Article 3
Identification d'une personne par ses empreintes génétiques

Objet : Cet article précise le régime juridique de l'identification des personnes par empreintes génétiques.

I - Le dispositif proposé


Le I du présent article propose deux modifications pour l'article 16-11 du code civil qui prévoit le régime juridique de l'identification par empreintes génétiques.

Le 1 ° complète cet article pour préciser le régime d'identification post mortem dans le cadre d'une procédure civile. La position de principe qu'il est proposé de retenir est que seule l'opposition expresse exprimée du vivant de la personne fait obstacle à une telle identification.

Le prévoit que le consentement à l'identification génétique réalisée à des fins médicales ou de recherche scientifique est exprimé par écrit.

Le II procède à une réécriture de l'article L. 1131-1 du code de la santé publique.

Tel qu'en vigueur aujourd'hui, cet article prévoit :

- au premier alinéa , les règles régissant les examens des caractéristiques génétiques ou leur identification. Seuls les examens ou identifications dans le cadre d'une procédure judiciaire dispensent du consentement de la personne ;

- au deuxième alinéa , la nécessité du consentement écrit, et la mise sous la protection des dispositions de la loi Huriet de 1988, pour les recherches et identifications effectuées à des fins médicales ou thérapeutiques ;

- au troisième alinéa , le cas de dispense de consentement lorsque, exceptionnellement, celui-ci ne peut être recueilli. Il fallait pour cela que l'étude envisagée soit réalisée dans le respect de la confiance de la personne , et bien sûr dans son intérêt .

Le texte proposé pour cet article L. 1131-1 vise à simplifier la rédaction en vigueur , en renvoyant aux dispositions du code civil et du titre III du code de la santé publique les conditions de réalisation des examens des caractéristiques génétiques d'une personne ou son identification. Il est, en outre prévu, que, désormais, seul l'intérêt du patient permettra de recueillir le consentement de la personne.

II - Les modifications adoptées par l'Assemblée nationale

L'Assemblée nationale a tout d'abord adopté, à l'initiative de MM. Jean-François Mattei et plusieurs de ses collègues, un amendement au 1° du I du présent article renversant le régime de l'identification post mortem prévue par le projet de loi. Cette identification ne sera désormais possible que si la personne décédée y avait consenti expressément de son vivant.

Elle a ensuite adopté trois amendements à l'initiative de sa commission spéciale :

- elle a, en premier lieu, inséré un 3° nouveau dans la rédaction proposée pour l'article 16-11 du code civil. Cet article aligne les conditions du recueil du consentement d'une personne à son identification à des fins médicales ou scientifiques par empreintes sur celles prévues pour l'examen des caractéristiques génétiques ;

- elle a, en second lieu, au II de cet article, adopté deux amendements à la rédaction proposée pour l'article L. 1131-1 du code de la santé publique. Le premier rappelle que l'examen ou l'identification précités demeurent soumis aux dispositions de la loi du 20 décembre 1988, figurant dans le titre II du même code. Le second prévoit la consultation d'un proche ou de la personne de confiance si la personne qui doit subir cet examen dans son intérêt n'est pas en état d'exprimer son consentement.

III - La position de votre commission

1°) L'identification d'une personne dans le cadre d'une procédure civile


Le droit fait appel à la science pour l'identification par utilisation des empreintes génétiques dans deux domaines particuliers : la procédure pénale et la procédure civile, la première n'étant pas soumise au consentement de la personne identifiée tandis que la seconde l'est. En matière civile, l'article 16-11 de ce code ne prévoit que deux cas de recours à cette identification : l'établissement de la filiation et l'obtention ou la suppression de subsides. Or, cette rédaction prévoit expressément le consentement de la personne sur laquelle l'identification est conduite. Cette règle du consentement s'applique-t-elle aussi lorsque la personne à identifier est décédée ?

