EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le mercredi 22 novembre 2023, la commission a examiné le rapport pour avis de Mme Amel Gacquerre sur la mission « Recherche » du projet de loi de finances pour 2024.

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Bonjour à toutes et à tous. Notre commission examine ce matin trois rapports budgétaires pour avis. L'ordre du jour que vous avez reçu a été modifié afin d'examiner en premier le rapport sur la mission « Recherche et enseignement supérieur », Amel Gacquerre, rapporteure pour avis, devant repartir dans son département. Madame la rapporteure pour avis, je vous laisse la parole pour nous présenter votre rapport. Votre intervention sera suivie d'une prise de parole de Jean-François Rapin, rapporteur spécial sur la mission à la commission des finances.

Mme Amel Gacquerre, rapporteure pour avis. - Madame la présidente, mes chers collègues, nous examinons aujourd'hui les crédits de la mission interministérielle pour la recherche et l'enseignement supérieur (Mires), dans le cadre du périmètre suivi par la commission des affaires économiques depuis désormais plusieurs années.

Au total, pour 2024, les crédits de la mission sont en hausse et devraient s'élever à 32,3 milliards d'euros en autorisations d'engagement (AE) et à 31,8 milliards d'euros en crédits de paiement (CP), soit une hausse respective de 3,5 % et 3,3 % par rapport à l'an dernier. Cette hausse s'explique en grande partie par la quatrième année de mise en oeuvre de la loi de programmation de la recherche (LPR). Cette trajectoire est conforme à la trajectoire budgétaire votée par le Parlement en 2020, avec une hausse prévue de 324 millions d'euros pour le seul programme 172 qui finance entièrement ou en partie les principaux établissements de recherche de notre pays.

Comme les années précédentes, les effets de la LPR sont amplifiés par les moyens alloués aux programmes et aux organismes de recherche par les plans d'investissement d'avenir (PIA) et par France 2030. Si cette dispersion des crédits dédiés à la recherche et à l'innovation ne facilite pas le travail de contrôle parlementaire, nous constatons néanmoins des effets positifs sur le budget, le recrutement et les activités des établissements de recherche. Le renforcement conséquent de l'Agence nationale de la recherche (ANR) se poursuit, ainsi que celui des moyens budgétaires et humains alloués aux établissements de recherche.

Les personnes auditionnées sont globalement satisfaites de ce budget, même si elles demeurent unanimement soucieuses de l'impact de l'inflation sur la feuille de route. En 2020, le Sénat avait pourtant attiré l'attention du Gouvernement sur le fait que la trajectoire budgétaire prévue par la LPR était calculée en euros courants, et non en euros constants, c'est-à-dire sans prise en compte de l'inflation. À l'époque, il nous avait été répondu que l'inflation était une donnée économique qui appartenait au passé. La situation actuelle nous donne raison. Concrètement, si nous comparons les trajectoires budgétaires de la LPR en euros courants et en euros constants pour les années à venir, cela pourrait conduire à un écart prévisionnel de l'ordre de 400 millions d'euros si rien n'est fait d'ici 2027.

Cette situation est d'autant plus dommageable que la LPR aurait pu être actualisée dès cette année. En effet, son article 3 prévoit une clause de revoyure au moins tous les trois ans, mais ce travail n'a pas été réalisé par le Gouvernement. J'espère qu'il le sera, de façon concertée, transparente et en association avec le Parlement, dès l'année prochaine.

Aujourd'hui, le budget des établissements de recherche demeure fortement impacté par la hausse des prix de l'énergie, même si cette hausse est moindre que l'an dernier. Ces surcoûts ne sont que partiellement compensés : à hauteur de 55 millions d'euros en 2023 mais, pour 2024, il n'est pas prévu de compensation, même si des mesures en gestion pourront être prises, selon la volatilité des prix. Par ailleurs, plusieurs établissements ont indiqué avoir pu bénéficier, dans la limite de 2 millions d'euros, du fonds d'intervention « amortisseur électricité » mis en place à l'automne dernier, mais ce dispositif n'est pas reconduit.

