanbrun, ministre de la ville et du logement . - Votre question prend un sens particulier, vingt ans après les émeutes de Clichy-sous-Bois. Le Gouvernement est aux côtés des six millions de nos concitoyens qui vivent dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville : nous leur devons la même égalité des chances, la même promesse républicaine. Nous sommes aux côtés de l'Anru, qui mène un travail formidable pour que ces quartiers retrouvent un visage dont les habitants puissent être fiers.
Sans la politique de la ville, sans l'aide que ma famille a reçue dans les quartiers de la politique de la ville de L'Haÿ-les-Roses où j'ai grandi, je ne serais pas ici devant vous. C'est dire si j'y suis attaché, même s'il faut la rationaliser, la rendre plus efficace. La politique de la ville est évolutive. Nous soutiendrons tout ce qui ira dans le bon sens pour donner une espérance et des chances aux habitants de ces quartiers.
Le dernier comité interministériel des villes (CIV), qui a réuni tous les acteurs et partenaires, a proposé 43 mesures, dont je m'engage à assurer le suivi. L'une me tient particulièrement à coeur, la relation entre la police et la population (M. Yannick Jadot s'exclame) : nous doublerons le nombre de délégués à la cohésion police-population. Nous devons la sécurité et la tranquillité publique à ces habitants, c'est un préalable. (Applaudissements sur les travées du RDPI ; M. Yannick Jadot proteste.)
M. Franck Montaugé. - La ségrégation spatiale n'est pas admissible : il ne saurait y avoir de citoyens de seconde zone. L'égalité républicaine doit demeurer un objectif majeur, avec à tout le moins un égal accès aux services publics. (MM. Stéphane Ravier et Joshua Hochart s'exclament.)
Le Gouvernement devrait valoriser positivement ces quartiers. Nous devons beaucoup à leurs habitants, qui sont souvent des travailleurs de première ligne. Ne parlons pas d'eux seulement en période de crise ! (Applaudissements sur les travées du groupe SER et du GEST, ainsi que sur quelques travées du groupe CRCE-K)
Effort budgétaire imposé aux collectivités territoriales
Mme Marie-Claude Varaillas . - Le projet de loi de finances pour 2026 impose aux collectivités territoriales un effort sans précédent : 8 milliards d'euros, entre mesures directes et indirectes.
Leur dette ne représente que 8 % de la dette publique nationale. Pourtant, elles vont subir la moindre compensation des impôts économiques supprimés, le resserrement du FCTVA, le gel de la DGF, la baisse du fonds vert, l'augmentation de la TGAP...
Le dispositif de lissage conjoncturel des recettes fiscales des collectivités (Dilico) sera doublé, à 2 milliards d'euros, doublant le nombre de collectivités concernées. L'État puise dans les comptes des collectivités pour alimenter sa trésorerie ! Pire, les contributions ne seront restituées que si l'évolution des dépenses est inférieure à l'inflation - autant dire que ce n'est pas pour demain.
Comment le Gouvernement peut-il justifier un tel transfert de charges vers les territoires, alors que la moitié de la hausse de la dette publique découle directement des exonérations et baisses d'impôts décidées par l'État depuis 2017 ? (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K et sur plusieurs travées du groupe SER et du GEST)
Mme Françoise Gatel, ministre de l'aménagement du territoire et de la décentralisation . - Le Premier ministre l'a dit : ce budget est un budget de responsabilité et d'exigence. Nous avons collectivement la responsabilité de redresser notre budget pour corriger nos déficits. L'effort demandé est exigeant pour tout le monde.
M. Mickaël Vallet. - Pour les rentiers, moyennement !
Mme Françoise Gatel, ministre. - J'entends qu'il est exigeant pour les collectivités.
Le débat arrivera bientôt au Sénat. Le Gouvernement a tenu sa parole sur le budget 2025 : les 30 % de prélèvements liés au Dilico seront bien restitués, et nous respecterons le déficit de 5 %.
Ce projet de budget garantit la stabilité de la DGF, qui a augmenté de 790 millions d'euros ces dernières années. Il réaffirme la solidarité territoriale : la dotation de solidarité rurale augmente de 150 millions d'euros, la dotation de solidarité urbaine, de 140 millions. Le fonds de sauvegarde des départements passe de 100 à 300 millions d'euros. (Mme Cathy Apourceau-Poly s'exclame.) La dotation de soutien aux communes pour les aménités rurales, à 110 millions d'euros. Nous augmentons la dotation de solidarité en faveur de l'équipement des collectivités touchées par des évènements climatiques ou géologiques (DSECG) de 40 millions. Enfin, nous tenons nos promesses en portant le nombre d'entités France Services à 2 900.
Au-delà des débats sur le PLF, je vous invite à conduire un travail collectif exigeant sur la réduction des normes, pour que nous parvenions à des dépenses intelligentes. (Exclamations ironiques à gauche)
Mme Marie-Claude Varaillas. - On ne peut prétendre faire confiance aux élus locaux tout en les mettant à genoux financièrement ! Le Gouvernement annonce une nouvelle étape de décentralisation, mais met à mal le principe de libre administration des collectivités territoriales, piliers du service public et de l'investissement local.
Dans nos communes, cela signifie des chantiers reportés, des emplois supprimés, des projets compromis. Cette nouvelle purge, sous prétexte de rétablir les équilibres financiers, menace gravement la mise en oeuvre du pacte républicain. Nous nous y opposerons avec détermination. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K et sur quelques travées du groupe SER et du GEST)
Lutte contre la fraude
Mme Nathalie Goulet . - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Alors qu'une fièvre fiscale délirante s'est emparée de l'Assemblée nationale, on ne s'attaque pas à l'éléphant au milieu de la pièce qu'est la fraude. L'impôt universel voté hier rapporterait 20 milliards d'euros - avant de dévitaliser notre économie. La fraude fiscale, c'est 100 milliards d'euros de pertes annuelles. La fraude sociale, 30 milliards. Le blanchiment, 50 milliards, avec 2 % de recouvrement - pas de quoi pavoiser. La fraude carrousel à la TVA, entre 20 et 25 milliards d'euros.
Votre projet de loi de lutte contre la fraude, texte parcellaire, ramasse-miettes, n'y suffira pas. Rien sur les saisies ou confiscations, rien sur le blanchiment, la corruption, presque rien sur la fraude fiscale.
La lutte contre les fraudes et la criminalité organisée n'est ni de droite ni de gauche : c'est un combat républicain. Plutôt que de taxer toujours plus les contribuables et les entreprises, écoutez donc les propositions du groupe centriste ! (Applaudissements sur les travées du groupe UC ainsi que sur plusieurs travées des groupes Les Républicains et INDEP)
M. Loïc Hervé. - Excellent !
M. David Amiel, ministre délégué chargé de la fonction publique et de la réforme de l'État . - Je salue votre engagement constant sur ces sujets. Ce matin, la commission des finances du Sénat a étudié votre proposition de loi contre le blanchiment. Je salue ses rapporteurs, MM. Sautarel et Reynaud.
Le Gouvernement présente un projet de loi très ambitieux contre la fraude. Il dote la lutte contre la fraude sociale - tant la fraude aux prestations que la fraude aux cotisations - des mêmes instruments qu'en matière de lutte contre la fraude fiscale.
Ce projet de loi a vocation à être complété, enrichi, au cours du débat parlementaire ou via d'autres travaux comme votre proposition de loi. Nous sommes à votre disposition pour y travailler. Je vous proposerai bientôt une réunion avec les services de Bercy pour déterminer les instruments les plus efficaces. Nos débats techniques sont de bons débats (Mme Nathalie Goulet acquiesce), car ils montrent que nous partageons l'objectif.
Mme Nathalie Goulet. - La semaine dernière, j'ai accompagné le Premier ministre lors d'une visite à la direction des enquêtes fiscales. On nous a félicités pour la loi sur le narcotrafic, pour la baisse du seuil sur les prix de transfert, pour la fin du verrou de Bercy - une croisade de plus de cinq ans, menée avec Éric Bocquet.
Faites donc confiance au Sénat ! Écoutez nos propositions ! L'administration est parfois une grosse marmotte (sourires) : je vous propose de la réveiller ! (Applaudissements sur les travées des groupes UC, Les Républicains et INDEP)
Fragilisation du monde associatif
Mme Mathilde Ollivier . - (Applaudissements sur les travées du GEST) Un immense plan social silencieux se prépare : celui du monde associatif. Quelque 90 000 salariés sont sur la sellette. Un tiers des associations ont moins de trois mois de trésorerie. Ce désastre n'a rien d'un hasard : ces budgets en chute libre sont le résultat de vos choix politiques, madame la ministre.
Alors que les 1,4 million d'associations continuent, avec leurs salariés et leurs bénévoles, de porter à bout de bras la solidarité et la cohésion sociale, jamais le monde associatif n'a été autant fragilisé. Le 11 octobre, des milliers de bénévoles se sont mobilisés pour vous alerter : « Cela ne tient plus ! ». Ils donnent leurs soirées, leurs week-ends pour défendre l'intérêt général et maintenir le lien social. Ils ne demandent ni compassion, ni grands discours, mais des moyens.
Allez-vous leur donner des budgets à la hauteur des enjeux ou soutiendrez-vous ceux qui, à droite et à l'extrême droite, veulent restreindre les libertés associatives ? Laisserez-vous mourir ces structures qui font vivre nos territoires ? (Applaudissements sur les travées du GEST et sur plusieurs travées du groupe SER ; Mme Cathy Apourceau-Poly applaudit également.)
Mme Marina Ferrari, ministre des sports, de la jeunesse et de la vie associative . - Merci de l'hommage que vous avez adressé à ces associations : sans elles, la France n'aurait pas le même visage. (Mme Laurence Rossignol s'exclame.)
Les difficultés que rencontrent les associations sont réelles et le Gouvernement a entendu leurs demandes.
C'est ainsi que les crédits de mon ministère sont sanctuarisés dans le projet de budget pour 2026. Je pense notamment au fonds pour le développement de la vie associative (FDVA), à hauteur de 70 millions d'euros, ainsi qu'au fonds de coopération de la jeunesse et de l'éducation populaire (Fonjep). Le projet de budget prévoit aussi le maintien du régime des déductions fiscales, pour un coût de 4 milliards d'euros. Nous prévoyons aussi de relever le plafond de la niche Coluche de 1 000 à 2 000 euros pour encourager la générosité des Français.
Vous avez raison de rappeler que la liberté associative est l'un des piliers de notre démocratie ; le Gouvernement défend l'esprit de la loi de 1901.
Mme Mathilde Ollivier. - Les associations ont besoin de stabilité fiscale. Ce sont vos politiques qui provoquent les défaillances : fin du Pass'Sport, non-compensation de la prime Ségur, recul de l'aide au développement, contrat d'engagement républicain. Vous avez le pouvoir de revenir sur ces mesures, c'est une question de volonté politique ! (Applaudissements sur les travées du GEST, sur plusieurs travées du groupe SER et sur quelques travées du groupe CRCE-K)
Application de la loi Duplomb
M. Laurent Duplomb . - (Vifs applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Dans un État de droit, le Parlement légifère, l'exécutif exécute, la justice juge.
M. Yannick Jadot. - Ah !
M. Laurent Duplomb. - Pour bien exécuter, les agents de l'État doivent faire primer leurs missions sur leurs convictions personnelles. Comment accepter que des fonctionnaires laissent transparaître leur militantisme dans l'exercice de leurs fonctions ? (Murmures désapprobateurs à gauche)
Au mépris de leur devoir de réserve, certains fonctionnaires, comme ceux de l'association Le Lierre, critiquent publiquement les politiques agricoles. (Exclamations amusées à gauche) C'est inadmissible !
Malheureusement, cela ne s'arrête pas là : le premier représentant de l'État dans la Vienne est rétif à l'application de la loi !
L'article 5 de la loi visant à lever les contraintes à l'exercice du métier d'agriculteur, en vigueur depuis le 13 août, impose une analyse socioéconomique pour chaque étude touchant à l'eau destinée à l'agriculture.
Or le préfet de la Vienne reste sourd aux demandes de la profession sur le bassin du Clain et s'assoit carrément sur la loi en refusant d'intégrer les conclusions de l'étude socioéconomique réalisée par les organisations agricoles et qui est sans appel - 300 emplois menacés et 40 millions d'euros de pertes économiques !
À quoi bon légiférer si l'exécutif n'applique pas la loi ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur quelques travées du groupe UC ; M. Stéphane Fouassin applaudit également.)
M. Mathieu Lefèvre, ministre délégué chargé de la transition écologique . - Les agents auxquels vous avez fait des reproches font leur travail, dans le respect des lois de la République.
L'article 5 a été pleinement respecté : les études obligatoires ont été réalisées. Mais votre loi instaure aussi un équilibre entre protection de la ressource en eau et devenir de nos agriculteurs. Votre loi a donc été pleinement respectée.
J'ajoute que les volumes prélevables doivent respecter les ressources disponibles et non les besoins théoriques - c'est une question de responsabilité collective.
M. Yannick Jadot. - Eh oui, il n'y a pas d'eau magique !
M. Mathieu Lefèvre, ministre délégué. - Nous devons évidemment accompagner les agriculteurs et faire en sorte que la transition ne soit pas brutale. C'est tout le sens de l'action d'Annie Genevard, sous l'autorité du Premier ministre.
M. Marc-Philippe Daubresse. - C'est bien une réponse de haut fonctionnaire !
M. Mathieu Lefèvre, ministre délégué. - Les conférences de l'eau sont aussi là pour aider nos agriculteurs à assurer cette transition écologique.
Votre proposition de loi sera appliquée : le Gouvernement s'y engage. (Applaudissements sur quelques travées du RDPI)
M. Bernard Jomier. - Pas mal !
M. Laurent Duplomb. - L'étude socioéconomique n'a pas été prise en compte. Alors que 300 emplois sont menacés et que les pertes s'élèvent à 40 millions d'euros, comment expliquer que les prélèvements soient réduits de moitié ?
M. le Président. - Il faut conclure !
M. Laurent Duplomb. - Qui peut penser qu'avec l'évolution du climat, l'agriculture peut se passer d'eau ? Personne ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur quelques travées du groupe UC)
M. Yannick Jadot. - C'est ça le problème.
Budget 2026
M. François Patriat . - (Applaudissements sur les travées du RDPI) Entre la rigueur budgétaire aveugle et la démagogie complaisante, il est un chemin, celui de la responsabilité éclairée.
Le RDPI a une conviction inébranlable : maintenir le déficit en dessous de 5 % est une nécessité. Il faut des décennies pour construire, un budget pour détruire. La parole de la France ne se brade pas - il y va de la sécurité financière de tous les Français.
Mais la rigueur sans discernement est une impasse. Nous devons veiller à l'équité territoriale et nous n'abandonnerons pas les territoires les plus vulnérables, au premier chef les outre-mer.
Le RDPI défendra toujours la valeur travail et ceux qui produisent la richesse de la nation, ces classes moyennes qui sont l'épine dorsale de notre République. Or nous voyons la dangereuse tentation de l'Assemblée nationale : taxer toujours plus.
M. Jean-François Husson. - Vous avez raison !
M. Roger Karoutchi. - Très bien !
M. François Patriat. - Confondre patrimoine professionnel et patrimoine personnel, c'est affaiblir notre tissu économique. Monsieur le Premier ministre, pouvez-vous prendre l'engagement qu'aucune taxation mélangeant patrimoines personnel et professionnel ne sera décidée par votre Gouvernement ? (Applaudissements sur les travées du RDPI)
M. Sébastien Lecornu, Premier ministre . - Monsieur le Président, permettez au Gouvernement de s'associer à votre hommage aux parlementaires qui nous ont quittés, avec une pensée particulière pour l'ancien sénateur de l'Eure, Joël Bourdin.
Premier point : les dispositifs en faveur des outre-mer sont souvent du rattrapage - je pense à la Lodeom, notamment. J'ai demandé à Mmes Amélie de Montchalin et Naïma Moutchou de réunir très vite les parlementaires ultramarins, car les efforts budgétaires demandés sur les niches fiscales et sociales ne sont pas adaptés localement. Le risque de stop and go pourrait avoir un effet délétère sur la vie économique locale.
Mme Catherine Conconne. - Bravo !
M. Sébastien Lecornu, Premier ministre. - Il faut donc des mesures d'adaptation rapide, tenant compte des situations locales. J'espère que, malgré une Assemblée nationale sans majorité, nous réussirons à adapter ces niches fiscales et sociales, vieilles de dix à quinze ans, aux réalités économiques de chacun de ces territoires.
Nous devons régler l'urgence, mais aussi en profiter pour adapter les dispositifs, tout particulièrement en Nouvelle-Calédonie et à Mayotte, qui connaissent des situations spécifiques. Les élites parisiennes ne regardent pas suffisamment la question ultramarine. Nous ne pouvons pas nous lancer dans une réflexion sur notre organisation territoriale sans prendre en considération nos outre-mer.
Deuxième point, quelques principes pour organiser les débats budgétaires à l'Assemblée nationale et au Sénat. Je me rendrai à l'Assemblée dans les prochains jours pour m'investir dans les débats.
Je considère tout d'abord qu'il ne faut pas refuser par principe la question de la justice fiscale et de la progressivité de l'impôt pour les 0,01 % des contribuables les plus riches - il y a en effet un léger tassement de la courbe. Ne balayons pas ce débat d'un revers de main ; nous devons à nos concitoyens des réponses, notamment techniques.
Deuxième point, comme l'a dit Mme la sénatrice Goulet, il est particulier de voter des réformes fiscales avant de s'être assuré que les précédentes sont appliquées. C'est pourquoi j'ai voulu que la lutte contre les fraudes fiscale et sociale soit inscrite à l'ordre du jour du Parlement. On parle de 20 milliards d'euros non prélevés, pour une fraude plus fiscale que sociale.
Les services de l'État se trouvent parfois dans une préhistoire numérique - sans parler de marmotte... (MM. Jean-François Husson et Loïc Hervé s'exclament.) Les travaux du Sénat ont montré que nous devons décloisonner, croiser les fichiers, adapter la loi.
M. Pascal Savoldelli. - Mais c'est une nouvelle déclaration de politique générale !
M. Sébastien Lecornu, Premier ministre. - J'essaie simplement d'être précis et complet.
Troisième point : l'optimisation fiscale. Ces 0,01 % ont la capacité de s'adapter à la loi fiscale. Il y a donc deux types de contribuables : ceux qui peuvent - ou savent - optimiser et les autres. Cette question doit être traitée. Elle pose notamment la question des dépenses somptuaires et celle de notre dispositif de protection de la transmission d'entreprise. (Marques d'impatience à gauche) Pardon d'être long, monsieur le président.
M. le président. - Maîtrisez tout de même le temps, monsieur le Premier ministre ! (Sourires)
M. Sébastien Lecornu, Premier ministre. - Je me rattraperai après, en me taisant.
M. Jean-François Husson. - Ça ne se passe jamais comme ça !
M. Sébastien Lecornu, Premier ministre. - On est en train de déconnecter progressivement le débat fiscal de la question de la croissance, de l'attractivité et de l'emploi. Mais nous ne vivons pas sur une île ! D'autant que certaines dispositions fiscales n'auraient de sens qu'à l'échelon européen, voire mondial.
Comme aurait dit le président Pompidou : « Ne vendez pas la vache ! » Toucher à la croissance, c'est tuer la vache et renoncer à avoir du lait. Voilà un principe qui doit guider nos débats ici et à l'Assemblée nationale. (Applaudissements sur les travées du RDPI)
Taxe Zucman
M. Claude Malhuret . - (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP et sur quelques travées du groupe UC) Depuis quelques jours, le concours Lépine des taxes les plus déjantés (protestations à gauche) bat son plein à l'Assemblée, mené par les pistoleros de la justice fiscale.
