5. Une nouvelle culture de performance

a) La promotion d'une culture de résultats

Le présent projet de loi prévoit d'accroître de 5,6 milliards d'euros les moyens consacrés aux forces de sécurité intérieure au cours des cinq prochaines années. Cependant, il convenait également de prendre les mesures nécessaires pour que cet argent soit dépensé de manière optimale au service de nos concitoyens. Le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales a rappelé à plusieurs reprises qu'il savait qu'il serait jugé sur ses résultats. Il a indiqué avec force, lors de la discussion du présent projet de loi à l'Assemblée nationale, le 16 juillet, que « les moyens que nous mobilisons doivent avoir pour contrepartie l'engagement sans faille de chaque fonctionnaire. Dans cet esprit, nous allons publier mensuellement les chiffres de la délinquance. Ces résultats nationaux seront répartis par département ; chaque élu saura ainsi ce qu'il en est. Toutes ces mesures signent une révolution des mentalités, que les policiers et les gendarmes ont parfaitement intégrée. Nous sommes au service des Français, nous leur rendons des comptes et nous serons jugés sur nos performances. Cela me paraît être la définition même du service public justement parce qu'il est au service du public - on l'a trop oublié dans le passé - ».

Il s'agit donc, au delà des moyens financiers et juridiques qui leur sont accordés, de transformer la culture des forces de sécurité . Le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales indiquait d'ailleurs un peu plus loin, lors de son discours devant l'Assemblée nationale, qu' « il ne s'agira pas cette fois d'engloutir dans un nouveau tonneau des Danaïdes argents et effectifs, sans rien réformer des structures obsolètes ». Enfin, il terminait son discours en rappelant : « nous serons jugés sur nos résultats. Cette obligation de résultat s'impose au dernier des gardiens de la paix ; elle s'impose à moi au premier chef ».

La culture de performance et des résultats constitue un bouleversement essentiel pour l'ensemble de la fonction publique, annoncé par la loi organique relative aux lois de finances du 1 er août 2001. Pour les forces de sécurité, il s'agit d'inaugurer une nouvelle ère. Il est normal que la culture des résultats s'impose au premier lieu aux forces de sécurité, car l'attente de nos concitoyens est grande, et les résultats - bons ou mauvais - de la politique de lutte contre l'insécurité se lisent chaque jour dans les journaux, mais se constatent également dans les quartiers.

Votre rapporteur insiste sur le fait que l'accroissement des crédits consacrés aux forces de sécurité intérieure implique que tout soit mis en oeuvre pour les dépenser de la manière la plus efficiente possible. Il encourage donc vivement le ministère de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales à réformer ses méthodes de gestion, en rappelant que la mise en oeuvre du projet informatique interministériel ACCORD, dont le ministère de l'intérieur est le pilote, permettra une simplification du traitement de la dépense. Ce système permettra également, à terme, la mise en oeuvre d'une comptabilité analytique, donnant ainsi des indications précieuses quant à l'emploi des moyens et le coût des différentes missions assignées aux forces de sécurité intérieure, afin de constituer un outil de pilotage performant pour les gestionnaires.

La démarche engagée par le présent projet de loi est pragmatique, et ne s'embarrasse pas de considérations idéologiques : le mal qui ronge notre pays exige que les remèdes soient testés, sans sombrer dans l'excès, mais également sans tabou. Une telle démarche ne peut se départir d'une évaluation régulière des résultats obtenus . A cet égard, l'article 5 du présent projet de loi, tel que modifié par notre collègue député M. Alain Joyandet, répond pleinement à cet impératif.

b) L'incitation à la performance

L'instauration d'une culture de résultats au sein des forces chargées de la sécurité intérieure nécessite la mise en place de mécanismes incitatifs. L'annexe I au présent projet de loi note qu' « une politique de gestion par objectifs sera instaurée. Les résultats obtenus en matière de lutte contre l'insécurité seront régulièrement évalués et comparés aux objectifs fixés. Les responsables locaux de la police et de la gendarmerie rendront compte de ces résultats, chacun pour ce qui les concerne, et il en sera tenu compte dans leur progression de carrière. (...) Des pouvoirs de gestion accrus seront transférés aux gestionnaires déconcentrés, soit à titre expérimental, soit à titre définitif. Ils s'appuieront, notamment, sur une plus grande globalisation des moyens (...). Ces nouveaux pouvoirs de gestion s'accompagneront d'une responsabilisation accrue des gestionnaires : à ce titre, le dialogue de gestion sera rénové entre le niveau central et les niveaux déconcentrés, et des outils de contrôle seront mis en place. (...) Dans les deux services l'accent sera mis sur un management des ressources humaines qui engage fortement la hiérarchie, en permettant la participation des agents à la détermination des objectifs comme aux méthodes de travail ».

