II. L'EPIDE : UN DISPOSITIF D'INSERTION PROMETTEUR

La proposition de loi propose d'élargir l'éventail des réponses susceptibles d'être apportées à la délinquance des mineurs en ouvrant à l'autorité judiciaire la possibilité d'inciter un mineur délinquant, en échange d'un abandon des poursuites, d'un ajournement de la peine ou d'un sursis, à rejoindre un centre relevant de l'établissement public d'insertion de la défense (EPIDe) afin d'y suivre une formation destinée à favoriser sa réinsertion.

A. UN PROJET ORIGINAL

Inspiré de l'expérience du service militaire adapté (SMA) (voir encadré), le dispositif « Défense deuxième chance » a été créé par l'ordonnance n°2005-883 du 2 août 2005 relative à la mise en place au sein des institutions de la défense d'un dispositif d'accompagnement à l'insertion sociale et professionnelle des jeunes en difficulté, afin de « mettre les compétences des anciens militaires au service d'un projet de société tourné vers la jeunesse en difficulté d'insertion professionnelle » 13 ( * ) .

Ce programme, porté par l'Etablissement public d'insertion de la Défense (EPIDe), vise à proposer à des jeunes en situation d'échec scolaire et professionnel et en voie de marginalisation sociale une formation comportementale (apprentissage ou réapprentissage des règles de vie en société), une remise à niveau scolaire ainsi qu'une « préformation professionnelle », s'appuyant à la fois sur l'expérience d'insertion des armées mais également sur les dispositifs d'insertion existants.

D'autres acquisitions de compétences sont systématiquement proposées aux volontaires, telles que la préparation du permis de conduire (examen théorique, leçons de conduite sur simulateur) ou du brevet de secourisme, par exemple. L'organisation de l'emploi du temps des stagiaires repose sur le sport et les activités physiques tout autant que sur des cours théoriques ou l'acquisition de compétences techniques : la revalorisation des jeunes à leurs propres yeux est un élément fondamental du programme et mobilise donc toutes les compétences de chaque volontaire.

Le service militaire adapté (SMA) : cinquante ans d'insertion sociale
pour de jeunes ultramarins volontaires

Mis en place en 1961, sous l'impulsion de MM. Michel Debré, Pierre Messmer et Jean Némo, alors respectivement Premier ministre, ministre des armées et Commandant Supérieur des forces armées aux Antilles Guyane, le service militaire adapté (SMA) a pour objet de concourir à l'insertion de jeunes qui connaissent des difficultés sociales et qui résident dans les collectivités et départements d'outre-mer.

Selon l'arrêté du 30 septembre 1991 modifié portant mission et organisation du service militaire adapté, le SMA a pour but « de dispenser aux appelés la formation militaire, civique et morale nécessaire à tout combattant », « de les préparer à une meilleure insertion dans la vie active lors de leur retour à la vie civile, par une formation professionnelle adaptée », « de les faire participer », tout en contribuant « à la mise en valeur des départements [...] et des collectivités territoriales d'outre-mer », « à l'exécution des plans de défense, des plans de protection, des plans de secours et des plans d'aides au service public ».

Sur la base du volontariat, ces jeunes en situation d'échec scolaire et/ou professionnel peuvent faire acte de candidature afin de rejoindre l'une des sept unités situées outre-mer (Martinique, Guadeloupe, Guyane, Réunion, Mayotte, Polynésie française et Nouvelle-Calédonie) ou l'unité située en métropole (Périgueux).

Au titre du SMA, trois statuts leur sont accessibles dès lors qu'ils ont été sélectionnés : le statut de volontaire stagiaire (contrat de six à douze mois ouvert aux 17/26 ans), celui de volontaire technicien (contrat de douze mois renouvelable quatre fois ouvert aux 18/26 ans) et enfin le statut d'engagé volontaire (contrat d'une durée maximale de cinq ans ouvert aux 18/28 ans). Ces différents statuts permettent aux intéressés, en fonction de leur situation initiale, de recevoir une formation de base pour préparer ensuite un diplôme, diverses formations (permis de conduire ou brevet de secourisme) ou faciliter leur recherche d'emploi.

