EXAMEN DE L'ARTICLE

Article 8 (délégué)
Lutter contre les fraudes fiscales et sociales dans le secteur des transports publics particuliers de personnes (T3P)

Cet article vise à lutter contre certaines pratiques frauduleuses dans le secteur des véhicules de transport avec chauffeur (VTC), à travers notamment la mise à disposition d'un tiers de l'inscription au registre des exploitants VTC et le développement des « gestionnaires de flotte ». Ce système d'intermédiation entre les plateformes de réservation et les chauffeurs VTC conduit souvent à des fraudes à la réglementation des transports ainsi qu'à des fraudes sociales et fiscales.

Ces pratiques frauduleuses présentent un triple inconvénient : source d'un manque à gagner pour l'État, elles induisent aussi une concurrence déloyale dans ce secteur et soulèvent enfin des problèmes de sûreté et de sécurité pour les passagers, qui sont susceptibles d'être pris en charge par des chauffeurs non professionnels.

À cet effet, l'article 8 :

- instaure une sanction administrative (radiation du registre et interdiction de s'y inscrire pendant une durée maximale de trois ans) pour les personnes qui mettent à disposition d'un tiers l'inscription au registre des exploitants VTC qu'elles ont obtenue pour leur propre compte ;

- impose aux plateformes de réservation de s'assurer que l'attestation d'inscription au registre des exploitants ne leur a pas été mise à disposition par un tiers ;

- crée une obligation de vigilance pour les plateformes de réservation, afin qu'elles s'assurent que les exploitants VTC avec lesquels elles contractualisent ne pratiquent pas de travail dissimulé et n'emploient pas de personnes non autorisées à exercer une activité professionnelle sur le territoire national ;

- met en place une sanction administrative à l'égard des plateformes de réservation qui, n'exerçant pas ces vérifications de manière satisfaisante, ne respecteraient pas cette obligation de vigilance.

La commission propose d'adopter l'article 8, sous le bénéfice de quatre amendements tendant, d'une part, à apporter des améliorations rédactionnelles ( COM-111 et COM-112) et, d'autre part, à renforcer la portée du dispositif à travers :

- le rehaussement du plafond annuel de l'amende prévue à l'encontre des plateformes ne respectant pas leur devoir de vigilance ( COM-113) ;

- le renforcement du quantum des peines pour sanctionner l'exercice illicite des professions de VTC et de taxis ainsi que la pratique illégale de la maraude ( COM-114).

I. LE DÉVELOPPEMENT DE PRATIQUES FRAUDULEUSES DANS LE SECTEUR DES VTC APPELLE À COMBLER CERTAINES LACUNES LÉGISLATIVES

A. LES VTC : UN SECTEUR DU TRANSPORT PUBLIC PARTICULIER DE PERSONNES (T3P) RÉCENT, DONT L'ENCADREMENT JURIDIQUE S'EST PROGRESSIVEMENT CONSOLIDÉ

1. Les VTC : une profession au statut juridique récent, qui a connu un essor fulgurant sous l'effet du développement des nouvelles technologies

La profession dite du « transport de voyageurs à titre onéreux » remonterait au XVIIème siècle : on distinguait alors déjà les « carrosses de remise » - qui pouvaient être loués selon un tarif libre - des « carrosses de place » qui étaient autorisés à stationner sur certaines places dans Paris et se louaient selon un tarif réglementé. Les appellations de « grande remise » et de « petite remise » désignaient les cochers du roi et de sa cour qui attendaient dans l'enceinte du palais du Louvre, dans des remises dédiées.

Ces deux appellations ont perduré jusqu'à la fin des années 2000, pour désigner divers types de véhicules loués avec chauffeur. Historiquement, ces secteurs se positionnaient sur un marché de luxe, avec une clientèle professionnelle, tandis que les taxis visaient plus spécifiquement une clientèle grand public.

