B. AUDITION DE M. DANIEL VAILLANT, MINISTRE DE L'INTÉRIEUR

M. LAMBERT, Président.- Je remercie M. Daniel VAILLANT, ministre de l'Intérieur, d'avoir bien voulu venir pour débattre de ce sujet très important qui est celui de la réforme de l'ordonnance de 1959.

Il est accompagné de trois directeurs de son administration, lesquels pourront être appelés pour répondre à des questions pratiques qui viendraient à être posées par les Commissaires.

Monsieur le Ministre, votre ministère est en pointe dans cette réforme, il mène des expérimentations sur la fongibilité des crédits, la réforme comptable, la préfiguration de ce que pourraient être les futures missions et programmes et, de ce fait, nous souhaitons connaître votre avis sur cette réforme.

Souhaitez-vous faire un propos introductif ou que nous puissions entrer directement dans les questions ? Vous avez vous-même votre contrainte horaire et devez partir à 13 heures précises. Nous allons organiser nos travaux en fonction de cette situation. Je vous donne la parole, précisément sur les objectifs et les grandes lignes de la réforme, pour que vous donniez votre sentiment sur la question des expérimentations que vous avez déjà engagées.

M. VAILLANT .- Monsieur le Président, l'intention n'est pas a priori d'une intervention liminaire.

Je veux renouveler mon plaisir à être devant vous, même si j'aurais préféré que ce soit dans des conditions de temps plus raisonnables. Je sors du Conseil des ministres et vous avez vos contraintes. Je dois aller aussi à l'Assemblée nationale pour une séance de questions d'actualité, et j'ai quelques opérations urgentes à effectuer au ministère.

Vous avez eu la gentillesse, car nous travaillons bien ensemble sur ce sujet, de m'adresser un questionnaire. J'ai deux ou trois éléments de réponse, ce qui permettrait de gagner du temps pour permettre davantage de souplesse sur d'autres questions qui ne seraient pas traitées dans ces réponses, voire aux trois directeurs que vous avez cités de pouvoir répondre sur des sujets plus techniques ou pointus.

Je dirai peut-être un mot sur mon soutien clair à la réforme.

Vous savez que ce soutien -et vous l'avez indiqué dans votre propos-, est explicite. J'étais favorable à cette réforme quand j'étais ministre des relations avec le Parlement. Je cherchais déjà à travailler avec vous dans la confiance et dans la transparence, et je pense que nous pouvons continuer de la même manière sur la base du texte qu'a déjà voté en première lecture l'Assemblée nationale.

Je n'ai pas changé d'idée en traversant la Seine pour devenir ministre de l'Intérieur, à la tête d'un des plus importants budgets de l'Etat, même s'il faut tout relativiser, car il n'est pas suffisant au regard des enjeux qui sont les nôtres.

La constance de mon analyse ne doit pas vous surprendre, puisque cette réforme vise à permettre un net renforcement des pouvoirs du Parlement -c'est un point important en tant que tel- mais aussi à moderniser la gestion publique en donnant plus de latitude aux responsables des ministères, gestionnaires de crédits.

Ces deux objectifs, poursuivis dans le texte initial de Didier Migaud me paraissent indispensables. Je ne détaille pas les atouts nouveaux, pour le Parlement, contenus dans ce texte. C'est au Parlement de l'apprécier davantage. En revanche, du point de vue des gestionnaires, que je représente quelque peu aujourd'hui (je vous remercie de m'avoir invité et je suis un des premiers à venir devant vous), je veux insister sur deux avancées majeures qui doivent, selon moi, être maintenues dans ce texte.

Tout d'abord, la notion de programmes, à savoir un regroupement cohérent de crédits assortis d'objectifs et d'indicateurs, est essentielle pour donner plus de lisibilité à l'action publique.

Dans le cas du ministère de l'Intérieur, nous pourrions imaginer 5 ou 6 programmes à partir des agrégats de la présentation budgétaire actuelle.

J'insiste toutefois ici sur la nécessité de disposer de programmes larges. Le ministère de l'Intérieur dispose déjà de chapitres de fonctionnement uniques pour la police (le chapitre 34-41) comme pour les préfectures (chapitre 37-10), et souhaite conserver une souplesse de gestion tout au moins comparable.

Des questions techniques ont été évoquées par vous-même, Monsieur le Président et, sur la taille des programmes, il est toujours possible de discuter de ces sujets. Le périmètre des programmes doit rester stable dans le temps pour ne pas contraindre les ministères à changer trop souvent leurs systèmes d'informations et leur propre organisation.

Les gestionnaires au plan local souhaitent également -chacun le sait-, une fongibilité large des crédits au sein de ces programmes. La solution retenue par l'Assemblée nationale, qui exclut de cette fongibilité les dépenses de personnels, me semble un compromis acceptable, même si elle est un peu en retrait par rapport à l'expérience que nous conduisons au sein d'un certain nombre de préfectures.