Il est notamment prévu que des primes soient versées aux personnels selon les résultats obtenus, afin d' inciter financièrement les personnels à améliorer la performance de leurs actions . Votre rapporteur pour avis précise cependant que ces « primes de performance » ne seront pas versées en fonction d'une évaluation individuelle des fonctionnaires, mais de celle de l'ensemble d'un service pour mettre en avant l'esprit d'équipe. Il insiste également sur l'importance qu'il y a, pour faire accepter pleinement une telle mesure, de déterminer une batterie d'indicateurs fiables mesurant selon des critères incontestables la performance des services. Il s'agit en effet d'une part, de définir des indicateurs acceptés par tous, et, d'autre part, d'éviter que les fonctionnaires concentrent leur effort pour atteindre un objectif particulier, éventuellement au détriment d'autres missions. Ainsi, il est évident que l'évaluation de la performance des services ne peut être directement liée aux chiffres de la délinquance. Lesdits services pourraient être tentés de « casser le thermomètre », c'est-à-dire de déformer la réalité. Votre rapporteur pour avis considère donc que la mise en oeuvre de dispositions incitatives à la performance doit être précédée par une réflexion sur les missions des différents services, menée en concertation avec ces derniers.

La lutte contre le crime et la réforme de la police : l'exemple de New York

Votre rapporteur pour avis souscrit pleinement à la volonté du gouvernement de prendre à bras le corps le problème de l'insécurité dans notre pays, considérant que ce problème n'est pas une fatalité. Quelques exemples montrent qu'une lutte efficace peut être menée contre la délinquance. L'action menée dans la ville de New York au cours des années 1990 en constitue un symbole emblématique, dont il convient de rappeler les grandes lignes. La politique menée dans la ville de New York, sous le mandat du maire Rudolph Giuliani, n'a pas été seulement une politique de « tolérance zéro », mais une politique globale et déterminée de lutte contre la délinquance et le crime, mobilisant l'ensemble des moyens et faisant appel à des solutions innovantes.

En 1993, lorsque Rudolph Giuliani est élu maire de la ville, le nombre de délits majeurs et de crimes atteint un sommet à New York, alors que le moral de la police est au plus bas. Rudolph Giuliani, candidat républicain, est élu dans une ville traditionnellement démocrate, sur un programme prônant une lutte sans merci contre le crime et l'insécurité qui y règne. A une autre échelle, cette situation présente donc quelques similitude avec la situation de notre pays aujourd'hui, cependant votre rapporteur pour avis relève que la police de New York était confrontée à un problème majeur de corruption, qui entraînait une absence d'implication de la police et une image très dégradée auprès de la population, ce que ne connaît pas notre pays.

Un des éléments majeur et primordial de la politique contre l'insécurité menée à New York est la théorie de la « tolérance zéro », qui consiste à sanctionner tous les délits, partant du principe qu'un petit délit peut parfois en masquer un autre plus important. Cette politique n'a pas conduit à remettre en cause la législation existante, mais s'est fondée sur une application très stricte du droit. Un changement de la législation a cependant été opéré afin d'étendre la notion de complicité, en particulier dans le domaine de la prostitution et du trafic de stupéfiant.

Chaque type de problème a reçu une réponse spécifique, avec des moyens adaptés : la politique de « tolérance zéro » n'a constitué que le support d'une réponse globale au développement de l'insécurité. A titre d'exemple, le maire de New York a souhaité rétablir la sécurité dans le métro. La méthode employée a sollicité plusieurs type d'actions : par exemple, les contrôles pour éviter la fraude ont été massivement développés, et les sanctions, alourdies et appliquées de manière très stricte (interpellation en public des fraudeurs, amende de 100 dollars avec comparution devant le juge et, le cas échéant, emprisonnement pour deux à trois jours en cas de récidive, arrestation du contrevenant y compris à son bureau pour l'obliger à payer sa contravention...). Afin de limiter les graffitis ou « tags » qui contribuaient à dégrader l'environnement et à accroître le sentiment d'insécurité des usagers du métro, l'action n'a pas seulement porté sur la répression, mais également sur l'intendance : les rames de métro « taggées » ont été nettoyées immédiatement et de manière systématique afin de décourager les auteurs de ces graffitis. Cette expérience s'est inspirée de la théorie de la « fenêtre cassée » développée par deux professeurs de sociologie de Harvard, George Kelling et James Wilson. Ils avaient constaté que les immeubles rapidement réparés à la suite de bris de vitres subissaient beaucoup moins de dégradations que ceux qui n'étaient jamais réparés à la suite d'actes de vandalisme. Cette théorie, dont votre rapporteur souligne la richesse des enseignements, a pleinement porté ses fruits s'agissant du métro de New York.

