II. DES MOYENS HUMAINS EN HAUSSE : UNE RESPIRATION ENCORE TROP LIMITÉE POUR L'ADMINISTRATION TERRITORIALE
A. UN SOUS-DIMENSIONNEMENT DEVENU CHRONIQUE MALGRÉ LES SIGNAUX DE REDRESSEMENT
L'administration territoriale de l'État a pâti, presque une décennie durant, de diverses coupes conduisant à la perte de 14 % de ses effectifs entre 2010 et 2020. Le plan « préfectures nouvelle génération » (PPNG) avait certes marqué, entre 2015 et 2018, un infléchissement provisoire de cette tendance, mais celui-ci n'a pas empêché une nouvelle réduction des effectifs de 363 ETP en 2019 et de presque 400 ETP en 2020.
Avec la Lopmi, le ministère affiche la volonté de rompre avec cette dynamique d'érosion. Sur la période 2023-2025, 214 emplois ont ainsi été créés. Les 50 ETP supplémentaires prévus par le PLF 2026 prolongent cette tendance mais demeurent toutefois inférieurs aux objectifs.
Comparaison, pour l'administration
territoriale de l'État, entre les créations d'emplois
prévues par la Lopmi et le schéma
d'emplois
(en ETP)
|
2023 |
2024 |
2025 |
2026 |
2027 |
Total |
|
|
Créations d'emplois prévues par la Lopmi |
+42 |
+101 |
+45 |
+81 |
+81 |
350 |
|
Schéma d'emplois |
+58 |
+1572(*) |
-1 |
+50 |
- |
254 |
Source : commission des lois, d'après les documents budgétaires
L'exercice 2025 a pourtant mis en lumière les limites d'une programmation trop éloignée de la réalité des besoins réels de l'État déconcentré. Confronté à des besoins que la fixation d'un schéma d'emplois nul ne permettait manifestement pas d'absorber, le ministre de l'intérieur a décidé, à l'issue des Rencontres de l'administration territoriale de l'État, de réaffecter 101 ETP au programme 354. Parmi ces ETP, 84 ont en définitive été affectés aux services des étrangers, mettant en lumière leur situation critique.
Cette opération, reposant sur des transferts en provenance de quatre autres programmes du ministère, n'a généré aucune création nette d'emploi. La rapporteure rappelle à cet effet qu'un tel procédé, consistant à compenser les tensions d'un programme en ponctionnant les marges déjà limitées d'autres programmes, ne saurait constituer qu'un palliatif ponctuel, contournant la contrainte sans répondre aux engagements fixés par la Lopmi.
Des marges de manoeuvre managériales encore embryonnaires pour les préfets
Depuis plusieurs années, l'État affirme sa volonté de responsabiliser davantage les préfets dans la gestion des moyens humains de l'administration territoriale. Cette orientation a trouvé une première traduction concrète avec le 6e Comité interministériel de la transformation publique (CITP) de juillet 2021, qui a instauré la possibilité, pour les préfets de région, de redéployer jusqu'à 3 % des effectifs relevant de leur périmètre.
Depuis son entrée en vigueur le 1er janvier 2022, les redéploiements réalisés au moyen de ce dispositif sont néanmoins restés dérisoires : 7,5 ETP en 2022, 3 en 2023, 13 en 2024 et à peine 2 ETP prévus en 2025. Dans une organisation fonctionnant déjà en flux tendu, tout prélèvement dans un service amoindrit d'autant la capacité d'un autre à remplir ses missions, neutralisant de fait l'utilité de cet outil de gestion.
La réforme de l'État local, annoncée par le Premier ministre en juillet 2025 et mise en oeuvre par trois décrets publiés fin juillet puis une circulaire du 5 septembre, institue un volet managérial d'une autre nature pour le préfet, centré non sur les effectifs mais sur la gouvernance des cadres dirigeants (association à la nomination des chefs de service et des responsables d'établissement public, participation à leur évaluation annuelle, renforcement de la collégialité, pouvoir d'adresser des directives aux opérateurs de l'État). La rapporteure craint néanmoins que, sans moyen budgétaire dédié, cette promesse de déconcentration soit à nouveau limitée par la réalité comptable.
Pour 2026, le plafond d'emplois devrait progresser de 348 ETPT, sous l'effet conjugué du schéma d'emplois (+27 ETPT), des transferts ayant eu lieu en 2025 (+111 ETPT) et de la suppression d'une mesure, instaurée la même année, imposant un mois de vacance avant tout remplacement de poste (+210 ETPT). La rapporteure accueille favorablement cette progression, mais tient à rappeler qu'elle s'apparente davantage à un exercice de rattrapage destiné à répondre à l'urgence dans les services les plus fragilisés et ne saurait, à ce stade, être assimilée à un véritable renforcement de l'État territorial.
Au-delà des indicateurs chiffrés, la réalité opérationnelle demeure quant à elle toujours préoccupante.
Les services des étrangers offrent l'illustration la plus frappante d'un effet ciseau qui combine hausse des demandes et complexification des procédures. Malgré l'affichage d'un effort de renforcement des services depuis 2023, la hausse des effectifs, limitée dans les faits à 3,8 % (+12 ETP en 2023, +60 en 2024 et +84 en 2025), reste insuffisante pour absorber cette progression de la charge de travail. En 2024, les délais de traitement des demandes de titre de séjour ont augmenté de 27 % pour les premières demandes et de 25 % pour les renouvellements.
Cette tension sur les effectifs rejaillit également sur l'ensemble des missions exercées par les services territoriaux de l'État. Le contrôle de légalité comme le contrôle budgétaire enregistrent, à cet égard, un décrochage inquiétant. Les effectifs dédiés à ces missions ont diminué respectivement de 15 % et de 26 % entre 2010 et 2024, tandis que le volume des actes soumis au contrôle augmente de moitié (de 5,15 à 7,72 millions) sur la même période.
Les conditions d'accueil du public dans les sous-préfectures constituent également un indicateur de la dégradation de la qualité du service rendu par l'État territorial. Sur 233 sites, 58 ne reçoivent désormais plus aucun usager. Parmi ceux qui restent ouverts, 127 ne proposent qu'un point d'accueil numérique (PAN), tandis que seuls 48 disposent d'un espace France services, dispositif exigeant la présence d'au moins deux agents. L'expérimentation « PAN+ », qui élargissait l'accompagnement des usagers à l'ensemble des téléprocédures relevant du ministère de l'intérieur, n'est quant à elle pas appelée à être pérennisée. Son interruption interroge : aucun motif opérationnel ne semble la justifier, alors même qu'elle répondait à un besoin identifié. La trajectoire actuellement suivie renforce, de fait, l'impression d'un réseau sous-préfectoral qui se maintient davantage par inertie que par stratégie, au risque de fragiliser la visibilité et l'utilité de ces implantations de proximité.
* 2 Alors que le solde initial du schéma d'emplois s'élevait à 232 ETP. Cette diminution est due aux effets du décret d'annulation du 21 février 2024, qui a réduit la masse salariale des préfectures de 21,2 millions d'euros.