S'agissant des dépenses de personnel, je crois qu'une autorisation en emplois à un niveau plus élevé qu'aujourd'hui, comme le prévoit le texte, sera utile dans les limites de plafonds d'emplois et de crédits et d'un contrôle financier rénové. Personne n'envisage de dérives.

Le moment est venu, sur ce sujet, dans la tranquillité de cette commission et conjointement, compte tenu des rapports qui sont les nôtres depuis 4 ans, d'être capable de dépasser les clivages partisans et de passer tranquillement à l'acte, chacun prenant sa bonne part d'une réforme positive en se déconnectant des débats politiques et publics que nous ne manquerons pas d'avoir dans la période à venir, et les sujets ne manqueront pas.

Nous rejoindrions ainsi la plupart de nos partenaires européens qui ont rénové leurs procédures budgétaires et leur comptabilité publique au cours des années 90 ; de plus, ce serait un signe fort si le Parlement parvenait à achever cette législature en votant un texte comme celui-là.

Les futurs débats budgétaires y gagneraient en hauteur de vue et pertinence pour un meilleur usage des deniers publics et du débat démocratique.

Voilà la première problématique que vous posez. Je voulais d'entrée de jeu y répondre.

Je veux bien dire un mot des anticipations de la réforme au ministère de l'Intérieur que vous avez évoquées.

M. LAMBERT, Président .- Monsieur le ministre, je serais partisan que vous les évoquiez. Il est vrai que c'est dans la pratique et par la pratique que nous allons pouvoir nous-mêmes mieux comprendre les enjeux. Pour l'instant, nous avons abordé le sujet d'une manière quelque peu générale et technique. Il conviendrait que nous voyons comment, dans la pratique, pour des ministères qui ont mené des expériences, les choses se sont passés. Votre témoignage serait précieux.

M. VAILLANT .- Le ministère de l'Intérieur a anticipé assez largement sur cette réforme, en réalité, en s'engageant dans plusieurs projets innovants pour moderniser dès à présent la gestion de ses crédits. La présence dans cette salle des directeurs : M. Lemas, directeur général de l'administration, M. Burr, directeur de la direction générale des collectivités locales et M. d'Harcourt, directeur de la DPRFI.

Ils pourront vous apporter des précisions concernant ces pratiques nouvelles que nous tentons d'impulser au sein du ministère.

Je pense en premier lieu, à l'expérimentation en cours de globalisation des crédits des préfectures dont les premiers résultats sont, je vous le confirme, tout à fait encourageants.

Les principaux traits de cette expérimentation, définie en accord avec le ministère du Budget, sont les suivants :

- Une hausse garantie de 0,3 % des dotations de ces préfectures ;

- Un engagement pour 3 ans ;

- Une fongibilité totale de crédits, y compris les crédits de personnels et certains crédits d'investissement.

L'expérience est désormais engagée dans 14 préfectures. Nous pouvons d'ores et déjà en tirer les enseignement suivants :

Aucun incident n'a été constaté dans la mise en place de ces nouveaux outils.

La garantie pluriannuelle des crédits et des emplois et les souplesses de gestion permettent aux préfets d'engager des démarches pluriannuelles. Elles leur permettent également de mieux faire face à des surcroîts d'imprévus d'activité et nous savons que la vie ne manque pas d'imprévus, y compris dans les préfectures depuis quelque temps.

Des comportements vertueux apparaissent ; je veux citer la Seine-Maritime, où la préfecture va utiliser les crédits économisés grâce à une meilleure gestion pour engager un programme de maintenance immobilière, régulièrement sacrifiée les années précédentes.

Enfin, un véritable dialogue de gestion s'instaure dans les préfectures concernées, avec les représentants du personnel notamment. C'est la première étape vers la création d'une authentique culture de gestion.

Vous savez également que le ministère de l'Intérieur est pilote dans la mise en place de la nouvelle application informatique budgétaire et comptable de l'Etat. Le programme ACCORD est actuellement en cours de test au sein du ministère de l'intérieur.

Ce logiciel sera ensuite étendu à tous les ministères d'ici 2004, puis aux services déconcentrés. Vous le savez, ACCORD répond aux objectifs de la réforme de l'ordonnance ; il facilite les échanges entre les différents acteurs de la dépense, il améliore la transparence de la gestion publique en enrichissant l'analyse de la dépense, et doit permettre, lors de sa mise en oeuvre, de simplifier les procédures et les organisations.

Nous sommes l'un des ministères les plus avancés dans l'introduction du contrôle de gestion dans l'Administration. Je dispose désormais d'une sous-direction spécialisée, mise à la disposition de l'ensemble des services. Cette sous-direction fait largement appel à des personnels ayant l'expérience du secteur privé. Nous cherchons également à développer ses compétences au plan local.

