Continuité des revenus des artistes-auteurs
Mme la présidente. - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi visant à garantir la continuité des revenus des artistes-auteurs, présentée par Mme Monique de Marco et plusieurs de ses collègues, à la demande du GEST.
Discussion générale
Mme Monique de Marco, auteure de la proposition de loi . - (Applaudissements sur les travées du GEST) C'est avec une vive émotion que je vous présente cette proposition de loi visant à instaurer une continuité de revenus pour les artistes-auteurs et autrices. J'en mesure l'importance pour les écrivains, dramaturges, musiciens, sculpteurs, scénaristes, photographes, plasticiens, commissaires d'exposition ou encore auteurs de bande dessinée.
Toutes ces créatrices et tous ces créateurs sont à l'origine de ce texte. Face à l'indifférence institutionnelle, une volonté s'est mise en mouvement ; quelle que soit l'issue de nos débats, elle ne s'arrêtera pas. À l'Assemblée nationale, une proposition de loi similaire à celle-ci a été initiée par Pierre Dharréville et cosignée par 121 députés.
Leur revendication ? Réparer une injustice sociale et obtenir la reconnaissance de leur dignité de travailleurs à travers la possibilité d'accéder à un revenu de remplacement lorsqu'ils sont temporairement privés de ressources.
De tels moments, toutes et tous en traversent, souvent dans la solitude, faute d'un dispositif adapté. Certains dépendent ponctuellement du RSA pour vivre, d'autres perçoivent l'allocation de solidarité spécifique (ASS). Nul ne peut contester la précarité du statut d'artiste-auteur. Même les plus grands génies ont connu des passages à vide, parfois la misère.
Il y a cinquante ans presque jour pour jour, l'Assemblée nationale adoptait à l'unanimité une loi ouvrant la voie à un premier alignement des droits sociaux des artistes-auteurs sur ceux des salariés. Il est troublant que la nécessité de poursuivre cet alignement ne soit plus une évidence.
En 1975, le ministre du travail, Michel Durafour, assimilait les artistes-auteurs à des salariés : « Très souvent, en effet, par le biais des contrôles que subit l'artiste ou des commandes qu'il reçoit de la part de ceux qui diffusent ses oeuvres, son statut apparaît comme étrangement proche de celui des salariés ». Le secrétaire d'État à la culture, Michel Guy, abondait dans le même sens : « La première condition de la vie de l'artiste dans le monde où nous vivons implique le rejet de ce mythe que le siècle dernier a répandu de l'artiste libre et heureux dans la misère. L'artiste doit désormais, dans tous les domaines, jouir des mêmes droits et se soumettre aux mêmes obligations que les autres citoyens ».
Hélas, la commission des affaires sociales a rejeté les amendements de la rapporteure, Anne Souyris. La commission de la culture n'a même pas été invitée à se prononcer.
La commission des affaires sociales refuse d'intégrer les artistes-auteurs à l'Unédic, sous prétexte que d'autres réponses seraient plus adaptées. Je me demande bien lesquelles... En outre, la majorité des artistes-auteurs participent déjà à l'Unédic, soit comme salariés - 46,5 % d'entre eux le sont aussi -, soit comme intermittents du spectacle. Toutes et tous y contribuent aussi en s'acquittant de la CSG.
Nous voulons que celles et ceux qui ne disposent d'aucun revenu de remplacement bénéficient d'un filet de sécurité et éviter le coût de gestion lié à la création d'une caisse autonome. C'est la même logique de simplification et d'efficacité qui a guidé le Gouvernement dans la LFSS pour 2026, à travers le transfert des missions de sécurité sociale des artistes-auteurs à l'Urssaf après quarante ans de dysfonctionnements.
On nous oppose aussi qu'un revenu de remplacement devrait être réservé aux travailleurs involontairement privés d'emploi. Mais nous proposons que, lorsqu'ils sont privés de ressources, les bénéficiaires s'engagent dans des actions de recherche artistique, de recherche de diffuseurs ou des activités accessoires à leur activité artistique.
Cette proposition de loi n'est pas non plus une atteinte au droit d'auteur, comme on l'a prétendu. Un des amendements proposés vise justement à garantir que le revenu de remplacement ne porte pas atteinte à la rémunération des actes de création protégée par un contrat.
Je comprends les inquiétudes au sujet des prélèvements supplémentaires sur les diffuseurs, mais gardons à l'esprit que ceux-ci s'acquittent de cotisations patronales au taux dérogatoire de 1,1 %. Ils contribuent donc moins au régime social des artistes-auteurs qu'ils diffusent qu'à celui des salariés qu'ils recrutent : comment le justifier ?
L'économie de l'art et des lettres est une économie des extrêmes : la plus grande richesse y côtoie une grande précarité. Le même constat vaut pour les diffuseurs. Lorsque le texte poursuivra sa route, avec ou sans l'approbation du Sénat, la situation des petits diffuseurs devra être prise en compte.
Nous proposons deux nouvelles sources de financement : une cotisation sur les entreprises exploitant l'IA générative - j'ai pris connaissance avec intérêt de la proposition de création d'une présomption d'exploitation d'oeuvres par l'IA - et l'instauration, proposée par Victor Hugo au Congrès littéraire de 1878, d'une cotisation sur l'exploitation des oeuvres des artistes décédés, afin que les morts contribuent à aider les vivants. Nul ne suspectera Victor Hugo d'avoir voulu attenter au droit d'auteur.
Je remercie celles et ceux qui, à gauche mais aussi au centre et à droite, ont mis de côté les postures partisanes pour appuyer cette démarche. Répondons à l'immense attente des créatrices et des créateurs, qui contribuent au rayonnement culturel et économique de la France, afin qu'on ne puisse plus, comme Balzac, demander : « D'où vient donc, en un siècle aussi éclairé que le nôtre paraît l'être, le dédain avec lequel on traite les artistes, poètes, peintres, musiciens, sculpteurs, architectes ? » (Applaudissements à gauche ; Mmes Laure Darcos et Sonia de La Provôté applaudissent également.)
Mme Anne Souyris, rapporteure de la commission des affaires sociales . - Cette proposition de loi vise à créer un revenu de remplacement au bénéfice des artistes-auteurs.
La question suscite une intense activité parlementaire : plusieurs propositions de loi ont été déposées à l'Assemblée nationale, et les députées Soumya Bourouaha et Camille Galliard-Minier viennent de rendre les conclusions de leur mission flash sur la continuité de revenu pour les artistes-auteurs. Je remercie Mme de Marco de permettre au Sénat de ne pas rester en marge de ces débats importants.