En 2009, la loi dite « Novelli »1(*) a substitué à la notion de véhicules de grande remise l'appellation de « voitures de tourisme avec chauffeur » (VTC) et a contribué à déréglementer le secteur, grâce notamment à une procédure d'immatriculation particulièrement souple. Ce texte, associé au développement des nouvelles technologiques a favorisé un essor fulgurant des VTC : le développement de plateformes numériques de réservation2(*) fonctionnant grâce à des applications mobiles, au premier rang desquelles la société Uber, a en effet permis aux VTC de se positionner en direction du grand public et, dès lors, d'être en concurrence directe avec les taxis sur le marché de la réservation préalable.

T3P, taxis et VTC : de quoi parle-t-on ?

Le secteur des transports publics particuliers de personnes (T3P) comprend les véhicules de moins de dix places suivants : les taxis, les voitures de transport avec chauffeur (VTC) et les véhicules motorisés à deux ou trois roues (VMDTR) aussi appelés « mototaxis ».

Ces activités sont soumises à des règles d'exercice distinctes. En effet, les taxis ont le monopole de la maraude (possibilité de prendre en charge un client sur la voie publique sans réservation et de circuler ou stationner sur la voie publique en quête de clients), tandis que les VTC et les véhicules motorisés à deux ou trois roues ne peuvent prendre des clients que sur réservation préalable. L'ensemble des déplacements de cette catégorie se fait à titre onéreux avec des conducteurs professionnels.

2. VTC : un cadre juridique qui s'est progressivement consolidé avec les lois dites « Thévenoud » (2014) et « Grandguillaume » (2016) et la LOM3(*) (2019), après la libéralisation de 2009

Face à un cadre réglementaire insuffisant et dans un contexte social tendu entre la profession des VTC et celle des taxis, la loi dite « Thévenoud »4(*) en 2014 a redéfini plus clairement les droits et devoirs de ces deux professions. Elle a, par exemple, institué un registre des exploitants VTC et a imposé à ceux-ci le retour à la base ou à un stationnement en dehors de la chaussée après une course, en l'absence de réservation préalable.

En 2016, la loi dite « Grandguillaume »5(*) a poursuivi la structuration du secteur, en créant un examen théorique commun aux taxis et VTC et en précisant les obligations pesant sur les centrales de réservation, notamment les plateformes d'intermédiation.

Enfin, bien que de façon plus ponctuelle, la loi d'orientation des mobilités (LOM) de 2019 a apporté des évolutions en faveur d'une meilleure transparence des plateformes (obligation de communiquer aux chauffeurs, avant chaque prestation, la distance couverte et le prix minimal garanti dont ils bénéficieront, déduction faite des frais de commission) et protection des travailleurs (droit de refuser une prestation, sans que cela n'occasionne une pénalité, libre choix des plages horaires d'activité par le chauffeur, droit à la déconnexion, etc.).

Les exploitants VTC (qui peuvent être des chauffeurs indépendants ou des sociétés de transport) et les plateformes de réservation sont soumis à un régime juridique défini par le code des transports (respectivement, par le chapitre II du titre II et par le titre IV du livre Ier de la troisième partie).

a) Le régime juridique applicable aux exploitants VTC au titre du code des transports

Ils doivent être inscrits sur un registre, dont la gestion est assurée par le ministère des transports, moyennant le paiement préalable de frais d'inscription (article L. 3122-3) fixés par un arrêté ministériel. Le dossier d'inscription est composé d'un justificatif de la capacité financière de l'exploitant, du certificat d'immatriculation du ou des véhicules et de la carte professionnelle prévue à l'article L. 3120-2-2 du code des transports. Il doit être accompagné d'une attestation de l'assurance couvrant la responsabilité civile professionnelle (article R. 3122-1) de l'exploitant. L'inscription à ce registre donne lieu à l'envoi d'une attestation d'inscription à l'exploitant (article R. 3122-2).

L'autorité compétente pour délivrer la carte professionnelle de conducteur de VTC est le préfet de département.

L'aptitude professionnelle des chauffeurs de VTC peut être constatée par la réussite à un examen écrit et pratique ou par la production d'une pièce permettant d'établir une expérience professionnelle d'une durée minimale d'un an dans des fonctions de conducteur professionnel.

