II. RENFORCER ET ADAPTER L'OUTIL DIPLOMATIQUE SOUS CONTRAINTE BUDGÉTAIRE DANS UN CONTEXTE DE PERMACRISE
A. LE QUAI D'ORSAY À L'OFFENSIVE SUR LA FONCTION DE COMMUNICATION STRATÉGIQUE
L'importance conférée à la fonction de communication stratégique progresse : en témoigne l'apparition d'un tel intitulé dans les documents budgétaires, et la nomination, en avril 2025, d'une conseillère chargée de la communication stratégique au cabinet du ministre.
L'évolution de la dotation budgétaire est un autre signe encourageant. En 2024, les crédits de la communication et de la presse s'élevaient à 7,5 millions d'euros, et les équipes consacraient près de 100 000 euros depuis nos ambassades à la lutte contre les contenus inauthentiques, dont près des deux tiers sur le continent africain - notamment la République démocratique du Congo, au Tchad et en Côte d'Ivoire.
En 2026, l'impulsion nouvelle donnée à cette fonction se traduira par une hausse du budget de la direction de 10 millions d'euros, destinée à financer les dépenses de fonctionnement en administration centrale et dans le réseau. Les équipes du réseau diplomatique seront dotées d'outils de veille performants, leur permettant de suivre en temps réel l'activité sur les réseaux sociaux et de structurer leurs pratiques. L'analyse de ces données et menaces permettront de proposer des ripostes informationnelles rapides, sous forme de messages ou de contenus audiovisuels destinés à des audiences étrangères, avec des narratifs adaptés par région. La mesure d'impact de ces publications devrait être systématisée.
Au sein de la direction, c'est la sous-direction de la veille et de la stratégie, créée en novembre 2022, qui est chargée de la définition d'une stratégie d'accompagnement des initiatives diplomatiques, de la veille de l'espace informationnel, de l'alerte donnée lors d'une attaque visant la France et sa politique étrangère, mais aussi de la riposte. Elle est dans l'exercice de ces fonctions en lien régulier avec les autres organes ministériels intervenant dans ce domaine : Viginum et le pôle « Anticipation stratégique et orientation » de l'état-major des armées. La politique de riposte s'est notamment traduite par la création du compte X French Response, et l'encouragement des chefs de poste à prendre des risques en matière de communication stratégique.
Les principales menaces identifiées proviennent de nos compétiteurs, de certaines sphères à l'étranger qui sont habituellement critiques de nos décisions de politique étrangère, et parfois même de pays amis. La menace informationnelle principale est celle que fait peser la Russie, à travers ses différents modes opératoires documentés par Viginum, qui a pour la première fois attribué des attaques cyber au renseignement militaire russe en avril 2025. Le champ informationnel africain est par ailleurs un terreau fertile pour la propagation de fausses rumeurs sur l'action de la France, lesquelles peuvent avoir des effets dans la sphère réelle, comme l'a montré le saccage d'un centre culturel français au Burkina Faso en 2022.
La guerre de l'information6(*)
La guerre de l'information, ou l'utilisation de l'information comme une arme visant à appuyer ou contourner l'exercice d'une puissance, a toujours existé. Elle a cependant pris une ampleur nouvelle en étant menée aussi bien dans le champ des médias traditionnels que dans l'espace cybernétique, et alimente des conflits directs qui restent ainsi en deçà du seuil de conflictualité ouvert. Selon l'historien David Colon, le bouleversement introduit par la fin de la guerre froide et l'avènement de médias planétaires, tel CNN, comme auxiliaires de la volonté hégémonique des États-Unis sur l'information, a provoqué le raidissement des puissances adverses, notamment chinoise et russe, qui consacrent désormais à leur action médiatique des moyens considérables.
Les téléphones portables et les réseaux sociaux ont porté la conflictualité informationnelle à un niveau sans doute inédit. Russie ou Chine y voient le moyen de saper la cohésion sociale de leurs compétiteurs et adversaires : celle-ci étant fondée sur la confiance dans les institutions, le personnel politique ou administratif, les médias et dans la valeur de l'information transmise, telles sont les cibles de leurs services spécialisés. Le virus de la désinformation peut être déposé sur les réseaux, via des influenceurs, par la manipulation des faits dans les campagnes électorales ou par la déstabilisation psychologique ou cognitive exercée par des applications comme TikTok, dont la commission d'enquête du Sénat de 2024 a exposé les rouages. En fragilisant la distinction entre l'authentique et l'inauthentique, et la crédibilité de ceux qui ont pour fonction d'en tracer la frontière, il constitue une arme hybride dirigée contre notre régime de vérité et nos institutions.
* 6 Voir David Colon, La guerre de l'information, Paris, Tallandier, 2024, et son audition par la commission le 6 décembre 2023.