B. PRÉSENCE DANS LE MONDE, INFLUENCE DANS LE MULTILATÉRALISME
1. La physionomie du réseau, toujours caractérisé par son universalité
Le ministère a bénéficié de la création de 347 ETP depuis 2023, ce qui n'était pas arrivé depuis des décennies. Ils ont été affectés à 75 % dans le réseau, prioritairement en zone Afrique du nord-Moyen Orient et Afrique. En 2025, la ventilation des ETP a visé à le renforcer dans les zones de crise et dans les espaces nécessitant une adaptation liée au retrait américain. Ont été privilégiés, d'après la direction des ressources humaines :
- Le renforcement des capacités d'analyse politique avec un accent particulier porté sur les questions de sécurité (15 ETP) ;
- L'amélioration du service rendu aux Français de l'étranger par la modernisation des services consulaires et le renforcement de nos capacités de lutte contre la fraude (8 ETP) ;
- La poursuite du développement de nos capacités en matière de communication stratégique et de lutte contre la désinformation (6 ETP) ;
- Le renforcement de nos capacités d'influence (29 ETP) ;
- La modernisation du ministère à travers, à titre d'illustration, le renforcement de nos postes de présence diplomatique et l'ouverture de notre ambassade au Guyana (17 ETP).
De nouveaux outils ont encore été déployés. Un nouveau réseau, piloté par la direction générale de la mondialisation, de conseillers « enjeux globaux » - intelligence artificielle, risques géo-économiques, changement climatique, biodiversité, santé mondiale, migrations - veille à renforcer la capacité de la France à peser sur la scène internationale, et de nouveaux Fonds Equipe France, pilotés par les postes diplomatiques, ont été déployés avec un accent mis sur les programmes en faveur de l'excellence académique et scientifique ainsi que des industries culturelles et créatives en Indopacifique et en Afrique.
Enfin, le dimensionnement du réseau lui-même évolue puisqu'ont été annoncées des ouvertures ou de réouvertures de postes : un consulat à Nuuk, au Groenland, mais aussi des postes de Benghazi, en Libye, et à Damas.
2. L'organisation d'événements internationaux
L'influence française bénéficie encore d'un soutien déterminé au leadership en matière d'événements internationaux d'ampleur, dont la professionnalisation a été l'un des axes de l'Agenda de la transformation. Ainsi, en 2025 :
- La France a co-présidé et été la cheville ouvrière de la conférence sur la solution à deux États qui s'est tenue le 22 septembre à l'Assemblée générale des Nations Unies, point d'orgue de la dynamique impulsée par la Conférence de New York des 28-30 juillet en faveur d'un règlement du conflit israélo-palestinien sur la base de la solution à deux États. Rassemblant les représentants des trois-quarts des États membres des Nations unies, dont 21 chefs d'États et de gouvernement et 14 ministres des Affaires étrangères et ministres d'État, la Conférence a donné lieu à une série d'annonces relatives à la reconnaissance de l'État de Palestine ;
- La France a organisé les 22 et 23 octobre à Paris la Conférence ministérielle des diplomaties féministes, réunissant 55 pays, 27 organisations internationales et plus de 100 organisations de la société civile. La déclaration politique adoptée à son issue renforce les engagements internationaux en faveur de l'égalité de genre ;
- La France a accueilli la troisième Conférence des Nations Unies sur l'Océan (UNOC), du 9 au 13 juin à Nice, laquelle a rassemblé plus de 64 chefs d'État et de gouvernement. Cette conférence a permis d'atteindre le seuil de 60 ratifications nécessaire à l'entrée en vigueur de l'accord sur la biodiversité en haute mer grâce à la délocalisation exceptionnelle du bureau des accords et traités des Nations unies. L'UNOC a aussi joué un rôle dans la promotion d'autres accords, dont la mise en oeuvre de l'objectif de protection de 30% de l'océan d'ici à 2030, l'accord relatif aux subventions à la surpêche obtenu en 2022 dans le cadre de l'OMC, entré en vigueur quelques semaines après la conférence, et l'adoption par près de 100 pays d'une déclaration politique pour l'adoption d'un traité visant la fin de la pollution plastique ;
- La France a joué un rôle moteur lors de la quatrième Conférence sur le financement du développement qui s'est tenue à Séville du 30 juin au 3 juillet 2025. Le document adopté, l'Engagement de Séville, sera l'occasion pour la France de poursuivre son travail sur la banque publiques de développement, la taxation du secteur aérien et une meilleure mobilisation des ressources privées et domestiques.