Pour ce qui concerne les moyens et les procédures mis en oeuvre par la police de New York, il convient d'en souligner les principales caractéristiques : grâce aux nouvelles technologies de l'information et de la communication, la police a développé un système permettant, une analyse fine et en temps réel de l'évolution de la délinquance, de la criminalité et de la performance des forces de police : les dirigeants de la police et le maire de la ville peuvent ainsi disposer de statistiques très fiables et suivre très précisément l'action des différentes unités de police, pour promouvoir ou sanctionner les responsables des unités en fonction de leurs résultats. Cet outil a permis également de redéployer les moyens nécessaires pour mieux lutter contre la délinquance et la criminalité, et de déterminer les méthodes de travail et d'intervention les plus appropriées à chaque type d'intervention.

Sébastian Roché rappelle ainsi, au sujet de la réforme de la police de New York, « qu'il s'est en fait agi de remettre la police au travail. D'abord, en rompant avec la passivité (...). Ensuite, en luttant contre la corruption policière, endémique au NYPD (New York Police Department) (...). Mais aussi en s'attaquant au commerce de drogue à découvert ; la police recensait 8.000 points de vente en 1990. Enfin, en responsabilisant les policiers et en territorialisant ou décentralisant leur action. Les chefs de brigades ou des districts doivent présenter des résultats, ils sont sommés de gérer leur zone comme une entreprise, en veillant à toute évolution de leur clientèle. Ainsi, par exemple, ils ferment les rues et bloquent le trafic de drogue ; lorsque les trafiquants changent de rue, l'opération est renouvelée. Et ce aussi souvent que nécessaire. Ils sont félicités publiquement et promus s'ils obtiennent des résultats. La « mise au placard » les attend dans le cas contraire. Plus des deux tiers des responsables de zone ont été promus ou rétrogradés dans les deux premières années . La délinquance a diminué alors rapidement pour tous les types de crimes, y compris les plus violents, les homicides, faisant retrouver à la ville ses taux des années 60 (en passant de plus de 2.000 meurtres annuellement à environ 600), soit la situation d'avant l'épidémie de meurtres qui devait durer plus de vingt ans » 11 ( * ) .

Votre rapporteur pour avis souligne que le budget consacré à la lutte contre l'insécurité a représenté jusqu'à plus d'un quart de la dépense totale de la ville. Près de 10.000 policiers ont été recrutés (ce qui correspondait au nombre de postes supprimés au cours des années 1980), dont il convient par ailleurs de rappeler que leur rémunération est sensiblement supérieure à celle des policiers français.

Enfin, la lutte contre l'insécurité a reposé sur une meilleure coordination entre la police et la justice. Un tribunal spécial a été chargé du traitement des infractions mineures dans des délais très brefs, en privilégiant une action de réparation (remboursement correspondant au préjudice causé, peines alternatives à la prison de type « travaux d'intérêt général »). Par ailleurs, afin de limiter les risques de récidive, ce tribunal peut aider l'accusé à résoudre ses problèmes d'éducation, de logement, d'emploi...

Cette politique a obtenu des résultats particulièrement significatifs, le nombre de crimes étant passé, sur une période de cinq années, de 1927 en 1993 à 629 en 1998, tandis que la délinquance a diminué de plus de 40 % dans tous les quartiers de New York. Or, alors que le nombre de crimes et délits a considérablement diminué, le nombre d'arrestations a peu évolué, ce qui souligne les progrès de la police en terme d'efficacité. La réorganisation de la police, la formation du personnel, ses conditions de travail de manière générale et le contrôle et l'évaluation permanente ont largement contribué à ces résultats. Ils ont été atteints parce qu'il existait une obligation politique, mais également à chaque échelon de l'administration, une obligation de résultats.

Votre rapporteur pour avis souligne la détermination et la rigueur qui a prévalu dans l'application de la politique de sécurisation à New York. Il se félicite que certaines des dispositions du présent projet de loi d'orientation et de programmation pour la sécurité intérieure s'inspire des meilleurs exemples étrangers et souhaite rappeler que la réussite d'une politique de lutte contre la délinquance et la criminalité passe par :

- une meilleure coordination et une mobilisation de l'ensemble des acteurs publics concernés par le problème de l'insécurité, notamment entre l'éducation, la justice et la police et la gendarmerie ;

- une mobilisation des personnels autour d'objectifs de performance et un souci constant de l'efficacité des services ;

- une approche pragmatique mais ferme et sans tabou des différentes manifestations de la délinquance.

* 11 In Les Cahiers français n° 308 : Etat, société, délinquance - Les politiques de sécurité : la politique de « tolérance zéro »  et ses controverses, Sébastian Roché, p. 73.

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