CHAPITRE II

Examen des caractéristiques génétiques et identification
d'une personne par ses empreintes génétiques

Article 2
Examen génétique des caractéristiques d'une personne

Objet : Cet article fixe les conditions dans lesquelles il peut être procédé à l'examen des caractéristiques génétiques d'une personne.

I - Le dispositif proposé


Le I du présent article propose de modifier le chapitre III du titre premier du livre premier du code civil relatif à « l'étude génétique des caractéristiques d'une personne et de l'identification d'une personne par ses empreintes génétiques » afin :

- dans son intitulé, de remplacer les termes « études génétiques des caractéristiques » par les termes « examens des caractéristiques génétiques » ( ) ;

- de mettre en conformité partielle la rédaction de l'article 16-10 du code civil avec l'article 16 de la Convention d'Oviedo qui prévoit que « pour la protection des personnes se prêtant à une recherche », le consentement est « consigné par écrit » , précision que ne comportait pas cet article. Est en outre harmonisée, conformément à l'intitulé du chapitre, la rédaction relative à l' examen des caractéristiques génétiques qui est substitué à l' étude génétique des caractéristiques . La disposition essentielle de l'article 16-10, précisant que ces recherches ne peuvent être menées que dans une finalité thérapeutique ou scientifique, demeure inchangée ( ).

Le II modifie la terminologie figurant dans le code de la santé publique en substituant, pour l'intitulé du titre III du livre premier de sa première partie, les mots « examens des caractéristiques génétiques, identification et recherche génétique » à la notion de médecine prédictive , cette dernière étant trop étroite car elle n'autorise pas le diagnostic d'une maladie déjà déclarée. Son remplacement par la notion indiquée ci-dessus permet de recouvrir une notion plus large.

Le III propose cette même harmonisation pour le code pénal :

- le modifie l'intitulé de la section VI du chapitre VI du titre II du livre II du code pénal qui réprime les atteintes aux personnes résultant de l'examen génétique de leurs caractéristiques qui deviendrait « Des atteintes à la personne résultant de l'examen de ses caractéristiques génétiques ou de l'identification par ses empreintes génétiques » ;

- le propose deux modifications pour l'article 226-25 du même code. La première est l'harmonisation terminologique décrite ci-dessus, c'est-à-dire le remplacement du terme « étude » par le terme « examen ». La seconde prévoit la modification du renvoi initialement prévu à l'article L. 1131-1 du code de la santé publique : il est proposé que le code pénal fasse une référence directe à l'article 16-10 du code civil ;

- le prévoit le remplacement du mot « étude » par le mot « examen » au sein de l'article 226-26 du code pénal.

II - Les modifications adoptées par l'Assemblée nationale

Sur proposition de sa commission spéciale, l'Assemblée nationale a adopté quatre amendements :

- le premier prévoit que le consentement est « exprès » ;

- le deuxième prévoit que la personne qui se prête à un examen est préalablement informée sur la finalité de ce dernier ;

- le troisième vise à inscrire dans le code civil que le consentement écrit comporte la finalité de l'examen ;

- le dernier propose une nouvelle rédaction pour l'article 226-25 du code pénal qui punit le fait de se livrer à un examen des caractéristiques génétiques à des fins de recherches scientifiques hors des conditions prévues par les textes en vigueur, ou à d'autre fins quelles que soient les conditions. Aux termes de cet article dans sa rédaction précédente, seuls les examens réalisés à des fins médicales, lorsqu'elles ne respectaient pas le régime juridique qui les régit, étaient incriminés.

III - La position de votre commission

Le débat terminologique


L'origine de l'harmonisation proposée par cet article tient à la grande diversité des rédactions figurant dans les trois codes traitant du régime juridique de l'examen -ou des recherches- des caractéristiques génétiques d'un individu.

Le code de la santé publique fait, pour sa part, référence à trois notions : la médecine prédictive , l'examen des caractéristiques génétiques , qui figure déjà à l'article L. 1131-1 et est pris pour pivot de l'harmonisation, et l'étude des caractéristiques génétiques qui figure au troisième alinéa de ce même article et qui sera, pour sa part, harmonisée à l'article 3 du présent projet de loi.

Le code civil retient, quant à lui, l'expression « étude des caractéristiques d'une personne » dans son article 16-10, expression qui figure également à l'article 226-25 du code pénal.

Cette harmonisation a suscité un véritable débat lors de l'examen du projet de loi en première lecture par l'Assemblée nationale, la commission spéciale proposant la rédaction « examen génétique des caractéristiques de la personne » à laquelle le Gouvernement préférait la rédaction « examen des caractéristiques génétiques de la personne » .

