EXAMEN EN COMMISSION
Réunie le vendredi 14 novembre 2025 sous la présidence de M. Claude Raynal, président, la commission a examiné le rapport pour avis de M. Vincent Delahaye sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2026.
M. Claude Raynal, président. - Nous examinons le rapport pour avis de Vincent Delahaye sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS). Nous avons le plaisir de recevoir Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale de la commission des affaires sociales, ainsi que Mme Florence Lassarade, rapporteure pour avis de la mission « Santé », que nous examinerons dans un second temps.
M. Vincent Delahaye, rapporteur pour avis. - Le PLFSS pour 2025 nous a été transmis hier. La part que représente ce texte dans les prélèvements obligatoires et les dépenses publiques - plus de 680 milliards d'euros - et son impact macroéconomique justifient la saisine pour avis, comme chaque année, de notre commission.
Comme vous le savez, la crise sanitaire a provoqué en 2020 un déficit record de la sécurité sociale de l'ordre de 40 milliards d'euros, alors qu'elle finissait à peine d'absorber les conséquences du choc de la crise financière de 2008-2009.
Depuis, la situation des régimes obligatoires de base de la sécurité sociale et du Fonds de solidarité vieillesse (FSV) s'est légèrement redressée, mais son déficit restait très élevé, à hauteur de 10,8 milliards d'euros en 2023. En 2024, le déficit a été porté à 15,3 milliards d'euros et atteindrait même 23 milliards d'euros en 2025 d'après le présent PLFSS. Cette aggravation massive du déficit est d'autant plus frappante qu'aucune crise sanitaire ou financière ne vient spécifiquement la justifier.
L'augmentation forte du déficit depuis 2024 s'explique par le décalage entre l'évolution des recettes et des dépenses. Alors que l'augmentation des dépenses avait toujours été inférieure à celle des recettes, sauf en 2020, cette tendance s'est inversée en 2024 et 2025. La conjoncture économique inquiétante nuit en effet à la hausse des recettes, alors que les dépenses sont dynamiques structurellement, notamment sous l'effet de la démographie et de la revalorisation des prestations sociales sur l'inflation.
Par ailleurs, ce déficit de la sécurité sociale s'explique largement par des hausses de dépenses non financées, notamment le Ségur de la santé, qui représente ainsi un surcoût de près de 13 milliards d'euros par an depuis 2024.
Je note toutefois une amélioration dans la prévision du déficit, puisqu'il avait été anticipé à 22,1 milliards d'euros dans la loi de financement pour la sécurité sociale (LFSS) pour 2025, soit un écart de 900 millions d'euros - en 2024, l'écart avait été de 4,8 milliards d'euros.
Une telle aggravation du déficit de la sécurité sociale n'est pas acceptable. Des réformes structurelles des dépenses sociales sont indispensables pour permettre aux administrations publiques de retrouver un solde budgétaire positif, en contenant la hausse des dépenses par rapport à celle des recettes.
Le Gouvernement anticipait pour 2026 un déficit de 17,5 milliards d'euros, inférieur de 5,5 milliards d'euros à celui de 2025, mais supérieur de 2,2 milliards d'euros à celui de 2024. La réalisation de cette cible de déficit est de plus en plus improbable, puisqu'elle dépend de baisses des dépenses et de hausses des recettes qui ont été largement remaniées par l'Assemblée nationale.
En ce qui concerne les recettes, celles-ci devraient augmenter de 2,5 %, contre 2,4 % entre 2024 et 2025. Les mesures en recettes, minorées par des mesures en transfert de l'État vers la sécurité sociale, représenteraient un gain de 2,5 milliards d'euros dans le texte initial.
Le Gouvernement propose ainsi une taxe sur les cotisations perçues par les organismes complémentaires à hauteur de 2,25 %, qui viserait à percevoir la hausse de leurs cotisations opérées en 2024, alors qu'elles n'ont pas subi de hausse des dépenses. L'Assemblée nationale a toutefois supprimé cette disposition, tout comme le gel des seuils d'imposition de contribution sociale généralisée (CSG) sur les revenus de remplacement, qui aurait rapporté 300 millions d'euros. De même, l'article 8 du présent PLFSS avait prévu de soumettre les compléments de salaire, comme les titres-restaurant et les chèques-vacances, à une contribution patronale de 8 %. Cette disposition a été supprimée par l'Assemblée nationale, pour un coût de 950 millions d'euros.
