Avis n° 121 (2022-2023) de Mmes Agnès CANAYER et Dominique VÉRIEN , fait au nom de la commission des lois, déposé le 17 novembre 2022

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SOMMAIRE

Pages

L'ESSENTIEL 5

I. UNE NOUVELLE HAUSSE DES CRÉDITS DE LA MISSION « JUSTICE » DANS UN CONTEXTE DE DÉFIANCE ENVERS L'INSTITUTION JUDICIAIRE 6

II. JUSTICE JUDICIAIRE : UNE HAUSSE CONSÉQUENTE DU BUDGET QUI APPELLE UNE RÉFLEXION SUR L'ORGANISATION DES RESSOURCES HUMAINES 8

A. UNE HAUSSE IMPORTANTE DES CRÉDITS ALLOUÉS AUX JURIDICTIONS QUI CONCERNE TOUS LES POSTES DE DÉPENSE 8

B. UN RENFORCEMENT BIENVENU DES MOYENS HUMAINS QUI DOIT ALLER DE PAIR AVEC UNE RÉORGANISATION DES RESSOURCES HUMAINES 9

1. Un effort notable de renforcement des effectifs en juridiction et de l'attractivité des fonctions de justice 9

2. Une nouvelle évaluation des besoins en juridiction qui doit maintenant aboutir, tout comme la réflexion sur « l'équipe du magistrat » 11

C. DANS CE CONTEXTE, DES JURIDICTIONS QUI RESTENT EN DIFFICULTÉ DANS LA GESTION DES DÉLAIS ET DES STOCKS D'AFFAIRES 13

III. UN EFFORT DE RATTRAPAGE SUR LE NUMÉRIQUE QUI SE POURSUIT, MÊME SI LES DIFFICULTÉS PERDURENT SUR LE TERRAIN 13

IV. UNE NOUVELLE AUGMENTATION DES CRÉDITS DÉDIÉS À L'AIDE JURIDICTIONNELLE ET À L'AIDE AUX VICTIMES 15

A. UNE POURSUITE DU FINANCEMENT DE L'AUGMENTATION DE LA RÉTRIBUTION DES AVOCATS À L'AIDE JURIDICTIONNELLE OBTENUE LES ANNÉES PASSÉES 15

B. UNE NOUVELLE AUGMENTATION DES CRÉDITS ALLOUÉS À L'ACCÈS AU DROIT ET À L'AIDE AUX VICTIMES 16

C. UNE NOUVELLE PROLONGATION DE L'EXPÉRIMENTATION DE LA TENTATIVE DE MÉDIATION FAMILIALE PRÉALABLE OBLIGATOIRE VOTÉE EN 2016 16

EXAMEN EN COMMISSION 19

COMPTE RENDU DE L'AUDITION DE M. ÉRIC DUPOND-MORETTI, GARDE DES SCEAUX, MINISTRE DE LA JUSTICE 29

LISTE DES PERSONNES ENTENDUES 51

L'ESSENTIEL

La commission des lois, qui exprime depuis plusieurs années sa vive préoccupation face à l'état de la justice en France, constate à nouveau la hausse sensible des crédits de la mission « Justice » pour 2023.

En particulier, les crédits alloués aux juridictions judiciaires augmenteraient de 300 millions d'euros par rapport à 2022, notamment pour financer la création de 1 220 emplois nets , mais aussi renforcer le budget de fonctionnement courant des juridictions, investir dans l'immobilier judiciaire et donner une dotation plus sincère aux frais de justice .

Cette augmentation importante du nombre de titulaires, mais aussi de contractuels qui ont vocation à prendre une place de plus en plus importante, devrait se poursuivre au cours des prochaines années. Elle appelle selon la commission une réorganisation de la gestion des ressources humaines des juridictions, qui devrait désormais reposer sur une évaluation sincère des besoins et la modélisation de « l'équipe autour du magistrat ». Ces réformes que le Sénat appelle de ses voeux depuis de nombreuses années devraient enfin aboutir sur des bases solides à la faveur d'un travail engagé par la Chancellerie et du rapport de Dominique Lottin sur « La structuration des équipes juridictionnelles pluridisciplinaires ».

Après 431,7 millions d'euros de dépenses engagées sur 2018-2022 au titre du premier plan de transformation numérique , l'action informatique du ministère de la justice constitue toujours l'une de ses priorités , alors que des difficultés structurelles sont toujours constatées sur le terrain malgré ces efforts. Les projets phares comme PORTALIS et la procédure pénale numérique (PPN) doivent être menés à bien en prenant davantage en compte les processus métiers comme le revendique désormais la Chancellerie.

Conséquence de la revalorisation de la rétribution des avocats au titre de l'aide juridictionnelle (AJ) consentie les années passées, le projet de budget pour 2023 augmente de près de 26 millions d'euros à ce titre, sans toutefois proposer de nouvelle augmentation de l'UV. Quant à l'article 44 bis introduit à l'Assemblée nationale, il permet opportunément aux bureaux d'aide juridictionnelle de recouvrer auprès d'un demandeur finalement non éligible les sommes qui lui ont été versées en urgence sans vérification a priori dans certains contentieux .

Enfin, les crédits alloués à l'accès au droit et à l'aide aux victimes augmentent eux aussi, mais de manière toutefois moins significative qu'en 2022. L' article 44 propose de prolonger de deux nouvelles années l'expérimentation prévoyant une tentative de médiation familiale préalable obligatoire dans certains litiges. Il sera grand temps ensuite d'en faire un bilan avant une éventuelle généralisation, cette mesure ayant été votée il y a plus de six ans.

Tout en appelant le ministère de la justice à veiller à la bonne exécution du budget voté par le Parlement, la commission des lois a émis un avis favorable à l'adoption des crédits des programmes « Justice judiciaire », « Accès au droit et à la justice », « Conduite et pilotage de la politique de la justice » et « Conseil supérieur de la magistrature » de la mission « Justice », inscrits au projet de loi de finances pour 2023.

I. UNE NOUVELLE HAUSSE DES CRÉDITS DE LA MISSION « JUSTICE » DANS UN CONTEXTE DE DÉFIANCE ENVERS L'INSTITUTION JUDICIAIRE

Le projet de budget pour 2023 1 ( * ) intervient alors que des concertations sont en cours sur la mise en oeuvre des préconisations issues du rapport du comité des États généraux de la justice , présidé par Jean-Marc Sauvé et remis au Président de la République le 8 juillet dernier 2 ( * ) . Ces États généraux s'inscrivaient dans un contexte de crise de l'institution , alors que plus de 7 000 magistrats avaient signé une tribune le 7 décembre 2021 dénonçant leurs conditions de travail en réaction au suicide dramatique de l'une de leurs collègues, suivie d'une grève inédite dans la profession le 15 décembre de la même année.

Le malaise dans la justice est une réalité incontestable. La perte de confiance des citoyens dans son action aussi, comme l'avait montré l' Agora de la justice organisé par le Sénat le 27 septembre 2021. Comme l'indiquait l'enquête que la commission des lois avait fait réaliser pour l'occasion, 53 % des citoyens n'ont plus confiance dans la justice 3 ( * ) .

Dans ce contexte difficile, l'effort de rattrapage des moyens alloués au service public de la justice devrait se poursuivre en 2023 , ce qui mérite d'être salué : les crédits de paiement augmenteraient de 7,7 % à périmètre constant. Hors charges de pensions, ils s'élèveraient à 9,58 milliards d'euros en 2023, en hausse de 8 % par rapport à 2022, soit 712 millions d'euros supplémentaires. Entre 2020 et 2023, le budget de la justice aura ainsi augmenté de près de 2 milliards d'euros hors charges de pension, ce qui représente une hausse d'environ 26 %.

Évolution des crédits consacrés à la justice judiciaire et à l'accès au droit
(en euros, à périmètre courant)

Numéro et intitulé
du programme

Autorisations d'engagement

Crédits de paiement

LFI 2022

PLF 2023

Évolution (en %)

LFI 2022

PLF 2023

Évolution (en %)

166 - Justice judiciaire

3 920 840 359

4 516 356 450

+15,19 %

3 849 089 892

4 148 805 671

+7,79 %

101 - Accès au droit
et à la justice

680 032 697

712 482 275

+4,77 %

680 032 697

712 482 275

+4,77 %

310 - Conduite et
pilotage de la politique
de la justice

619 002 773

764 462 906

+23,5 %

638 200 492

682 463 430

+6,94 %

335 - Conseil supérieur
de la magistrature

13 825 182

4 082 297

-70,47 %

5 263 300

4 974 238

-5,49 %

Total des programmes suivis dans cet avis

5 233 701 011

5 997 383 928

+14,59 %

5 172 586 381

5 548 725 614

+7,27 %

Total des crédits
de la mission « Justice »

12 770 735 263

12 510 993 647

+2,03 %

10 741 447 680

11 563 403 289

+7,65 %

Part des crédits de la mission affectés aux juridictions judiciaires

30,7 %

36,1%

35,8 %

35,9 %

Source : commission des lois du Sénat à partir des documents budgétaires

Il faut toutefois noter le décrochage de plus en plus marqué de la part du budget alloué aux juridictions judiciaires qui ne représente plus que 36 % du budget total de la justice (contre presque 40 % en 2018), au profit notamment de l'administration pénitentiaire qui en représente désormais 43 % (contre 40 % en 2018).

Il convient également de relever que le montant des crédits de la mission « Justice » effectivement consommés s'écarte chaque année , dans des proportions plus importantes que la moyenne des missions du budget général, du montant inscrit en loi de finances initiale (LFI). En 2021 , le taux d'exécution du budget s'établissait à 98,39 % , soit près 132 millions d'euros non consommés, hors charges de pension, ce qui cache toutefois des disparités . En matière d'investissement, le taux d'exécution chute en effet à 68 % en 2021 avec près de 311 millions d'euros non consommés par rapport aux crédits votés (80 millions d'euros pour les juridictions, 115 pour l'administration pénitentiaire et 112 pour le pilotage de l'informatique notamment).

En 2022, après l'annulation par voie réglementaire de près de 11 millions d'euros de crédits 4 ( * ) , puis l'ouverture de 119 millions d'euros par la loi n° 2022-1157 du 16 août 2022 de finances rectificative pour 2022, le second projet de loi de finances rectificative (LFR) prévoit d'annuler quelque 161 millions d'euros de crédits de paiement (CP) pour l'ensemble de la mission , soit environ 1,5 % du total, dont près de 49,9 millions d'euros pour les juridictions.

Si la révision à la baisse des crédits alloués à l'administration pénitentiaire, notamment en investissement, s'explique par les difficultés à trouver du foncier pour la construction de nouveaux établissements, le rabotage en cours d'exercice des crédits dédiés à l'immobilier de la justice judiciaire ou à l'informatique se justifie moins .

II. JUSTICE JUDICIAIRE : UNE HAUSSE CONSÉQUENTE DU BUDGET QUI APPELLE UNE RÉFLEXION SUR L'ORGANISATION DES RESSOURCES HUMAINES

A. UNE HAUSSE IMPORTANTE DES CRÉDITS ALLOUÉS AUX JURIDICTIONS QUI CONCERNE TOUS LES POSTES DE DÉPENSE

La hausse des crédits destinés aux juridictions , inscrits au programme 166 « Justice judiciaire » du projet de loi de finances pour 2023, est plus importante qu'en 2022 : les crédits augmenteraient de près de 300 millions d'euros , pour atteindre 4,14 milliards d'euros (+ 7,8 % contre + 3,4 % en 2022). Hors charges de pensions, cette hausse équivaut à 9 %.

Source : commission des lois du Sénat à partir des documents budgétaires

Il s'agit, pour la majeure partie, de financer la hausse des dépenses de personnel liée aux créations de postes et mesures catégorielles.

Les dépenses de fonctionnement augmenteraient également, qu'il s'agisse des frais de justice (+ 12 millions d'euros soit un montant total de 660 millions d'euros) ou du fonctionnement courant des juridictions avec 44,7 millions d'euros supplémentaires (+15 %).

La dynamique des frais de justice - + 33 % entre 2017 et 2023 - reste constante , s'expliquant notamment par une augmentation de la dépense moyenne par affaire pénale : 501 euros prévus en 2023 contre 368 euros en 2018. Les rapporteures saluent une plus grande sincérité dans la prévision des dépenses dont témoigne l'exécution quasi-totale des crédits en 2021 : pour la première fois depuis presque dix ans, ce poste n'aura pas été
sous-doté en loi de finances initiale. Elles regrettent toutefois que la mise en oeuvre de la plateforme nationale des interceptions judiciaires (PNIJ) n'ait pas permis de faire toutes les économies escomptées . Alors que les prévisions d'économie s'élevaient à 70 millions d'euros annuels 5 ( * ) , le ministère estime en avoir réalisé seulement 54 millions entre 2018 et 2022.

L' investissement dans l'immobilier judiciaire , dont les juridictions ont cruellement besoin, bénéficierait également d'une augmentation de 12,5 % pour atteindre plus de 269 millions d'euros. La programmation retenue cible les situations les plus critiques parmi lesquelles le tribunal judiciaire de Bobigny (30 millions en 2023 et 142 millions au total) ou celui de Mamoudzou (étude préalable de restructuration du tribunal finalisée).

B. UN RENFORCEMENT BIENVENU DES MOYENS HUMAINS QUI DOIT ALLER DE PAIR AVEC UNE RÉORGANISATION DES RESSOURCES HUMAINES

1. Un effort notable de renforcement des effectifs en juridiction et de l'attractivité des fonctions de justice

Le projet de budget pour 2023 met davantage l'accent cette année sur le renforcement des effectifs des juridictions : il prévoit la création de 1 220 postes nets contre seulement 40 en 2022. Il s'agit de 546 postes de titulaires dont 200 de magistrats, 191 de greffiers et 155 de directeurs de greffe. À titre de comparaison, seulement 50 emplois de magistrats, 47 de greffiers et 50 de directeurs de greffe avaient été créés en 2022 - compensés par la suppression d'emplois de catégories C.

Création de postes de titulaires (en ETP)

Magistrats

200

Greffiers

191

Directeurs des services de greffe judiciaires

155

Création de postes de contractuels (en ETP)

Juristes assistants

300

Assistants spécialisés

20

Attachés et contractuels A « justice de proximité »

100

Contractuels B administratifs et techniques

210

Contractuels C administratifs et techniques

44

Sous-total titulaires

546

Sous-total contractuels

674

Total

1 220

Source : réponse des services de la Chancellerie au questionnaire des rapporteures

Le ministère de la justice poursuit, en 2023, sa politique de recrutement de contractuels et propose de créer 674 postes dont 300 de juristes assistants, 100 de contractuels de catégorie A, 110 de catégorie B et 100 de techniciens de proximité.

S'y ajoute la pérennisation de 695 postes en 2022. Les juridictions comptent, au 1 er septembre 2022, 2 218 contractuels qui occupent une place de plus en plus importante 6 ( * ) . D'après le ministère de la justice, ils représentent 12,1 % des effectifs de magistrats (s'agissant des 1 041 juristes assistants et assistants spécialisés) et 5,1 % des effectifs de fonctionnaires de greffe (s'agissant des 1 177 autres contractuels).