La question de l'identification post mortem en matière civile

Est-il possible de recourir à l'exhumation d'un corps, dans une procédure civile de recherche en paternité, dès lors que la personne décédée n'a pas clairement fait connaître son opposition à un tel test, voire même lorsqu'elle l'a fait connaître de son vivant ?

La rédaction de l'article 16-11 du code civil ne le permettrait a priori pas, le consentement devant être à la fois préalable et exprès. Pour autant, dans le contentieux entre vifs, le juge peut tirer « les conséquences » du refus d'une personne qui refuserait de se soumettre à un tel test et, déclarer d'office la paternité, ce qu'il ne peut pas faire pour un mort.

En 1996, la Cour d'appel d'Aix a autorisé une personne à faire procéder à une mesure d'expertise par empreintes génétiques sur un individu décédé, bien que ce dernier n'ait pas expressément consenti à cet examen de son vivant. Pour écarter l'application de l'article 16-11 du code civil, la Cour d'appel avait alors fait référence au « silence de la loi » .

Le Conseil d'Etat, pour sa part, appelait de ses voeux un encadrement plus strict de l'identification d'une personne dans le cadre d'une enquête judiciaire.

« Saisie d'une action en établissement de paternité d'Yves Montand, la Cour d'appel de Paris a cependant cru pouvoir écarter ces dispositions (art. 16-11 du code civil), au motif qu'il n'était plus possible de recueillir le consentement de l'artiste qui était décédé, alors même que l'intéressé avait manifesté de son vivant une opposition à une telle mesure.

« Si elle devait être renouvelée par un juge, cette interprétation volontariste fragiliserait le texte et le choix qu'il traduit de donner le pas à la liberté de garder le secret sur une filiation sur le droit ou l'aspiration d'un enfant à connaître ses origines. En effet, la reconnaissance à la personne, de son vivant, d'une possibilité de refus de consentement à l'expertise de filiation irait de pair avec le fait que cette mesure pourrait être imposée sans restriction après le décès de l'intéressé. Ce risque d'incohérence pourrait être prévenu par l'adjonction à la fin du second alinéa de l'article 16-11 du Code civil de la phrase suivante : « L'opposition clairement manifestée de son vivant par une personne à une telle mesure d'instruction fait obstacle à la mise en oeuvre de celle-ci après le décès de l'intéressé. ». Une telle mesure assurerait le respect du principe du consentement par-delà le décès de la personne.

« Il convient néanmoins de souligner qu'elle sera à l'origine d'une dissymétrie entre les morts et les vivants. Lorsque la personne qui refuse de se soumettre à une expertise de filiation est vivante, en effet, le juge peut tirer les conséquences de ce refus et procéder à une affirmation judiciaire de la paternité sur la base de présomptions. Cette faculté résulte notamment de l'article 11 du nouveau code de la procédure civile, aux termes duquel « les parties sont tenues d'apporter leur concours aux mesures d'instruction sauf au juge à tirer toute conséquence d'une abstention ou d'un refus ».

« Certains ont pu souligner en outre que si la mort écarte toute appréciation du juge civil, l'équilibre qui sera consacré entre le principe de l'intégrité du corps humain et le principe du droit de l'enfant à connaître sa filiation ne va pas de soi 44( * ) . »


Pour sa part, votre rapporteur prend acte de la position prise par l'Assemblée nationale qui a renversé la rédaction prévue initialement par le présent projet de loi pour affirmer la nécessité d'un consentement exprès de la personne décédée, formulé de son vivant.

Certes, on pourrait arguer, en s'appuyant sur l'analyse du Conseil d'Etat, qu'une telle précision induit une inégalité entre les requérants, entre ceux qui auront eu la possibilité de formuler leur requête du vivant de leur parent putatif, et qui in fine bénéficieront d'une réponse au moins présumée 45( * ) , et ceux qui seront confrontés à la barrière de la mort.