En effet, M. Bernard Kouchner, alors ministre délégué à la santé, estimait 39( * ) :

« Le terme « examen génétique des caractéristiques de la personne » apparaît trop restrictif. Il ne permet pas de garantir la protection de la personne à l'égard d'une éventuelle utilisation abusive d'informations génétiques obtenues à l'occasion d'investigations médicales diverses non spécifiquement génétiques, comme par exemple une biopsie musculaire chez un myopathe de Duchêne, l'électroforèse de l'hémoglobine pour le diagnostic de la drépanocytose ou des thalassémies, ou encore de l'HLA 27. Le terme utilisé dans le projet de loi vise à encadrer l'ensemble des examens de caractère génétique. Ce terme est plus large et plus adapté à l'objectif de l'encadrement fixé » .

Au contraire, pour l'actuel ministre de la santé, alors député, M. Jean-François Mattei, c'est la rédaction proposée par le Gouvernement qui était trop restrictive :

« Je ne crois pas qu'on puisse s'en tenir à l'expression : « caractéristiques génétiques ». Un simple examen clinique ou biologique permet de distinguer des caractères génétiques. Lors d'une numération sanguine, vous savez, par la forme des globules rouges, s'il y a ou non une anomalie de l'hémoglobine. Je pourrais multiplier les exemples. Un groupage sanguin, un groupage HLA ne sont pas des études génétiques mais peuvent aboutir à observer et apprécier des données génétiques. Ce sur quoi je croyais que nous voulions légiférer, c'était sur l'utilisation des examens génétiques, et notamment la génétique moléculaire. Or, avec l'expression : « caractéristiques génétiques », nous incluons à la fois les caractéristiques génétiques par l'examen clinique, par l'examen biologique traditionnel et par les études moléculaires. Voilà pourquoi j'ai souhaité que nous précisions: « examen génétique ». Ce sont les techniques génétiques qui vont nous permettre d'étudier les caractères de la personne ».

Finalement, le débat entre les membres de l'Assemblée nationale et le Gouvernement a convergé afin que la protection la plus large des personnes soit assurée.

« M. Jean-François Mattei. Je ne crois pas que le débat soit tranché. A « examen des caractéristiques génétiques », on devait substituer « examen génétique des caractéristiques ». Vous reviendriez donc à l'expression « examen des caractéristiques génétiques » ?

« M. le ministre délégué à la santé. Oui !

« M. Jean-François Mattei. En sous-entendant : clinique, biologique et, spécifiquement, par les techniques de la génétique ? C'est bien cela ?

« M  le ministre délégué à la santé. Absolument !

« M. Jean-François Mattei. Je n'entends pas, en insistant ainsi, vous mettre en difficulté. Je veux simplement que cela figure au
Journal officiel pour éclairer une éventuelle interprétation devant la justice et pour que nous soyons bien d'accord : lorsque nous parlons de caractéristiques génétiques, nous entendons, d'abord et avant tout, la mise en oeuvre des nouvelles techniques...

« M. le ministre délégué à la santé. Sur le noyau !

« M. Jean-François Mattei.... mais, naturellement, cela n'exclut pas totalement les analyses génétiques par le biais des examens conventionnels, y compris l'étude clinique.

« M. Bernard Charles, président de la commission spéciale
. Tout à fait !

« Mme la présidente. Les choses me semblent claires. »


Cette convergence méritait d'être rappelée afin d'éclairer l'interprétation du présent article.

La protection des personnes se prêtant à l'examen de leurs caractéristiques génétiques

Dès 1995, dans son avis n° 46, le Comité consultatif national d'éthique rappelait que « tout autant et même plus qu'un autre examen médical, un test génétique comporte une entrée dans l'intimité d'une personne, à savoir son intimité corporelle et les significations qu'elle y attache en rapport à son identité psychique » . Aussi préconisait-il, dans sa première recommandation, que la conduite de ces tests s'insère dans une démarche susceptible de garantir le respect de la personne qui s'y est livrée.


Recommandation n°1 du CCNE, avis n° 46, 1995

L'examen des caractéristiques génétiques d'un individu peut avoir, quel que soit son résultat, de profondes répercussions sur la vie du sujet qui s'y prête. Le respect de son autonomie exige qu'il ait une compréhension aussi complète que possible des conséquences de sa décision de se soumettre ou non à cet examen.

Cette compréhension implique une information sur la nature de l'examen, la signification des résultats, l'existence éventuelle d'une prévention et d'une thérapie ainsi que leurs contraintes. Cette information doit être donnée par un professionnel ayant une bonne connaissance de la génétique médicale et être directe et orale pour permettre un dialogue, puis consignée dans un document écrit.

Toute détermination de caractères du génotype d'un individu ne doit être entreprise qu'à des fins médicales sur prescription ou à des fins scientifiques et que si le sujet a donné spécifiquement son consentement écrit.

Les résultats de l'examen doivent être communiqués directement par un médecin, qui, de par sa compétence, pourra expliquer aux sujets testés la signification de ces résultats. Un suivi du sujet testé devra être assuré, pour pallier les éventuelles répercussions psychologiques du résultat, que celui-ci soit positif ou négatif.

Certaines informations peuvent avoir un effet potentiellement néfaste pour l'individu. Celui-ci peut donc refuser de connaître les résultats de l'examen et son droit de ne pas savoir doit toujours être respecté.