Le budget des établissements de recherche demeure également impacté par les mesures successives de revalorisation salariale liées à l'inflation. Ces mesures sont partiellement compensées : à hauteur de 121 millions d'euros en 2023 pour compenser les mesures de revalorisation annoncées en juillet 2022. Mais, pour 2024, seule une enveloppe de 45 millions d'euros est prévue pour financer les mesures de revalorisation annoncées en juillet 2023, obligeant une nouvelle fois les opérateurs à puiser dans leur trésorerie.

Je souhaite donc ici être très claire : les objectifs de la LPR ne doivent pas être détournés pour amortir les surcoûts engendrés par l'inflation et la hausse des coûts de l'énergie. Les hausses budgétaires prévues par la LPR doivent avant tout permettre de soutenir nos activités de recherche et porter notre effort national de recherche à 3 % du PIB alors que nous stagnons depuis plusieurs années à seulement 2,2 % du PIB. Par conséquent, la clause de revoyure de la LPR prévue en 2023 doit être activée au plus vite afin de nous permettre de définir un mode de financement de la recherche plus efficace et plus pérenne dans le contexte économique actuel.

Malgré ces sources d'inquiétude, je souhaiterais saluer aujourd'hui le renforcement de deux politiques indispensables à l'atteinte de notre compétitivité, de notre souveraineté et de notre réindustrialisation : il s'agit des politiques nucléaire et spatiale.

Sur la politique nucléaire d'abord. Alors que la filière française subissait un regrettable déclin depuis les années 2010 faute d'une stratégie politique, énergétique et industrielle appropriée pour atteindre l'objectif de décarbonation de notre production d'énergie à horizon 2050, le renouveau engagé depuis les deux dernières années trouve enfin ses premières traductions budgétaires dans le cadre de ce projet de loi de finances. C'est une cohérence appréciable avec les dispositions votées dans le cadre de l'examen de la loi relative à l'accélération de la construction de nouvelles installations nucléaires et avec les décisions prises lors du dernier Conseil de politique nucléaire.

Ainsi, le projet de loi de finances est marqué par un renforcement du Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA), fer de lance de la recherche nucléaire en France et en Europe. Les subventions versées par l'État sont donc en augmentation de 340 millions d'euros par rapport à l'an dernier. Par ailleurs, une hausse de 204 postes dont 146 pour ses activités de recherche et de développement (R&D) est prévue, le CEA souhaitant recruter jusqu'à 500 postes en R&D dans les prochaines années afin d'accompagner la relance de la filière nucléaire civile. La hausse des subventions versées au CEA permettra notamment de poursuivre le financement du réacteur de recherche Jules Horowitz sur le site de Cadarache, mais également de financer l'installation de deux nouvelles infrastructures de recherche dans le domaine des réacteurs à sels fondus. Il s'agit d'une priorité de recherche pour l'établissement, comme le développement des autres modèles de réacteurs, des réacteurs modulaires innovants et des petits réacteurs modulaires. En jeu, il y a donc l'avenir de l'indépendance énergétique de notre pays.

Je souhaiterais également évoquer le financement de la politique spatiale qui, comme vous le savez, est aujourd'hui à la croisée des chemins car ni la France ni l'Europe ne dispose, à date, d'un accès autonome et durable à l'Espace. En septembre 2022, lors de l'ouverture du Congrès astronautique international (IAC), la Première ministre avait annoncé une mobilisation budgétaire d'environ 9 milliards d'euros pour les trois prochaines années, sur les volets civil et militaire de la politique spatiale. Cette mobilisation budgétaire se poursuit dans le cadre du projet de loi de finances pour 2024, certains crédits provenant également de France 2030 et de la loi de programmation militaire.