Dans le respect de l'esprit de la proposition de loi organique, nous commençons également à définir les indicateurs de gestion et de performances pour piloter plus efficacement nos dépenses et rendre des comptes plus clairs et précis au Parlement et donc, à nos concitoyens. Des premiers éléments ont été inscrits dans les documents budgétaires de cette année, et la globalisation des crédits des préfectures nous a conduit à définir un jeu d'indicateurs.

La police de proximité fait l'objet d'une réflexion comparable.

Je crois nécessaire que les ministères développent des démarches stratégiques pluriannuelles et glissantes comme le font toutes les grandes organisations. Il ne s'agit pas de faire voter pour tous les ministères des lois de programmation, mais plutôt en interne à s'efforcer de faire périodiquement une analyse sincère de l'évolution attendue, des missions des services, des moyens dont ils disposent et des résultats auxquels ils parviennent.

Cette réflexion de fond est presque achevée pour les préfectures. Je vais engager très rapidement un exercice comparable pour la police nationale, autour de la notion centrale de la police de proximité.

Voilà, Monsieur le Président, les éléments à la fois concrets et en même temps encourageants que je voulais donner concernant cette expérience menée au sein du ministère de l'Intérieur.

M. LAMBERT, Président .- Merci, Monsieur le Ministre.

En effet, à la suite du texte adopté par l'Assemblée nationale, nous sommes en pleine réflexion sur la question de la pluriannualité. Cela emporte des pratiques différentes au plan du budget. Je souhaiterais que vous me donniez votre sentiment sur ce sujet, sur les virements de crédits, les dépenses de personnels et les autorisations d'emplois (vous connaissez le texte de l'Assemblée sur le sujet).

Une autre question était de vous placer dans l'hypothèse de l'adoption de cette réforme et d'un débat au Parlement où vous auriez à nous proposer des indicateurs de performances et des réformes de structures. Vous êtes-vous déjà placé dans cette situation psychologique nouvelle et peut-être vos directeurs ont-ils déjà réfléchi à cette question ?

Concernant le principe des programmes interministériels, j'ai eu le sentiment -je vous le dis franchement, car nous parlons loyalement au sein de cette commission- que peut-être sous la pression de vos collègues de Bercy, l'interministériel pour les programmes n'a pas été accueilli avec un enthousiasme délirant, alors qu'il me semble que de nombreuses politiques sont interministérielles.

M. VAILLANT .- Tout ce que je viens de dire sur l'intérêt de la réforme de l'ordonnance de 1959 ne signifie pas que le texte voté en première lecture par l'Assemblée nationale soit totalement satisfaisant.

Je crois, au contraire, que le Sénat pourrait encore l'améliorer sur certains points. En effet, notamment sur la première question que vous avez évoquée, celle de la pluriannualité, je pense qu'il est encore très restrictif. Je comprends les problèmes que cela pose, car s'engager est toujours difficile.

Je constate néanmoins que la pluriannualité progresse, même au niveau de l'Europe -nous le voyons par rapport aux prévisions économiques- ou au plan national.

L'article 16 sur les reports de crédits est particulièrement sévère ; contrairement au droit actuel, il n'existe plus dans le nouveau texte de catégorie de crédits dont le report est acquis. Même ceux en provenance d'autres collectivités et rattachés à un ministère par voie de fonds de concours ne sont reportables qu'avec un accord plus général du ministère de tutelle que vous connaissez.

Plus grave encore, seuls les crédits de paiement disponibles correspondant à des dépenses effectivement engagées, pourront être reportés, et seulement dans la limite de 3 % des crédits initiaux.

Cela signifie concrètement que toutes les économies réalisées par les gestionnaires risquent d'être perdues à la fin de l'année, et je pense qu'un tel recul par rapport à la situation actuelle ne peut se concevoir. La conséquence de cette rédaction sera de renforcer les effets de l'annualité budgétaire, puisqu'au plan local les gestionnaires chercheront à dépenser tous leurs crédits avant le 31 décembre, sans garantie sur le report, et l'expérience de globalisation des budgets des préfectures n'aura plus grand sens. Je me demande même si elle ne devra pas s'arrêter.

Au plan central, la modernisation n'est possible que dans un cadre contractuel qui suppose des perspectives pluriannuelles à peu près stables.

Voilà ma position par rapport à la première question que vous avez posée.

La meilleure formule, selon moi, serait de ne pas figer le montant des reports dans un texte à valeur constitutionnelle et de trouver une formule plus souple en renvoyant la fixation de ce montant aux lois de finances.

Je suis également pour ma part attentif à ce que le nouveau cadre budgétaire n'introduise pas de nouvelles entraves au fonctionnement de l'interministérialité.

