II. L'ANNULATION DE CES DISPOSITIONS PAR LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL

Contrairement à ce que le législateur avait fait pour les mesures de surveillance nationale, l'article L. 854-1 renvoyait donc à des décrets en Conseil d'État la définition des conditions d'exploitation, de conservation et de destruction des renseignements collectés, ainsi que les conditions de traçabilité et de contrôle par la commission de la mise en oeuvre des mesures de surveillance.

Le Conseil constitutionnel 3 ( * ) a estimé « qu'en ne définissant dans la loi ni les conditions d'exploitation, de conservation et de destruction des renseignements collectés en application de l'article L. 854-1, ni celles du contrôle par la commission nationale de contrôle des techniques de renseignement de la légalité des autorisations délivrées en application de ce même article et de leurs conditions de mise en oeuvre, le législateur n'a pas déterminé les règles concernant les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l'exercice des libertés publiques ».

Il en a conclu que les dispositions du premier alinéa de l'article L. 854-1, qui méconnaissent l'article 34 de la Constitution, devaient être déclarées contraires à la Constitution (§. 78).

Par voie de conséquence, il a censuré les alinéas II et III de l'article L. 854-1 ainsi que diverses mentions de coordination figurant dans le texte déféré (§. 79).

On observera que le Conseil constitutionnel n'a pas fondé sa décision sur une atteinte portée aux droits et libertés, mais sur le fait que le législateur n'avait pas épuisé sa compétence en laissant trop de place au pouvoir réglementaire.

La loi relative au renseignement a donc été publiée le 24 juillet 2015 4 ( * ) sans ces dispositions, créant ainsi un vide juridique qu'il importait de combler aussi rapidement que possible. C'est pourquoi des propositions de loi ont été déposées dès le mois de septembre, le gouvernement ayant décidé d'inscrire celle déposée à l'Assemblée nationale le jour de l'ouverture de la session ordinaire et engagé sur ce texte la procédure d'examen accélérée.

III. LES PROPOSITIONS DE LOI DÉPOSÉES À L'ASSEMBLÉE NATIONALE ET AU SÉNAT

A. LA PROPOSITION DE LOI N° 3042 DÉPOSÉE A L'ASSEMBLÉE NATIONALE PAR MME PATRICIA ADAM ET M. PHILIPPE NAUCHE

Le 9 septembre 2015, Mme Patricia Adam, présidente de la commission de la défense nationale et des forces armées et M. Philippe Nauche, rapporteur pour avis du projet de loi relatif au renseignement au nom de cette commission, ont déposé une proposition de loi n° 3042 relative aux mesures de surveillance des communications électroniques internationales 5 ( * ) .

Au cours de sa présentation devant la commission, Mme Adam, nommée rapporteure, a précisé que compte tenu de la complexité et de la sensibilité du sujet, et bien qu'il s'agisse d'une proposition de loi, le texte a été élaboré en collaboration étroite avec les services du ministère de la défense.

Compte tenu du fondement de la décision du Conseil constitutionnel, la proposition de loi consiste pour l'essentiel à réincorporer dans la partie législative du code de la sécurité intérieure, les dispositions concernant les conditions d'exploitation, de conservation et de destruction des renseignements collectés ainsi que les modalités de contrôle par la CNCTR que le législateur avait renvoyées à des décrets en Conseil d'Etat dans le projet de loi relatif au renseignement.

1. Les modalités d'exploitation

Le nouvel L. 854-1 du code de la sécurité intérieure régit de manière exclusive la surveillance des communications avec l'étranger, qu'il soit question de correspondances, c'est-à-dire de contenus - conversations ou textes -, ou de données de connexions, à savoir de contenants. La définition de la nature de ces flux s'effectue toujours en fonction des deux extrémités des communications - numéro de téléphone ou adresse IP uniquement -, et ce indépendamment des caractéristiques de leur transit.

En pratique, trois cas se présentent :

• En cas de communications entre deux identifiants - numéro de téléphone ou adresse IP - rattachables au territoire national, celles-ci sont instantanément détruites puisqu'il ne s'agit pas de communications internationales. Deux exceptions sont toutefois prévues :

- La première concerne le cas où l'un des identifiants fait déjà l'objet d'une interception de sécurité autorisée dans le cadre des interceptions administratives sur le territoire national.

- La seconde porte sur les personnes communiquant depuis l'étranger avec un identifiant national et qui constituent une menace au regard des intérêts fondamentaux de la Nation. Dans ce cas, d'une part, la surveillance est autorisée par le Premier ministre et, d'autre part, l'identité de la personne concernée est portée à la connaissance de la CNCTR.

• En cas de correspondance mixte , c'est-à-dire depuis l'étranger vers un identifiant rattachable au territoire national, le droit commun des interceptions de sécurité s'applique pour toutes les conditions d'exploitation, avec deux particularités liées aux modalités de collecte :

- il n'y a pas d'avis préalable de la CNCTR.

- le délai maximum d'exploitation après le recueil est porté à six mois.

L'autorisation est donnée par le Premier ministre et, ensuite, la CNCTR, comme pour le cas précédent, est tenue informée.