Cela étant, le législateur devait trouver une conciliation entre deux principes également respectables : celui des vivants à connaître leurs origines et la paix des morts . La position retenue par le texte tel qu'issu des travaux de l'Assemblée nationale rend en définitive raison au poète pour qui « le silence est le meilleur avocat des morts » 46( * ) .

Le cantonnement de l'identification génétique à la procédure civile de filiation

L'identification par empreintes génétiques ne peut être conduite, dans le cadre d'une procédure civile, qu'en matière de filiation. Cette restriction est-elle pertinente ?

Elle pourrait, en effet, être développée afin de permettre d'éclairer le juge au cours de litiges divers. Sur proposition de M. Jean François Mattei, député, l'Assemblée nationale a examiné un amendement visant à étendre le champ du premier alinéa de l'article 16-11 du code civil.

Le rapporteur de la commission spéciale, M. Alain Claeys 47( * ) , a éclairé cette proposition d'un exemple concret :  « Il y a quelques années, une jeune femme dont le mari était décédé dans un accident de voiture s'est vu refuser le bénéfice de l'assurance au motif que les examens sanguins pratiqués sur le mort montraient des traces d'alcool. La jeune femme les a contestés en faisant valoir que son mari ne buvait pas d'alcool. Elle pensait qu'il y avait eu confusion de flacons. Elle demandait au juge des référés d'ordonner une mesure d'identification par empreintes génétiques pour établir la comparaison des sangs des flacons, mesure que le juge des référés refusa, décision confirmée en appel sur le fondement de l'article 16-11 du code civil » .

Le Gouvernement 48( * ) a, pour sa part, souhaité que ne soit pas étendue la faculté prévue pour la seule recherche en filiation au motif « qu'il ne faut pas rompre cet équilibre en autorisant le juge à prescrire cette mesure, quelle que soit la nature de l'action dont il est saisi. Une expertise génétique pourrait ainsi être demandée, par exemple, dans le cas d'un litige successoral, lors d'une contestation devant le juge de l'identité des bénéficiaires d'une assurance sur la vie, voire lors de procédures qui ne présentent pas un caractère contradictoire. Au surplus, cette extension comporterait sans nul doute des risques de contrariété de jurisprudence. De surcroît, un tel élargissement des possibilités de mise en oeuvre des mesures civiles d'empreintes génétiques serait contraire à l'orientation d'ensemble d'un texte qui, dans un souci de protection des droits fondamentaux, tend à restreindre les conditions dans lesquelles peut être autorisée une mesure d'empreintes génétiques sur une personne décédée ».

La question reste, là encore, ouverte.

2°) La réécriture de l'article L 1131-1 du code de la santé publique

L'amélioration des garanties


La réécriture de l'article L. 1131-1 du code de la santé publique se justifie par le souci de simplifier le régime des garanties entourant la réalisation d'examens ou d'identification génétique.

Le droit en vigueur prévoit en effet qu'à titre exceptionnel, le consentement de la personne peut ne pas être recueilli lorsque cet examen ou identification est réalisé à des fins médicales, qu'il est dans l'intérêt du patient et est effectué dans le respect de sa confiance.

La rédaction proposée par le présent projet de loi est plus protectrice puisque cette dérogation sera désormais limitée aux seuls cas où les personnes ne peuvent matériellement manifester leur consentement. Deux conditions expresses sont prévues : l'examen est à finalité médicale et est mené dans l'intérêt du patient.

L'Assemblée nationale est allée plus loin en prévoyant, c'est heureux, la consultation obligatoire de la « personne de confiance » , notion introduite en droit positif par la loi du 4 mars 2002 relatif au droits des malades.