Cette dynamique devrait se poursuivre dans les prochaines années puisque le garde des Sceaux a annoncé la création sur cinq ans de 1 500 postes de magistrats, 1 500 de greffiers et 2 000 de juristes assistants. Pour atteindre ces objectifs particulièrement ambitieux, les services du ministère de la justice visent la formation de 500 auditeurs de justice et 1 000 greffiers par an , ce qui implique d'importants aménagements - concours, locaux, enseignants - à l'École nationale de la magistrature et à l'École nationale des greffes , où les formations durent respectivement trente-et-un et dix-huit mois.

Outre ce renfort en moyens humains, le projet de loi de finances pour 2023 propose une revalorisation indemnitaire des magistrats judiciaires de 1 000 euros bruts en moyenne par mois , dans un but de convergence avec les magistrats administratifs et financiers avec lesquels l'écart de rémunération s'établit selon la Chancellerie à hauteur de 1 300 euros par mois en début de carrière. Le coût de cette mesure qui entrerait en vigueur au 1 er octobre 2023 serait de 29,2 millions d'euros pour la première année, puis 111,65 millions d'euros en année pleine . Si les rapporteures saluent la volonté de renforcer l'attractivité financière des fonctions de magistrat, elles relèvent que les primes sont attribuées proportionnellement à l'ancienneté, ce qui tendrait à nuancer cet apport pour les magistrats en début de carrière.

Pour les fonctionnaires de greffe , le ministère de la justice fait valoir un effort de 37 millions d'euros entre 2021 et 2023 de revalorisation indiciaire ou indemnitaire, équivalant à 165 euros bruts mensuels en moyenne pour les greffiers et 250 pour les directeurs de services de greffe judiciaires.

2. Une nouvelle évaluation des besoins en juridiction qui doit maintenant aboutir, tout comme la réflexion sur « l'équipe du magistrat »

Cette augmentation massive des effectifs doit impérativement s'accompagner d'une politique solide en matière de ressources humaines , voire d'un changement total de paradigme avec une déconcentration, au plus près du terrain, des décisions, tout en établissant une doctrine nationale permettant aux acteurs de ne pas se sentir isolés.

Les besoins des juridictions doivent tout d'abord être mieux évalués et mis à jour en fonction des évolutions législatives ou des flux de contentieux. Les effectifs théoriques retracés dans la circulaire annuelle de localisation des emplois restent aujourd'hui fondés sur une évaluation très imparfaite des besoins . De surcroît, les vacances de postes des magistrats 7 ( * ) , qui étaient devenues résiduelles en 2021, atteignent 3,52 % en 2022, ce qui n'est pas bon signe. La situation reste encore plus préoccupante dans les greffes, où l'on observait encore un taux de vacance de 7 % .

Le garde des Sceaux a indiqué que les travaux sur l'évaluation de la charge de travail des magistrats , que la commission des lois du Sénat appelle de ses voeux depuis son rapport d'information « Cinq ans pour sauver la Justice ! » d'avril 2017, devraient aboutir en fin d'année. Pour les greffiers, OUTILGREF permet d'évaluer la charge de travail des greffiers mais comporte de nombreuses lacunes : il ne prend par exemple pas en compte le stock d'affaires ni le travail administratif. Cet outil de pilotage devrait donc être amélioré.

Il importe également de moderniser les méthodes de travail du magistrat en créant des équipes pour lui permettre de se concentrer sur son office, revaloriser le rôle des greffiers et donner un avenir aux contractuels. Encore faut-il que les missions de chacun soient clarifiées au sein de cette « équipe », tant il devient difficile de s'y retrouver entre les assistants de justice, les juristes assistants, les contractuels A « justice de proximité », les assistants spécialisés...

Le rapport rendu au garde des Sceaux en septembre dernier par Dominique Lottin sur « La structuration des équipes juridictionnelles pluridisciplinaires » 8 ( * ) pourrait permettre d'engager enfin ce changement sur des bases plus concrètes .

Les principaux éléments du rapport de Dominique Lottin
sur « La structuration des équipes juridictionnelles pluridisciplinaires
»

Dans un contexte de massification des contentieux et de complexification des procédures, le rapport fait le constat d'un besoin de travail en équipe reconnu mais d'une mise en oeuvre qui percute les statuts et les organisations, notamment du fait d'une organisation administrative chaotique qui nuit à l'efficacité.

Le rapport propose de définir une doctrine nationale d'emploi pour chacun des membres de la communauté de travail ainsi qu'une modélisation concrète des équipes, dont les grandes lignes sont les suivantes :

- une répartition plus « affirmée » entre les fonctions confiées aux greffiers et celles dévolues aux assistants juridictionnels (nouveau nom de l'assistant de justice, qui pourrait aussi être « juriste judiciaire ») ;

- un statut de contractuel de longue durée pour les assistants de magistrats, ouvert aux étudiants mais aussi à de jeunes professionnels ou des fonctionnaires en détachement, notamment les greffiers ;

- une professionnalisation de la gestion administrative des contractuels leur assurant la reconnaissance des acquis professionnels et une perspective d'avenir ;

- la création d'un service régionalisé de documentation et d'étude au service des juridictions et en lien avec la Cour de cassation, notamment dans la perspective de l' open data des décisions de justice ;

- enfin, une organisation mixte inspirée des juridictions européennes qui combine une mutualisation du travail des assistants de magistrats répartis dans des « pools juridiques » pour le traitement de contentieux de basse intensité et une affectation par pôle et service de la juridiction pour les contentieux plus complexes ou techniques.

En tout état de cause, selon le rapport, « il faut trouver les moyens que le juge ne délègue par purement et simplement son office et qu'il reste maître tout à la fois de la ou des décisions à prendre et de sa motivation » 9 ( * ) .

Source : rapport et audition de Dominique Lottin

Toutefois, ce sujet n'est pas consensuel car la coexistence de fonctionnaires de greffe recrutés par concours, souvent hautement qualifiés et garants de l'authentification de la procédure, et d'agents contractuels qui, pour certains d'entre eux, aspirent à une intégration directe dans la magistrature au terme de leur contrat, créé des tensions importantes en juridiction . Les greffiers sont, d'ailleurs, soumis à l'autorité hiérarchique du directeur du greffe et non des magistrats auxquels ils apportent, le cas échéant, leur concours, contrairement aux contractuels de catégorie A récemment recrutés.

C. DANS CE CONTEXTE, DES JURIDICTIONS QUI RESTENT EN DIFFICULTÉ DANS LA GESTION DES DÉLAIS ET DES STOCKS D'AFFAIRES

Le délai de traitement des affaires est toujours trop long . En matière civile , il est passé de 11,4 mois en 2019 à 13,7 mois en 2021 (tribunaux judiciaires), la prévision de 13 mois pour 2023 n'augurant pas d'une nette amélioration. Le contentieux du divorce demeure par exemple extrêmement long, avec un délai moyen de 24,3 mois en 2021. Plus inquiétant, la proportion importante de tribunaux judiciaires dépassant d'au moins 15 % le délai moyen de traitement national : celle-ci est encore de 53 % en 2021 et la cible de 25 % pour 2023 est peu réaliste.

Conséquence de ces délais, le stock d'affaires des tribunaux judiciaires a vieilli, passant de 13 à 18 mois en dix ans . Lors de son audition devant la commission des lois, le garde des Sceaux a fait valoir, notamment grâce aux contractuels qu'il avait appelé des « sucres rapides », une baisse globale de ce stock de 13 % entre 2021 et 2022. Ces efforts doivent être poursuivis.

En matière pénale , le délai de jugement des crimes augmente à nouveau pour atteindre presque 50 mois en 2021 (49,4) pour obtenir une décision en première instance, ce qui est particulièrement inquiétant.

III. UN EFFORT DE RATTRAPAGE SUR LE NUMÉRIQUE QUI SE POURSUIT, MÊME SI LES DIFFICULTÉS PERDURENT SUR LE TERRAIN

Sur la période 2018-2022 , outre la création de 263 emplois , près de 82 % des crédits d'investissement prévus au titre du premier plan de transformation numérique (PTN) du ministère auront été dépensés, soit près de 431,7 millions d'euros .

Pour 2023, les crédits de paiement dédiés à l'informatique du ministère de la justice s'élèveraient à 314 millions d'euros, contre 294,6 millions à périmètre constant en 2022, soit 6,8 % d'augmentation .

Ces crédits sont principalement destinés à financer le nouveau plan de transformation numérique 2023-2027 à hauteur de 195 millions d'euros en 2023 , comme indiqué par le garde des Sceaux lors de son audition par la commission des lois.

L'effort sur les infrastructures sera ainsi poursuivi de même que le développement des logiciels et applicatifs métiers. Le ministère a revu ses méthodes et priorités pour mettre en oeuvre une gestion de projet plus efficace.

Malgré ces efforts, on constate toujours des dysfonctionnements structurels sur le terrain où le numérique est souvent décrit comme lent et erratique.

Le projet PORTALIS , qui a notamment vocation à remplacer neuf applicatifs métiers au civil, a connu d'importantes difficultés de gestion. Priorité est donnée désormais aux applicatifs métiers et non plus au service à destination du justiciable. Pour autant, le projet est toujours en phase d'expérimentation - certes élargie - dans les conseils de prud'hommes, où il devrait être généralisé au premier semestre 2023 ; il n'est toutefois toujours pas déployé dans les cabinets des juges aux affaires familiales alors que cela était annoncé pour 2022.

La refonte de CASSIOPEE - bureau d'ordre en matière pénale - dont l' obsolescence est régulièrement dénoncée par les organisations syndicales de greffiers et magistrats, constitue également un sujet de réflexion pour le ministère, qui se borne à ce stade à renforcer la sécurisation de son infrastructure.

Le projet PPN (procédure pénale numérique) a semble-t-il mieux pris en compte les processus métiers en phase projet et est jugé opérationnel par le ministère dans les 160 juridictions où elle se déploie sur les « petits X » - c'est-à-dire les classements sans suite : l'objectif est d'en automatiser l'enregistrement pour permettre aux greffiers de se concentrer sur d'autres tâches à plus forte valeur ajoutée. La PPN est également en cours d'expérimentation pour la filière correctionnelle dans 50 juridictions où des gains en efficacité sont attendus compte tenu de la surcharge bien connue des audiences correctionnelles.

Les rapporteures soulignent, enfin, pour éviter de reproduire les erreurs du passé, la nécessité d' anticiper dès à présent les conséquences techniques et informatiques de la mise en oeuvre des conclusions des États généraux de la justice .

IV. UNE NOUVELLE AUGMENTATION DES CRÉDITS DÉDIÉS À L'AIDE JURIDICTIONNELLE ET À L'AIDE AUX VICTIMES

A. UNE POURSUITE DU FINANCEMENT DE L'AUGMENTATION DE LA RÉTRIBUTION DES AVOCATS À L'AIDE JURIDICTIONNELLE OBTENUE LES ANNÉES PASSÉES

Le budget de l'aide juridictionnelle s'élèverait à 641 millions d'euros en 2023 , soit une hausse de 25,9 millions d'euros à périmètre constant, après une augmentation de 52,7 millions d'euros en 2022.

Cette augmentation vise à poursuivre le financement de l'augmentation de la rétribution des avocats à l'aide juridictionnelle consentie en 2021 et 2022 (augmentation de l'unité de valeur - UV - de 32 à 36 euros et refonte du barème pénal).

Leur coût en année pleine est estimé à 51,4 millions d'euros pour l'UV et 25,7 millions d'euros pour le barème, soit environ 77,1 millions d'euros à terme. Ces réformes nécessiteront probablement de nouveaux abondements à l'avenir , car elles ne produisent pleinement leurs effets qu'au terme de plusieurs années, à mesure de la clôture des contentieux ouverts à partir de l'application du nouveau tarif.

Cette revalorisation de l'UV demeure toutefois inférieure au montant de 40 euros recommandé par le rapport de la mission présidée par Dominique Perben 10 ( * ) , que les représentants de la profession d'avocat estiment désormais plus juste de relever à 42,2 euros compte tenu de l'inflation.

Quant à l' article 44 bis du projet de loi , introduit par le Gouvernement à l'Assemblée nationale, il a pour objet de faciliter le recouvrement de l'aide juridictionnelle (AJ) versée par l'État à des personnes finalement non éligibles . Depuis la réforme de l'aide juridictionnelle intervenue dans la loi de finances pour 2021, le dispositif de « l'AJ garantie » figurant à l'article 19-1 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique, permet dans certains contentieux de verser l'AJ à l'avocat lorsqu'il est commis ou désigné d'office sans vérifier a priori l'éligibilité du demandeur. La modification proposée vise à conférer aux bureaux d'aide juridictionnelle compétence pour constater l'inéligibilité du demandeur a posteriori et recouvrer contre lui les sommes versées.

Les rapporteures estiment qu'il s'agit là d'un corollaire logique , bien que le Gouvernement eût pu l'intégrer dans le projet de loi initial pour en donner une évaluation plus précise.

B. UNE NOUVELLE AUGMENTATION DES CRÉDITS ALLOUÉS À L'ACCÈS AU DROIT ET À L'AIDE AUX VICTIMES

Les rapporteurs ont relevé l'augmentation de 19,6 % par rapport à 2022 des crédits alloués aux structures de proximité visant à faciliter l'accès au droit (pour atteindre 14,3 millions d'euros), ainsi que celle de 6,8 % du budget de l' aide aux victimes qui s'élèverait à 43 millions d'euros . Ces augmentations sont moindres qu'en 2022 où elles s'élevaient respectivement à 29,6 et 25,7 %.

Les victimes de violences conjugales représentent plus de 40 % des personnes prises en charge par les associations d'aide aux victimes. Le budget pour 2023 permettrait ainsi de financer 5 000 « téléphones grave danger » (TGD) 11 ( * ) ; en août 2022, 4 318 TGD sont déployés.

C. UNE NOUVELLE PROLONGATION DE L'EXPÉRIMENTATION DE LA TENTATIVE DE MÉDIATION FAMILIALE PRÉALABLE OBLIGATOIRE VOTÉE EN 2016

L'article 44 du projet de loi propose de prolonger de deux nouvelles années ce dispositif voté dans la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXI e siècle . Il est difficile de tirer un bilan objectif de cette expérimentation qui a lieu dans onze tribunaux judiciaires sur un nombre limité de contentieux 12 ( * ) : le ministère a indiqué aux rapporteures qu'elle n'a pas conduit à une diminution réelle des saisines du juge aux affaires familiales. L'extension de cette expérimentation à 33 nouveaux tribunaux judiciaires dépendra du financement des caisses d'allocations familiales, toujours incertain, alors qu'il représente 75 % du montant total.

Les rapporteures estiment qu'il sera grand temps ensuite de faire un réel bilan de ce dispositif avant une éventuelle généralisation, cette mesure ayant été votée il y a plus de six ans.