S'agissant des programmes interministériels eux-mêmes, à savoir d'une autorisation budgétaire accordée à deux ministres voire plus, sur un même programme doté des crédits fongibles, je comprends l'objection du ministère des Finances au regard, notamment de l'objectif de responsabilisation des gestionnaires. C'est une légitime préoccupation qu'il faut savoir prendre en compte.

Ne faut-il pas néanmoins laisser la possibilité d'introduire ultérieurement plus d'interministérialité dans la procédure budgétaire, selon des formes qui restent à déterminer ? La question est posée.

Une présentation interministérielle de certaines politiques publiques devant les assemblées pourrait être envisagée. Pour donner plus de lisibilité et de perspective, une exécution interministérielle efficace au plan local me semble également très importante. Je puis déjà en juger et, notamment autour des préfets, il est normal d'organiser cette interministérialité concrète, locale et perçue par nos concitoyens comme contribuant à l'efficacité des politiques publiques.

Je suis prêt également à aborder avec vous, même si ce n'est pas un sujet actuellement mentionné par le Président Lambert, la question du statut budgétaire des concours de l'Etat aux collectivités locales. Vous connaissez comme moi l'incertitude constitutionnelle qui pèse sur le mécanisme du prélèvement sur recettes, qui a conduit l'Assemblée nationale à ne pas l'évoquer cela dans la loi organique.

De mon point de vue, ce mécanisme conserve pourtant un double intérêt : il donne aux parlementaires une vision d'ensemble des crédits et il est aussi plus simple à gérer que des dotations budgétaires. Je suis personnellement interrogatif tout au moins, sur la disposition de l'article 31 qui dispose que la loi de finances peut inclure les modalités de répartition des concours de l'Etat. De telles modifications adoptées à la fin de chaque année pourraient, d'une certaine manière, introduire beaucoup d'instabilité dans les ressources des collectivités locales et, de ce fait, rendre plus difficile le respect du calendrier d'adoption des budgets locaux.

De ce point de vue, M. Burr pourra apporter d'utiles précisions sur notre analyse. La disparition des crédits provisionnels comme des crédits évaluatifs posera un problème au ministère de l'Intérieur. Il est en effet difficilement imaginable que mon ministère puisse gager sur ses ressources propres, les dépenses imprévues qui peuvent apparaître en cours d'année . Je pense aux élections dont on sait que cela coûte de l'argent, au chapitre 37-61. Un référendum, par exemple, ou des élections partielles, sans parler d'autres dispositions que permet la Constitution (je ne fais aucun appel de ce point de vue !) ou à titre des frais de justice, sur le chapitre 37-91.

Un ou des programmes spécifiques pourraient être créés à ce titre, car c'est un problème qui est posé dans une démocratie aussi vivante que la nôtre. Il faut en tenir compte de ce point de vue.

M. LAMBERT, Président .- Merci de vos réponses.

M. FREVILLE .- Vous avez répondu par anticipation à une partie de ma question avec ce que vous avez indiqué sur les prélèvements. Il est tout à fait étonnant que le texte de l'Assemblée nationale ne fasse aucune référence à la notion de prélèvement.

L'avis du Conseil d'Etat semblait dire que le prélèvement européen n'avait plus de raison d'être et aurait dû être considéré comme une charge budgétaire.

Ne vaudrait-il pas mieux regrouper dans une catégorie à déterminer (qui pourrait être le prélèvement) l'ensemble des concours de l'Etat aux collectivités locales ? Nous sommes actuellement dans une situation de total éparpillement, nous avons des prélèvements, des dotations globales dans le budget de l'Intérieur, à la limite, des dégrèvements sur impôts locaux. Ne conviendrait-il pas de regrouper tout cela dans un grand article de partage des ressources, de présenter à un certain moment, dans la loi de finances, toutes les impositions de toutes natures, et de faire « un paquet » de tout ce qui est donné aux collectivités locales, avec un débat à la clé ?

M. LAMBERT, Président .- Je pense que, s'agissant des prélèvements sur recettes, il existe une forme d'inhibition. Nous avons le sentiment qu'en n'en parlant pas, nous prenons moins de risques constitutionnels. J'appelle nos collègues à la méditation suivante : croyez-vous que le Conseil constitutionnel n'y regarderait pas à deux fois si les deux Chambres venaient à adopter un texte à l'unanimité dès lors qu'il aurait connu un travail en commun aussi approfondi que possible ? Je ne le sais pas. Peut-être suis-je trop rustique sur ces questions, mais j'ai le sentiment que ce serait difficile.