Votre commission souscrit à cette nouvelle rédaction proposée pour l'article L. 1131-1 du code de la santé publique, sous une double réserve justifiant deux amendements :

- elle vous propose de corriger une erreur matérielle, car la personne de confiance visée par l'Assemblée nationale est mentionnée à l'article L. 1111-6 du présent code et non à l'article L. 1111-5 ;

- elle vous propose d'apporter une précision en remplaçant, au troisième alinéa le terme « patient » par le terme « personne » . Il est manifeste que dans l'esprit de l'article, la personne constitue le patient mais il peut se trouver certains cas où cette identité n'est pas vérifiée. Puisque l'article prévoit expressément que la recherche ou l'identification ne peuvent être faits en l'absence de consentement, que dans l'intérêt de la personne sur laquelle elles sont pratiquées, il ne faudrait pas qu'elles puissent être pratiquées dans l'intérêt d'un tiers lui-même « patient » .

La difficile conciliation du secret médical et des tests ou examens génétiques

Lors de son audition par votre commission, le professeur Arnold Munnich 49( * ) a soulevé les difficultés posées par le secret médical au regard du statut génétique des sujets :

« Nous avons, encore tout récemment, été confrontés à des difficultés liées à ce secret . Ces maladies ne sont pas seulement celle d'un individu, elles éclaboussent toute la famille. Au regard du droit, le respect de la vie privée des gens l'emporte sur l'assistance à personne en danger . Il n'est malheureusement pas exceptionnel, j'en ai fait la douloureuse expérience samedi dernier, qu'une mésentente intrafamiliale aboutisse à la maladie et à la mort de plusieurs enfants apparentés éloignés. Lorsque nous nous retournons vers les personnes qui auraient pu, ou dû, prévenir leurs apparentés, elles se retranchent derrière le respect de la vie privée et du secret médical . J'attire donc votre attention sur le fait -nous y avons été confrontés avec la contamination intraconjugale dans le SIDA- que ce problème réglementaire est extraordinairement douloureux. Le législateur pourrait envisager une disposition selon laquelle, lorsque la vie des apparentés est en danger, une obligation est formulée d'aller au-devant des personnes à risques » .

Cette difficulté a déjà été évoquée par le Comité consultatif national d'éthique qui, dans la deuxième recommandation jointe à son avis n° 46 du 30 octobre 1995, ne pouvait se résoudre à proposer cette exception au secret médical :

« Le secret médical doit être respecté vis-à-vis des tiers, y compris les autres membres de la famille . Lorsque la découverte d'une anomalie génétique de caractère familial conduit à envisager un prélèvement biologique sur l'ensemble des membres de la famille, ceux-ci devront être sollicités directement par le sujet demandeur et non par le médecin. Si le sujet refuse de faire connaître aux membres de sa famille le risque révélé par l'examen génétique qu'il a subi, le médecin sera dans l'impossibilité de les prévenir du risque éventuel qu'ils ont de développer une maladie ou de la transmettre à leur descendance. Le médecin devra informer le sujet testé de sa responsabilité et tout faire pour le convaincre d'informer ses proches. En cas d'échec, le devoir de confidentialité et le secret médical seront en contradiction avec le devoir d'informer les sujets et les familles, d'un risque qui peut être l'objet d'une prévention. Le médecin sera confronté à un grave conflit éthique sur lequel la société devra se prononcer, en tenant compte du caractère inacceptable de la non-assistance à personne en danger, particulièrement lorsque des enfants sont concernés. »

Votre commission ne saurait purement et simplement écarter l'application du secret médical.

Pour autant, l'existence d'une affection génétique grave, non décelée et inconnue de la personne qui en est atteinte peut avoir une incidence importante sur la conduite de soins prodigués à cette personne.

Convaincue de l'intérêt potentiel qu'il existerait à ce qu'une personne, se sachant atteinte d'une telle affection génétique grave, soit sensibilisée par son médecin à la nécessité d'en informer sa parentèle, lorsque cette information permettrait des mesures efficaces de prévention ou de soins, votre commission vous proposera d'adopter un amendement prévoyant la faculté pour le médecin d'informer le patient de la nécessité de prévenir les membres de sa famille potentiellement concernés.

Votre commission vous propose d'adopter cet article ainsi amendé.

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