Outre cette condition d'aptitude professionnelle, il est également nécessaire pour l'obtention de la carte professionnelle :

- d'être titulaire du permis de conduire autorisant la conduite du véhicule utilisé ;

- de satisfaire à une condition d'honorabilité professionnelle.

L'inscription au registre est renouvelable tous les cinq ans.

Les exploitants VTC peuvent être radiés du registre dans deux cas (article R. 3122-4) :

- lorsque l'une des conditions requises pour l'inscription au registre n'est plus remplie, notamment lorsque l'exploitant met à disposition d'un tiers, à titre onéreux ou non, l'inscription audit registre qu'il a obtenue pour son compte propre ;

- lorsque l'exploitant cesse son activité avec des VTC.

La radiation est prononcée après mise en demeure restée sans effet.

· Les VTC comportent au moins quatre places et au plus neuf places, y compris celle du conducteur (article R. 3122-6).

· Les voitures de VTC sont munies d'une signalétique distinctive (sous la forme d'un macaron), définie par arrêté du ministre chargé des transports.

· Les VTC sont soumis à des conditions d'exercice spécifiques, distinctes de celles des taxis. Outre l'interdiction de la maraude, le conducteur d'un VTC est tenu, dès l'achèvement de la prestation commandée via une réservation préalable, de retourner au lieu d'établissement de l'exploitant du véhicule ou dans un lieu, en dehors de la chaussée, où le stationnement est autorisé, sauf s'il justifie d'une réservation préalable (article L. 3122-9).

b) Le régime juridique applicable aux plateformes de réservation de VTC au titre du code des transports

Les activités de mise en relation par voie électronique dans le secteur du T3P sont définies aux articles L. 3141-1 à L. 3143-4 du code des transports.

La plateforme de réservation doit s'assurer que le conducteur qui réalise une prestation de déplacement dispose des documents suivants (article L. 3141-2) :

- le permis de conduire requis pour le véhicule utilisé ;

- un justificatif de l'assurance du véhicule utilisé ;

- un justificatif de l'assurance de responsabilité civile requise pour l'activité pratiquée ;

- la carte professionnelle requise pour l'activité, le cas échéant.

En revanche, ces plateformes ne sont soumises à aucun devoir de vigilance en matière de recours au travail dissimulé par les exploitants VTC.

L'article L. 8222-1 du code du travail prévoit une telle obligation pour tout donneur d'ordre, qui est tenu, vis-à-vis du prestataire avec lequel il a conclu un contrat d'un montant global au moins égal à 5 000 €, d'être vigilant quant au respect par celui-ci des interdictions relatives au travail dissimulé et à l'emploi d'étrangers sans titre. Dès la signature du contrat puis tous les six mois, le donneur d'ordre doit se faire remettre par son cocontractant une attestation de fourniture des déclarations sociales et de paiement des cotisations et contributions de sécurité sociale émanant de l'URSSAF6(*).

Définition du travail dissimulé par dissimulation d'activité

Aux termes de l'article L. 8221-3 du code du travail, est réputé travail dissimulé par dissimulation d'activité, l'exercice à but lucratif d'une activité de production, de transformation, de réparation ou de prestation de services ou l'accomplissement d'actes de commerce par toute personne qui, se soustrayant intentionnellement à ses obligations :

1° Soit n'a pas demandé son immatriculation au registre national des entreprises en tant qu'entreprise du secteur des métiers et de l'artisanat ou au registre du commerce et des sociétés, lorsque celle-ci est obligatoire, ou a poursuivi son activité après refus d'immatriculation, ou postérieurement à une radiation ;

2° Soit n'a pas procédé aux déclarations qui doivent être faites aux organismes de protection sociale ou à l'administration fiscale en application des dispositions légales. Cette situation peut notamment résulter de la non-déclaration d'une partie de son chiffre d'affaires ou de ses revenus ou de la continuation d'activité après avoir été radiée par les organismes de protection sociale en application de l'article L. 613-4 du code de la sécurité sociale ;

3° Soit s'est prévalue des dispositions applicables au détachement de salariés lorsque l'employeur de ces derniers exerce dans l'État sur le territoire duquel il est établi, des activités relevant uniquement de la gestion interne ou administrative, ou lorsque son activité est réalisée sur le territoire national de façon habituelle, stable et continue.