Le constat fait, je pense, consensus. Si l'activité des artistes-auteurs, est très diverse, leur rémunération est toujours aléatoire. Elle ne dépend pas du travail fourni ou du temps consacré à la création, mais de la vente ou de l'exploitation de l'oeuvre. Il en découle une grande instabilité, ainsi qu'une relative imprévisibilité. En 2022, deux tiers des artistes-auteurs ont subi une variation annuelle de revenus supérieure à 25 %. Beaucoup sont contraints d'exercer un emploi alimentaire.
Les artistes auteurs bénéficient depuis 1975 d'une protection sociale, toujours en consolidation. Ce système, auquel 400 000 personnes sont affiliées, ne couvre pas les accidents du travail et maladies professionnelles et exclut du régime d'assurance chômage les artistes auteurs, qui ne peuvent bénéficier que de l'ASS ou du RSA.
L'article 1er de sa proposition de loi crée une contribution spécifique des diffuseurs d'oeuvres d'au moins 4 % pour un rendement de 120 millions d'euros par an. Nous vous proposerons d'autres sources de financement pour équilibrer ce régime nouvellement créé.
Son article 2 crée un revenu de remplacement proportionnel au revenu antérieur à partir d'un plancher fixé à 85 % du Smic et versé par France Travail. Cela répond à une attente forte d'une grande partie du secteur mais peut évoluer en suivant trois objectifs : garantir un régime protecteur, renforcer le rôle du dialogue social et renforcer l'équilibre financier du dispositif.
Un seuil d'activité fixé à 900 Smic horaires permettrait de centrer le dispositif sur les artistes-auteurs qui ne recherchent pas une autre activité. Au total, cela concernerait 20 000 personnes, pour un montant de 220 millions d'euros. Un seuil dérogatoire de 300 Smic horaires pourrait être créé pour les jeunes diplômés, qui peinent à travailler : 56 % des diplômés des beaux-arts de Paris entre 2017 et 2021 gagnent ainsi moins de 15 000 euros par an.
Nous proposons également la création d'une commission, composée de représentants des artistes-auteurs, chargée d'attester de l'éligibilité au revenu de remplacement, inspirée du modèle belge, issu d'une réforme de 2022 qui tient ses promesses.
Les bénéficiaires du revenu de remplacement devront justifier d'actes positifs et répétés de développement, de diffusion ou d'exploitation de leurs oeuvres auprès de France Travail pour les responsabiliser.
Il faut renvoyer davantage au dialogue social la détermination du régime, puisque le revenu serait versé par l'Unédic. Un accord entre les organisations représentatives des artistes-auteurs et des diffuseurs en résulterait et serait annexé à la convention d'assurance chômage.
Enfin, le financement est une question centrale. Afin d'équilibrer les dépenses, plus élevées, et les recettes, nous pourrions agir sur plusieurs leviers : une cotisation des artistes-auteurs eux-mêmes, à l'instar du régime des intermittents ; une contribution des diffuseurs relevée à 5 % ; une mise à contribution des entreprises et des plateformes qui recourent à l'IA, lesquelles s'inspirent des oeuvres sans rémunérer leurs auteurs - cela permettrait de rétablir une égalité de ces publics devant les charges publiques. Le dispositif proposé serait à l'équilibre, voire excédentaire.
Le texte ainsi amendé ne ferait pas entrer les artistes-auteurs dans le salariat ; il ne réglerait pas à lui seul toutes les causes de précarité des artistes-auteurs, mais remédierait à une injustice : depuis 1975, le législateur a renforcé les droits sociaux des artistes-auteurs ; il faut maintenant leur reconnaître leur qualité de travailleurs.
Mais comme la commission des affaires sociales n'a pas adopté le texte, c'est sa version initiale que nous examinons aujourd'hui. (Applaudissements sur les travées du GEST et du groupe SER)
Mme Rachida Dati, ministre de la culture . - Merci, madame de Marco, de nous permettre d'échanger sur ce sujet sensible, qui est au coeur des préoccupations du ministère. Depuis 2021, le ministère de la culture déploie le plan Auteurs, engagé à la suite du rapport de Bruno Racine. Des avancées ont été obtenues sur plusieurs points : clarification du régime social, rémunération, représentativité.
À ce jour, douze mesures du plan sont mises en oeuvre et trois en cours de finalisation - je pense par exemple à un portail numérique regroupant les informations utiles aux artistes-auteurs. Pour autant, des marges de progression demeurent.
Dès 2024, je me suis engagée à ce que la réforme du RSA prenne en compte la situation des artistes-auteurs. Un dispositif d'accompagnement dédié, financé par le ministère de la culture, est ainsi mis en oeuvre par des professionnels spécifiquement formés depuis juin dernier. Nous en ferons le bilan d'ici à la fin de 2026.
Autre progrès : la LFSS 2026 réforme la sécurité sociale des artistes-auteurs en clarifiant la répartition des compétences avec l'Urssaf et en accordant de nouvelles compétences à l'association agréée.
Malgré ces avancées majeures, toute initiative en faveur des 350 000 artistes-auteurs, qui ont des activités diverses et des revenus très disparates, est louable.
Un rapport rendu en début de semaine montre que, pour beaucoup, l'art n'est pas leur principale activité : en 2023, pas moins de 67 % d'entre eux percevaient un revenu issu d'une autre activité. Leur revenu annuel moyen s'élève à 36 400 euros, mais avec de fortes disparités. Il nous faut donc définir la meilleure manière de traiter ces enjeux face à la faiblesse des revenus. Je regrette de vous le dire, madame la sénatrice, c'est le seul point sur lequel nous pourrions nous retrouver.
Votre proposition de loi revêt une dimension un peu démagogique à laquelle je ne peux adhérer : vous octroyez une protection assimilable à un revenu universel pour un coût estimé à 800 millions d'euros ! En tant que ministre de la culture, ma priorité est de garantir la vivacité du tissu créatif via une juste reconnaissance.
Sur la base d'un diagnostic plus fin, je proposerai d'autres solutions. La priorité est d'avoir un effet sur le réel, non de faire des promesses dont on sait qu'elles ne seront pas tenues.
Vous considérez « que les artistes-auteurs souffrent d'une rémunération insuffisante pour couvrir l'ensemble du cycle de création et qu'il faudrait en conséquence créer un revenu de remplacement. » Or créer une assurance chômage ne permet pas de lutter contre une faiblesse excessive des rémunérations. Les niveaux de rémunération sont liés à l'économie des secteurs, à la répartition de la valeur ajoutée et aux rapports de force entre artistes, auteurs, producteurs et diffuseurs.
Dans les secteurs de la musique, du cinéma et de l'audiovisuel, cinq accords interprofessionnels ont été signés. Des progrès sont encore à faire dans le secteur du livre, mais les discussions se poursuivent. Je salue à cet égard la proposition de loi de vos collègues sur les contrats d'édition.