M. Jean-François Husson. - Très bien !
M. Claude Malhuret. - Permettez-moi de vous raconter l'histoire de la vache de Zuc.
Le paysan Zuc n'est pas trop fort en économie, il n'a qu'une vache, qui n'a que la peau sur les os et qui ressemble plus à une vache sacrée famélique d'Inde qu'à une belle charolaise du Bourbonnais. (Rires à droite)
Un matin, Zuc se lève, et c'est le drame : la vache est morte. Zuc tombe à genoux : « Mon Dieu, pourquoi as-tu tué ma vache ? » Il entend alors une voix formidable venue d'en haut : « Zuc, tu me casses les oreilles. Que se passe-t-il ? »
Zuc : « Mon Dieu, tu as fait mourir ma vache. »
La voix : « Je ne l'ai pas tuée : tu l'as à peine nourrie depuis six mois. Mais que puis-je faire pour t'aider ? Veux-tu que je la ressuscite ? » (Murmures désapprobateurs à gauche)
M. Pascal Savoldelli. - C'est une thérapie !
M. Claude Malhuret. - Zuc : « Non, Mon Dieu, je veux simplement la justice : tue la vache de mon voisin. » (Applaudissements et rires sur les travées des groupes INDEP, UC et Les Républicains)
Appauvrir les uns pour enrichir les autres, c'est la recette séculaire de l'enfer pavé de bonnes intentions du camp du bien. Ça n'a jamais enrichi personne, ça ruine tout le monde.
M. Yannick Jadot. - Et la Révolution française ? Et 1789 ?
M. Claude Malhuret. - La France crève d'un excès de dépenses, de dette et de taxes, mais depuis huit jours, des centaines d'amendements créent de nouveaux impôts. Monsieur le Premier ministre, résistez ! Moins d'impôts, moins de dépenses publiques, plus d'emploi, plus de liberté ! (Exclamations ironiques à gauche ; applaudissements sur les travées des groupes INDEP, UC et Les Républicains)
M. le président. - Veuillez conclure. (Les sénateurs du groupe SER protestent et tapent sur leurs pupitres pour signifier que le temps de parole est épuisé.)
M. Claude Malhuret. - (La voix de l'orateur est presque couverte par le brouhaha.) Que comptez-vous faire face à cette assemblée saisie de folie fiscale ?
M. Sébastien Lecornu, Premier ministre . - « Ne vendez pas la vache », disait le président Pompidou. Cela pose la question du patrimoine professionnel. Notre vie économique a besoin de capitaux, de préférence français.
Quand j'étais ministre des armées, dès qu'une PME de la défense était en difficulté, certains plaidaient pour un plan de sauvegarde, d'autres pour une nationalisation.
Décourager les capitaux français de rester en France, et les capitaux européens de rester en Europe, nous rend vulnérables et ouvre notre appareil productif à des capitaux étrangers - chinois, américains, etc.
On ne peut pas déconnecter le débat sur la fiscalité de la question de l'économie, de l'attractivité et de la croissance. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP, ainsi que sur quelques travées du RDPI) Le débat technique permettra d'aller plus loin que le seul débat politique.
Monsieur Malhuret, vous avez été ministre chargé des droits de l'homme : nous devons respecter notre Constitution, qui ne s'applique pas à la carte. (M. Yannick Jadot approuve.) L'État de droit doit être respecté en toutes circonstances.
L'article 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen établit le principe d'égalité devant l'impôt, mais pose aussi la question de la capacité contributive. N'allons pas vers des dispositifs fiscaux confiscatoires, qui seraient inconstitutionnels : voilà un principe susceptible de guider les débats au Parlement, en tout cas au Sénat. (Mme Silvana Silvani ironise.)
Enfin, on ne peut décorréler les dépenses des recettes. Nous devons avancer sur des mesures pluriannuelles d'économies structurelles, notamment la réforme de l'État. Il faut que le Gouvernement discute avec les formations politiques sur le PLFSS, notamment sur le gel des minima sociaux et des petites retraites. Une première réunion sur la réforme de l'État, les agences, la décentralisation et l'adaptation des politiques publiques, s'est tenue avec les ministres. Il est grand temps de sortir de la myopie de notre annualité budgétaire. Voyons plus loin que le bout de notre nez !
M. Jean-François Husson. - C'est un autre sujet...
M. Sébastien Lecornu, Premier ministre. - Aux derniers parlementaires qui douteraient de notre engagement, je dis que la volonté de compromis doit être partagée. Si nous sommes prêts à avancer sur un certain nombre de vos demandes, un consensus sur la réforme de l'État s'impose, sans démagogie, sans fonctionnaires-bashing, sans opposer les collectivités territoriales et l'État.
Repartons de zéro et faisons preuve de créativité : c'est le seul chemin pour sortir le pays des difficultés actuelles. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP et du RDPI ; M. Bernard Fialaire applaudit également.
Difficultés de la médecine du travail
M. Éric Gold . - (Applaudissements sur les travées du RDSE) La médecine du travail est le premier maillon de la prévention au travail. Elle protège la santé physique et mentale des salariés, réduit les risques d'accidents et de maladie professionnelle et évite des pathologies plus lourdes et plus coûteuses pour la collectivité.
Mais, aujourd'hui, ce pilier vacille. Dans le privé, près d'un tiers des salariés n'ont pas de suivi régulier Dans le public, des milliers d'agents n'ont jamais rencontré de médecin du travail. Dans certains territoires ultramarins, ce service n'existe même pas...
Dans le Puy-de-Dôme, on compte parfois jusqu'à quatre semaines d'attente pour un rendez-vous. Après un arrêt de travail, si des aménagements de poste sont nécessaires, une visite de reprise est requise dans les huit jours. Or certaines visites ne peuvent se faire dans les délais, contraignant les salariés à prolonger leur arrêt ou à prendre des congés, alors qu'ils sont aptes à travailler. C'est ubuesque, surtout dans le contexte budgétaire actuel.
Malgré la suppression du numerus clausus, la médecine du travail n'attire plus, réduisant la prévention et entraînant une fatigue accrue pour les médecins qui restent.
Comment rendre de l'attractivité à la médecine du travail ? Envisagez-vous de simplifier les procédures, par exemple avec un suivi infirmier encadré à la place des visites de reprise ? La médecine du travail n'est pas un coût, mais un investissement : elle mérite mieux qu'une ordonnance de pénurie. (Applaudissements sur les travées du RDSE ; MM. Mickaël Vallet et Marc Laménie et Mme Sonia de La Provôté applaudissent également.)
Mme Stéphanie Rist, ministre de la santé, des familles, de l'autonomie et des personnes handicapées . - Avec Jean-Pierre Farandou, nous nous sommes engagés à améliorer la situation. Je remercie tous les professionnels engagés pour la santé au travail, qui sont en nombre insuffisant.
Parlementaire, j'ai défendu des mesures ; je continuerai comme ministre. Une réponse de court terme comme le partage des compétences peut améliorer la situation.
Nous formons 20 à 30 % de médecins supplémentaires, mais il faut du temps pour qu'ils soient opérationnels. Cette année, nous triplerons le nombre de praticiens à diplôme hors Union européenne (Padhue) dans la santé au travail.
Au printemps dernier, une mission de l'Igas a été lancée. Elle rendra ses travaux prochainement.
C'est un enjeu de prévention majeur, car la médecine du travail réduit les coûts en santé. (Applaudissements sur les travées du RDPI)
Calendrier d'examen de la proposition de loi Trace
M. Jean-Baptiste Blanc . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Marc Laménie applaudit également.) J'associe Guislain Cambier, Amel Gacquerre, Jean-Marc Boyer, Daniel Guéret et Jean-Claude Anglars à cette question.
Monsieur le Premier ministre, le 15 octobre dernier, vous nous avez présenté un Gouvernement de mission et d'objectifs. Vous avez parlé de confiance, d'efficacité, de réforme de l'action publique, de décentralisation et de sens retrouvé, mots forts que nous partageons tous.
Mais, dans nos territoires, cette feuille de route a un goût d'inachevé : pas un mot sur la transition écologique, la sobriété foncière ni le ZAN. (On renchérit sur les travées du groupe Les Républicains.) Actuellement, le ZAN fige les territoires et retarde les projets de logements, de réindustrialisation et d'énergies renouvelables.
Le 18 mars dernier, le Sénat a adopté à une large majorité la proposition visant à instaurer une trajectoire de réduction de l'artificialisation concertée avec les élus locaux (Trace). Trace n'est pas une remise en cause du ZAN, mais une méthode contractuelle fondée sur la concertation, qui redonne confiance aux maires, réconcilie écologie et cohérence territoriale et place la sobriété foncière sous le signe du bon sens.
Les élus sont prêts, tout le monde attend ce texte. Pourquoi attendre février prochain pour l'inscrire à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale ? Les élus ont besoin d'un cadre clair. Le ZAN est un objectif, Trace en est la trajectoire. Pourquoi le Gouvernement n'inscrit-il pas à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale cette proposition de loi dès les prochaines semaines ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe INDEP)
Mme Frédérique Puissat. - Très bien !
Mme Françoise Gatel, ministre de l'aménagement du territoire et de la décentralisation . - Je reconnais votre détermination et l'endurance du Sénat sur ce sujet.
Le Gouvernement inscrira cette proposition de loi à l'ordre du jour dans les prochaines semaines, à tout le moins dès la rentrée de janvier. Je salue également les sénateurs Boyer, Gacquerre et Guéret qui ont coécrit avec vous un courrier au Premier ministre. Nous ne pouvons ignorer l'exigence de frugalité foncière, quand on consomme en 50 ans autant qu'en 500 ans.
M. Vincent Louault. - C'est incroyable !
Mme Françoise Gatel, ministre. - Le ZAN est une disposition normative mal calibrée, qui ne prend pas suffisamment en compte la différenciation des territoires. Entreprenons un dialogue sur la proposition de loi Trace. Le Parlement est composé de deux chambres et l'Assemblée nationale a un autre point de vue. Mais nous tâcherons de rapprocher les points de vue pour sortir de l'impasse. (M. François Patriat applaudit.)
Justice fiscale
Mme Florence Blatrix Contat . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Deux économistes de renommée mondiale, Joseph Stiglitz, prix Nobel d'économie, et Olivier Blanchard, ancien chef économiste du FMI, soutiennent la taxe proposée par Gabriel Zucman sur les très hauts patrimoines. (Applaudissements sur les travées du groupe SER et du GEST ; protestations sur les travées du groupe Les Républicains)
Pourquoi ? Notre système fiscal permet aux ultra-riches de s'affranchir de la solidarité nationale. Pendant que leur patrimoine s'envole, passant de 200 milliards d'euros en 2015 à plus de 1 200 milliards désormais, leur contribution diminue : les 0,01 % les plus riches sont imposés deux fois moins que le reste de la population. Où est la justice ? L'égalité ?
Pourtant, l'article 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen est clair : la contribution commune doit être également répartie en fonction des facultés de chacun. Joseph Stiglitz le dit : la France peut montrer l'exemple au monde. Olivier Blanchard le confirme : la taxe Zucman est nécessaire et plus efficace que la taxe holding.
Les Français soutiennent cette taxe à 86 %. Pourtant, votre Gouvernement refuse cette mesure et ne propose aucune alternative crédible. Or c'est à vous qu'il revient de proposer une solution consensuelle et des ressources fiscales, pour plus de justice fiscale. Refuser d'agir, c'est augmenter les franchises médicales, geler les APL ou l'allocation aux adultes handicapés (AAH).
Monsieur le Premier ministre, proposerez-vous enfin une contribution significative des hauts patrimoines ou persisterez-vous à protéger les fortunes les plus colossales ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER et sur des travées du groupe CRCE-K et du GEST)
M. David Amiel, ministre délégué chargé de la fonction publique et de la réforme de l'État . - Pour être acceptés, les efforts doivent être partagés. Le problème de la France, ce n'est pas que les impôts sont trop bas, c'est qu'ils sont trop élevés ! (M. Jean-François Husson s'exclame.)
Les taux d'imposition sont à un niveau record. Mais l'impôt est souvent contourné, illégalement ou légalement : le Premier ministre veut lutter contre la suroptimisation fiscale.
Je ne puis pas vous laisser dire que le Gouvernement ne se serait pas emparé de cette question. Regardez les dispositions du projet de loi de finances initial : prolongation de la contribution différentielle sur les hauts revenus, taxe sur les holdings, notamment. Les débats enrichiront ces propositions.
Le débat sur la justice sociale ne saurait être uniquement fiscal : c'est aussi les emplois, les salaires (M. Yannick Jadot approuve), la réindustrialisation. Il ne faut pas que le projet de loi de finances détricote nos actions engagées par ailleurs.
M. Thierry Cozic. - Huit ans que vous êtes aux responsabilités !
M. David Amiel, ministre délégué. - En 1981, le gouvernement le plus à gauche de la Ve République avait décidé de ne pas toucher aux biens professionnels, en raison des risques pour l'économie française.
M. Yannick Jadot. - La famille Bettencourt !
M. David Amiel, ministre délégué. - Tirons les leçons du passé et protégeons notre économie, ou ce sont les classes populaires et moyennes qui paieront la facture ! (Applaudissements sur les travées du RDPI ; M. Bernard Fialaire applaudit également.)
Projet de loi sur la simplification de la vie économique
M. Rémy Pointereau . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Monsieur le Premier ministre, je vous adresse cette question au nom de la commission spéciale que je préside.
Le projet de loi sur la simplification de la vie économique, adopté en octobre 2024 au Sénat et en juin dernier à l'Assemblée nationale, est à l'arrêt depuis six mois. Pourtant, avec les rapporteurs Catherine Di Folco et Yves Bleunven, nous l'avons enrichi de mesures concrètes, notamment le test PME défendu par Olivier Rietmann.
Ce texte est très attendu par les TPE-PME au moment où nous allons vers un record de défaillances, notamment dans l'automobile et le bâtiment. Les entreprises ne veulent pas plus d'aides, mais de la stabilité, de la confiance et, surtout, de pouvoir travailler librement !
Que penser de l'avalanche de paperasses liée aux obligations d'information sociale et environnementale dans le logement, du passage en force vers le tout-électrique, de la fiscalité punitive qui envoie toute la filière automobile dans le mur ?
Plutôt que de persister dans un délire fiscal, agissez sur la véritable urgence : la folie normative, qui coûte près de 100 milliards d'euros par an, dont 5 aux collectivités locales. Voilà où se trouvent les vraies économies possibles : près de 3,5 % de notre PIB !
Confirmez-vous que, lorsque la CMP aura trouvé un compromis, le texte sera inscrit immédiatement à l'ordre du jour, et avec quel ministre au banc du Gouvernement ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur certaines travées du groupe UC ; M. Marc Laménie applaudit également.)
M. Serge Papin, ministre des petites et moyennes entreprises, du commerce, de l'artisanat, du tourisme et du pouvoir d'achat . - La simplification de la vie économique est un enjeu majeur. De ce point de vue, le test PME est une disposition particulièrement intéressante.
Accélérer l'activité économique, stimuler la croissance, renforcer la confiance : voilà nos enjeux. Ce projet de loi a fait l'objet de longs débats. Je remercie les parlementaires qui se sont engagés sur ce texte. Vous connaissez les contraintes du calendrier actuel, qui donne la priorité au budget.
M. Laurent Burgoa. - C'est compliqué...
M. Serge Papin, ministre. - Je vais vous faire une confidence : je me suis plongé dans ce texte. C'est compliqué de s'occuper de la simplification... (Sourires sur certaines travées ; quelques murmures désapprobateurs à droite)
Antisémitisme à l'université
M. Pierre-Antoine Levi . - Il y a quelques jours, en pleine université Paris-VIII, une scène inqualifiable : 200 étudiants réunis pour un événement où le terrorisme était ouvertement célébré et où les massacres du 7 octobre étaient légitimés. Des appels à s'armer ont été lancés, des figures emblématiques du terrorisme ont pris la parole et Georges Ibrahim Abdallah, condamné à perpétuité, a été présenté comme un révolutionnaire glorieux.
M. Loïc Hervé. - Un humaniste...
M. Pierre-Antoine Levi. - Mariam Abu Daqqa, cadre d'une organisation considérée comme terroriste par l'Union européenne, a incité à la violence.
Monsieur le ministre de l'enseignement supérieur, comment tolérer qu'une université offre une tribune aux représentants d'organisations terroristes ? Vous avez convoqué le président de Paris-VIII : qu'en est-il ressorti ?
M. Roger Karoutchi. - Rien !
M. Pierre-Antoine Levi. - Quelles mesures concrètes avez-vous prises ?
Le garde des sceaux vient de signer une circulaire appelant à la plus grande fermeté dans les affaires d'antisémitisme à l'université. Je le remercie, car l'impression donnée dans le traitement des signalements au titre de l'article 40 du code de procédure pénale est celle d'un très grand immobilisme. La justice doit être intraitable !
L'apologie du terrorisme est punie de cinq ans d'emprisonnement. Organisateurs et intervenants doivent être poursuivis et les étudiants identifiés, définitivement exclus.
Les décrets d'application de la loi contre l'antisémitisme dans l'enseignement supérieur, que j'ai défendue avec Bernard Fialaire, sont encore à l'étude au Conseil d'État. Nous espérons leur publication au plus vite.
Dans l'immédiat, quelles sanctions exemplaires comptez-vous prendre ? (Applaudissements sur les travées du groupe UC, sur de nombreuses travées des groupes Les Républicains et INDEP et sur certaines travées du RDSE ; Mme Laurence Rossignol applaudit également.)
M. Max Brisson. - Très bien !
M. Philippe Baptiste, ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'espace . - Les propos tenus à l'occasion de cet événement sont inadmissibles ; ils me font honte et font insulte aux valeurs républicaines, socle de notre société démocratique.
Ils tombent sous le coup de la loi. C'est pourquoi j'ai immédiatement demandé au rectorat de procéder à un signalement au titre de l'article 40. Dès le lendemain, j'ai convoqué le président de Paris-VIII, qui a lancé une enquête interne et établi un protocole plus strict de validation des événements. J'ai également saisi l'inspection générale d'une mission pour établir les responsabilités. (Mme Marie-Pierre de La Gontrie et M. Bernard Jomier ironisent.)
Le garde des sceaux a appelé les parquets à une vigilance particulière sur les faits d'antisémitisme dans l'enseignement supérieur. Le procureur de Bobigny s'est saisi du dossier.
Ces actes ne resteront pas impunis. J'ai soutenu votre proposition de loi, qui renforce les pouvoirs des présidents d'université ; les décrets d'application seront publiés d'ici fin novembre. Je continuerai d'appliquer une tolérance zéro en la matière.
La détermination du Gouvernement est absolue pour lutter contre tous les faits antisémites. (Applaudissements sur des travées du RDPI et sur quelques travées des groupes UC et INDEP)
Taxation de l'héritage
Mme Valérie Boyer . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) J'associe à cette question Alexandra Borchio Fontimp.
Yaël Braun-Pivet a estimé que l'héritage qui tombe du ciel n'était pas sain, appelant à le taxer davantage. Or transmettre et hériter n'est pas seulement une affaire de biens ; c'est une histoire familiale, d'effort accumulé et de continuité entre générations.