*

* *

Au bénéfice de ces observations, la commission des lois, lors de sa réunion du mercredi 16 novembre 2022, a émis un avis favorable à l'adoption des crédits des programmes « Justice judiciaire », « Accès au droit et à la justice », « Conduite et pilotage de la politique de la justice » et « Conseil supérieur de la magistrature » de la mission « Justice », inscrits au projet de loi de finances pour 2023.

EXAMEN EN COMMISSION

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MERCREDI 16 NOVEMBRE 2022

Mme Agnès Canayer , rapporteur . - Le rapport pour avis que je vous présente, au nom également de ma co-rapporteur Dominique Vérien qui n'a pu être présente aujourd'hui, porte sur les crédits dévolus, dans le projet de loi de finances pour 2023, à quatre programmes de la mission « Justice » : le programme 166 « Justice judiciaire » ; le programme 101 « Accès au droit et à la justice » ; le programme 310 « Conduite et pilotage de la politique de la justice » et le programme 335 « Conseil supérieur de la magistrature ».

Ce projet de budget intervient alors que des concertations sont en cours sur la mise en oeuvre, vous le savez chers collègues, du rapport du comité des États généraux de la justice, qui s'inscrivaient dans un contexte de crise de l'institution judiciaire.

L'effort de rattrapage devrait donc se poursuivre en 2023 avec des crédits de paiement en hausse de 8 % par rapport à 2022, hors charges de pensions. C'est la troisième année que ces crédits augmentent, et l'on peut s'en féliciter.

Il faut toutefois noter le décrochage de plus en plus marqué de la part alloué aux juridictions judiciaires qui ne représente plus que 36 % du total (contre presque 40 % en 2018), au profit notamment de l'administration pénitentiaire qui en représente désormais 43 % (contre 40 % en 2018).

Il convient également d'être attentif au taux d'exécution du budget qui cache des disparités. S'il semble à première vue relativement correct
- 98,39 %, en 2021 - en matière d'investissement, ce taux chute à 68 % avec près de 311 millions d'euros non consommés dont 80 millions pour les juridictions ou 112 millions pour l'informatique.

Après ces quelques éléments d'introduction, je vous propose de structurer mon propos autour de quatre axes.

Tout d'abord il faut relever la hausse conséquente des crédits alloués aux juridictions judiciaires, qui concerne tous les postes de dépense. 300 millions d'euros supplémentaires leur seraient alloués en 2023, soit une hausse de 9 % hors charges de pension. Les dépenses de fonctionnement augmenteraient de 5,5 %, et l'investissement dans l'immobilier, dont les juridictions ont cruellement besoin, de 12,5 %. La programmation retenue cible les situations les plus critiques parmi lesquelles le tribunal judiciaire de Bobigny ou celui de Mamoudzou.

Il s'agit surtout de financer la hausse des dépenses de personnel selon une trajectoire bien plus ambitieuse qu'en 2022. Il est ainsi proposé de créer 1 220 postes nets en 2023 contre seulement 40 en 2022. Il s'agit de 546 postes de titulaires dont 200 de magistrats, 191 de greffiers et 155 de directeurs de greffe. Comme en 2021 et 2022, le ministère poursuit également sa politique de recrutement de contractuels et propose de créer 674 postes nouveaux à cet effet, dont 300 de juristes assistants et 100 destinés à assurer des fonctions techniques de proximité.

Cette dynamique devrait se poursuivre dans les cinq prochaines années puisqu'est annoncé la création de 1 500 postes de magistrats, 1 500 de greffiers et 2 000 de juristes assistants. Il faudrait pour cela former 500 auditeurs de justice et 1 000 greffiers par an, ce qui implique d'importants aménagements à l'École nationale de la magistrature et à l'École nationale des greffes. Ce sont donc des objectifs particulièrement ambitieux.

Pour renforcer l'attractivité des fonctions de magistrat, le PLF propose une revalorisation indemnitaire des magistrats judiciaires de 1 000 euros bruts en moyenne par mois. Si nous saluons ce geste, nous relevons que les primes seront attribuées proportionnellement à l'ancienneté, ce qui tendrait à nuancer cet apport pour les magistrats en début de carrière. Pour les fonctionnaires de greffe, le ministère de la justice fait valoir un effort de 165 euros bruts mensuels en moyenne pour les greffiers et 250 pour les directeurs de greffe.

Cette augmentation massive des effectifs doit impérativement s'accompagner d'une politique solide en matière de ressources humaines. Les besoins des juridictions doivent tout d'abord être mieux évalués. Les effectifs théoriques retracés dans la circulaire annuelle de localisation des emplois restent aujourd'hui fondés sur une évaluation imparfaite des besoins. De surcroît, les vacances de postes de magistrats, qui étaient devenues résiduelles en 2021, atteignent 3,52 % en 2022, ce qui n'est pas bon signe. La situation reste encore plus préoccupante dans les greffes, où l'on observait encore un taux de vacance de 7 %.

Le garde des Sceaux a indiqué dans nos échanges que les travaux sur l'évaluation de la charge de travail des magistrats, que nous appelons de nos voeux depuis le rapport d'information « Cinq ans pour sauver la Justice ! » d'avril 2017, devraient aboutir en fin d'année, ce qui est heureux.

Il importe également de moderniser les méthodes de travail des magistrats en créant des équipes pour lui permettre de se concentrer sur son office, de revaloriser le rôle des greffiers et de donner un avenir aux contractuels. Encore faut-il que les missions de chacun soient clarifiées au sein de cette « équipe », tant il devient difficile de s'y retrouver entre les assistants de justice, les juristes assistants, les contractuels de catégorie A « justice de proximité », les assistants spécialisés...

Le rapport rendu au garde des Sceaux en septembre dernier par Dominique Lottin sur « La structuration des équipes juridictionnelles pluridisciplinaires » pourrait permettre d'engager enfin ce changement sur des bases plus concrètes. Toutefois, ce sujet n'est pas consensuel car la coexistence de ces différents statuts crée des tensions importantes au sein des juridictions.

Deuxième axe de mon propos : les délais et les stocks d'affaires dans les juridictions, qui demeurent toujours bien trop importants.

En matière civile, le délai de traitement des affaires est passé de 11,4 mois en 2019 à 13,7 mois en 2021 devant les tribunaux judiciaires. Conséquence de ces délais, le stock d'affaires des tribunaux judiciaires a vieilli, passant de 13 à 18 mois en dix ans, même si le garde des Sceaux nous a indiqué avoir commencé à le faire diminuer entre 2021 et 2022, de 13 %. En matière pénale, la situation est particulièrement inquiétante puisqu'il faut désormais presque 50 mois en moyenne (49,4) en 2021 pour juger un crime en première instance.

Troisième axe, le numérique. Le ministère poursuit ses efforts dans ce domaine, mais le chemin est encore long... Près de 82 % des crédits d'investissement prévus au titre du premier plan de transformation numérique (PTN) du ministère auront été dépensés, soit près de 431,7 millions d'euros entre 2018 et 2022. L'effort sera poursuivi par un nouveau plan de transformation numérique (PTN 2) sur 2023-2027 ; doté de195 millions d'euros en 2023.

Le problème ne réside plus vraiment dans les moyens car les crédits sont là et les projets sont financés... Lors de nos auditions, les services du ministère ont indiqué avoir revu leurs méthodes et leurs priorités pour assurer une gestion de projet plus efficace. Malgré ces efforts, on constate toujours des dysfonctionnements structurels sur le terrain.

Le projet PORTALIS (qui concerne le civil) a connu d'importantes difficultés de gestion. Priorité est donnée désormais aux applicatifs métiers. Pour autant, le projet est toujours en phase d'expérimentation dans les conseils de prud'hommes et n'est toujours pas déployé dans les cabinets des juges aux affaires familiales alors que cela était annoncé pour 2022.

Le projet PPN (procédure pénale numérique) a semble-t-il mieux pris en compte les processus métiers. Il est jugé opérationnel par le ministère dans les 160 juridictions où ce projet est testé sur les classements sans suite. Il faut espérer que cette procédure fera réellement gagner du temps aux greffiers...

Enfin, dernier axe : le budget de l'accès au droit.

Il augmente de 26 millions d'euros pour financer l'augmentation de la rétribution des avocats à l'aide juridictionnelle consentie en 2021 et 2022 dans le cadre du rattrapage prévu sur la base du rapport « Perben »
- même si la profession la juge inférieure à leurs attentes. En effet, l'unité de valeur est à 36 euros aujourd'hui, à comparer aux 40 euros préconisés par le rapport Perben et aux 42,2 euros souhaités désormais par le Conseil national des barreaux compte tenu de l'inflation.

Il augmente également de 2,4 et 2,7 millions d'euros pour les structures de proximité et l'aide aux victimes.

Quelques mots enfin sur les deux articles rattachés qui concernent la justice judiciaire.

Tout d'abord, l'article 44 du projet de loi, qui propose de prolonger de deux nouvelles années l'expérimentation de la tentative de médiation préalable obligatoire dans certaines affaires familiales votée en 2016. Nous n'y sommes pas opposées mais il sera grand temps de faire ensuite un réel bilan de ce dispositif avant une éventuelle généralisation, cette mesure ayant été votée il y a plus de six ans ;

Ensuite l'article 44 bis du projet de loi, qui a pour but de faciliter le recouvrement de l'aide juridictionnelle (AJ) versée par l'État à des personnes finalement non éligibles. Il s'agit du corollaire logique du dispositif qui permet dans certains contentieux de verser l'AJ à l'avocat sans vérifier a priori l'éligibilité du demandeur. La modification proposée vise à conférer aux bureaux d'aide juridictionnelle compétence pour constater l'inéligibilité du demandeur a posteriori et recouvrer les sommes versées.

Au bénéfice de ces observations, nous vous proposons d'émettre un avis favorable à l'adoption des crédits des programmes examinés dans cet avis.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie . - Les crédits des programmes concernés au sein de la mission « Justice » augmentent de manière sensible ; il est donc difficile de ne pas y être favorable. Mais je suis frappée de voir que deux points aveugles subsistent dans cette programmation budgétaire et que le garde des Sceaux n'y a pas apporté de réponse satisfaisante. En premier lieu, l'impact de l'inflation n'est pas abordé : l'augmentation des crédits de la mission, de l'ordre de 8 %, est moins impressionnante dans un contexte où l'inflation s'élève à 6,1 %. La question de l'exécution est aussi passée sous silence. Le garde des Sceaux a indiqué, lors de son audition, que le taux d'exécution était excellent mais j'ai compris que la réalité était plus contrastée. Il est aisé de présenter des budgets chatoyants mais, au final, seule l'exécution compte.

Mon groupe regrette que la méthodologie des États généraux de la justice, qui consistait à clarifier le rôle de la justice avant d'y allouer des moyens supplémentaires, n'ait pas été suivie. Néanmoins, l'effort budgétaire est conséquent et soutenu depuis plusieurs années. Malgré cette augmentation des ressources, la justice reste insuffisamment dotée. Les créations d'emplois, qu'il s'agisse de postes de magistrats ou de greffiers, ne sont pas suffisantes. L'augmentation de la rémunération des magistrats ne résout pas la question de l'attractivité de la fonction qui est liée aux conditions de travail.

Je partage également la position du rapporteur sur la question de l'allongement des délais de jugement. L'extension du recours au juge unique a entraîné un accroissement considérable du recours en appel qui concerne désormais 25 % des jugements contre 16 % en 2008. Il est intéressant de constater que de plus en plus de justiciables considèrent qu'ils n'ont pas été « bien » jugés en première instance. Le délai de jugement des crimes a augmenté de deux mois. Les cours criminelles départementales ont été généralisées avant d'être évaluées, ce qui est un problème. Nous ne sommes donc pas au bout du chemin.

Deux points me semblent mériter notre attention. Sur la question des violences intrafamiliales, sexuelles et sexistes, les crédits alloués au bracelet anti-rapprochement sont en augmentation. Le fonctionnement de ce dispositif est chaotique. Cette augmentation est-elle liée à l'accroissement du recours au bracelet anti-rapprochement ou au changement de prestataire ? Par ailleurs, le projet de loi de finances ne mentionne pas la création d'une juridiction spécialisée dans ce domaine. Le garde des Sceaux m'a indiqué que la création de cette juridiction ne représentait pas un enjeu budgétaire majeur. Je suis satisfaite d'apprendre que cette mesure sera peu coûteuse à mettre en oeuvre, mais je trouve cet argument peu pertinent, d'autant que la commission des lois a déclaré que mon amendement sur le sujet irrecevable au titre de l'article 40 de la Constitution.

Je salue l'augmentation des crédits consacrés à l'aide juridictionnelle, mais j'observe qu'elle n'est toujours pas suffisante pour opérer le rattrapage nécessaire.

J'ajouterai qu'il ne faut pas passer sous silence les difficultés rencontrées dans le cadre de la transformation numérique du ministère.

Malgré ces regrets et ces motifs d'inquiétude, notre groupe donnera un avis favorable aux crédits des programmes concernés. Il déposera des amendements sur l'aide juridictionnelle, le numérique et l'aide aux victimes de violences intrafamiliales et la création d'une juridiction spécialisée.

M. Dany Wattebled . - Pour avoir une justice de qualité, il convient de disposer de gens bien formés. Mes questions portent donc sur le recrutement des juristes assistants. Quel est leur cursus ? Quel est le ratio du nombre de candidats par rapport au nombre de postes à pourvoir ?

M. Alain Marc . - J'ai assisté hier à la réunion de la commission des finances en ma qualité de rapporteur pour avis sur les crédits de l'administration pénitentiaire. La question du retard de paiement de l'aide juridictionnelle y a été abordée. Certains cabinets d'avocat sont en péril financier car ces aides mettent parfois deux ans à être réglées. Le projet de loi de finances pour 2023 prévoit-il une solution à ce problème ?

Mme Muriel Jourda . - L'allongement des délais de jugement est une source d'inquiétude : plus la justice est lente et inefficace et plus nous glisserons vers la justice privée.

Il me semble que nous sommes en face d'un paradoxe qui m'interroge sur la crédibilité de la parole ministérielle : le garde des Sceaux nous a indiqué que le stock des affaires à traiter avait diminué de 13 % mais, dans le même temps, les délais de jugement ont continué à s'allonger, comment cela est-il possible ?

M. Philippe Bas . - Il est difficile de ne pas soutenir le budget de la justice qui, depuis plusieurs années, est en augmentation. Mais il faut rapporter aux performances de ce service public les moyens mis en oeuvre. Les performances, quoi qu'en dise le garde des Sceaux, ne s'améliorent pas. Est-ce lié au fait qu'on a considéré qu'il fallait combler les vacances de postes en créant les emplois budgétaires, sans jamais s'interroger sur les emplois nécessaires compte tenu de l'augmentation régulière du contentieux ? Nous comptons en moyenne 2,2 millions de décisions en matière civile et 800 000 en matière pénale. Un travail de remise à plat des moyens nécessaires au bon fonctionnement de la justice s'impose.