M. VAILLANT .- Vous avez répondu, Monsieur le Président. C'est le problème de basculement d'un système dans l'autre. Il existe un vrai risque. Je ne vois pas comment cela peut se faire rapidement en inscrivant des éléments dans le marbre du Parlement. Je ne sais pas si M. Burr a réfléchi à cette question au cas où le parlement nous réserverait cette surprise, d'une écriture commune sur ce sujet. Pourriez-vous essayer d'apporter des éléments plus précis.

M. BURR .- La question de M. Fréville porte à la fois sur l'information et la bonne connaissance par le Parlement de l'ensemble des dotations qui sont, comme vous le rappeliez, réparties sous des formes diverses, des dotations budgétaires globalisées ainsi que des prélèvements sur recettes, et portent également sur une problématique de gestion qui souvent n'est pas vue, mais qu'il est important de soulever ici au Sénat.

Il faut rappeler que les prélèvements sur recettes représentent 200 milliards de francs au total, sur environ 335 milliards de francs versés aux collectivités locales par l'Etat chaque année. Cela représente environ les deux tiers. Si l'on veut les inclure sous forme de dotations budgétaires de l'Etat, on augmente la masse budgétaire du budget de 200 milliards de francs, ce qui n'est pas une mince affaire, et à laquelle il faut réfléchir.

La deuxième question que posent les prélèvements sur recettes, c'est effectivement l'exercice par le Parlement des compétences et responsabilités que la Constitution lui reconnaît. Nous pouvons considérer qu'actuellement la connaissance par le Parlement des prélèvements sur recettes n'est pas moindre que celle des dotations budgétaires qui sont généralement réparties dans une multitude de lignes, et dont la vision d'ensemble n'est pas évidente.

En revanche, les prélèvements sur recettes sont connus. Ce sont des grandes masses. Je pense à la dotation globale de fonctionnement (DGF), au fonds de compensation de la taxe sur la valeur ajoutée (FCTVA), à la dotation de compensation de la taxe professionnelle (DCTP), au remboursement de la compensation de la réduction de la taxe professionnelle concernant la part salaire. Ce sont des masses considérables qui sont mentionnées à la fois dans les bleus budgétaires et dans le jaune budgétaire qui récapitule l'ensemble des montants des concours financiers aux collectivités locales.

Les regrouper ? Oui, mais, dans le budget ou hors budget, car cela pose la question de l'augmentation de la masse budgétaire du budget de l'Etat.

Le second point important à souligner ici est le fait que les prélèvements sur recettes sont aussi une commodité de gestion extrêmement importante. En effet, les dotations budgétaires nécessitent une procédure d'engagement, donc de gestion d'engagement, de délégation de crédits, de répartition, de gestion entre les départements, voire entre 36 000 communes, alors que les prélèvements sur recettes -je tiens à le rappeler ici- sont extrêmement commodes dans la mesure où il n'y a pas de délégation de crédits. Nous envoyons aux préfets les instructions nécessaires pour le calcul ou, quand nous les avons calculés, les montants à verser aux collectivités locales, et le préfet prend un arrêté correspondant, qu'il envoie au TPG qui a lui-même un compte ouvert, sur lequel il tire directement.

Donc, il n'y a aucune procédure de délégation et de transmission de crédits. On peut craindre que la réintégration de 200 milliards de francs sous forme de dotations budgétaires, si l'on poussait à l'extrême le raisonnement, ne crée à la fois des lourdeurs de gestion considérables et puisse se traduire par des problématiques de trésorerie si, d'aventure, ces délégations de crédits ne fonctionnent pas selon le même rythme que peuvent le faire actuellement les prélèvements sur recettes, qui sont une commodité très forte nous concernant, ainsi que pour les collectivités locales.

M. FREVILLE .- Je pensais qu'il convenait de généraliser la notion de prélèvement et que, dans ce cas, il faudrait traiter le prélèvement dans l'ordonnance dans la future loi organique.

M. LAMBERT, Président .- M. Fréville est un grand connaisseur universitaire de cette question et je compte sur son soutien. Il nous faudra « De l'audace, toujours de l'audace », ainsi que le Maréchal Leclerc qui libéra Alençon, le disait à ses troupes.

M. GAILLARD .- Je souhaite poser une question plus politique et sortir de la technique. Monsieur le Ministre, faisons-nous oeuvre utile en ce moment, ou tenons-nous une séance académique ? Pensez-vous que ce texte ait des chances d'aboutir ? Le Gouvernement, qui semble-t-il, n'est pas complètement d'accord sur les propositions de la commission des finances de l'Assemblée (vous avez vous-même fait quelques réserves techniques) y tient-il ? Cette affaire a-t-elle des chances d'être inscrite au calendrier parlementaire ?

Je m'adresse, à travers votre poste actuel, à l'ancien ministre des Relations avec le Parlement que vous avez longtemps été et qui connaît très bien le climat : pensez-vous que nous ayons des chances de revenir à un certain consensus sur cette affaire ?