On ne parle pas ici de riches, mais de classes moyennes qu'on voudrait amputer d'une partie de leur histoire. Une maison bâtie pierre à pierre, un commerce tenu toute une vie, des économies faites pour protéger ses enfants : il y a là, au-delà de la valeur comptable, la mémoire du travail et la constance dans l'effort. L'héritage est aussi moral et culturel ; c'est un enracinement.
Quinze pays de l'OCDE ont supprimé l'impôt sur les successions, mais nous persistons dans le concours Lépine de l'impôt... Comme si la prévoyance devenait une faute et la réussite, un soupçon. Si l'on vide de sa substance la liberté de transmettre, le droit de propriété, déjà malmené en France, perdra tout sens : les propriétaires ne seront plus que les usufruitiers de biens revenant à l'État. (Murmures désapprobateurs à gauche)
Protéger la transmission n'est pas refuser la solidarité nationale ; c'est respecter le lien entre passé et avenir, l'idée qu'on travaille aussi pour ceux qui viendront après nous. Un pays se renforce en permettant de transmettre, pas en pénalisant ceux qui bâtissent et s'enracinent.
Barrès disait : « Le déraciné se croit ouvert alors qu'il est vide. Il confond l'ouverture et la désorientation. » Taxer, taxer toute une vie jusqu'à la tombe, ça suffit ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; Mmes Évelyne Perrot et Annick Jacquemet applaudissent également.)
M. David Amiel, ministre délégué chargé de la fonction publique et de la réforme de l'État . - Quand on a travaillé toute sa vie, il est naturel d'aspirer à transmettre à ses enfants. Nul besoin de citer Maurice Barrès pour partager cette idée : elle fait partie du pacte républicain dans lequel une immense majorité d'entre nous se retrouvent.
Nous disposons d'une épargne massive mais concentrée à des âges de plus en plus élevés, alors que les jeunes ne peuvent plus accéder à la propriété : il faut donc faciliter et accélérer les donations. Gouvernement et Parlement, travaillons-y.
Nous devons aussi lutter contre la suroptimisation, comme je l'ai dit en réponse à Mme Goulet. Beaucoup de Français sont imposés à des taux élevés, mais certains dispositifs fiscaux donnent lieu à des abus. De nombreux rapports parlementaires le montrent. Là aussi, travaillons-y.
Notre boussole : protéger ceux qui prennent des risques, investissent, créent des richesses et de l'emploi. En particulier, défendons nos PME et ETI industrielles en préservant le pacte Dutreil : sa suppression serait criminelle pour notre économie.
Enfin, nous devons améliorer la reconnaissance du travail. Si tant de Français ne peuvent plus s'en sortir ni acheter un premier appartement sans l'aide de leurs parents, c'est parce que le travail ne paie plus assez. (Exclamations sur de nombreuses travées à gauche)
Mmes Émilienne Poumirol et Cathy Apourceau-Poly. - Nous sommes bien d'accord !
Mme Valérie Boyer. - Il est temps de vous reconnecter au peuple réel. (Protestations sur de nombreuses travées à gauche ; M. Mickaël Vallet s'exclame.) La justice fiscale n'est pas la lutte des classes. Préserver l'héritage, c'est préserver la France !
Réduisons la taxation de l'héritage tout en agissant sur les niches, allongeons le délai d'acquittement des droits, comme le propose notre collègue Rapin, et favorisons les donations et transmissions.
M. le président. - Veuillez conclure.
Mme Valérie Boyer. - Nous maintiendrons ainsi la cohésion nationale et le lien entre générations, celui du travail, de la responsabilité et de l'espérance. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains)
Prévention et lutte contre les épizooties
M. Serge Mérillou . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER ; Mme Marie-Claude Varaillas applaudit également.) La précédente épizootie de grippe aviaire - 22 millions de volailles abattues en 2022 - a traumatisé nos éleveurs. Pourtant, madame la ministre, vous avez décidé, sous la pression de Bercy, de réduire la prise en charge de la vaccination contre l'influenza aviaire. Ces économies de bouts de chandelle menacent la filière avicole et coûteront cher à l'État en indemnisations.
Déjà l'Allemagne est submergée par l'épizootie. Chez nous, 100 000 volailles viennent d'être abattues. Le coût du vaccin pour les éleveurs n'y est pas pour rien. Leur détresse psychologique s'ajoute au désastre économique, qui s'étend aux sites de transformation, nombreux en Dordogne.
Du côté des bovins, en pleine crise de la dermatose nodulaire contagieuse (DNC) et alors que l'interdiction d'exportation arrive à son terme, que comptez-vous faire ?
Plus largement, face à la pénurie de vétérinaires dans la ruralité, allez-vous enfin créer une nouvelle école vétérinaire tournée vers l'élevage à Limoges ?
Ce ne sont pas simplement des maladies du vivant. Nous voyons les failles d'un modèle confronté au dérèglement climatique. Allez-vous enfin engager une vraie politique sanitaire, durable et préventive ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER et sur des travées du groupe CRCE-K)
Mme Annie Genevard, ministre de l'agriculture, de l'agro-alimentaire et de la souveraineté alimentaire . - Oui, le réchauffement climatique accroît le nombre d'épisodes sanitaires redoutables pour nos élevages, en France et partout en Europe.
Mme Laurence Rossignol. - Duplomb !
M. Bernard Jomier. - Dites-le à Duplomb !
Mme Annie Genevard, ministre. - Contre l'influenza aviaire, nous déployons une stratégie efficace et qui porte ses fruits : surveillance active, dépistage, vaccination. Nous avons déjà dépensé plus de 1 milliard d'euros pour lutter contre cette terrible épizootie. Il était convenu avec la filière que la prise en charge du vaccin serait dégressive au fil du temps. L'État reste toutefois engagé à travers les vétérinaires mandatés.
En ce qui concerne la DNC, l'État prend en charge la totalité des dépenses. Les bêtes abattues seront remplacées, les pertes d'exploitation compensées, la désinfection des bâtiments financée.
On ne peut donc absolument pas prétendre que l'État se déroberait à ses responsabilités.
Enfin, j'ai lancé dès ma prise de fonction les assises du sanitaire, car nous devons penser ces enjeux globalement et dans la durée.
M. Serge Mérillou. - Nous demandons un plan global de prévention et un fonds d'indemnisation de toutes les pertes, directes et indirectes. C'est le sens de la proposition de loi visant à renforcer la santé animale que je viens de déposer avec mes collègues socialistes Frédérique Espagnac, Franck Montaugé et Christian Redon-Sarrazy. (Applaudissements sur les travées du groupe SER et sur certaines travées du groupe CRCE-K et du GEST)
Prévention du cancer de sein
Mme Patricia Demas . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) En ces derniers jours d'octobre, je m'interroge sur l'absence, presque dérangeante, du décret d'application de la loi du 5 février dernier améliorant la prise en charge du cancer du sein. Pourquoi ce silence ?
Voilà des années que je défends cette cause de manière transpartisane. Le Gouvernement nous a indiqué qu'un projet de décret serait prochainement soumis au Conseil d'État : réponse bien insuffisante.
Madame la ministre de la santé, je m'adresse à la femme engagée et au médecin que vous êtes, hier encore parlementaire de terrain. Pouvez-vous garantir que cette loi tant attendue sera appliquée avant la fin de l'année ? Et comment accélérer la publication des textes utiles à la santé des Français ? Huit mois pour exécuter une loi, c'est insoutenable pour les malades ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; Mmes Jocelyne Antoine et Émilienne Poumirol et M. Akli Mellouli applaudissent également.)
Mme Stéphanie Rist, ministre de la santé, des familles, de l'autonomie et des personnes handicapées . - Je connais votre engagement pour la santé des femmes comme vous connaissez le mien. Le Gouvernement est pleinement mobilisé pour une prise en charge complète et équitable des femmes atteintes de cette maladie tout au long de leur parcours. L'octobre rose nous rappelle que l'enjeu est médical, mais aussi humain et sociétal.
Le décret est en cours d'élaboration. Nous avons besoin d'un peu de temps, pour éviter les redondances et nous assurer que les mesures prises seront effectives.
Toutefois, j'ai annoncé dès la semaine dernière plusieurs avancées : prise en charge intégrale des prothèses capillaires, réflexions sur la prise en charge du tatouage des seins et l'inscription des soutiens-gorge compressifs sur la liste supplémentaire.
Vous pouvez compter sur mon engagement.
Mme Patricia Demas. - Merci pour vos réponses. Mais il y a quand même un décalage entre la vie des Français et le vécu des malades, d'une part, et la réponse tardive de l'État, d'autre part. Les lenteurs administratives ne sont pas une fatalité. Il vous appartient de fixer des délais pour que les lois soient exécutées : il y va de la crédibilité de nos politiques publiques. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, sur plusieurs travées du groupe UC et sur quelques travées du RDSE et des groupes SER et CRCE-K)
Psychologues dans les établissements scolaires
Mme Laurence Muller-Bronn . - Le 24 septembre dernier, au collège de Benfeld, dans mon canton, un adolescent de 14 ans a agressé au couteau une enseignante avant de se donner la mort. Cette tragédie a mis en lumière une nouvelle fois la question de la santé mentale des jeunes et la nécessité d'une feuille de route à la hauteur de la situation alarmante dans ce domaine.
Les choses s'aggravent d'année en année, particulièrement depuis la période angoissante du covid et du passe sanitaire. Il aurait fallu accorder plus d'attention à ces jeunes. Au contraire, les médecins, psychologues et infirmières scolaires manquent.
Sur le terrain, les enseignants m'ont fait part de leur détresse et de leur sentiment d'impuissance. Le collège de Benfeld illustre cette déshérence : une psychologue un jour et demi par semaine et aucun médecin scolaire pour 800 élèves. À 30 kilomètres de là, au collège de Sundhouse, l'infirmière et la psychologue, en absence de longue durée, ne sont pas remplacées.
En mai dernier, le Sénat a reconnu la spécialité infirmière de l'éducation nationale : le décret d'application sera-t-il publié rapidement ? Plus largement, quelles mesures comptez-vous prendre en faveur de la santé mentale, grande cause nationale de cette année, dans le milieu scolaire ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; MM. Daniel Chasseing et Jacques Fernique ainsi que Mme Émilienne Poumirol applaudissent également.)
M. Edouard Geffray, ministre de l'éducation nationale . - J'exprime à nouveau ma solidarité vis-à-vis de notre collègue victime du drame de Benfeld.
La santé physique et psychique de nos élèves est l'une de mes trois priorités. Selon une étude toute récente de l'Inserm, 30 % des jeunes de 11 à 24 ans présentent à un moment des troubles anxieux ou dépressifs. Depuis le covid, le recours aux urgences psychiatriques par des jeunes a très fortement augmenté.
Stéphanie Rist et moi travaillons ensemble. En particulier, nous déployons dans tous les établissements un protocole de santé mentale destiné à apporter une réponse de premier niveau : d'ici à décembre, deux personnes par établissement seront formées au repérage. Nous préparons aussi un dispositif coupe-file : les élèves repérés par une infirmière ou un médecin pourront consulter plus rapidement en médecine de ville.
Sur le plan des moyens, le projet de budget prévoit le recrutement de 300 infirmières, psychologues et assistantes sociales supplémentaires.
Mme Laurence Muller-Bronn. - Ce sont là des annonces. Mais, depuis un mois, rien de changé à Benfeld ni dans les autres collèges au conseil d'administration desquels je siège. Il y a des psychologues et des médecins, mais ils ne sont pas dans les établissements. Résultat : les enseignants connaissent les élèves en difficulté, mais n'ont personne vers qui les orienter. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains ; M. Jean-Michel Arnaud applaudit également.)
La séance est suspendue à 16 h 25.
Présidence de Mme Sylvie Vermeillet, vice-présidente
La séance reprend à 16 h 30.
Définition pénale du viol et des agressions sexuelles (Conclusions de la CMP)
Mme la présidente. - L'ordre du jour appelle l'examen des conclusions de la commission mixte paritaire (CMP) chargée d'élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi visant à modifier la définition pénale du viol et des agressions sexuelles.
Mme Elsa Schalck, rapporteure pour le Sénat de la CMP . - Ce texte résulte du rapport d'information des députées Riotton et Garin ; il a fait l'objet d'un examen rigoureux du Conseil d'État et d'un travail transpartisan accompli en toute confiance par les deux chambres - ma corapporteure Dominique Vérien peut en témoigner. Le Parlement légifère mieux à la lumière de travaux qui favorisent le consensus, on l'a vu avec la loi Narcotrafic il y a quelques mois.
À l'issue de la première lecture, un seul désaccord demeurait : l'Assemblée nationale tenait à l'expression « circonstances environnantes », pour se conformer à la convention d'Istanbul. Nous préférions « contexte », terme plus clair utilisé par la jurisprudence. Mais nous nous sommes entendus sur le terme de « circonstances », qui permettra au juge de saisir les situations de fait dans leur diversité sans compromettre la sécurité du dispositif. Nous consacrons ainsi la jurisprudence de la Cour de cassation, en évacuant tout équivoque.
Le législateur fait oeuvre utile en affirmant qu'il n'y a pas d'acte sexuel licite s'il n'est consenti. Céder à la menace, à la violence, même psychologique, ou à toute forme de pression, se taire, se laisser faire, ce n'est pas consentir : c'est subir une contrainte provoquée par la peur des coups ou des représailles, la peur de réveiller les enfants si l'on crie. Se résigner lorsqu'un refus, exprimé des dizaines de fois, n'a pas été entendu, ce n'est pas consentir : c'est ne plus avoir la force de lutter. Ne pas réagir, ce n'est pas consentir : c'est trop souvent être dans un état de sidération qui ne permet pas de se défendre.
Ce texte apporte de la clarté pour améliorer le traitement de ces situations par les services d'enquête et les tribunaux.
Mais nos travaux ne sont pas terminés : nous devrons évaluer les effets de la loi, qui n'a de sens que si elle sert l'intérêt général. Nous vérifierons que la loi nouvelle a rendu la répression plus efficace et qu'elle met fin à l'impunité des agresseurs et à la solitude des victimes. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, INDEP, du RDSE, du RDPI, du GEST et du groupe SER)
Mme Marie-Pierre Vedrenne, ministre déléguée auprès du ministre de l'intérieur . - Il y a des combats qui traversent les décennies, des voix qui ne s'éteignent jamais, des femmes dont l'engagement éclaire notre route.
Je rends hommage à Monique Pelletier, décédée le 19 octobre dernier à 99 ans. Avocate, ministre de la condition féminine et membre du Conseil constitutionnel, elle a fait de sa vie un combat pour la justice et pour la dignité. Dans une France encore corsetée par le silence, la honte, l'indifférence, nous lui devons, en 1980, la criminalisation du viol et ce qui est devenu l'article 222-23 du code pénal, portée par un mouvement de femmes déterminées dans le sillage de Gisèle Halimi. C'est en pensant à elles que nous poursuivons ce combat pour nommer, reconnaître, condamner, éradiquer toute forme de violence sexuelle.
Le consentement est au coeur de notre combat contre les violences sexuelles. Ce qui devrait être une évidence est volontairement caricaturé. Pourquoi ? Parce que cela vient heurter des habitudes, des croyances, cela dérange. Dans neuf cas sur dix, la victime connaît son violeur - un mari, un ex-conjoint, un collègue, un ami, quelqu'un à qui l'on fait confiance. « Est-ce vraiment arrivé ? Est-ce ma faute ? Ai-je mal compris ? » se demande la victime. « Pourquoi n'a-t-elle rien dit, pourquoi ne s'est-elle pas débattue ? » se demandent les autres.
Or la peur, la sidération, la honte, les abus d'autorité et de pouvoir sont autant de chaînes invisibles qui paralysent. Le silence, l'absence de lutte et de résistance n'est jamais un consentement. Ne pas dire non, ce n'est pas dire oui. Regarder ailleurs, c'est laisser faire la violence.
Regardons notre société telle qu'elle est, avec ses violences, ses silences, ses réflexes de défense qui protègent le confort plutôt que de faire éclater la vérité. Nous devons ce regard lucide aux victimes. Nous devons nous hisser au niveau du courage de celles qui ont eu la force de parler, de déposer plainte, de revivre l'indicible pour que d'autres n'aient pas à le subir. Il n'y a pas de bonne ou de mauvaise victime. Nous devons penser à celles qui hésitent, qui se taisent en raison de la longueur du chemin qui les attend.
Si nous avons renforcé l'arsenal juridique et gravé le consentement dans la loi, le combat n'est pas terminé. La loi de 2021 a clarifié le travail de la justice : avant 15 ans, un enfant est un enfant. Il ne peut pas consentir. C'est un interdit absolu.
Aujourd'hui, nous pouvons changer de dimension en réaffirmant que consentir, ce n'est pas ne pas dire non ; c'est dire oui, un oui explicite, libre, sans contraintes ni ambiguïtés. Ne caricaturons pas cela en bureaucratie du désir ou en contrat signé. Reconnaissons que le viol n'est ni une fatalité ni un malheureux malentendu, mais un crime qui brise, mutile, anéantit.
Cette avancée traduit l'engagement du Président de la République et le soutien du Gouvernement. Je rends hommage au travail remarquable de vos rapporteures, qui honore notre démocratie.
Oui, le consentement doit être libre, éclairé, spécifique, préalable et révocable. Libre, c'est-à-dire sans contrainte, pression ou peur. Éclairé, car comment consentir quand on est drogué ou ivre ? Spécifique, pour que nul ne puisse détourner le sens du mot consentement. Préalable et révocable, car dire oui ne signifie pas dire oui pour toujours.
Au-delà, nous devons mettre fin à la culture du viol : lorsqu'un non est interprété comme un peut-être, qu'une victime est réduite au silence, qu'on enseigne à se méfier, qu'on estime que la jupe était trop courte, qu'« elle l'a bien cherché ». Il faut refuser la complaisance et le déni et valoriser l'écoute, dire que la honte n'est pas du côté des victimes mais de ceux qui violent ou qui laissent faire.
Certes, ce texte ne change pas tout. Nous continuerons à lutter contre toute forme de violence. Aurore Bergé a réaffirmé son engagement en faveur d'une loi-cadre pour lutter contre les violences sexuelles et les violences intrafamiliales.
Tous les groupes politiques sont autour de la table et le consensus est possible. Réaffirmons, au nom de la République, que le corps des femmes leur appartient. Nul ne peut le posséder, le forcer. Ce qui compte n'est pas ce que croit l'agresseur, mais ce que veut la victime. Ce renversement du regard est déjà une révolution. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, INDEP, du RDSE, du RDPI, du GEST et du groupe SER)
Mme Corinne Bourcier . - (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP) On évalue le nombre de victimes de violences sexuelles à 250 000 par an - c'est sans doute sous-estimé. Si l'arsenal juridique s'est étoffé, nombre de victimes peinent à obtenir justice. Le groupe Les Indépendants votera ce texte qui a recueilli un accord en CMP.
Que la victime n'arrive pas à se débattre, qu'elle porte tel vêtement ou se trouve au mauvais moment au mauvais endroit, rien ne justifie un viol. La reconnaissance du consentement est essentielle pour que les victimes portent plainte. Elles sont trop nombreuses à renoncer, à subir en silence le traumatisme de l'agression subie.
Ce texte est le fruit d'un travail transpartisan et je salue les rapporteures de l'Assemblée nationale et du Sénat. Il apporte une clarification essentielle. Jusqu'ici, l'agresseur pouvait prétendre qu'il ignorait que la victime n'était pas consentante. Non : un violeur sait quand il viole. L'état de choc de la victime ne saurait lui servir d'excuse.