Il est également permis de s'interroger sur la capacité du ministère de la justice à consommer ses crédits d'investissement. Près d'un tiers de ces crédits ne sont pas consommés. Cela représente donc un budget colossal et entraîne du retard dans les travaux et les constructions que le législateur a pourtant jugés nécessaires. Pour rappel, il n'y a que 60 000 places de prison pour 72 000 détenus. Le ministère de la justice est incapable de gérer ces crédits de manière dynamique et de réaliser ses projets. Peut-on faire des propositions pour que la justice soit auditée de manière plus approfondie sur le bon emploi de ses moyens ?

Mme Nathalie Goulet . - Pourriez-vous m'apporter des précisions sur les programmes de lutte contre la radicalisation, notamment l'expérimentation du quartier de prise en charge de la radicalisation (QPR) au centre pénitentiaire de Rennes ? Nous organisons d'ores et déjà le rapatriement de femmes et d'enfants, avez-vous identifié un maintien ou une augmentation des crédits consacrés au suivi des personnes radicalisées ?

Mme Brigitte Lherbier . - Je suis satisfaite de voir le budget de la justice augmenter. Nous le réclamons depuis des années.

L'augmentation du nombre de magistrats est évidemment essentielle, tout comme la question de leur formation. Les étudiants doivent être encouragés dans cette voie dès la première année de leurs études supérieures.

J'aurais par ailleurs souhaité que le garde des Sceaux s'attarde sur l'idée de créer une juridiction spécialisée en matière de lutte contre les violences intrafamiliales. Un petit bémol : à Lille, 270 ordonnances de placement n'ont pas exécutées par manque de place, alors que les enfants sont en grand danger. Il faut examiner la chaîne judiciaire du début à la fin.

Concernant l'aide juridictionnelle, un avocat me disait : pourquoi ne pas encourager la résolution à l'amiable des litiges avant de se lancer dans des procédures contentieuses ? C'est tout l'enjeu de la médiation qui devrait être intégrée à l'aide juridictionnelle. Cela permettrait de résoudre les litiges plus rapidement.

Mme Marie Mercier . - Pour répondre à notre collègue Nathalie Goulet, la question des moyens consacrés au programme de prévention de la radicalisation avait été posée lors de notre déplacement à Rennes. La somme de 60 000 euros avait été annoncée mais nous avions eu du mal à comprendre à quoi ces fonds correspondaient exactement et s'ils étaient pérennes.

Mme Esther Benbassa . - Je réagis aux propos de Nathalie Goulet et Marie Mercier. À Rennes, on ne parvient pas à transférer des personnes détenues pour radicalisation. Je pense au cas d'Inès Madani, qui a tenté de faire exploser des bonbonnes de gaz près de Notre-Dame. Elle a dû être transférée en centre pénitentiaire d'Orléans-Saran où il n'y a pas de quartier spécialisé. À la prison de Rennes, je n'ai vu que deux détenues lorsque je m'y suis rendue en mai dernier. Nous rapatrions en ce moment des personnes radicalisées. Il faudrait rendre ces structures plus visibles et faire preuve de plus de réactivité car les résultats de ce programme ne sont pas satisfaisants.

Mme Agnès Canayer , rapporteur . - Marie-Pierre de La Gontrie, nous sommes dans une période particulière post-Etats généraux de la justice, qui prônaient une vision de l'institution à 360°. Pour le moment, le budget est entre deux eaux parce qu'il est difficile de faire de la planification budgétaire tant qu'on ne connaît pas les réformes qui seront engagées. Le projet de loi de finances se contente d'essayer de rattraper les conséquences de plusieurs années de décrochage budgétaire.

Dany Wattebled, vous pointez une difficulté essentielle : l'embauche de contractuels qui appartiennent à des statuts très variés peut poser des difficultés en juridiction. À titre d'exemple, en audition, l'association des juristes assistants de magistrats nous a ainsi indiqué qu'il était très difficile, pour ces personnels, de trouver leur place parmi les professionnels qui travaillent avec les magistrats, alors qu'aucune doctrine sur une véritable « équipe du magistrat » n'existe encore. Pour répondre à votre question, les juristes assistants sont titulaires d'un master ou d'un doctorat avec deux ans d'expérience professionnelle dans le domaine juridique.

Aujourd'hui, ce qui importe, c'est de structurer les équipes autour du juge. Il est donc nécessaire de procéder à une réorganisation structurelle au-delà de la hausse ponctuelle des moyens humains. Les embauches doivent être pérennes. Le recours systématique aux agents contractuels n'est pas la solution, même si les postes sont pérennisés. On constate que certains des agents contractuels ont été recrutés sur des postes de communicants ou pour servir de relais avec les élus locaux. Or, ces postes ne sont pas au coeur de l'action de la justice judiciaire, ce qui peut interroger.

Je ne peux malheureusement pas répondre de manière précise à la question d'Alain Marc sur l'évolution des délais de paiement de l'aide juridictionnelle. Ces délais ont toutefois vocation à s'améliorer avec la mise en place du nouveau système d'information de l'aide juridictionnelle (SIAJ).

Muriel Jourda, vous parlez du paradoxe entre l'allongement des délais de jugement et la diminution des stocks. Vous avez raison : les deux vont de pair. L'allongement des délais de jugement a pour corollaire le vieillissement du stock d'affaires à traiter. Je vous ai donné l'exemple du civil, où le stock a « vieilli » en dix ans, en passant de 13 à 18 mois. Ce que le garde des Sceaux nous a indiqué, c'est que grâce notamment au recrutement de contractuels ces dernières années, ce stock avait commencé à diminuer entre 2021 et 2022, de 13 %. Les dossiers qui restent en stock sont d'ailleurs souvent les plus complexes. Cette situation est d'autant plus préoccupante que la procédure pénale a tendance à se complexifier d'année en année.

Philippe Bas, il est effectivement nécessaire d'améliorer l'évaluation des besoins de l'institution. Le garde des Sceaux nous a indiqué que le travail sur l'évaluation de la charge de travail des magistrats devrait être achevé avant la fin de l'année. Les magistrats que nous avons entendus sont associés à ce travail et plutôt satisfaits de cette démarche qu'ils appelaient de leurs voeux depuis longtemps. Nous attendons toutefois d'en voir le résultat. En ce qui concerne les greffiers, l'évaluation se fait par le biais d'Outilgreffe, une application qui ne permet qu'une appréciation quantitative et non pas qualitative. Si cet outil a le mérite d'exister, il faudrait aussi pouvoir le faire évoluer.

Comme vous, nous déplorons chaque année la sous-consommation des crédits d'investissement. Cette situation est liée à la structure même de l'ingénierie du ministère de la justice qui est mauvais gestionnaire de patrimoine et mauvais conducteur de travaux. C'est aussi le cas pour les investissements en informatique, par exemple. Les effectifs des fonctions support sont progressivement renforcés pour disposer de réelles compétences en matière de gestion de projets immobiliers ou informatiques. On nous explique aussi souvent que les projets de construction d'établissements pénitentiaires sont freinés par la résistance des élus locaux mais il s'agit plutôt, à mon sens, d'une incapacité du ministère à prendre en main ces sujets.

Sur la question de la prise en charge des personnes radicalisées dans les établissements pénitentiaires, je laisserai Alain Marc vous répondre car ce sujet relève du budget de l'administration pénitentiaire.

Concernant la formation des étudiants, je partage l'avis de Brigitte Lherbier : il convient de multiplier les liens entre l'institution judiciaire et la formation initiale et continue. Il me semble également indispensable de favoriser l'apprentissage en milieu judiciaire qui en est aujourd'hui complètement absent.

La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits des programmes « Justice judiciaire », « Accès au droit et à la justice », « Conduite et pilotage de la politique de la justice » et « Conseil supérieur de la magistrature » de la mission « Justice ».

COMPTE RENDU DE L'AUDITION
DE M. ÉRIC DUPOND-MORETTI, GARDE DES SCEAUX, MINISTRE DE LA JUSTICE

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MARDI 8 NOVEMBRE 2022

M. François-Noël Buffet , président . - Mes chers collègues, nous accueillons ce soir le garde des Sceaux, pour l'entendre sur le projet de budget de la justice pour l'année 2023. Je rappelle que notre commission est saisie pour avis de la mission « Justice » pour laquelle nous avons désigné quatre rapporteurs : sur la « Justice judiciaire et l'accès au droit », Agnès Canayer et Dominique Vérien ; sur l'« Administration pénitentiaire », Alain Marc ; sur la « Protection judiciaire de la jeunesse », Maryse Carrère.

Je rappelle que notre audition est retransmise en direct sur le site internet du Sénat. Monsieur le ministre, après votre présentation des crédits et du texte adopté par l'Assemblée nationale, les rapporteurs vous poseront leurs questions, de même que les collègues présents qui le souhaitent.

Nous venons par ailleurs d'entendre la direction générale de la gendarmerie nationale sur la question de la police judiciaire, votre présence sera aussi l'occasion pour les rapporteurs de notre mission d'information, Nadine Bellurot et Jérôme Durain, de vous interroger sur ce dossier.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des Sceaux, ministre de la justice . - Merci monsieur le président. Le projet de budget que j'ai l'honneur de vous soumettre témoigne, pour la troisième année consécutive, de l'importance qu'attache le Gouvernement au budget du ministère de la Justice. Ce sont 710 millions d'euros supplémentaires qui viendront abonder en 2023 le service public de la justice. Son budget s'élèverait ainsi à 9,6 milliards d'euros pour 2023, hors charges de pension, soit une hausse de 8 %.

Ces moyens importants permettront de nourrir les trois piliers de mon action : l'augmentation de 9 % du budget de la justice judiciaire - je sais que c'est un enjeu sensible pour vous, madame Canayer - afin d'atteindre 3,39 milliards d'euros pour 2023 ; l'augmentation des moyens de l'administration pénitentiaire, monsieur Marc, de plus de 7 %, soit un budget de 3,91 milliards d'euros pour 2023 ; l'augmentation de plus de 10 % des moyens de la protection judiciaire de la jeunesse, qui atteindraient 917 millions d'euros pour 2023, madame Carrère.

Ce projet de budget, si l'on regarde en arrière, représente une hausse de plus de 26 % du budget de la justice depuis mon arrivée en 2020 et d'un peu plus de 40 % depuis l'élection du président de la République.

Je sais que votre commission est particulièrement sensible à la question des moyens. Au-delà des clivages partisans, elle a souvent plaidé pour une considération accrue des politiques gouvernementales en faveur de la justice. Elle avait même plaidé pour une trajectoire de hausse du budget supérieure à celle prévue à l'époque par le gouvernement, en vue de la loi de programmation pour la justice de 2019. Il se trouve que nous avons in fine dépassé les propositions pourtant ambitieuses du Sénat dans l'exécution de cette loi de programmation, avec les deux dernières hausses de 8 % intervenues en 2021 et 2022.

Nous nous retrouvons donc autour de cet enjeu démocratique majeur que constitue la bonne santé de notre justice.

Alors que vous avez été l'une des chevilles ouvrières des États généraux de la justice, monsieur le président et que le Sénat avait organisé l'Agora de la Justice en septembre 2021, je suis venu vous proposer qu'ensemble, nous poursuivions avec responsabilité et ambition cet indispensable effort de renforcement de notre justice, fondement de notre pacte social. C'est donc un nouvel effort budgétaire inédit que je suis venu ce soir vous présenter.

Je persiste et signe, sans aucune acrimonie : ce budget va nous permettre de poursuivre le rattrapage de plus de trente ans d'abandon politique, budgétaire et humain. Nous pourrons mettre en oeuvre les recommandations de grande qualité issues des États généraux de la justice, au premier rang desquelles la proposition d'un plan massif de recrutement (1 500 magistrats, 1 500 greffiers, des contractuels et au total 10 000 personnes qui seront embauchées).

Entrons dans le détail de ces crédits. Ma priorité numéro un est celle du renforcement humain, massif, dont notre justice a besoin. Les crédits de la mission Justice du projet de loi de finances permettront l'amorce d'un plan inédit de recrutement de plus de 10 000 emplois supplémentaires pérennes. Ce plan sera mis en place d'ici 2027.

Certains m'ont reproché l'usage de mots forts mais ceux-ci sont requis pour décrire des actes qui sont forts à plusieurs titres. Si le quinquennat précédent avait permis la création de 7 270 emplois, nous allons faire mieux et plus dans le cadre de ce nouveau quinquennat. Nous augmenterons aussi de 11 % les emplois du ministère d'ici 2027. C'est proportionnellement quatre fois plus que les recrutements réalisés au sein de la police et la gendarmerie nationales : c'est bien un rattrapage que nous avons décidé d'amorcer, conformément aux orientations prises depuis deux ans et aux recommandations du rapport des États généraux.

Nous allons d'ores et déjà créer 1 500 postes de magistrats, 1 500 postes de greffiers supplémentaires sur le quinquennat, afin de renforcer de façon significative les effectifs en juridiction. C'est un effort très important : ces créations représentent le double de ce qui a été fait lors du précédent quinquennat. Les autres emplois seront répartis finement, année après année, en fonction des besoins opérationnels résultant des campagnes de recrutement qui seront mises en oeuvre et de l'avancement des projets immobiliers portés par le ministère de la justice. Je pense en particulier à la construction d'établissements pénitentiaires.

Dès 2023, ce sont 2 253 personnels qui arriveront dans les établissements pénitentiaires, dans les juridictions et au sein des structures de protection judiciaire de la jeunesse, soit trois fois plus que les recrutements réalisés en 2022. Ces 2 253 personnels supplémentaires sont répartis de la façon suivante : 1 220 pour la justice judiciaire, avec notamment 200 magistrats et 191 greffiers ; 809 personnels supplémentaires pour l'administration pénitentiaire ; 92 personnels supplémentaires pour la protection judiciaire de la jeunesse.

Le reste, soit 132 personnels, bénéficiera à la coordination et à la politique publique de la justice. 60 créations d'emplois sont prévues pour les opérateurs, 26 pour l'École nationale de la magistrature, 19 pour l'agence publique pour l'immobilier de la justice, 15 pour l'agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués (AGRASC).

Ma deuxième priorité découle de la première : pour recruter et reconstruire un service public de la justice de qualité, il nous faut attirer et fidéliser les compétences par des revalorisations catégorielles des agents du ministère, qui sont autant de rouages indispensables à son bon fonctionnement. Pour assurer ce niveau inédit de recrutement, je souhaite renforcer encore l'attractivité des métiers de justice par des revalorisations salariales. Nos métiers sont exigeants. Je pense bien sûr à l'engagement des magistrats mais aussi à l'expertise des greffiers, à la délicate et difficile mission des surveillants pénitentiaires, à la compétence de nos cadres, à l'engagement des éducateurs de la protection judiciaire de la jeunesse ou au dévouement des personnels administratifs et techniques, qui travaillent souvent dans l'ombre, mais sans qui la justice ne fonctionnerait pas.

Le projet de budget 2023 permettra de revaloriser tous les agents de ce ministère de façon inédite, à hauteur de 80 millions d'euros. Nous entrerons tout à l'heure dans le détail.

