B. AU-DELÀ DES CRÉATIONS DE POSTES, UNE ADMINISTRATION TERRITORIALE FRAGILISÉE PAR LA DIFFICULTÉ À MAINTENIR L'ATTRACTIVITÉ DE SES MÉTIERS

1. Une précarisation des recrutements, reflet de difficultés d'attractivité et de conditions de travail dégradées

Le recours aux agents contractuels au sein de l'administration déconcentrée marque une progression continue, de l'ordre de 6 % en 2025, pour atteindre 4 660 ETPT fin septembre, soit 16 % du programme. Deux séries de facteurs, distinctes mais convergentes, contribuent à expliquer ce phénomène.

En premier lieu, le pilotage des ressources humaines demeure contraint par le respect du schéma d'emplois, quand bien même la masse salariale disponible permettrait en théorie de financer des emplois supplémentaires. Cette contrainte incite l'administration à privilégier le recours à des contrats infra-annuels.

En première ligne face à l'augmentation du volume de demandes, les services des étrangers, qui comptent 1 646 contractuels soit 39 % de leurs effectifs, ainsi que les centres d'expertise et de ressources des titres (CERT), qui accueillent 434 contractuels représentant 26 % de leurs effectifs, illustrent de façon emblématique cette dépendance croissante aux vacataires. Ces derniers sont mobilisés à la fois pour absorber les pics d'activité et pour compenser les suppressions ou vacances de postes. La succession des plans de renforts, d'une année sur l'autre, en atteste :

· pour les services des étrangers, un plan triennal de 570 vacataires (190 par an) a été déployé entre 2022 et 2024 et reconduit en 2025, complété par 36,5 ETPT en septembre ;

· pour les CERT, en 2023 et 2024, trois vagues de renforts ont permis d'attribuer respectivement 340 ETPT et 230 ETPT. En 2025, un premier plan de 140 ETPT a été mis en oeuvre dès janvier, suivi de 25 ETPT supplémentaires au printemps, avant l'allocation d'un reliquat de 5,5 ETPT en septembre.

En second lieu, la progression du recours aux contractuels révèle un déficit persistant d'attractivité des postes au sein de l'administration déconcentrée. Deux indicateurs de performance, introduits par la LFI pour 2023, permettent d'en mesurer l'ampleur : le nombre de postes non pourvus, dont la cible est fixée à 670 en 2024, ainsi que le nombre de préfectures présentant un taux de vacance supérieur à 3 %, l'objectif étant de 55.

Ces cibles restent toutefois largement hors de portée. En 2023 comme en 2024, 75 préfectures dépassaient le seuil de 3 % de vacance, tandis que le nombre de postes non pourvus au niveau national ne reculait que marginalement de 1 291 à 1 289,5.

Les constats formulés par les organisations syndicales entendues par la rapporteure viennent éclairer ce déficit d'attractivité. Toutes font état d'une dégradation significative des conditions de travail et dénoncent un pilotage excessivement quantitatif. Ce diagnostic est également partagé par les représentants de l'association du corps préfectoral et de hauts fonctionnaires du ministère de l'intérieur (ACPHFMI). Le préfet Éric Freysselinard a ainsi décrit une véritable « paupérisation » des services déconcentrés, marquée par des retards importants en matière d'équipements informatiques et d'action sociale.

2. Les Rencontres de l'administration territoriale de l'État : un effort de dialogue révélateur d'une nécessaire meilleure reconnaissance des services

Les Rencontres de l'administration territoriale de l'État, organisées en 2024, ont constitué une occasion inédite pour les agents d'échanger sur leurs missions et leurs conditions de travail. Les 416 tables rondes tenues en un semestre ont suscité une mobilisation notable, révélatrice d'une forte attente de dialogue. La rapporteure salue cette démarche, de nature à renforcer la considération portée aux personnels.

Dans ce prolongement, les échanges conduits dans les territoires ont permis d'apporter des réponses immédiates à certains besoins identifiés. Parallèlement, les constats formulés quant au déficit d'attractivité ont, à l'échelon national, conduit le ministre de l'intérieur à annoncer des mesures catégorielles en faveur des agents les plus exposés. Figure par exemple la revalorisation des astreintes pour les agents mobilisés en gestion de crise et dans l'accueil du public.

Malgré ces retours positifs, la mise en oeuvre du dispositif appelle plusieurs réserves. De nombreux agents et organisations syndicales ont fait part d'un sentiment de frustration face à un processus jugé inabouti : les ateliers nationaux n'ont pas été intégralement conduits, tandis que certains des ateliers départementaux se sont limités à une communication descendante, sans véritable échange. À l'avenir, il faudra un cadre méthodologique harmonisé entre départements, garantissant une libre expression des agents. S'ajoute à cela l'absence, à ce stade, d'une synthèse consolidée du questionnaire national, privant les personnels d'une vision d'ensemble des conclusions.

Ce sentiment est enfin renforcé par l'impression d'une disparité de traitement entre les différents périmètres du ministère de l'intérieur, l'attention politique et médiatique portée au Beauvau de la sécurité puis au Beauvau de la sécurité civile pouvant donner aux agents de l'administration territoriale le sentiment d'une moindre considération.

3. Un sentiment préoccupant parmi les agents de perte de sens et de compétences, qui exige de réinvestir dans la formation et dans une administration de proximité

Les auditions conduites par la rapporteure révèlent un profond malaise des agents de l'administration territoriale de l'État. Les témoignages font état d'un sentiment de perte de sens, de déresponsabilisation et d'éloignement progressif des réalités du terrain, nourri par l'impression que leur action s'inscrit désormais davantage dans une logique de contrôle ou de sanction que d'appui aux collectivités et aux usagers. À cela s'ajoute une inflation normative soutenue, parfois assortie d'injonctions contradictoires.

Conclusions du baromètre social de l'administration territoriale de l'État (2025)

État d'esprit moyen des agents3(*)

Réception d'instructions contradictoires

 
 
 
 

Parfois

Souvent

Face à ces constats, la rapporteure estime indispensable de réaffirmer le rôle d'une administration territoriale de l'État de proximité, au service des collectivités et des usagers. Une telle ambition suppose, sur le plan stratégique, de redonner un cap aux agents, alors que les Missions prioritaires des préfectures 2022-2025 arrivent à échéance.

Elle requiert également, sur le plan capacitaire, de réinvestir dans la formation continue. À ce titre, la revalorisation à hauteur de 4,5 % des crédits du ministère de l'intérieur dédiés à la formation constitue, à première vue, un signal positif. Toutefois, cette évolution révèle moins un renforcement de l'offre de formation qu'un renchérissement des coûts logistiques (transport et hébergement) et un recours accru à l'externalisation. Dans ces conditions, et après une contraction de 12,5 % des crédits l'année précédente, la revalorisation envisagée pour 2026 ne saurait compenser la réduction du volume annuel de journées de formation, passé de 100 000 en 2024 à 65 000 pour l'ensemble du ministère. Dans ce contexte, la rapporteure appelle à une clarification des objectifs, à une stabilisation durable des moyens et au développement d'indicateurs budgétaires spécifiques portant sur la formation continue, et non uniquement sur l'entrée en poste.


* 3 Contre 6,6/10 dans l'ensemble de la fonction publique de l'État. En particulier, seuls 27 % des agents accordent une note de 8 à 10, contre 42 % dans la fonction publique de l'État.

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