EXAMEN EN COMMISSION

MERCREDI 26 NOVEMBRE 2025

Mme Muriel Jourda, présidente. - Nous terminons nos travaux par l'examen de l'avis de notre collègue Guy Benarroche sur les programmes « Cour des comptes et autres juridictions financières » et « Conseil d'État et autres juridictions administratives ».

M. Guy Benarroche, rapporteur pour avis des programmes « Cour des comptes et autres juridictions financières » et « Conseil d'État et autres juridictions administratives ». - Il me revient de vous présenter, pour la sixième fois depuis que j'ai rejoint notre commission, les crédits des programmes 164 et 165, qui traitent respectivement des juridictions financières et administratives.

Je me suis rendu non seulement dans les sièges de chacune des juridictions - au Conseil d'État, à la Cour des comptes et aussi bien à l'actuel qu'au futur siège de la Cour nationale du droit d'asile (CNDA) -, mais également en région, comme j'en ai désormais pris l'habitude. Cette année, je suis allé à Nantes, ce qui m'a permis de visiter la chambre régionale des comptes, le tribunal administratif et la chambre territoriale de la CNDA et d'échanger avec leurs agents respectifs.

Ces déplacements me paraissent indispensables pour évaluer l'adéquation des moyens proposés par le projet de loi de finances avec les objectifs, naturellement ambitieux, qui sont fixés par le projet annuel de performance aux juridictions administratives et financières.

Bien que ces deux programmes contribuent tous deux à l'objectif de réduction de la dépense publique affiché par le Gouvernement, cette contribution n'est pas identique, d'une part, et ne s'inscrit pas dans le même contexte, d'autre part. En conséquence, l'appréciation que je porte sur les crédits alloués à chacun de ces programmes n'est pas homogène.

Pour ce qui concerne les juridictions financières, les crédits de paiement (CP) pour 2026 s'élèvent à 267,2 millions d'euros, soit une hausse de 3,2 %, qui est donc supérieure à l'inflation anticipée. S'il s'agit de la dixième année consécutive d'augmentation, celle-ci ne doit cependant pas nous leurrer : elle masque en réalité un budget de fin de cycle, assez modeste puisque le budget 2026 ne s'engage sur aucun nouveau projet. En effet, comme vous le savez, le premier président Pierre Moscovici a annoncé son départ de la Cour pour la fin de l'année. Ainsi, l'année 2025 a été celle de l'aboutissement de son vaste plan « JF 2025 », qui a été lancé en 2020 et dont j'ai pu vous relater, chaque année, l'avancée.

La hausse de 3,2 % proposée dans le projet de budget pour 2026 est exclusivement portée par les dépenses de personnel, et plus particulièrement par la mise en oeuvre d'une des mesures de ce plan, à savoir l'alignement de la rémunération des magistrats financiers sur celle des administrateurs de l'État. Cette revalorisation indemnitaire, dont le coût total est évalué à une dizaine de millions d'euros par la Cour des comptes, n'est toutefois pas encore achevée, puisque seul un premier palier de 5 millions d'euros a été atteint. Il reviendra au successeur de Pierre Moscovici de s'assurer que cette réforme sera menée à terme. Par ailleurs, si je salue la signature, en juin dernier, d'un accord avec les représentants du personnel ayant permis l'allocation d'un montant de 1,5 million d'euros à destination des personnels techniques et administratifs, j'inviterai le successeur de Pierre Moscovici à poursuivre le travail engagé pour ne pas limiter les revalorisations indemnitaires aux seuls magistrats.

Les autres mesures du plan « JF 2025 » qui, pour rappel, en contient 75, n'appellent pas de nouvelles remarques de ma part depuis le bilan dans l'ensemble positif que j'ai dressé devant vous l'année dernière. Nonobstant quelques réserves mineures, il est indéniable que ce plan a considérablement modifié les méthodes de travail des juridictions financières en démontrant leur dynamisme et leur capacité d'adaptation. Je me tiens toutefois à votre disposition pour vous donner des chiffres actualisés, que vous trouverez par ailleurs dans mon rapport.

Avant de passer au programme 165, je souhaite souligner que, malgré des crédits en hausse, les juridictions financières participent, elles aussi, à la maîtrise des dépenses publiques demandée par le Gouvernement. D'une part, les dépenses de fonctionnement sont gelées, malgré l'inflation. Des efforts ont notamment été entrepris pour réduire l'emprise immobilière des juridictions : à titre d'exemple, la chambre régionale des comptes de Nouvelle-Aquitaine va restituer 40 % de ses locaux ! D'autre part, le plafond d'emplois diminue de 18 unités, les suppressions d'emplois concernant exclusivement les postes de catégories B et C.