S'agissant des dépenses, l'objectif du texte initial était de les limiter à 1,6 %, ce qui est déjà important. Elles relèvent largement de la branche maladie, à hauteur de 267,5 milliards d'euros, et de la branche vieillesse, pour 307,5 milliards d'euros. À la lecture du texte issu des travaux de l'Assemblée nationale, je suis très sceptique sur la réalisation de cet objectif.
Des mesures d'économies étaient proposées dans le texte initial, à hauteur de 9,1 milliards d'euros. En particulier, le gel de la revalorisation des prestations sociales, supprimé par l'Assemblée nationale mercredi dernier, devait rapporter 2,7 milliards d'euros. Je rappelle que les salaires des actifs ne sont pas systématiquement revalorisés tous les ans sur l'inflation, par exemple, contrairement aux prestations sociales. Concernant les pensions, cela représente une perte de 2,2 milliards d'euros d'économies.
La suspension de la réforme des retraites, à l'article 45 bis du PLFSS, entraîne un surcoût estimé dans l'étude d'impact à 100 millions d'euros en 2026 - certains parlent de 300 millions, mais on peut penser que les personnes qui auraient le droit de partir plus tôt à la retraite grâce à cette disposition ne l'auront pas anticipé, minorant le coût pour cette année... Le coût serait en revanche de 800 millions d'euros en 2027. Le rapporteur général de l'Assemblée nationale, Thibault Bazin, penche plutôt pour la fourchette haute de 300 millions en 2026. Quoi qu'il en soit, il s'agit d'un coût considérable, alors que le vieillissement démographique ne permet pas à la France de maintenir son système de retraite en l'état.
Quant à la branche maladie, ses dépenses seraient en principe modérées, l'objectif national de dépenses d'assurance maladie (Ondam) étant fixé pour 2026 à 270,4 milliards d'euros, soit une augmentation de 1,6 % par rapport à 2025. Les mesures d'économies proposées dans le texte initial, pour un montant de 6 milliards d'euros, ont été largement supprimées par l'Assemblée nationale. En particulier, la hausse des plafonds et des montants sur les franchises médicales et les participations médicales, à hauteur de 2,3 milliards d'euros, a été très critiquée par l'Assemblée.
Malgré le vote de la hausse de 1,4 point de la CSG sur les revenus du capital, censée rapporter 2,7 milliards d'euros, le déficit de la sécurité sociale pour 2026 se rapprocherait de celui qui était annoncé en l'absence de mesures nouvelles, soit 28,7 milliards d'euros. Il devrait en effet s'établir entre 24 et 25 milliards d'euros après sa modification par l'Assemblée nationale, contre 17,5 milliards d'euros dans le texte initial. Il relèvera de la branche maladie pour 22,3 milliards d'euros et de la branche retraite pour 4,6 milliards d'euros. Un tel déficit est totalement insoutenable et inacceptable, et appelle à une réforme structurelle et urgente de tout le système social français.
Selon les prévisions du Gouvernement, même en incluant les mesures proposées par le PLFSS initial, le déficit de la sécurité sociale demeurerait très élevé dans les années à venir, à hauteur de 16,8 milliards d'euros en 2027, 16,6 milliards d'euros en 2028 et 17,9 milliards d'euros en 2029. Ces chiffres sont sujets à caution.
La gestion à venir de la dette sociale est une source d'inquiétude. En effet, depuis fin 2024, il n'est plus possible, en l'absence de nouvelles dispositions législatives, de transférer les déficits de la sécurité sociale à la Caisse d'amortissement de la dette sociale (Cades). C'est donc l'Urssaf Caisse nationale qui prend en charge l'intégralité des déficits. Si son plafond d'endettement est porté à 83 milliards d'euros par le présent PLFSS, celle-ci ne peut s'endetter qu'à court terme, à l'horizon d'un an. En cas de choc sur les marchés financiers, il n'est pas certain qu'elle parviendrait à trouver suffisamment d'acheteurs de dette sociale pour couvrir ses besoins. Il est donc très risqué de la charger d'autant de dette.