Il convient, à ce stade, d'évoquer la situation des magistrats. Madame la rapporteure Canayer, j'ai décidé de revaloriser les primes des magistrats à hauteur de 1 000 euros bruts par mois en moyenne, soit une hausse de plus de 16 % de leur rémunération globale. Cette mesure est nécessaire pour maintenir l'attractivité de ce métier et la comparaison avec la rémunération des magistrats de l'ordre administratif. Elle est aussi légitime pour témoigner de notre reconnaissance, de la mienne en particulier, aux magistrats de l'ordre judiciaire, qui travaillent au quotidien au service de notre justice. Je veux prendre ici un exemple concret de l'abandon politique, humain, financier de la justice que j'évoquais. Le régime indemnitaire n'avait pas été augmenté, à part quelques revalorisations spécifiques à certaines fonctions, depuis 1996. Jacques Toubon était alors garde des Sceaux et non Défenseur des Droits.

S'agissant des fonctionnaires, 2023 sera encore une année historique, avec une enveloppe catégorielle de 50 millions d'euros, soit une hausse de plus de 20 % en un an, et de 66 % en deux ans. C'était 40 millions d'euros en 2022, 30 millions d'euros en 2021. J'amplifierai ainsi l'effort consacré depuis trois ans aux deux objectifs de la politique que je porte : l'attractivité de tous les métiers de la justice, qui sont tous des rouages indispensables, et la fidélisation des femmes et des hommes qui travaillent au service de la justice de notre pays. Je voudrais évoquer ici la poursuite de l'effort inédit consacré à la revalorisation indemnitaire des greffiers et directeurs des services de greffe. Après l'augmentation de 21 millions d'euros obtenue pour 2022, plus de 10 millions d'euros seront consacrés à cette fin en 2023. Pour les greffiers, cela représente une augmentation de 12 %, au total, sur trois ans, avec les hausses prévues en 2023. S'y ajoute la revalorisation, à hauteur de 7 millions, du régime indemnitaire des agents de la protection judiciaire de la jeunesse, madame Carrère.

Les surveillants pénitentiaires, monsieur Marc, ont bénéficié en 2022 d'une réforme importante de leur statut et de leur rémunération. La fusion des grades de surveillant et de brigadier a permis de simplifier la carrière des agents et de revaloriser de façon importante le salaire indiciaire, notamment en début et en fin de carrière. Mais cette réforme était une première étape. Des travaux seront engagés dès le début de l'année 2023 avec les organisations syndicales pour travailler à une revalorisation d'envergure de leur statut et de leur rémunération. Elle sera mise en oeuvre au cours des années suivantes. Nous devons en effet, pour ouvrir les établissements pénitentiaires du plan « 15 000 », nous donner tous les moyens pour recruter davantage et dans de meilleures conditions afin de fidéliser, là encore, des agents qui exercent des missions nécessaires mais tellement difficiles. Nous le savons évidemment tous.

La poursuite des actions menées pour revaloriser le régime indemnitaire des agents de catégorie C est tout aussi nécessaire. Je n'oublie pas les cadres de ce ministère : près de 10 millions d'euros seront consacrés cette année à une revalorisation de leur régime indemnitaire et indiciaire. Nous travaillons à la construction de parcours professionnels plus attractifs, plus variés et plus riches. C'est une évolution légitime que nous leur devons au regard de leur investissement quotidien aux côtés de chacun et chacune.

Mon troisième axe budgétaire est simple : il nous faut assurer l'effectivité de notre réponse pénale et améliorer les conditions de travail des agents et de détention des détenus, question à laquelle nous sommes, ici, tous sensibles. Pour ce faire, je souhaite doter notre pays d'au moins 15 000 places de prison nettes supplémentaires à l'horizon 2027. Ce plan lancé par le président de la République a été marqué, à ses débuts, par des difficultés inhérentes aux recherches foncières, parfois pour des raisons de faisabilité technique (par exemple environnementales, du fait de la découverte d'espèces animales protégées). Je gage que de nombreux élus locaux voient de quoi je parle. Je me dois également de redire que ce fut parfois aussi pour des raisons d'acceptabilité par les élus et les riverains. Ce plan a aussi été entravé par des démarches contentieuses lourdes, dont certaines ne sont d'ailleurs pas terminées (Muret, Tremblay-en-France, Orléans). Maintenant que les terrains nécessaires au lancement de l'ensemble des projets sont tous identifiés, les opérations entrent dans leur phase active et le rythme des livraisons va s'accélérer progressivement, afin de s'échelonner jusqu'en 2027. En 2023, plus de 441 millions d'euros sont budgétés pour la réalisation du plan « 15 000 ». Je tiens à vous rassurer : si certaines sous-consommations de crédits ont pu être constatées ces dernières années, s'agissant de crédits immobiliers, elles ne devraient plus avoir lieu à l'avenir, car tous les terrains sont identifiés. Je vous rendrai compte naturellement de l'évolution de ces sous-consommations et, j'en suis convaincu, de leur disparition.

En 2023, ces 441 millions d'euros permettront de finaliser la livraison de dix établissements pénitentiaires, soit un cinquième du plan « 15 000 ». Il s'agit d'abord de sept structures d'accompagnement vers la sortie (SAS), qui verront le jour à Avignon, Valence, Meaux, Osny, Le Mans et Caen. Il s'agit enfin des trois centres pénitentiaires qui ouvriront à Caen,
Fleury-Mérogis et Troyes-Lavau, que j'ai pu visiter en juillet dernier. Dès 2024, la moitié des établissements du plan « 15 000 » seront opérationnels, sur la cinquantaine de chantiers actuellement en cours. De plus, ce sont déjà 18 opérations qui sont en chantier avancé dans toute la France, par exemple la nouvelle construction des Baumettes à Marseille, avec 740 places, ou la réhabilitation de l'ex-centre de jeunes détenus de Fleury-Mérogis, qui permettra la création de 408 nouvelles places.

Je souhaite engager les opérations de réhabilitation des établissements pénitentiaires les plus vétustes. Il s'agit en particulier de l'opération majeure et prioritaire de réhabilitation du centre pénitentiaire de Fresnes. Contrairement à ce que certains ont pu dire, c'est tout sauf le « Club Med ». Je crois d'ailleurs que les parcs de loisirs et l'hôtellerie ont permis de colorer les fantasmes de certains. Celui qui tient de tels propos est au mieux totalement ignorant de l'univers carcéral, au pire motivé par des intentions bassement démagogiques. Je dis ces mots devant une commission qui, depuis des années, a porté à la question carcérale une attention toute particulière. Je veux ici l'en remercier. Je suis d'ailleurs très fier d'avoir porté la loi Buffet du 8 avril 2021, qui a créé le recours pour conditions indignes de détention. C'est dans ce même esprit que nous renforcerons nos budgets de rénovation du parc carcéral déjà existant.

Quatrièmement, il faut aussi prévoir et préparer l'accueil des recrutements que j'ai évoqués, par des investissements massifs dans l'immobilier de nos juridictions. C'est un enjeu essentiel, pour une justice de qualité, afin de mieux accueillir les justiciables (car c'est d'abord pour eux que la justice travaille) et pour améliorer les conditions de travail des agents actuels et des renforts humains qui viendront au cours des cinq années à venir. En la matière, le projet de budget permettra en 2023 de poursuivre les opérations d'ampleur qui ont été engagées lors du quinquennat précédent. Il s'agit notamment de poursuivre les chantiers des palais de justice de Lille, de l'Île de la Cité à Paris, de Bayonne et d'autres projets. Il s'agit aussi de poursuivre les études des projets de Cayenne, de Bussey, de Meaux, de Moulins, de Nancy, Nantes, Perpignan et d'autres encore. Il s'agit enfin de permettre de lancer de nouvelles opérations immobilières, comme à Argentan, Chartres, Colmar, Saint-Brieuc ou Verdun.

Ma présentation serait incomplète si je n'évoquais des mesures importantes que je compte porter dans le cadre de ce budget. Une enveloppe de 660 millions d'euros sera prévue pour renforcer les moyens d'enquête et d'expertise de la justice, soit une hausse de 12 millions d'euros supplémentaires, ce qui porte à 170 millions d'euros l'effort consenti pour ces moyens depuis mon arrivée. Il contribuera notamment à faciliter le « déstockage » des affaires d'ores et déjà en cours.

Les crédits d'investissement informatique constituent un enjeu essentiel pour notre ministère. Ce n'est pas votre collègue Dominique Vérien qui me démentira. Ces crédits seront portés à 195 millions d'euros dans le cadre de la poursuite de la mise en oeuvre du plan de transformation numérique ministériel. Ils concernent principalement la mise en oeuvre des grands projets informatiques comme Astrea, ATIGIP 360, Portalis ou encore PPN (la procédure pénale numérique). Parallèlement, la mise à niveau technique des infrastructures telles que les centres de production et le réseau sera renforcée. Des informaticiens et techniciens seront déployés massivement dans toutes les juridictions.

Les crédits de l'accès au droit et à la médiation vont s'élever à 713 millions d'euros en 2023, ce qui représente une hausse de 33 millions d'euros par rapport à 2022 (+ 5 %), avec 641 millions d'euros pour les crédits dédiés à l'aide juridictionnelle, ce qui équivaut à une hausse de 25 millions d'euros en une année. Nous lancerons d'ailleurs prochainement un grand plan de l'amiable, dans la suite des États généraux, afin de faire basculer la culture judiciaire française en faveur d'une véritable culture du règlement amiable. J'aurai l'occasion de vous en reparler lors de la présentation du plan d'action issu des États généraux de la Justice que nous sommes en train de finaliser.

Quarante-trois millions d'euros iront à l'aide aux victimes, soit une hausse de 7 %, ce qui traduit l'importance que nous portons tous et que je porte à cette politique. Celle-ci constitue bien sûr une priorité gouvernementale. 16,1 millions d'euros, dans cette enveloppe, seront consacrés aux violences intrafamiliales, ce qui représente plus qu'un doublement du budget annuel consacré à ces violences, qui était de 8 millions d'euros à mon arrivée en 2020.

Le projet de budget 2023 approche désormais 10 milliards d'euros pour la justice. Il nous permettra de poursuivre le renforcement indispensable de notre justice, avec une ambition inédite, tout en ayant la certitude, pour les services de mon ministère, d'exécuter au mieux ce projet de budget. Ambition et responsabilité, tels sont les deux mots qui résument ce projet de budget. Nous le devons aux magistrats, aux greffiers, aux agents pénitentiaires, aux avocats, aux adjoints administratifs, aux juristes assistants et à tous les acteurs du monde judiciaire, qui rendent chaque jour possible le contrat social. Je parle ici de préserver la paix sociale, par la confiscation du droit à la vengeance à travers la loi pénale et le règlement de tous les litiges du quotidien qui minent la société.

Cette ambition et cette responsabilité, nous la devons avant tout aux justiciables, c'est-à-dire nos concitoyens, qui paient aujourd'hui les abandons et les renoncements du passé. J'espère pouvoir compter, comme les deux années précédentes, sur votre appui. Avant cela, je répondrai naturellement et avec plaisir à toutes les questions que vous voudrez bien me poser.

M. François-Noël Buffet , président . - Merci monsieur le ministre. Je donne d'abord la parole aux rapporteurs, Agnès Canayer, Alain Marc et Maryse Carrère.

Mme Agnès Canayer , rapporteure pour avis. - Monsieur le garde des Sceaux, effectivement, pour la troisième année consécutive, vous nous présentez un budget de la justice en hausse et nous ne pouvons que nous en féliciter. Cette augmentation des crédits permet de rattraper un retard important et de remettre la justice sur une bonne trajectoire.

Ce premier budget après les États généraux de la justice préfigure le plan d'action que vous nous avez annoncé. Il repose en particulier sur le renforcement des moyens dévolus à la justice judiciaire, notamment par un renforcement des moyens humains, qui constitue une attente forte au sein des juridictions. Ceci doit être permis par les recrutements importants qui sont prévus. L'objectif poursuivi est avant tout, pour renouer avec la confiance, d'agir sur la réduction des délais de jugement, qui sont une difficulté récurrente. Les augmentations d'emploi, notamment sous la forme de contractuels embauchés ces deux dernières années, ont-elles permis de réduire véritablement, notamment en matière civile, les délais de traitement des affaires, alors qu'il semble que le délai soit toujours de plus d'une année en 2021 ?

Si l'attractivité des fonctions de magistrat judiciaire peut passer par la revalorisation indemnitaire que vous proposez - à hauteur de 1 000 euros bruts en moyenne par mois - il me semble qu'elle repose également sur le sens donné à leur action et sur une réforme plus structurelle de l'organisation, en mettant enfin en place une véritable équipe autour du magistrat. Que pensez-vous du rapport de Dominique Lottin sur ce sujet et pensez-vous qu'il pourra être rapidement mis en oeuvre? Où en est-on par ailleurs dans l'évaluation de la charge de travail des magistrats, qui permettra ensuite de connaître les besoins réels des juridictions ?

Je poserai également une question au nom de notre collège Dominique Vérien, sur le sujet de l'informatique, qui lui tient à coeur. Afin de ne pas reproduire les erreurs du passé, même si je note qu'il y a une reconduction des prestataires, quelle réflexion menez-vous pour mettre en place les recommandations des États généraux de la justice en prenant en compte les évolutions informatiques nécessaires, notamment dans Portalis ? Prévoyez-vous un pilotage par des équipes compétentes, voire la création d'une agence du numérique ?

M. Alain Marc , rapporteur pour avis . - Monsieur le ministre, pour la troisième année consécutive, le budget de la justice augmente fortement. Pourriez-vous nous dire quelques mots de l'exécution de ce budget ? Les collectivités appellent cela le « compte administratif ».

Nous sommes en train de bâtir des prisons et d'en prévoir d'autres. L'augmentation des matières premières et du coût de la construction ne
va-t-elle pas impacter ce programme ?

Pour rendre plus attractifs les métiers de l'administration pénitentiaire, des revalorisations indemnitaires sont nécessaires et même prévues. Ne faudrait-il pas aussi jouer sur d'autres leviers comme l'accès au logement, dont nous savons qu'il constitue un vrai problème pour les surveillants pénitentiaires, notamment lorsqu'ils sont affectés en région parisienne ? J'ai entendu parler d'un projet de construction de 80 logements à Fleury-Mérogis, qui me semble prometteur. Je crois que d'autres lieux ont été identifiés où nous pourrions travailler avec des organismes HLM, ce qui ne coûterait rien à l'administration pénitentiaire et n'impacterait pas le budget de la justice. Où en est-on de ce point de vue ?

Nous nous sommes rendus en septembre 2021 à Mayotte, avec le président François-Noël Buffet, à Mayotte. Il nous était apparu nécessaire d'y créer un nouveau centre pénitentiaire. Où en est ce projet ?