Les secteurs des arts visuels et de la photographie on des économies distinctes, pour lesquelles le soutien de l'État porte ses fruits.
L'existence de très hauts revenus dans un secteur donné n'est pas la marque d'une inégalité inacceptable, c'est simplement la conséquence du succès. S'il peut être éphémère ou tardif, c'est une donnée inhérente au secteur.
La réponse ne peut être la mise en place d'un revenu universel artistique qui transformerait les artistes-auteurs en fonctionnaires de l'art subventionnés par l'assurance chômage.
Il faut, à l'inverse, que les auteurs soient mieux rémunérés, mais cela passe par des négociations avec les producteurs et les diffuseurs, publics ou privés. Le plan Auteurs pourrait être renforcé par la loi sur ce point. Mais les auteurs veulent être payés avant tout pour leurs oeuvres. Un revenu de remplacement n'est pas adapté, un artiste ne pouvant être rémunéré à l'heure.
Les artistes-auteurs ne sont pas des salariés, mais sont assimilables à des indépendants. Le corollaire, c'est que leur oeuvre leur appartient et qu'ils échappent à tout lien de subordination.
Il ne faudrait pas faire payer par la Nation de maigres indemnités en échange de potentielles cessions de droits, de plus en plus léonines d'ailleurs, qui finiront par alimenter les intelligences artificielles. Le Gouvernement émet donc un avis défavorable à ce texte.
J'ai décidé avec Jean-Pierre Farandou et Amélie de Montchalin de confier à l'Igas, l'Igac et l'IGF une mission sur l'inégalité des rémunérations entre les hommes et les femmes artistes-auteurs, la couverture des risques professionnels, la gestion des aléas de rémunération liés au cycle de création et le risque de sortie de métier. Ses conclusions seront présentées avant la fin avril. (Applaudissements sur les travées du RDPI et sur certaines travées du groupe Les Républicains)
Mme Silvana Silvani . - Je remercie le GEST et Monique de Marco d'avoir inscrit cette proposition de loi à l'ordre du jour du Sénat. Cette proposition de loi a une histoire : je rends hommage à Pierre Dharréville, ancien député communiste des Bouches-du-Rhône, qui avait construit une proposition de loi avec les artistes-auteurs.
Une nouvelle proposition de loi a été déposée en 2024 par Soumya Bourouaha, cosignée par 121 députés de gauche, mais aussi du socle gouvernemental et même un député Les Républicains. C'est dire si ce sujet est reconnu de tous.
Les artistes-auteurs subissent une discontinuité de revenus et une protection sociale insuffisante. Leurs droits sont ouverts s'ils touchent une rémunération de plus de 600 Smic horaires par an.
L'emballement médiatique autour du film d'animation d'Intermarché sur le loup mal-aimé, qui avoisine le milliard de vues, devrait mettre l'accent sur la création humaine. Ce succès, digne d'un conte de Noël, est dû au studio montpelliérain Illogic et à un processus de création qui a mobilisé plusieurs dizaines d'artistes-auteurs pendant un an - sans que cela n'ait ouvert aucun droit à l'assurance maladie, à la retraite et encore moins au chômage.
C'est la raison pour laquelle de nombreux artistes-auteurs ont une autre activité, pour en tirer un revenu et obtenir des droits sociaux. Ce revenu de remplacement est indispensable. Les artistes-auteurs d'oeuvres littéraires, graphiques, dramatiques, musicales, chorégraphiques, audiovisuelles, cinématographiques, plastiques et photographiques ont en commun une protection sociale insuffisante. Ce texte est une première amélioration. Nous avions déposé des amendements portant le revenu de remplacement au niveau du Smic brut et modifiant le seuil d'éligibilité, mais ils ont été déclarés irrecevables - c'est dommage, ils nous auraient permis de débattre sur le niveau de revenu qu'il faut pour vivre dignement.
Ce texte propose de mettre à contribution les diffuseurs publics avec une contribution spécifique à destination des plateformes qui utilisent des oeuvres libres de droits ; cela nous semble pertinent. Nous sommes plus dubitatifs sur l'effectivité d'une contribution sur l'usage de l'IA. Quoi qu'il en soit, des recettes existent si on veut se donner les moyens de promouvoir la création culturelle dans notre pays. (Applaudissements à gauche)
M. Ronan Dantec . - (Applaudissements sur les travées du GEST ; Mme Annie Le Houerou applaudit également.) En France, on n'a pas de pétrole, mais des idées... Modernisons ce slogan des années 1970 : on n'a pas de terres rares, mais des auteurs !
À l'heure des intelligences artificielles, nourries des créations, la capacité de fournir les matériaux dont elles s'inspirent est un enjeu majeur. Comme les marins, les auteurs ont la manie de faire des phrases. Ils produisent ce minerai vital dans le monde numérique, mais ne bénéficient pas d'une protection à la hauteur de ce rôle.
Des dizaines de milliers d'artistes-auteurs subissent quotidiennement des obstacles administratifs, sociaux et économiques qui affectent directement leur liberté de création et leur sécurité. Je ne suis pas sûr, madame la ministre, que le sentiment - pour ne pas dire l'ivresse - de la liberté et l'absence de subordination suffisent à leur bonheur. Ils sont confrontés à des structures de gestion de la sécurité sociale qui nuisent à l'effectivité de leurs droits et pleurent leur retraite disparue, un véritable scandale. Alors que les secteurs culturels représentent près de 100 milliards d'euros de chiffre d'affaires et 650 000 emplois directs, il est paradoxal que ceux qui font vivre cette richesse n'aient pas un cadre protecteur.
L'absence d'un statut social adapté alimente une précarité des métiers culturels : absence de droit au chômage, inégalité dans la constitution des droits à la retraite, faibles ressources. Par l'instauration d'un revenu de remplacement, cette proposition de loi propose une solution forte et concrète.
La culture française n'est pas une commodité, mais un essentiel de notre rayonnement. Celui ou celle qui consacre sa vie à l'écriture ou à l'art ne doit pas renoncer à la création parce que le cadre ne le reconnaît pas.
Le pays de Beaumarchais, où la Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique (Sacem) a été créée en 1851, doit répondre à cet enjeu. Votons cette proposition de loi pour soutenir concrètement nos artistes. (Applaudissements sur les travées du GEST et sur des travées du groupe SER)
Mme Maryse Carrère . - (Applaudissements sur les travées du RDSE) Cette proposition de loi touche à un sujet sensible et essentiel. Elle s'inscrit dans une réflexion partagée sur la précarité des professions culturelles, accentuée par l'IA.