Or, ainsi que le souligne l'étude d'impact du projet de loi, dans les relations entre une plateforme de réservation, un exploitant VTC et un client, c'est le client qui est considéré comme un donneur d'ordre et non la plateforme. Celle-ci n'est donc pas tenue par un tel devoir de vigilance envers les exploitants VTC avec lesquels elle contracte.

Le code des transports prévoit une obligation de vigilance spécifique en matière de travail dissimulé et d'emploi d'étrangers sans titre pour les plateformes de mise en relation intervenant dans les secteurs du transport routier de marchandises7(*) et des transports publics collectifs de personnes8(*).

Néanmoins, aucune obligation équivalente n'est prévue à ce jour dans le secteur du T3P.

3. Le secteur des VTC a connu un essor fulgurant ces dernières années

Depuis la loi dite « Novelli » de 2009 et à la faveur du développement des plateformes d'intermédiation, le nombre d'exploitants VTC en France a explosé. Il est toutefois difficile d'évaluer précisément le nombre de conducteurs en exercice, qui varie selon l'indicateur pris en compte.

Le nombre d'exploitants inscrits au registre VTC s'établit, selon la direction générale des infrastructures, des transports et des mobilités (DGITM), à 79 149 au 1er octobre 2025, avec plus de 120 000 conducteurs associés. Le tableau ci-après retrace l'évolution du nombre d'inscrits sur les derniers mois.

Date

Exploitants inscrits

Conducteurs associés

01/01/2024

59 509

79 119

01/07/2024

66 634

93 853

01/01/2025

71 467

102 687

01/07/2025

76 103

115 817

01/10/2025

79 149

120 717

Source : DGITM, octobre 2025

Il convient de noter que le fait d'être inscrit au registre des exploitants de VTC n'implique, néanmoins, pas une activité effective9(*).

Si l'on s'intéresse au nombre de titulaires de cartes VTC, ils sont au nombre de 137 350 cartes au 28 septembre 2025. Ainsi que le souligne la DGITM, comme pour l'inscription au registre des exploitants, l'ensemble des détenteurs de cartes professionnelles valides n'a toutefois pas d'activité effective et certains sont susceptibles d'avoir une activité irrégulière ou à temps partiel.

S'agissant à présent du nombre de chauffeurs actifs sur les plateformes : selon le rapport de l'Observatoire des transports publics particuliers de personnes publié en 2025, ils étaient 56 000 en 2023. Si le nombre de chauffeurs actifs au cours de l'année 2024 n'est pas encore établi (il sera publié en novembre 2025 par le ministère des transports), selon diverses sources, il est estimé à environ 70 000 chauffeurs.

Le nombre de conducteurs de VTC actifs en dehors des plateformes n'est, en revanche, pas connu. Ils semblent néanmoins peu nombreux : il s'agit généralement de chauffeurs salariés des entreprises dites de « grande remise » qui réalisent des prestations haut de gamme, avec quelques chauffeurs indépendants ayant développé leur propre clientèle.

À titre de comparaison, le rapport 2025 de l'Observatoire national du T3P estimait à environ 63 000 le nombre de taxis en exercice en 2023. Ces deux professions - taxis et VTC - sont caractérisées par une répartition géographique différenciée : tandis que seuls 36 % des taxis exercent en Île-de-France, cette proportion atteint 80 % pour les VTC.

B. LE DÉVELOPPEMENT DU MODÈLE DES CHAUFFEURS « RATTACHÉS » À DES GESTIONNAIRES DE FLOTTE S'ACCOMPAGNE DE PRATIQUES FRAUDULEUSES PRÉOCCUPANTES

Ainsi que le souligne l'étude d'impact jointe au projet de loi, les forces de contrôle (police des taxis et VTC de la préfecture de police de Paris - dite « brigade des Boers » - gendarmerie, inspection du travail et contrôleurs des transports terrestres) constatent une hausse préoccupante de la fraude dans le secteur des T3P depuis plusieurs années.

