III. UNE ÉVALUATION DE L'EFFICACITÉ DE LA PJJ TOUJOURS DÉFAILLANTE
La rapporteure commente depuis plusieurs années l'avancée du déploiement du logiciel informatique PARCOURS, supposé permettre à terme le suivi de l'ensemble des mineurs délinquants - ce qui implique que ce suivi est, à date, techniquement impossible. Le présent rapport pour avis est l'occasion d'élargir le raisonnement pour étudier plus largement la qualité des indicateurs dédiés à l'évaluation de la performance de la PJJ.
A. DES INDICATEURS CHIFFRÉS COMPROMIS PAR DES SYSTÈMES D'INFORMATION OBSOLÈTES
Les indicateurs rattachés au programme 182 sont les suivants :
- les délais moyens de prise en charge des mineurs, par catégorie de mesure ;
- le nombre de jeunes insérés (donc scolarisés, en situation d'emploi ou intégrés à un dispositif d'insertion) ;
- la durée de placement, l'objectif étant de dépasser en CEF et en unité éducative d'hébergement collectif (UEHC) un seuil en deçà duquel la mesure est considérée comme inefficace (trois mois) ;
- la proportion de jeunes en détention provisoire parmi les mineurs détenus, dans un contexte où les prévenus constituent structurellement une large majorité (62 % en 2025) des jeunes incarcérés ;
- le taux d'occupation et de prescription par les magistrats des établissements de placement, par type (CER, CEF, UEHC) et, le cas échéant, par secteur (public ou SAH).
Comme la plupart des indicateurs figurant dans les projets annuels de performance des divers programmes du budget général de l'État, ces indicateurs sont strictement quantitatifs : il s'agit d'une formule relativement classique qui répond aux « canons » de l'exercice.
Les indicateurs de la PJJ présentent toutefois plusieurs particularités.
D'une part, ils sont pour certains construits de manière contestable, ce qui peut tenir :
- à des hypothèses méthodologiques discutables : ainsi de la durée de placement, qui met en avant un plancher de trois mois malgré des études (déjà citées) qui, pour les CEF, incitent plutôt à retenir le seuil de quatre mois et qui, pour les UEHC, ne semblent pas indiquer l'existence d'une durée particulière en deçà de laquelle la pertinence du placement serait limitée ou obérée ;
- à des variations inexpliquées de périmètre. On peut ainsi s'étonner que le taux d'occupation et de prescription tienne compte de l'ensemble des CEF et des CER, publics comme associatifs, tandis que, pour les UEHC et les établissements de placement éducatif (EPE), seules les structures publiques sont intégrées au calcul, sans que ce choix fasse l'objet de justifications particulières.
D'autre part, l'exactitude des chiffres qui nourrissent les indicateurs de performance est âprement contestée par les personnels de terrain. À titre d'exemple, plusieurs personnes entendues par la rapporteure ont mis en doute les délais annoncés en matière de prise en charge des mesures judiciaires d'investigation éducatives (MJIE) civiles, jugeant que ceux-ci étaient largement sous-évalués au vu de l'état de saturation des services compétents dans plusieurs directions interrégionales. Le ministère, quant à lui, fait référence à plusieurs reprises dans le PAP à des difficultés de saisie ou des « biais » d'enregistrement » dans PARCOURS qui viendraient, selon lui, fausser les statistiques - mais dans un sens inverse de celui qui est évoqué par les associations et les organisations syndicales...
Quelle que soit la nature (à la hausse ou à la baisse) des déformations statistiques provoquées par PARCOURS, celles-ci sont unanimement constatées, conduisant à une certaine prudence dans l'analyse des chiffres cités dans le PAP. L'IGJ a, pour sa part, relevé20(*) « une sous-utilisation du logiciel par les éducateurs, en raison notamment des évolutions permanentes de l'applicatif rendant complexe son usage » : l'inspection estime ainsi que, « en raison des retards accumulés dans le développement et le déploiement de PARCOURS, les données que l'on peut extraire de son infocentre `InfoDPJJ' sont actuellement de qualité très moyenne ».
Rappelons que PARCOURS, dont une première version avait été déployée en 2021, connaît depuis lors des défaillances nombreuses ayant conduit la rapporteure à évoquer en novembre 2024 un véritable « naufrage », le projet ayant largement dérapé aux plans financier et calendaire. Il présente, sur le fond, des résultats extrêmement décevants.