Mme Maryse Carrère , rapporteur pour avis . - Je fais le même constat que mes collègues quant au budget de la protection judiciaire de la jeunesse, qui est aussi en augmentation cette année. Nous nous en félicitons. Vous avez souligné l'augmentation conséquente des recrutements, en 2023, comme en 2022. Nous ne pouvons cependant que nous inquiéter des difficultés de recrutement que connaît la PJJ, avec un taux de vacance des postes de près de 6 % et un niveau de turn over élevé sur un certain nombre de postes plus difficiles. Le taux de contractuels et leur turn over est aussi très élevé. Quelles sont vos pistes pour rendre attractifs les métiers de la PJJ ? Les créations de postes sont nécessaires pour mettre en place des actions qui reposent beaucoup sur la présence des éducateurs et sur les liens tissés dans la durée avec les jeunes.

Vous avez annoncé la création d'un nouveau centre éducatif fermé à Mayotte, ce qui répond au besoin et à la demande des élus. Ceux-ci se demandent toutefois si ce centre sera confié au secteur public ou au secteur privé. Au regard du besoin de réaffirmation de la présence de l'État dans ce département, il me semblait qu'un établissement public serait peut-être à privilégier. Quand la décision sera-t-elle prise sur ce point ?

Mme Brigitte Lherbier . - Monsieur le garde des Sceaux, cette augmentation de budget nous satisfait beaucoup, tant les besoins étaient considérables en matière de justice. Nous nous félicitons de ces efforts. D'ici 2027, il y aura 1 500 magistrats et 1 500 greffiers de plus qu'en 2022, avez-vous annoncé. Pouvez-vous confirmer qu'il s'agit d'une hausse nette, c'est-à-dire qu'elle prend en compte les départs en retraite ? Compte tenu de la pyramide des âges, le nombre de départs en retraite sera très important jusqu'en 2027. S'il s'agit d'une hausse nette, combien de futurs magistrats et greffiers formerez-vous cette année ?
Au-delà d'une hausse du budget de l'ENM, qu'avez-vous prévu pour accueillir ces promotions qui seront sensiblement plus importantes (sachant que les surfaces dont dispose l'École sont assez limitées) ?

Selon vous, monsieur le garde des Sceaux, l'objectif que s'est fixé le Gouvernement à l'horizon 2027 sur le plan des effectifs est-il le nombre idéal de magistrats et de greffiers font la France a besoin pour rendre une bonne justice, une justice rapide, dans laquelle les professionnels disposeraient du temps nécessaire pour traiter chaque affaire individuellement, calmement, sagement ? Aujourd'hui, tous les avocats nous interpellent quant à l'allongement des délais dans toutes les juridictions.

Mme Laurence Harribey . - Monsieur le ministre, je m'associe aux satisfactions exprimées devant l'augmentation des moyens. Au-delà de
celle-ci, il est également intéressant qu'une refonte structurelle se profile, comme Agnès Canayer l'a souligné, sur cette question de la justice.

En ce qui concerne le programme 107, qui concerne l'administration pénitentiaire, vous prévoyez une augmentation du nombre de conseillers pénitentiaires d'insertion et de probation (CPIP) et de directeurs pénitentiaires d'insertion et de probation (DPIP). Indépendamment de ces créations de postes, se pose un réel problème d'attractivité de ces fonctions. Que prévoyez-vous pour traiter cette question ?

Nous avons par ailleurs l'impression que les orientations budgétaires confirment le choix fait en faveur des centres éducatifs fermés. Or nous venons de rendre, avec trois collègues, un rapport sur la délinquance des mineurs et le décrochage scolaire, dont vous avez souligné la qualité des recommandations. Nous nous interrogeons sur l'efficacité et la raison d'être de ces centres. Des chantiers sont en retard, de surcroît. Qu'en pensez-vous, sachant que les États généraux ont aussi exprimé un certain nombre de doutes sur ce dispositif ?

M. Jean-Pierre Sueur . - Monsieur le garde des Sceaux, après avoir bien entendu constaté l'augmentation des crédits, j'aimerais vous interroger sur la question de la surpopulation pénitentiaire. Comme vous le savez, il y a aujourd'hui 72 350 détenus pour 60 709 places, soit un taux de suroccupation de 141,5 % dans les maisons d'arrêt. Plus de 2 000 personnes sont aujourd'hui dans des cellules de neuf mètres carrés comptant trois personnes, sur des matelas posés au sol. Que comptez-vous faire dans les mois qui viennent au regard de cette situation ? C'est un vrai sujet, que vous connaissez bien. Nous avons pu lire les conclusions des États généraux, dont le rapport est écrit par d'éminentes personnes, qui soulignent que « la construction de nouveaux établissements pénitentiaires ne peut constituer une réponse adéquate ». Sans doute le rapport envisage-t-il la rénovation des établissements qui seraient vétustes mais il indique aussi qu'il faut une autre politique privilégiant les peines alternatives à l'incarcération. À cet égard, nous sommes assez loin du but, au vu des chiffres que je viens de rappeler : ceux-ci sont quasiment sans précédent.

M. Thani Mohamed Soilihi . - Je me félicite à mon tour de cette augmentation historique du budget de la justice. Nous voyons que l'on prend le taureau par les cornes. Je me réjouis également d'entendre nos collègues de la commission des lois évoquer mon département, Mayotte. Cela fait suite à la mission que nous avons conduite sur ce territoire en grande difficulté et il est important que d'autres collègues de la représentation nationale s'emparent de ces sujets. Je vous en remercie, chers collègues.

Monsieur le garde des Sceaux, vous avez effectué un certain nombre d'annonces relatives à Mayotte, notamment celle d'une nouvelle cité judiciaire et la création d'un deuxième centre pénitentiaire, sans oublier le centre éducatif fermé. Ces annonces étaient nécessaires car les besoins sont énormes. Quel est le calendrier de mise en oeuvre de ces projets ? Les délinquants et les criminels n'attendent pas. Ils sont à l'oeuvre et le temps joue contre nous. Il y a deux semaines, les élus de Mayotte ont organisé unanimement une opération « île morte » afin de dénoncer la montée extrême de la violence dans ce département. La réalisation de ces projets prendra nécessairement du temps. Que peut-il être fait, dans l'attente, pour juguler la montée de la délinquance juvénile ? Ne serait-il pas pertinent de créer une entité spéciale (dans laquelle les parlementaires prendraient leur place, aux côtés des autres acteurs de la justice et des élus locaux) pour conduire l'ensemble de ces projets ? Du côté du ministère de l'intérieur, des brigades de gendarmerie supplémentaires ont été annoncées, ainsi que des logements supplémentaires pour ces gendarmes et pour la justice. Nous faisons face à un énorme problème de foncier mais il ne faudrait pas que celui-ci retarde la concrétisation de ces évolutions indispensables.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie . - Monsieur le garde des Sceaux, vous avez fait état d'une augmentation des crédits concernant les violences intrafamiliales. Pourriez-vous en préciser l'objet ? Avez-vous prévu la création d'une juridiction spécialisée consacrée à la lutte contre les violences intrafamiliales et les violences faites aux femmes ?

M. Guy Benarroche . - Monsieur le ministre, ma question s'inscrit dans le prolongement des États généraux. Je vous avais interrogé à propos de la revalorisation des directeurs pénitentiaires d'insertion et de probation (DPIP). Qu'est-il prévu pour ces derniers ?

M. Éric Dupond-Moretti, garde des Sceaux, ministre de la justice . - Madame Canayer, j'ai demandé quasiment dès mon arrivée le travail sur l'évaluation de la charge de travail. Il faut beaucoup de temps pour le mettre en oeuvre. La direction des services judiciaires (DSJ) estime que ce travail sera terminé d'ici la fin de l'année. Cet outil est indispensable. Nous aurons en 2023 une idée précise des besoins de recrutement de magistrats.

Les chiffres que nous avons annoncés sont-ils les bons ? Ce sont en tout cas les chiffres qui ont été retenus par les États généraux, après un travail réalisé auprès de tous les acteurs du monde judiciaire, à l'exclusion du garde des Sceaux, d'une certaine façon : je n'ai pas souhaité participer aux différents ateliers. Je ne faisais pas non plus partie du Comité des États généraux, afin qu'on ne puisse pas dire que j'avais orienté les travaux. Je les ai pris tels qu'ils ont été restitués par le président Jean-Marc Sauvé. Nous avons ensuite mené des concertations avec tous ceux qui ont bien voulu y participer, c'est-à-dire avec tous les acteurs du monde judiciaire, à l'exception d'un syndicat. Nous avons retenu un certain nombre de propositions consensuelles. Nous avons ainsi initié une nouvelle gouvernance : nous ne sommes pas partis du ministère pour tenter d'imposer un certain nombre de choses. Nous sommes partis du Comité des États généraux, des ateliers de travail et des concertations. Nous avons retenu les propositions qui étaient consensuelles. Cela me semblait nécessaire. L'Assemblée nationale étant composée comme chacun le sait, je préférais présenter un projet de loi consensuel, du moins à l'échelle de l'ensemble des acteurs du monde judiciaire. Le chiffre retenu ressort des États généraux. Il faudra, sans aucun doute, l'affiner. Je me méfie de ceux qui affirment qu'il faut retenir 1 400, 2 000 ou tel autre chiffre. Nous avons d'ailleurs entendu certains chiffres invraisemblables. Si nous avions mis en oeuvre certaines des propositions entendues, nous n'aurions pas su où faire travailler nos magistrats ou nos greffiers.

Sur le plan des méthodes de travail, un élément est ressorti des États généraux, traduisant un changement de paradigme : la nécessité de mettre en place une équipe autour du magistrat. Nous nous souvenons tous de la tribune signée à l'initiative de jeunes magistrats, puis d'autres magistrats. Des greffiers ont ensuite embrayé pour la signer également. Ils expriment une perte de sens et une forme de solitude. Nous avons mis en place un tutorat, ce qui était sans doute nécessaire mais non suffisant. Cette idée d'équipe a prospéré et tout le monde y est favorable aujourd'hui. Elle serait composée notamment d'universitaires (en particulier en matière civile), de greffiers et de contractuels. Placer un juriste assistant auprès d'un magistrat permet de rendre un jugement deux fois plus vite. Nous allons recruter 300 juristes assistants dès 2023. Ces contractuels sont-ils efficaces en termes de « déstockage » ? Lorsque nous les avons mis en place, on m'a regardé, au mieux, avec beaucoup de circonspection. Au pire, c'était une pluie battante de critiques, notamment dans l'expression syndicale, au motif que nous allions faire appel à des contractuels au lieu de magistrats. J'essayais de répondre, lorsqu'on me laissait le faire, en observant qu'il fallait 31 mois pour former des magistrats. Or il y avait une forme d'urgence. Ces 2 000 contractuels ont d'abord été envoyés au pénal, auprès des procureurs. Puis les civilistes se sont fait entendre. Ce fut pour moi le premier signe confirmant que nous ne nous étions pas trop trompés. J'ai été conforté dans cette conviction lorsqu'on m'a demandé de les pérenniser : les juridictions les réclamaient, démontrant qu'ils étaient indispensables.

Au civil, aujourd'hui, nous observons, entre le 1 er janvier 2021 et
mi-2022, une baisse des stocks de 15 % à 28 % selon les matières et selon les juridictions. Cette diminution se traduit en particulier par la montée en puissance progressive des moyens alloués dans le cadre du renforcement de la justice de proximité. Le stock des affaires est passé de 1 107 384 dossiers en 2021 à 965 331 dossiers, soit une baisse de 13 %. La baisse s'accentue encore. Je n'ai pas les chiffres définitifs mais nous avons toutes les raisons de penser, sans être d'un optimisme déraisonnable, que la baisse des stocks se poursuit. C'est vrai, dans une moindre mesure, au pénal, ce qui est cohérent : c'est en effet au civil que la hausse des moyens a été la plus importante, ce qui montre que les résultats sont au rendez-vous lorsqu'on augmente les moyens de la justice.

Un premier plan de transformation numérique a été mis en oeuvre. Le Parlement y a alloué 530 millions d'euros, ce qui a permis la mise à niveau et l'adaptation du « socle technique » (58 000 ordinateurs portables, 3 330 visioconférences, la fibre dans toutes les juridictions, le lancement de plusieurs applicatifs dont la procédure pénale numérique). Nous souhaitons, avec ce deuxième plan de transformation numérique (195 millions d'euros en 2023), renforcer le socle, en travaillant notamment sur les débits du réseau. Il s'agit également de poursuivre le travail sur les applicatifs existants (PPN, Portalis). Les 56 millions d'euros restants permettraient de renforcer la sécurité des systèmes d'information - sujet crucial. Ils permettraient également de développer de nouveaux projets suite aux États généraux de la Justice, par exemple une plateforme de gestion des violences intrafamiliales. Au sein du ministère, nous sommes en train de faire bouger un certain nombre de lignes, qui ne l'avaient pas été depuis longtemps. La Cour des Comptes était très critique à notre égard sur ce sujet, mais elle a elle-même révisé son jugement, constatant que des efforts avaient été faits. Nous les poursuivons.

Nous avons un secrétariat général qui est presque exclusivement affecté au numérique. Le nouveau secrétariat général est mobilisé sur ces questions, car nous n'avons pas toujours été les meilleurs élèves de ce point de vue, au ministère de la justice. Cela n'a pas échappé à la sagacité des parlementaires que vous êtes. Nous avons besoin de ces outils, devenus indispensables à la simplification. Je ne doute pas que j'aurai l'occasion de revenir sur la progression de ces efforts.

Monsieur Marc, le budget de la direction de l'administration pénitentiaire (DAP) est en hausse : il passera de 4,6 milliards d'euros en 2022 à 4,9 milliards d'euros en 2023, soit une hausse d'environ 7,5 %.

S'agissant de l'exécution du budget du ministère, moins de 1 % des crédits votés en loi de finances initiale n'ont pas été consommés. Au cours des quinze dernières années, environ 100 millions d'euros n'ont pas été consommés chaque année en moyenne, sur un budget qui s'élèvera à 9,6 milliards d'euros en 2023. C'est une proportion assez faible.

Je reconnais qu'entre 2017 et 2021, environ 13 % des crédits immobiliers alloués à la DAP (soit 226 millions d'euros sur 1,8 milliard d'euros de crédits votés en faveur de la construction du Plan 15 000) n'ont pas été consommés. Je plaide cependant de larges circonstances atténuantes : le début de la mise en oeuvre du programme a été marqué, en particulier, par des recherches foncières. Ce sont parfois ceux qui ont le discours sécuritaire le plus affirmé qui, au moment d'exercer leurs obligations républicaines, c'est-à-dire lorsqu'ils pourraient nous aider à résorber le manque de places et à améliorer les conditions de détention, se montrent les moins allants. Vous le savez. Je puis néanmoins vous assurer que ces difficultés ont été surmontées, puisque l'ensemble des terrains ont été identifiés. Les sous-consommations vont donc fortement diminuer concernant l'immobilier de la DAP.

L'impact de la hausse du coût des matières premières sur le plan « 15 000 » n'est certes pas anodin : l'ensemble des chantiers sont surévalués compte tenu de l'évolution de l'inflation. Pour chaque projet, il existe une enveloppe visant à couvrir les aléas notamment relatifs à l'évolution des prix.

