IV. GARANTIR LA SOLIDITÉ ET LA RÉSILIENCE DE LA BITD

A. EN MATIÈRE D'ACCÈS AU FINANCEMENT, DES ALERTES RÉPÉTÉES QUI COMMENCENT À PORTER LEURS FRUITS

Depuis l'alerte lancée il y a cinq ans par la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat2(*), de nombreux travaux ont mis en évidence une difficulté des entreprises de la BITD à accéder aux financements privés. Le suivi par le Parlement de ce sujet et les initiatives qui ont pu être portées (création d'un livret d'épargne souveraineté, fléchage d'une partie de l'encours du livret A et du livret de développement durable et solidaire vers les PME de la BITD notamment) semblent porter leurs fruits.

En 2023, un réseau de référents « défense » a ainsi été instauré au sein des réseaux bancaires afin de mieux objectiver les difficultés rencontrées par les entreprises et de lever les obstacles lorsque ceux-ci sont liés à des enjeux de défense nationale. Ce dispositif a été complété, à l'échelle régionale, par la nomination de responsables sectoriels en 2025. L'ensemble des acteurs s'accorde sur l'utilité de ce réseau, qui permet de traiter certaines difficultés dans un cadre confidentiel.

Depuis sa création, les thématiques abordées par ce réseau ont évolué. La question de l'accès au crédit, initialement prégnante, est désormais moins fréquemment signalée. En revanche, d'autres difficultés subsistent, telles que les contraintes liées au remboursement des prêts garantis par l'État (PGE) et les refus de garanties sur des montages de financement à l'export.

Depuis 2023, la médiatrice a instruit 37 dossiers, dont 20 % concernaient le financement à l'export. Les cas particuliers, tels que les refus d'ouverture de compte, représentent 8 % des dossiers.

Par ailleurs, le ministère de l'Économie et des Finances, et le ministère des Armées ont organisé une conférence sur le financement de l'industrie de la défense le 20 mars 2025, à Bercy. Celle-ci a donné lieu à plusieurs annonces dont la mise en place d'un « dialogue de place » (cf. encadré ci-après).

Les principales conclusions des groupes de travail réunis dans le cadre du dialogue de place

Le dialogue de place3(*) a été mis en oeuvre dans le prolongement de la réunion du 20 mars 2025 afin de renforcer la coordination entre les acteurs financiers et industriels. Trois groupes de travail ont été constitués portant sur : 1) les politiques d'exclusion, 2) les besoins en fonds propres et 3) la visibilité des carnets de commande.

Les conclusions de ce dialogue, remises à l'été 2025, mettent en lumière des avancées dans chacun de ces domaines.

S'agissant des politiques d'exclusion, l'ensemble des acteurs bancaires ont engagé, ou sont en phase de finalisation, l'évolution de leur doctrine, notamment en ce qui concerne le remplacement de la terminologie d' « armes controversées » par celle d' « armes interdites ». Il est par ailleurs apparu que le risque réputationnel demeurait un enjeu pour les banques, en particulier s'agissant du financement des exportations. Certaines opérations d'exportation ayant obtenu une licence de l'État français se voient ainsi refuser l'octroi d'un crédit pour des raisons extra-financières liées à la politique de conformité des acteurs bancaires, ce qui appelle à mieux communiquer sur les critères d'examen de la commission interministérielle pour l'étude des exportations de matériels de guerre (CIEEMG) et à envisager l'organisation d'un forum de dialogue entre les équipes conformité et les services instructeurs des licences export dans certaines situations spécifiques.

En matière de financement du haut de bilan, le besoin total est estimé à un montant compris entre 4,1 Mds€ et 5,8 Mds€ à l'horizon 2030 pour les capacités industrielles, et environ 3 Mds€ pour les entreprises technologiques duales, avec un déficit marqué sur les tours de financement de grande taille.

Sur le plan de la visibilité des carnets de commandes, il est apparu que plus de 75 % du marché défense est intermédié par les maîtres d'oeuvre industriels (MOI). Une meilleure visibilité de ces derniers sur les perspectives d'achats contribuerait directement à améliorer la capacité des PME et ETI à se financer. La LPM offre certes une projection sur sept ans, mais celle-ci ne concerne que les programmes majeurs. Le dialogue a permis de réfléchir à la manière de décliner cette visibilité le long de la chaîne de sous-traitance. Le ministère des Armées a établi des conventions avec les grands maîtres d'oeuvre afin de partager cette information lors de forums spécialisés, au moins pour les sous-traitants de rang 1, et dans la mesure du possible pour les rangs suivants. Il est apparu essentiel de ne pas se limiter aux commandes directes passées aux PME et ETI, mais de prendre en compte également celles transitant par les maîtres d'oeuvre.

Enfin, un quatrième groupe de travail sera prochainement constitué, dédié aux enjeux de trésorerie. L'ensemble de la chaîne, en particulier pour les opérations relevant des marchés publics, sera concerné, afin d'assurer une meilleure fluidité financière et un pilotage efficace des ressources tout au long du processus industriel.

Dans le prolongement de la conférence du 20 mars, Bpifrance a annoncé la création d'un fonds spécifiquement dédié au secteur de la défense (fonds Bpifrance Défense). Cet instrument, destiné à soutenir les entreprises relevant de la base industrielle et technologique de défense (BITD), est ouvert à l'ensemble des épargnants français à partir d'un ticket d'entrée de 500 euros et repose sur un horizon d'investissement de long terme, fixé à 20 ans. L'objectif de rendement annuel est estimé à 5 %, pour une taille cible de 450 M€, soit environ 10 % du besoin global estimé à 5 Mds€.

Les rapporteurs se félicitent du succès rencontré par ce nouvel instrument, qui s'est traduit par une collecte de 3 M€ dès le premier jour de souscription. Ce résultat témoigne de l'intérêt du public pour le financement de la défense, en contraste marqué avec les réticences exprimées par certaines administrations en 2023 et 2024, qui estimaient qu'un tel produit d'épargne ne rencontrerait qu'un faible écho auprès des particuliers.

Ces progrès au niveau français contrastent avec l'évolution trop lente de la doctrine interne de la banque européenne d'investissement (BEI), qui continue de s'interdire tout financement des entreprises produisant des armes et des munitions. Cette limitation constitue un frein et un mauvais signal pour les investisseurs qu'il conviendrait de lever rapidement.

De même, en auditions, la complexité d'accès aux financements du Fonds européen de défense (FED), pénalisant de facto les PME, a régulièrement été dénoncée. Un accompagnement renforcé de ces dernières par la DGA dans ce cadre serait par conséquent souhaitable.

Pour autant et d'une manière générale, si les initiatives européennes en matière de financement (mécanismes EDIP et SAFE notamment) constituent un soutien utile à la BITD européenne et donc à la BITD française, le rôle de l'Union européenne doit se limiter à celui de facilitateur et ne pas empiéter sur les compétences nationales, la défense demeurant une prérogative de souveraineté.


* 2 L'industrie de défense dans l'oeil du cyclone, rapport d'information n° 605 (2019-2020) de MM. Pascal ALLIZARD et Michel BOUTANT, fait au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, déposé le 8 juillet 2020.

* 3 Voir en ce sens la question écrite n° 05657 adressée à M. le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, publiée le 17 juillet 2025 et de la réponse du ministère le 11 septembre 2025.

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