Nous n'irons pas jusqu'à la remise en cause de l'article 40 dont je ne suis pas partisan, mais est-il possible de faire cette réforme sans, conjointement, revoir les règlements des assemblées ? Une partie de la réforme n'implique-t-elle pas l'assouplissement de certaines conditions de vote ? Augmenter le rôle des commissions ? Réduire le rôle du débat en séance qui fait toujours mauvais effet et autres choses dont nous avions parlé du temps où M. Fabius était Président de l'Assemblée nationale, et qui semblent avoir disparu des perspectives actuelles ?

M. VAILLANT .- Monsieur le Président, très rapidement, la réponse est oui et pour une raison simple : quand le Gouvernement (il faut le dire, largement à la demande des deux Assemblées et de ceux qui sont les plus en pointe sur ces sujets, aussi bien votre Président que le rapporteur général de la commission des finances de l'Assemblée nationale et les Présidents des deux assemblées) s'est engagé après des discussions internes, il est normal qu'il y ait de ce point de vue des visions différentes entre un ministère comme on dit « dépensier » et le ministère de l'Economie et des Finances.

Il est vrai que cela arrive souvent sur des problèmes techniques mais qui peuvent aussi avoir des répercussions politiques ou inversement, et il est normal que cet échange ait lieu ; je joue le jeu en venant devant vous, sinon, Alain Lambert me le reprocherait. Il n'existe aucune restriction de la part du Gouvernement et à l'intérieur du Gouvernement sur ce sujet et, de ce fait, ce dernier ne peut en aucun cas être un frein à l'évolution de l'ordonnance de 1959, d'autant que, quand il a décidé d'aller dans le sens de cette réforme, c'était véritablement complètement déconnecté d'un quelconque intérêt d'opinion. Il faut reconnaître entre nous, qu'aujourd'hui encore, c'est un sujet où, à mon avis, beaucoup de pédagogie et de grands médias seraient nécessaires pour attirer l'intérêt de nos concitoyens. C'est un public réservé.

C'est plus un intérêt général bien compris qui, je le crois, nous fait aller dans ce sens.

Par ailleurs, je pensais que cela ne poserait pas de difficulté majeure en dehors des débats internes au Gouvernement et entre les deux Assemblées et des majorités dont je ne pensais pas qu'elles étaient de caractère politique. Quand le débat est venu à l'Assemblée nationale, des voix se sont élevées sur un terrain plus politique en disant « non ». Je constate en même temps que l'intérêt même du Parlement, de la transparence dans la gestion des fonds publics et de l'efficacité sur le terrain, fait qu'à l'Assemblée, les choses ont avancé et qu'elles arrivent au Sénat avec un état d'esprit qui est également de déconnecter ce problème des enjeux qui interviendront en 2002, et qui n'ont pas grand-chose à voir avec ce qui nous préoccupe ce matin.

De ce fait, cela me rend optimiste. J'étais assez pessimiste juste avant que cette question n'arrive à l'Assemblée nationale. J'ai entendu des déclarations qui me laissaient peu optimiste, mais si l'état d'esprit qui prévaut ce matin l'emporte, je me dis : « Pourquoi pas, tout le monde y aurait avantage et pourrait en tirer un légitime profit de l'inscription d'une réforme importante qui servira pour la suite quels que soient ceux qui l'assureront ». Voilà dans quel état d'esprit je me trouve. Je ne suis pas trop inquiet. Je pense qu'il y aura une majorité d'idées pour le réaliser. Je veux souhaiter que les choses avancent. L'intention du Gouvernement est que l'Assemblée nationale se ressaisisse de cette question avant la fin de la session ordinaire unique, à savoir avant le départ en vacances.

Cela témoigne de l'intention du Gouvernement d'aller vers une adoption, et le plus tôt sera le mieux, puisque ce sera déconnecté d'échéances qui viendront après et qui n'ont rien à voir avec l'objet de la réforme.

M. LAMBERT, Président .- Il faut savoir que le bureau de notre Commission a adopté il y a 2 ans et demi, dans son programme la réforme de l'ordonnance de 1959. S'agissant éventuellement d'amour-propre, sinon d'auteur, dans tous les cas d'idée, le nôtre peut ne pas souffrir, mais s'agissant d'un rendez-vous de cette importance je ne crois pas que l'amour propre soit décisif.

Les deux Assemblées (et chacun sait qu'elle doivent être d'accord à défaut de quoi il n'y a pas de réforme) ont travaillé séparément dans un premier temps afin d'investiguer et d'approfondir un rapport d'information approuvé par la commission des Finances du Sénat. Une proposition de loi a été déposée à l'Assemblée nationale et il se trouve que les travaux menés avec application (j'ignore s'ils sont de qualité) sont convergents.