Les résultats très encourageants obtenus dans le cadre de ce dispositif (75 % des jeunes sortant du SMA trouvent un emploi ou s'engagent dans une poursuite de formation qualifiante dans les six mois, les deux tiers d'entre eux en ayant obtenu leur permis de conduire) ont conduit le président de la République à proposer le doublement de l'offre de stages à partir de 2014 pour atteindre les 6000 contrats de volontaires. Pour accompagner ce développement, une unité dépendant du SMA de Guadeloupe sera implantée à Saint-Martin. Il est par ailleurs envisagé d'ouvrir une unité à Futuna dans le cadre de la prochaine programmation budgétaire triennale (2014-2016).

Les réflexions récentes autour du renforcement du SMA, engagées notamment dans le cadre de la célébration du cinquantenaire du dispositif, ont conduit le Premier ministre à créer un Conseil du service militaire adapté (décret n°2011-834 du 12 juillet 2011). Placé sous l'autorité du ministre chargé de l'outre-mer, ce conseil aura un rôle consultatif s'agissant des orientations stratégiques pour les politiques de recrutement, de formation et d'insertion du SMA.

En dépit de son appellation, l'EPIDe est un établissement public administratif de nature civile , placé aujourd'hui sous la triple tutelle des ministères chargés de la défense, de l'emploi et de la ville.

A l'heure actuelle, l'EPIDe gère vingt centres répartis sur l'ensemble du territoire et pouvant accueillir en internat 2 165 jeunes.

Implantation des vingt centres gérés par l'EPIDe

Source : site Internet de l'EPIDe

Le personnel pédagogique et d'encadrement est d'origine multiple et se compose d'enseignants, de cadres dédiés à l'encadrement des jeunes et à l'enseignement de la formation civique - parmi lesquels se trouvent d'anciens militaires et des éducateurs -, et enfin d'une équipe en charge de l'insertion professionnelle, accompagnant le jeune dans la définition et la validation de son projet professionnel en liaison avec les structures et entreprises partenaires du centre.

Le personnel, composé en quasi-totalité de contractuels, représente environ 40% de l'effectif des stagiaires accueillis dans un centre.

Au total, l'EPIDe propose un programme original, qu'il serait inexact de réduire à la seule notion d' « encadrement militaire » de jeunes en déshérence.

Sans doute le fonctionnement des centres repose-t-il sur un règlement intérieur strict, avec obligation d'assiduité et de résultats, ainsi que sur une pédagogie valorisant le respect d'autrui, de la hiérarchie et la cohésion du groupe. Les stagiaires, qui sont des civils, sont astreints au port d'une tenue uniforme. En outre, l'instruction civique comprend le rappel des valeurs fondatrices de la République et utilise des cérémonies ou usages symboliques pour les illustrer.

Néanmoins, le projet mis en oeuvre dans les centres relevant de l'EPIDe est fondé avant tout sur la pédagogie des travailleurs sociaux .

Il convient par ailleurs de noter que seuls 42% des encadrants sont d'anciens militaires (c'est-à-dire ayant accompli au moins cinq ans de service dans l'armée) 14 ( * ) ; en outre, comme l'ont expliqué à votre rapporteur les dirigeants de l'EPIDe, ceux-ci ont de plus en plus souvent une expérience ou une formation d'éducateur ou de travailleur social.

Enfin, si le ministère de la Défense exerce une tutelle sur l'EPIDe, il ne participe pas directement à son financement . Réticent à s'engager dans un projet qui ne relève pas de son coeur de métier (voir encadré ci-dessous sur l'expérience, abandonnée en 2004, des « jeunes en équipes de travail »), il a apporté son soutien au dispositif en réalisant quelques cessions d'emprise au bénéfice de l'EPIDe, complétées par des cessions gratuites d'effets d'habillement et d'équipement ainsi que des prestations gratuites (mise à disposition de bus ou de matériel notamment) 15 ( * ) .