Pour autant, un nouveau transfert de dette à la Cades n'est pas envisageable en l'absence d'un plan sérieux de reprise en main de la trajectoire des comptes sociaux. Il est donc d'autant plus urgent d'assainir financièrement la sécurité sociale.
J'en viens à un sujet que j'ai choisi d'approfondir comme l'an dernier : le poids du système des retraites sur la dépense publique.
Depuis des années, dans la plupart des régimes de retraite, les cotisations ne sont pas suffisantes pour couvrir le niveau des pensions. Pour celui des fonctionnaires, l'État augmente artificiellement chaque année les taux de cotisation employeur afin de combler les déficits. Un même système est appliqué à la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales (CNRACL). Si un taux identique à celui du secteur privé était appliqué, les cotisations employeur seraient beaucoup plus basses.
La somme des cotisations de niveau normal et des impositions et taxes affectées à l'ensemble des régimes de retraite représente près de 80 % des pensions versées par l'ensemble du système de retraite. Au total, les administrations publiques - État, CNRACL, mais aussi la branche famille et l'Unedic - comblent les besoins de financement du système des retraites pour près de 72 milliards d'euros. Cela fait peser un doute sur l'équilibre à long terme de ce système. L'Institut des politiques publiques a d'ailleurs montré dans une étude récente que près de 18 milliards d'euros de cette surcotisation de l'État dans le régime des retraites des fonctionnaires étaient dus au déséquilibre démographique global du système, qui serait supporté par tous les cotisants s'il existait un unique régime de retraite. L'État subventionne ainsi au travers du régime de ses fonctionnaires des déséquilibres imputables en réalité, pour partie, à l'ensemble des régimes de retraite.
Une présentation unifiée de ces éléments serait nécessaire. Notre collègue Sylvie Vermeillet recommande d'ailleurs d'améliorer l'information concernant les retraites de la sphère publique dans le compte d'affectation spéciale (CAS) « Pensions », et je soutiens cette idée.
Compte tenu de l'ensemble de ces éléments, vous aurez compris que ma position sur l'équilibre général du texte est extrêmement critique.
Mme Christine Lavarde. - Le déséquilibre, plutôt !
M. Vincent Delahaye, rapporteur pour avis. - C'est pourquoi je vous propose un avis défavorable sur le texte tel qu'il nous a été transmis par l'Assemblée nationale et que le Sénat devrait améliorer significativement.
M. Claude Raynal, président. - Votre conclusion est assez proche de celle de l'an dernier. Je remarque une certaine continuité...
M. Vincent Delahaye, rapporteur pour avis. - Une certaine cohérence, oui.
Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale de la commission des affaires sociales. - Merci pour votre invitation. Il est toujours important de croiser les analyses de nos deux commissions. La situation est préoccupante. Chacun, quelles que soient ses opinions politiques, se pose la question de la pérennité de notre système de protection sociale, car la situation est intenable dans la durée.
Il nous faut préparer l'avenir et débattre des choix permettant un retour à l'équilibre, condition de notre crédibilité. Nous connaissons une dégradation sans précédent et hors période de crise des finances publiques : déficit des administrations publiques de 5,4 points de PIB, soit 160 milliards d'euros ; déficit le plus élevé de la zone euro - veut-on rester le mauvais élève ? - ; déficit de la sécurité sociale de 23 milliards d'euros en 2025.
La France est toujours sous surveillance de l'Union européenne - on a tendance à l'oublier... - et sous la surveillance des marchés financiers, puisque les taux d'intérêt sont plus élevés que ceux de l'Italie ou de l'Espagne, qu'on montrait du doigt il y a peu.