Le chemin de croix du logiciel PARCOURS :
arrêt momentané en station
Interrogé sur l'état d'avancement du déploiement de PARCOURS, le ministère de la justice a transmis les éléments suivants à la rapporteure :
- les développements informatiques qui correspondent au lot n° 2 du projet PARCOURS visent à dématérialiser le dossier du mineur, mais aussi les écrits professionnels (recueil de renseignements socio-éducatifs, dossier individuel de prise en charge et projet conjoint de prise en charge), l'enregistrement des parcours scolaires et d'insertion (y compris avec le dispositif armée/justice), des parcours en procédure civile à l'aide sociale à l'enfance, des données relatives à la santé et des évènements marquants durant la prise en charge (familial, social, judiciaire, associatif, civique et scolaire). Ils doivent permettre de simplifier le travail des personnels grâce à un espace de notes personnelles, des notifications automatiques, des échéances et un workflow de signature et de validation hiérarchique des écrits. Néanmoins, la rapporteure a appris au cours de ses auditions (ces éléments ne figuraient pas dans la réponse écrite du ministère à son questionnaire budgétaire) que le lot n° 2 avait été mis à l'arrêt au cours de l'année 2025 pour permettre un audit de la direction du numérique (DiNum). La mise en service du lot n° 2 est, à ce jour, prévue pour la fin 2026 ;
- maintes fois annoncée, sans cesse reportée, l'ouverture du logiciel au SAH n'est toujours pas opérationnelle et le ministère estime désormais qu'elle n'aura pas lieu avant le dernier trimestre de 2027 ;
- d'autres fonctionnalités seront mises en service « début 2028 » : interconnexion avec Cassiopée et Genesis, solution « nomade » d'utilisation, rappels de rendez-vous par SMS pour les mineurs suivis...
L'équipe en charge de la supervision du déploiement de PARCOURS a été étoffée au cours de l'année écoulée. Le ministère indique que « la DPJJ mobilise une équipe projet PARCOURS en administration centrale (mission applications métier à la SDMPJE et bureau des systèmes d'information et du contrôle de gestion à la SDPOM) et des renforts métier pérennes ou ponctuels. Le recrutement d'un directeur de projet est en cours », tandis que « la DiNum mobilise quant à elle à temps plein un chef de projet, un Business analyst, des équipes de développement (titulaires d'un marché public de réalisation), une équipe d'intégration et des ressources transverses partagées par plusieurs projets (architectes solution, technique et fonctionnel, chef de projet tests, ressources de tests techniques, de tests de performances, d'audit de code) ».
Malgré ces efforts, le projet reste fragile. Comme évoqué supra, PARCOURS a fait l'objet d'une analyse approfondie de la DiNum ; celle-ci a donné un avis favorable à la poursuite du projet et émis des recommandations pour sécuriser sa feuille de route. La DPJJ considère qu'il s'agit là d'une « dernière chance », le projet pouvant être abandonné si la relance du lot n° 2 ne donnait pas satisfaction.
Source : commission des lois.
Le coût de PARCOURS atteint fin 2025 la somme pharaonique de 23 M€, étant rappelé que le deuxième lot n'a pas encore été livré et que ce total n'est que provisoire, puisqu'un troisième lot doit encore être conçu et mis en service.
La rapporteure ne peut que réitérer ses précédentes recommandations et demander que la gestion de PARCOURS soit à l'avenir suivie par le secrétariat général du ministère de la justice, probablement mieux armé que la DPJJ pour assumer cette mission, comme semble l'avoir reconnu le ministre lui-même au cours de son audition budgétaire21(*).
PARCOURS n'est pas le seul applicatif à générer des difficultés. Les juges des enfants ont pointé, auprès de la rapporteure, les lacunes du logiciel Cassiopée, dont le fonctionnement n'est pas adapté aux spécificités de la justice des mineurs. Dans le même temps, et sans que cet ajout semble procéder d'une logique de simplification au vu des interconnexions qui seront requises à terme avec les autres systèmes d'information du ministère de la justice, est annoncé le déploiement à brève échéance d'un nouveau logiciel, Oasis (outil d'analyse et de suivi des incidents signalés), qui permettra d'enregistrer les incidents recensés par le secteur public comme par le SAH, l'outil ayant vocation à être ouvert simultanément aux deux secteurs. Si on ne peut, sur le fond, que se réjouir de l'émergence de ce nouvel outil, on ne saurait dissimuler une forme de circonspection face à l'arrivée d'un tel logiciel alors que le suivi statistique des mineurs n'est toujours pas assuré.
* 20 Rapport précité sur la lutte contre la délinquance des mineurs.
* 21 Gérald Darmanin a en effet déclaré, au cours de l'audition précitée : « Je pense que c'est au secrétariat général de mener les projets numériques. [...] Il faut un copilotage entre les ingénieurs et la direction métier ».