Cette fragilité tient à une réalité méconnue : les artistes ne sont pas rémunérés pour leur activité de création, mais seulement au moment de sa diffusion. Le temps de conception et de recherche n'est pas reconnu économiquement. Quand aucune oeuvre n'est diffusée ou exploitée, l'artiste-auteur ne touche aucun revenu. S'y ajoutent des modes de rémunération déséquilibrés, dépendant de distributeurs qui reversent les droits parfois avec retard.
Les artistes-auteurs produisent une richesse économique et participent au rayonnement intellectuel et social du pays. La majorité des membres du RDSE voient dans ce texte une avancée légitime.
Le rapport de la mission flash de l'Assemblée nationale et la Commission européenne invitent à mieux protéger les artistes-auteurs considérés comme des travailleurs.
Certains de mes collègues ont quelques réserves. L'assurance chômage repose sur la notion de perte involontaire d'emploi. Or l'activité artistique est plus marquée par l'irrégularité des revenus. Dans ce cadre, introduire un revenu de remplacement soulève une question de principe.
Comment éviter les effets d'aubaine ? Et la question du financement appelle à la prudence. Les réserves de l'Unédic à cet égard ne peuvent être ignorées.
Malgré ces questionnements, les votes du RDSE seront partagés, mais majoritairement favorables à ce texte d'appel. (Applaudissements sur les travées du RDSE et du GEST et sur des travées du groupe SER)
Mme Jocelyne Guidez . - (Applaudissements sur les travées du groupe UC ; Mme Pascale Gruny applaudit également.) À quelques pas d'ici, en traversant le jardin du Luxembourg, vous pouvez lire sous la statue de Baudelaire quelques vers de son poème Les Phares, rendant hommage aux créateurs, tels Léonard de Vinci, Rembrandt ou Delacroix. Nous partageons tous cette admiration, cette reconnaissance pour l'art, « cet ardent sanglot qui roule d'âge en âge ».
La précarité des artistes-auteurs est un réel problème. Le rapport Racine rappelait que le système de rémunération repose quasi exclusivement sur les droits d'auteur. Seule une minorité d'artistes-auteurs exercent réellement à titre professionnel. Seuls 10 % atteignent le revenu médian.
Mais si nous partageons le diagnostic, le texte nous semble contourner le problème. La précarité des artistes s'explique d'abord par un déséquilibre entre l'offre et la demande. Le régime des artistes-auteurs connaît un nombre croissant d'entrants, qui a doublé depuis 2020, alors que la capacité de diffusion ne progresse pas au même rythme. Augmenter les droits sociaux est légitime, mais créer un revenu de continuité pourrait augmenter encore l'offre, puisque la filière deviendrait plus attractive.
Le secteur connaît par ailleurs une transformation rapide liée à l'IA générative qui fournit aux diffuseurs des contenus à moindre coût. Cela risque de réduire la demande, mais peut aussi servir les artistes-auteurs, qui peuvent mettre en avant leur singularité. La récente publicité d'Intermarché en témoigne.
À cela s'ajoute un risque de fragilisation économique du secteur. Parmi les diffuseurs figurent des festivals locaux, des maisons d'édition spécialisées aux marges parfois très faibles. La contribution prévue par le texte risque de les mettre en difficulté.
Enfin, dernier enjeu : le risque de glissement de l'assistance vers la suppléance.
Les artistes-auteurs ne perçoivent pas de cotisation chômage, seulement les minima sociaux, à l'image des jeunes entrepreneurs. Ces dispositifs sont imparfaits, mais c'est un filet de sécurité qui a le mérite d'exister.
Dans ce texte, le revenu de remplacement ne serait plus conçu comme une réponse à un événement exceptionnel. Cette forme de revenu universel artistique risque de déresponsabiliser les auteurs.
Quid de la liberté artistique ? L'art n'est-il pas la plus belle expression de la liberté ? De Beaumarchais aux lois révolutionnaires, les droits d'auteur ont été conçus pour préserver l'indépendance et la liberté des créateurs, qui ne sont ni salariés ni fonctionnaires. Or le texte modifie cette philosophie. L'art est le fruit de la créativité des gens libres, disait Kennedy.
Ne cédons pas à la tendance française à la bureaucratie : pilotage par l'Unédic, mise en oeuvre par France Travail ; la rapporteure prévoyait même un nouveau comité Théodule...
Le groupe UC votera majoritairement contre ce texte. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains)
Mme Laure Darcos . - L'intention est louable. Les artistes-auteurs disposent de ressources aléatoires dépendant surtout de la diffusion de leurs oeuvres. Mais soyons réalistes : l'indépendance matérielle à laquelle ils sont nombreux à aspirer relèverait d'un changement total de paradigme si nous les transformions en auteurs salariés.
Le législateur a déjà considérablement renforcé leur protection sociale, d'abord avec la loi du 31 décembre 1975, qui couvre les risques liés à la maladie, la maternité, l'invalidité et au décès. Certes, il pourrait être judicieux d'ouvrir de nouveaux droits ; merci, madame la ministre, de vos annonces sur ce point. Les maladies et accidents professionnels ne sont en effet pas couverts, sinon par une assurance volontaire.
Chacun a aussi en mémoire la gestion erratique de leur régime. Une étape importante a toutefois été franchie avec la LFSS 2026, qui a confié la collecte des cotisations à l'Urssaf du Limousin.
Faut-il assurer une indemnisation pour le temps passé à la création, au risque de les assimiler à des salariés ? Pour nous, cette voie n'est pas pertinente, comme en a jugé aussi le Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique.
Rapprocher le statut des artistes-auteurs de celui des salariés sous-entendrait l'instauration d'un lien de subordination. Le droit d'auteur risquerait de se retrouver au second plan.
Or l'ensemble des avancées sociales se sont toujours fondées sur le respect des droits d'auteur. Ces considérations doivent continuer de prévaloir.
De plus, le financement du dispositif repose exclusivement sur les diffuseurs. Pourront-ils tous l'assumer ? Le coût de la proposition de loi serait de 1 milliard d'euros. Le montant des droits versés risquerait de diminuer, tout comme le nombre de commandes et de productions.
Si ce texte pose de bonnes questions, il apporte des réponses inadaptées qui pourraient bien se retourner contre les artistes-auteurs eux-mêmes.
Il existe d'autres moyens. La proposition de loi que j'ai déposée avec Sylvie Robert, première réforme du contrat d'édition depuis 1957, vise justement à reconnaître à sa juste valeur le travail de création. J'espère qu'elle sera prochainement inscrite à l'ordre du jour du Sénat.
Elle prévoit la création d'un minimum de droits d'auteur garanti définitivement acquis aux auteurs, une rémunération proportionnelle par paliers en fonction des ventes réalisées et une reddition des comptes deux fois par an.
Le groupe Les Indépendants votera contre le texte, mais je salue l'engagement de Monique de Marco dans ce combat (M. Francis Szpiner applaudit.)