L'examen des budgets s'annonce donc compliqué, avec des sujets très sensibles. Deux années après son vote, la réforme des retraites est remise en cause avec sa suspension par lettre rectificative. Si le coût est négligeable pour 2026, c'est une bombe à retardement.
L'Assemblée nationale nous transmet des textes alourdis par des mesures inconséquentes : plus de taxes, plus de niches ; bref, beaucoup d'imagination, mais aucune mesure de redressement. Après son passage à l'Assemblée nationale, le PLFSS a gonflé à 24 ou 25 milliards d'euros de déficit. C'est catastrophique !
En tant que rapporteure générale, ma ligne de conduite sera de revenir à un déficit de 17 milliards d'euros. C'est un impératif. Cela peut paraître difficile, mais je serai intraitable et je n'en démordrai pas. Pourquoi ? Parce qu'on ne peut plus transférer de dette à la Cades. On peut certes envisager ce qui est évoqué dans la note de bas de page n° 65 du rapport de la Cour des comptes, mais il faut pour cela une vraie trajectoire de retour à l'équilibre. La dette de l'Urssaf Caisse nationale sera de 120 milliards d'euros en 2027. Cela la rend fébrile.
Un point de vigilance : les 3 milliards d'euros prévus à l'article 40 du projet de loi de finances (PLF) concernant les allègements généraux. La réforme des allègements généraux permet un gain net pour la sécurité sociale de 1,6 milliard d'euros en 2025 et de 1,4 milliard en 2026. L'article 40 du PLF réduit de 9,1 milliards d'euros la TVA affectée à la sécurité sociale. Cette réduction, pour l'essentiel, est technique et justifiée, sauf pour les 3 milliards d'euros correspondant aux gains sur les allègements généraux. Pourquoi ? Parce que ces derniers sont actuellement sous-compensés à hauteur de 5,5 milliards d'euros, selon la Cour des comptes dans son rapport d'information sur l'application de la loi fiscale (Ralf).
En outre, le décret du 4 septembre dernier ne prévoit pas de réduction de 1,4 milliard d'euros. Ce budget anticipe donc quelque chose qui n'existe pas.
Les 3 milliards d'euros prévus n'annulent donc pas totalement la sous-compensation, puisque celle-ci s'élève à 5,5 milliards d'euros : il restera 2,5 milliards à compenser.
Je compte sur la commission des finances pour rendre à César ce qui revient à César. Bercy serait trop content de voir ces 3 milliards d'euros tomber dans son escarcelle. Le Sénat doit montrer le chemin du sérieux et de la sincérité budgétaires.
M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances. - Je souscris à vos derniers propos. Merci à Vincent Delahaye, comme toujours tonique et très clair, malgré la difficulté qu'il y a à travailler dans l'improvisation permanente. Pour prendre une métaphore agricole, on a l'impression d'être sous la trémie de la moissonneuse-batteuse : on reçoit le grain au fur et à mesure de la coupe sans savoir ce que cela donne...
Or, on se trouve face à une augmentation sensible du déficit . Je comprends que, à force d'avoir reçu de l'argent public en perfusion, à flux continu sans efficacité, cela devient plus difficile de faire des choix.
Concernant le projet de loi de finances, nous avons travaillé sur la copie originale du Gouvernement. Nous aurons sans doute une version transformée, mais nous le saurons au dernier moment.
Je le dis au Gouvernement : il y a un problème de gouvernance. Qui porte le projet de loi de finances ? L'idée - mais je n'ose croire que ce soit le souhait du Gouvernement - de refiler la patate chaude au Parlement, faute de majorité politique, pour dresser ensuite un constat d'incapacité est profondément dangereuse, voire suicidaire. Personne n'étant candidat au suicide, dans ce contexte inédit de grand questionnement de nos concitoyens, nous nous efforcerons de proposer un redressement des comptes publics au moins aussi important qu'en 2025. Il serait coupable de laisser faire en attendant que d'autres aient à prendre des décisions encore plus douloureuses. Merci d'avoir rappelé qu'en ne présentant pas de consolidation des comptes relatifs aux retraites, on fait comme si on ne voyait pas le problème. Finalement, cela arrange tout le monde !
