B. LA PROPOSITION DE LOI N° 700 DÉPOSÉE AU SÉNAT PAR M. PHILIPPE BAS

Parallèlement, M. Philippe Bas, président de la commission des lois, rapporteur du projet de loi relative au renseignement au nom de cette commission, a déposé un texte très proche 7 ( * ) le 21 septembre 2015. Cette démarche procède d'une double finalité : permettre au Conseil d'Etat d'être saisi pour avis et procéder à des ajustements techniques.

1. La saisine et l'avis du Conseil d'Etat

Si le Conseil d'Etat est automatiquement saisi pour avis des projets de loi avant leur adoption en Conseil des ministres en application de l'article 39 alinéa 2 de la Constitution, cette saisine n'est pas obligatoire pour les propositions de loi. Le cinquième alinéa de l'article 39 donne néanmoins cette faculté au président d'une assemblée avant son examen en commission pour une proposition de loi déposée par l'un des membres de cette assemblée, sauf si ce dernier s'y oppose. C'est ainsi que le Président du Sénat, Gérard Larcher a, par lettre en date du 22 septembre 2015 8 ( * ) , saisi le Conseil d'Etat d'une demande d'avis sur la proposition de loi n° 700 déposée par M. Philippe Bas.

Dans son avis rendu en assemblée générale le 15 octobre 2015, le Conseil d'Etat observe en premier lieu que « de nombreuses garanties, qui devaient initialement figurer dans un décret en Conseil d'Etat, sont désormais déterminées dans la loi elle-même » et que celle-ci répond « ce faisant, aux exgences qui découlent de la décision du conseil constitutionnel du 23 juillet 2015, et en particulier, de son § 78 en ce qui concerne la compétence du Parlement ».

Il estime que les différences subtantielles instituées par le texte par rapport au régime de surveillance des communications nationales sont « justifiées à la fois par la différence de situation entre les personnes résidant sur le territoire français et celles résidant à l'étranger, par la différence corrélative des techniques de surveillance qui doivent être employées, ainsi que par la nature propre des missions de surveillance qui sont exercées à l'étranger ». Il observe d'ailleurs que « ce régime assortit la surveillance internationale de nombreuses conditions et garanties » et considère dans ces conditions que « la proposition de loi assure, sur le plan constitutionnel, une conciliation qui n'est pas manifestement déséquilibrée entre, d'une part, les nécessités propres aux objectifs poursuivis, notamment celui de la protection de la sécurité nationale, et d'autre part, le respect de la vie privée et le secret des correspondances protégés par les articles 2 et 4 de la déclaration des droits de l'home et du citoyen ». L'ensemble de ces garanties permettent, selon le Conseil d'Etat, de « regarder l'ingérence dans la vie privée que rendent possible les mesures contenues dans la proposition de loi comme étant nécessaire, dans une société démocratique, à la sécurité nationale et à la prévention des infractions pénales, au sens de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ».

Le Conseil d'Etat estime en troisième lieu que le régime de surveillance « ne méconnaît pas non plus des exigences constitutonnelles ou conventionnelles en ce qu'il ouvre la possibilité de surveiller pour les seules finalités prévues à l'article L.811-3 les personnes situées en dehors du territoire français (hormis le cas où elles utilisent des numéros d'abonnement ou des identifiants techniques rattachables au territoire national) sans prévoir de règles différentes selon leur nationalité ».

Il constate enfin que la proposition de loi, même si elle exclut le recours direct au juge contre les mesures prises au titre de l'article L.854-1, par les dispositifs qu'elle instaure, « ne méconnaît pas non plus le droit à un recours effectif reconu par l'article 13 de la convention européene de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ».

En bref, sous réserve de l'appréciation souveraine du Conseil constitutionnel d'une part, et de la Cour européenne des droits de l'homme, d'autre part, le Conseil d'Etat n'a relevé d'incompatibilité entre le texte de la proposition de loi, ni avec les exigences posées par la jurisprudence du Conseil constitutionnel, ni avec celles posées par la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme.