Mme Pascale Gruny . - Ce texte s'inscrit dans une réflexion plus large engagée en 2020 avec le rapport Bruno Racine, poursuivie par le plan Auteurs et les travaux d'une mission flash à l'Assemblée nationale qui vient de rendre ses conclusions.
Un même constat nous alerte : une paupérisation croissante des artistes-auteurs, dans une trentaine de professions, incluant écrivains, traducteurs, scénaristes, compositeurs, plasticiens ou photographes.
La rémunération est discontinue, car elle dépend de contrats ponctuels espacés dans le temps. De plus, si l'exploitation de l'oeuvre est rémunérée, le travail créatif de préparation ne l'est pas.
Pas moins de 10 000 artistes-auteurs dépendent du RSA, filet de sécurité inadapté à leur réalité, 43 % des artistes-auteurs vivent sous le seuil de pauvreté et plus de 60 % gagnent moins que le Smic annuel.
Pour y remédier, la proposition de loi intégrerait dans la caisse commune de l'assurance chômage les artistes-auteurs, qui percevraient une allocation d'environ 1 200 euros à condition de justifier d'un revenu d'au moins 300 Smic horaires pour une année. Le coût de cette proposition pourrait avoisiner le milliard d'euros, selon l'Unédic. Le ministère de la culture parle de 800 millions d'euros. Un tel coût n'est pas envisageable pour l'assurance chômage.
L'autrice du texte a donc tenté de reporter ce coût sur les diffuseurs. Une part de la CSG viendrait compléter cette ressource.
Mais la situation ne serait toujours pas à l'équilibre. C'est pourquoi la rapporteure a proposé plusieurs solutions - un meilleur ciblage des artistes bénéficiaires, par exemple -, mais celles-ci n'ont pas été acceptées par la commission.
Les deux ressources envisagées initialement seraient relevées à 5 % pour les diffuseurs et 2 % pour les artistes-auteurs. En outre, deux contributions seraient créées pour les plateformes utilisant l'IA et exploitant des oeuvres relevant du domaine public.
Nous sommes défavorables au dispositif proposé.
Les artistes-auteurs sont des travailleurs indépendants, pas des salariés, ils exercent leur activité de création sans lien de subordination avec un employeur.
La rapporteure a noté par ailleurs la difficulté à déterminer les bénéficiaires du régime. Les artistes-auteurs qui vivent exclusivement de leur oeuvre ne sont pas nombreux. Créer une commission pour délivrer des attestations ne réglera pas le problème d'identification.
De plus, le coût de la mesure est incertain. Les besoins de financement sont appréciés de façon approximative, voire déséquilibrée, puisque le montant versé, de 85 % du Smic, serait disproportionné - le seuil de 300 heures travaillées, soit moins d'une heure par jour, étant bien moindre que pour tous les autres allocataires de l'assurance chômage.
Enfin, le financement du dispositif repose sur des hausses d'impôts auxquelles notre groupe ne peut qu'être défavorable.
Les organisations professionnelles d'artistes-auteurs redoutent la fragilisation de leur environnement.
La proposition de loi n'est accompagnée d'aucune étude d'impact. Or, certaines professions affrontent des difficultés, notamment de concurrence de l'IA, et certains diffuseurs n'auraient pas la capacité de prendre en charge la nouvelle contribution, qui pourrait même être répercutée in fine sur la rémunération des auteurs.
La rapporteure a proposé de solliciter les grands acteurs du numérique. Cette intention est compréhensible, puisqu'ils représentent une menace pour les auteurs, mais l'absence de cadre européen et la difficulté de mise en oeuvre empêchent de retenir cette option.
Il y a trop de risques et d'incertitudes : la réflexion doit se poursuivre avec l'ensemble des acteurs de la création. Nous serons attentifs à vos propositions, madame la ministre, car donner aux artistes-auteurs les moyens de créer, c'est donner à la culture issue de l'intelligence humaine les moyens d'exister. Le groupe Les Républicains ne votera pas cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
Présidence de M. Pierre Ouzoulias, vice-président
M. Martin Lévrier . - Les artistes-auteurs sont des acteurs essentiels de la vie culturelle ; ils contribuent à l'enrichissement de notre patrimoine. Dans son rapport de 2020, Bruno Racine a jugé leur apport « irremplaçable dans le regard de la société sur elle-même ou sur son temps ».
Être artiste-auteur, ce n'est pas exercer une profession comme une autre. Écrire un livre, produire une oeuvre musicale ou cinématographique demande du temps. Or ce travail de création n'est généralement pas rémunéré. Seule l'exploitation de l'oeuvre l'est. La disparité de revenus qui en résulte, associée à une protection sociale fragile, a entraîné une dégradation progressive de la situation de nombreux artistes-auteurs, pour beaucoup précaires.
Selon plusieurs rapports de la sécurité sociale des artistes-auteurs et de l'Urssaf Limousin, 60 % d'entre eux gagnent moins que le Smic et 3,4 % concentrent 48 % du revenu artistique global.
Nous partageons le constat de la rapporteure. Mais la solution proposée dans ce texte est-elle pour autant adaptée ? La création d'un revenu de continuité coûterait près de 800 millions d'euros et entraînerait une hausse importante de la contribution des diffuseurs, qui les déstabiliserait.
La solution proposée contrevient en outre à l'esprit même de l'assurance chômage, qui garantit un revenu en cas de perte involontaire d'un emploi. Or la discontinuité des revenus des artistes-auteurs est liée à l'absence de rémunération de leur travail et non à une telle perte.
La rapporteure a proposé de diversifier les sources de financement, mais sans réduire suffisamment le coût massif de la mesure.
Des solutions alternatives pourraient être envisagées, comme celle de la députée Camille Galliard-Minier, d'un compte personnel de création, sur le modèle du compte personnel de formation (CPF). Ce modèle flexible garantirait aux artistes-auteurs de gérer leur parcours de façon autonome.
L'enjeu est trop grand pour ne pas prendre le temps de la réflexion. Toutefois, nous saluons l'ambition de ce texte, sur un véritable enjeu. Une majorité du RDPI s'abstiendra.
Mme Sylvie Robert . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER et sur quelques travées du GEST) Un article du Monde de 1970 relate les tentatives de l'État suédois d'instaurer un salaire de travailleur de la culture. Plus récemment, l'Irlande a lancé une expérimentation établissant un revenu de base pour les artistes, dont les résultats sont encourageants et qui recueille le soutien massif de la population.
En 1975, lors de l'examen du projet de loi sur la sécurité sociale des artistes-auteurs, le rapporteur pour avis de la commission de la culture du Sénat estimait que cette sécurité sociale n'était qu'une première étape, qui n'assurait pas l'indépendance matérielle des artistes mais garantissait leur sécurité, comme pour les autres travailleurs - quoiqu'insuffisamment.