En 2026 encore, la France exercera la présidence du G7, en juin, à Évian. L'objectif du sommet sera de renforcer la résilience économique, technologique et géopolitique des grandes démocraties tout en promouvant leur rôle de catalyseur pour un ordre mondial durable et inclusif avec un accent sur les technologies critiques et les chaînes d'approvisionnement.
Le sommet Africa Forward, qui se tiendra à Nairobi en mai 2026, vise à renforcer les partenariats entre l'Afrique et la France autour de l'innovation, de la croissance durable et d'un multilatéralisme renouvelé, en mobilisant gouvernements, secteur privé et société civile.
3. Une position enviable, mais fragile, dans les enceintes multilatérales
La France conserve encore pour l'heure une position enviable dans les instances multilatérales, jouit d'une expertise reconnue dans un grand nombre de domaines, et dispose d'un pouvoir d'influence non négligeable. En témoigne la résolution américaine sur la situation en Ukraine marquée du changement de doctrine, sur la question, du second mandat Trump, dont l'amendement à l'initiative de la France a contraint les États-Unis à s'abstenir sur leur propre texte avant son adoption en assemblée générale, le 24 février dernier7(*).
Toutefois, les efforts demandés au Quai d'Orsay sur ses crédits d'intervention et le ralentissement de la mise en oeuvre des ambitions récentes ne pourront rester longtemps sans impact sur l'influence de la France dans le monde, ne serait-ce que par un effet de vases communicants : les espaces libérés de la présence française sur le plan financier ou dans les postes à responsabilité seront occupés par d'autres. Si le poste de secrétaire général adjoint aux opérations de paix est toujours occupé par un Français, Jean-Pierre Lacroix, il sera vivement convoité en 2026, notamment par la Chine, qui est le huitième contributeur en termes de casques bleus déployés au printemps 2025 - la France est 26e.
La diminution mécanique de nos contributions obligatoires s'est en effet accompagnée d'une diminution de nos contributions volontaires. Les crédits qui leur sont consacrés passent de 54 millions en 2024 et 2025 à 35 millions en 2026. Sont par exemple touchées nos contributions à la Mission multinationale d'appui à la sécurité (MMAS) en Haïti, au Fonds de consolidation de la paix, ou à l'ONUDC.
Évolution des contributions internationales portées par le P105
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LFI 2025 |
PLF 2026 |
||
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M€ |
% |
M€ |
% |
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Contributions obligatoires |
718,95 |
92,95 |
732,67 |
95,4 |
|
Contributions volontaires contraintes |
29,77 |
3,85 |
25,35 |
3,3 |
|
Contributions volontaires |
24,74 |
3,2 |
10,01 |
1,3 |
|
Total |
773,46 |
100 |
768,03 |
100 |
Source : MEAE.
La réduction à presque rien, en 2025, de la contribution française au Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) n'a sans doute pas été pour rien dans l'échec du candidat français au poste d'Administrateur du Programme, qui figurait pourtant parmi les trois favoris. Celui-ci ayant concouru avec le soutien de l'Allemagne en échange du soutien du gouvernement français au candidat allemand au poste de Haut-commissaire aux réfugiés, la France ne présente pas de candidature officielle à la tête du HCR.
À ces fragilités financières et stratégiques s'ajoutera bientôt une plus grande rudesse de la compétition, en raison des réformes structurelles dans lesquelles s'engagent les Nations unies, qui devraient conduire à une baisse de 15 % des effectifs du secrétariat général et à la rationalisation du nombre de mandats et d'organes.