Cette mobilisation renouvelée en faveur de la politique spatiale ne permet toutefois pas à la France d'être le premier contributeur au budget triennal de l'Agence spatiale européenne (ESA). Désormais deuxième contributeur derrière l'Allemagne, l'enjeu pour la France est d'assurer un bon « retour sur investissement » en fonction de ses priorités politiques, industrielles, scientifiques et technologiques. Je pense en particulier à la nécessité de finaliser le développement d'Ariane 6 pour permettre à la France et à l'Europe de retrouver un accès autonome et durable à l'Espace dans la mesure où le dernier vol d'Ariane 5 a eu lieu, où les lanceurs Soyouz ne sont plus employés et où les lanceurs Vega-C ont des difficultés techniques en vol.

Vous l'aurez compris, des progrès indéniables ont été réalisés ces dernières années en matière de financement de la recherche et de l'innovation, avec des priorités sectorielles mieux définies. Toutefois nous ne devons pas pour autant nous reposer sur nos lauriers, car 2023 aurait dû être une année plus propice pour la recherche. En plus d'une actualisation de la trajectoire budgétaire de la LPR, la clause de revoyure devrait nous permettre d'avoir une nouvelle réflexion sur l'attractivité des métiers et les besoins en compétences nécessaires pour permettre de demeurer une grande nation scientifique et technologique.

Je vous soumets donc quelques réflexions. Tout d'abord, le niveau des salaires ne saurait être le seul élément d'attractivité d'une politique efficace de soutien à la recherche. Il serait également souhaitable de travailler sur le niveau d'autonomie accordé aux chercheurs dans la conduite de leurs travaux, sur leur capacité à piloter une équipe, à disposer d'un budget adéquat et des infrastructures de recherche propices à leur permettre de faire de nouvelles découvertes.

Au-delà d'un soutien public affirmé, une politique efficace de soutien à la recherche repose aussi sur une politique partenariale d'ampleur avec les entreprises innovantes, qui bénéficient aujourd'hui de nombreuses incitations budgétaires et fiscales, en premier lieu le crédit d'impôt recherche (CIR). Face à la volonté du Parlement de faire évoluer ce dispositif, le Gouvernement s'était engagé l'an dernier à présenter cette année une réforme du CIR, en particulier pour modifier l'assiette de ses dépenses éligibles. Or, force est de constater qu'aucune réforme n'a été proposée, que les modifications suggérées par l'Assemblée nationale n'ont pas été retenues en première lecture, alors même que le Sénat avait formulé des pistes de réforme très concrètes à ce sujet.

Mes chers collègues, je vous propose donc de donner un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission et de se donner rendez-vous en 2024 pour la revoyure de la LPR.

M. Jean-François Rapin, rapporteur spécial. -  Merci Madame la Présidente. J'adhère pleinement aux propos de Madame la rapporteure pour avis puisque la commission des finances porte une analyse similaire. Mon premier point porte sur la question des euros courants et constants. Dans le cadre de l'examen de la LPR en commission mixte paritaire (CMP), il avait été souligné que la clause de revoyure constituait une question liminaire avant même que la CMP ne donne un avis favorable. Cette position était plutôt partagée par l'ensemble des parlementaires qui étaient présents à la CMP. En conséquence, la mise à l'écart de la clause de revoyure est inquiétante. Est-ce à dire qu'en évitant la clause de revoyure, le Gouvernement souhaite ne pas revenir sur l'ensemble des débats qui s'étaient alors tenus à l'époque, notamment en matière d'inflation ? J'avais dénoncé en séance plénière le fait que l'inflation n'était absolument pas prise en compte et qu'elle reposait sur des bases qui n'étaient pas crédibles.

Nonobstant cette remarque, force est de constater que les engagements sont pris et bien maintenus en euros courants, ce dont on peut se féliciter. Les personnes auditionnées ont émis un avis plutôt favorable.