Je salue l'engagement constant de Monique de Marco en faveur des créateurs. Sa proposition de loi s'inscrit dans ce débat de long terme, ravivé par le rapport Racine de 2020, qui soulignait la paupérisation croissante des artistes-auteurs. Seuls 22,7 % des créateurs ont des revenus suffisants pour ouvrir pleinement leurs droits sociaux.
À l'échelle européenne, une prise de conscience émerge. En témoigne la résolution du Parlement européen du 21 novembre 2023 qui encourage les États membres qui ne l'ont pas encore fait à créer un statut spécifique des artistes, pour leur faciliter l'accès à une protection sociale adaptée.
L'argument selon lequel la création serait une économie de talent peut être légitime d'un point de vue entrepreneurial, mais entre en contradiction avec les objectifs de notre politique publique culturelle, car cette économie ne garantit aucunement la diversité culturelle et condamne les artistes-auteurs qui n'auraient pas rencontré leur public.
Sortons de la vision romantique de l'artiste-auteur vivant d'amour et d'eau fraîche à la lueur de sa bougie, qui freine toute action politique résolue en faveur des droits sociaux.
Une réforme du statut d'artiste-auteur est plus que jamais d'actualité. C'est en partie l'objectif de la proposition de loi que nous avons déposée avec Laure Darcos.
Si nous pouvons nous interroger sur les modalités techniques du revenu de remplacement du texte que nous examinons, ce dernier a le mérite de réactualiser un débat fondamental : quelle reconnaissance notre société accorde-t-elle aux artistes-auteurs ? Alors que l'IA générative est vouée à se généraliser, la réponse à cette question sera décisive et traduira notre vision du pacte qui lie les artistes à la société. Je remercie Laure Darcos, Agnès Evren et Pierre Ouzoulias d'avoir déposé une proposition de loi à ce propos.
Garantir la continuité de la rémunération des artistes-auteurs à l'ère de la démocratisation de l'IA est essentiel, pour prouver que la création demeure la preuve de la singularité humaine. Ne faisons pas de la création artistique un énième levier de spéculation.
Le groupe SER votera cette proposition de loi. Néanmoins, il faudra continuer à travailler. Je forme le voeu que l'ensemble des acteurs concernés convergent solidairement vers la reconnaissance et la protection des artistes-auteurs dans une société démocratique. (Applaudissements sur les travées du groupe SER et du GEST ; Mmes Silvana Silvani et Laure Darcos applaudissent également.)
Présidence de Mme Sylvie Robert, vice-présidente
Discussion des articles
Article 1er
Mme la présidente. - Amendement n°3 rectifié bis de Mme de Marco et alii.
Mme Monique de Marco. - Cet amendement réintroduit dans le code du travail l'article énumérant les sources de financement de l'assurance chômage.
Je ne peux pas accepter que l'on qualifie ce texte de démagogique. Nous avons démontré qu'il était possible de financer ces dispositifs, qui coûteraient entre 6 millions et 680 millions d'euros, notamment par la cotisation sur l'intelligence artificielle ou la cotisation sur le revenu artistique des oeuvres d'artistes morts. Les artistes-auteurs cotisent déjà à l'assurance chômage, via la CSG. Je ne comprends pas cette attaque.
Position de subordination, dites-vous ? Mais c'est le cas actuellement !
De multiples études sur la disparité entre les hommes et les femmes ont déjà été menées ; le rapport Racine en parlait déjà ! (Applaudissements sur les travées du GEST ; Mme Annie Le Houerou applaudit également.)
Mme Anne Souyris, rapporteure. - Avis favorable à cet amendement de précision légistique.
Mme Rachida Dati, ministre. - Avis défavorable, car nous sommes défavorables à ce texte.
L'amendement n°3 rectifié bis est adopté.
Mme la présidente. - Amendement n°4 rectifié de Mme de Marco et alii.
Mme Monique de Marco. - Cet amendement est né de l'idée de Victor Hugo d'une redevance perpétuelle sur le domaine public pour financer les jeunes auteurs. Ses mots restent d'actualité : « Rien ne serait plus utile, en effet, qu'une sorte de fonds commun, un capital considérable, des revenus solides, appliqués aux besoins de la littérature en continuelle voie de formation. »
Mme Anne Souyris, rapporteure. - Cet amendement favorise la solidarité intergénérationnelle chère à Victor Hugo. Dès que les oeuvres tombent dans le domaine public, l'argent qu'elles engendrent doit aller aux jeunes auteurs. La précarité était grande au XIXe siècle.
La commission a émis un avis défavorable, même si cette disposition a été instaurée en Italie dans les années 1960, ce qui montre que c'est possible.
Mme Rachida Dati, ministre. - Cet amendement crée une confusion entre les droits d'auteur et les droits voisins. En outre, la libre réutilisation des données publiques serait menacée. Avis défavorable.
L'amendement n°4 rectifié est adopté.
Mme la présidente. - Amendement n°5 rectifié bis de Mme de Marco et alii.
Mme Monique de Marco. - Je reviens à Victor Hugo... Notre siècle ne manque pas d'esprits éclairés : je pense à Laure Darcos, à Agnès Evren et à Pierre Ouzoulias, qui ont déposé une proposition de loi relative à l'intelligence artificielle. Cet amendement poursuit le même objectif : ceux qui exploitent les oeuvres via l'IA doivent contribuer à améliorer la situation des artistes-auteurs.
Nous proposons d'assimiler les entreprises de l'IA à des diffuseurs et de les contraindre à s'acquitter d'une cotisation pour financer le revenu de remplacement.
Mme Anne Souyris, rapporteure. - Des cotisations sont perçues lorsqu'une oeuvre est produite par un être humain, mais pas quand elle l'est par l'IA. Comme les artistes morts, les machines doivent financer la création vivante.
Cet amendement est fondé. Toutefois, la commission y a émis un avis défavorable.
Mme Rachida Dati, ministre. - Les ayants droit demandent plutôt qu'on leur verse leurs droits d'auteur ! (M. Francis Szpiner renchérit.) J'ai lancé des négociations entre les fournisseurs d'IA et les ayants droit. Si celles-ci ne progressent pas assez vite, j'ai proposé que nous passions par la loi. Avis défavorable.
Mme Laure Darcos. - Merci à Monique de Marco d'avoir cité notre proposition de loi. Une fois que les opérateurs d'IA ont moissonné les données, il n'y en a plus trace. Voilà pourquoi nous voulons inverser la charge de la preuve.
Cela dit, il faut faire attention à nos champions nationaux tels que Mistral. Les Gafam ne paieront pas, et nos champions, eux, n'utiliseront plus les contenus européens, pourtant sûrement de meilleure qualité, et seront désespérés de ces taxes supplémentaires.
