B. UNE FONCTION « RESSOURCES HUMAINES » ENCORE FRAGILE, MAIS POURTANT ESSENTIELLE AU SUCCÈS DE LA RÉFORME
Les services de ressources humaines (RH) des SGCD constituent encore le principal foyer de tension. Malgré les travaux engagés sous la coordination de la direction générale de l'administration et de la fonction publique (DGAFP), l'harmonisation entre les ministères des outils et des procédures RH demeure en effet inachevée, alimentant d'importantes difficultés de gestion.
Cette situation n'est pas nouvelle. Dès 2009, lors du discours du 16 novembre de préfiguration des DDI, le Premier ministre François Fillon appelait les administrations centrales à : « accélére[r] la convergence de leurs façons de travailler, en matière de fonctions support, en matière de ressources humaines » dénonçant des contradictions « insupportables ». Deux ans plus tard, une mission inter-inspections insistait sur la fragilité persistante du socle interministériel, pointant l'incapacité à harmoniser des éléments de rémunération aussi concrets que les astreintes ou les tickets-restaurants7(*). Ces constats anciens demeurent d'actualité et illustrent les limites du processus de convergence RH.
Certains dispositifs récents traduisent néanmoins des avancées, même s'il peut surprendre qu'ils interviennent seulement après la création des SGCD. Tel est le cas du maintien du régime indemnitaire en cas de mobilité au sein de l'administration territoriale de l'État, instauré en septembre 20218(*) puis ajusté seulement en juin 20239(*).
En matière d'action sociale, les écarts demeurent encore importants, en raison de l'héritage ministériel et des variations des crédits alloués. Seules deux harmonisations ont, à ce stade, été pleinement mises en oeuvre : l'alignement des subventions de restauration collective au 1er janvier 2022, qui reste toutefois limité au périmètre de chaque site, et l'uniformisation des prestations relatives aux séjours d'enfants10(*).
Ainsi, malgré quelques avancées ponctuelles, la convergence RH progresse encore lentement. Cet obstacle se retrouve tout aussi fortement dans le domaine des systèmes d'information. Déjà, en 2011, la mission inter-inspections précitée alertait sur la multiplicité des applications et l'absence d'interfaçage. Ces difficultés ont été amplifiées lors de la création des SGCD : les agents ont initialement dû composer avec la coexistence de cinq environnements informatiques distincts pour saisir et extraire les données RH.
C'est dans ce contexte qu'a été engagé, début 2022, le projet d'infocentre « RenoiRH Décisionnel ATE », destiné à fournir un langage commun et à consolider, au sein d'une interface unique, les données issues des trois systèmes d'information des ressources humaines (SIRH) ministériels utilisés par les cinq ministères de l'administration territoriale de l'État11(*). Il s'agit donc moins d'un outil de gestion que d'une interface de collecte et d'extraction, facilitant l'accès aux informations sans harmoniser pour autant les processus proprement dits.
Ce projet, d'un montant total estimé à 1,7 million d'euros, financés principalement par le fonds pour la transformation de l'action publique, a fait l'objet d'expérimentations dès la fin d'année 2023 auprès de quatre SGCD pilotes, dont celui du Val-d'Oise. Les premiers retours ont mis en évidence un gain de temps en particulier pour l'élaboration du rapport social unique, évalué à environ un ETP redéployable par département.
Le déploiement de l'interface a toutefois pris un retard significatif : annoncé pour 2023, il ne devrait être pleinement opérationnel qu'à la fin de 2025, voire en 2026. La gouvernance du projet s'est en effet révélée complexe, mobilisant quatre catégories d'acteurs aux responsabilités distinctes12(*). L'identification même des agents gérés par les SGCD n'était pas prévue dans les SIRH existants, nécessitant la création d'un marqueur commun.
Pris ensemble, ces obstacles mettent en lumière les limites structurelles des actuels SIRH ministériels, que le directeur du CISIRH décrit comme ayant atteint « la limite de la complexité »13(*). En l'état actuel des choses, la perspective d'un SIRH unique apparaît non seulement prématurée, mais surtout irréaliste, tant les divergences culturelles entre ministères demeurent profondes.
Parallèlement à cet environnement de gestion complexe, la charge de travail des services RH des SGCD s'est renforcée sous l'effet de la déconcentration progressive des actes de gestion par les ministères, sans transfert de moyens équivalent14(*).
Dans cet environnement déjà dense, une nouvelle vague de déconcentration portant sur dix actes supplémentaires de gestion RH est annoncée pour le 1er janvier 202615(*). Ce transfert, représentant environ 30 000 décisions annuelles, répond à l'objectif d'une plus grande réactivité, notamment dans les recrutements de contractuels. Toutefois, la mise en oeuvre opérationnelle dépendra de la capacité des SGCD à intégrer cette extension de périmètre. Une fois encore, elle ne pourra être soutenable que si elle s'accompagne d'une simplification effective des procédures et d'une harmonisation des pratiques entre ministères.
* 7 Inspection générale de l'administration, Retour d'expérience sur la mise en place des directions départementales interministérielles, janvier 2011.
* 8 Circulaire du 10 mars 2021 visant à accélérer la déconcentration de la gestion budgétaire et des ressources humaines pour renforcer la capacité d'action de l'État dans les territoires.
* 9 L'instruction de la DGAFP du 21 juin 2023 de bilan et adaptation des modalités de mise en oeuvre de la garantie de maintien de la rémunération en cas de mobilité au sein des services déconcentrés de l'État tend à ne plus faire peser le différentiel de rémunération sur l'administration d'origine.
* 10 Circulaire du 23 novembre 2021 relative au barème commun applicable pour certaines prestations pour séjours d'enfants au bénéfice des agents dont la gestion relève des secrétariats généraux communs départementaux.
* 11 Dialogue 2 pour le ministère de l'intérieur, SIRHIUS pour la DGCCRF et RenoiRH pour les ministères sociaux, l'Agriculture et l'Environnement.
* 12 Le ministère de l'intérieur comme maîtrise d'ouvrage ; le Centre interministériel de services informatiques relatifs aux ressources humaines (CISIRH) pour la maîtrise d'oeuvre ; les quatre ministères concernés comme responsable de traitement ; les SGCD comme acteurs métiers.
* 13 Audition du 29 octobre 2025.
* 14 Plusieurs évolutions récentes illustrent cette dynamique, par exemple la mise en oeuvre du forfait mobilités durables, remboursement partiel des complémentaires santé.
* 15 Décret n° 2025-836 du 20 août 2025 portant diverses mesures de déconcentration en matière de ressources humaines.