Le deuxième point que je voudrais mettre en exergue a été soulevé par Amel Gacquerre, rapporteure pour avis, à savoir, la recherche spatiale dont une partie substantielle a été transférée de cette mission à la recherche militaire. Néanmoins des enjeux très forts liés à la recherche spatiale demeurent ici, notamment en matière environnementale. Conserver ce volet de la recherche est important. Un groupe de suivi sur l'Espace composé de commissaires de la commission des finances, des affaires économiques, des affaires étrangères, de la défense et des forces armées et des affaires européennes avait été constitué. Il conviendrait peut-être de le reconstituer.

Mon dernier point concerne le volet européen de la recherche. La France demeure aujourd'hui contributrice nette des programmes européens de recherche avec un delta d'environ 7 points qu'il conviendrait de rattraper. Des actions ont été entreprises à cette fin, notamment par le Centre national de la recherche scientifique (CNRS) et les grands opérateurs de la recherche, avec la volonté de mettre en place une ingénierie pour nos opérateurs de recherche de taille plus modeste, leur permettant d'accéder à la recherche européenne et ainsi de compenser ce delta. Il est anormal que la France soit un contributeur net à la recherche européenne avec un taux de retour qui est à mon sens trop faible.

Par ailleurs j'attire votre attention sur deux amendements déposés à l'Assemblée nationale, abondant à hauteur de 20 millions d'euros le programme « Recherches scientifiques et technologiques pluridisciplinaires ». Le premier réduit de 10 millions d'euros les crédits du programme « Recherche spatiale » afin de développer la recherche sur les cancers pédiatriques. Le fonds de roulement de la recherche spatiale devrait permettre d'absorber cette réduction de crédits. Le second amendement tend à accroître les moyens de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) dans le domaine de la recherche contre la maladie de Lyme. La commission des finances a donné un avis favorable à ces deux amendements.

Pour conclure, la commission des finances a adopté les crédits de la mission sans réserve car elle a considéré que les efforts requis avaient été globalement effectués. Toutefois, elle demeure particulièrement vigilante à la mise en oeuvre de la clause de revoyure et en matière de recherche européenne.

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Je vous remercie, Monsieur le rapporteur spécial. En l'absence de questions et d'interventions, je laisse la parole à Mme Amel Gacquerre, pour des observations dans le prolongement de votre intervention ainsi que pour la présentation de son amendement.

Mme Amel Gacquerre, rapporteure pour avis. - S'agissant de la clause de revoyure, j'ai eu l'occasion de le dire à plusieurs reprises, nous aurons l'opportunité de nous saisir de cette question dans le cadre de l'examen du projet de loi de finances. En effet, c'est un rendez-vous manqué en 2023. Quant à la recherche européenne, je n'ai rien à ajouter. Le rapporteur spécial a été extrêmement précis.

En ce qui concerne l'amendement, j'ai fait le choix de ne vous en proposer qu'un qui rassemble les différentes constatations qui ont été émises dans le cadre de cette présentation, notamment dans la perspective du renouveau de la filière nucléaire française. Cet amendement n°  II-129 vise à pallier les effets de l'inflation, en augmentant de 21 millions d'euros, en autorisations d'engagement et en crédits de paiement, le budget de fonctionnement du Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA). Cette augmentation compensera les surcoûts énergétiques auxquels le CEA devra faire face en 2024. Ces surcoûts sont estimés à environ 31 millions d'euros dont 8 millions d'euros pour le gaz et 23 millions d'euros pour l'électricité, le CEA évaluant son reste à charge à hauteur de 21 millions d'euros. C'est pourquoi, je vous propose d'abonder son budget de fonctionnement à hauteur de 21 millions d'euros.

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - En l'absence de demandes d'intervention sur la présentation de cet amendement de notre rapporteure pour avis, je vous propose de passer au vote sur cet amendement puis sur les crédits de la mission tels que présentés par Amel Gacquerre avec un avis favorable.

L'amendement n° II-129 est adopté.

La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission « Recherche et enseignement supérieur ».

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