Nous devons faire très attention. Si nous voulons de la cohésion, il faut éviter de dresser les Français les uns contre les autres. Je ne crois pas que les retraités veuillent d'abord protéger leur condition, plus que celles des actifs ou des jeunes. Nous devons objectiver les données pour que la solidarité entre les générations continue de s'exercer pleinement.
J'ai aussi entendu la détermination de la rapporteure générale de la commission des affaires sociales.
M. Arnaud Bazin. - Merci aux rapporteurs qui ont parlé de façon très claire et directe. Si le rapporteur général s'est réjoui de l'absence de périphrase, je poserai tout de même une question de vocabulaire : le transfert d'un déficit de cette ampleur - potentiellement 24 milliards d'euros - vers une caisse de trésorerie ne s'appelle-t-il tout simplement pas une cavalerie ?
M. Victorin Lurel. - Que le Sénat fasse preuve de sérieux budgétaire, nous l'entendons. Mais que le Sénat fasse aussi preuve de réalisme politique ! Personne n'a raison tout seul. L'état de l'opinion publique est ce qu'il est. L'Assemblée nationale en est la traduction fidèle et son texte le reflète. Penser que ce dernier est forcément mauvais serait un regrettable manque de réalisme politique.
La majorité sénatoriale colorera le PLFSS d'une autre teinte que l'Assemblée nationale. La commission mixte paritaire (CMP) ne sera probablement pas conclusive et peut-être que le Premier ministre demandera à l'Assemblée nationale de se prononcer. S'il y a quelque cohérence à l'Assemblée, elle reviendra à l'épure de ce qui nous a été envoyé. Auquel cas, pourquoi ne pas déposer une motion plutôt que de perdre du temps à tout modifier ? Je ne prêche pour aucune démagogie budgétaire : je sais très bien que l'estimation de 17,5 milliards d'euros n'est pas bonne et que la réalité est plus proche de 24 à 25 milliards d'euros ; Vincent Delahaye évoque même 28,7 milliards d'euros. Il n'y a pas de bonne solution, mais de moins mauvaises solutions. Un déficit de 5 % du PIB reste raisonnable en programmation pluriannuelle. C'est un bon compromis compte tenu de l'émiettement politique actuel.
Nous aimerions conserver des acquis du texte modifié. Aussi, nous réservons notre position.
M. Laurent Somon. - Je m'opposerai à une motion. Il faut absolument débattre des retraites, sujet très important.
Le constat n'est-il pas biaisé dès lors que l'on fait l'hypothèse d'une hausse de l'Ondam de 1,6 % alors que ces dernières années, elle était de plus de 4 % et que depuis 2012, elle est rarement passée sous la barre des 2,5 % ?
M. Claude Raynal, président. - À titre personnel, je pense que nous devons nous interroger sur notre état d'esprit. Merci à la rapporteure générale d'avoir clairement dit ce qu'elle souhaitait faire. Si le Sénat revient à la copie initiale agrémentée de quelques zakouski en estimant que l'Assemblée nationale a fait n'importe quoi, et que l'on se retrouve en CMP, son apport final sera faible.
L'Assemblée nationale trouve des majorités sur des amendements qui s'additionnent sans grande cohérence : il faut ensuite mener un travail de peignage. C'est un nouveau monde dans lequel il faut apprendre à fonctionner, car il va durer - on pourrait connaître le tripartisme pendant longtemps. Il faut conserver les mesures qui peuvent participer à l'équilibre et écarter les autres. On peut choisir de faire l'inverse pour envoyer un message politique, mais cela pourrait se traduire par une défaite en rase campagne.
Je ne souhaite pas que le Sénat refuse de prendre en compte la réalité de la discussion politique telle qu'elle se présente. Nous gagnerions tous à être dans la modération et la recherche d'équilibre. C'est l'intérêt du pays.
Un compromis en CMP nous offrirait une sortie par le haut. On n'a rien à gagner au rejet du PLFSS. C'est tout de même le texte sur lequel le gouvernement de Michel Barnier est tombé. Évitons de nouveaux événements désagréables ; nous n'en avons pas besoin.