La Convention d'Oviedo 40( * ) prévoit, pour sa part, à ses articles 5 et 16 une série de protections en faveur de la personne humaine.

L'article 5 prévoit en effet qu'aucune intervention ne peut avoir lieu dans le domaine de la santé sans que la personne ait donné son « consentement libre et éclairé » , qu'elle ait reçu une information claire au sujet de cette information et qu'elle peut « à tout moment, librement retirer son consentement » .

L'article 16, relatif à la protection des personnes se prêtant à une recherche prévoit expressément l'application des dispositions prévues par l'article 5.

L'Assemblée nationale a complété les dispositions prévues par cet article pour l'article 16-10 du code civil, en prévoyant que le consentement à la recherche des caractéristiques génétiques est exprès et que la personne reçoit préalablement une information claire et détaillée.

Toutefois, ne figure pas le principe prévu par la Convention d'Oviedo du retrait possible, à tout moment, de ce consentement. Aussi votre commission vous propose-telle d'adopter un amendement prévoyant cette précision.

La question d'un changement de finalité des tests réalisés n'est guère abordée. La personne s'étant livrée à un test à finalité médicale doit-elle consentir expressément et préalablement à ce que ces tests soient, le cas échéant, utilisés à des fins de recherches scientifiques ? Votre commission ne l'envisage pas autrement.

Ces principes et précautions rappelés, votre rapporteur formulera deux interrogations.

Ainsi qu'il a été dit précédemment (cf. commentaire ci-dessus de l'article premier) , M. Claude Huriet a mis en lumière, lors de son audition par notre commission, la difficulté soulevée par la généralisation des tests génétiques. Peut-on et doit-on organiser l'émergence d'un marché libre des tests génétiques en France, rendu possible par l'amélioration des techniques qui d'ailleurs permettent déjà, via un simple test sanguin, de faire réaliser sa carte génétique à l'étranger ?

Le Conseil d'Etat propose, pour sa part, que ce développement s'inscrive dans une politique de prévention cohérente dans le cadre duquel pourrait être amélioré le dépistage de maladies génétiques ou de certains cancers. « Les professionnels de santé, au coeur de ce dispositif, seraient en mesure de garantir les conditions de prescription et d'utilisation des tests, qui, en tant que produits de santé, devraient obtenir une autorisation de mise sur le marché » 41( * ) .

Ce meilleur encadrement est également réclamé par les praticiens les plus éminents, à l'instar du professeur Arnold Munnich qui déclarait devant votre commission que « des décrets encadrent effectivement les tests génétiques, mais cinq ans après leur promulgation, ils n'ont pas été accompagnés des circulaires devant mettre en application les règles de bonnes pratiques. Ce problème concerne, non la poignée de couples concernés par les maladies dont nous avons discuté, mais des centaines de milliers de Français. Les conditions réglementaires des tests génétiques restent d'un flou total et nous sommes à la veille d'une dérive retentissante . Nous ne savons pas qui prescrit le test, comment il est pratiqué, rendu, et si une consultation génétique intervient préalablement à la prescription. Des catastrophes arrivent dans la mesure où, en France, des résultats d'examens prescrits à la légère, parfois par téléphone, sont rendus par courrier sans être accompagnés de la moindre explication . Ils sont transmis par le médecin généraliste, qui n'y connaît rien, à des patients qui comprennent encore moins. S'agissant d'un grand nombre de Français, j'appelle votre attention sur la nécessité de l'adoption de circulaires d'application des dispositions réglementaires 42( * ) » .

Un tel développement traduit bien l'inquiétude que suscite la potentielle dérive issue de la mise à disposition de chacun de sa carte génétique et de l'insuffisance de l'encadrement en vigueur. C'est à juste titre que le Conseil d'Etat note que :

- le principe général de non-discrimination figurant à l'article 225-1 du code pénal ne mentionnait pas les caractéristiques génétiques d'une personne parmi les sources de discrimination qu'il énumère -cet oubli a été corrigé par l'article premier du présent projet de loi repris par la loi relative aux droits des malades ;

- rien n'interdirait un assureur -ou un employeur- de solliciter des tests réalisés à des fins médicales ou scientifiques afin de « discriminer » les bons et les mauvais risques car « la communication spontanée par un individu des données génétiques le concernant au médecin de l'assureur pourrait être analysée par les tribunaux comme ne constituant ni une dérogation au secret médical -l'assureur n'ayant communication par son service médical que d'une barémisation du risque, et non d'une information couverte par le secret médical- ni le détournement de finalité sanctionné par l'article 226-26 du code pénal » 43( * ) .

Ces difficultés sont sans doute appelées à se poser, dans les années qui viennent, avec une acuité accrue.

Sous réserve de l'amendement sus-mentionné, et d'un amendement de précision à la rédaction qu'il propose pour l'article 226-25 du code pénal, votre commission vous propose d'adopter cet article ainsi amendé.

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