2. Les ajustements techniques proposés

Outre des modifications d'ordre rédactionnel destinées à assurer une meilleure lisibilité, la proposition de loi :

• introduit à l'article L.821-4 la référence aux « réseaux de communications électroniques » qui est plus précise que celle de « systèmes de communication » visée dans la proposition de loi déposée à l'Assemblée nationale et s'appuie sur la définition de l'article L.32 du code des postes et des communications électroniques 9 ( * ) . Cette référence n'a ni pour objet, ni pour effet de modifier, comme l'a constaté le Conseil d'Etat dans son avis du 15 octobre 2015, le champ d'application des mesures de surveillance tel qu'il a été défini par la loi n° 2015-912 du 24 juillet 2015 relative au renseignement. « Les mesures prises par les pouvoirs publics pour assurer, aux seules fins des intérêts nationaux, la surveillance et le contrôle des transmissions empruntant la voie hertzienne continuent en effet, en application de l'article L.811-5 du code de la sécurité intérieure, de ne pas relever du champ d'application de l'ensemble du livre VIII du code de la sécurité intérieure, comme c'était déjà le cas dans la législation applicable antérieurement ».

• attribue au seul Premier ministre, à l'exclusion des personnes déléguées mentionnées à l'article L.821-4 , la capacité de désigner les réseaux de communications électroniques sur lesquels il autorise les interceptions 10 ( * ) .

• précise l'autorisation d'exploitation non individualisée des données de connexion interceptées délivrée par le Premier ministre ou ses délégués, outre les finalités poursuivies, les types de traitement automatisés pouvant être mis en oeuvre en précisant leur objet, le ou les services spécialisés de renseignement chargés de sa mise en oeuvre ;

• supprime la possibilité pour le Premier ministre, ou l'un de ses délégués, d'exclure certains numéros d'abonnement ou identifiant techniques de toute surveillance ou la mise en place, pour certains identifiants, de conditions particulières d'accès aux communications . Cette possibilité est ouverte au Premier ministre au titre de son autorité hiérarchique sur les services spécialisés de renseignement, il n'est pas besoin de la faire figurer dans la loi ;

• réduit de un an à dix mois à compter de leur première exploitation la durée des correspondances ;

• prévoit par dérogation que les renseignements qui concernent une requête dont le Conseil d'Etat a été saisi ne peuvent être détruits et qu'ils sont conservés pour les seuls besoins de la procédure devant la juridiction ;

• permet au président ou à trois membres de l'autorité administrative indépendante, et non à la commission dans son ensemble, de saisir le Conseil d'Etat lorsque le Premier ministre ne donne pas suite à une recommandation formulée par la CNCTR à la suite du constat d'un manquement dans la mise en oeuvre des mesures de surveillance internationale,

• introduit deux articles nouveaux pour assurer une coordination avec le code de justice administrative (article 2) et pour étendre la dérogation à l'exclusion du champ de la surveillance internationale des communications rattachables au territoire national aux personnes qui communiquent depuis l'étranger et qui faisaient l'objet d'une autorisation d'interception de sécurité délivrée sur le fondement de la rédaction des dispositions du code de la sécurité intérieure, antérieure à l'entrée en vigueur de la loi relative au renseignement, à la date à laquelle elles ont quitté le territoire national (article 3) 11 ( * ) .


* 7 Proposition de loi n° 700 de M. Philippe Bas relative aux mesures de surveillance des communications électroniques internationales - 21 septembre 2015

http://www.senat.fr/leg/ppl14-700.html

* 8 http://www.senat.fr/presse/cp20150922.html

* 9 Code des postes et des communications électroniques - article L.32. 2° Réseau de communications électroniques :

« On entend par réseau de communications électroniques toute installation ou tout ensemble d'installations de transport ou de diffusion ainsi que, le cas échéant, les autres moyens assurant l'acheminement de communications électroniques, notamment ceux de commutation et de routage.

Sont notamment considérés comme des réseaux de communications électroniques : les réseaux satellitaires, les réseaux terrestres, les systèmes utilisant le réseau électrique pour autant qu'ils servent à l'acheminement de communications électroniques et les réseaux assurant la diffusion ou utilisés pour la distribution de services de communication audiovisuelle. »

* 10 Le Conseil d'Etat dans son avis du 15 octobre 2015 relève que « compte tenu du caractère stratégique des décisions en cause, qui sont au surplus en nombre très limité, l'absence de faculté donnée au Premier ministre de déléguer la désignation des réseaux de communications électroniques sur lesquels l'interception des communication peut être autorisée n'est de nature à se heurter à aucun obstacle qui tiendrait à la protection des intérêts fondamentaux de la Nation ou aux exigences d'une bonne administration ».

* 11 Le Conseil d'Etat a observé dans son avis du 15 octobre 2015 qu'une telle mention n'est pas indispensable.

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