3. La naissance de géants énergétiques européens

Le trait dominant du panorama énergétique européen se caractérise par des rapprochements et des alliances, pouvant aller jusqu'à la fusion, entre compagnies énergétiques. On constate une consolidation du secteur européen de l'énergie autour de pôles comme EDF, l'allemand E.ON ou l'italien Enel. Le temps des entreprises au statut public se limitant à la satisfaction des besoins de leur marché domestique est, de ce point de vue, révolu. En effet, la libéralisation des marchés de l'énergie conduit les anciens monopoles à élargir leur champ d'intervention pour compenser les pertes de marché qu'ils subissent sur leur propre marché historique.

Ainsi, dans un contexte de développement international et de diversification des grandes compagnies gazières, les stratégies d'achat et de fusion se multiplient . L'année 2006 aura été marquée notamment par l'échec de la tentative de Gazprom d'entrer au capital de la compagnie britannique Centrica , le principal fournisseur gazier du Royaume-Uni.

Toutefois, l'internationalisation des grands groupes est aujourd'hui variable . Si Enel et Centrica connaissent un relativement faible degré d'ouverture internationale (respectivement 5 et 10 %), EDF et l'espagnol Endesa réalisent 37 % de leurs ventes à l'étranger, E.ON 39 %, le belge Electrabel 40 % et l'allemand RWE 45 %. Certains, comme le suédois Vattenfall, ont même une activité plus importante à l'étranger que dans leur propre pays (64 %) 27 ( * ) .

Le norvégien Statoil occupe quant à lui une position particulière : sa part du marché de l'Union européenne atteint 11 %. Cette compagnie assure 21 % de la consommation française et plus de 15 % du marché allemand. Ses contrats à long terme conclus avec ses partenaires européens sont sa principale source de profit. La compagnie a récemment développé des activités de commercialisation directe de gaz en Europe, notamment au Danemark et en France. Elle a également pour cible de se développer sur le marché britannique, dont les perspectives de croissance sont fortes. Dans cette perspective, Statoil a pour objectif de doubler sa production gazière annuelle.

Il convient, dans ce contexte, d'analyser la position de Gazprom dans cet espace concurrentiel. La carte ci-dessous 28 ( * ) , qui retrace les flux d'exportations 2000, 2010 et 2020, démontre que la Russie détient les réserves les plus importantes à proximité d'un marché européen de plus en plus importateur de gaz.

Gazprom, qui bénéficie d'un monopole d'exportation en Russie, a accru ses ventes vers l'Union Européenne de 5,5 % en 2004 29 ( * ) et son objectif est de renforcer cette position. Le récent accord passé avec l'énergéticien italien Eni va lui permettre de vendre sa production sur le marché italien sans intermédiaire. En échange, Eni sera associé à la recherche de sources d'hydrocarbures en Russie.

La perspective d'un déclin des ressources de Gazprom sur les quinze années à venir conduit cette entreprise à optimiser ses champs sur le long terme. Gazprom cherche également de nouveaux marchés puisque le prix de vente en Russie est cinq à six fois plus faible que sur le marché international. En conséquence, l'entreprise a, ces dernières années, pris des participations dans de nombreuses sociétés de distribution de gaz 30 ( * ) dont le dernier investissement fut l'échange d'actifs avec E.ON.

Par une politique d'acquisitions, Gazprom a donné la priorité au contrôle des moyens de distribution sur le développement de nouveaux gisements. Sa volonté d'investir dans la filière du gaz naturel liquéfié (GNL) et de pénétrer de nouveaux marchés, notamment la Chine et les Etats-Unis, sont à l'origine de la signature de l'accord avec Sonatrach.

S'agissant de Sonatrach, ses principaux marchés sont l'Italie, l'Espagne et la France qui est le premier acheteur de GNL algérien . Ses atouts sont sa proximité avec le marché européen et la compétitivité de ses coûts de transport. Sonatrach a acquis des participations dans deux projets de gazoducs sous-marins qui relieront à terme l'Algérie à l'Espagne (projet Medgaz) et à l'Italie (projet Galsi).

Enfin, il convient de rappeler que l'Espagne est actuellement le terrain de manoeuvres de restructurations importantes. En effet, depuis février 2006, le premier groupe électricien espagnol Endesa fait l'objet de toute l'attention de la compagnie E.ON, malgré les réticences du gouvernement espagnol, qui préfèrerait une OPA concurrente du groupe gazier espagnol, Gas natural. Parallèlement, un nouveau projet de géant espagnol de l'énergie se dessine autour du numéro deux de l'électricité, Iberdrola. Ce dernier pourrait fusionner avec l'électricien Union Fenosa via le géant espagnol du BTP, premier actionnaire d'Union Fenosa, pour former le numéro un de l'électricité dans ce pays 31 ( * ) .

Ce tableau rapidement brossé démontre que l'Europe de l'énergie est en train de se restructurer autour de grands groupes qui souhaitent faire jouer à plein les effets de synergies entre le gaz et l'électricité dans un marché libéralisé. Confrontée à ces opérations d'envergure, la nécessité de constituer un autre pôle compétitif « multi-énergie » autour de Gaz de France s'impose donc .

* 27 In Le Monde du 15 juin 2006 - « L'Europe en fusion » - Article de Jean-Michel Bezat.

* 28 Source : Gazprom.

* 29 In « Flash sectoriel » du 25 août 2006 du CM-CIC Securities.

* 30 En Allemagne (Wingas), en République Tchèque (Gas Invest), en Finlande (Gasum), en Hongrie (Panrusgaz), au Royaume Uni (Gazprom UK trading) et en Italie (Promgaz).

* 31 In AFP International du 27 septembre 2006 « Energie : Les Etats européens préfèrent les champions nationaux. ».

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