Celle-ci prend différentes formes : présence de faux professionnels (exercice illicite de la profession de VTC et de taxi), par exemple, s'agissant des VTC, à travers la sous-location de l'inscription au registre des exploitants VTC à un tiers, fraudes à la réglementation du code des transports, travail dissimulé et fraudes fiscales et sociales.

La généralisation de sociétés « gestionnaires de flotte » a accompagné le développement de ce système de fraude organisée.

Pour rappel, les exploitants VTC ont, en théorie, deux options pour exercer leur profession : travailler comme chauffeur indépendant - le cas échéant, en passant par une plateforme d'intermédiation10(*) - ou comme chauffeur salarié d'une société de transport inscrite au registre des exploitants VTC.

Néanmoins, un système intermédiaire irrégulier s'est instauré à travers les gestionnaires de flottes. Ces sociétés se voient rattacher des chauffeurs indépendants auxquels elles proposent certains services (réalisation de démarches administratives, inscription sur les plateformes d'intermédiation, location de véhicules etc.). Elles contractualisent avec les plateformes d'intermédiation et perçoivent la rémunération des courses réalisées pour le compte des conducteurs indépendants relevant de leur flotte, auxquels elles reversent les montants perçus après déduction de charges éventuelles et d'une commission. Outre le fait qu'un tel rattachement de travailleurs ayant le statut d'indépendants soit irrégulier d'un point de vue juridique, de nombreux contournements de la réglementation ont été identifiés :

• les manquements aux obligations sociales et fiscales ;

• la mise à disposition irrégulière à des conducteurs de l'inscription au registre des exploitants VTC de la société (la seule possibilité permettant à un exploitant VTC de faire réaliser une prestation par un autre chauffeur implique que ce dernier soit son salarié) ;

• du travail dissimulé, le statut réel des chauffeurs étant susceptible d'être requalifié et les prestations ne faisant pas l'objet des déclarations et versement des cotisations associées.

À ce jour, selon la DGITM, 26 660 exploitants VTC sont constitués sous forme de sociétés par actions simplifiées, ce qui regroupe des exploitants employant légalement des salariés (telles que les sociétés dites de « grande remise ») et des entreprises dites « gestionnaires de flotte » potentiellement fraudeuses. Une estimation du nombre de conducteurs rattachés est d'environ de 30 000 conducteurs (soit 40 % des 70 000 conducteurs de plateformes).

Souvent, ces sociétés gestionnaires de flotte cessent leur activité en cas de risque de contrôle déclenché à la suite du traitement par les services concernés des informations issues des plateformes qui ont l'obligation de transmettre annuellement, à l'administration fiscale, les bénéficiaires des sommes qu'elles versent et les montants associés.

Selon la DGITM :

« Un des premiers critères d'attractivité de ces sociétés est lié à la mise à disposition d'un véhicule pour des conducteurs indépendants qui ne pourraient pas en acquérir ou louer un pour des raisons de solvabilité ou qui ne détiennent pas de carte professionnelle, certaines sociétés étant peu ou pas exigeantes en la matière. Ces sociétés proposent en outre la location des véhicules à la semaine.

Une autre motivation est le flux financier transitant par un intermédiaire entre la plateforme et le conducteur, qui rend plus facile sa dissimulation ainsi que le cumul de l'activité avec le bénéfice de prestations sociales. Enfin, passer par l'intermédiaire d'un gestionnaire de flotte évite les démarches d'inscription au registre des exploitants VTC et, notamment, de devoir justifier d'une garantie financière.