Selon l'Inserm, 24 % des victimes disent avoir renoncé à porter plainte car « cela n'aurait servi à rien » ; 16 %, car elles craignaient de ne pas être prises au sérieux par les forces de l'ordre ; 73 % de plaintes étaient classées sans suite en 2018.
Il faut poursuivre les auteurs, c'est tout le sens de ce projet de loi. Mais ce n'est qu'une partie de la réponse. Des victimes vivent leur vie durant avec les stigmates du viol subi. Au législateur d'agir pour que la société reconnaisse et accompagne mieux les victimes.
Ce texte met fin au mythe de la mauvaise victime. Il s'inscrit dans un mouvement plus large de soutien aux victimes. Le groupe Les Indépendants restera mobilisé en leur faveur. (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP et UC ; M. Bernard Buis applaudit également.)
Mme Marie Mercier . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Je salue les quelques hommes présents. Quelle société voulons-nous pour demain ? Cette question nous intéresse tous, hommes ou femmes.
Hélas, les chiffres des violences sexuelles augmentent constamment. Tant de drames, de larmes, de dégâts psychologiques !
Intégrer le consentement a une portée juridique, mais aussi philosophique et sociale, car cela modifiera les pratiques de la police et de la justice. Le taux de dépôt de plainte est faible ? 2 % à 6 % ; et le taux de condamnation aussi ? 10 % à 15 %. Ce texte, centré sur le comportement des auteurs, a une portée pédagogique. Il rappelle que le consentement doit être placé au centre de l'éducation à la sexualité.
La loi du 3 août 2018 précise que l'acte de pénétration sexuelle visé peut être commis sur la personne de l'auteur : c'est un premier pas. La loi de 2021 protégeant les mineurs des agressions sexuelles étend le viol aux actes bucco-génitaux : c'est un deuxième pas. Dès lors que la différence d'âge entre un majeur et un enfant de moins de 15 ans est de cinq ans, tout acte sexuel est considéré comme un viol : c'est un troisième pas.
Nous faisons ici un quatrième pas, à la suite d'une directive européenne sur les violences faites aux femmes et du procès des viols de Mazan. Les avocats de Gisèle Pélicot, qui recevront ce soir le prix de la délégation aux droits des femmes, nous ont rapporté que certains prévenus déclaraient : « Son mari avait dit oui, je croyais qu'elle était d'accord. » On en est là, en 2025 ! Le consentement s'apprend dès le plus jeune âge, en déconstruisant les idées fausses comme : « si elle ne dit rien, c'est qu'elle veut bien. »
L'Assemblée nationale et le Sénat sont parvenus à un accord. Sans consentement libre, éclairé, spécifique, préalable et révocable, l'acte commis est considéré comme un viol. Le consentement n'est pas simplement absence de refus. La peur, la paralysie ou l'emprise ne sont pas des consentements, ce sont des silences. Consentir, ce n'est pas céder, c'est choisir. « Qui ne dit mot » ne consent pas, il a peur. Consentir c'est dire oui, un vrai oui.
Mon groupe votera ce texte. Il nous faudra encore beaucoup de pas pour une société plus sereine, de confiance et de respect. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains ; UC et INDEP)
M. Bernard Buis . - (M. Vincent Louault applaudit.) Et si derrière l'expression « qui ne dit mot consent », se cachait la suivante : « qui ne dit mot semble consentir » ? Avec ce texte, il s'agit, ni plus ni moins, de défendre la liberté personnelle et le droit au respect de l'intégrité physique et psychique.
Nous aboutissons à une définition rigoureuse du consentement. Celui-ci doit être libre, car sans contrainte ; éclairé, car avec discernement ; spécifique, car qui consent une fois peut ne pas consentir chaque fois, et qui consent pour une chose peut ne pas consentir pour d'autres ; préalable, car cette question se pose avant ; révocable, car il n'est ni définitif ni absolu. Autant de critères précis pour les magistrats.
À Mazan, nombre d'accusés ont adopté cette stratégie de défense : « on pensait qu'elle était consentante ». Demain, ces critères seront appréciés au regard des circonstances ? notion plus adéquate que celle de contexte. Il y aura un avant et un après Mazan.
Nous voterons ce texte avec conviction. Aura-t-il un impact ? Fait-il courir un risque ? Tout le travail mené reflète le sérieux, la rigueur et le caractère transpartisan d'une loi qui n'instaure ni présomption, ni renversement de la charge de la preuve.
Loin d'instaurer une société du soupçon ou de contractualiser les relations sexuelles, ce texte consacre la nécessité de se focaliser sur le consentement, inscrit dans le marbre de la loi pénale. Cela permettra de prendre en compte l'état de sidération qui concerne environ 70 % des victimes de viol, selon le Dr. Muriel Salmona.
Les générations qui nous suivent vivront-elles dans une société du respect ? Avec Mmes Riotton et Garin, présentes en tribune et que je salue, nous y aurons contribué. On nous reproche parfois des lois inutiles ou des lois d'émotion ; ici, c'est un vote décisif qui peut changer les parcours de vie, pour une justice plus humaine. (Applaudissements sur les travées du RDPI et des groupes UC et INDEP ; M. Hussein Bourgi applaudit également.)
Mme Marie-Pierre de La Gontrie . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER ; M. André Guiol applaudit également.) Je ne peux que remarquer l'absence au banc du garde des sceaux et de la ministre déléguée aux droits des femmes - pourtant présente à l'Assemblée nationale. S'agit-il d'un désintérêt pour le sujet ? Pour le Sénat ? Merci, madame la ministre, d'être là. Et merci à Bernard Buis, seul homme à être intervenu sur un sujet qui peine parfois à intéresser ces derniers, pourtant concernés au premier chef.
Ce texte va donc inscrire ce qui devrait être une évidence : sans consentement, il y a viol. C'est un combat ancien, jalonné de grands procès. Celui, à Aix-en-Provence, en 1978, des agresseurs de deux jeunes femmes belges violées près de Marseille. Gisèle Halimi, avocate des parties civiles, les convainquit de refuser le huis clos. Ce fut une première prise de conscience. En 1980, Brigitte Gros, sénatrice de la Gauche démocratique, fit adopter une proposition de loi, en rappelant que le viol est sans doute la seule infraction où la victime est présumée coupable, à tout le moins suspecte.
Puis un deuxième procès vint mettre en lumière ce sujet. Gisèle Pélicot, partie civile, refuse, elle aussi, le silence, le huis clos. La France, effarée, prend conscience de ce qu'on a appelé la culture du viol.
Que de chemin parcouru en 45 ans ! Un changement de cadre juridique, mais aussi de regard. Nous passons d'une culture du viol, où le corps des femmes est considéré comme disponible, à une culture du consentement. Le consentement devient le coeur de la définition du viol. Il devra être libre, éclairé, spécifique, préalable et révocable, et son absence suffira à caractériser l'infraction.
Nous assurons par ce texte la pérennité d'acquis jurisprudentiels. La CEDH a condamné la France, considérant son cadre juridique non conforme à ses obligations. Ce texte prend acte de nos manquements.
Je salue le remarquable travail transpartisan autour de ce texte, dans une séquence politique complexe. Je remercie les rapporteures de l'Assemblée nationale et du Sénat. Il a fallu beaucoup de ténacité, d'obstination, mais nous y sommes. Le Sénat, fidèle à sa mission, a amélioré quelques rédactions.
Soyons lucides : cette loi ne résoudra pas tout. Il faut des moyens. Chaque année, en France, on dénombre 230 000 viols et tentatives de viol, pour moins de 8 000 condamnations ; 90 % des victimes ne déposent pas plainte ; 80 % des plaintes formulées font l'objet d'un non-lieu ou d'un classement sans suite. Nous devons aider les associations d'aide aux victimes et les associations féministes, que je salue.
Ce texte ne réparera pas toutes les injustices mais met fin à une hypocrisie. Il dit que le corps n'est jamais à disposition, que le consentement n'est jamais implicite, que la parole des femmes mérite toujours d'être crue. En l'adoptant, nous rendrons hommage à Gisèle Pélicot, Anne Tonglet et Aracelli Castellano, à toutes celles qui ont refusé le silence et à celles qui ont dû s'y résoudre. Le groupe socialiste le votera. (Applaudissements)
Mme Silvana Silvani . - Chaque année, en France, 230 000 femmes sont victimes de viol, de tentatives de viol ou d'agressions sexuelles. Seules 6 % des victimes portent plainte et moins de 1 % des violeurs sont condamnés. Nous ne pouvons plus détourner le regard de ce fléau.
Si les grandes affaires de Bobigny et d'Aix ont fait bouger les lignes, la France, pays des droits de l'homme, n'est pas encore celui des droits des femmes.
Nous partageons le combat contre la culture du viol et pour la libération de la parole des victimes, et saluons l'intention de ce texte.
Mais nos interrogations demeurent. Modifier la définition pénale du viol pour y insérer le consentement a des conséquences complexes. Les juges savent déjà manier cette notion avec souplesse pour reconnaître la sidération ou l'emprise, certaines affaires récentes l'ont prouvé. Le centre du procès ne risque-t-il pas d'être déplacé non plus sur les actes de l'agresseur mais sur le comportement de la victime ? Combien de fois a-t-on entendu, dans un commissariat ou une salle d'audience : « elle n'avait pas dit non », « il ne savait pas qu'elle n'était pas consentante » ? Dans l'affaire de Mazan, certains ont même osé parler de « viol involontaire » dès lors que Gisèle Pélicot, droguée, n'avait pas dit non !
Le procès d'un violeur ne doit pas devenir celui de la victime. Or c'est à la plaignante de démontrer qu'elle n'a pas consenti ! On culpabilise les victimes au lieu de protéger leur dignité.
Nous devons faire bien plus pour lutter contre les violences sexistes. La culture du viol prend ses racines dans notre société patriarcale. D'où l'urgence d'adopter enfin la loi-cadre intégrale contre les violences sexuelles réclamée par les associations féministes. C'est le manque criant de moyens et de volonté politique qui permet à 99 % des violeurs de ne jamais être condamnés. Il manque chaque année 2,6 milliards d'euros pour lutter contre les violences sexistes et sexuelles, dont 332 millions pour les violences sexuelles.
Protéger nos filles, nos femmes ne devrait pas avoir de prix. Il faut une véritable politique continue et coordonnée, pilotée au plus haut niveau, impliquant tous les ministères concernés ; il faut une vraie politique de prévention dans tous les milieux, une formation obligatoire des professionnels, des structures d'accueil spécialisées, des juridictions dédiées, une prise en charge pour toutes les victimes. Nous partageons les intentions du texte mais regrettons ses effets de bord ainsi que l'absence d'étude d'impact et surtout de moyens. C'est toute notre stratégie contre les violences faites aux femmes qu'il faut repenser. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K ; MM. Hussein Bourgi, Akli Mellouli et Marc Laménie applaudissent également.)
Mme Mélanie Vogel . - (Applaudissements sur les travées du GEST et sur plusieurs travées du groupe SER) Je salue la présence en tribune de Mmes Garin et Riotton, ainsi que toutes les personnes qui nous ont accompagnées sur ce long chemin.
Le vote de ce jour est une grande victoire féministe. Jusqu'ici, le fait de ne pas consentir à un acte sexuel ne suffisait pas à qualifier cet acte d'agression sexuelle ou un viol. Il fallait faire la démonstration de la violence, de la menace, de la contrainte ou de la surprise - ce qui est souvent impossible, surtout quand la victime n'a rien dit, rien fait, sinon sauver sa vie en sortant un temps de son corps violé.
Les classements sans suite nourrissent l'impunité, l'impunité nourrit les viols suivants, quotidiens, banals, normalisés. On nous a dit que le consentement était implicite dans le code pénal. Si tel était le cas, nous n'aurions pas passé deux ans à nous battre pour le rendre explicite !
Plus grave encore : tout ce qui dans la société normalise, justifie, encourage le viol. Notre code pénal en faisait partie. En droit, il y avait une présomption de disponibilité du corps des femmes, une forme de présomption de consentement. La société disait aux femmes que, jusqu'à preuve du contraire, leur corps était disponible.
Écrire que l'absence de consentement suffit à définir le viol ne devrait pas être nécessaire. Le consentement ne figure pas dans la définition pénale du vol : le policier, le juge, suppose qu'évidemment, si vous n'avez pas donné votre sac, c'est que vous ne vouliez pas que le voleur vous le prenne ! Cela va sans dire. Pour nos corps, cela ira mieux en le disant.
Le Parlement doit dire ce que la société ne dit pas, ou pas assez : si une femme ne dit pas oui, c'est non ; si elle dit oui parce qu'elle a peur ou pour avoir la paix, c'est non. Le seul oui qui vaille est un oui libre.
Nous vivons depuis des siècles dans la culture du viol ; construisons dès ce soir la culture du consentement. Pour que nos filles, nos nièces n'aient pas à vivre ce que nous avons vécu ; non pour qu'il y ait plus de violeurs en prison, mais qu'il y ait moins de violeurs dans nos vies.
Tout ne changera pas demain. Mais la mobilisation autour du terme « consentement » trouve ici un débouché politique qui pourra devenir un changement social. Alors que les droits des femmes régressent, cette victoire peut surprendre. En deux ans, les féministes en France ont réussi à inscrire l'IVG dans la Constitution et le consentement dans le code pénal. Même quand le pays est au bord du gouffre, il y a des parlementaires féministes, des associations féministes, des militantes capables de se mobiliser et de gagner. Grâce à vous toutes, nous allons faire un pas sur le chemin d'une société moins violente et plus égalitaire. Demain, nous célébrerons d'autres victoires. (Applaudissements sur les travées du GEST, du groupe SER et du RDPI ; Mmes Michelle Gréaume et Olivia Richard applaudissent également.)
Mme Véronique Guillotin . - (Applaudissements sur les travées du RDSE) « Le viol, c'est forcer quelqu'un, l'attacher. On est des violeurs dans les faits mais pas dans l'âme », ont dit les violeurs de Mazan, tentant de diluer les responsabilités. « À quel moment vous ai-je donné mon consentement ? » leur a répondu Gisèle Pélicot.
Chargée avec Sandrine Josso d'un rapport sur la soumission chimique, j'ai mesuré l'indicible réalité des agressions sexuelles. Cette loi participe à rendre visible ce que la société préfère cacher, à combattre ce déni millénaire, à mettre fin à l'impunité.
Notre société questionne les silences du droit face aux violences sexuelles. Le long silence juridique sur l'inceste - nommé en 2010, reconnu comme infraction autonome en 2021 - en dit long sur le retard du droit face à la réalité vécue. Le droit est instrument de sanction mais aussi langage collectif. Ne pas nommer, c'est ne pas reconnaître. Reconnaître, c'est un premier pas vers la réparation.
Ce texte ne crée pas une nouvelle incrimination mais affirme une évidence : un acte sexuel n'est licite qu'à condition d'un consentement libre, éclairé, spécifique, préalable et révocable.
Certes, la jurisprudence permettait déjà de sanctionner la majorité des situations visées, mais il fallait dire ce que la société attend : que le consentement ne se présume pas, ne se déduit pas du silence.
Notre délégation aux droits des femmes remettra tout à l'heure un prix aux avocats de Gisèle Pélicot. Leur travail a été déterminant, alors que le consentement était sans cesse remis en question par la défense.
Ce texte constitue une étape majeure pour un droit plus lisible, en phase avec les réalités des victimes et des professionnels de la justice. En retenant le terme « circonstances » pour définir le cadre d'appréciation, les rapporteurs ont conservé une souplesse interprétative.
Pour autant, un texte ne réglera pas tout. Aussi cette réforme mérite de s'inscrire dans un panorama plus large. Nous attendons avec impatience une loi-cadre sur les violences sexistes et sexuelles, assortie de moyens. (Mme Marie-Pierre Vedrenne le confirme.)
Ce texte mérite d'être voté et salué. Notre groupe l'approuvera. (Applaudissements sur les travées du RDSE et sur plusieurs travées des groupes UC, Les Républicains et SER)
Mme Dominique Vérien . - (Applaudissements sur les travées des groupes UC et INDEP ; M. Hussein Bourgi applaudit également.) Quand vos enfants sortent le soir, donnez-vous les mêmes conseils à vos garçons qu'à vos filles ? Mesdames, qui d'entre vous n'a pas déjà changé de trottoir ou mis sa clé dans la main, arme dérisoire, quand vous vous trouvez seule dans la rue la nuit ?
Quel est ce monde où les femmes doivent adopter des stratégies pour éviter un regard, une remarque, un geste, une pression, un harcèlement, un viol ? Pour celles qui ont subi un viol, combien n'ont pu réagir, tétanisées par la peur ? Comment justifier ce silence ? Non, qui ne dit mot ne consent pas.
Il est des lois qui réparent, qui redonnent du sens. Je salue Mmes Riotton et Garin pour leur travail et leur ténacité. Depuis trop longtemps, la définition pénale du viol reposait sur la contrainte, la menace, la surprise ou la violence. En théorie, c'était une protection ; en pratique, une injustice. La justice s'intéressait non au comportement de l'agresseur mais à celui de la victime. Avait-elle bu ? Quelle tenue portait-elle ? S'était-elle débattue ? Pourquoi n'avait-elle pas résisté ? Double peine, donc, pour la victime : subir la violence, et devoir se justifier.
Avec ce texte, nous changeons de regard. Puisqu'il faut qu'il y ait eu consentement, la justice s'intéressera à l'auteur. Qu'est-ce qui a pu laisser penser qu'il y a eu consentement ? Immobilité, peur, sidération ne valent pas consentement. Une relation sexuelle n'a de sens que si elle est partagée. Le corps de l'autre ne peut être pris, ni supposé offert. Sinon, ce n'est plus une relation, mais un viol.
Encore fallait-il donner à cette reconnaissance un cadre clair. C'est tout l'enjeu du travail que nous avons mené, conciliant précision juridique et portée symbolique.
Cette loi nous oblige. Au-delà du droit, il y a l'éducation, la prévention, la parole. Il faut oser parler du consentement, du respect du corps, dans les familles, les écoles, les entreprises. Rappeler qu'aimer, séduire, désirer, ce n'est jamais imposer.
Je salue tous ceux qui oeuvrent pour accueillir la parole des victimes avec respect et faire progresser la société. Le Parlement est à vos côtés pour plus de justice. Je pense à celles et ceux qui n'ont pas pu parler et ressentent encore peur, honte et doute. Cette loi leur est destinée. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, INDEP et SER)
Mme Muriel Jourda, présidente de la commission des lois . - Plusieurs d'entre vous ont évoqué l'évolution de la prise en compte des violences sexuelles dans notre société. Pendant longtemps, le silence s'est imposé sur ce qui se passait dans les alcôves ; il règne encore sur l'inceste. Ce silence est de moins en moins présent, les victimes s'expriment de plus en plus et sont de plus en plus écoutées.
L'évolution porte aussi sur la notion de consentement. « Qui ne dit mot, consent », a longtemps pensé le bon sens populaire. Aujourd'hui, on connaît la notion de sidération, qui rend la victime incapable d'exprimer un oui ou un non. Cela éclaire cette situation si douloureuse de l'agression sexuelle.
Pour autant, je ne crois pas qu'il y ait en France une « culture du viol ». (Mme Mélanie Vogel lève les yeux au ciel.)
Mme Laurence Rossignol. - C'est un écosystème !
Mme Muriel Jourda, présidente de la commission. - La culture, c'est ce que l'on transmet. On ne transmet pas le viol à nos fils. La culture, c'est aussi ce qui transparaît dans nos règles de droit. Or nous votons des textes qui pénalisent toujours plus lourdement le viol et l'agression sexuelle. Le présent texte s'inscrit dans cette évolution.