Sur le contenu, je crois que tout le monde est d'accord pour considérer qu'il ne faut pas revenir sur l'équilibre assez subtil de notre Cinquième République entre l'exécutif et le Parlement. Sur le contenu pratique, il est vrai que l'on peut avoir -chacun étant de bonne foi- une appréhension différente de la question, comme le disait M. Vaillant, selon que l'on est ministre « dépensier » ou de l'Economie et des Finances et du Budget, on peut avoir une approche différente, et c'est bien naturel.

Nous devons gérer ces approches différentes afin de rendre possible cette réforme dont je dis pour ma part -et pardonnez-moi de m'introduire dans ce débat en cet instant- que le Parlement ne sortira de toute façon pas indemne de la décision qu'il prendra, quelle qu'elle soit.

S'il rejette cette réforme il aura  vis-à-vis des Français à rendre compte de la contradiction consistant à dire depuis tant d'années : « Sur le budget, nous n'avons aucune influence » sans avoir saisi la chance de réformer le texte régissant son adoption, ou il aura décidé que son rôle n'est plus qu'un rôle de communication des angoisses des Français, mais sans influence sur les décisions les concernant.

Monsieur le Ministre, pour m'acquitter de mes devoirs de rapporteur, je voudrais me tourner vers vous mais, plus réellement, vers vos directeurs : avez-vous réfléchi et auriez-vous des idées, par exemple, à nous donner en matière d'indicateurs de performances ? C'est un point très pratique, mais qui pourrait nous éclairer en tant que législateurs, sur les enjeux de cette réforme et peut-être sur ce que l'on peut en attendre dans ses résultats. Si des orientations visent à vous obliger à introduire dans vos propositions des indicateurs de performances, avez-vous des exemples à proposer ?

M. LEMAS .- Nous avions en effet, Messieurs les sénateurs, réfléchi à une série d'indicateurs de performances dans la foulée de l'expérience de la globalisation des préfectures. Ce sont des réflexions et des travaux largement engagés, qui sont le prolongement de l'expérience de globalisation des préfectures engagée depuis 1 an et demi, depuis le début de l'année 2000 sur 4 départements, puis sur 10 autres depuis le début de l'année.

Pour donner un aperçu des travaux en cours, je citerai quelques cas :

Tout d'abord, une réflexion a été engagée sur la répartition des effectifs des préfectures. Il y a une dizaine d'années, un travail visant à essayer de déterminer ce que pourrait être un effectif de référence des préfectures avait été engagé. C'est un exercice théorique et une « mission impossible ». Quel est l'optimum quantitatif et la bonne répartition des emplois pour les préfectures ? Il y a 2 ans, nous avons préféré nous orienter vers une autre direction qui était non pas d'essayer de rechercher d'optimum théorique pour lequel une infinité de facteurs, y compris subjectifs, serait à prendre en considération, mais quelle serait la répartition optimale des effectifs entre les préfectures et leurs différentes missions ?

Nous avons bâti un outil « ARCADE » assez sophistiqué qui tente de répartir les missions des préfectures en une série de grandes catégories, et nous tentons d'utiliser cet instrument pour déterminer la meilleure répartition possible des effectifs entre ces missions.

Sur la base de cette répartition entre missions, nous essayons d'atteindre une répartition optimale des effectifs, entre les préfectures de mêmes catégories. Nous testons actuellement la pertinence de cet outil avec les préfectures elles-mêmes, et j'espère que d'ici la fin de l'année, nous pourrons faire une présentation de cet outil.

Deuxième type de travail engagé sur les indicateurs : ventilation analytique des dépenses entre les dépenses de rémunération et les dépenses de fonctionnement dans les préfectures globalisées.

L'expérimentation de la globalisation des préfectures visait à avoir une enveloppe globale regroupant les crédits de rémunération, de fonctionnement et une part des crédits d'investissement et de grandes réparations des préfectures, de manière à avoir une enveloppe globale déléguée dès le début de l'année, et sur lesquelles il existe un engagement pluriannuel sur 3 ans avec nos collègues du ministère du Budget.

Pour que cet outil puisse fonctionner dans de bonnes conditions, il faut disposer d'un indicateur assez précis de ce que peuvent être les dépenses de rémunération et de fonctionnement et, à l'intérieur de chacune des catégories, une ventilation par grandes fonctions.

A côté de cet outil, nous déterminons des indicateurs de résultats et de performances. C'est plus complexe, car nous avons à prendre en considération des éléments qualitatifs et quantitatifs.

Sur ces derniers, nous mettons en place une batterie d'indicateurs -plus d'une quarantaine- dans un outil intitulé INDIGO et fonctionnant déjà dans les préfectures globalisées, en testant sa pertinence avec le ministère du Budget. C'est un outil à tout faire. Il donne une série d'indications sur les résultats et les performances par grandes catégories de missions.