En revanche, le conducteur ne peut pas bénéficier des couvertures sociales associées aux cotisations. Le versement par les plateformes des revenus des courses aux gestionnaires de flottes constitue un obstacle à la mise en place des précomptes de cotisations par les plateformes, en cours d'expérimentation11(*). Les conducteurs ne bénéficient pas non plus des garanties apportées aux travailleurs indépendants en application des accords négociés au sein de l'Autorité des relations sociales des plateformes d'emploi (ARPE), entre les représentants des plateformes et des travailleurs indépendants du secteur des VTC, tels que le montant minimum garanti des courses. »12(*)

L'Agence centrale des organismes de sécurité sociale (Acoss) a estimé, en décembre 2024, que les fraudes aux cotisations sociales dans le secteur des VTC représentaient 70 M€ en 2022, alors qu'il ne comptait que 20 000 chauffeurs indépendants à cette époque. L'augmentation sensible et rapide du nombre de chauffeurs VTC depuis plusieurs années laisse présager un niveau de fraudes sociales bien supérieur. À ces fraudes sociales s'ajoutent, en outre, des fraudes fiscales, notamment à la TVA, qui ne sont toutefois pas documentées. Selon la DGITM, « il peut être estimé que les mêmes sommes qui ne font pas l'objet de versement des cotisations sociales ne font pas non plus l'objet du paiement de la TVA, la TVA étant normalement payée par l'exploitant qui réalise la course ».

Ces pratiques frauduleuses engendrent en outre des problèmes majeurs de sûreté et de sécurité pour les passagers qui sont susceptibles de monter à bord de véhicules non conformes à la réglementation et/ou conduits par de faux professionnels, ainsi qu'une concurrence déloyale envers les exploitants VTC exerçant leur activité en toute légalité.

Le développement des phénomènes de rattachement de chauffeurs indépendants à des gestionnaires de flottes a été qualifié d'« inquiétant » par la préfecture de police de Paris, dont des représentants ont indiqué au rapporteur :

« Outre des conséquences en matière de fraudes fiscale et sociale (dissimulation de revenus, non-paiement des charges, etc.), [ce phénomène] augmente les risques en matière de sécurité des personnes transportées. Il augmente le risque pour les clients d'être confrontés à de faux professionnels qui n'ont pas la qualité de chauffeur de VTC et qui ne disposent donc pas des conditions d'honorabilité et de compétences professionnelles avec les risques associés : risque routier ou d'escroquerie. En outre, il augmente le racolage notamment aux abords des aéroports et des gares, engendrant une concurrence déloyale des vrais professionnels et un risque sur la sécurité publique. [...]

Les phénomènes à l'oeuvre (exercice illégal et prêts de comptes) induisent du travail dissimulé de masse. Le recours à des personnes en situation irrégulière sur le territoire national est également fréquent. »13(*)

II. LE DISPOSITIF PROPOSÉ : LUTTER CONTRE LES PRATIQUES FRAUDULEUSES DES GESTIONNAIRES DE FLOTTES

L'article 8 du projet de loi vise à lutter contre les pratiques frauduleuses des gestionnaires de flotte, à travers plusieurs mesures introduites dans le code des transports.

Premièrement (2° du I), il clarifie le champ d'application du délit prévu à l'article L. 3124-7 du code des transports, pour les personnes se livrant à l'exercice illicite de la profession de VTC, c'est-à-dire sans être inscrits au registre des exploitants VTC.

Deuxièmement (b du 1° du I), il inscrit à l'article L. 3122-3 une disposition selon laquelle l'inscription au registre des exploitants VTC ne peut être mise à disposition d'un tiers, que ce soit à titre onéreux ou non.

Troisièmement, (3° du I), il introduit un article L. 3124-7-1 dans le code prévoyant trois sanctions administratives pour les personnes qui mettent à disposition d'un tiers l'inscription au registre des exploitants VTC qu'elles ont obtenue pour leur propre compte : la radiation du registre des exploitants VTC (une disposition similaire figure à l'heure actuelle dans la partie réglementaire du code) ; l'interdiction pour cet exploitant de s'inscrire à nouveau à ce registre, pendant une durée maximale de trois ans ; et, enfin, l'interdiction, pendant la même durée maximale, à toute personne agissant en qualité de dirigeant de droit ou de fait de cet exploitant d'intervenir en tant que dirigeant d'un exploitant inscrit au registre des exploitants.