Chacun sait, intuitivement, que lorsqu'il y a une agression sexuelle, il y a absence de consentement. La difficulté est d'utiliser cette notion du point de vue probatoire, sans que la charge ne repose sur la victime. Elle a été résolue par la rédaction retenue par les rapporteurs, inspirée par le Conseil d'État. J'espère que nous serons unanimes pour voter ce texte. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, INDEP, du RDSE et du RDPI ; Mme Gisèle Jourda applaudit également.)
Mme la présidente. - En application de l'article 42, alinéa 12, du règlement, le Sénat statue par un seul vote sur l'ensemble du texte.
À la demande du groupe UC, la proposition de loi est mise aux voix par scrutin public.
Mme la présidente. - Voici le résultat du scrutin n°9 :
| Nombre de votants | 342 | 
| Nombre de suffrages exprimés | 327 | 
| Pour l'adoption | 327 | 
| Contre | 0 | 
La proposition de loi est adoptée définitivement.
M. Loïc Hervé. - Bravo ! (Applaudissements sur les travées des groupes SER, UC, INDEP, du GEST, du RDPI et du RDSE, ainsi que sur plusieurs travées du groupe Les Républicains)
La séance est suspendue quelques instants.
Mise au point au sujet d'un vote
Mme Catherine Di Folco. - Lors du scrutin public n°8, Mmes Annick Petrus et Viviane Malet souhaitaient voter pour.
Acte en est donné.
Conventions internationales (Procédure simplifiée)
Mme la présidente. - L'ordre du jour appelle l'examen de deux projets de loi tendant à autoriser la ratification ou l'approbation de conventions internationales.
Pour ces deux projets de loi, la Conférence des Présidents a retenu la procédure d'examen simplifié. Je vais donc les mettre successivement aux voix. La commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées est favorable à l'adoption de ces textes.
Le projet de loi autorisant l'approbation de l'accord sous forme d'échange de notes verbales entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de Moldavie relatif à l'échange de permis de conduire, après engagement de la procédure accélérée, est adopté.
Le projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, autorisant l'approbation de l'accord de coopération dans le domaine de la défense entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de Macédoine du Nord, est adopté.
Accords France - Finlande et France - Suède (Procédure accélérée)
Mme la présidente. - L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi autorisant l'approbation de la convention entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de Finlande pour l'élimination de la double imposition en matière d'impôts sur le revenu et la prévention de l'évasion et de la fraude fiscales, et l'approbation de l'avenant à la convention entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Royaume de Suède en vue d'éviter les doubles impositions et de prévenir l'évasion fiscale en matière d'impôts sur le revenu et sur la fortune.
Discussion générale
Mme Eléonore Caroit, ministre déléguée chargée de la francophonie, des partenariats internationaux et des Français de l'étranger . - Au sein de l'OCDE, la France joue un rôle moteur dans l'élaboration des normes internationales en matière de lutte contre l'évasion et la fraude fiscales. Cela s'est traduit par l'adoption de la convention pour prévenir l'érosion de la base d'imposition et le transfert de bénéfices, dite BEPS, du 7 juin 2017.
La Finlande et la Suède ont elles aussi ratifié cet instrument, ce qui suppose l'application des standards internationaux en droit interne.
Nous sommes liés à la Finlande par une convention fiscale signée le 11 septembre 1970, jamais modifiée depuis. La France et la Finlande se sont entendues en 2019 pour mettre à jour leur cadre bilatéral au regard des derniers standards internationaux de l'OCDE.
Nos deux États ont ainsi signé une nouvelle convention fiscale le 4 avril 2023. Celle-ci met à jour les méthodes d'élimination de la double imposition et les règles d'imposition des revenus passifs.
S'agissant des dividendes, la convention en vigueur prévoit une exonération générale de retenue à la source sur ces revenus, ce qui favorise les montages abusifs de type CumCum. La nouvelle convention inscrit une règle d'imposition partagée qui met fin à toute opportunité d'optimisation et d'abus. Les dividendes versés à un bénéficiaire détenant moins de 5 % du capital de la société distributrice seront soumis à une retenue à la source plafonnée à 15 %, et exonérés lorsque le bénéficiaire détient plus de 5 % du capital pendant une durée supérieure à 365 jours.
À la demande de la Finlande, le régime d'imposition des retraites privées fera l'objet d'une imposition partagée entre les deux États, au lieu d'une imposition exclusive dans l'État de résidence. En contrepartie, l'élimination de la double imposition est régie par un mécanisme de crédit d'impôt inversé, à la charge de l'État source de la pension. Ce mécanisme innovant, déjà prévu dans la convention fiscale avec le Danemark signée le 4 février 2022, bénéficiera largement à la France : le nombre de retraités finlandais résidant en France est bien plus important que le nombre de retraités français en Finlande : 700 contre 46.
Cet accord intègre les derniers standards internationaux de lutte contre la fraude et l'évasion fiscales.
Enfin, la nouvelle convention favorise la multiplication des investissements et les échanges commerciaux. Les entreprises finlandaises en France emploient 8 500 personnes, les entreprises françaises en Finlande en emploient 13 000. Les relations entre nos deux pays se densifient. En témoigne la lettre d'intention signée le 20 octobre dernier sur une coopération dans le domaine du nucléaire.
Ce projet de loi approuve également l'avenant du 27 mai 2023 à la convention fiscale avec la Suède du 27 novembre 1990, dans le cadre du mouvement de modernisation de nos conventions bilatérales. Le nouvel accord transpose les standards BEPS, notamment en matière de règlement amiable des différends fiscaux. L'application sous forme d'avenant répond à une demande spécifique de la Suède.
Ces accords renforceront les liens avec nos partenaires. Ils s'inscrivent dans le cadre dynamique de nos relations bilatérales, encadrées par un partenariat stratégique en matière d'innovation pour des sociétés durables, numériques et résilientes, signé en 2017 et renouvelé en 2024 lors de la visite d'État en Suède du Président de la République. (M. Marc Laménie applaudit.)
Mme Vanina Paoli-Gagin, rapporteur de la commission des finances . - La commission des finances a adopté ce projet de loi prévoyant l'entrée en vigueur de deux accords internationaux en matière fiscale : la convention bilatérale franco-finlandaise du 4 avril 2023 et l'avenant du 22 mai 2022 à la convention franco-suédoise du 27 novembre 1990.
Comme souvent, la France est en retard pour approuver ces accords : la Suède l'a fait en décembre 2023, la Finlande en juillet 2024.
En l'état du droit, les relations fiscales entre la France et la Finlande sont régies par une convention bilatérale du 11 septembre 1970. Celle-ci, qui n'a fait l'objet d'aucun avenant, n'est plus compatible avec les derniers standards de l'OCDE. L'absence de retenue à la source sur les dividendes posait en outre problème.
La nouvelle convention s'appuie sur le modèle de convention fiscale de l'OCDE, mis à jour en 2017, complété par l'instrument multilatéral issu du plan d'action pour lutter contre l'évitement fiscal, la convention BEPS.
Elle prévoit une définition modernisée de l'établissement stable, et intègre les clauses anti-abus et de coopération fiscale les plus récentes. Elle précise le partage des droits d'imposition entre les deux États, notamment sur les revenus passifs, et modernise les mécanismes d'élimination des doubles impositions. La France a opté pour un crédit d'impôt imputable sur l'impôt français.
La principale revendication finlandaise était de prévoir un partage d'imposition sur les pensions privées. La solution retenue repose sur un mécanisme atypique de crédit d'impôt inversé, sur le modèle de la convention franco-danoise, ce qui préserve les intérêts du Trésor français. Les retraités finlandais installés en France resteront assujettis à l'impôt français mais seront aussi imposables en Finlande à hauteur de la différence avec l'impôt qu'ils auraient payé en Finlande sur ces revenus.
Côté français, l'objectif était d'introduire une imposition des dividendes. La convention de 1970 prévoyait un taux nul de retenue à la source, ouvrant la voie à des montages CumCum externes. La nouvelle convention introduit une retenue à la source plafonnée à 15 % pour les dividendes distribués aux personnes détenant moins de 5 % du capital de la société distributrice ; elle conserve une exonération pour les bénéficiaires détenant plus de 5 % du capital de la société distributrice pendant une durée supérieure à 365 jours.
Notre commission s'est assurée de la compatibilité de ces dispositions avec la retenue à la source préventive anti-CumCum externes, introduite par le Sénat dans la loi de finances pour 2025. Le bulletin officiel des finances publiques (Bofip) du 17 avril 2025 précise bien que le régime ne s'applique pas aux dividendes versés dans le cadre du régime mère-fille.
L'avenant à la convention franco-suédoise est plus limité. Pour intégrer l'apport de l'instrument multilatéral, les États peuvent procéder soit par une notification, ce qui a pour effet de modifier automatiquement la convention en vigueur, soit par avenant - ce qu'a choisi la Suède.
Les deux accords trouvés nous paraissent équilibrés : la commission des finances a émis un avis favorable à l'adoption de ce projet de loi sans modification. (MM. Marc Laménie et Vincent Capo-Canellas applaudissent.)
Mme Évelyne Renaud-Garabedian . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; Mme Sophie Briante Guillemont et M. Stéphane Fouassin applaudissent également.) Des retraités, vivant de leur seule pension, confrontés à des pénalités considérables en Italie. Des enseignants détachés face à un redressement rétroactif en Grèce. Maison perdue, économies envolées, rêves effondrés. Tout cela non pas à cause d'une fraude ou d'une dissimulation, mais d'une convention fiscale ambiguë !
Quand nous parlons de conventions fiscales, nous parlons de la vie quotidienne de milliers de nos compatriotes. Le projet de loi qui nous est soumis remplit une fonction protectrice : clarifier, prévenir, sécuriser.
Première clause de la convention franco-finlandaise : le partage entre l'État source et l'État de résidence de l'imposition des pensions privées, habituellement imposées dans l'État de résidence. C'est une importante concession à la Finlande, en notre défaveur, car 700 retraités finlandais vivent en France, contre 46 retraités français vivant en Finlande. Cette clause a le mérite d'éviter toute surprise à nos compatriotes - comme on l'a vu en Italie. Gare toutefois à ne pas étendre ce dispositif outre mesure, ce qui induirait une perte fiscale.
Deuxième clause : l'instauration d'une retenue à la source sur les dividendes. Le Sénat se réjouit que les recommandations de son rapport de 2022 soient suivies d'effets. Madame la ministre, les conventions qui ne prévoient pas encore une telle retenue à la source seront-elles renégociées ?
Lors du PLF 2025, le Sénat avait voté une retenue à la source préventive, dite anti-CumCum. Mais il semblerait que cette nouvelle disposition n'ait pas été publiée au Bofip...
L'avenant à la convention franco-suédoise renforce les règlements amiables et introduit une clause anti-abus, notamment.
Ces textes modernisent nos cadres bilatéraux, évitent la double imposition et fixent surtout des interprétations communes afin d'éviter qu'on ne découvre ultérieurement un angle mort pour les contribuables - même si la signature d'une convention ne met pas fin au risque.
Madame la ministre, en tant qu'ancienne députée des Français de l'étranger, vous connaissez bien les situations que je vais évoquer. (Mme Eléonore Caroit apprécie.) L'Italie a montré qu'une volte-face interprétative peut engendrer rétroactivement des dettes fiscales et des pénalités massives. J'interpelle le Gouvernement depuis 2020. Alors que des accords partiels auraient été conclus, que peuvent espérer nos compatriotes établis en Italie ?
La France et la Thaïlande sont liées par une convention fiscale depuis 1974. Début 2024, la Thaïlande a décidé d'imposer tous les revenus de source étrangère des résidents passant plus de 180 jours dans le pays. La France n'obtient pas la confirmation que cette nouvelle imposition ne concerne pas les revenus déjà imposés en France. Il est impératif de ne pas laisser le scénario italien se reproduire.
Les conventions fiscales sont un instrument de coopération autant que de protection. Nous avons un devoir de vigilance. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; Mme Sophie Briante Guillemont applaudit également.)
M. Stéphane Fouassin . - Ce texte d'apparence technique a tout d'un instrument politique essentiel. Son ambition est de rendre notre fiscalité internationale plus juste, plus lisible, plus efficace et plus moderne.
La convention franco-finlandaise de 2023, qui remplace celle de 1970, est alignée sur les standards de l'OCDE. Elle modernise les définitions, renforce les échanges d'informations et prévoit des clauses anti-abus. Il s'agit d'éviter la double imposition, sans créer de double exonération.
L'avenant à la convention franco-suédoise de 1990 contient quant à lui trois évolutions essentielles : un préambule anti-évasion, une amélioration des procédures amiables et une clause anti-abus.
Ces deux textes s'inscrivent dans le mouvement de coopération fiscale internationale que la France promeut activement, au niveau européen et dans le cadre du G20.
Pour les entreprises françaises présentes en Finlande ou en Suède, c'est une bonne nouvelle. Pour l'État, c'est un outil de protection de la base imposable. Pour les citoyens, c'est la preuve que la mondialisation n'est pas synonyme d'impunité fiscale.
Ces accords raffermissent en outre nos liens économiques et politiques avec deux partenaires nordiques exemplaires en matière de transparence et de gouvernance. Quand le froid du Nord souffle un vent de clarté fiscale, cela ne peut que réchauffer nos relations diplomatiques.
Le RDPI votera ce projet de loi.
Mme Florence Blatrix Contat . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Ce type de texte, classique mais nécessaire, modernise les conventions fiscales de la France en les alignant sur les standards internationaux. Depuis 2018, la France a signé plus d'une dizaine d'accords de ce type.
La convention avec la Finlande de 1970 était l'une des plus anciennes encore en vigueur et comportait des lacunes - les dividendes versés à des non-résidents étaient notamment exonérés de toute retenue à la source. La nouvelle convention de 2023 met à jour le cadre fiscal bilatéral, en l'alignant sur celui de l'OCDE de 2017. L'État source pourra appliquer une retenue à la source sur les dividendes, plafonnée à 15 %. La convention met ainsi fin à l'anomalie qui faisait de la Finlande le seul État européen avec lequel la France appliquait un taux nul.
Nouveauté concernant les pensions de retraite privées, la Finlande bénéficiera d'un droit d'imposition résiduel, compensé par un crédit d'impôt inversé. Ce mécanisme, dont bénéficie déjà le Danemark, garantit l'absence de double imposition. L'assiette fiscale correspondant aux 700 retraités finlandais installés en France est d'environ 10 millions d'euros. On ne recense que 46 retraités français en Finlande, mais ce chiffre pourrait être cinq fois plus élevé, car tous ne s'inscrivent pas sur les registres consulaires.
Ayant choisi de ne pas signer la convention BEPS, la Suède actualise ses conventions une à une ; c'est regrettable, car cela fragmente l'architecture fiscale mondiale, alors que la lutte contre l'évasion exige unité et coordination.
Cet avenant intègre les apports essentiels de l'instrument multilatéral : un préambule sur l'évasion fiscale, une réforme de la procédure des différends et une clause anti-abus.
Le groupe SER votera ce projet de loi.
La fréquence de ces textes témoigne de la fragilité du cadre fiscal de l'OCDE. Début 2025, les États-Unis se sont retirés de l'accord, exemptant les entreprises américaines de la taxe de 15 %, preuve de l'incapacité de l'OCDE à imposer un cadre réellement contraignant et de la faiblesse des pays européens face aux pressions de Washington. Des milliards de recettes fiscales échappent à la France, à l'heure où nous nous apprêtons à imposer des restrictions aux classes moyennes et populaires. La coopération internationale ne peut plus dépendre d'accords à géométrie variable. Il faut sans doute refondre le cadre multilatéral à l'échelle des Nations unies. (Applaudissements sur les travées du groupe SER)
M. Pierre Barros . - (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K ; Mme Gisèle Jourda applaudit également.) Parler de fiscalité internationale, c'est comme monter un meuble Ikea : on a les notices de l'OCDE, les pièces sont bien numérotées - établissement stable, clause anti-abus, procédure amiable -, mais quand on passe au montage, l'ensemble vacille sous le poids des stratégies d'optimisation... Un meuble fiscal bien monté reste stable quand la richesse s'y installe.
La méthode BEPS, c'est le simple respect du minimum standard. Imaginez un groupe qui conçoit à Helsinki, dépose sa marque à Stockholm, centralise sa trésorerie à Amsterdam, fabrique à Lille et vend à Lyon. Chaque filiale se facture des services, comme s'il s'agissait d'entreprises indépendantes. C'est le principe de pleine concurrence, pierre angulaire du BEPS. Mais dans la réalité, ce marché n'existe pas. Résultat : la marge se déplace vers la filiale la moins imposée. Nous laissons un espace d'optimisation parfaitement légal.
La France devrait systématiser la méthode du partage des bénéfices, qui vise à répartir le profit global du groupe entre les pays concernés, selon des critères objectifs : effectifs, actifs, chiffre d'affaires. C'est plus réaliste et plus équitable.
Le Principal Purpose Test permet de refuser un avantage si l'intention principale est d'obtenir un gain d'impôt - mais il ne dit rien des groupes intégrés dont les flux s'orientent « naturellement » vers les pays aux taux d'imposition les plus avantageux.
Deuxième fragilité : la nouvelle convention prévoit une exonération totale de retenue à la source des dividendes dès 5 % de participation sur un an. Cela réduit certes les montages CumCum et CumEx, mais le seuil reste bas et n'évite pas la constitution de holdings visant l'optimisation.
Aujourd'hui, les taux français et finlandais sont comparables, avec un taux de prélèvement unique de 30 %. Mais si la France décidait, légitimement, de rehausser la fiscalité du capital, les flux intergroupes deviendront plus avantageux qu'une distribution de dividendes.
Pour que le meuble tienne, il faut resserrer les boulons : ajouter au test d'intention un test de substance ; systématiser la méthode du partage des bénéfices ; relever les planchers de retenue à la source ; adosser toutes nos conventions au pilier 2 du BEPS pour exercer notre droit de rappel fiscal quand le taux effectif d'imposition n'atteint pas 15 %. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K ; Mme Gisèle Jourda applaudit également.)
Mme Ghislaine Senée . - (M. Pascal Savoldelli applaudit.) Ce texte technique pose des questions profondément politiques : justice fiscale, équité entre États.
En un demi-siècle, les flux financiers se sont mondialisés et l'ingénierie fiscale est devenue un sport planétaire pour les grandes entreprises et les détenteurs de capitaux.
Le GEST votera ce texte.
L'accord avec la Finlande instaure une retenue à la source de 15 %, mettant fin à une anomalie fiscale. Les montants en jeu sont considérables : au moins 140 milliards d'euros ont échappé aux administrations fiscales européennes depuis le début des années 2000. Neuf pays appliquent encore un taux d'imposition nul sur les dividendes. Chaque euro de dividende non imposé, c'est moins d'argent public pour les services publics, la transition écologique et la solidarité nationale.
Deux réserves cependant. Les conventions fiscales ne sont jamais neutres : elles peuvent parfois reproduire des déséquilibres qu'elles prétendent corriger. Comme le disait Gabriel Zucman, dès qu'on crée un régime d'exception, des stratégies d'optimisation apparaissent. Espérons que ces textes ferment enfin la porte aux pratiques de CumCum qui ont coûté des milliards d'euros aux finances publiques européennes.
