B. LA NÉCESSITÉ DE S'ALLIER

1. L'impératif de la diversification de l'offre de gaz

Gaz de France privilégie les contrats de fourniture de gaz à long terme. Le schéma ci-après indique ses sources d'approvisionnement pour l'année 2005 :

Source : Gaz de France

Il apparaît donc que 41 % du gaz importé par Gaz de France provient de Russie et d'Algérie , ce qui correspond d'ailleurs à peu près à la moyenne européenne. Or, en cette matière, non seulement la diversification est en soi un facteur clé de sécurité et de compétitivité, mais une trop grande dépendance à l'égard de ces deux pays peut poser un problème géostratégique .

a) Le problème de la Russie

En premier lieu, des questions se posent quant à la capacité de la Russie à répondre, à moyen et à long termes, à l'accroissement de la demande de l'Europe , qui devrait doubler ses importations d'ici à 2020.

En effet, un risque existe, principalement pour des raisons techniques : afin de respecter ses contrats existants, la société d'Etat Gazprom devrait réaliser des investissements massifs en exploration et en production. Or, comme l'a regretté l'Agence internationale de l'énergie en juillet 2006, cette entreprise n'investit pas en conséquence et préfère optimiser ses champs existants sur le long terme. Cette analyse avait été corroborée par un rapport très détaillé de la banque d'investissement UBS, qui situait vers 2010 le risque de compression des exportations de gaz vers l'Europe.

Le problème pourrait même survenir plus tôt pour des raisons politiques, la Russie ayant montré, par exemple en Ukraine l'hiver 2005, qu'elle était susceptible d'utiliser ses livraisons de gaz comme moyen de pression diplomatique. A cet égard, des « messages » ont été envoyés dans le courant de l'été. M. Guerman Gref, ministre russe de l'économie, a ainsi déclaré en Conseil des ministres le 17 août 2006, que le marché intérieur de la Russie aurait « besoin de 26 à 27 milliards de mètres cubes de gaz, [...], les prévisions n'indiquant qu'une hausse de 21 milliards de mètres cubes [de la production] ». Son ministère a ainsi prévu que les exportations de gaz russe s'élèveraient à environ 200 milliards de mètres cubes en 2006, contre 207 milliards en 2005. La baisse devrait se poursuivre en 2007, les prévisions s'élevant à 193 milliards de mètres cubes, la Russie ne pouvant guère se permettre de tension sur son marché intérieur à l'approche de l'élection présidentielle. Or, selon les contrats à long terme signés avec l'Europe, les livraisons de gaz russe devraient, à l'inverse, augmenter de 5 à 6 milliards de mètres cubes par an.

Malgré les assurances données à ce sujet par M. Vladimir Poutine, président de la Fédération de Russie, lors du sommet franco-germano-russe de Compiègne le 23 septembre 2006, des questions se posent donc quant aux conditions dans lesquelles ces contrats pourront être respectés.

b) L'accord russo-algérien, prélude de la constitution d'un cartel des fournisseurs de gaz à destination de l'Europe ?

Dans ce contexte tendu, les sociétés russe Gazprom et algérienne Sonatrach ont signé à Moscou, le 4 août 2006, un mémorandum portant sur la possibilité d'échanger des actifs et des savoir-faire dans le domaine de l'exploration et de la production de gaz, de créer des co-entreprises, de participer ensemble à des développements gaziers internationaux (y compris dans le domaine du gaz naturel liquéfié) et d'optimiser leur offre de gaz sur le marché international.

Cet accord, à tonalité très politique et dont la vocation semble « offensive », pourrait rendre plus délicat l'approvisionnement de l'Europe en gaz. S'il aboutissait à la constitution d'un cartel entre la Russie et l'Algérie, plus d'un tiers des importations gazières européennes (et de Gaz de France) dépendrait, dans les faits, d'entreprises agissant de façon concertée.

Une telle situation comporterait, en l'état actuel des choses, des risques sérieux pour la France en général, et pour la société Gaz de France en particulier.

2. Les restructurations du secteur de la distribution d'énergie en Europe

Poussés par la libéralisation des marchés de l'énergie en Europe, les principaux distributeurs d'énergie continentaux se sont engagés dans des opérations d'alliances ou d'achats d'opérateurs , sur leur territoire et en dehors.

C'est ainsi qu'en septembre 2005, la première entreprise gazière espagnole, Gas natural, a lancé une offre publique d'achat hostile sur son compatriote électricien Endesa, pour un montant de 21,3 milliards d'euros. Cette opération a suscité, en février 2006, une contre-offre du groupe énergétique allemand E.ON, pour 29,1 milliards d'euros, qui n'a toujours pas abouti pour l'instant. La volonté du groupe italien Enel, exprimée en février 2006, d'acquérir une participation au sein d'Electrabel, filiale énergétique belge de Suez, entrait dans la même logique, que l'on peut résumer en trois points :

- la conquête de nouveaux marchés, qu'il s'agisse de nouveaux produits ou de nouvelles zones géographiques ;

- la sécurisation des approvisionnements, passant par une diversification des fournisseurs et des sources d'énergie ;

- l'offre de nouveaux produits et services aux clients finals, en leur permettant notamment de bénéficier de la « convergence gaz - électricité ».

EDF poursuit la même stratégie, ce qu'illustrent aussi bien ses nombreuses prises de participations à l'étranger (EnBW en Allemagne, Seeboard au Royaume-Uni, Montedison en Italie...) que sa volonté de proposer une offre de gaz à ses clients français dès l'ouverture du marché, en juillet 2007.

En raison de sa taille moyenne, Gaz de France ne saurait donc rester à l'écart de ces mouvements de concentration et de réorganisation stratégique, sous peine de marginalisation à moyen terme .

Telle est d'ailleurs la conviction de longue date de votre rapporteur pour avis, qui avait déjà défendu, le 8 juillet 2004, en tant que rapporteur pour avis de la commission des finances 3 ( * ) , un amendement au projet de loi relatif au service public de l'électricité et du gaz et aux entreprises électriques et gazières 4 ( * ) , tendant à ce que Gaz de France soit transformé en société dont l'Etat détienne plus de 50 % du capital (au lieu de 70 %). Au cours du même débat, notre collègue Valérie Létard avait, au nom de son groupe, défendu un amendement similaire, rappelant que, n'ayant à l'inverse d'EDF que peu de fonction de production, Gaz de France avait « surtout besoin d'importants apports en capitaux, afin de poursuivre sa croissance sur les marchés européens et étrangers en nouant des alliances stratégiques avec d'autres grands opérateurs ». Elle avait également souligné dans son propos que l'engagement du ministre d'Etat, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie de l'époque de ne pas faire baisser la participation de l'Etat en dessous de 70 % du capital n'avait porté explicitement que sur la société EDF.

* 3 Rapport pour avis précité n° 400 (2003-2004) de M. Philippe Marini.

* 4 Ce projet de loi, adopté par le Parlement, est devenu la loi n° 2004-803 du 9 août 2004.

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