Troisièmement (1° du II), il complète l'article L. 3141-2 pour imposer aux plateformes de réservation de s'assurer que les attestations d'inscription au registre des exploitants VTC de leurs conducteurs ne lui ont pas été remises par des tiers, que ce soit à titre gratuit ou onéreux. Lorsque le chauffeur VTC n'est pas indépendant et qu'il travaille pour une société de transport, la plateforme doit s'assurer que l'attestation d'inscription audit registre est bien mise à disposition du conducteur par l'exploitant qui l'emploie.

Quatrièmement (2° du II), il instaure une obligation de vigilance pour les plateformes de réservation afin qu'elles s'assurent que les exploitants VTC avec lesquels elles contractualisent ne pratiquent pas de travail dissimulé et n'emploient pas de personnes non autorisées à exercer une activité professionnelle sur le territoire national. Cette disposition est similaire à celle qui existe déjà pour le transport routier de marchandises et le transport public collectif (cf. infra). Les conditions d'application de cet article ont vocation à être précisées par décret en Conseil d'État.

Les manquements à cette obligation de vigilance seront recherchés et constatés par les agents de contrôle prévus à l'article L. 8271-1-2 du code du travail qui mentionne notamment les agents de contrôle de l'inspection du travail, les officiers et agents de police judiciaire et les contrôleurs des transports terrestres.

Cinquièmement (4° du II), une sanction administrative est instaurée à l'égard des plateformes qui n'exerceraient pas les vérifications découlant de leur obligation de vigilance : cette sanction serait constituée d'une amende d'un montant maximal de 150 € par mise en relation avec un ou plusieurs passagers sans avoir opéré les vérifications idoines. Il est prévu que le montant de cette amende ne peut dépasser 150 000 € par an, ou 300 000 € par an en cas de récidive dans un délai de deux ans.

Pour fixer le montant de l'amende, l'autorité administrative prend en compte les circonstances et la gravité du manquement, le comportement de son auteur ainsi que ses ressources et ses charges. Un délai de prescription de l'action de l'administration est prévu : il est fixé à deux ans révolus à compter du jour où le manquement a été commis.

Les conditions d'application de l'article 8 sont renvoyées à un décret en Conseil d'État.

III. LA POSITION DE LA COMMISSION : UN DISPOSITIF OPPORTUN, DONT L'EFFICACITÉ DOIT ÊTRE RENFORCÉE

La commission ne peut qu'accueillir favorablement l'article 8, qui va dans le sens d'un contrôle plus efficace des pratiques illicites dans le secteur du transport public particulier de personnes et d'une plus grande responsabilisation des plateformes dans ce domaine.

Néanmoins, elle a souhaité renforcer l'ambition de cet article à deux titres.

D'une part, elle propose d'adopter un amendement COM-113 visant à rehausser le plafond annuel de l'amende administrative prévue pour sanctionner les plateformes ne respectant pas leur devoir de vigilance vis-à-vis des exploitants VTC avec lesquels elles contractualisent. Pour rappel, une amende d'un montant maximal de 150 € par mise en relation avec un client en méconnaissance de ce devoir de vigilance est prévue par le projet de loi, avec un plafond annuel de 150 000 €. L'amendement propose de multiplier par vingt ce plafond, pour le porter à 3 000 000 d'euros. Cet amendement supprime par ailleurs le second plafond applicable en cas de récidives constatées dans un délai de deux ans, car sa mise en oeuvre semble soulever des difficultés d'ordre technique et opérationnel : à la place, il intègre une mention concernant la réitération du manquement parmi les critères à prendre en compte pour la détermination du montant de la sanction.