• En cas de flux internationaux dont les deux extrémités sont étrangères, la proposition de loi reprend le dispositif du projet de loi . Les autorisations seront délivrées par le Premier ministre, ou l'un de ses délégués, sans avis préalable de la CNCTR, dispositif d'autorisation que n'avait pas remis en question le Conseil constitutionnel.

À la différence du projet de loi, pour répondre aux objections du Conseil constitutionnel, les conditions d'exploitation des données sont désormais détaillées et non plus renvoyées à un décret non publié. Trois niveaux d'autorisation sont prévus :

• d'abord, le Premier ministre désignera les systèmes de communication sur lesquels l'interception est autorisée ;

• ensuite, le Premier ministre pourra autoriser l'exploitation non individualisée des données de connexion interceptées pour une durée d'un an renouvelable. Le travail réalisé à partir de ce matériau est important pour rechercher les profils et comportements suspects en amont ;

• enfin, le Premier ministre pourra donner des autorisations d'exploitation portant soit sur les correspondances, le contenu , soit sur les données de connexion , les contenants. Valables quatre mois et renouvelables, ces autorisations doivent préciser la ou les finalités légales justifiant la surveillance, les zones géographiques, les organisations ou les personnes ou groupes de personnes concernés. Enfin, elles précisent le ou les services de renseignement chargés de l'exploitation 6 ( * ) .

2. Les garanties et les modalités de contrôle.

S'agissant des flux internationaux , dont le régime constitue une dérogation par rapport aux régimes de droit commun applicable aux correspondances issues de communications entre deux identifiants rattachables au territoire national et aux correspondances mixtes pour la seule durée d'exploitation, la proposition de loi apporte les garanties exigées par le Conseil constitutionnel et précise les modalités de contrôle.

La protection particulière dont bénéficient certaines professions (parlementaires, avocats, magistrats ou journalistes) dans le cadre des interceptions de sécurité, à raison de l'exercice du mandat ou de la profession concernée, est étendue aux mesures de surveillance internationale lorsqu'il s'agit d'une profession protégée exercée en France.

La proposition fixe les durées de conservation des données , lesquelles sont plus étendues que pour les interceptions de sécurité réalisées sur le territoire national. En effet, dans de nombreux cas, la surveillance des communications électroniques internationales est le seul moyen d'obtenir ou de confirmer des informations, alors que, sur le territoire national, des moyens complémentaires d'investigation peuvent être engagés. Les données recueillies sont le plus souvent en langue étrangère, parfois rare, des délais de traduction parfois longs sont préalables à leur exploitation. Ensuite, elles permettent très utilement de reconstituer a posteriori des parcours individuels, comme après un attentat ou une tentative d'attentat ; la réalisation de ces analyses suppose de pouvoir disposer d'un certain recul.

Les renseignements collectés seront ainsi détruits à l'issue d'une durée de :

• un an, à compter de leur première exploitation, pour les correspondances (six mois pour les correspondances mixtes), dans la limite d'une durée de quatre ans à compter de leur recueil ;

• six ans à compter de leur recueil pour les données de connexion ;

• pour ceux des renseignements qui sont chiffrés, le délai court à compter de leur déchiffrement et ils ne peuvent être conservés plus de huit années à compter de leur recueil ;

• les transcriptions ou les extractions doivent être détruites dès que leur conservation n'est plus indispensable à la poursuite des finalités mentionnées à l'article L.811-3.

Enfin, le contrôle externe repose sur la CNCTR et sur un contrôle juridictionnel . La CNCTR reçoit communication de toutes les autorisations délivrées par le Premier ministre, et dispose également d'un accès permanent, complet et direct aux dispositifs de traçabilité, ainsi qu'aux renseignements collectés, aux transcriptions et aux extractions. Le Premier ministre devra définir les modalités de la centralisation des renseignements collectés, ce qui constitue une garantie du bon exercice du contrôle de la CNCTR. Elle peut ainsi procéder à toutes les vérifications nécessaires, de sa propre initiative ou sur réclamation d'une personne souhaitant vérifier si elle fait l'objet d'une mesure de surveillance irrégulière. En cas d'irrégularité constatée, la CNCTR adressera une recommandation au Premier ministre pour qu'il soit mis fin à cette surveillance. S'il n'y donne pas suite, elle peut saisir la formation particulière du Conseil d'État dans les conditions du droit commun, lequel Conseil d'État examinera le dossier dans les conditions prévues par la loi relative au renseignement.


* 3 Décision n° 2015-713 DC du 23 juillet 2015 : http://www.conseil-constitutionnel.fr/conseil-constitutionnel/francais/les-decisions/acces-par-date/decisions-depuis-1959/2015/2015-713-dc/decision-n-2015-713-dc-du-23-juillet-2015.144138.html

* 4 Loi relative au renseignement (n° 2015-912 du 24 juillet 2015)

* 5 http://www.assemblee-nationale.fr/14/propositions/pion3042.asp

* 6 Ce qui n'apporte aucune restriction aux dispositions de l'article L.863-2 du code de la sécurité intérieure

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