L'amendement n°5 rectifié bis est adopté.
Mme la présidente. - Amendement n°6 rectifié de Mme de Marco et alii.
Mme Monique de Marco. - Je persiste, toujours, avec Victor Hugo. Cet amendement, corollaire de l'amendement n°4 rectifié, instaure une contribution des ayants droit, héritiers des artistes morts. En 1878, l'auteur des Misérables justifiait déjà ce principe, expliquant que l'héritier ne fait ni le livre ni son succès. Il n'y a que deux intéressés véritables : l'écrivain et la société. L'intérêt de l'héritier doit être respecté, mais il passe après celui de la société.
Aussi, nous proposons que les héritiers contribuent au financement du revenu de remplacement.
Mme Anne Souyris, rapporteure. - Voici une piste intéressante : difficile de dire que cela nuit à la production artistique, puisque l'amendement porte sur les seuls héritiers.
La commission a émis un avis défavorable à cet amendement.
Mme Rachida Dati, ministre. - L'objectif est louable. Toutefois, avis défavorable, par cohérence.
L'amendement n°6 rectifié est adopté.
À la demande du groupe Les Républicains, l'article 1er est mis aux voix par scrutin public.
Mme la présidente. - Voici le résultat du scrutin n°131 :
| Nombre de votants | 342 |
| Nombre de suffrages exprimés | 322 |
| Pour l'adoption | 116 |
| Contre | 206 |
L'article 1er n'est pas adopté.
Article 2
Mme la présidente. - Amendement n°7 rectifié de Mme de Marco et alii.
Mme Monique de Marco. - Cet amendement renforce la place du dialogue social. Les calculs de la rapporteure ont conduit à une fourchette d'estimation des coûts entre 680 millions et 6 millions d'euros, selon plusieurs scénarios de financement et de seuils de déclenchement.
Plusieurs organisations professionnelles proposent un seuil à 600 heures. Une commission indépendante pourrait être mise en place, comme en Belgique.
Mme Anne Souyris, rapporteure. - Cet amendement prend en compte les remarques de l'Unédic. Les critères d'éligibilité au revenu de remplacement doivent faire l'objet d'un dialogue social. Les montants varient selon le seuil d'heures retenu. Mais les surcoûts sont largement compensés par les compléments de ressources que nous avons proposés.
La commission a émis un avis défavorable.
Mme Rachida Dati, ministre. - La mission d'inspection que j'ai annoncée pourra formuler des propositions plus équilibrées. Avis défavorable.
L'amendement n°7 rectifié est adopté.
Mme la présidente. - Amendement n°8 rectifié bis de Mme de Marco et alii.
Mme Monique de Marco. - Le revenu de remplacement ne se substituera pas aux droits d'auteur ou à la rémunération versée par les diffuseurs. Il ne serait versé que dans la période où l'artiste ne touche pas de revenus, mais n'est pas inactif pour autant puisqu'il se consacre à la recherche artistique. Le revenu de remplacement le sécuriserait.
Mme Anne Souyris, rapporteure. - La commission n'a pas eu le temps d'examiner cet amendement, d'abord déclaré irrecevable au titre de l'article 40 de la Constitution. Il est bienvenu, puisqu'il s'inscrit dans une logique de responsabilisation des artistes-auteurs. Avis favorable, à titre personnel.
Mme Rachida Dati, ministre. - Avis défavorable.
L'amendement n°8 rectifié bis est adopté.
Mme la présidente. - Amendement n°9 rectifié de Mme de Marco.
Mme Monique de Marco. - Cet amendement s'inspire des dispositions applicables aux intermittents du spectacle. Il faut renforcer la place des partenaires sociaux dans la gouvernance. Les accords spécifiques prévus seront pris au sein de l'Unédic par des représentants des artistes-auteurs et de leurs diffuseurs. Les accords s'articuleront avec les accords nationaux interprofessionnels (ANI) pilotant l'assurance chômage. Cet amendement prévoit les conditions de l'alignement de la trajectoire financière donnée aux représentants des artistes et de leurs diffuseurs sur la trajectoire financière imposée au niveau interprofessionnel, afin que les artistes-auteurs ne puissent servir de variable d'ajustement.
Mme Anne Souyris, rapporteure. - Cet amendement détaille la procédure de définition des règles spécifiques applicables aux artistes-auteurs. La commission a émis un avis défavorable à cet amendement, par cohérence. Toutefois, j'estime à titre personnel que cet amendement renforce le paritarisme. Je le voterai, donc.
Mme Rachida Dati, ministre. - Avis défavorable.
L'amendement n°9 rectifié est adopté.
Mme la présidente. - Amendement n°10 rectifié de Mme de Marco et alii.
Mme Monique de Marco. - Les diffuseurs d'artistes-auteurs bénéficient de charges allégées : c'est une niche sociale. Évitons les effets d'aubaine pour les personnes en situation de subordination salariale, comme les livreurs.
Mme Anne Souyris, rapporteure. - Avis défavorable de la commission. À titre personnel, je voterai cet amendement de bon sens qui ne modifie pas les relations contractuelles entre les artistes-auteurs et les diffuseurs.
Mme Rachida Dati, ministre. - Avis défavorable.
L'amendement n°10 rectifié est adopté.
Mme la présidente. - Si l'article 2 n'était pas adopté, je considérerais que le vote est le même pour l'article 3, qui n'aurait plus d'objet. Il n'y aurait alors plus de texte. Venons-en donc dès à présent aux explications de vote sur l'ensemble.
M. Guillaume Gontard. - Hélas, la suite est connue... J'en suis désolé, car tout le monde s'accorde sur le besoin de protection supplémentaire que l'on doit aux artistes-auteurs.
La proposition de loi de Monique de Marco, qui répond à cet objectif, a fait l'objet d'une ferveur populaire : voyez la mobilisation devant le théâtre de l'Odéon.
Je déplore les votes et le spectacle donné ici : la plupart des travées sont vides. Dommage d'avoir recours aux scrutins publics... Nous aurions aimé débattre. (Applaudissements sur les travées du GEST ; Mme Annie Le Houerou applaudit également.)
M. Patrick Kanner. - Rappel au règlement sur le fondement de l'article 32 du règlement du Sénat.
Une expression populaire évoque le violon : oui, nous allons pisser dans un violon.
M. Francis Szpiner. - Il y a de l'art partout !
M. Patrick Kanner. - La droite sénatoriale, absente, utilise les scrutins publics pour empêcher la gauche de mener à bien les débats. Ce procédé va annihiler la position majoritaire aujourd'hui. Au moins pourriez-vous justifier votre position...