Je vous confirme que, malgré nos efforts, le recrutement des surveillants pénitentiaires demeure très compliqué, ce qui tient à plusieurs facteurs. Il en découle un surencombrement carcéral et une promiscuité qui compliquent les rapports humains et dégradent significativement les conditions de travail des agents pénitentiaires, que je veux ici saluer une nouvelle fois. Ils représentent la troisième force de sécurité de notre pays et font un métier difficile. Les métiers des corps de la filière de surveillance pénitentiaire sont exigeants, peu en phase avec les nouvelles attentes du monde du travail. Il n'y a pas que dans ce secteur que se pose la question de l'attractivité. Les départs à la retraite des agents recrutés à la fin des années 1980 et au début des années 1990 n'améliorent pas la situation.

On a fait beaucoup depuis 2017. Un plan de requalification a permis à 1 400 agents de catégorie C de passer en catégorie B à partir de 2019. Le corps des surveillants est passé de quatre à trois grades en 2022, tout en maintenant la catégorie C. Des revalorisations indemnitaires importantes sont également intervenues, ainsi que des concours nationaux à affectation locale, assortis d'une prime de fidélisation de 8 000 euros. La direction de l'administration pénitentiaire (DAP) a mis en place un plan de lutte contre les violences et a renforcé son dispositif d'accompagnement des personnels victimes d'agression. Une campagne de communication nationale a aussi été déployée.

Il faut évidemment trouver d'autres réponses, statutaires et indemnitaires. Sur le plan de l'amélioration des conditions de travail, 76,8 millions d'euros seront dédiés en 2023 au renforcement de la sécurité des personnels et des établissements pénitentiaires. L'accompagnement des jeunes professionnels dans leur installation fera aussi partie de nos priorités et un accompagnement amélioré des nouveaux entrants en établissement sera mis en place l'an prochain.

En matière d'attractivité se pose bien sûr la question du logement. J'ai initié deux programmes de construction sur des terrains appartenant au ministère de la justice, l'un à Fleury-Mérogis et l'autre à Savigny-sur-Orge, afin de compléter l'offre mise à la disposition des jeunes affectés en Île-de-France, région particulièrement tendue en matière de logement. Nous travaillons aussi à l'amélioration de l'accès à la propriété pour les agents de catégorie C. En outre, sur le plan des réservations, 415 logements seront mis à disposition en Île-de-France en 2022. S'y ajoutent 145 chambres en colocation. Enfin, nous avons augmenté le budget d'action sociale dans les mêmes proportions que celui du ministère de la justice, ce qui représente 31,3 millions d'euros en 2023. Ceci permet de poursuivre les priorités ministérielles, notamment de réduire les écarts de tarifs de restauration qui existent sur le territoire et de prendre en charge l'augmentation de la subvention interministérielle. En matière de logement, cela nous permet d'ajuster le dispositif du prêt bonifié immobilier afin que les agents de catégorie C, notamment, aient accès à la propriété. L'aide à la parentalité est soutenue en réservant davantage de places en crèche. Nous poursuivons aussi et renforçons, autant que de besoin, le dispositif d'accompagnement des agents en difficulté financière - dispositif particulièrement important dans le contexte de crise que nous connaissons.

Je me suis déplacé à Mayotte en mars 2022. Deux projets immobiliers y concernent l'administration pénitentiaire. Je ne peux vous indiquer une date précise car, comme vous le soulignez, la question majeure est celle du foncier. Nous avons mobilisé tous les services afin de trouver les terrains qui conviennent. Il est également prévu la construction d'une cité judiciaire. Pour Mayotte et Cayenne, je rappelle d'ailleurs que nous avons inventé des brigades d'urgence. Il se pose dans ces territoires un problème d'attractivité, qui est mal vécu par tous ceux qui rendent la justice à Mayotte et à Cayenne. Nous permettons, pour une durée de six mois et un jour (les fiscalistes sauront pourquoi cette durée précisément) à des magistrats métropolitains de se rendre en urgence à Cayenne et à Mayotte afin de pallier le manque de magistrats. Ces professionnels ont la certitude de retrouver leur poste au terme de la période de six mois et un jour. Nous avons mis en place un système permettant de faire de ce temps à Mayotte et à Cayenne un tremplin. Se pose aussi la question des greffiers, pour lesquels nous mettons en place des dispositifs similaires. C'était une parenthèse. Vous savez, monsieur Mohamed Soilihi, que si vous souhaitez d'autres précisions, la porte de la Chancellerie est grande ouverte.

Madame Carrère, malgré les difficultés, la continuité du service public de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) est toujours assurée dans tous les services et dans toutes les structures. Il convient aussi de rendre à ces agents un vibrant hommage. Des évolutions statutaires et indemnitaires importantes ont eu lieu en 2022. En matière d'attractivité, on pense immédiatement au salaire, ce qui est bien naturel. Le passage des éducateurs en catégorie A en 2022 a représenté une évolution importante. Le bénéfice du complément indiciaire a été acté en début d'année 2022 au bénéfice des acteurs du travail social, ce qui représente plus de 2 000 euros par an. Nous poursuivons ces efforts en 2023, par des mesures catégorielles dédiées qui représenteront 11 millions d'euros en 2023. Elles permettront de revaloriser les primes d'encadrement des agents contractuels. Un plan d'action interministériel est également en cours d'élaboration. Les recrutements de la PJJ seront accélérés en passant de 51 effectifs supplémentaires en 2022 à 92 dans le PLF 2023, soit une hausse de plus de 80 % en un an.

Je voudrais vous dire pourquoi je crois aux centres éducatifs fermés (CEF). Un travail a été réalisé par la PJJ, montrant que 75 % des mineurs délinquants mettent en application leur projet professionnel. 86 % de ceux qui sont passés par un CEF ne récidivent pas. Certes, le CEF constitue une structure lourde en termes d'accompagnement. Je suis néanmoins convaincu que ce dispositif fonctionne. Je veux y ajouter un partenariat entre la PJJ et les militaires, projet que le président de la République a évoqué durant la campagne. Il ne s'agit évidemment pas d'envoyer tous les jeunes qui se trouvent en CEF à l'armée. S'il suffisait de leur faire passer quelque temps dans des casernes, il y a longtemps que nous le saurions. Cela ne peut fonctionner ainsi. En premier lieu, une expertise doit être conduite par la PJJ, car elle est au coeur du dispositif. Si un certain nombre de jeunes ont une appétence pour les valeurs militaires (dépassement de soi, sport, solidarité, etc.), je trouve extrêmement intéressant de les envoyer en stage dans un cadre militaire. Nous avons réalisé une telle expérimentation à Coëtquidan et j'ai été très impressionné par ses résultats. On a estimé que 90 % des jeunes qui y ont participé avaient peut-être subi, dans un premier temps, puis vécu ce stage comme étant susceptible de les arracher à la délinquance. Nous souhaitons étendre ce dispositif en signant prochainement une convention partenariale avec le ministère des armées.

Nous avons, à ce jour, 53 centres éducatifs fermés. J'en inaugurais un nouveau il y a deux jours, à Saint-Nazaire. En outre-mer, trois centres éducatifs fermés relèvent actuellement du domaine associatif. S'agissant du CEF de Mayotte, nous discutons encore du cadre à retenir, associatif ou non. Cette décision sera prise très prochainement. Nous nous sommes en tout cas engagés à la création de ce centre. Nous échangerons naturellement sur cette question. Je sais combien elle vous tient à coeur, monsieur Mohamed Soilihi. Je vous tiendrai informé au fur et à mesure des évolutions du projet.

Le chiffre de 1 500 magistrats est-il le bon, me demandez-vous, madame Lherbier. Il ne sort pas de nulle part puisqu'il est issu des États généraux, qui ont réuni l'ensemble du monde judiciaire. Il y a deux façons de rendre une justice plus protectrice et plus rapide. Nos compatriotes ont versé un million de contributions aux États généraux et deux sujets en ressortent de façon récurrente. En premier lieu, la justice n'est pas suffisamment connue - ce qui est vrai. Si l'on demande aux enfants, et même à quelques adultes, qui préside une cour d'assises, ils répondront « votre honneur ». La justice mérite d'être mieux connue et je rejoins sur ce point l'avis de nos compatriotes. Vous avez voté la loi pour la confiance dans l'institution judiciaire, qui prévoit la mise en place de la justice filmée. J'observe d'ailleurs que la première diffusion des audiences pénales, sur France 3, à 23 heures, a rassemblé 600 000 téléspectateurs. La deuxième diffusion, concernant le civil, en pleine période de congés scolaires, a rassemblé 350 000 téléspectateurs. Le service public estime que ce sont de bons scores. Nous nous efforçons d'apporter, autour de ces diffusions, un certain nombre d'explications pédagogiques. Nous mettons aussi en place avec le ministre de l'Éducation un passeport « Educ'droit ». J'aimerais qu'il soit question de la justice lors du cours d'instruction civique, pour mieux la faire connaître. Je suis souvent effaré d'entendre ceux qui appellent à la désobéissance civile, c'est-à-dire à la violation de la loi que vous avez votée. Il y a aussi ceux qui appellent à la destruction, par le truchement de leur audience médiatique, de l'État de droit, ce qui est encore plus inquiétant. Si nous franchissons ces limites, nous allons tomber bien bas. Des personnes de plus en plus nombreuses en viennent à considérer qu'il n'est peut-être pas anormal de se rendre justice soi-même. Des idées de cette nature circulent en ce moment, en particulier parmi la jeunesse. Cela me rend très inquiet, et je crois qu'il faut activement faire connaître la justice.

Nos compatriotes nous ont dit par ailleurs, lors des États généraux, que la justice était trop lente : ils ne comprennent pas ses délais, ou pourquoi une affaire est renvoyée. Cela pose la question des moyens. Nous y répondons notamment par le dispositif d'équipe autour du magistrat. C'est aussi la simplification des procédures civiles et pénales. Tout le monde est d'accord avec ces principes (forces de sécurité intérieure, magistrats, avocats). Les justiciables le sont aussi, pourvu qu'on leur explique la logique de ces dispositions. Un certain nombre de mesures civiles vont permettre de raccourcir, à mon avis drastiquement, les délais du procès.

En matière d'attractivité, comme je le soulignais, la première mesure à laquelle on songe est d'ordre salarial ou indiciaire. 1 500 recrutements de conseillers pénitentiaires d'insertion et de probation (CPIP) ont eu lieu depuis 2018, ce qui a permis de réduire le nombre de dossiers suivis par agent, qui est passé de 80 à 71 en moyenne.

Nous avons également mis en place, pour aider nos CPIP, des organigrammes de référence. Ils disent très objectivement que ces recrutements les ont aidés. Les CPIP ont par ailleurs bénéficié du passage en catégorie A et d'une revalorisation indemnitaire de 220 euros par mois en 2022. Si des réformes interministérielles ont été engagées depuis 2017, aboutissant à une revalorisation des salaires des conseillers, ce ne fut pas le cas des directeurs pénitentiaires d'insertion et de probation (DPIP). Il en est de même pour les directeurs des services de la protection judiciaire de la jeunesse. En ce qui concerne les DPIP, le ministère s'engage à revaloriser en 2022 les primes à hauteur de 700 000 euros, lesquels vont s'ajouter aux 600 000 euros octroyés à ce corps en 2021. En 2023, la hausse des primes sera portée à 20 millions d'euros. S'y ajoutera une réforme du statut afin de faciliter la promotion professionnelle et proposer des parcours de carrière plus attractifs. Nous prévoyons enfin une revalorisation de leur rémunération indiciaire à hauteur de 1,3 million d'euros. Là aussi, si vous souhaitez davantage de précisions, la porte de la Chancellerie est grande ouverte.

Monsieur Sueur, vous me posez la question qui est évidemment la plus difficile. C'est moi qui suis interrogé ce soir. Telle est la règle du jeu. J'aurais néanmoins envie de vous retourner la question, en vous demandant ce que vous me proposez. Il ne vous a pas échappé que d'aucuns formulent un jugement rapide à mon égard, considérant que « c'est Taubira en pire », « c'est un laxiste » et autres avis de cette nature. Ce sont d'ailleurs les mêmes qui, cet après-midi, à l'Assemblée nationale, me reprochaient la surpopulation pénale, laquelle témoigne plutôt de l'absence de laxisme. Les chiffres démontrent à l'évidence, sans aucune ambiguïté possible, que la justice est plus sévère aujourd'hui qu'auparavant, qu'il s'agisse des peines correctionnelles (rendues par des magistrats professionnels) ou des peines criminelles, rendues par les jurys populaires. Certains ne veulent pas l'entendre, car cela ne convient pas à leur discours populiste, mais telle est la réalité. Nous ne sommes certes pas les premiers à nous poser la question. J'ai lu, en tant qu'étudiant en droit, puis en tant qu'avocat, de nombreux ouvrages sur cette question de l'incarcération et sur ses alternatives éventuelles. Les théories foisonnent en la matière. La réalité à laquelle nous nous heurtons nous interdit la fantaisie : il faut être réaliste. Les réponses passent par la création de places nouvelles.

Il n'y a pas que cela mais il y a cela aussi. La semaine dernière, j'étais en présence d'un grand journaliste, que je crois proche de votre obédience ou de votre sensibilité - ce qui n'est aucunement une injure dans ma bouche. Il me disait « plus vous allez construire de prisons, plus cela se remplit, car la nature judiciaire a horreur du vide ». Que me proposez-vous ? Lui ai-je rétorqué, de ne plus en construire ? Comment résoudre alors le problème de la surpopulation ? Je crois que plusieurs actions doivent être conduites en parallèle. Outre la création de nouvelles places, il y a l'application du « bloc peine », les aménagements ab initio et le travail d'intérêt général, auquel je crois et qui fonctionne. ATIGIP 360, l'agence du travail d'intérêt général et de l'insertion professionnelle, est un bel outil, dont on ne s'empare pas suffisamment à mes yeux. Vous savez par ailleurs que la justice est indépendante. Je peux évoquer tel ou tel sujet auprès des procureurs, formuler des suggestions. Je ne peux faire beaucoup plus : pour le reste, les juges du siège sont souverains dans le prononcé des peines. La justice de notre pays est indépendante - et il faut qu'elle le reste. Peut-être y a-t-il aussi une certaine augmentation de la délinquance, encore que tout doit être nuancé : selon les chiffres qui m'ont été communiqués, la délinquance des mineurs semble en baisse. On ne peut pour autant affirmer que le code de justice pénale des mineurs, que vous avez voté à l'unanimité, a permis cette baisse. Ce ne serait pas sérieux de présenter les choses ainsi. Nous ne pouvons tancer les populistes et brandir des chiffres lorsqu'ils nous conviennent, sans s'appuyer sur une expertise suffisamment fine. Il n'en demeure pas moins qu'un certain nombre d'indicateurs permettent de penser que la délinquance des mineurs est en baisse.