D'autre part, elle propose d'adopter un amendement COM-114 ayant pour objet de lutter plus efficacement contre l'exercice illicite des professions de VTC et de taxis, des pratiques qui s'accompagnent bien souvent d'un contournement des obligations fiscales et sociales et de la réglementation du travail. Il vise ainsi à :

- rehausser le quantum de peine pour les délits d'exercice illégal de la profession de VTC et de taxi, l'exercice illégal de la maraude et du démarchage de clients en vue d'une prise en charge sans réservation préalable, ainsi que pour les conducteurs ne disposant pas d'une carte professionnelle adaptée à l'activité pratiquée ;

- permettre au juge de décider d'interdictions temporaires de paraître dans certains lieux (infrastructures de transport, sites touristiques etc.) pour les personnes physiques ayant commis de telles infractions, afin de lutter contre la récidive ;

- permettre aux agents de contrôle d'user d'une procédure dite « du client mystère » pour constater les pratiques d'exercice illégal des professions, de maraude irrégulière sur la voie publique ou de racolage de clients, qui sont l'apanage des faux professionnels dont l'activité dissimulée ne fait pas l'objet des déclarations fiscales et sociales indispensables. Cette mesure, qui figure déjà dans le code de consommation pour les agents de la DGCCRF, est de nature à faciliter les constatations de ces délits.

Ces mesures apparaissent essentielles, à la lumière des travaux préparatoires du rapporteur. Ainsi que l'ont indiqué des représentants de la préfecture de police de Paris, « l'action des services de police [dans le secteur du T3P] est d'abord limitée par les faibles quantums de peines. Les délits du T3P, exercice illégal de l'activité de taxi et prise en charge sans réservation préalable pour les VTC/VMDTR notamment, ne sont pour l'heure punis que d'un an d'emprisonnement et 15 000 euros d'amende. Les pouvoirs d'investigation judiciaire des enquêteurs sont ainsi plus limités. La réponse pénale est, elle aussi, contrainte par ce cadre qui correspond aux délits les plus faiblement réprimés. »14(*)

La commission propose en outre d'adopter des amendements COM-111 et COM-112 procédant à des améliorations rédactionnelles.

La commission propose d'adopter l'article 8 ainsi modifié.


* 1 Loi n° 2009-888 du 22 juillet 2009 de développement et de modernisation des services touristiques.

* 2 Les plateformes de réservation doivent déclarer leur activité à l'autorité administrative. La liste des plateformes en exercice est disponible sur le site du ministère chargé des transports.

* 3 Loi n° 2019-1428 du 24 décembre 2019 d'orientation des mobilités.

* 4 Loi n° 2014-1104 du 1er octobre 2014 relative aux taxis et aux voitures de transport avec chauffeur.

* 5 Loi n° 2016-1920 du 29 décembre 2016 relative à la régulation, à la responsabilisation et à la simplification dans le secteur du transport public particulier de personnes.

* 6 Article L. 243-15 du code de la sécurité sociale.

* 7 Article L. 3261-3 du code des transports.

* 8 Article L. 3161-4 du code des transports.

* 9 L'inscription au registre étant valable cinq ans, les exploitants peuvent rester inscrits jusqu'au terme de la validité de leur inscription, même s'ils n'ont pas d'activité effective (sauf à être radiés).

* 10 À ce sujet, la directive (UE) 2024/2831 du Parlement européen et du Conseil du 23 octobre 2024 relative à l'amélioration des conditions de travail dans le cadre du travail via une plateforme, qui doit être transposée d'ici au 2 décembre 2026, va induire des évolutions statutaires : elle prévoit une présomption légale de relation de travail entre les plateformes et les personnes qui y exécutent un travail. Il incombera aux plateformes, si elles souhaitent renverser cette présomption, de démontrer que la relation contractuelle en question n'est pas une relation de travail.

* 11 À compter de 2026, plusieurs plateformes mettront en place le précompte des cotisations sociales des travailleurs indépendants, avant une généralisation du dispositif prévu en 2028.

* 12 Source : réponses de la DGITM au questionnaire écrit du rapporteur.

* 13 Source : réponses de la préfecture de police de Paris au questionnaire écrit du rapporteur.

* 14 Source : réponses de la préfecture de police de Paris au questionnaire écrit du rapporteur.

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