Deuxième réserve : l'exclusion, dans la convention avec la Finlande, de toute disposition relative à la taxation des grandes fortunes. C'est un recul symbolique, car la contribution des plus aisés est au coeur du pacte fiscal. Si chacun ne contribue pas à la hauteur de ses moyens, le consentement à l'impôt s'érode, et notre modèle social avec. À l'heure où les inégalités atteignent des records et où les multinationales déplacent artificiellement leurs bénéfices vers les paradis fiscaux, c'est un bien mauvais signal. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K)
Mme Sophie Briante Guillemont . - On le voit, la fiscalité internationale est un enchevêtrement de règles complexes.
Ce texte technique, aux enjeux bien concrets, témoigne de notre conception de la souveraineté fiscale à l'heure de la mondialisation.
L'actualisation de nos conventions avec la Suède et la Finlande était nécessaire pour harmoniser notre cadre avec celui de l'OCDE. Il s'agit de coopérer davantage, de prévenir les doubles impositions, de lutter contre la fraude et d'empêcher la délocalisation artificielle des bénéfices.
La lisibilité fiscale est essentielle pour les Français et les chefs d'entreprise établis hors de France. Trop souvent, les règles complexes, voire contradictoires, nourrissent un sentiment d'éloignement. Ce texte restaure la confiance, mais veillons à son application.
Dernièrement, l'Assemblée nationale a failli adopter un amendement du président de sa commission des finances instaurant un impôt universel, qui aurait été dû non pas parce qu'une personne aurait des revenus de source française, mais simplement parce qu'elle serait de nationalité française. Présenté comme outil de lutte contre l'exil fiscal, c'est un exemple de la caricature que subissent les Français de l'étranger, perçus comme des exilés fiscaux. On ne choisit pas un pays pour sa fiscalité, mais plutôt pour un conjoint, une culture, une expérience professionnelle. Cet amendement, massivement soutenu par LFI et le RN, n'a été rejeté qu'à une voix près.
Ne tombons pas dans les mauvais clichés ! Ces accords rendent le cadre fiscal plus lisible pour les Français de l'étranger : c'est une sécurité juridique indispensable. Le RDSE votera ce texte.
M. Vincent Capo-Canellas . - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Deux accords pour une même ambition : une fiscalité internationale plus juste, plus moderne et plus coopérative.
Ma famille politique a toujours défendu cette idée simple : une Europe forte, c'est une Europe qui protège, y compris contre l'injustice fiscale.
En un demi-siècle, les pratiques ont évolué, les montages fiscaux se sont complexifiés. Il était temps d'actualiser notre cadre juridique, pour le mettre en cohérence avec les derniers standards de l'OCDE.
Le nouvel accord franco-finlandais évite la double imposition sans tomber dans la non-imposition, encadre les prix de transfert, introduit des clauses anti-abus robustes et évite la pratique des fameux CumCum, contre lesquels nous avons lutté avec Nathalie Goulet.
L'avenant avec la Suède élargit les procédures amiables et introduit une clause générale anti-abus. La lutte contre la fraude et l'évasion fiscales est un objectif explicite inscrit noir sur blanc. La loyauté fiscale est une composante de la loyauté européenne.
La fiscalité n'est plus un sujet strictement national. Alors que les flux circulent instantanément, seule une coopération internationale solide peut assurer une équité fiscale.
Ces conventions instaurent un climat de confiance réciproque entre administrations et donnent de la prévisibilité à nos entreprises.
Le groupe UC votera ce projet de loi parce qu'il modernise, protège et renforce la coopération entre les démocraties fiscales européennes. Nous saluons le travail du Gouvernement, qui a permis d'aboutir à ces deux textes. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains ; M. Marc Laménie applaudit également.)
M. Marc Laménie . - (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP) Je remercie Vanina Paoli-Gagin pour son travail de qualité.
Ce projet de loi permet l'entrée en vigueur de deux conventions fiscales, en application de l'article 53 de la Constitution, qui prévoit l'accord du Parlement. Merci, madame la ministre, de nous avoir présenté quelques chiffres.
Je voyage très peu, mais je me suis rendu en Finlande, en 1981 : j'avais pris un train entre Helsinki et Rovaniemi. (Sourires)
La nouvelle convention fiscale entre la France et la Finlande met à jour la convention signée en 1970. Cet accord, qui intègre les derniers standards de l'OCDE, comprend la définition de l'établissement stable, mais également des clauses anti-abus et de coopération fiscale. Il redéfinit le partage des droits d'imposition entre la France et la Finlande.
La nouvelle convention répond à une demande de la Finlande concernant le partage d'imposition des pensions privées, principal point d'achoppement lors des négociations. Elle répond aussi à la volonté de la France d'introduire une imposition sur les dividendes, en vue de prévenir les arbitrages sur dividendes. Les concessions furent réciproques, je m'en réjouis.
L'avenant franco-suédois du 22 mai 2023 découle du choix de la Suède de modifier ses relations fiscales bilatérales au moyen d'avenants. Il inclut les apports de l'instrument multilatéral de l'OCDE.
La convention fiscale bilatérale franco-finlandaise et l'avenant franco-suédois sont équilibrés et ne soulèvent aucune difficulté. Le groupe Les Indépendants votera ce texte à l'unanimité. (Mme Sophie Briante Guillemont applaudit.)
Les articles 1er et 2 sont adoptés.
Le projet de loi est adopté.
Renforcer la lutte contre la fraude bancaire
Mme la présidente. - L'ordre du jour appelle les explications de vote et le vote sur la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, visant à renforcer la lutte contre la fraude bancaire. Ce texte est examiné selon la procédure de législation en commission prévue au chapitre 14 bis du règlement du Sénat.
Mme Anne Le Hénanff, ministre déléguée chargée de l'intelligence artificielle et du numérique . - Le Gouvernement salue la qualité de vos travaux et votre esprit de responsabilité, dont témoigne le vote à l'unanimité en commission des finances. Le Sénat montre qu'il est possible de conjuguer exigence, cohérence et unité.
Ce texte du député Daniel Labaronne, enrichi par Nathalie Goulet, trouve un juste équilibre entre efficacité opérationnelle et protection des droits des usagers. Il dote nos autorités et les établissements bancaires de nouveaux leviers d'action, sans jamais compromettre la confiance, première des sécurités dans le monde des transactions financières.
La fraude progresse à l'heure du numérique. Mais celui-ci nous permet aussi d'être plus rapides, plus coordonnées, plus efficaces. Grâce au fichier national des comptes signalés pour risque de fraude (FNC-RF), nous pouvons bloquer plus vite les virements suspects, sous le contrôle de la Cnil et de la Banque de France.
Nous mettrons en oeuvre le système d'interconnexion des registres bancaires nationaux, prévu par la directive du 31 mai 2024, pour faciliter l'échange d'informations, tout en protégeant les données personnelles et la souveraineté des États.
La loi Cazenave du 30 juin 2025 renforce les outils de lutte contre la fraude aux aides publiques. Le prochain projet de loi de lutte contre les fraudes sociales et fiscales et la proposition de loi Goulet prolongeront cette dynamique. La révision en cours de la directive européenne sur les services de paiement améliorera les outils à disposition des banques.
La prévention passe aussi par la pédagogie. Le Gouvernement soutient les campagnes de sensibilisation de la Banque de France et de la profession : ne jamais divulguer ses codes, vérifier l'authenticité des messages, signaler toute opération suspecte.
Le Gouvernement souhaite un vote conforme, pour une mise en oeuvre rapide de ces mesures attendues. Nous partageons l'exigence de protéger nos concitoyens, sécuriser nos paiements et renforcer la confiance dans le système bancaire. (MM. Marc Laménie, Olivier Bitz et Patrick Chaize applaudissent.)
Mme Nathalie Goulet, rapporteur de la commission des finances . - Nous sommes peu nombreux dans l'hémicycle. Dommage, car le sujet est très important. La question n'est pas de savoir si nos comptes seront piratés, mais quand !
Ce texte permet de lutter contre la fraude aux paiements : la fraude aux chèques et aux paiements SEPA représente 698 millions d'euros par an, sur un montant global de fraudes évalué à 1,2 milliard en 2023.
Les schémas de fraude évoluent constamment, notamment les technologies d'imitation de la voix grâce à l'intelligence artificielle générative. La création du FNC-RF fluidifiera les échanges d'informations entre les prestataires de services de paiement afin de fermer les comptes suspects.
Mais nous devons aller plus loin pour prévenir les usurpations d'identité et aussi améliorer le fichier national des comptes bancaires et assimilés (Ficoba). Nous avions évoqué un système de push qui pourrait nous prévenir en cas d'ouverture d'un compte à notre nom...
Ce texte ne pose pas de difficultés.
Le rapporteur général l'a dit, le saucissonnage des textes crée de la confusion. Les espaces parlementaires consacrés à la lutte contre la fraude, sujet essentiel, sont restreints. J'espère que nous pourrons amender le projet de loi visant à lutter contre les fraudes sociale et fiscale, avec le texte de ma modeste proposition de loi. Nous souhaitons avoir, après le budget, un espace suffisamment long afin d'examiner un texte ambitieux en matière de lutte contre la fraude fiscale.
Je l'ai dit lors des questions d'actualité, taxer les entreprises, surtaxer les personnes physiques et ne pas lutter contre la fraude est incohérent - il faudra y remédier. (Applaudissements sur les travées du groupe UC ; MM. Marc Laménie et Marc Séné applaudissent également.)
M. Stéphane Fouassin . - Cette proposition de loi s'attaque à un fléau moderne, la fraude aux paiements électroniques, qui touche des centaines de milliers de nos concitoyens chaque année. L'enjeu est colossal : près de 600 millions d'euros de fraudes en 2024. Quand la monnaie circule à la vitesse d'un clic, la fraude n'a pas besoin de visa. (Sourires) Les innovations - virement instantané, paiement sans contact - sont le terrain de jeu de fraudeurs qui rivalisent d'ingéniosité.
Cette proposition de loi, adoptée à l'unanimité à l'Assemblée nationale, prolonge le plan de lutte contre les fraudes fiscales, sociales et douanières lancé par Gabriel Attal et consolidé par Thomas Cazenave.
Première avancée : la création d'un fichier national recensant les IBAN douteux, géré par la Banque de France. La Caisse des dépôts, les banques, le Trésor public et même l'Urssaf pourront échanger des informations. L'argent n'a pas d'odeur, mais il a une empreinte.
Deuxième avancée : le renforcement de la lutte contre les chèques falsifiés et contrefaits. En donnant un fondement législatif au fichier des chèques irréguliers, nous comblons une lacune datant de 1992.
Troisième avancée : la loi modernise la consultation du fichier national des chèques irréguliers (FNCI) et l'étend à tous les établissements bancaires, tout en garantissant la protection des données personnelles.
Cette proposition de loi illustre parfaitement le plan antifraude lancé par le Gouvernement : agir partout, sans excès mais sans faiblesse. C'est une loi de prévention plus que de sanction. Elle protège nos concitoyens, nos institutions et l'argent public, celui de tous les Français.
Le RDPI salue le travail de la rapporteure et votera ce texte. (Applaudissements sur les travées du RDPI ; MM. Marc Laménie et Olivier Bitz applaudissent également.)
Mme Florence Blatrix Contat . - Il est des sujets qui dépassent nos clivages politiques : la lutte contre la fraude bancaire en fait partie.
En 2023, le montant total des fraudes aux moyens de paiement s'élevait à 1,2 milliard d'euros, dont 334 millions pour les fraudes liées aux paiements SEPA et 364 millions pour les fraudes aux chèques.
Le virement devient le terrain de jeu privilégié des escrocs, avec un préjudice moyen qui dépasse les 3 000 euros. Derrière ces chiffres, des milliers de victimes. Ces fraudes minent la confiance dans les moyens de paiement.
Nous partageons donc les objectifs de ce texte pour mieux protéger les particuliers, comme les finances publiques.
L'article 1er crée un fichier national des IBAN douteux. En dépit d'une obligation d'authentification forte, les fraudes aux virements demeurent massives et variées. Ce dispositif, qui a été expérimenté, devrait réduire significativement les fraudes. Le groupe SER appuie cette démarche, mais estime qu'il faut protéger les usagers de toute suspicion erronée.
Les articles 2 et 3 étendent le champ du fichier national des chèques irréguliers pour y inclure les chèques falsifiés ou contrefaits.
L'article 4 assure la coordination outre-mer.
Nathalie Goulet l'a dit : ces mesures, bienvenues, sont néanmoins insuffisantes et devront être complétées. Les techniques de fraude se perfectionnent, les schémas se renouvellent. Face à cette évolution, il nous faut une réponse systémique.
Cette proposition de loi, utile, ne révolutionne pas le droit, mais renforce la protection des consommateurs, sans alourdir les charges publiques. Sécuriser les moyens de paiement, c'est protéger les citoyens, mais aussi nos finances publiques.
Le groupe SER votera cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe SER et du RDPI ; MM. Marc Laménie et Christian Bilhac applaudissent également.)
M. Pascal Savoldelli . - Nous connaissons tous quelqu'un qui a été confronté à ce scénario bien connu : un appel, un courrier électronique, un artisan pressé d'obtenir un virement, un conseiller bancaire insistant... Un instant d'inattention, et hop ! le compte s'envole. La fraude aux moyens de paiement n'est pas un accident du système financier, elle en est le produit.
Elle prend la forme de la monnaie de l'époque : d'abord frappe de fausses pièces, impression de faux billets, puis falsification des signatures et des mandats, puis piratage et intrusion dans les flux, etc.
On déplore 1,2 milliard d'euros de fraudes au premier semestre 2024, dont un tiers sont des manipulations du payeur.
Cette évolution nourrit un phénomène de défiduciarisation, c'est-à-dire une perte de confiance dans les échanges eux-mêmes et dans ceux qui en sont les garants. Parfois, on ne croit plus dans l'institution ; parfois on perd sa confiance dans un proche victime, jugé trop imprudent.
La fraude pose une question fondamentale : qui produit la confiance ? Ce pouvoir s'est déplacé de la collectivité vers les opérateurs privés, qui ont trouvé de nouveaux segments de rentabilité : assurance antifraude, service premium, etc. Le marché a intérêt à maintenir juste assez de fraudes pour qu'elle suscite la peur, donc la demande de sécurité. Conséquence : il ne peut y avoir de coopération aboutie entre acteurs privés en matière de fraude.
Cette proposition de loi répond partiellement à cette faille.
L'article 1er crée un fichier centralisé, introduisant une coordination politique dans un espace de concurrence privée. L'État fait son travail, quand le marché ne fait pas le sien.
La fraude est aussi le fait du système lui-même. Si la fraude aux paiements ruine les particuliers, la fraude aux non-paiements, comme le scandale des CumCum et des CumEx, ruine les États. Cette fraude a coûté 140 milliards d'euros en 25 ans à l'Europe, 33 milliards d'euros à la France.
Nous resterons attentifs à ce que le coût du dispositif ne soit pas reporté sur les clients et que la Cnil conserve toute sa compétence.
La confiance n'exclut pas le contrôle ! (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K et SER ainsi que sur les travées du RDPI ; M. Marc Laménie applaudit également.)
M. Grégory Blanc . - La fraude aux moyens de paiement représente un préjudice de plus de 1 milliard d'euros et touche aussi bien les professionnels que les particuliers.
Nous sommes favorables à ce texte utile contre la fraude, qui améliorera l'arsenal existant.
Cependant, à l'instar de la rapporteure, nous regrettons le saucissonnage des textes. Notre travail est éclaté entre cette proposition de loi, la proposition de loi Goulet et le projet de loi contre les fraudes fiscale et sociale.
Nous avons besoin de mener une réflexion complète, solide et étayée sur les fraudes, à l'image des travaux de notre commission d'enquête.
Un travail de coopération doit être mené. Si nous luttons contre la fraude, nous devons réfléchir aux moyens de police à y consacrer et à notre infrastructure judiciaire. Cela passe par un texte gouvernemental complet et solide, ce qui n'est pas le cas. Nous chercherons à l'améliorer.
Les deux articles de ce texte améliorent le traitement des difficultés pratiques auxquelles sont confrontés les particuliers et les banques.
Créer un fichier identifiant les IBAN douteux et de bloquer les opérations suspectes est un progrès. De même, pour le fichier des chèques bancaires irréguliers.
Je salue le travail sérieux de Nathalie Goulet.
Pour autant, le texte ne répond pas à toutes les questions : les consommateurs victimes d'arnaque par contrainte ou tromperie sont laissés-pour-compte. Il faudra veiller aussi à ce que seules les informations strictement nécessaires soient collectées.
Cette proposition de loi est simple et pragmatique, et s'inscrit dans un mouvement de sécurisation des paiements à l'échelle européenne ; le GEST la votera. (Applaudissements sur les travées du GEST ; MM. Marc Laménie et Christian Bilhac applaudissent également.)
M. Christian Bilhac . - (Applaudissements sur les travées du RDSE ; MM. Marc Laménie et Olivier Bitz applaudissent également.) Parmi toutes les fraudes, la fraude bancaire est celle qui inquiète le plus nos concitoyens. Qui n'a pas un proche piégé par un faux message de sa banque ? Hier encore, j'ai reçu un texto m'informant d'un paiement de 650,99 euros sur ma carte Visa de La Banque Postale. Or je ne détiens pas de carte dans cette banque.
Ces fraudeurs savent se rendre crédibles et soutirent parfois plusieurs milliers d'euros à leurs victimes. Leurs méthodes évoluent, ils utilisent des mises en scène de plus en plus réalistes. Personne n'est à l'abri. Fraude à la carte, au virement, au chèque, les victimes sont en colère et en attente de réponses efficaces.
En 2024, le nombre d'opérations frauduleuses a progressé de 9,3 %, avec 7,8 millions de transactions concernées. D'où la nécessité de faire évoluer notre droit.
Le RDSE souscrit aux avances de ce texte.
Deux remarques, cependant : alors que nous devons répondre immédiatement à un SMS ou un e-mail, pourquoi devoir attendre six mois pour rendre un texte applicable ?
Quand j'ai lu la formule qu'on doit « informer dans les meilleurs délais », je n'ai pas pu m'empêcher de penser au sketch de Fernand Raynaud et au fût du canon qui met un certain temps à refroidir... (Sourires)
Le RDSE votera unanimement ce texte. (Applaudissements sur les travées du RDSE ; MM. Marc Laménie, Olivier Bitz et Grégory Blanc applaudissent également.)
M. Jean-Marie Mizzon . - (Applaudissements sur les travées du groupe UC ; M. Marc Laménie applaudit également.) La fraude bancaire est une préoccupation des Français : 85 % de nos concitoyens craignent un piratage de leurs données bancaires. Cela montre l'angoisse ressentie.
Cette proposition de loi compte trois avancées : la création d'un fichier des IBAN frauduleux, le partage d'informations et le renforcement de la lutte contre les chèques frauduleux. Les fraudes liées aux virements et prélèvements SEPA représentent 224 millions d'euros en 2023 sur un total de 1,2 milliard d'euros de fraude aux moyens de paiement.
Les mesures vont dans le bon sens, comme l'action du Gouvernement, qui semble toutefois fragmentée. Tous les Premiers ministres disaient agir, mais l'ampleur du phénomène montre que les résultats des actions entamées sont insuffisants.
Les fraudeurs innovent sans cesse et demain l'intelligence artificielle accroîtra la rapidité et l?efficacité de leurs attaques. Sans anticipation, nous subirons.
Nous avons débattu d'une loi sur la fraude aux aides publiques en avril dernier, aujourd'hui de la fraude bancaire et demain, de la lutte contre les fraudes fiscale et sociale. Cela donne l'impression d'une action éclatée. La fraude n'a pas de frontières. L'empilement de dispositifs sans coordination est insuffisant.