Disons-le, la société est aussi de plus en plus dure, et demande de plus en plus de répression. Cela a aussi une traduction judiciaire, qu'on le veuille ou non. Je crois tout à fait qu'il faut développer les dispositifs de travail d'intérêt général. Je me déplace beaucoup pour signer des conventions partenariales afin qu'on nous propose de plus en plus de choses en la matière. Nous avons déjà beaucoup plus de TIG disponibles aujourd'hui qu'auparavant. J'ai connu le travail d'intérêt général à sa création. Lorsqu'il était prononcé, on ne savait même pas s'il pourrait être exécuté. Aujourd'hui, nous le savons car nous disposons d'une plateforme, à laquelle les avocats ont d'ailleurs accès. J'ai souhaité qu'ils y accèdent afin qu'ils puissent plaider pour une peine de travail d'intérêt général avec un dispositif taillé sur mesure pour leur client. Monsieur Sueur, si vous avez la solution miracle, courez me voir. Vous avez d'ailleurs posé votre question avec beaucoup de nuances. Je vous en remercie, car le sujet est infiniment compliqué.

La régulation existe aussi, mais ne peut se faire n'importe comment. J'entends souvent l'extrême-droite affirmer que des personnes sortent de prison au motif que nous l'aurions demandé, faute de places. C'est absolument faux ! Vous ne trouverez aucune circulaire ni aucun écrit de ma part demandant de renoncer à l'incarcération au motif de la surpopulation. En revanche, il y a un certain nombre de choses qui nous sont proposées et qui me font « tiquer », comme le dit l'expression, par exemple l'interdiction de l'incarcération au motif que les prisons sont pleines. Une telle mesure serait d'abord anticonstitutionnelle.

Monsieur Mohamed Soilihi, comme je l'indiquais, nous cherchons le terrain pour le nouvel établissement pénitentiaire. Tous les feux sont au vert. En ce qui concerne la cité judiciaire, je pense que nous avons trouvé. Lorsque je me suis rendu à Mayotte, nous sommes parvenus à convaincre le président du département.

Nous avons tout de même réussi cela. Ce n'était pas acquis. Les choses avancent. Je ne saurais néanmoins vous indiquer une temporalité pour le reste. La situation, à Mayotte, est trop sérieuse pour indiquer des dates sans être certain de pouvoir les tenir.

Madame de La Gontrie, la question des juridictions spécialisées dans le traitement des violences intrafamiliales est éminemment complexe. Les Espagnols ont créé une juridiction spécialisée. Ils n'en sont pas entièrement satisfaits. Pour des raisons géographiques notamment. C'est la raison pour laquelle la Première ministre a lancé une mission confiée à des parlementaires, dont madame Dominique Vérien. Nous allons attendre les conclusions de ces réflexions. Je n'ai aucun a priori sur la question. Si je suis convaincu que telle est la meilleure des solutions, je m'y rangerai. Je m'efforce d'être pragmatique. Je ne suis pas un idéologue.

La création d'une juridiction spécialisée ne demande pas de financement supplémentaire. Les magistrats sont déjà là. Ils traitent déjà les violences intrafamiliales. Ce serait une « super-spécialisation » mais cela n'aurait probablement pas d'impact budgétaire.

Nous attendons le travail parlementaire et nous verrons. Je pense d'ailleurs que nous verrons cette question ensemble, car elle est importante. Les crédits consacrés aux victimes de violences intrafamiliales se monteront à 16,2 millions d'euros en 2023. C'est une hausse de 5 % par rapport à 2022 et de plus de 50 % par rapport à 2021. Nous allons déployer tout au long de l'année 5 000 téléphones « grave danger » (TGD) supplémentaires et généraliser l'évaluation des besoins de protection, en particulier au moment de la sortie de détention des auteurs de violences. Comme vous le savez, j'ai pris un décret afin que, de façon obligatoire, les femmes soient averties de la sortie de leur compagnon ou ex-compagnon violent. Nous prévoyons aussi de renforcer l'accompagnement et le suivi des victimes bénéficiant du TGD ou du bracelet anti-rapprochement (BAR). Nous allons enfin développer les permanences spécialisées des associations dans les lieux tiers tels que les commissariats, les brigades de gendarmerie et les hôpitaux.

M. François-Noël Buffet , président . - Merci, monsieur le ministre, pour ce premier point. Il nous reste à vous interroger sur l'impact de la réorganisation proposée de la police nationale sur la police judiciaire.

Mme Nadine Bellurot . - Monsieur le ministre, comme vous le savez, les magistrats craignent une disparition de la police judiciaire. Partagez-vous leurs inquiétudes ?

Dans quelle mesure les magistrats peuvent-ils d'ores et déjà rencontrer des difficultés dans le traitement de dossiers du fait du manque de disponibilité des enquêteurs ?

Je sais que le ministre de l'intérieur vous a écrit pour vous parler de cette réforme et apporter des réponses aux craintes des magistrats. Il vous a indiqué que la réforme avait pour objectif d'offrir davantage de lisibilité à l'autorité judiciaire, laquelle pourrait saisir le chef de la circonscription de la police nationale, le chef de la police judiciaire, le directeur départemental ou le directeur zonal. Ces précisions apportées par le ministre de l'intérieur vous semble-t-elle répondre aux inquiétudes des magistrats quant à l'obligation éventuelle de saisie du directeur départemental ? Serait-il utile, voire nécessaire, de remplacer le terme de « formations », dans l'article 12-1 du code de procédure pénale, qui laisse le libre choix aux magistrats des « formations » chargées des enquêtes, afin de préciser la possibilité de saisine des différents échelons ?

M. Jérôme Durain . - Monsieur le ministre, nous avons eu des échanges assez nourris avec le ministre Darmanin quant aux raisons de la « grogne » face au projet de réorganisation de la police nationale, que de nombreux facteurs peuvent expliquer, notamment des questions de forme. Force est de constater qu'une nouvelle instance, qui connaît un certain succès, s'est créée au sein de la police judiciaire, l'association nationale de police judiciaire (ANPJ). Dans le monde de la justice, la mobilisation est assez importante. Des instances importantes ont pris position, comme le Conseil supérieur de la magistrature, la Conférence nationale des procureurs de la République, ou la Conférence nationale des procureurs généraux, avec une forme de gravité et de solennité qui n'a échappé à personne. L'inquiétude qui les anime est sincère.

Deux points retiennent l'attention dans la réforme. Le premier a trait au risque d'abandon du haut du spectre de la criminalité (criminalité organisée, affaires complexes interrégionales ou internationales). Le risque serait notamment, pour des raisons d'encadrement et de compétences, de voir une partie des effectifs de la police judiciaire s'orienter vers la délinquance de masse et la résorption du stock important d'affaires qui existe partout sur le territoire.

La seconde inquiétude majeure tient à l'intervention éventuelle de la sphère administrative dans la sphère judiciaire, avec la possibilité de tutelle du préfet sur les directeurs départementaux de la police nationale. Nous aimerions vous entendre sur ces aspects, qui ne concernent pas que les affaires politiquement sensibles, dont on parle beaucoup.

La question de la procédure pénale et de sa complexité est également évoquée lors de chacune de nos auditions, par toutes les parties que nous entendons. Que prévoyez-vous de faire sur cette problématique ?

Enfin, quelle appréciation portez-vous sur les expérimentations conduites dans les outre-mer et au sein de huit départements français ?

M. Éric Dupond-Moretti, garde des Sceaux, ministre de la justice . - Je distingue deux sujets, dont l'un me concerne, l'autre non.

Le volet qui englobe la réorganisation de la police judiciaire, en tant que telle, relève du périmètre strict du ministre de l'intérieur. Si demain, l'on souhaite créer une juridiction, cela relèvera du périmètre du ministère de la justice. Je n'ai donc pas à me prononcer sur ce volet, même si j'estime qu'un certain nombre de vraies raisons peuvent conduire Gérald Darmanin à vouloir mieux structurer les choses.

Un autre volet nous est commun et nous en serons d'une certaine façon cosignataires. Le directeur général de la police nationale (DGPN) et le directeur des affaires criminelles et des grâces (DACG) ont travaillé ensemble. La ligne rouge infranchissable, pour le ministère de la justice, réside dans les dispositions de l'article 12 du code de procédure pénale. Cela tombe très bien, car c'est aussi une ligne rouge infranchissable pour le ministre de l'intérieur. Celui-ci m'a écrit, après qu'un certain nombre de critiques, parfois singulières, ont été entendues. D'aucuns ont crié « aïe » avant de recevoir un coup que personne ne souhaitait leur porter. Nous avons notamment entendu de hauts magistrats s'exprimer sur des radios nationales pour dire que la réforme n'était pas bonne. Chacun s'exprime avec liberté. En entendant ces critiques, auxquelles j'ai été très attentif, j'ai souligné que le ministère de l'intérieur ne voulait en aucune façon empiéter sur les prérogatives qui sont celles des magistrats depuis des temps immémoriaux. Le juge d'instruction, par exemple, choisit son service d'enquête et cela doit demeurer.

Surtout, il convient de rappeler qu'une expérimentation est en cours. Elle n'est pas encore terminée. Au sens que donne le Conseil d'État à  a notion d'expérimentation, celle-ci nécessite une évaluation, faute de quoi elle ne servirait à rien. L'inspection générale de la justice (IGJ), l'inspection générale de la police nationale (IGPN) et l'inspection générale de l'administration (IGA) sont mobilisées. Ce triptyque nous assure, plus encore que d'habitude, l'impartialité des inspecteurs. Nous n'avons pas encore leurs conclusions. Le ministre de l'intérieur et moi-même tirerons, probablement ensemble, un certain nombre de conséquences de ces inspections.

La machine s'emballe parfois un peu vite, même si l'on peut avoir un certain nombre de craintes. Rien, à ce stade, ne me permet de penser que l'article 12 sera abrogé ou modifié. J'ai indiqué au ministre de l'intérieur ma position, qu'il a évidemment entendue. La réponse qu'il m'a adressée, qui me satisfait pleinement, en témoigne. Chacun sera respectueux du choix du magistrat quant au service d'enquête.

M. François-Noël Buffet , président . - Merci, monsieur le ministre, de votre présence ce soir et des informations que vous nous avez données.

Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat .

LISTE DES PERSONNES ENTENDUES

Ministère de la justice

Secrétariat général

M. Philippe Clergeot, directeur, secrétaire général adjoint

Mme Anne-Florence Canton, cheffe du service du numérique

M. Philippe Caillol, chef du service de l'accès au droit et à la Justice et de l'aide aux victimes

Direction des services judiciaires

M. Roland De Lesquen, directeur des services judiciaires adjoint

M. Thomas Parisotto, chef du pôle « titre 2 » à la sous-direction des finances, de l'immobilier et de la performance

Conseil supérieur de la magistrature (CSM)

M. Christophe Soulard , président de la formation plénière, président de la formation compétente à l'égard des magistrats du siège, premier président de la Cour de cassation

M. François Molins , président suppléant de la formation plénière, président de la formation compétente à l'égard des magistrats du parquet, procureur général près la Cour de cassation

Mme Sophie Rey , secrétaire générale du Conseil supérieur de la magistrature

Personnalité qualifiée

Mme Dominique Lottin, première présidente honoraire et ancienne membre du Conseil constitutionnel

Conseil national des barreaux (CNB)

Mme Bénédicte Mast, présidente de la commission « accès au droit »

M. Charles Renard, chargé de mission « affaires publiques »

M. Jacques-Edouard Brilland, conseiller budgétaire

Représentants des organisations syndicales de magistrats

Union syndicale des magistrats (USM)

Mme Cécile Mamelin, vice-présidente

M. Thierry Griffet, chargé de mission

Syndicat de la magistrature (SM)

M. Nils Monsarrat , secrétaire général

Mme Nelly Bertrand , secrétaire permanente

Unité magistrats SNM-FO

Mme Béatrice Brugère, secrétaire générale du syndicat Unité Magistrats SNM FO

Mme Delphine Blot , déléguée régionale du syndicat Unité Magistrats SNM FO sur le ressort de la Cour d'appel de Versailles

CFDT magistrats

M. Pierre Gardier, magistrat

Représentants des organisations syndicales de greffiers et personnels judiciaires

UNSA Services judiciaires

Mme Catherine Solivellas, secrétaire générale adjointe

M. Vincent Rochefort, secrétaire général adjoint

Syndicat des greffiers de France-FO

Mme Sophie Grimault , greffière au tribunal judiciaire de Limoges

M. Jean-Jacques Pieron , greffier au tribunal judiciaire de Vannes

CFDT services judiciaires

Mme Laurence de Susanne, secrétaire fédérale services judiciaires

Syndicat national CGT des chancelleries et services judiciaires

M. Hervé Ouazzarout-Lemée, secrétaire national

Association nationale des juristes assistants de magistrats (AJAM)

Mme Jessica Béchamp-Le Bras, présidente

Mme Margaux Dalstein-Jidkoff, secrétaire


* 1 Voir projet annuel de performance de la mission « Justice », annexé au projet de loi de finances pour 2023 :

https://www.budget.gouv.fr/index.php/documentation/documents-budgetaires/exercice-2023/projet-de-loi-de-finances/budget-general/justice

* 2 Rapport des États généraux de la justice :

http://www.justice.gouv.fr/etats-generaux-de-la-justice-13010

* 3 Voir les documents publiés lors de l'Agora de la Justice au Sénat :

https://www.senat.fr/espace_presse/actualites/202109/agora_de_la_justice.html

* 4 Décret n° 2022-934 du 27 juin 2022 portant transfert de crédits.

* 5 Avis n° 146 (2019-2020) d'Yves Détraigne fait au nom de la commission des lois du Sénat sur le projet de loi finances pour 2020 ( http://www.senat.fr/rap/a19-146-8/a19-146-8.html ).

* 6 Ce chiffre ne comprend pas les assistants de justice qui sont en général étudiants mais peuvent représenter un nombre conséquent de personnes, plutôt en diminution (1 323 en 2021 contre 1 643 en 2017).

* 7 Différence entre l'effectif théorique fixé dans la circulaire de localisation des emplois et l'effectif réel de la juridiction.

* 8 Rapport de Dominique Lottin sur :

« La structuration des équipes juridictionnelles pluridisciplinaires »

https://cgt-justice.fr/wp-content/uploads/2022/10/dsj_rapport_lottin_structuration_des_equipes.pdf

* 9 Page 42 du rapport.

* 10 Mission relative à l'avenir de la profession d'avocat, présidée par M. Dominique Perben, rapport remis au garde des Sceaux en juillet 2020. Il est consultable à l'adresse suivante : http://www.justice.gouv.fr/publications-10047/rapports-thematiques-10049/remise-du-rapport-relatif-a-lavenir-de-la-profession-davocat-33454.html

* 11 Un amendement (n° II-1906) considéré comme adopté par l'Assemblée nationale majore d'1,5 million d'euros les crédits de paiement de l'aide aux victimes (au détriment de l'action soutien du programme 166) pour déployer 1 000 « téléphones grave danger » supplémentaires.

* 12 Les justiciables désirant faire modifier une décision judiciaire ou une disposition contenue dans une convention homologuée fixant les modalités de l'autorité parentale ou la contribution à l'entretien de l'enfant mineur ou devenu majeur, doivent préalablement effectuer une tentative de médiation familiale avant de déposer leur requête, à peine d'irrecevabilité.

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