M. Vincent Delahaye, rapporteur pour avis. - Faut-il du réalisme politique ? Faut-il voter des mesures populaires pour faire plaisir aux gens ? Faut-il leur distribuer de l'argent ? La ministre de la santé a affirmé, lors de la dernière séance de questions d'actualité au Gouvernement, qu'elle donnerait 1 milliard d'euros aux hôpitaux : mais d'où ce milliard sort-il ? On dit aux Français qu'il faut se serrer la ceinture et d'un seul coup, on trouve 1 milliard venu d'on ne sait où. Les Français en ont assez des petites combines entre partis.
Il faut que le Sénat ait une voix forte, claire, et affirme que cette situation ne peut pas perdurer. Politiquement, j'ai bien conscience de la difficulté liée à l'hétérogénéité de l'Assemblée nationale, mais nous devons fixer un cap. Or, pour moi, ce doit être le redressement des comptes publics. Il faut aussi soutenir l'économie, car si l'on taxe trop les entreprises, on taxe les emplois et les salaires.
Je suis pour une pédagogie claire. Le Sénat doit faire preuve de sagesse, en répondant aux Français qu'il les a entendus, mais que malheureusement, il n'y a plus d'argent. Nous allons tomber dans le précipice. Il faut arrêter d'avancer !
Je suis défavorable à une motion. Il faut débattre. Nous devrons essayer de garder le meilleur de la copie et de faire adopter le PLFSS. J'ai bien conscience des difficultés ; je ne crois pas beaucoup à une CMP conclusive. Néanmoins, le Sénat doit se distinguer de l'Assemblée nationale, en évitant de tomber dans les petites combines qui reportent l'effort sur les générations futures. Je ne suis pas du tout d'accord avec le président Raynal sur ce point.
Oui, M. Bazin a raison : c'est de la cavalerie ! L'Assemblée nationale augmente le déficit de 6,6 à 7 milliards d'euros sans souci, en deux jours, en supprimant toutes les contraintes impopulaires. Elle laisse filer le déficit sans savoir du tout comment on redressera les comptes.
En effet, cher Laurent Somon, une hausse de l'Ondam de 1,6 % est une hypothèse extrêmement optimiste. Il est évident qu'elle ne sera pas plus respectée que celles des années précédentes. Cet objectif a été fixé pour atteindre 17,5 milliards d'euros de déficit. De même, l'hypothèse de hausse de la masse salariale de 2,3 % a été qualifiée d'optimiste par le Haut Conseil des finances publiques (HCFP). Elle a été formulée ainsi parce que le calcul des cotisations se base dessus.
Nous allons vraiment dans la mauvaise direction. C'est pourquoi je maintiens mon avis défavorable.
Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale de la commission des affaires sociales. - Chacun est dans son rôle. Le mien doit être de plaider pour le retour à l'équilibre des comptes. Au fil du temps, nous avons trop renoncé aux économies. C'est un coup de canif dans le contrat entre générations.
Le déficit de la branche maladie est l'éléphant dans la pièce. Laisser les générations futures payer pour nous n'est pas fidèle au contrat de la sécurité sociale. Celle-ci repose sur une solidarité contemporaine entre générations. J'entends les jeunes qui disent qu'ils n'auront pas de retraite ; ils ont peur.
Le système actuel doit être remanié. Certes, ce n'est pas le temps politique pour le faire, mais il faut imprimer une marque de sérieux et cesser de procrastiner.
Mon rôle sera toujours de rappeler qu'il faut diminuer le déficit. La solution proposée par la Cour des comptes dans la note de bas de page n° 65 de son dernier rapport, selon laquelle la Cades amortira la dette plus tôt d'un semestre, dégageant une ressource non affectée de 20 milliards d'euros, n'est possible que si l'on s'assure de recettes correspondantes. La loi organique l'impose : si l'on prolonge la durée d'exercice de la Cades, il lui faut des recettes, ou tout au moins une trajectoire crédible. Sinon, comment les marchés financiers pourraient-ils croire à notre sérieux ?