Enfin, les plus assidus d'entre vous s'en souviennent peut-être, j'ai, pendant trois années consécutives, proposé à la commission un amendement visant à ajuster les indicateurs de performance aux avancées du plan « JF 2025 ». Ce n'est désormais plus nécessaire, et pour cause, la Cour a enfin donné suite à notre demande, en intégrant le nouvel indicateur que nous appelions de nos voeux, à savoir le décompte des rapports d'évaluation des politiques publiques, qui est une mesure que nous avions votée dans la loi du 21 février 2022 relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l'action publique locale, dite « 3DS ».

J'en viens au programme 165, qui concerne les juridictions administratives. La situation y est beaucoup plus délicate.

Contrairement au programme 164, le programme 165 affiche une baisse de ses crédits de paiement, qui s'élèvent pour 2026 à 568 millions d'euros, soit une diminution de 31 millions d'euros, qui représente 5,2 % des crédits de l'année dernière.

Si cette baisse peut sembler brutale, elle ne résulte pas pour autant tant de coupes claires puisque les mesures générales d'économies ne se chiffrent qu'à 5,5 millions d'euros, mais plutôt de l'achèvement de projets importants initiés précédemment, à l'instar du nouveau siège de la CNDA, dont le coût total s'élève à 130 millions d'euros, et de l'absence d'engagement de nouvelles dépenses d'envergure.

Quoi qu'il en soit, il s'agit d'une rupture assez nette avec la tendance des dernières années, puisque c'est la première fois depuis que je rapporte ce programme que j'ai à vous présenter des crédits de paiement en diminution.

Outre les mesures générales d'économies que j'ai évoquées, ainsi que le report de plusieurs projets immobiliers, comme à Mamoudzou ou à Nîmes, la baisse des crédits de paiement s'explique en partie par un nouveau gel des effectifs du programme, et ce alors que la dernière loi de programmation des finances publiques prévoyait 40 créations d'emplois en 2025 et en 2026. Plus précisément, il était prévu pour ces deux années la création de 25 postes de magistrats et de 15 postes de greffiers. Le cumul des gels d'emplois a donc pour conséquence un déficit de 80 emplois pour la justice administrative. En sus de ce gel des créations d'emplois, le plafond d'emplois affiche une suppression de trois postes.

Ce gel des effectifs, outre qu'il constitue une mesure contraire à ce que nous avions voté dans la loi de programmation, me paraît particulièrement préoccupant compte tenu de la tendance haussière inarrêtable que connaît l'activité contentieuse des juridictions administratives. Chaque année, les chiffres que je vous présente sont de plus en plus alarmants.

L'année 2024, dernière année pour laquelle nous disposons de chiffres consolidés, n'y échappe pas : les juridictions administratives non spécialisées ont franchi pour la première fois le seuil des 300 000 saisines. Plus précisément, elles ont été saisies de 320 014 affaires, soit une hausse de 7,4 % par rapport à 2023. Si l'activité contentieuse s'est avérée à peu près stable au Conseil d'État et dans les cours administratives d'appel, ce sont les tribunaux administratifs qui sont en première ligne de ce besoin accru de justice administrative. Plus inquiétant encore, les chiffres prévisionnels de 2025 font état d'une hausse vertigineuse de 20 % attendue dans les tribunaux administratifs.

Malheureusement, nonobstant une mobilisation des juges administratifs et des greffiers que je tiens à saluer puisqu'ils ont augmenté le nombre de sorties de 3,9 % à effectifs constants, le stock d'affaires en cours a augmenté de 10 % en un an, pour atteindre 272 478 affaires. Le seuil des 300 000 affaires en stock sera vraisemblablement dépassé en 2025.

Les deux juridictions administratives spécialisées présentent, quant à elles, une situation très contrastée.

La CNDA affiche des résultats indéniablement positifs, même si des avancées sont attendues en matière de valorisation du travail des rapporteurs.

En premier lieu, elle a mis en oeuvre la loi du 26 janvier 2024 pour contrôler l'immigration, améliorer l'intégration, dite loi Immigration, avec une célérité qui est à souligner. Deux mesures principales la concernaient : l'extension du principe du juge unique et la territorialisation de son office. La première mesure n'a eu qu'un effet limité sur l'office du juge, puisque les affaires sensibles restent jugées collégialement - heureusement, dirai-je. La part des audiences à juge unique a tout de même augmenté de 21 % en un an. La seconde mesure s'est traduite par l'ouverture rapide de sept chambres territoriales. Cinq ont ouvert fin 2024 : deux à Lyon, une à Nancy, une à Toulouse et une à Bordeaux. Les deux dernières ont ouvert en septembre 2025 à Nantes et à Marseille. Cette territorialisation, que le Sénat avait soutenue, permet de rapprocher le justiciable du juge de l'asile et donc de réduire la fréquence des renvois, pour un coût maîtrisé d'approximativement 1 million d'euros. J'ai en outre constaté que les locaux de la chambre territoriale de Nantes, où je me suis déplacé en octobre, étaient parfaitement adaptés à la pratique juridictionnelle.