La fraude est une question de justice, notamment sociale, à l'égard des plus vulnérables. Ces pratiques minent le lien social. Le Gouvernement doit proposer un système pour sanctionner la fraude mais aussi prévoir les moyens pour y parvenir.
Comme Michel Canévet, je regrette que les sociétés de financement ne soient pas intégrées au dispositif. Pourquoi ne pas autoriser les maisons mères des banques à transmettre à leurs filiales et sociétés de financement les informations sur les IBAN douteux ?
L'Union centriste regrette une action publique trop fragmentée et l'absence de vision d'ensemble, mais votera ce texte, étape nécessaire. La rapporteure, Nathalie Goulet, est admirable de pugnacité sur ces sujets. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur quelques travées du groupe Les Républicains ; M. Marc Laménie applaudit également.)
M. Marc Laménie . - (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP ; M. Olivier Bitz applaudit également.) Je salue l'engagement de Nathalie Goulet et le travail de la commission des finances.
Cette proposition de loi, adoptée à l'unanimité à l'Assemblée nationale, renforce la lutte contre la fraude bancaire. Je me réjouis du recours à la procédure de législation en commission. Nous devrions l'utiliser plus souvent, car celle-ci permet de gagner un temps précieux tout en examinant sérieusement les textes.
Les arnaques liées aux faux IBAN et aux faux chèques sont en croissance ; cette proposition de loi va donc dans le bon sens. L'ensemble des prestataires de services de paiements auront accès aux fichiers des IBAN douteux.
La proposition de loi renforce la surveillance du fichier national des chèques irréguliers (FNCI) - les faux chèques ou les chèques en bois.
Ce texte est utile, mais peut sembler insuffisant.
Nous regrettons le morcellement des textes visant à lutter contre la fraude : fraudes aux aides publiques, fraudes bancaires, fraudes sociales et fiscales.
Les fraudes n'existent qu'en raison des faiblesses de nos lois.
Nous aurons un débat plus complet sur ce sujet. Il y va de la confiance des citoyens dans nos institutions, et même du consentement à l'impôt.
Le groupe INDEP votera unanimement cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP et UC)
M. Marc Séné . - (Applaudissements nourris sur les travées du groupe Les Républicains) Avant de débuter ma première intervention à cette tribune, j'ai une pensée amicale pour mon prédécesseur André Reichardt, qui a servi la France et l'Alsace pendant quinze ans. (Applaudissements)
La fraude bancaire, qui utilise des systèmes sophistiqués, est un défi de notre temps. En 2024, le préjudice qui en découle est de plus de 1 milliard d'euros, touchant aussi bien les particuliers que les entreprises. J'en ai appréhendé les déclinaisons à la tête de mon agence bancaire : trésoreries fragilisées, activités menacées, commerçants et familles démunis.
Pour autant, les dispositifs de sécurité et la vigilance des acteurs du secteur produisent des effets tangibles. Par exemple, la double identification a fait baisser la fraude sur les paiements en ligne. Le taux de fraude sur les cartes bancaires est historiquement bas.
Mais d'autres éléments deviennent plus vulnérables : les virements restent sous la menace de faux et de détournements. Un RIB modifié frauduleusement peut avoir des conséquences dévastatrices.
Le texte renforce la sécurité de deux moyens de paiement. D'abord, le virement bancaire avec un fichier des IBAN frauduleux, offrant aux établissements les moyens de détecter les opérations à risque et de bloquer préventivement les transactions suspectes.
Ensuite, il modernise le cadre juridique du paiement par chèque. Nous permettons aux établissements de bloquer un chèque suspect et d'alerter la personne concernée.
Ce texte a une vertu : le sérieux budgétaire, car il n'entraîne aucune dépense supplémentaire.
Certes, on pourrait déplorer des lacunes, notamment sur les données personnelles. Les fuites d'identifiants alimentent la fraude bancaire. Nous devons réfléchir à cette question pour éviter la recrudescence de ces actes. La fraude, qu'elle soit bancaire, fiscale ou sociale, emporte les mêmes conséquences : ces actes délictuels et criminels ont un impact sur nos concitoyens, nos finances publiques et notre économie.
Fidèle à ses convictions, le groupe Les Républicains votera ce texte. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et du RDSE ; M. Marc Laménie applaudit également.)
La proposition de loi est adoptée définitivement.
La séance est suspendue quelques instants.
Renouvellement du Congrès et des assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie (Conclusions de la CMP)
Mme la présidente. - L'ordre du jour appelle l'examen des conclusions de la commission mixte paritaire (CMP) chargée d'élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi organique visant à reporter le renouvellement général des membres du Congrès et des assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie afin de permettre la poursuite de la discussion sur l'accord du 12 juillet 2025 et sa mise en oeuvre.
Mme Corinne Narassiguin, rapporteure pour le Sénat de la CMP . - Je le disais déjà lors de l'examen du texte en première lecture : le report des élections provinciales, qui permettent de renouveler les assemblées délibérantes des trois provinces et les membres du Congrès, n'est pas une question nouvelle. Ces élections ont déjà été reportées à deux reprises, au 15 décembre 2024 et au 30 novembre 2025.
Cette proposition de loi organique transpartisane vise à les reporter une troisième fois, au 28 juin 2026 au plus tard.
Le premier report, lié à la modification du corps électoral spécial, ne faisait pas consensus. Alors que nous avions alerté sur un passage en force, l'adoption du projet de loi constitutionnelle a provoqué de violentes émeutes en Nouvelle-Calédonie à partir du 13 mai 2024, la mort de 14 personnes et la proclamation de l'état d'urgence le 15 mai. Le printemps et l'été 2025 ont été marqués par deux événements majeurs : un premier pas à Deva puis la signature d'un projet d'accord à Bougival, le 12 juillet, par l'ensemble des partenaires politiques, même si ce consensus a été ébréché dès le 9 août, avec le rejet de l'accord par le FLNKS.
Après quatre années d'impasse provoquées par le dernier référendum du 12 décembre 2021, ce projet d'accord, historique, offre enfin la perspective d'un avenir commun, redonnant espoir et confiance.
Nous avons également entendu les doutes légitimes et les critiques des opposants à ce projet d'accord. Dans un premier temps, au Sénat, nous avons modifié l'intitulé en ajoutant « afin de permettre la poursuite de la discussion sur l'accord du 12 juillet 2025 et sa mise en oeuvre », afin de préciser que ce projet d'accord est une base solide et précieuse, restant à approfondir et amender. En CMP, dans cette logique de compromis, nous avons décidé d'aller plus loin, sur proposition de notre collègue socialiste Arthur Delaporte, en retirant la mention de l'accord de Bougival. La proposition de loi vise donc « à reporter le renouvellement général des membres du congrès et des assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie afin de permettre la poursuite de la discussion en vue d'un accord consensuel sur l'avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie ».
En juin 1988, les accords de Matignon étaient conclus entre Jean-Marie Tjibaou, Jacques Lafleur et Michel Rocard. Le 20 août 1988, ils étaient complétés rue Oudinot. Nous considérons que les bases posées à Bougival attendent une suite, une précision - en somme, leur Oudinot.
Avec Agnès Canayer, nous le redisons : ce report des élections locales ne doit pas être un passage en force. Il faut donner du temps au temps. Les discussions ne peuvent pas et ne devront pas se faire sans le FLNKS.
Nous saluons le retrait de l'ordre du jour du projet de loi constitutionnelle qui permettra le retour de tous les participants autour de la table afin que tous les habitants de la Nouvelle-Calédonie partagent enfin un destin commun. (Applaudissements sur les travées du groupe SER ; MM. Marc Laménie et Mikaele Kulimoetoke applaudissent également.)
Mme Naïma Moutchou, ministre des outre-mer . - Cette proposition de loi organique est non pas un texte technique, mais un acte de responsabilité. Ce n'est pas un texte d'ajustement, mais une étape pour donner du temps, du sens et une direction claire au dialogue.
Les violences de mai 2024 ont profondément marqué les Néo-Calédoniens. Elles ont montré combien la paix restait fragile, et combien un accord global était nécessaire ; celui-ci a été signé à Bougival le 12 juillet 2025, après d'intenses négociations.
À l'origine, cet accord planifiait et justifiait le report des élections provinciales pour se donner le temps de définir l'avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie : création d'un État de Nouvelle-Calédonie, d'une double nationalité française et calédonienne, transferts de compétences régaliennes et dégel d'une partie du corps électoral. Cette raison justifie encore un report en dépit du retrait du FLNKS. On ne peut faire semblant d'ignorer l'accord des autres composantes politiques, non-indépendantistes et indépendantistes, comme l'UNI-Palika.
Néanmoins, l'accord de Bougival doit être éclairé et complété. Aussi, maintenir les élections provinciales serait une erreur. Il faut du temps pour reconstruire la confiance. Ce texte ne reporte pas pour retarder, il reporte pour apaiser. Il ne s'agit pas de suspendre la démocratie, mais de la rendre possible. Il ne faut pas renoncer au consensus, mais lui donner une chance supplémentaire de se construire. Le Congrès de la Nouvelle-Calédonie a approuvé ce choix à une large majorité. Le Conseil d'État en a confirmé la conformité à la Constitution. Nous avons une base concrète et solide : celle du terrain et celle du droit. Notre légitimité est à la fois démocratique et juridique.
L'accord de Bougival a rouvert le dialogue, en réunissant des acteurs qui ne se parlaient plus depuis des années : les loyalistes, le Rassemblement, Calédonie Ensemble, l'Éveil océanien, l'UNI-Palika et le FLNKS.
Cette proposition de loi donne le temps d'enraciner l'accord, sans le figer, sans passage en force, mais sans renoncement.
Bougival ne règle pas tout, mais il trace un cap, entre l'attachement à la France et le désir d'émancipation. L'organisation institutionnelle est adaptée à la réalité calédonienne. Ce dialogue doit se poursuivre, y compris avec le FLNKS. Je le répète : je ne veux pas faire sans le FLNKS, pourvu que le FLNKS ne fasse pas sans les autres partis. Je me rendrai ce week-end en Nouvelle-Calédonie.
Je sais que le Parlement partage cet état d'esprit : en témoigne le changement de l'intitulé du texte.
Je salue l'apport déterminante du Parlement sur ce texte, de son dépôt par six des huit présidents de groupe du Sénat, au compromis en CMP. Des parlementaires de sensibilité différente ont démontré qu'ils pouvaient se rassembler pour rechercher la paix civile en Nouvelle-Calédonie. Il existe une large convergence entre les deux chambres pour reporter les élections et accompagner la mise en oeuvre de l'accord de Bougival. Le Gouvernement a entendu le message : poursuivre le dialogue, ne rien imposer, rien précipiter.
Aucun accord politique ne pourra tenir sans perspectives économiques et sociales. Le Premier ministre l'a dit, il n'y aura pas de paix durable sans développement. C'est pourquoi je prépare un plan d'investissement et de redressement pour le territoire.
Les accords de Matignon-Oudinot, l'accord de Nouméa ont posé les bases d'un dialogue historique. Bougival s'inscrit dans cette continuité. À chaque étape, la République a tenu sa parole. Seule la fidélité aux engagements permet de reconstruire la confiance, de réconcilier les mémoires et de tracer un avenir partagé.
Je tiens à m'adresser directement aux Calédoniens, à ceux des tribus, des quartiers, des îles Loyauté, de la Brousse et de Grande Terre, à ceux qui doutent, qui espèrent. Ce report n'est pas un recul mais une étape. Il ne retire rien à la démocratie, il ouvre un chemin politique. Le temps qui s'ouvre doit être mis à profit pour dialoguer.
L'État n'agira pas seul. Il tiendra parole. Une fois encore, les élus de la majorité et de l'opposition ont montré qu'ils savaient s'unir lorsque l'intérêt du pays et du territoire l'exigeait.
Ce texte n'est pas une fin en soi. Au contraire, il ouvre plusieurs portes, il offre un cadre pour une solution partagée et trace une méthode : humilité, dialogue, respect. En l'adoptant, vous poursuivrez la construction d'un destin commun pour la Nouvelle-Calédonie.
Exception d'irrecevabilité
Mme la présidente. - Motion n°1 de M. Xowie et du groupe CRCE-K.
Mme Cécile Cukierman . - Cette motion d'irrecevabilité constitutionnelle n'est ni un geste d'humeur ni une posture partisane, mais un acte de responsabilité démocratique, un cri d'alerte face à un texte imposé par la force, en violant la Constitution.
Nous dénonçons une pratique qui se répand : le dépôt, à l'Assemblée nationale, d'une motion de rejet préalable par deux députés du groupe Ensemble pour la république, non pour s'opposer au texte mais pour court-circuiter le débat parlementaire et faire taire l'opposition.
Ce n'est pas une première. Dans sa décision du 7 août 2025, le Conseil constitutionnel vous avait pourtant mis en garde : on ne peut utiliser des motions pour contourner les règles. Non, la « motion de rejet positive » n'existe pas ! Elle n'est ni constitutionnelle ni réglementaire.
Le 2 juin dernier, vous aviez déposé la même motion pour contourner le débat sur l'A69 ; déjà, le Conseil constitutionnel vous avait mis en garde. Utiliser trois fois cet artifice de la question préalable est excessif. Vous violez la Constitution et le droit d'amendement des parlementaires. C'est une atteinte grave au fonctionnement normal du Parlement et à la Constitution. Notre groupe dénonce cette manoeuvre : il est de notre devoir de protéger le Parlement et la Constitution. Le Premier ministre annonce renoncer à l'utilisation de l'article 49.3 de la Constitution, mais ne se prive pas d'utiliser d'autres stratagèmes encore plus antidémocratiques pour arriver à ses fins.
Vous vous exposez aux mêmes déboires avec ce texte.
Autre violation de la Constitution : ce texte a été inscrit à l'ordre du jour par un gouvernement démissionnaire. Or depuis la décision du Conseil d'État de 1952, un gouvernement démissionnaire ne peut qu'expédier les affaires courantes, en aucun cas prendre des initiatives législatives majeures comme un projet de loi organique qui modifie un calendrier électoral ! « Retarder pour apaiser », dites-vous ? Ce concept m'échappe, car il n'a aucun fondement réel.
La décision du Conseil constitutionnel du 19 septembre dernier a confirmé la constitutionnalité du gel du corps électoral. Les sages ont rappelé la valeur constitutionnelle de l'accord de Nouméa, qui le prévoit. Ce gel n'est donc pas caduc, et ce troisième report n'est pas justifié. Le Gouvernement ne peut se prévaloir de l'urgence.
Une note du secrétariat général du Gouvernement du 2 juillet 2024 confirme cette analyse : elle appelait à une extrême prudence pour un gouvernement démissionnaire. Un tel texte n'entre pas dans la catégorie des affaires courantes.
Violation des compétences du Parlement et du Gouvernement : ce choix politique est regrettable, car il se fait aux dépens du peuple kanak, qui a subi à plusieurs reprises le mépris de Paris.
Reporter les élections provinciales c'est lui retirer la parole. Ni le peuple français ni le peuple kanak ne méritent un tel sort. Avant les événements tragiques de mai 2024, M. Lecornu, alors ministre des outre-mer, avait déclaré : « en démocratie, les élections se tiennent à l'heure. » Mais en démocratie, la parole du peuple est écoutée et les institutions respectées. Il n'est pas trop tard pour donner au peuple kanak l'occasion de choisir ses représentants.
Madame la ministre, vous bafouez le droit international et les résolutions de l'ONU, vous violez notre Constitution, vous vous entêtez dans une voie sans issue.
Chers collègues, que diriez-vous si un gouvernement étranger violait sa Constitution, le droit international et refusait le débat démocratique au sein de son Parlement pour éviter l'expression du suffrage d'un peuple colonisé qui réclame son indépendance depuis deux siècles ? Voilà la situation actuelle ! Nous devons mettre fin à ces pratiques anticonstitutionnelles dangereuses pour notre République, notre démocratie et notre État de droit.
Certes, le Parlement a travaillé sur ce texte, mais la démocratie locale est bafouée. Hier, à l'Assemblée nationale, l'écart était seulement de quinze voix pour voter le texte : le Parlement est loin d'être unanime, tout comme les femmes et les hommes vivant en Calédonie. Cette capacité à passer outre révèle une fébrilité, non une volonté d'avancer.
Au nom du groupe CRCE-K, au nom de la Constitution, au nom du peuple kanak, je vous demande de voter cette motion d'irrecevabilité. Ce n'est pas un acte de blocage, mais un acte de sauvegarde du droit, de la démocratie et de la République. La Constitution doit être notre métronome, même quand l'exécutif tente de la contourner. C'est notre devoir collectif de la défendre. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K et du GEST)
Mme Agnès Canayer, au nom de la commission des lois. - La commission des lois a émis un avis défavorable à cette motion.
Nous connaissons les arguments du groupe CRCE-K contre le report des élections, mais cette motion n'est pas l'outil pour s'opposer à ce texte qui ne pose aucune difficulté constitutionnelle : le Conseil d'État, dans son avis du 4 septembre dernier, estime qu'il y a bien un motif d'intérêt général pour ce troisième report. (M. Akli Mellouli proteste.) L'accord de Bougival ouvre la voie d'un compromis le plus large possible.
Le Gouvernement a repris la procédure le 12 octobre dernier. La navette parlementaire a bien eu lieu. Le texte adopté en CMP est le texte adopté par le Sénat, nonobstant la modification de l'intitulé du texte.
Le Conseil constitutionnel se prononcera sur la constitutionnalité du texte.
Mme Naïma Moutchou, ministre. - Avis défavorable.
Madame la présidente Cukierman, je ne peux vous laisser tenir certains propos sur ce qui s'est passé la semaine dernière. Deux députés LFI ont déposé près de 2 000 amendements, sans aucun contenu sur le fond.
M. Laurent Burgoa. - Ils ont du temps à perdre !
Mme Naïma Moutchou, ministre. - Ils assumaient une stratégie d'obstruction. Soutenir qu'un déni de démocratie a eu lieu est grave : le blocage, voilà le déni de démocratie. Cette tentative, c'est du jamais-vu dans le dossier calédonien !
La CMP est parvenue à un accord, l'Assemblée nationale a adopté les conclusions de la CMP. Au tour du Sénat ce soir.
M. Akli Mellouli. - On ne l'a pas adoptée !
Mme Naïma Moutchou, ministre. - Nul blocage, nul passage en force, donc.
Sans report, la situation serait grave : s'il fallait organiser des élections dans le climat de tension actuel, le blocage surviendrait, inévitablement, et tout le processus tomberait. (M. Akli Mellouli proteste.)
Nous formons le voeu d'un accord global, avec tous.
Mme Cécile Cukierman. - Ni vous ni moi ne pouvons prédire la situation de la Nouvelle-Calédonie en juin prochain.
Il n'y aurait aucun déni de démocratie ? Ils sont nombreux, et dépassent le cadre de ce texte. Vous pouvez vous en prendre à un groupe de l'Assemblée nationale. Mais, dans une démocratie, quand ceux qui perdent les élections continuent de gouverner, quand on estime que ce n'est jamais le moment d'organiser les élections, alors même qu'on a imposé un référendum après le covid tandis que la population locale demandait le report pour respecter les temps de deuil, je veux bien entendre des leçons ! Mais dans n'importe quel autre pays, cela s'appellerait une dictature !
Continuons de croire que tout va bien, et que sans le 49.3, le Parlement a retrouvé ses pouvoirs ! Certes, le Gouvernement ne fait pas obstruction par voie d'amendement. Mais il prend un temps exceptionnel pour utiliser les précieux soixante-dix jours de délai du budget. Les députés EPR commentent chaque amendement ! Vous et moi connaissons les procédures, madame la ministre. Nous n'avons pas de leçons à recevoir : ces pratiques du Gouvernement et l'organisation des travaux parlementaires sont indignes de la démocratie.