4. Investir davantage certains domaines de coopération spécifiques
La paralysie du système multilatéral invite à s'interroger sur les canaux alternatifs d'influence de la France dans le monde. Parmi ceux-ci, peut-être la régulation des secteurs les plus proches des frontières technologiques est-elle sous-estimée. Sans prétendre anticiper sur les futurs travaux de la commission, les rapporteurs pour avis observent que :
· En matière de désarmement balistique, les seuls instruments depuis l'effondrement du Traité INF en 2019 sont les mécanismes de transparence et de confiance comme le Code de conduite de La Haye contre la prolifération des missiles balistiques. En janvier 2024, le Qatar est devenu le 145e État à adhérer au HCOC. Ce type de régime international de droit mou, qui se contente de prévoir un cadre de bonnes pratiques - notifications des exercices, bilan annuel sur les travaux menés, visite de sites - recrée un espace de dialogue ;
· Il n'existe pas de processus multilatéral relatif à la réglementation des drones armés. Un groupe de 21 États a certes publié en mars 2024 une déclaration conjointe sur le sujet appelant à intensifier le débat sur la transparence, la supervision et la responsabilité dans l'acquisition, le transfert et l'utilisation des drones armés ;
· S'agissant du numérique et de l'intelligence artificielle, la gouvernance mondiale est balbutiante au sein des Nations unies. La désignation en 2022 d'Amandeep Gill comme envoyé spécial du Secrétaire général pour les technologies, puis l'adoption par l'Assemblée générale en septembre 2024 d'un Pacte numérique mondial, ont été suivies par la création, en août 2025, d'un panel scientifique indépendant international sur l'IA et d'un dialogue sur la gouvernance de l'IA. La France et l'Europe tâcheront d'y défendre leurs valeurs face aux États-Unis, qui promeuvent les intérêts de leur secteur de la tech, et d'autres tels la Russie et la Chine plus soucieux de contrôler l'architecture des réseaux et d'exclure la société civile de la gouvernance internationale. La France soutient la candidature de Henri Verdier, ancien Ambassadeur pour le numérique, au panel scientifique ;
· L'espace est un autre exemple de terrain scientifique et diplomatique sous-exploité.
Il n'est pas exagéré de dire que l'Europe, en 2025, subit la nouvelle course à l'espace dans tous les domaines. En 2025, les États-Unis ont réalisé 260 lancements orbitaux, la Chine 71, l'Europe 4 - un dernier est prévu le 17 décembre. Les États européens, Royaume-Uni, Norvège et Suisse compris, représentent 10 % des investissements publics dans le secteur, les États-Unis 60 % et la Chine 15 %. Les États-Unis et la Chine disposent de la filière industrielle qui produit tout ce que nécessite un lancement, si possible perfectionné technologiquement - la Chine a testé sa première fusée réutilisable à l'été 2025 -, de géants des services numériques susceptibles de les rentabiliser, et d'un pouvoir politique doté d'une vision à long terme et peu contraint financièrement.
Le troisième critère au moins semble faire défaut aux Européens, dont les intérêts ne sont pas toujours alignés. La stratégie spatiale nationale dévoilée le 12 novembre dernier est accompagné d'un effort budgétaire de l'ordre de 4,2 milliards d'euros, et 10,2 milliards sur la période 2024-2030, alors que l'Allemagne, qui a dévoilé la sienne une semaine plus tard, prévoit d'y consacrer 35 milliards d'euros sur la même période. Dans le document français, les puissances émergentes ou le continent africain ne sont pas mentionnés alors que certains projets, telle la constellation de satellites Iris², pourrait être un facteur de diplomatie là où les populations font un usage sophistiqué et inventif du numérique et où notre présence militaire n'est plus souhaitée.
Le MEAE représente certes la France au sein des organisations existantes : le comité onusien sur les usages pacifiques de l'espace extra-atmosphérique, à l'origine du corpus fondateur du droit spatial ; l'Union internationale des télécommunications, organe onusien qui attribue les fréquences radioélectriques et les orbites de satellite, et élabore les normes techniques qui assurent l'interconnexion des réseaux et des technologies ; ou encore les organisations européennes telles que l'Agence spatiale européenne, et l'Union européenne. L'activité de ces enceintes est cependant parfois ralentie.
La France, nation spatiale ancienne, a pourtant déjà été motrice dans le contournement des blocages des organisations existantes et des difficultés à élaborer de nouveaux instruments juridiques contraignants, par exemple en élaborant les « lignes directrices pour la viabilité à long terme des activités spatiales », adoptées par consensus en 2019 et endossées par l'Assemblée générale des Nations unies. Ce type d'effort doit être encouragé et accompagné d'une politique beaucoup plus volontariste dans les enceintes multilatérales, et le cas échéant dans des formats ad hoc.
Le mercredi 3 décembre 2025, sous la présidence de M. Cédric Perrin, président, la commission a émis un avis favorable à l'adoption des crédits du programme 105 de la mission défense dans le projet de loi de finances pour 2025.
* 7 Résolution ES-11/8 de l'Assemblée générale des Nations unies intitulée « Le chemin vers la paix », adoptée le 24 février 2025.