En second lieu, la Cour a su mettre à profit une baisse de ses entrées, qui se sont tout de même élevées à 56 497 recours, pour diminuer de 15 % ses affaires en stock, qui n'atteignent plus que 22 194 affaires, et pour réduire d'un mois son délai moyen de jugement. Je tiens à ce titre à saluer la mémoire de l'ancien président de la Cour, Mathieu Hérondart, qui est subitement décédé l'été dernier Il était apprécié pour son sens de l'écoute et son grand professionnalisme.

La dynamique est diamétralement différente en ce qui concerne le tribunal du stationnement payant (TSP) pour lequel la comparaison avec le mythe du tonneau des Danaïdes me semble appropriée tant la hausse des recours dépasse l'entendement.

Alors que le TSP ne compte que 15 magistrats et 150 agents de greffe, il a enregistré à lui seul presque 40 % des entrées contentieuses de la juridiction administrative pour l'année 2024 ! Les entrées contentieuses ont ainsi dépassé le seuil des 200 000 recours, soit une impressionnante hausse de 18,6 % par rapport à 2023.

Bien qu'en 2024 les sorties aient augmenté, grâce aux importants efforts consentis par le personnel du TSP et aux améliorations procédurales apportées par un décret de juillet 2024, elles restent tout de même à un niveau très inférieur aux entrées, le différentiel se chiffrant à 60 000. En conséquence, le stock d'affaires continue de croître et atteint désormais des niveaux qui interrogent sur la viabilité de l'ensemble du système de traitement du contentieux du stationnement payant : au 31 décembre 2024, 281 299 requêtes restaient à traiter, soit davantage que le stock d'affaires de l'ensemble des juridictions administratives non spécialisées, qui s'élève à 272 000. Pour 2025, le stock d'affaires devrait atteindre 355 000.

Cette situation dans les tribunaux administratifs et au TSP, qui prend chaque année des proportions plus préoccupantes, n'est plus acceptable. L'ensemble des agents m'ont confié qu'ils n'allaient plus y arriver. C'est pourquoi, en raison de l'inadéquation entre les moyens affectés par le projet de loi de finances aux juridictions administratives et la hausse continue de leur activité, couplée à un gel des effectifs, qui est contraire à la loi de programmation, je vous propose d'émettre un avis défavorable à l'adoption des crédits des programmes 164 et 165.

M. Hussein Bourgi. - Je remercie le rapporteur de la qualité de son travail. Deux indicateurs nous préoccupent beaucoup : l'augmentation du nombre de contentieux dont sont saisies les juridictions de première instance et l'allongement de la durée de l'audiencement. L'érosion aussi infime soit-elle des budgets alloués pourrait conduire, dans les prochaines années, à de véritables difficultés dans les juridictions administratives. Je vous laisse imaginer l'impact d'une baisse de 22 ETP lorsque le nombre de contentieux augmente ! Le délai d'audiencement ne peut qu'augmenter...

C'est pourquoi nous sommes défavorables à l'adoption des crédits qui nous sont proposés.

M. Hervé Reynaud. - Je tiens à saluer le travail du rapporteur, qui a croisé les éléments budgétaires avec ses constats sur le terrain. J'entends les réserves émises sur les crédits dévolus à ces deux programmes. Pour autant, la situation de nos finances publiques peut justifier la contribution de ces juridictions à l'effort de maîtrise de nos comptes publics. C'est pourquoi nous soutiendrons un avis favorable.

M. Guy Benarroche, rapporteur pour avis. - M. Bourgi l'a rappelé, le délai d'audiencement va augmenter ; le Conseil d'État l'a lui-même annoncé.

Merci, Monsieur Reynaud, de votre appréciation. Permettez-moi de vous dire pourquoi un avis favorable à ces crédits n'est pas susceptible de contribuer à participer à l'effort d'économies demandé, d'autant que les mesures d'économies générales ne représentent que 5,5 millions d'euros. Celles-ci se traduiront inévitablement par une augmentation de certains coûts supplémentaires dans les mois et les années à venir et par une justice de qualité moindre, avec une augmentation des délais de jugement, ce qui va à l'encontre des objectifs affichés depuis des années. Je pense que le jeu n'en vaut pas la chandelle. Il importe, mes chers collègues, de marquer le coup sur ce sujet particulier !

Mme Muriel Jourda, présidente. - Je vous rappelle l'avis défavorable émis par le rapporteur sur les crédits des deux programmes.

La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits du programme 164 « Cour des comptes et autres juridictions financières » et du programme 165 « Conseil d'État et autres juridictions administratives » de la mission « Justice ».

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