II. UNE DÉTECTION DES IDENTITÉS FICTIVES QUI NE SUPPOSE PAS NÉCESSAIREMENT LA CRÉATION D'UN FICHIER (ARTICLE 2)
L'article 2 reprend la recommandation n° 6 de la commission d'enquête et insère dans le code de commerce un nouveau chapitre intitulé « du fichier national des identités fictives et des prête-noms ». Il autorise le Conseil national des greffiers des tribunaux de commerce à créer un fichier recensant les identités fictives et les prête-noms impliqués dans des affaires de blanchiment.
Les auditions du rapporteur ont confirmé que l'usage de prête-noms et d'identités fictives était monnaie courante dans les réseaux de blanchiment, complexifiant d'autant la détection des opérations illicites par les autorités de contrôles compétentes. Pour autant, elles ont également révélé que la création d'un fichier créerait probablement davantage de difficultés qu'elle n'en résoudrait. D'un point de vue opérationnel, un tel fichier serait facilement contournable par la multiplication d'identités fictives à usage unique. Par ailleurs, il pourrait avoir des effets collatéraux sur les victimes d'usurpation d'identité, qui peuvent devenir des « prête-noms » malgré elles. En conséquence, la commission lui a, à l'initiative du rapporteur, substitué une extension du champ des appels à la vigilance aujourd'hui émis par Tracfin en application de l'article L. 561-26 du code monétaire et financier (CMF). Le service pourrait désormais non seulement explicitement désigner aux personnes assujetties des personnes physiques particulièrement à risque mais également leur signaler les identités fictives et les prête-noms qu'elles utilisent ou sont susceptibles d'utiliser. Cet enrichissement de l'information apportée aux personnes assujetties aux règles LCB-FT leur permettra de cibler davantage leurs contrôles et de repérer au plus vite des cas de fraude documentaire.
III. LA JUSTIFICATION DE L'ORIGINE DES FONDS LORS DE LA CESSION AMIABLE : UNE PRATIQUE VERTUEUSE MAIS QUI NE PEUT ÊTRE GÉNÉRALISÉE (ARTICLE 3)
L'article 3 reprend la recommandation n° 11 de la commission d'enquête : « rendre systématique la vérification de l'origine des fonds avant la reprise d'une entreprise, en particulier dans les secteurs ciblés par les investissements de la criminalité organisée ». Dans le détail, il rétablit un article L. 141-1 au code de commerce pour prévoir une justification obligatoire de l'origine des fonds par l'acheteur dans le cadre de toute cession amiable d'une société commerciale. Cette justification serait remise au professionnel chargé de la rédaction de l'acte ou au greffier du tribunal de commerce, celui-ci étant alors tenu d'opérer une déclaration de soupçon à Tracfin « s'il sait, soupçonne ou a de bonnes raisons de soupçonner que les fonds proviennent d'une infraction passible d'une peine privative de liberté supérieure à un an ou sont liés au financement du terrorisme ». Il est par ailleurs prévu une application systématique de ce dispositif lorsque l'entreprise exerce une activité dans un secteur à risque ou lorsque le montant de la cession excède un seuil déterminé.
Les personnes auditionnées par le rapporteur ont unanimement confirmé que les cessions amiables de société commerciale représentaient un facteur de vulnérabilité dans le dispositif de lutte contre le blanchiment. Pour autant, l'obligation de justification systématique telle qu'elle était proposée soulevait plusieurs difficultés. Comme cela a été souligné par la direction générale du trésor au cours de son audition, « la création de cette nouvelle obligation apparaît [tout d'abord] peu conforme à l'objectif général de simplification pour les entreprises ». De surcroît, cette obligation conduirait probablement à l'envoi massif de déclarations de soupçons d'un intérêt limité à Tracfin, au risque de saturer ses capacités d'investigation. La définition d'entreprises à risque ou d'un seuil d'activation de cette obligation ne semble pas de nature à surmonter ces difficultés. La désignation officielle de secteurs à risque pourrait être contreproductive en incitant les criminels à s'en détourner pour investir des champs économiques où la vigilance est moindre. Il en va de même de la fixation d'un seuil : la sous-évaluation des prix de vente étant une pratique courante en matière de blanchiment, celui-ci serait probablement rapidement vidé de toute portée.
Partageant l'objectif d'une plus grande vigilance sur les cessions amiables de sociétés commerciales, la commission a donc, à l'initiative du rapporteur, substitué à l'obligation prévue la création d'une nouvelle mesure de vigilance complémentaire applicable aux personnes assujetties aux règles LCB-FT. Concrètement, les professionnels en charge de la rédaction de l'acte de cession, en particulier les notaires ou les greffiers des tribunaux de commerce, auraient l'obligation de se renseigner auprès de l'acquéreur de l'origine des fonds lorsque le risque de blanchiment leur apparaît élevé. Cette approche par les risques serait plus adaptée qu'une obligation déclarative systématique particulièrement lourde. Elle s'insère par ailleurs mieux dans le cadre préexistant des mesures de vigilance complémentaire, qui est connu et maîtrisé par les acteurs et est par là même gage d'une plus grande efficacité.