M. Akli Mellouli. - Rétablissons les faits. Ce texte a été déposé bien avant l'accord de Bougival. Votre prédécesseur a indiqué qu'il s'agissait d'un protocole d'accord.
Mme Corinne Narassiguin, rapporteure. - Il a été déposé un mois après !
M. Akli Mellouli. - Essayons d'élever le débat : n'utilisez pas les oripeaux de la démocratie pour masquer un passage en force. Soyons en phase avec nos convictions et nos valeurs !
La motion n°1 est mise aux voix par scrutin public de droit.
Mme la présidente. - Voici le résultat du scrutin n°10 :
| Nombre de votants | 342 | 
| Nombre de suffrages exprimés | 342 | 
| Pour l'adoption | 34 | 
| Contre | 308 | 
La motion n°1 n'est pas adoptée.
Vote sur l'ensemble
Mme Audrey Linkenheld . - Ce texte, d'initiative sénatoriale, fait consensus, à défaut d'unanimité. Parler de la Nouvelle-Calédonie suppose de la sérénité et de la clarté. À nous de veiller collectivement à favoriser un dialogue sincère et constructif, afin que les enjeux soient compris de tous et que les habitants de la Nouvelle-Calédonie ne se sentent pas spectateurs de leur propre destin.
Les modifications introduites au Sénat et par la CMP ont porté sur son intitulé. La proposition de loi organique vise à permettre la poursuite des discussions en vue d'aboutir à un consensus.
Nommer un texte n'est pas un simple choix de vocabulaire. Cette démarche de clarification, inspirée par le groupe socialiste à l'Assemblée nationale, prend en compte la réaction du FLNKS, qui a perçu une contradiction de l'État : d'un côté, les ministres des outre-mer déclaraient ne pas vouloir agir sans le FLNKS. De l'autre, le report des élections était le premier acte de l'accord de Bougival, rejeté par le mouvement indépendantiste. Même si des échanges bilatéraux perdurent, le FLNKS n'est pas revenu à la table des discussions. Le projet du 12 juillet n'était qu'un accord conditionnel, dont l'entrée en vigueur dépendait de la validation des forces politiques calédoniennes sur le terrain. Les positions demeurent contrastées, mais chaque camp souhaite conserver le fil ténu du dialogue.
Le nouvel intitulé adresse un message d'apaisement : l'accord est une base de discussion pour poursuivre la négociation.
Difficile d'imaginer les forces politiques calédoniennes repartir de zéro : l'accord du 12 juillet reste un projet à finaliser, et non à sacraliser. Le Gouvernement a annoncé le retrait du projet de loi constitutionnelle déposé au Sénat le 14 octobre dernier : autant de signes destinés à éviter le passage en force et à rassurer les indépendantes. Le groupe SER votera ce texte.
Organiser des élections en novembre ne ferait que cristalliser les tensions.
Comment redonner un avenir économique à la Nouvelle-Calédonie sans stabilité politique et institutionnelle ?
Nous restons fidèles à la méthode de Michel Rocard et Lionel Jospin (M. Akli Mellouli s'exclame) : celle du dialogue, du respect, de l'impartialité de l'État et de la progressivité, qui a permis de maintenir la paix civile pendant plus de trente ans.
L'accord du 12 juillet doit mûrir et intégrer les évolutions nécessaires sur les points essentiels connus de tous : reconnaissance de l'identité kanak, transfert de compétences, principe de l'autodétermination, afin que le processus de 1988 aboutisse enfin à une décolonisation réussie.
M. Robert Wienie Xowie . - Le résultat du vote de ce soir est déjà connu. Je regrette que le Sénat n'ait pas su entendre les alertes du FLNKS et qu'il n'ait pas été à la hauteur du moment.
Ma parole ne pèse peut-être pas lourd dans cet hémicycle. Mais je tiens à rappeler que nous engageons à nouveau notre responsabilité collective sur un chemin qui n'a toujours pas mené au consensus ; un chemin qui marginalise le FLNKS, représentant légitime d'un peuple colonisé, dont la parole devrait être au centre de toute décision le concernant.
Ne nous imposez pas le moment ou la raison d'un report des élections selon vos critères. Il faut cesser de décider à notre place ! Ce cri, tous les territoires ultramarins l'ont déjà formulé, maintes fois : nous voulons être considérés comme des partenaires à part entière.
La CMP a validé le report des élections provinciales et modifié l'intitulé du texte pour ne plus mentionner l'accord de Bougival. On nous explique qu'il faudrait donner du temps pour relancer les discussions en espérant un consensus. Mais qu'est-ce qui nous empêche de tenir les élections et de discuter plus sereinement avec des élus légitimes ?
Le Parlement ne devrait pas être un lieu où l'on fait taire les voix qui dérangent. À l'Assemblée nationale, une motion de rejet préalable a été utilisée pour bloquer tout débat. C'est, au mieux, un mauvais signal, au pire, un détournement de procédure. On a joué des règles pour neutraliser le Parlement.
La Kanaky n'est pas un chapitre secondaire de notre ordre du jour. C'est un pays où s'écrit, depuis des décennies, un processus de décolonisation encadré par nos accords de Matignon et Nouméa. Ils ont permis la reconnaissance des droits du peuple kanak, l'émergence d'une citoyenneté propre et une paix civile à laquelle nous tenons tous.
Chaque fois que nous avons voulu décider depuis Paris, sans consensus, nous avons ravivé les tensions. Qui peut oublier ce que l'entêtement des parlementaires a coûté l'année dernière ? Faut-il vraiment rejouer cette séquence ?
Reporter n'apaise rien. Reporter prolonge l'incertitude, délégitime les exécutifs en place et enfonce le pays dans la défiance. Reporter, ce n'est pas donner du temps au temps ; c'est confisquer le temps du peuple.
Ce qui fait défaut, c'est la volonté politique d'écouter le pays et de renouer avec l'esprit du consensus. Le texte n'est donc plus lié à Bougival - mais si les mots ont changé, la méthode demeure. Pour reprendre les mots d'Édouard Wamai, chanteur calédonien, « rien n'a sazé ». On demande au Parlement de couvrir une trajectoire déjà tracée, en évitant le débat et en neutralisant les amendements.
Le groupe CRCE-Kanaky refuse cette politique du fait accompli ! Notre devoir est simple : rendre la parole au peuple. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K et du GEST ; M. Mikaele Kulimoetoke applaudit également.)
M. Akli Mellouli . - Une fois de plus, le Gouvernement revient devant le Parlement pour reporter les élections locales en Nouvelle-Calédonie. Une fois de plus, on nous demande de valider une décision unilatérale prise à Paris au nom d'un dialogue à poursuivre.
Mais quel dialogue en l'absence d'écoute réelle ? L'État décide seul ; il consulte pour la forme mais n'entend rien. Ce texte est une mesure d'arrogance. L'absence d'écoute et de respect empêche tout accord. Le Gouvernement n'a rien appris et continue de recourir à des réflexes autoritaires. Ministre des outre-mer, Sébastien Lecornu disait pourtant que, dans une démocratie, on tient les élections à l'heure...
Cette volte-face traduit une défiance profonde à l'égard du verdict populaire, une peur de la démocratie. Vous voulez suspendre le temps électoral pour préserver le statu quo. Mais on ne rétablit pas la confiance en passant en force ! Dans une démocratie, la légitimité ne se prolonge pas ; elle se renouvelle.
Ce report n'est pas un geste de dialogue, mais une manière de gagner du temps sans rien régler, au risque de raviver les tensions. La responsabilité du Parlement est d'éviter que le fil fragile du vivre-ensemble ne s'effiloche. L'histoire récente devrait nous rendre humbles, pas arrogants.
À l'Assemblée nationale, une motion de rejet a été adoptée pour étouffer le débat, faire taire les députés sur un sujet pourtant essentiel, dérober au regard public un débat qui mérite la transparence.
Si la République veut être respectée, elle doit respecter ses principes, respecter les peuples, respecter la parole donnée. Le GEST refuse le passage en force et appelle au vrai courage politique : celui du dialogue loyal. Nous voterons contre ce texte. (Applaudissements sur les travées du GEST et du groupe CRCE-K)
Mme Annick Girardin . - (Applaudissements sur les travées du RDSE ; M. Marc Laménie applaudit également.) Deux semaines se sont écoulées depuis que notre assemblée s'est prononcée en faveur du report des élections provinciales en Nouvelle-Calédonie. D'aucuns parleront d'avancée. Je déplore pour ma part la méthode employée.
Il y a quinze jours déjà, le RDSE était mitigé sur la position à prendre. J'avais salué l'accord de Bougival, mais le FLNKS a fait volte-face.
Nous devons prendre nos responsabilités de parlementaires, mais de manière éclairée. Or ce qui s'est passé à l'Assemblée nationale est incompréhensible et inacceptable. D'un côté, LFI a mené une absurde stratégie d'obstruction ; de l'autre, le député EPR de Nouvelle-Calédonie, soutenu par le socle commun, a fait voter une motion de rejet préalable. Deux attitudes contraires aux valeurs et coutumes calédoniennes, dans lesquelles le respect prévaut.
Le texte revient de CMP en ayant perdu son cap. Fallait-il évincer les accords de Bougival pour restaurer le dialogue ? Cette décision, prise sur l'initiative des socialistes, me pose question. L'amendement présenté par plusieurs présidents de groupe au Sénat, soulignant que l'accord pouvait encore être amendé, était la voie médiane à suivre pour que chaque partie soit considérée. Rien ne se fera sans le FLNKS, on le sait.
Bougival a marqué une nouvelle étape vers un avenir commun, sans remise en cause du droit à l'autodétermination du peuple calédonien. Le consensus indispensable ne sera pas plus facilement trouvé si l'on nie les paroles données et les signatures apposées. Les subterfuges et les écrans de fumée ne seront jamais une base solide de consensus.
J'entends qu'il faut donner du temps au temps. Soit. Mais, madame la ministre, il ne pourra pas y avoir de quatrième report.
Le RDSE votera ce texte, car on ne peut s'arrêter au milieu d'un chemin déjà très fastidieux. Je salue les propos mesurés, engagés et respectueux de Mme la ministre. Je souhaite que le Gouvernement ne revienne en aucun cas sur les bases du 12 juillet 2025 et que le FLNKS aborde les discussions à venir avec la volonté constructive que je lui connais. J'espère que l'État se donnera les moyens de respecter l'échéancier fixé par ce texte. Anéantir les espoirs qu'a suscités l'accord de Bougival, aussi imparfait soit-il, sans aller au bout du processus électoral pourrait être l'erreur de trop.
Monsieur Xowie, j'ai beaucoup apprécié de travailler pendant trois ans avec l'ensemble des partis politiques du territoire, dont le FLNKS ; je sais que le dialogue est pour eux une règle. (Applaudissements sur les travées du RDSE et du groupe INDEP)
M. Olivier Bitz . - Ce texte vise à repousser à nouveau les élections locales en Nouvelle-Calédonie. Je regrette l'obstruction qui, à l'Assemblée nationale, a empêché le débat de se tenir : 1 800 amendements sur trois articles !
Reste que repousser pour la troisième fois les élections n'est pas anodin du point de vue démocratique, surtout sans accord unanime des forces politiques calédoniennes ni débat à l'Assemblée nationale.
J'insiste : il faut que l'État reste dans une position d'impartialité à l'égard des acteurs locaux. Chaque fois qu'il en est sorti, la perspective d'une solution s'est éloignée. Chaque fois qu'on a tenté d'avancer sans consensus, la situation s'est enlisée, voire dégradée jusqu'à ce que des troubles ne surviennent.
Oui, repousser les élections apparaît aujourd'hui comme une nécessité. Rien ne serait pire que des élections tenues à la va-vite et dans de mauvaises conditions. Ce n'est pas satisfait sur le plan des principes, mais soyons pragmatiques et laissons du temps au dialogue.
Passer en force pour imposer l'accord de Bougival tendrait encore plus la situation. L'accord n'est pas abouti, et le dialogue doit se poursuivre. Il faut un consensus des forces politiques, comme en 1988 et 1998, en s'appuyant sur les acquis de Bougival.
La nouvelle formulation trouvée en CMP nous convient donc mieux et nous nous réjouissons du retrait du projet de loi constitutionnelle, de même que des propos de Mme la ministre, tournés vers le dialogue. Mettons à profit ce nouveau délai pour trouver les voies du consensus nécessaire à la construction d'un destin commun. (Applaudissements sur des travées du RDSE ; M. Marc Laménie applaudit également.)
M. Pierre-Jean Verzelen . - Ce texte est la conséquence d'événements graves. Lors de trois référendums, avec des taux de participation supérieurs à 80 %, la Nouvelle-Calédonie s'est prononcée pour rester française. Le démarrage du dégel du corps électoral était prévu depuis longtemps. Mais, l'année dernière, la mobilisation d'une base radicalisée a conduit à une insurrection au bilan très lourd : dix mille habitants ont quitté le territoire, le PIB a baissé de 14 %, les investissements de 40 %. Voilà les conséquences du chaos. (Mme Cécile Cukierman s'exclame.) Certains pays en ont profité pour nuire aux intérêts de la France.
J'espère que l'accord de Bougival sera déterminant pour la suite. Premier accord depuis vingt-sept ans, il clôt le processus d'autodétermination et offre un cadre stable et pérenne, mais aussi une reconnaissance inédite au territoire, notamment à travers la citoyenneté calédonienne.
Nul ne peut se considérer comme gagnant ou perdant : c'est le signe d'un accord équilibré. Hélas, sous la pression d'une base radicalisée, le FLNKS s'en est retiré. L'accord reste pourtant soutenu par une large part des acteurs locaux.
Le report des élections est indispensable pour éviter le chaos et créer les conditions de la réussite de l'accord. Je condamne la tentative d'obstruction de l'extrême gauche à l'Assemblée nationale, conforme à sa stratégie du pire. Sans ce report, que se passerait-il sur place ? Nul ne peut répondre.
M. Akli Mellouli. - Des élections !
M. Pierre-Jean Verzelen. - Nous n'avons pas le droit de prendre en otage l'avenir de la Nouvelle-Calédonie. Le groupe Les Indépendants votera ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP)
Mme Agnès Canayer . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Reporter des élections n'est jamais anodin, surtout quand c'est pour la troisième fois consécutive. C'est pourtant ce que nous nous apprêtons à faire, pour trois bonnes raisons.
D'abord, il faut donner du temps pour faire vivre l'accord préliminaire de Bougival, qui doit être la base du consensus le plus large possible. Certes, la voie de passage est étroite, mais c'est la condition de la paix civile et de la stabilité institutionnelle. Bougival n'est pas une fin en soi, mais une base solide. Ce report donnera du temps à la discussion, hors de toute pression électorale.
Ensuite, le Congrès de Nouvelle-Calédonie a adopté, le 15 septembre dernier, une motion en faveur de ce report, par 39 voix sur 54 - tous les groupes ont voté pour, sauf le FLNKS. Quelle serait la légitimité d'une consultation à laquelle un cinquième des électeurs ne pourraient prendre part en raison du gel du corps électoral ? Madame la ministre, vous vous apprêtez à partir en Nouvelle-Calédonie : nous vous souhaitons de réussir dans votre recherche du consensus.
Enfin, il y a urgence. Le calendrier est extrêmement serré, et l'instabilité gouvernementale en métropole ajoute à la complexité. Sans report, il faudrait tenir les élections avant le 30 novembre : outre les difficultés techniques, un tel calendrier risquerait d'altérer les chances de réussite des négociations.
Convaincus que ce report donnera les meilleures chances de réussite au processus de Bougival, Les Républicains voteront le texte. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Marc Laménie applaudit également.)
M. Mikaele Kulimoetoke . - Je remonterai le fil qui nous amène à entériner un nouveau report des élections provinciales en Nouvelle-Calédonie.
En 1998, l'accord de Nouméa rappelle, dès la première ligne, la prise de possession de la Grande Terre que James Cook avait dénommée Nouvelle-Calédonie, en 1853. L'appropriation d'un territoire déjà habité par son peuple premier est souvent source de violences, mais aussi de négociations vers un avenir plus apaisé.
Le camp indépendantiste aspire à une décolonisation, terme qui peut parfois être galvaudé ou crispant, mais qui suggère un horizon et un moyen de refonder un lien social durable entre les communautés vivant aujourd'hui en Nouvelle-Calédonie.
L'accord de 1998 appelle à une nouvelle étape, marquée par la pleine reconnaissance de l'identité kanak et un partage de souveraineté avec la France, sur la voie de la pleine souveraineté. Mais cette étape, que l'accord de Bougival a tenté de franchir, demeure difficile. Je déplore la procédure qui amène le Parlement à se prononcer sur des notions aléatoires telles que le « projet d'accord de Bougival », qui ne devrait plus exister juridiquement compte tenu du retrait d'un signataire. Voyez sur ce point l'audition récente de Manuel Valls à l'Assemblée nationale.
Le parcours de ce texte a été semé d'embûches ; cela ressemble à des manoeuvres vicieuses destinées à favoriser un camp. Le législateur doit faire preuve dans ce dossier de bienveillance et de neutralité, l'État ne peut être juge et partie. Notre rôle est de recueillir le voeu des Calédoniens et de l'officialiser.
La situation issue de la CMP laisse présager des difficultés, voire des tensions, préjudiciables à une mise en place sereine des élections provinciales. Il est urgent de replacer le consensus au centre.
Nous sommes amenés à nous prononcer sur un texte fondé sur un projet d'accord devenu caduc par la force des choses. Ce qui nous oblige à nous référer à nouveau à l'accord de Nouméa, qui prévoyait les élections en novembre 2025, donc avec le corps électoral actuel. Pensons avant tout aux Calédoniens, à tous les Calédoniens ! (Applaudissements sur les travées du GEST et du groupe CRCE-K)
Mme la présidente. - En application de l'article 42, alinéa 12, du règlement, le Sénat se prononce par un seul vote sur l'ensemble du texte.
La proposition de loi organique est mise aux voix par scrutin public de droit
Mme la présidente. - Voici le résultat du scrutin n°11 :
| Nombre de votants | 342 | 
| Nombre de suffrages exprimés | 337 | 
| Pour l'adoption | 298 | 
| Contre | 39 | 
La proposition de loi organique est adoptée définitivement.
Prochaine séance demain, jeudi 30 octobre, à 10 h 30.
La séance est levée à 20 h 40.
Pour le Directeur des Comptes rendus du Sénat,
Rosalie Delpech
Chef de publication
Ordre du jour du jeudi 30 octobre 2025
Séance publique
De 10 h 30 à 13 heures et de 14 h 30 à 16 heures
Présidence : Mme Sylvie Vermeillet, vice-présidente, M. Didier Mandelli, vice-président
1. Proposition de loi visant à garantir la qualité des services de gestion des déchets, présentée par Mme Marie-Claude Varaillas, MM. Alexandre Basquin, Jean-Pierre Corbisez et plusieurs de leurs collègues (n°221, 2024-2025)
2. Proposition de loi visant à la nationalisation des actifs stratégiques d'ArcelorMittal situés sur le territoire national, présentée par Mme Cécile Cukierman, MM. Guillaume Gontard, Patrick Kanner, Fabien Gay, Gérard Lahellec, Mme Marianne Margaté et plusieurs de leurs collègues (n°626, 2024-2025)
 
                                                             
                                                             
                                                             
                                                             
                                                             
                                                             
                                                            