En revanche, nous nous sommes rendu compte -cela aurait pu aller de soi- que ces indicateurs de résultats et de performances ne peuvent servir à tout et que, notamment, du point de vue de la centrale pilotant l'ensemble du dispositif des préfectures, de chacune des préfectures et de chacun des gestionnaires dans les centres de responsabilités des préfectures, il serait utile de mieux cibler ces différents indicateurs. Nous nous y employons de façon à mieux affiner cet outil INDIGO par rapport aux trois types de pilotage.

Nous avons un autre outil plus qualitatif et, de ce fait, plus complexe et plus contestable intitulé BALISE, et qui est un outil d'indicateurs de performances à l'égard des préfectures, que nous demandons au préfet de nous adresser une fois par trimestre, et comprenant une série d'indicateurs à la fois quantitatifs (le nombre de contrôles de légalité, de saisines ou d'actes délivrés aux guichets) et qualitatifs en essayant, pour certaines des grandes fonctions de la préfecture difficiles à mesurer (fonctions de représentation ou d'autres types de cette nature), d'apprécier la performances de chacune des préfectures.

Ce ne sont pas des outils d'indicateurs de gestion ou de performances en soi, mais à vocation comparative les unes par rapport aux autres et par rapport aux grandes familles de préfectures.

Cet outil en cours d'élaboration ou de mise au point concerne, pour l'essentiel, les préfectures ; nous réfléchissons, dans le cadre d'un groupe de travail que Monsieur le Ministre a installé, à la manière dont nous pourrions agréger ce type d'outil, avec la prise en compte des nécessités de mesurer les indications de performances pour les administrations centrales qui les pilotent.

Nous sommes au tout début de ce travail de tentative d'agrégation entre l'expérience menée dans les préfectures et les administrations centrales. Nous en sommes au stade où nous travaillons sur une sorte de typologie des missions des différentes administrations centrales de manière, dans un second temps -mais nous n'y sommes pas encore-, à déterminer des indicateurs de gestion et de performances.

M. D'HARCOURT .- Pour élargir le propos de M. Lemas, quand on parle des préfectures et du dispositif évoqué par lui, il s'agit des préfectures globalisées.

On voit directement le lien entre le contenu du projet de réforme de la loi organique qui postule une fongibilité des crédits, et l'appel et la réflexion sur les indicateurs. Sans fongibilité des crédits -c'est ce que permet le texte actuel de la proposition de loi-, ce travail de réflexion et de calage des indicateurs n'existe pas.

Prenons l'exemple de la police. Actuellement dans le document bleu que vous connaissez, il existe un agrégat police dont vous constaterez que la décomposition reflète seulement le travail des directions elles-mêmes, à savoir que l'agrégat actuel n'est pas construit autour d'une logique d'objectifs globaux de la police. Vous n'y trouverez pas l'objectif police de proximité, qui est pourtant au coeur de la réforme de la police et de son activité actuelle.

L'enjeu est de faire en sorte que, dans les nouveaux programmes, parce qu'il y a globalisation des crédits et que ces derniers ne sont plus accrochés à telle ou telle direction opérationnelle, mais à la mise en oeuvre d'une politique transversale au sein de la police, figure comme objectif la mise en oeuvre de la police de proximité et qu'il soit repéré par des indicateurs existants (que Monsieur le Ministre suit dans le cadre d'un comité de suivi, interne au ministère de l'Intérieur).

Actuellement, ce sont des indicateurs de moyens ou d'activité, mais nous voyons que, rapidement, la police réfléchit au problème des indicateurs de performances, ce qui renvoie à la remise à plat des statistiques de la police (l'état 4001). Nous voyons la démarche intellectuelle qui fait qu'en raison de la globalisation il y a fixation d'objectifs transversaux aux différentes Directions. Ce ne sont plus seulement des objectifs de moyens ou d'activité mais, progressivement, des objectifs de performances comme vous le souhaitiez.

M. LAMBERT, Président .- Je rappelle à nos collègues que cet après-midi, à 17 heures, nous entendrons M. Guillaume, inspecteur général des finances, l'auteur d'un rapport sur la gestion budgétaire comparée dans les pays de l'Organisation pour la coopération et le développement économique (O.C.D.E). Il est allé voir chez nos partenaires de l'O.C.D.E. la façon dont ils ont procédé à des réformes budgétaires. Il sera intéressant de l'entendre. A 18 heures, nous recevrons Mme Mahieux, directeur du Budget.

Je vous remercie d'être venu avec l'équipe qui travaille à vos côtés pour nous donner un témoignage d'un ministère « dépensier », car c'est ainsi qu'il faut travailler, en regardant les différents éléments des deux côtés de la barrière.

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