La prise en charge de jeunes délinquants
par des structures à encadrement militaire :
l'exemple des « Jeunes en équipes de travail » (JET) de 1986 à 2004

De 1986 à 2004, l'association « Jeunes en équipe de travail » (JET), fondée par l'amiral Christian Brac de La Perrière, à l'initiative de MM. Albin Chalandon et André Giraud, alors respectivement garde des Sceaux et ministre de la Défense, organisa des stages de rupture de quatre mois à l'intention de jeunes délinquants de nationalité française ou étrangère en situation régulière. Ces stages, proposés aux jeunes par le juge d'application des peines dans le cadre d'un aménagement de peine , visaient à préparer leur réinsertion sociale et professionnelle.

L'association disposait de quatre centres accueillant des jeunes majeurs (Oise, Isère, Val-de-Marne et Vienne) et d'un centre accueillant des mineurs de seize à dix-huit ans (Haute-Loire). Ils accueillirent en tout environ 5800 jeunes délinquants.

Les jeunes concernés conservaient leur statut civil et étaient encadrés par des militaires volontaires, mis à disposition par les armées ou la gendarmerie, sept jours sur sept et vingt-quatre sur vingt-quatre. Sur un plan budgétaire, ces personnels étaient à la charge du ministère de la Défense, et non du ministère de la Justice.

Les jeunes vivaient pendant trois mois et demi sous un régime d'internat, sans visite ni téléphone. Ils étaient répartis en équipes (de quatre pour les mineurs, de huit pour les majeurs) sous la direction d'un sous-officier. Une formation générale leur était inculquée, tandis qu'ils accomplissaient des services au profit de leur collectivité (entretien et propreté des locaux), une initiation au travail en atelier, des activités sportives et de plein air et des chantiers extérieurs au centre (travaux forestiers, remise en état d'immeubles). Parallèlement, un suivi de leur orientation était mis en place.

Chaque centre était dirigé par un officier en retraite du grade de colonel ou de lieutenant-colonel, rémunéré par l'association, cette dernière recrutant également des éducateurs et des formateurs. De plus, le ministère de la Défense mettait chaque année à disposition de l'association 80 officiers et sous-officiers au maximum, correspondant à 36 équivalents temps plein. Des enseignants étaient également mis à la disposition de l'association par le ministère de l'Education nationale.

L'expérience fut interrompue en 2004 , essentiellement en raison de difficultés de financement, le ministère de la Défense ayant souhaité que la charge de ce projet soit supportée par le ministère de la Justice, lequel n'a pas estimé possible de prendre en charge le financement de cette structure.


* 13 « Défense deuxième chance : favoriser l'insertion professionnelle des jeunes », rapport du Conseil économique et social, 7 juin 2006, présenté au nom de la section du travail par Mme Françoise Geng, rapporteure.

* 14 Tous les grades sont représentés parmi les anciens militaires en poste à l'EPIDe, des anciens officiers généraux aux anciens caporaux chefs engagés. Les anciens officiers généraux occupent des emplois de directeurs siège, les anciens colonels ayant commandé (éventuellement d'anciens lieutenants-colonels) occupent les emplois de directeurs de centre. S'agissant des fonctions d'encadrement de volontaires dans les centres, celles de référent sont tenues par d'anciens officiers subalternes ou d'anciens sous-officiers, celles de moniteur-accompagnateur sont tenues par d'anciens sous-officiers ou d'anciens caporaux-chefs engagés.

* 15 Voir le rapport n°290 (2007-2008) de notre collègue François Trucy, « La Défense et l'insertion des jeunes : le service militaire adapté et le dispositif « Défense deuxième chance » », fait au nom de la commission des finances, avril 2008, pages 43 et suivantes. Ce rapport est consultable à l'adresse suivante : http://www.senat.fr/notice-rapport/2007/r07-290-notice.html .

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