C'est à l'ensemble de l'assemblée sénatoriale de trouver un compromis. Notre devoir est de tracer une trajectoire raisonnable pour les générations futures.
Je ne crois pas qu'il faille attendre 2027, donc encore deux ans, pour se confronter au problème. À force d'ajouter de la dette à la dette, en particulier via l'Urssaf Caisse nationale, nous n'avons plus le matelas financier qui a permis d'amortir les dépenses durant la crise financière ou la crise sanitaire.
M. Claude Raynal, président. - Madame la rapporteure générale, nous vous remercions de vos précisions. Tous les commissaires des finances comprennent très bien l'importance de la ligne politique et de l'objectif affiché : personne ne le conteste.
Toutefois, il y a un problème de gestion du temps. Depuis l'examen des derniers PLF, et désormais à l'occasion du PLFSS, la commission des finances fait face à une difficulté particulière. Nous avons le sentiment que ces textes abordent des questions qui auraient dû être traitées en amont, alors qu'ils devraient plutôt être le point d'arrivée d'une réflexion antérieure. Ainsi, on dépose, un peu à la hussarde, dans le PLF, un amendement d'appel visant à transférer plusieurs milliards d'euros de crédits ou à supprimer une taxe - c'est ainsi que l'Assemblée nationale a supprimé la contribution sociale de solidarité des sociétés (C3S), qui rapporte pourtant 5 milliards d'euros par an. Espérons que l'on n'en arrive pas là dans notre assemblée, et que les amendements d'appel finiront par être retirés.
Certes, on peut estimer que des mesures ponctuelles permettront, petit à petit, de réduire le déficit. Dans la version initiale du PLFSS, le Gouvernement prévoyait de réduire le déficit de 17,5 milliards d'euros, ce qui n'a rien de grandiose ; il avance désormais que nous ne parviendrons toujours pas à l'équilibre d'ici à trois ans. Pour le dire autrement, des décisions techniques ne permettront pas de résoudre le déficit.
Si, avant les discussions financières, il n'y a pas un débat de société sur l'ensemble de la sphère sociale, qui représente plus de la moitié de la dépense publique ; si les choses ne sont pas clairement mises sur la table - je ne parle pas uniquement des retraites ou de la sécurité sociale, mais bien de l'ensemble des dépenses sociales - ; s'il n'y a pas un accord transgénérationnel à ce sujet, alors nous n'y arriverons pas. C'est compliqué, mais dans une démocratie, il faut en passer par là. Sinon, nous n'arriverons jamais à atteindre l'équilibre nécessaire.
Je me souviens que, l'année dernière, Christine Lavarde avait déposé un amendement visant à modifier la fiscalité des pensions de retraite. Il ne me posait pas de problème sur le fond, mais j'étais intervenu pour souligner que nous ne pouvions pas procéder de cette manière : la mesure n'aurait pas abouti !
Mme Christine Lavarde. - Nous en reparlerons lors du PLF...
M. Claude Raynal, président. - C'est uniquement en préparant la discussion budgétaire que celle-ci peut aboutir. Il me semble que l'urgence est de parvenir à un accord sur le PLFSS. Même si nous le considérons tous mauvais - la majorité sénatoriale estime qu'il va trop loin, quand nous pensons qu'il ne va pas assez loin, mais peu importe -, nous devons parvenir à un accord, car sinon, je le dis sincèrement, je crains que ce ne soit pire encore.
M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances. - J'en reviens à la patate chaude qui a été donnée au Parlement. Ces difficultés découlent de la décision de la dissolution : depuis, il n'y a plus de gouvernement qui « détermine et conduit la politique de la Nation », selon les termes de l'article 20 de la Constitution. Le Gouvernement nous transmet un texte, en nous demandant de nous débrouiller pour naviguer. Nous allons nous battre : c'est un débat politique, et nos concitoyens doivent bien voir que nous ne sommes pas dupes.
La commission émet un avis défavorable sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2026.