M. Francis Szpiner. - Je peux le faire.
M. Patrick Kanner. - Mme la ministre s'est exprimée lors de la discussion générale, mais elle s'est ensuite contentée d'un mot : « défavorable ».
La belle initiative de Mme de Marco se termine en mascarade : ce n'est pas à l'honneur de notre assemblée. (Applaudissements sur les travées du GEST et du groupe SER)
Acte en est donné.
Mme Sonia de La Provôté. - Connaissant la suite des événements, je voulais remercier Mme de Marco d'avoir rendu possible cet échange. Ce sujet est essentiel pour notre démocratie et le fonctionnement de notre pays. Il y va de la diversité de la création.
J'ai cosigné cette proposition de loi, même si elle n'est pas exempte de défauts, car je suis solidaire de la démarche : le sujet doit avancer. Une mission d'inspection est lancée. Il faut accélérer pour trouver des solutions. La culture doit être au premier plan. (Applaudissements sur les travées du GEST et du groupe SER)
Mme Laure Darcos. - Vous reconnaîtrez qu'il est un peu paradoxal que ce texte ait été examiné par la commission des affaires sociales, qui ne connaît pas grand-chose au monde de la culture... (Protestations sur les travées du GEST et du groupe SER) Pardonnez-moi ! Mais reconnaissons que le sujet est très technique.
Les membres de la commission de la culture n'ont même pas été invités à assister aux auditions, alors qu'ils se sont battus sur ce sujet. Mme la ministre a fait des annonces, nous veillerons à ce qu'elles soient suivies d'effets.
Toutefois, au regard de la situation budgétaire actuelle, nous voterons contre cette proposition de loi.
Par ailleurs, il est totalement contre-productif de recevoir autant de courriels, qui sont autant de pressions exercées par des personnes que je ne connais pas : 300 courriels, je n'ai jamais vu autant d'artistes-auteurs en Essonne !
M. Francis Szpiner. - (Exclamations à gauche) Monsieur Kanner, ...
M. Michel Canévet. - La parole est à la défense !
M. Daniel Salmon. - La droite est là !
M. Francis Szpiner. - ... vous vouliez connaître l'avis de la droite sénatoriale. Il suffisait d'assister aux débats de la commission, qui ont été riches. (Protestations sur les travées du GEST et du groupe SER)
Mme Gruny a très bien exprimé notre point de vue. Ce sujet est complexe, avec des éléments très techniques. Or son traitement n'est pas satisfaisant : qui sera éligible, pendant combien de temps ? Nul ne le sait. Des héritiers touchent des droits d'auteur, paient aussi des impôts, et iraient payer deux fois. L'enfer est souvent pavé de bonnes intentions. Vous avez accaparé Victor Hugo et l'avez mis à toutes les sauces ; mais vous ne lui devez pas de droits d'auteur, rassurez-vous : il est mort !
L'IA n'a rien inventé, le plagiat existe depuis longtemps. La Fontaine ne s'est pas vu réclamer des droits d'auteur par les héritiers d'Ésope.
Ce sujet complexe mérite un débat approfondi. Ce texte est flou et, sur beaucoup de sujets, complètement à côté de la plaque. (M. Pierre Cuypers applaudit.)
Mme Jocelyne Guidez. - J'ai déposé deux propositions de loi, sur les aidants familiaux et les troubles du neurodéveloppement ; lors de leur examen dans l'hémicycle, chers collègues de gauche, vous n'étiez pas bien nombreux non plus... Cessons donc de nous jeter la pierre.
Oui, madame de Marco, il faudra avancer. Mais votre texte est trop flou. Nous ne savons pas combien coûteront ces mesures.
Mme Monique de Marco. - Je vais changer d'auteur... Anatole France, prix Nobel de la littérature, était commis à la bibliothèque du Sénat pour financer son travail... (M. Michel Canévet le confirme.)
Monsieur Szpiner, mon texte concerne les artistes-auteurs pour lesquels la création est l'activité principale.
La commission de la culture n'a pas été saisie de ce sujet. Vos collègues du groupe Les Républicains, notamment vos deux collègues cosignataires de cette proposition de loi, n'ont pas pu s'exprimer.
Madame la ministre, nous sommes en retard. Des recommandations européennes sur la situation sociale des artistes-auteurs demandent à ce que l'on réfléchisse à la mise en place d'un revenu de remplacement. La Belgique et l'Irlande ont instauré une continuité de revenu. Et la France, exception culturelle, pays des Lumières, serait en retard ?
Pourrons-nous travailler ensemble sur ce sujet ? Si vous avez reçu plus de 300 mails, madame Darcos, c'est qu'il y a une attente ! (Applaudissements sur les travées du GEST et sur plusieurs travées du groupe SER)
Mme Raymonde Poncet Monge. - J'appartiens à la commission des affaires sociales. Le débat aurait dû s'y tenir, or les discussions ont été réduites. Ce n'était pas la bonne commission.
Madame Guidez, nous étions présentes lors de l'examen de vos textes. Je n'ai jamais vu la gauche demander un scrutin public en raison du manque de sénateurs présents.
Lors de l'examen de la mission d'outre-tombe... (On s'en amuse sur plusieurs travées.) Outre-mer, je veux dire ! Moi aussi, j'ai des références culturelles. (Sourires)
M. Francis Szpiner. - Chateaubriand, sors de ce corps !
Mme Raymonde Poncet Monge. - Lors de l'examen de cette mission, donc, vous avez usé et abusé des scrutins publics. Combien cela est dévalorisant ! En général, nous sommes présents lors de l'examen de vos textes et nous débattons. Nous participons à la démocratie parlementaire. (Applaudissements sur les travées du GEST)
Mme Rachida Dati, ministre. - Je suis sensible à vos arguments, madame de Marco. Le ministère travaille sur ce sujet ; il est important, M. Kanner a raison. La démocratisation de la culture passe aussi par la démocratisation de l'accès aux métiers de la culture, surtout à une époque où les atteintes à la création se multiplient. Notre responsabilité est de soutenir les artistes-auteurs pour qu'ils puissent créer dans de bonnes conditions.
C'est tout l'intérêt de la mission interinspections, qui fera des propositions et reprendra certains de vos travaux, madame la sénatrice. En outre, l'article 5 du PLFSS réforme la sécurité sociale des artistes-auteurs. Avançons ensemble.
À la demande du groupe Les Républicains, l'article 2 est mis aux voix par scrutin public.
Mme la présidente. - Voici le résultat du scrutin n°132 :
| Nombre de votants | 342 |
| Nombre de suffrages exprimés | 324 |
| Pour l'adoption | 118 |
| Contre | 206 |
L'article 2 n'est pas adopté.
L'article 3 n'est pas adopté.
En conséquence, la proposition de loi n'est pas adoptée.